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THÉORIE COMPTABLE

(D’après Bernard Raffournier)

Thème3 - La capacité prédictive de l'information comptable

Depuis les années 1970, la normalisation comptable considère que l'objectif principal

de la comptabilité est de fournir des informations utiles à la prise de décisions. Ces

décisions sont basées sur des prévisions concernant l'entreprise. L'utilité de

l'information comptable s'apprécie donc par l'aide qu'elle est susceptible d'apporter à

l'élaboration de ces prévisions, autrement dit par sa capacité prédictive.

Tous les utilisateurs des états financiers n'ont cependant pas les mêmes objectifs.

Les investisseurs cherchent avant tout à prévoir l'évolution de la valeur de la société afin

de déterminer s'ils doivent acheter ses titres et vendre ou conserver ceux qu'ils

possèdent. Les créanciers sont davantage préoccupés par la solvabilité de l'entreprise ;

ils cherchent donc plutôt à estimer son risque de défaillance. C'est la capacité de la

comptabilité à fournir des informations utiles à ces deux objectifs qui est examinée dans

ce chapitre.

1. La prévision de la valeur de l'entreprise

1.1. L'évaluation de l'entreprise

Les investisseurs sont à la recherche d'informations qui leur permettent d'évaluer

l'entreprise, autrement dit de déterminer sa « juste valeur » (fair value). L'IASB définit

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celle-ci comme « le prix qui serait reçu pour la vente d'un actif... lors d'une transaction

normale entre des intervenants du marché à la date d'évaluation » (IAS 13, § 9).

Selon cette définition, la meilleure estimation de la juste valeur d'un bien correspond

à sa valeur de marché. Pour la déterminer, envisageons une transaction portant sur ce

bien. Si l'acheteur accepte de payer l'actif un certain prix, c'est parce qu'il en attend

des revenus futurs au moins équivalents. Le prix maximal qu'il est prêt à payer, autrement

dit à décaisser, correspond donc à la valeur actuelle de ses encaissements futurs. De son

côté, le vendeur, qui se prive de ces revenus, exige d'en recevoir au minimum l'équivalent

actuel. Le seul prix susceptible de satisfaire les deux parties est donc la valeur actuelle

des cash-flows que le bien devrait rapporter dans l'avenir.

La valeur à la date 0 d'un actif quelconque est donc :

n
CF t
V 0= ∑ ❑
t =1
¿¿

Avec CFt = cash-flow attendu de l’actif à la date t

n = durée de vie actif

kK = taux d’actualisation correspondant au risque de l’actif.

Cette formule générale peut être appliquée à l'entreprise à condition de l'adapter

pour tenir compte de la spécificité de ce type de bien. En effet, une entreprise n'est pas

un actif isolé comme une machine ou un immeuble, mais un portefeuille d'actifs. Elle

possède toute une série d'éléments (constructions, matériels, équipements, etc.) qui

contribuent à son fonctionnement. Or, ces actifs ont des durées de vie différentes ;

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certains seront hors d'usage prochainement, alors que d'autres continueront à

fonctionner pendant de nombreuses années. Pour obtenir les cash-flows prévus, il faudra

donc effectuer des investissements de façon à remplacer les actifs arrivés en fin de vie

et, éventuellement, permettre la croissance de l'entreprise. La prise en compte de ces

investissements aboutit à définir la valeur de l'entreprise ainsi :


CFOt −I t
V 0=∑ ❑
t =1
¿¿

Avec CFOt = cash-flow d’exploitation attendu de l’entreprise à la date t

It = Investissements nécessaires à la date t pour obtenir les cash-flows prévus

k = taux d’actualisation correspondant au risque de l’entreprise.

L’entreprise n’ayant généralement pas de durée de vie précise, il est nécessaire de

prendre en compte tous les flux monétaires futurs, d’où le remplacement de n par le signe ∞.

La différence CFOt - It représente le cash-flow d’exploitation attendu de l’entreprise

à la date t, diminué des investissements nécessaires la même année pour obtenir les cash-

flows attendus les années suivantes. Cette différence est appelée free cash-flow (FCF).

Quant au taux d’actualisation, il correspond au coût moyen du financement de

l’entreprise, c’est à dire au coût du capital de celle-ci. D’où finalement :


FCF t
V 0= ∑ ❑ ¿ ¿
t =1

avec FCFt = free cash-flow attendu de l’entreprise à la date t

k = coût du capital de l’entreprise.

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Etant donné que les prévisions deviennent très hasardeuses au-delà d'une certaine

date, cette formule doit être simplifiée pour être rendue opérationnelle. La solution

généralement retenue consiste à prévoir les flux de trésorerie disponibles sur une

période limitée correspondant à l'horizon économique, c'est-à-dire la période pour

en cas de free cash-flow constants au-delà de n(4)


laquelle on peut raisonnablement faire les prévisions (5 à 10 ans en général) et de

supposer qu'au-delà, les flux de trésorerie disponibles seront constants ou qu'ils

augmenteront chaque année au même taux (le taux d'inflation par exemple). La formule

précédente devient alors :

n
FCF t en cas de free cash-flows constants au-delà de n(4)
V 0= ∑ ❑
t =1
¿¿

ou
en cas de free cash-flow croissantau-delà de n(5)
n
FCF avec g = taux de croissance attendu des free cash-
V 0= ∑ ❑ ¿ ¿ t flows à partir de l’année n+1 (avec g <k)
t =1

Les investissements à effectuer chaque année I t sont fonction de l’âge des actifs en

place et de la croissance prévue de l'entreprise. La valeur de cette dernière ne dépend

donc en définitive que de deux éléments : les flux de trésorerie d'exploitation attendus

et le risque de l'entreprise. Une information est donc utile aux investisseurs si elle l'aide

à prévoir les flux de trésorerie futurs. C'est la raison pour laquelle l'IASB précise que

«les investisseurs, les préteurs et les autres créateurs actuels et potentiels ont […]

besoin d'informations qui les aident à évaluer les perspectives d'entrées nettes futures

de trésorerie de l’entité» (Cadre conceptuel de l'IASB, 5 OB3).

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1.2. Quel est le meilleur prédicteur des cash-flows futurs ?

Le résultat net mesure la variation de richesse de l'entreprise durant la période,

alors que le cash-flow net ne mesure que la variation de la trésorerie. Le résultat est

donc une mesure de la performance plus globale que le cash-flow. Les deux sont

néanmoins liés par la relation suivante :

Résultat d'exploitation = Cash-flow d'exploitation + Accruals

Les accruals représentent les charges non décaissées (dotations aux amortissements

et provisions), les produits non encaissés (annulations de provisions) et la variation du

besoin en fonds de roulement (variations des stocks, des créances et des dettes

d'exploitation). La relation précédente peut donc s'écrire de manière plus précise ainsi :

Résultat d'exploitation = Cash-flow d'exploitation - Dotations aux amortissements et

provisions + Annulations de provisions + Variation du besoin en fonds de roulement.

Puisque la valeur de l'entreprise est fonction des cash-flows d'exploitation futurs, il est

naturel de se demander lequel du résultat ou du cash-flow est le meilleur prédicteur des

flux de trésorerie futurs. A priori, le résultat semble mieux placé puisqu'il représente la

variation de richesse de l'entreprise, alors que le cash-flow n'est que la variation de la

trésorerie, c'est-à-dire le changement de valeur d’un actif parmi d'autres, qui plus est

dont le montant est généralement faible.

Mais l'inconvénient du résultat est qu'il est plus facilement manipulable que le cash-flow.

Il comprend en effet des accruals dont le montant est fortement subjectif, car fonction

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du jugement du comptable (choix des durées d'amortissement, estimation des provisions)

et des décisions de gestion de l'entreprise (niveau des stocks, durée du crédit accordé

aux clients, utilisation ou non du crédit fournisseur). Le cash-flow est beaucoup plus

objectif, car les encaissements et décaissements de la période sont faciles à vérifier à

partir des relevés bancaires. La possible manipulation des accruals et donc du résultat

suggère que le cash-flow actuel puisse être un meilleur prédicteur des cash-flows futurs.

Mais il est possible aussi que la manipulation des accruals renseigne sur les cash-flows à

venir. On suppose en effet que les dirigeants ont tendance à diminuer le résultat

lorsqu'ils anticipent une détérioration des performances futures, afin d'assurer une

baisse du cours de l'action au moment où les résultats seront connus. Inversement, la

manipulation du résultat à la hausse peut être un moyen de signaler au marché

l'excellence des prévisions des dirigeants. Quel que soit le cas, le montant des accruals

peut donc avoir une valeur prédictive, à condition cependant que le marché soit capable de

déceler la manipulation dont ces accruals sont l'objet.

Compte tenu de ces différents arguments, la théorie ne permet pas de prévoir lequel du

cash-flow ou du résultat est le plus capable de prévoir les cash-flows futurs. La réponse à

cette question ne peut donc venir que d'études empiriques.

La façon la plus simple de mesurer la capacité prédictive d'un indicateur (cash-flow,

résultat ou autre) consiste à régresser le cash-flow d'une année avec la valeur de cet

indicateur pour l'une des années antérieures, par un modèle du type :

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CFOt = α+ β I t −n +ε t

avec CFOt = cash-flow d’exploitation de l’année t


It-n = Valeur de l’indicateur pour l’année t-n avec n ≥ 1

Un tel modèle indique s'il existe une relation significative entre le cash-flow d'une

année et la valeur de l'indicateur une, deux, trois ou n années auparavant. Plus le

coefficient de régression ß est significatif, plus le pouvoir explicatif de l'indicateur

considéré est élevé.

Les résultats des premières études empiriques sont contradictoires. Aux Etats-Unis

Bowen er al. (1980) n'ont pas constaté de différence entre le cash-flow et le résultat

quant à la prévision des cash-flows des deux années suivantes. Greenberg et al. (1986)

aboutissent au contraire à la conclusion que, dans la majorité des cas, le résultat s'avère

un meilleur prédicteur des cash-flows futurs que le cash-flow lui-même. Dechow et al.

(1998) ont développé un modèle théorique selon lequel le résultat devrait être supérieur

au cash-flow pour la prévision des cash-flows des années suivantes. L'étude empirique

conduite pour tester ce modèle confirme la validité de cette hypothèse.

Etant donné que la différence entre le résultat et le cash-flow correspond aux accruals,

comparer le pouvoir prédictif de ces deux mesures de performance revient à s'interroger

sur la capacité des accruals à prévoir les cash-flows futurs. Pour étudier celle-ci, Barth

et al. (2001) ont eu l'idée de décomposer les accruals en leurs éléments constitutifs

(variation des créances et des dettes d'exploitation, variation des stocks, charges

d'amortissements et de provisions, etc.). Ils ont observé une relation significative entre

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chacune de ces composantes et les flux de trésorerie futurs. Ils ont également vu qu'en

décomposant le résultat entre ses éléments constitutifs (cash-flow et différentes

composantes des accruals), il est possible d'obtenir de meilleures prévisions des flux de

trésorerie qu'en considérant le résultat globalement.

Globalement, la plupart des études empiriques, en particulier les plus récentes,

aboutissent à la conclusion que le résultat est un meilleur prédicteur des cash-flows

futurs que le cash-flow lui-même. L'étude de Kim et Kross (2005), qui couvre les années

1973 à 2000, montre même que cette supériorité a augmenté dans le temps. La précision

des prévisions semble s'être également significativement accrue pendant la période. Les

auteurs attribuent cette évolution à une augmentation de la prudence dans le temps. Ils

ont en effet constaté que l'amélioration de la capacité prédictive des résultats a surtout

concerné les secteurs dont le niveau de prudence comptable (mesuré par le montant des

accruals hors exploitation) a augmenté.

La capacité prédictive du résultat global (comprehensive income) a également été étudiée.

A priori, on peut penser que cet indicateur est un bon prédicteur des cash-flows parce

qu'il mesure la variation totale des capitaux propres durant la période (hors apports et

retraits des actionnaires), alors que le résultat net n’en représente qu'une partie. D'un

autre côté, le résultat global comprend des plus et moins-values ayant un caractère non

définitif, ce qui justifie d'ailleurs que ces éléments ne sont pas comptabilisés dans le

résultat net. On peut donc penser qu'en raison du caractère transitoire de certains de

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ses éléments le résultat global a une capacité prédictive moindre que le résultat. L’étude

de Dhaliwal et al. (1999) confirme cette intuition. Elle montre en effet que le résultat

net est supérieur au résultat global pour la prévision des cash-flows.

Une des critiques couramment adressées au résultat net est qu'il comprend des éléments

peu utiles à l'évaluation de l'entreprise, car non récurrents. C'est la raison pour laquelle

certaines sociétés financières comme Standard & Poor’s ou I/B/E/S utilisent des

résultats pro forma obtenus en excluant certaines charges jugées non pertinentes. Doyle

et al.(2003) se sont demandé si les résultats ainsi ajustés ont une capacité prédictive

supérieure à celle du résultat calculé selon les normes comptables. Ils ont constaté que

les charges exclues par I/B/E/S pour le calcul de son résultat pro forma sont utiles à la

prévision des cash-flows futurs, ce qui tend à montrer que la capacité prédictive du

résultat net est supérieure à celle de ce résultat retraité.

Une des limites des études précédentes est qu'elles ont toutes été réalisées aux États-

Unis. Elles comparent donc la capacité prédictive du cash-flow à celle du résultat calculé

selon les US GAAP. Des recherches comparables menées en Europe permettraient de

déterminer si les conclusions sont identiques lorsque le résultat est basé sur les IFRS.

D’autre part, comme les IFRS se sont donné pour but de faciliter la prévision des cash-

flows, ce qui n'était pas le cas des règlementations nationales antérieures, une

comparaison de la capacité prédictive du résultat avant et après leur adoption

permettrait de savoir si l'objectif a été atteint.

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1.3 La prévision du risque de l'entreprise

La valeur de l'entreprise ne dépend pas uniquement des cash-flows futurs. Elle est aussi

fonction du risque attaché à ceux-ci, risque qui détermine le taux d'actualisation des

cash-flows (taux k dans les équations 1 à 5). Il est donc pertinent de se demander quels

sont les déterminants de ce risque et, en particulier, si celui-ci peut être estimé à partir

de données comptables.

Le risque d'un actif peut être décomposé en deux éléments : le risque systématique et le

risque spécifique. Ce dernier est, comme son nom l'indique, propre à l'entreprise.

L'investisseur peut l'éliminer en diversifiant ses placements. En théorie, le risque

spécifique n'est donc pas rémunéré. La seule fraction du risque pour laquelle le marché

exige un rendement est le risque systématique, qui peut être éliminé par diversification.

Le risque systématique d'un actif est mesuré par son coefficient bêta qui, comme on l'a

vu précédemment, est égal à la covariance de la rentabilité de l'actif avec celle du

marché, divisée par la variance de la rentabilité du marché:

βi = Cov(R ¿ ¿ i , R m )
¿
Var ( R¿ ¿ m) ¿

Graphiquement, le coefficient beta correspond à la pente de la droite obtenue en

régressant la rentabilité de l'actif avec celle du marché.

Graphique 4–Estimation du coefficient bêta

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Comme indiqué au chapitre 3, le coefficient bêta du marché est, par construction, égal à

1. Un actif ayant un ß supérieur à 1 est donc plus risqué que le marché, et un actif ayant

un B inférieur à 1 moins risqué. Plus le bêta est élevé, plus la valeur de l'actif réagit

fortement à une variation du marché. La connaissance du coefficient bêta d'un actif

permet d'estimer la rentabilité exigée par le marché compte tenu du niveau de risque de

cet actif. Selon le Capital Asset Pricing Model (CAPM), cette rentabilité est égale à:

Ri = R f + β i ¿ ¿- R f ¿

avec E(Rm) =espérance de rentabilité du marché


Rf = Rentabilité d’un actif sans risque

Puisque le risque systématique est le seul que le marché accepte de rémunérer, les

chercheurs se sont focalisés sur cette partie du risque, autrement dit sur les

déterminants du coefficient bêta. Ces recherches sont assez anciennes puisque la

plupart datent des années 1970 et 1980. Selon Ryan (1997), elles ont montré que la

variable la plus étroitement corrélée au risque systématique est la variabilité du résultat.

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Le coefficient bêta apparait également positivement lié au risque d'exploitation (mesuré

par la variabilité des prix et des quantités), à l'effet de levier d'exploitation (c'est-à-

dire à l'importance des charges fixes par rapport à la marge sur les coûts variables) et au

niveau d'endettement. Ces résultats ne sont pas surprenants compte tenu de la similitude

des concepts. En effet, le coefficient bêta mesure la volatilité de la valeur de l'action, il

est donc logique qu'il soit fonction de la volatilité du résultat, même si, en théorie, la

relation avec la volatilité des cash-flows devrait être encore plus forte si, comme on le

suppose, ce sont les cash-flows, et non les résultats, qui déterminent la valeur des

actions.

2.Les prévisions des analystes financiers

De nombreuses recherches se sont intéressées aux analystes financiers, en particulier à

la manière dont ils élaborent leurs prévisions et à l'écart entre celles-ci et les

performances réelles des entreprises 'Cet intérêt du monde académique pour cette

profession s'explique par deux raisons. La première est que les prévisions des analystes

orientent les décisions d'achat et de vente des investisseurs et donc l'évaluation

boursière de l'entreprise. La seconde est que ces prévisions sont aisément disponibles,

car regroupées dans des bases de données spécialisées comme I / B / E / S.

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