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Fiche 5.

Théories criminologiques classiques (2) :


explication sociologique du crime
Annie Beziz-Ayache, Magali Ravit
Dans Fiches 2021, pages 35 à 40
Éditions Ellipses
ISBN 9782340039995
© Ellipses | Téléchargé le 08/11/2023 sur www.cairn.info par Mohammed EL BAKIR (IP: 105.154.27.169)

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Fiche 5
Théories criminologiques
classiques (2) : explication
sociologique du crime

I. L’école cartographique ou géographique


II. L’école du milieu social
III. L’école de l’interpsychologie
IV. L’école socialiste
V. L’analyse sociologique de Durkheim

• Définitions

• Étiologie criminelle : étude des causes du crime.


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• Causes endogènes de la criminalité : causes intrinsèques à l’individu. Elles
sont liées à son être biologique et psychique.
• Causes exogènes de la criminalité : causes extrinsèques à l’individu. Elles
sont liées au milieu environnant physique ou socio-­économique.

Les explications de type sociologique données au phénomène criminel sont de


nature diverse. Elles sont complétées par la criminologie nord-­américaine avec,
notamment, Sutherland (V. Fiche 7).

I. L’École cartographique ou géographique

Les représentants de cette école sont :


x le belge A. Quetelet (1796-1874), mathématicien, auteur de Physique sociale
ou Essai sur le développement des facultés de l’homme (1869) ;
x le français A.M. Guerry (1802-1866), statisticien et juriste, auteur de Essai sur
les statistiques morales de la France (1833).
Quetelet et Guerry ont été les premiers à travailler sur les statistiques
criminelles en France parues à partir de 1826 (Compte général de la justice criminelle,
V. Fiche 10). En étudiant l’impact du milieu environnant sur la personne du criminel,

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ils se trouvent en totale contradiction avec la théorie de la causalité endogène de
Lombroso.
Selon Guerry, la criminalité serait en rapport étroit avec la géographie physique,
les saisons et les climats. Quetelet énonce la loi thermique de la criminalité selon
laquelle les crimes contre les personnes ont lieu le plus souvent dans les régions du
sud de l’Europe pendant la saison chaude alors que les atteintes aux biens sont les
plus fréquentes en hiver dans les régions du nord. À partir de l’étude des statistiques,
il invente la loi de la régularité constante du crime : les crimes se reproduisent chaque
année dans les mêmes proportions. Selon cette loi dite aussi de saturation du milieu,
le milieu social recèle de manière permanente un volume constant de criminalité lié
aux autres constantes humaines existant dans la société.
L’École géographique exerce, de nos jours, une certaine influence sur les recherches
en matière de géocriminologie définie comme l’étude du phénomène criminel dans
l’espace.

II. L’École du milieu social

Le représentant de cette École est Alexandre Lacassagne (1834-1924). Professeur de


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médecine légale et directeur des « Archives d’anthropologie criminelle de Lyon »,
il est le fondateur de l’École lyonnaise de criminologie. Lombroso fut son modèle
scientifique au début de sa carrière.
Il a mis l’accent sur l’influence du milieu social dans l’étiologie criminelle car,
d’après lui, les facteurs individuels seuls, sans la prise en considération du milieu social,
ne mènent pas au crime. Deux formules énoncées lors du 1er Congrès d’anthropologie
criminelle « en 1889 résument sa théorie : « Les sociétés n’ont que les criminels qu’elles
méritent » et le milieu est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe étant le
criminel, c’est-­à‑dire un élément qui n’a de valeur que le jour où il trouve le bouillon
qui le fait fermenter ». En conséquence, selon lui, pour lutter contre le crime, il faut
agir sur les facteurs criminogènes du milieu notamment la pauvreté, l’alcoolisme, la
tuberculose. L’orientation médico-­social de sa théorie néglige les facteurs personnels
propres à chaque délinquant et n’explique pas comment le milieu social peut agir
sur la personnalité.

III. L’École de l’interpsychologie

Le représentant de cette École est Gabriel Tarde (1843-1904). Il a étudié les


mathématiques, la philosophie et le droit. Il fut magistrat et a dirigé le service
des statistiques criminelles au ministère de la justice. Ses principaux ouvrages sont

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La criminalité comparée (1886), Les lois de l’imitation (1890) et La philosophie pénale
(1890).
Totalement opposé au déterminisme biologique de Lombroso et à la thèse de

Fiche 5 • Théories criminologiques classiques (2) : explication sociologique du crime


Ferri, Tarde soutenait que l’environnement, au sens du milieu dans lequel vivent les
individus, et est le facteur criminogène principal. Il déclarait « Les hommes de génie
d’une société lui appartiennent, mais ses criminels aussi ; si elle s’honore à juste titre
des uns, elle doit généralement s’imputer les autres à elle-­même. » Il affirmait aussi
que « la société est le véritable milieu naturel de l’homme et ce sont ses lois qui le
déterminent principalement ».
Selon lui, les délinquants apprennent le crime dans la rue et deviennent des
délinquants professionnels. En observant que les rapports individuels dépendent d’un
fait social essentiel – l’imitation – il recherche l’impact du milieu social sur l’individu.
Il énonce alors la loi de l’imitation selon laquelle l’imitation, qui conduit chacun à
se conduire d’après les habitudes de son milieu, est une cause de criminalité. D’après
Tarde, chaque personne a tendance à imiter le comportement de ses semblables selon
un processus qui prend en compte trois paramètres :
x la proximité : les individus s’imitent d’autant plus qu’ils vivent de façon
rapprochée ;
x la hiérarchie : un individu socialement inférieur imite son supérieur ;
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x la mode : la mode la plus récente efface la plus ancienne et l’individu a t­ endance
à imiter celui qui symbolise le modèle du moment.
Ainsi, pour Tarde, de façon schématique, si quelqu’un vole, par exemple, il ne fait
qu’imiter une autre personne. Or, l’impact du milieu, aussi important soit-­il, ne peut
exclure la responsabilité individuelle.

IV. L’École socialiste

Fondée sur les thèses de Marx (1818-1883) et de Engels (1820-1895), l’école


socialiste a pour objet l’examen des rapports entre le crime et le milieu économique.
Cette analyse dite marxiste de la délinquance repose sur une approche idéologique,
sociale et économique.
En stigmatisant le capitalisme dans son ouvrage le Capital (1867), Marx énonce
le postulat selon lequel la criminalité est « un sous-­produit du capitalisme » comme
les autres anomalies sociales. Son analyse établit une corrélation entre capitalisme
et délinquance : la criminalité serait une réaction contre les injustices sociales et,
en conséquence, elle est présente dans le prolétariat. Elle devrait disparaître avec
l’avènement de la société communiste et la fin de la lutte des classes. Néanmoins,
certaines actions criminelles perdureront mais elles seront la conséquence de maladies
physiques ou mentales de leurs auteurs.

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Cette analyse marxiste du crime a été reprise par le hollandais W. Bonger (1876-
1940) dans son ouvrage Criminalité et conditions économiques (1905). Il y soutient,
notamment, qu’il y a une corrélation entre de bonnes conditions économiques et la
diminution des délits sur les biens.

V. L’analyse sociologique de Durkheim

Sociologue français (1858-1917), Émile Durkheim a été le premier à rompre avec


l’individualisme analytique c’est-­à‑dire l’analyse des conduites criminelles fondées
sur l’individu. Selon lui, ces conduites sont étroitement liées à la société.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages qui ont une influence sur l’étude du phénomène
criminel : De la division du travail social (1893), Les règles de la méthode sociologique
(1895), le Suicide (1897).

A. Les idées de Durkheim

1. Pour Durkheim, la criminalité n’est pas un phénomène pathologique mais une


conséquence du fonctionnement régulier de la société. Le crime est donc un
fait non seulement normal mais aussi utile.
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*Le crime est un phénomène normal dans la société. Durkheim en propose
la définition suivante : « le crime est une offense faite aux états forts de la
conscience collective ». Il s’agit d’un acte que la société définit comme tel en
fonction de ses options morales déterminées dans le temps et l’espace. Pour
Durkheim, le criminel est un agent régulier de la société.
*Le crime est un phénomène utile. Son utilité réside dans le fait qu’il est
facteur de changement puisqu’il entraîne une réaction sociale. Ainsi, on
pourrait « juger du bon fonctionnement d’une société à la répression qu’elle
exerce sur les criminels ». Le crime, avec la poursuite et la condamnation de
son auteur, serait un moyen efficace d’affirmer l’attachement d’une société
à ses valeurs. Durkheim soutient même que le crime est un facteur de santé
publique car il permet l’affirmation des règles et l’évolution du droit ainsi que
l’assurance des mutations sociales.
En résumé, il n’existe pas de société sans crime et le crime est un fait social
et non un fait lié à la nature des individus. Comme pour tous les faits sociaux,
il en refuse l’explication par les données biologiques, psychologiques ou
philosophiques.
2. Durkheim a mis l’accent sur le rôle de l’anomie dans l’explication de la conduite
délinquante. Le concept d’anomie (du grec a-­nomos : sans loi) désigne l’affaiblis-
sement du rôle des valeurs morales, religieuses et civiques. Il y aurait dans les
sociétés modernes un décalage entre les besoins de la conscience collective et

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les aspirations individuelles. Ce décalage créerait un état d’anomie entraînant
des luttes, des oppositions et des violations de la loi. Avec le concept d’anomie,
Durkheim a décrit les difficultés de la régulation sociale et les lacunes de la

Fiche 5 • Théories criminologiques classiques (2) : explication sociologique du crime


réglementation insuffisantes à canaliser les désirs des individus. Par exemple, il
y aurait dans la société capitaliste un affaiblissement des forces de contrainte
exercée par la société sur ses membres dans la recherche des biens matériels.
Cela expliquerait la conduite délinquante.
La théorie de l’anomie a été reprise par l’américain Merton, auteur de Éléments
de théorie et de méthode sociologique 1965 (V. Fiche 7).

B. Critique des idées de Durkheim

La thèse de Durkheim n’a pas été comprise par ses contemporains. Une querelle
l’opposa à Tarde. Ce dernier lui reproche d’approuver le crime et son utilité. À cela,
Durkheim répond qu’un phénomène peut être normal socialement et en même temps
susciter des réactions défavorables. De plus, il souligne qu’approuver l’utilité du
crime ne signifie pas approuver l’effet direct du crime. Il déplore la conséquence
d’un homicide – la perte de la vie de la victime – mais soutient que l’utilité du crime
réside dans le fait qu’il est un facteur de changement social.
Son approche sociologique du crime n’a pas été acceptée par les criminologues de
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son époque qui ne considéraient pas la criminalité comme un fait social.

• À retenir

« Il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune car il est criminel,
mais qu’un acte est criminel parce qu’il offense la conscience commune ». Durkheim
« C’est à une corporation industrielle que ressemblent les sociétés criminelles et pas
le moins du monde à une tribu de sauvages ». Tarde

Pour en savoir plus


− J.-L. Besson, Les cartes du crime, PUF, 2005.
− A. Bauer, Géographie de la France criminelle, O. Jacob, 2006.
− M. Renneville, « La criminologie perdue d’Alexandre Lacassagne », Criminocorpus, Revue
hypermédia, janv. 2005.
− J. Verin, « Le bouillon de culture de la criminalité », RSC 1986, p. 911.
− F. Paramelle, Histoire des idées en criminologie au xixe et xxe siècles : Gabriel Tarde,
L’Harmattan, 2005.
− J. Coenen-­Huther, Comprendre Durkheim, A. Colin, 2010.
− H. Souchon, « A. Lacassagne et l’école de Lyon », RSC 1974, n° 3, p. 533.
− D. Elie, « Analyse spatiale et criminologie », Criminologie, 1994, n° 1, p. 7.

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POUR S’ENTRAÎNER : QCM

1. « Les sociétés n’ont que les criminels qu’elles méritent » selon :


a. Durkheim
b. Tarde
c. Lacassagne
2. Tarde est l’auteur de :
a. la loi de l’imitation
b. la loi thermique de la criminalité
c. la loi de la saturation criminelle
3. Le milieu social :
a. est considéré comme un facteur endogène de la criminalité
b. n’est jamais un facteur criminogène
c. est considéré comme un facteur exogène de la criminalité
4. Pour Durkheim, la criminalité est :
a. un phénomène pathologique
b. peut s’expliquer par le concept de l’anomie
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c. un phénomène utile et normal
5. La criminalité est un sous-­produit du capitalisme selon :
a. Durkheim
b. Marx
c. Marx et Bonger

CORRIGÉ

1. c. ; 2. a. ; 3. c. ; 4. b. et c. ; 5. c.

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