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Stendhal (1783-1842)

Admirateur fervent de Napoléon et amoureux de l’Italie, Stendhal ne connut la gloire qu’après


sa mort. Sa vie fut une quête passionnée du bonheur. Henri Beyle, dit Stendhal, naît à Grenoble, dans les
Alpes, dans une famille bourgeoise à l’esprit rétrograde. Son enfance n’est pas heureuse. Il perd sa mère
assez tôt et se révolte contre sa famille. De son enfance solitaire et studieuse, il ne conservera que le
souvenir d’une odieuse «tyrannie», exercée par son père et son précepteur. Ce refus de la cellule
familiale se traduira plus tard par un rejet de deux autres institutions : la religion et la monarchie. De
1796 à 1799, il poursuit des études de mathématiques qu’il abandonne avant l’examen, rêvant d’une vie
passionnée et agitée.
En 1800, il est sous-lieutenant dans l’armée d’Italie. La beauté de ce pays le marque
profondément : il y découvre la musique et l’amour, qui resteront pour lui les composantes
indissociables du bonheur. Quant à sa carrière militaire, c’est l’échec. Il s’ennuie et, en 1802, il s’installe
à Paris où il projette «d’écrire des comédies comme Molière». En effet, c’est à cette époque qu’il se
lance dans les activités d’écrivain ; il rédige notamment son Journal (à partir de 1801). Le succès ne
venant pas, Stendhal regagne l’armée en 1806 en tant qu’intendant ; il découvre ainsi l’Allemagne,
l’Autriche et la Russie. Sa carrière militaire prend fin avec la chute de Napoléon en 1814. Ensuite, il
s’installe à Milan, où il commence à écrire, en particulier une Vie de Napoléon, inachevée. Stendhal
rencontre Métilde Dembrowski, la femme qui comptera le plus dans sa vie. L’essai Rome, Naples et
Florence (1817) est la première œuvre signée de son nom d’artiste, Stendhal.
Expulsé d’Italie, en 1821, pour ses idées jugées trop démocratiques, il revient à Paris où il essaie
de briller dans les salons littéraires et de mener une vie d’artiste. En 1822, il publie De l’amour, un essai
qui laisse deviner l’influence des idéologues (philosophes français qui accordent une grande importance
à l’analyse psychologique). Parallèlement, il se sent attiré par l’art romantique et écrit Racine et
Shakespeare (1823). Son premier roman d’analyse, Armance, reste méconnu. C’est sa deuxième
tentative dans ce genre qui, avec Le rouge et le noir (1830), lui apporte la gloire.
Obligé par sa situation financière modeste, Stendhal retourne en Italie. Il est nommé consul à
Trieste et ensuite à Civita Vecchia. En 1834, il écrit son roman Lucien Leuwen, œuvre qui reste
inachevée, ainsi que Souvenirs d’égotisme et la Vie de Henry Brulard. En 1836, Stendhal rentre à Paris où
il écrit La chartreuse Parme (1839). Revenu à Civita Vecchia, il commence son dernier roman, Lamiel. Il
meurt en 1842 à Paris d’une crise d’apoplexie qui le frappe en pleine rue.
Comme ses principales œuvres sont en grande partie autobiographiques, il est facile de juger le
caractère de Henri Beyle. Dans la Vie de Henry Brulard, souvenirs posthumes, il nous apprend que la
nature lui a donné des «nerfs délicats et la peau sensible d’une femme». La mort précoce de sa mère et
l’éducation rude et autoritaire de son père ont éveillé en lui une passion pour la tendresse et une sorte
de romantisme. Cette sensibilité liée à un tempérament passionné trouve son épanouissement au
contact du théâtre et de la musique de Cimerosa et de Mozart. Il est, en même temps, un penseur qui a
un penchant pour les analyses, les explications psychologiques. Il déteste les comportements artificiels,
les conventions, qui sont pour lui synonymes de la bêtise de la société monarchique. Stendhal est
toujours à la recherche du bonheur, qui devient un devoir également pour ses héros. Cet épicurisme
(profiter de l’instant qui passe et en extraire toutes les joies possibles) nécessite une concentration sur
le moi, un certain égotisme, qui est une tendance parfois excessive à ne parler que de soi, à décrire et
analyser ses états d’âme. Cette attitude implique une sincérité totale envers soi-même. L’âme qui
cherche la gloire et l’amour est au centre de toute action. Pour surmonter obstacles et difficultés, le
héros stendhalien doit faire preuve d’une énergie peu commune, la «vertu» (Stendhal utilisait le terme
italien de virtù). Le beylisme s’affirme donc comme un art de vivre où la chasse au bonheur et aux
plaisirs s’allie au courage, aux dangers affrontés, en dehors de toute considération morale autre que
celle de triompher et de vivre selon les élans de son cœur.
Ces idées sont proches du romantisme, mais Stendhal en modifie la définition : bien qu’étant à
la recherche de l’amour, de la passion, il reste lucide, réaliste, refusant de se laisser emporter par les
émotions. Il faut voir là l’influence des idéologues. D’après ses propres termes, «trop de sensibilité
empêche de juger».

Principales œuvres :
De l’amour (1822)
Le livre, écrit pour Métilde Dembrowski, se présente comme «une description détaillée et
minutieuse de tous les sentiments qui composent la passion nommée amour». Le premier volume est
une approche très scientifique de l’amour. Stendhal distingue quatre sortes d’amours possibles : l’amour
-passion, l’amour-goût, l’amour physique et l’amour- vanité. L’éveil de l’amour comporte sept phases,
dont la plus importante est la «cristallisation». Comme une branche d’arbre que l’on jette dans les
mines de sel et à laquelle s’accrochent des milliers de cristaux, celui qui aime attribue mille qualités à
l’être aimé. Le deuxième volume est un tableau de l’amour selon la mentalité et le tempérament de
chaque peuple. Constituant une histoire et une géographie de l’amour, le livre s’achève par le portrait
de deux amoureux célèbres : Werther et Dom Juan. De l’amour, que Stendhal considérait comme son
ouvrage principal, fut son plus grand échec : il ne s’en vendit qu’une vingtaine d’exemplaires ! Le livre
demeure toutefois un témoignage capital pour comprendre Stendhal, pour apprécier sa finesse
psychologique, pour pénétrer l’âme de ses personnages.

Le Rouge et le Noir (1830)


Premier chef-d’œuvre de Stendhal, le livre n’eut guère de succès à son époque. Ce roman est
pourtant très représentatif de l’idéologie stendhalienne et de son art romanesque.
Monsieur de Rênal, maire de Verrières, petite ville de province, engage pour l’éducation de ses
enfants un jeune précepteur d’origine humble, Julien Sorel. Celui-ci, qui admire Napoléon, hésite entre
une carrière dans l’armée (symbolisée par le rouge de l’uniforme militaire) ou dans l’église (le noir).
Cette dernière étant plus prometteuse, l’ambitieux Julien s’y engage. Par désir de conquête, il tente de
séduire Madame de Rênal et y parvient. Pour éviter le scandale, il doit partir au séminaire de Besançon.
Un hasard le fait nommer secrétaire du marquis de la Mole, à Paris. Julien méprise ce lieu aristocratique
et, par vengeance, il séduit Mathilde, la fille du marquis. Mme de Rênal le dénonce alors dans une lettre
comme un dangereux séducteur. Blessé dans son orgueil, Julien retourne à Verrières et tire deux coups
de feu sur Mme de Rênal. Condamné à mort, il est décapité. Mme de Rênal meurt trois jours après lui.
Ce livre, qui retrace l’itinéraire d’un jeune homme dans la société, s’inscrit dans la lignée des
romans d’apprentissage. Il est l’occasion d’une double étude : celle d’une évolution individuelle,
marquée par le conflit permanent entre l’ambition et la sensibilité ; celle d’une société qui défend ses
valeurs et ne laisse guère d’espoir à qui n’a pas la chance d’être «bien né». Le double conflit qu’affronte
le héros – lutte contre lui-même, lutte contre la société qui le refuse – constitue un puissant moteur
romanesque. Il fait du roman une étude psychologique subtile et un tableau social très révélateur. La
première édition du roman portait un titre significatif : Le Rouge et le Noir, une chronique du XIXe siècle.
Le thème de l’ambitieux qui ne réussit pas correspond à une constatation historique : après la chute de
Napoléon, modèle vénéré de beaucoup des jeunes gens nés avec le siècle, la voie de la réussite sociale
semble fermée à ceux qui sont de naissance obscure. Leur valeur, leur obstination, leur volonté ne
peuvent venir à bout des obstacles que la société dresse devant eux.
Cette société organisée et fermée apparaît à travers deux tableaux successifs qui correspondent
à la structure du roman : Verrières et Paris. La description de la petite ville de Verrières permet une
analyse historique et sociologique des milieux provinciaux. Stendhal y étudie avec un regard aigu et
critique les rivalités, les ambitions, les mesquineries qui font la vie quotidienne d’un univers provincial.
La deuxième partie du roman est consacrée à l’aristocratie parisienne, figée, et repliée sur son respect
des valeurs prérévolutionnaires.
Julien Sorel est aussi le porte-parole et le double de son créateur, qui fait passer à travers son
enthousiasme et sa sensibilité une grande part de sa personnalité. Les échos de la vie personnelle et des
choix de Stendhal y sont nombreux : admiration pour Napoléon, soif de réussite, observation perspicace
du monde, profond désir d’être heureux, la «virtù», force rayonnante qui permet l’action et porte aux
comportements les plus risqués. Sous l’influence de cette force, Julien se crée des devoirs simplement
pour se contraindre à les exécuter, par fidélité au personnage fort et napoléonien qu’il aimerait être.
Julien est un personnage d’une grande complexité psychologique, déchiré entre une puissante
volonté de réussir, la certitude de sa propre valeur et une sensibilité qui le rend vulnérable. Cette
complexité est rendue par une grande variété de modes d’écriture romanesque. Des différentes formes
du récit, l’auteur passe à celles du discours, en y ajoutant parfois des interventions personnelles.

La chartreuse de Parme (1839)


Fabrice del Dongo, jeune noble milanais, a combattu dans les rangs de l’armée napoléonienne.
Après la défaite de Waterloo, la duchesse Sanseverina, sa tante, le protège contre le comte Mosca et
use de toute son influence pour lui ouvrir une carrière ecclésiastique. Fabrice pourrait ainsi devenir
archevêque de Parme, mais les ennemis du comte Mosca le retiennent prisonnier dans une forteresse.
C’est là qu’il rencontre la fille du gouverneur, Clélia Conti, dont il tombe éperdument amoureux. La
duchesse le sauve une deuxième fois : elle fait empoisonner le prince de Parme et Fabrice peut s’enfuir
de prison. Sous le nouveau gouvernement, rien ne semble empêcher sa carrière, mais le destin est
contre lui : lors de la naissance de son fils, Clélia meurt et Fabrice se retire dans la Chartreuse de Parme
où il vivra encore un an avant de mourir.
L’histoire du jeune Fabrice del Dongo, tragique comme celle de Julien Sorel, est une succession
de péripéties romanesques qui donnent aux personnages le charme lumineux et magique des êtres
créés par une imagination poétique. Dans son itinéraire, qui ressemble à une quête chevaleresque, les
lieux et les êtres prennent une valeur symbolique.
L’Italie est pour Stendhal le pays de la liberté, de l’héroïsme ; néanmoins, dans le portrait qu’il
nous brosse, critique et admiration sont mêlées : c’est l’intrigue et la corruption qui règnent dans cette
petite cour. D’un autre côté, l’écrivain admire chez les Italiens leur fierté, la résistance qu’ils témoignent
face à l’occupation par Napoléon.

Art et style romanesque :


Si Stendhal s’identifie à ses héros, à leurs rêves de puissance, à leurs ambitions, il ne faut pas
pourtant voir en lui un romancier romantique, car il attache beaucoup d’importance à la vraisemblance
de ses romans. Le cadre historique et géographique est souvent très précis. La plupart de ses livres
s’inspirent d’événements authentiques.
Le style de Stendhal renforce cette impression de réalisme. L’écrivain refuse l’emphase et les
épanchements du style romantique. Il affirme qu’avant d’écrire, il s’imposait de lire quelques pages du
Code civil pour s’imprégner d’un style sec et logique. Il n’hésite pas à juger ses personnages et même à
se moquer d’eux quand ils deviennent trop sentimentaux. Le style de Stendhal est le résultat d’une
synthèse intéressante : une grande simplicité et une grande spontanéité (il travaillait très vite et
modifiait rarement ce qu’il avait écrit). Chez lui, l’accumulation des «petits faits», qui crée un véritable
art du raccourci, est privilégié au détriment des longs commentaires. On ne rencontre donc pas, chez
Stendhal, de grands tableaux décrivant le décor de l’action, comme chez Balzac. Refusant de donner une
simple photographie du réel, l’auteur ne retient que le typique. Le roman stendhalien retrace à la fois
une monographie psychologique et une fresque socio-historique.
La réalité est souvent perçue par les yeux du personnage. Dans Le Rouge et le Noir, par exemple,
le lecteur ne connaît du séminaire de Besançon ou de Paris que ce que Julien y voit. Dans La Chartreuse
de Parme, la bataille de Waterloo est vue selon la perspective restreinte, subjective et un peu chaotique
du personnage. Par rapport à l’omniscience du romancier de type balzacien, nous avons ici une
limitation de la perspective (champ de vue), ce qui équivaut à une petite révolution littéraire. Stendhal
ne se comporte pas en romancier démiurge, omniscient et omniprésent. Le «réalisme subjectif» qu’il
pratique augmente l’«illusion du vrai».
Le roman stendhalien présente une alternance constante de registres narratifs : style indirect,
style indirect libre, dialogue, monologue intérieur (le flux de la conscience), commentaire narratorial,
etc. Le monologue intérieur (écriture qui utilise la première personne et le présent), procédé narratif
moderne presque inventé par Stendhal, est employé souvent par le romancier, constituant le noyau de
l’analyse psychologique. L’écriture stendhaliene est un mélange intéressant de digressions, retours en
arrière, sauts temporels, parenthèses, espaces blancs, qui illustrent les mouvements de la conscience.
Stendhal représente une direction romanesque parallèle à celle représentée par Balzac, se
révélant plus moderne que cette dernière. Il impose une conception très exigeante du roman,
caractérisée par la vraisemblance des faits racontés, la finesse de l’analyse psychologique et un style très
pur.

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