Vous êtes sur la page 1sur 7

J Fr. Ophtalmol.

, 2000; 23, 7, 711-717 REVUE GÉNÉRALE


© Masson, Paris, 2000.

F
L’ulcère de Mooren M
R. Voegtlé (1), V. Borderie (1), M. Baudrimont (2), O. Touzeau (1), J. Cabane (3), C
J.-Ph. Nordmann (1), L. Laroche (1)

(1) Service d’Ophtalmologie.


(2) Service d’Anatomie Pathologique B.
(3) Service de Médecine Interne, Hôpital Saint-Antoine, assistance publique des hôpitaux de Paris, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75571 Paris Cedex 12.
Correspondance : R. Voegtlé, à l’adresse ci-dessus.
Reçu le 28 mai 1999. Accepté le 28 janvier 2000.

ficatives. Lewallen et Courtright [2]


Mooren’s ulcer ont le mérite d’avoir étudié les carac-
téristiques épidémiologiques de l’ul-
CONTENTS PLAN cère de Mooren en reprenant l’en-
semble des cas décrits dans la
INTRODUCTION INTRODUCTION
littérature (287 patients). Leurs ré-
EPIDEMIOLOGY ÉPIDÉMIOLOGIE sultats ne sont pas en accord avec
PATHOPHYSIOLOGY PHYSIOPATHOLOGIE les publications telles que celle de
CLINICAL FEATURES CLINIQUE Wood et Kaufman [3] qui
DIAGNOSIS DIAGNOSTIC POSITIF distinguaient 2 formes épidémiolo- 711
CLINICAL PRESENTATIONS FORMES CLINIQUES giques. Les formes « typiques »
DIFFERENTIAL DIAGNOSIS DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS représentées par des ulcères de
THERAPY TRAITEMENT Mooren unilatéraux touchant des
TOPICAL STEROIDS CORTICOÏDES sujets âgés et répondant bien au trai-
CONJUNCTIVAL RESECTION RÉSECTION CONJONCTIVALE tement. Des formes « atypiques » bila-
IMMUNOSUPPRESSIVE AGENTS IMMUNOSUPPRESSEURS térales, touchant des sujets jeunes,
SURGICAL PROCEDURES AUTRES TRAITEMENTS CHIRURGICAUX et répondant mal au traitement.
CONCLUSION CONCLUSION Lewallen et Courtright ont ainsi
Key-words: cornea, ulceration, autoim- Mots-clés : Cornée, ulcère, auto-immu- montré que les formes bilatérales
munity, immunosupressive agents. nité, immunosuppresseurs. sont aussi fréquentes chez les sujets
âgés que les formes unilatérales.
Chez les sujets caucasiens, dans
78 % des cas l’ulcère de Mooren est
survenu après 35 ans, alors que chez
INTRODUCTION traitement médico-chirurgical sera les sujets d’origine africaine 61 %
adapté en fonction de la réponse cli- sont survenus avant 35 ans. Le sex-
L’ulcère de Mooren est une patho- nique. Les immunosuppresseurs ont ratio retrouvé est en accord avec la
logie peu fréquente. Bowman a été grandement contribué à améliorer classique prédominance masculine
le premier à l’évoquer en 1849, mais le pronostic de cette pathologie. mais dans des proportions bien moin-
c’est Mooren qui l’a décrit comme dres (1,6 hommes pour 1 femme sans
une véritable entité pathologique tenir compte de l’âge et de l’ethnie).
[1]. Il s’agit d’un ulcère cornéen pé- ÉPIDÉMIOLOGIE La difficulté d’établir des données si-
riphérique, douloureux, uni ou bila- gnificatives, tient au fait que les pu-
téral, d’évolution chronique. La phy- Sur le plan épidémiologique, les blications sont toujours limitées en
siopathologie exacte est encore publications sont rares. En effet les nombre, que le suivi des patients
inconnue mais l’hypothèse auto-im- séries étant toujours très limitées n’est pas toujours suffisant et que
mune fait l’objet d’un consensus. en nombre, il est difficile d’en tirer tous les diagnostics différentiels ne
C’est un diagnostic d’élimination. Le des données statistiquement signi- sont pas systématiquement éliminés.

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
R. Voegtlé et coll. J. Fr. Ophtalmol.

PHYSIOPATHOLOGIE CLINIQUE cornéenne complète avec néovascu-


larisation.
Le mécanisme physiopathologique Diagnostic positif
intime de l’ulcère de Mooren est Formes cliniques
encore actuellement inconnu. L’ori- La présentation clinique est celle
d’un patient présentant un œil Watson [24], dans une récente
gine auto-immune est cependant
rouge, larmoyant, photophobe. La publication, a classé les ulcères de
communément admise. Elle fait in-
douleur, d’intensité variable, est Mooren en trois formes cliniques
tervenir l’immunité humorale et cel-
dans certains cas disproportionnée distinctes. Il s’est basé sur la pré-
lulaire. L’existence d’anticorps circu-
avec l’importance des signes objec- sentation clinique et sur les résul-
lants a été décrite dans plusieurs
tifs. L’acuité visuelle est le plus sou- tats d’angiographies du segment
publications. Pour Gottsch et al. [4]
vent initialement conservée. L’âge antérieur systématiquement prati-
ces anticorps sont dirigés contre un quées :
antigène stromal (CO-Ag). Cet anti- de survenue est variable ; des cas ont
été décrits chez de très jeunes en- – Ulcère de Mooren unilatéral : il
gène cornéen a une structure iden- touche essentiellement les femmes
tique à une protéine retrouvée à la fants. L’atteinte peut être unilatérale
ou bilatérale. L’examen biomicrosco- d’origine caucasienne, plutôt âgées.
surface de nématodes. Ainsi une Il est extrêmement douloureux et
réaction immune dirigée contre le pique retrouve initialement un infil-
progresse rapidement. Les cas de
parasite intestinal pourrait avoir trat stromal périphérique, puis une
perforation cornéenne sont très
comme conséquence l’apparition ulcération épithéliale apparaît en re- rares dans cette forme. L’angio-
gard aboutissant à l’aspect classique graphie du segment antérieur met
d’une réaction auto-immune croi-
d’ulcère limbique. La conjonctive, la en évidence des oblitérations des
sée dirigée contre l’antigène cor-
sclère et l’épisclère sont très vascula- vaisseaux superficiels et une fuite de
néen et le développement d’un ul-
risées et oedématiées. L’ulcère pré- fluorescéine à partir des vaisseaux
cère cornéen [5]. D’autres auteurs
sente un versant cornéen abrupt, en profonds. L’ulcère est quant à lui, le
ont mis en évidence des anticorps
surplomb, avec délamination sous- siège d’une néovascularisation
dirigés contre des antigènes épi- jacente. L’amincissement cornéen superficielle et profonde. Les résul-
712 théliaux [6-8]. Berkowitz et al. [9] initial devra être quantifié dans un tats thérapeutiques sont décevants.
ont retrouvé des complexes immuns but de surveillance. L’ulcère de Moo- – Ulcère de Mooren bilatéral agres-
circulants. L’hypothèse de l’interven- ren est plus fréquemment situé sur sif : touchant des hommes jeunes,
tion de l’immunité cellulaire s’appuie l’axe horizontal plutôt que vertical d’origine africaine, indienne ou asia-
sur l’existence d’infiltrats cellulaires [23]. L’évolution se fait vers une ex- tique. Bilatéral, il est douloureux,
conjonctivaux constitués de macro- tension au début circonférentielle lent à atteindre la zone centrale et
phages, polynucléaires, histiocytes et puis centrale, touchant ainsi au peut aboutir à une perforation.
lymphocytes. Brown [10] a montré maximum l’ensemble de la cornée. L’angiographie retrouve un aspect
l’augmentation du taux d’enzymes Les complications possibles sont normal de la vascularisation con-
protéolytniques dans la conjonctive nombreuses : perforation spontanée jonctivale et épisclérale. L’ulcère est
et l’inhibition de la migration macro- (fig. 1) ou après traumatisme mi- le siège d’une néovascularisation
phagique a pu être obtenue avec neur, endophtalmie avec hypopion, profonde. Le traitement repose sur
des antigènes cornéens [11]. cataracte, glaucome, opacification les immunosuppresseurs.
Des facteurs déclenchants ont
été décrits dans la littérature, mais
il est difficile de les impliquer dans
le mécanisme physiopathologique
aboutissant à l’ulcère de Mooren.
Les helmintiases [12] et l’hépatite
chronique active C [13, 14] inter-
viendraient par un phénomène
d’immunité croisée. Les traumatis-
mes contusifs [3] ou chirurgicaux
(cataracte [15, 16], kératoplastie
[17, 18]), les brûlures cornéennes
chimiques [19, 20], les kératites Figure 1 : Ulcère de
herpétiques [21] et zostériennes Mooren perforé avec
hernie de l’iris et
[22] jouent un rôle physiopatholo- athalamie. Perfora-
gique encore inconnu. tion spontanée.

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
Vol. 23, n° 7, 2000 Ulcère de Mooren

– Ulcère de Mooren bilatéral


Tableau I
indolent : il atteint des sujets d’âge Diagnostics différentiels selon Chow et Foster [23].
moyen, indistinctement l’homme
ou la femme. Il est peu douloureux. Causes infectieuses
Il progresse lentement, envahit Ophtalmologiques Générales
rarement le centre et se perfore
peu fréquemment. L’angiographie Bactériennes Tuberculose
Virales (herpes, varicelle, zona) Syphilis
met en évidence une vasculari-
Fungiques Zona
sation superficielle normale, une Parasitaire (acanthamoeba)
dilatation des vaisseaux profonds
et une néovascularisation de Causes non infectieuses
l’ulcère par des vaisseaux profonds. Ophtalmologiques Générales
Le traitement local est le plus sou- Traumatisme Connectivites
vent suffisant pour obtenir la cica- Dégénérescence marginale de Terrien Polyarthrite rhumatoïde
trisation. Dégénérescence pellucide Granulomatose de Wegener
Rosacée oculaire Périartérite noueuse
Kératite d’exposition Lupus érythémateux
Diagnostics différentiels Kératite neurotrophique Polychondrite atrophiante
Syndrome sec Syndrome de Sjögren
L’ulcère de Mooren est un dia- Maladie de Behcet
gnostic d’élimination. Toutes les Sarcoïdose
autres causes d’ulcères de cornée
doivent être écartées avant de pou-
voir porter le diagnostic (tableau I). une infiltration stromale ponctuée Des ulcères de cornée s’intégrant
Ainsi deux situations peuvent se jaune ou blanche avec néovascula- dans le cadre de pathologies infec-
présenter : soit le diagnostic étiolo- risation de la base et infiltration lipi- tieuses telles que la syphilis ou la
gique est rapidement porté par un dique. Les éléments qui permettent tuberculose posent souvent plus de
interrogatoire approfondi, un con- de la distinguer de l’ulcère de Moo- problèmes et doivent être élimi-
texte clinique évocateur, un aspect ren sont le caractère indolore, le 713
nées systématiquement [23]. Elles
biomicroscopique caractéristique ; respect classique de l’épithélium sont actuellement devenues rares.
soit il est plus difficile d’éliminer recouvrant la zone atteinte, l’exis-
une affection générale (le plus sou- tence d’un intervalle clair entre la Pseudo-ulcères de Mooren
vent une maladie de système) et cornée pathologique et le limbe, des maladies de système
l’on devra avoir recours à des inves- l’absence d’hyperhémie conjoncti-
tigations cliniques et paracliniques Ce sont les ulcères secondaires à
vale et épisclérale. des maladies de système qui po-
plus approfondies pour retrouver
une éventuelle étiologie.Causes La dégénérescence pellucide sent les plus importants problèmes
marginale fait partie de la liste des diagnostiques : polyarthrite rhu-
évidentes
pathologies à écarter. Son aspect matoïde, lupus érythémateux dis-
Ainsi les ulcères d’origine bac- clinique est tout à fait distinct de séminé, granulomatose de Wege-
térienne sont éliminés car guéris- celui de l’ulcère de Mooren. C’est ner, périartérite noueuse.
sant sous antibiotiques et donnant un aspect de kératocône inférieur. Un interrogatoire approfondi, un
des prélèvements bactériologiques Il existe dans ce cas une ectasie examen clinique complet pratiqué
positifs. Des kératites virales, des avasculaire et non inflammatoire par un médecin interniste et des
kératomycoses ou des infections de la partie périphérique inférieure examens complémentaires sont in-
amibiennes surviennent en général de la cornée. dispensables pour éliminer ces pa-
sur des terrains particuliers (porteurs Les kératites d’exposition ou thologies numération formule san-
de lentilles de contact, immuno- radiques, les syndromes secs sur- guine, ionogramme sanguin, bilan
déprimés) et ont des aspects clini- viennent sur des patients ayant des hépatique, électrophorèsedes pro-
ques différents. La dégénérescence antécédents qui feront penser à téines, vitesse de sédimentation,
marginale de Terrien est une patho- ces affections. sérologie de l’hépatite C et de la
logie qui peut poser plus de pro- L’acné rosacée a généralement syphilis (TPHA, VDRL, FTA), sérolo-
blèmes diagnostiques. Elle se uneprésentation clinique bien dif- gie VIH 1 et 2, intradermo-réaction
présente comme une atteinte cor- férente. L’atteinte est volontiers à la tuberculine, examen parasitolo-
néenne périphérique bilatérale et inférieure. On peut retrouver un gique des selles, radiographie pul-
symétrique. Elle débute dans le qua- aspect caractéristique du visage et monaire, facteur rhumatoïde, anti-
drant nasal supérieur et s’étend de une meibomite qui aideront à por- corps anti-nucléaires, anticorps anti-
manière circonférentielle. Il existe ter le diagnostic. cytoplasme de polynucléaires neu-

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
R. Voegtlé et coll. J. Fr. Ophtalmol.

trophiles (ACAN), recherche de com- Tableau III


plexes immuns circulants, dosage du Critères diagnostiques selon Watson [24].
complément (tableaux II et III).
Pour éliminer ces maladies de – Ulcère de cornée périphérique s’étendant jusqu’au limbe cornéo-scléral
système on devra s’appuyer sur un – Bord central de l’ulcère en promontoire
– Infiltration blanchâtre du stroma précédant l’ulcère
éventail d’arguments : – Extension centrale et circonférentielle laissant place à une cornée amincie et
– Arguments cliniques généraux. vascularisée
– Arguments cliniques ophtalmo- – Pas d’atteinte sclérale
logiques : sclérite associée, ulcère – Pas de pathologie générale détectable
séparé du limbe par un intervalle de
cornée saine, absence du surplomb
caractéristique, signes de vasculari-
tes au fond d’œil. au radium [28], galvanocautéri- réséqué apporte des arguments en
– Arguments paracliniques. sation [29]. faveur du diagnostic d’ulcère de
Actuellement les traitements de Mooren : infiltrat cellulaire composé
Le diagnostic d’ulcère de Moo-
l’ulcère de Mooren doivent être em- de lymphocytes, histiocytes, mono-
ren ne pourra donc être posé
ployés selon une progression théra- cytes siégeant dans le tissu conjonc-
qu’au terme d’une enquête étiolo-
peutique basée sur la réponse clini- tif sous-épithélial (fig. 2a) ou autour
gique longue et rigoureuse. Une
que [21, 23]. On peut ainsi décrire des vaisseaux (fig. 2b). La présence
excellente coopération avec les 4 étapes thérapeutiques : corticoï- d’une vascularite sur l’examen ana-
équipes de médecine interne est des locaux et généraux, résection tomo-pathologique est un argu-
indispensable. conjonctivale, immunosuppresseurs, ment important en faveur d’un ul-
autres gestes chirurgicaux. cère de Mooren secondaire à une
maladie de système. La résection
TRAITEMENT Corticoïdes conjonctivale permet d’éloigner de
l’ulcère les cellules médiatrices de la
714 – La corticothérapie locale inten- réaction immune, les immunoglo-
L’ulcère de Mooren est une patho- sive a permis d’obtenir bon nombre bulines et les protéases destructri-
logie qui a la réputation d’être dif- de guérisons d’ulcères de Mooren ces [30, 31]. Sur le plan technique,
ficilement curable. peu agressifs [21]. Il faut aussi sys- la résection se pratique sous anes-
De multiples traitements, tématiquement traiter une infection thésie locale (topique et sous-con-
aujourd’hui anecdotiques ont été causale (hépatite C, helminthiase, jonctivale). La zone excisée doit être
utilisés, sans grands succès : injec- syphilis, tuberculose). Dans la série plus longue que celle de l’ulcère et
tions sous-conjonctivales de bi- de 37 yeux présentée par Brown et doit être large de 4 à 5 mm. La
chloride de mercure [25], acide ni- Mondino [21], 12 yeux ont été défi- sclère est mise à nu et le lit de l’ul-
trique, teinture d’iode [26], acide nitivement guéris par des corticoï- cère débridé. Ce geste chirurgical
trichloracétique [27], irradiation des locaux initialement administrés peut être renouvelé si l’ulcère
à fortes doses (1 goutte par heure) s’étend. Dans la série de Brown et
puis progressivement réduits et Mondino [21] sur les 22 yeux qui ont
Tableau II stoppés sur plusieurs mois. bénéficié d’une résection conjoncti-
Examens complémentaires à réaliser pour éli- – Les corticoïdes par voie géné- vale, 8 yeux ont cicatrisé rapide-
miner les diagnostics différentiels. rale seront utilisés à la dose de 1 mg ment.
par kg de poids, si la corticothérapie La résection conjonctivale ne per-
Numération formule sanguine
Vitesse de sédimentation locale n’a apporté aucune amélio- met pas, à elle seule, d’obtenir une
Urée et créatinine plasmatique ration après un délai de 8 jours. En guérison. Elle doit être associée aux
Bilan hépatique effet, selon certains auteurs, les cor- autres moyens thérapeutiques.
Sérologie hépatite C ticoïdes locaux peuvent alors avoir
Sérologie syphilitique: TPHA, VDRL des effets néfastes : retard de cica-
Électrophorèse de protéines
Immunosuppresseurs
trisation, perforation.
Anticorps anticytoplasme des neutro- Les immunosuppresseurs sont ré-
philes, anticorps anti-nucléaires
Facteur rhumatoïde Résection conjonctivale servés aux formes sévères ou secon-
Exploration du complément daires. Ce sont en effet des traite-
Recherche de complexes immuns La résection conjonctivale a un dou- ments lourds ayant des effets
circulants ble intérêt diagnostique et théra- secondaires potentiellement graves.
Examen parasitologique de selles peutique. En effet l’étude ana- De nombreuses publications ont
Radiographie pulmonaire rapporté des guérisons d’ulcères
tomo-pathologique du fragment

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
Vol. 23, n° 7, 2000 Ulcère de Mooren

a b

Figure 2 : Étude en microscopie optique d’un fragment de conjonctive réséquée en regard de l’ulcère. 2a : Infiltrats inflammatoires dans le tissu
conjonctif sous l’épithélium conjonctival. 2b : Infiltrats autour des vaisseaux (coloration : hémateine-éosine-safran × 250).

presseurs : méthotrexate, azathio- nous apparaissent comme étant les Autres traitements
prine, cyclosporine A [32-35]. mieux adaptés pour recevoir ces pa- chirurgicaux
Zhao et Xui-Ying [36] ontobtenu tients. Une surveillance étroite est
des guérisons par cyclosporine A nécessaire, les effets secondaires Ils sont généralement nécessaires
en application locale, réduisant étant nombreux : granulopénies, au stade de la perforation. Ainsi les
ainsi le risque d’effets secondaires. thrombopénies, cardiomyopathies, colles cyanoacrylates suffisent bien
Ainsi sur les 14 cas que contenait nausées, vomissements, cystites, souvent à obstruer une perforation 715
sa série, la cyclosporine A en appli- alopécie, aménorrhée et azoosper- de petite taille. Mais leur rôle ne se
cation topique a permis d’obtenir mie. Chez l’homme un spermo- limite pas à cela, elles permettent
une cicatrisation dans 11 cas dans gramme et une conservation systé- d’isoler le lit de l’ulcère des enzy-
un délai de 1,3 mois. Ces bons matique de sperme au CECOS mes protéolytiques véhiculés dans
résultats ont pu être obtenus sans avant de débuter le traitement les larmes et ainsi d’obtenir une
qu’aucun effet secondaire de la sont nécessaires. guérison complète [39]. Les colles
cyclosporine ne soit à déplorer. Dans la série de Brown et Mon- cyanoacrylates sont des moyens thé-
L’utilisation d’interféron alpha 2b dino [21] sur les 37 ulcères initiale- rapeutiques qui permettent d’atten-
a permis, dans le cas d’ulcères de ment traités, par corticoïdes locaux
dre que la maladie soit suffisamment
Mooren associés à une hépatite et résection conjonctivale, 13 ulcères
chronique C, de traiter les deux n’étaient pas cicatrisés. Sur ces stabilisée pour réaliser une kérato-
pathologies simultanément [13]. 13 ulcères, 4 ont été traités avec plastie transfixiante ou lamellaire à
Le cyclophosphamide, molécule succès par des immunosuppres- froid. La pose de colle cyanoacrylate
que nous utilisons, est un antinéo- seurs par voie générale (azathio- est systématiquement associée à la
plasique de la classe des agents prine ou cyclophosphamide). Fos- mise en place d’une lentille théra-
alkylants ayant une activité immu- ter et al. [38] rapportent aussi de peutique.
nodépressive qui intervient sur les bons résultats avec une cicatrisa- Les kératoplasties lamellaires
lymphocytes B en réduisant la tion obtenue dans 8 cas sur 9 (fig. 3) permettent de traiter une per-
production d’anticorps [37]. Son grâce à l’administration au long foration cornéenne de taille plus im-
administration se fait préférentiel- cours de cyclophosphamide ou de portante et de permettre une cicatri-
lement en injection intraveineuse méthotrexate. sation complète [40] (fig. 4). En
lente, mais la forme orale peut être Les immunosuppresseurs ont effet, les cellules médiatrices de
utilisée. Les doses sont identiques permis de traiter et de guérir des l’inflammation sont ainsi mainte-
à celles utilisées en cancérologie, patients présentant des ulcères de nues à distance des antigènes cor-
soit 800 mg/m2, ce qui équivaut Mooren sévères, pour lesquels il néens cibles par l’interposition du
à 1 g chez l’adulte. Les perfusions n’existait aucune autre alternative greffon [41]. Les kératoplasties
sont réalisées toutes les quatre thérapeutique. Il peuvent être utili- transfixiantes lorsqu’elles sont né-
semaines au cours d’une courte sés en association avec une cortico- cessaires, sont d’un extrêmement
hospitalisation. Les services de can- thérapie générale permettant ainsi mauvais pronostic. En raison de
cérologie ou de médecine interne une « épargne » thérapeutique. l’amincissement cornéen périphéri-

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
R. Voegtlé et coll. J. Fr. Ophtalmol.

4. Gottsch JD, Liu SH, Minkovitz JB, Goodman


DF, Srinivasan M, Stark WJ. Autoimmunity
to a cornea-associated stromal antigen in
patients with Mooren’s ulcer. Invest
Ophthalmol Vis Sci, 1995;36:1541-7.
5. Gottsch JD, Liu SH. Cloning and expres-
sion of human corneal calgranulin C
(CO-Ag). Curr Eye Res, 1998;17:870-4.
6. Murray PI, Pahi AH. Pathogenesis of
Mooren’s ulcer: some new concepts. Br
J Ophthalmol, 1984;68:182-7.
7. Van der gaag R, Abdillah H, Stilma JS,
Vetter JCM. Circulating antibodies
against corneal epithelium and hoo-
Figure 3 : Kératoplastie kworm in patients with Mooren’s ulcer
lamellaire réalisée sur un from Sierra Leone. Br J Ophthalmol,
ulcère de Mooren per- 1983;67:623-8.
foré. 8. Parunovic A, Brkic S, Vuckovic S. Corneal
perforation in Mooren’s ulcer.Immuno-
logical and clinical follow-up. Graefe’s
Arch Clin Exp Ophthalmol, 1988;226:
330-1.
9. Berkowitz PJ, Arentsen JJ, Felberg NT,
Laibson PR. Presence of circulating
immune complexes in patients with peri-
pheral corneal disease. Arch Ophthal-
mol, 1983;101:242-5.
10. Brown SI. Mooren’s ulcer: Histopatho-
logy and proteolytic enzymes of adja-
cent conjunctiva. Br J Ophthalmol,1975;
59:670-4.
11. Mondino BJ, Brown SI, Rabin BS. Cellu-
Figure 4 : Aspect cica- lar immunity in Mooren’s ulcer. Am J
716 triciel d’un ulcère de Ophthalmol, 1978;85:788-91.
Mooren traité par cyclo- 12. Majekodunmi AA. Ecology of Mooren’s
phosphamide et kérato- ulcer in Nigeria. Doc Ophthalmol, 1980;
plastie lamellaire. 49:211-9.
13. Wilson SE, Lee WM, Murakami C, Weng
J, Moninger GA. Mooren-type hepatitis C
virus-associated corneal ulceration. New
Eng J Med, 1993;329:736-45.
14. Villar Arias MA, Velilla del campo E, Pinilla
que elles sont souvent chirurgicale- immunosuppresseurs. Le recours à Moraza J, Anton Botella F. Mooren’s cor-
ment délicates. On sera bien souvent de telles molécules n’étant pas sans neal ulcers associated with hepatitis C.
contraint à les décentrer ou à utiliser Med Clin, 1998;110:719.
risque, il est impératif de mettre en 15. David T, Morel X, Bigorgne C, Hoang-
des greffons de grands diamètres. place une surveillance adaptée en Xuan T, Renard G. Ulcère de Mooren
Ceci ne fera qu’aggraver le risque de
milieu hospitalier. Il faudra ainsi tou- après chirurgie combinée extraction
rejet déjà majeur en raison de la néo- extracapsulaire du cristallin et trabécu-
jours peser le rapport bénéfices/ris-
vascularisation. lectomie. J Fr Ophtalmol, 1997;20:619-
ques. Quoiqu’il en soit ces nouvelles 23.
thérapeutiques ont permis de modi- 16. Salamon SM, Mondino BJ, Zaidman GW.
fier le pronostic des ulcères de Moo- Peripheral corneal ulcers, conjunctival
CONCLUSION ulcers and scleritis after cataract surgery.
ren sévères. Am J Ophthalmol, 1982;93:334-7.
17. Mondino BJ, Hofbauer JD, Foos RY. Moo-
L’ulcère de Mooren n’est pas une ren’s ulcer after penetrating keratoplasty.
pathologie fréquente. Lorsqu’il sur- AmJ Ophthalmol, 1987;103:53-6.
vient, il compromet de manière RÉFÉRENCES 18. Teichmann KD, Wagoner MD. Mooren
ulcer following epikeratoplasty for kera-
importante le pronostic visuel. Le toconus. Arch Ophthalmol, 1998;116:
traitement doit être le plus précoce 1. Mooren A. Ophthalmiatrische beobach- 1381-2.
tungen. Berlin: Hirschwald, 1867:107.
possible. Il se fera selon une pro- 19. Evans PJ. A case of Mooren’s ulcer.
2. Lewallen S, Courtwright P. Problems Trans Ophthalmol Soc UK, 1950;70:94.
gression thérapeutique adaptée à with current concepts of the epidemio-
20. Mondino BJ. Inflammatory diseases of
la réponse clinique. L’échec des logy of Mooren’s corneal ulcer. Ann the peripheral cornea. Ophthalmol, 1988;
traitements de première intention Ophthalmol, 1990;22:52-5. 95:463-72.
conduit à la nécessaire utilisation des 3. Wood TO, Kaufman HE. Mooren’s ulcer. 21. Brown SI, Mondino BJ. Therapy of Mooren
Am J Ophthalmol, 1971;71:17-22. ulcer. Am J Ophthalmol, 1984;15:1-6.

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
Vol. 23, n° 7, 2000 Ulcère de Mooren

22. Mondino BJ, Brown SI, Mondzelewski 31. Chihara E, Nish R, Asayama K, Tsuka- 37. Lopez JS, Price FW, Whitcup SM, Li Q, De
JP. Peripheral corneal ulcers with herpes hara I. Treatment of Mooren ulcer by Smet M, Chan CC. Immunohistochemis-
zoster ophthalmicus. Am J Ophthalmol, conjunctival excision. Ophthalmologica, try of Terrien’s and Mooren’s corneal
1978;81:611-4. 1979;199:258-64. degeneration. Arch Ophthalmol, 1991;
23. Chow CY, Foster CS. Mooren’s ulcer. Int 32. Wakefield D, Robinson LP. Cyclosporin A 7:988-92.
Ophthalmol Clin, 1996;36:1-13. therapy in Mooren’s ulcer. Br J Ophthal- 38. Foster CS, Kenyon KR, Greiner J, Grei-
24. Watson PG. Management of Mooren’s mol, 1987;71:415-7. neder DK. The immunopathology of
ulceration. Eye, 1997;11:349-56. 33. Hill JC, Potter P. Treatment of Mooren’s Mooren’s ulcer. Am J Ophthalmol, 1979;
ulcer with cyclosporin A: a report of three 88:149-59.
25. Andrade E. Ulcus rodens cornea. Ann
cases. Br J Ophthalmol, 1987;71:11-5. 39. Bodaghi B, Levy C, Votan P, Hoang-Xuan
Ophthalmol, 1900;29:654.
34. Stammen J, Althaus C, Sundmacher R. T. Intérêt des colles cyano-acrylates dans
26. Stevens EW. Mooren’s ulcer of the cor- les ulcères cornéens périphériques d’ori-
nea. Ophthalmol Rec, 1908;17:198. Mooren ulcer. 4 severe bilateral disease
courses with systemic cyclosporin A the- gine inflammatoire. J Fr Ophtalmol,
27. Risley SD. Discussion of the Schweinitz’s rapy. Klin Monatsbl Augenheilkd, 1997; 1996;19:127-32.
paper. Ann Ophthalmol, 1911;20:436. 211:306-11. 40. Nian ZD et All. Mooren’s ulcer treated
28. Ward R. Radium in ophthalmology with 35. Hemady R, Tauber J, Foster CS. Immuno- by lamellar keratoplasty. Jpn J Ophthal-
illustrativee cases. Proc R Soc Med, suppressive drugs in immune and inflam- mol 1979;15:290-4.
1933;26:1515. matory ocular disease. Surv Ophthalmol, 41. Martin NF, Starck WJ, Maumenee AE.
29. Cronquist S. Ulcus rodens cornea. Nord 1991;35:369-85. Treatment of Mooren’s and Mooren’s
Med, 1947;34:1449. like ulcer by lamellar keratectomy: report
36. Zhao JC, Xiu-Ying J. Immunological ana-
30. Brown SI. Mooren’s ulcer treatement by of 6 eyes and literature review. Ophthal-
lysis and treatment of Mooren’s ulcer
conjunctival exscision. Brit J Ophthalmol, mic Surg, 1987;18:564-9.
with cyclosporine A applied topically.
1975;59:675-82. Cornea, 1993;12:481-8.

717

© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 08/04/2020 par SECK SAID M (123351). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.

Vous aimerez peut-être aussi