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Aléa moral

L’aléa moral (ou moral hazard en anglais)


décrit une situation d’asymétrie
d'information où une partie n'observe pas
parfaitement les actions entreprises par
l'autre partie.

Un effet pervers qui peut apparaître dans


ce type de situations est qu'un agent,
isolé d'un risque, se comporte
différemment que s'il était totalement lui-
même exposé au risque. La théorie des
contrats et la théorie des incitations
étudient cette asymétrie d'information
dans les relations entre agents
économiques.

Les exemples d'aléa moral sont


extrêmement nombreux ; il est difficile
d'imaginer une relation économique qui
ne soit pas affectée par ce problème.

Éléments de définition
Pour Adam Smith, c'est « la maximisation
de l’intérêt individuel sans prise en
compte des conséquences défavorables
de la décision sur l’utilité collective »[1]
[réf. à confirmer] ; par extension dans le
cadre d'une contractualisation, on
appelle aussi aléa moral toute
modification du comportement d'un
cocontractant contraire à l'intérêt général
ou aux intérêts des autres parties au
contrat, par rapport à la situation qui
prévalait avant la conclusion du contrat
(dégradation du travail d'un employé
après la fin de la période d'essai,
modification désagréable du
comportement d'un époux après le
mariage, etc.).

L'aléa moral est souvent lié au


phénomène d'asymétrie informationnelle
ou peut aussi être lié à une dissymétrie
temporelle du risque (un défaut de
précaution aujourd'hui dans le domaine
du traitement des déchets nucléaires ou
de la sécurité d'une centrale impute les
risques associés aux générations
futures[2]).

L'aléa moral ne doit pas être confondu


avec l'anti-sélection, qui décrit le fait que
l'assurance est plus avantageuse pour
ceux dont le risque est plus important[3],
mais les deux phénomènes s'analysent
de la même façon (asymétrie
d'information, problème principal-
agent...), et ne sont pas distinguables par
un assureur. À cause de la frontière
difficile à dessiner entre spéculation et
« couverture », l'aléa moral est parfois
difficile à identifier et à réguler[1].
Ainsi l'actionnaire d'une entreprise n'est
pas justiciable si l'entreprise qu'il a
financée et dont il tire ensuite bénéfice a
un comportement non éthique, voire
dommageable pour l'économie, la
société ou l'environnement[2].

Cet effet anticipatoire, indésirable en


économie, peut apparaître,
consciemment ou inconsciemment au
niveau de l'individu (qui prendrait des
risques inconsidérés au volant de son
véhicule, au motif que ce dernier est
assuré). Il existe aussi au niveau de
l'entreprise ou de groupes plus
importants (multinationales, banques,
États). Ainsi Anne Krueger, première
directrice générale adjointe du Fonds
monétaire international (FMI), considérait
en 2001 : « La question de l’aléa moral
demeure préoccupante. Les institutions
privées pourraient se trouver
encouragées à prêter et à investir
imprudemment (ou du moins plus
qu’elles ne devraient) dans la croyance
que le FMI fera en sorte que leurs
débiteurs puissent les rembourser[4],[5]. »
On parle aussi de « risque moral »,
comme lorsqu'un assureur ne peut pas
vérifier les efforts de prévention des
risques faits par l'assuré[6].

L'aléa moral est d'abord apparu dans le


domaine des assurances et des
banques : c'était la possibilité qu'un
assuré augmente sa prise de risque, par
rapport à la situation où il supporterait
entièrement les conséquences négatives
d'un sinistre (comme l'assuré ne paie pas
en cas de problème, il augmente sa prise
de risque). Les éventuelles fraudes à
l'assurance (cas où l'assuré provoque
délibérément le sinistre, pour encaisser
l'indemnisation prévue) peuvent être
considérées comme le cas extrême de
l'aléa moral. Dans le pire des cas, il est
exploité par les systèmes mafieux et de
corruption[7] et peut être difficile à
détecter dans un système mondialisé et
libéralisé [8],[9].
L'aléa moral en entreprise
L'aléa moral est présent à tous les
échelons des entreprises. Ainsi,
l'employeur ne peut pas parfaitement
contrôler les décisions de ses salariés, et
notamment la qualité de leur travail (par
opposition à sa quantité, qui peut être
mesurée, par exemple par les heures de
présence). L'employeur ne peut que
conditionner les salaires à la production
ou à d'autres variables observables pour
inciter les employés à fournir un travail
de qualité suffisante. Un salaire fixe
(indépendant de la production) présente
l'avantage d'assurer le salarié contre le
risque que sa production soit
anormalement basse pour des raisons
indépendantes de sa volonté ; mais son
inconvénient est de ne fournir aucune
incitation au travail, puisque le salarié
touche le même salaire, qu'il ait bien
travaillé ou non. Du fait qu'un salaire fixe
n'est pas une bonne solution, l'employeur
pourrait rétrocéder au salarié la valeur de
sa contribution à la production,
déduction faite d'une retenue qui
constitue le profit de l'entreprise. Cette
solution donne évidemment au salarié
toutes les incitations nécessaires ;
malheureusement, elle lui fait supporter
tout le risque inhérent aux aléas de la
production, dont l'employeur devrait
prendre sa part.
L'examen de ces deux solutions polaires,
l'une et l'autre insatisfaisantes, montre
que la solution optimale devra concilier
deux propriétés contradictoires : assurer
un bon partage des risques entre
employeur et salarié et inciter le salarié à
travailler. Le salaire optimal est – tout au
moins dans les modèles les plus simples
– une fonction croissante de la
production, mais qui croît moins vite que
la production elle-même. Ainsi, le
bénéfice provenant d'une production
accrue est partagé entre employeur et
salarié suivant une clé de répartition qui
dépend des caractéristiques de la
situation étudiée.
Il y a également un aspect d'aléa moral
dès que les objectifs des parties en
présence diffèrent. C'est par exemple le
cas dans les relations entre les
actionnaires et les dirigeants
d'entreprise : ces derniers ne peuvent
généralement être soupçonnés de
chercher à tirer au flanc, mais ce sont
des agents économiques autonomes ; en
tant que tels, ils peuvent avoir leurs
objectifs propres. Ainsi, il n'est pas rare
que des dirigeants d'entreprise se
lancent dans des investissements
démesurés, qui ne sont pas
nécessairement profitables, tandis que
d'autres gèrent leur entreprise de
manière trop timorée au goût des
actionnaires. Ces derniers sont
rémunérés par les dividendes de
l'entreprise et l'accroissement de la
valeur de leurs actions ; ils souhaitent
donc inciter les dirigeants à prendre des
décisions qui maximisent les profits.
Pour ce faire, les actionnaires peuvent
distribuer aux principaux dirigeants des
stock-options, des actions ou d'autres
titres dont la valeur est liée à celle de
l'entreprise. Tout acte du dirigeant qui
réduit le profit de l'entreprise affecte
alors négativement la valeur des titres
qu'il détient, ce qui doit théoriquement le
dissuader de prendre de telles décisions.
Dans une optique de relation principal-
agent, l'idée d'aléa moral est de supposer
que le principal ne connaît pas le niveau
d'effort de l'agent. L'asymétrie
d'information apparaît avant la signature
du contrat et concerne le niveau d'effort
de l'agent et non son type (cas de
sélection adverse). Le but pour le
principal est donc de proposer un contrat
dans lequel sont mentionnés le niveau de
salaire proposé et le niveau d'effort
demandé tels que l'agent accepte le
contrat. Cette contrainte d'incitation doit
être respectée.

L'aléa moral sur les marchés


d'assurance
Dans le cas de l'assurance-
dommages[10], l'aléa moral provient du
fait que l'assureur ne peut observer les
efforts d'autoprotection que consentent
les assurés et qui ont un impact positif
sur ses profits : le souci qu'a un
automobiliste d'éviter les accidents[11],
les précautions contre le vol que prend le
détenteur d'une assurance habitation
sont autant d'éléments qui entrent dans
ce cadre. Si les automobilistes sont
parfaitement remboursés par leur
assureur des dégâts matériels subis par
leurs véhicules, ils n'auront guère intérêt
à conduire prudemment pour éviter les
accidents, et l'assureur devra couvrir des
pertes nombreuses et importantes. Les
assureurs se protègent de ce genre de
situation grâce à la « coassurance », par
laquelle les assurés ne sont remboursés
qu'en partie de leurs dommages. Dans
l'assurance automobile, par exemple, la
coassurance prend souvent la forme
d'une franchise qui définit le montant des
dommages restant à la charge de
l'assuré.

Dans la plupart des pays, les systèmes


d'assurance santé comprennent eux
aussi un élément de coassurance ;
l'objectif n'est pas tant de dissuader les
comportements à risque comme la
consommation de tabac ou d'alcool que
de limiter les recours excessifs aux
médecins ou aux médicaments.

L'aléa moral dans le crédit


bancaire et marchés
financiers
Les opérations de sauvetage opérées par
les banques centrales en cas de crises
financières peuvent, si elles sont ciblées
directement sur les établissements
défaillants plutôt que sur la liquidité du
système bancaire et financier en général,
amener les banques à se sentir
protégées contre leurs propres
imprudences et à prendre dans le futur
plus de risques lors de l'octroi de crédit
ou de l'exécution d'opérations de marché.
C'est ce que certains résument par la
formule privatisation des profits,
nationalisations des pertes.

Certaines banques ou organisations


financières sont si grosses, si utiles à la
communauté et si interconnectées à
l'économie tout entière que les autorités
ne peuvent les laisser mourir. C'est le
concept du too big to fail.

Dans la zone euro, on craignait


également l’aléa moral, par exemple que
la banque centrale soit obligée de
renflouer un État en difficulté, ce qui
pourrait provoquer une crise financière
dans toute la zone. L'un des moyens
trouvés pour diminuer le risque de l'aléa
moral a été de créer le pacte de stabilité.
Ces craintes se sont avérées non
fondées : la Banque centrale européenne
a d’abord établi sa crédibilité par un euro
fort, ensuite la discipline de marché ne
s’est pas affaiblie : chaque pays a un
coût d’emprunt différent selon son coût
d’endettement, l’emprunt souverain de
chaque État se voit attribuer une prime
de risque.

En 2008, la politique de soutien des


banques ayant souffert de la crise des
subprimes par les banques centrales a
été jugée de nature à encourager l'aléa
moral dans le système financier par
certains analystes[12].

Aléa moral dans les


interventions de l'État

Régulation (et réglementation) des


entreprises

Articles détaillés : Régulation (économie)


et Monopole naturel.

Faillites …

En économie, un trop grand soutien de


l'État dans le cas d'entreprises en
difficulté, notamment pour sauver les
plus grosses, peut conduire les
entreprises à multiplier les opérations
aventureuses dont les réussites
éventuelles se feront à leur profit et les
échecs reportés sur la collectivité.

Le non-soutien du gouvernement
américain à la banque Lehman Brothers
afin de lui éviter la faillite en 2008 est un
exemple de non-prise en charge de l'aléa
moral par l’État dans le contexte des
risques financiers générés par la banque.

Voir aussi la section Crédit bancaire et


marchés financiers ci-dessus.

Protection sociale …
Des fraudes à la protection sociale, ou du
moins des non-incitations (par exemple à
reprendre le travail pour un chômeur),
peuvent devenir courantes (assistanat)
et décourager la recherche de
l'autonomie quand le système est :

peu limpide, trop touffu,


comportementalisé, ce qui multiplie
les failles exploitables ;
ou au contraire formulé de façon trop
légère et simpliste ;
peu contrôlé et sanctionné ;
trop avantageux ;
ou mal conçu avec des effets de seuil
(par exemple un couperet supprimant
complètement l'allocation dès que le
revenu dépasse le plafond d'un euro).

Références
1. Didier Marteau, Limiter l’aléa moral
sur les marchés de matières
premières agricoles  ; Finance &
MarchésLes échos 2011_03_04
2. Ivar Ekeland (économiste), Les
pollueurs ne sont pas les payeurs,
Pour la science, p. 19, no 403, mars
2011
3. et, par suite, l'offre d'assurance attire
surtout la clientèle risquée
4. allocution prononcée devant le
National Economists’Club, American
Enterprise Institute, Washington,
novembre 2001, reprise par Aléa
moral ; Les financements du FMI
poussent-ils emprunteurs et prêteurs
à l’imprudence ?  ; Dossier
économique 28
5. Aléa moral : les financements du FMI
poussent-ils emprunteurs et prêteurs
à l’imprudence? Timothy Lane et
Steven Phillips. 2002
6. Risque moral , dans Encyclopædia
universalis
7. Gestion des affaires publiques et
lutte contre la corruption dans les
États baltes et les pays de la CEI : le
rôle du FMI. Thomas Wolf et Emine
Gürgen. 2000.
8. Lessons from Systemic Bank
Restructuring. Claudia Dziobek et
Ceyla Pazarbasıoglu. 1998
9. La Libéralisation des mouvements de
capitaux : aspects analytiques. Barry
Eichengreen, Michael Mussa,
Giovanni Dell’Ariccia, Enrica
Detragiache, Gian Maria Milesi-
Ferreti et Andrew Tweedie. 1999
10. Aléa moral et sélection adverse sur
le marché de l’assurance, Marie-
Cécile Fagarty & Bidénam Kambia-
Chopinz
11. L'assurance en question n'a pas
besoin d'être formalisée par un
contrat explicite pour qu'on parle
d'aléa moral : si l'agent est certain
qu'on "ne le laissera pas tomber",
l'effet est le même. Ce peut être par
exemple le cas d'un entrepreneur qui
compte sur sa famille, d'une grosse
banque qui compte sur la banque
centrale, ou d'une entreprise publique
qui compte sur l'état.
12. Bernanke, pompier pyromane , Xavier
Méra pour Liberté chérie, Les Échos

Voir aussi
Théorie des contrats
Théorie des mécanismes d'incitation
Sélection adverse
Modèles de signaux
Problème principal-agent
Assurance
Effet pervers
Abus de droit
Fraude
Externalité
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