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Recherches et Applications en Finance Islamique

‫بحوث و تطبيقات في المالية االسالمية‬


Researches and Applications in Islamic Finance

ISSN : 9052- 0224


Volume 4, Numéro 1, février 2020

Les ṣukūk verts : structuration, évaluation et risques inhérents


Cas des ṣukūk Orasis

Ali KAFOU
E.N.C.G – C – Université Hassan II –
Casablanca, Maroc
kafou.ali@gmail.com

Résumé
Les ṣukūk sont considérés comme l’un des instruments les plus importants de la finance islamique.
Une classe particulièrement importante de cette catégorie d’actifs est les ṣukūk verts. Les ṣukūk
verts sont des véhicules d’investissement conformes à la charia qui financent des projets
respectueux de l’environnement. Ceci est particulièrement important vu que le filtrage islamique
n’intègre pas nécessairement les préoccupations liées au respect de l’environnement. Ainsi, les
ṣukūk verts peuvent être considérés comme une contribution de la finance islamique à la
réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. La première partie de ce papier est
consacrée à la structuration, la tarification ainsi qu’aux risques liés aux ṣukūk verts. La deuxième
partie traite de l’émission des ṣukūk verts « Orasis » qui, malgré son attrait, n’a pas connu le
succès attendu.
Mots-clés : ṣukūk verts, tarification, risque, ṣukūk verts Orasis.

Abstract
Ṣukūk are considered to be key instruments of Islamic finance. An important category of this asset
class is the green ṣukūk. Green ṣukūk are Sharia compliant investment vehicles that fund
environment-friendly projects. This is particularly important as Islamic screening does not
necessarily incorporate concerns about environment respect. Thus, green ṣukūk can be considered
as a contribution of Islamic finance to achieving the Millennium Development Goals. The first
part of this paper is devoted to structuring, pricing and risks of green ṣukūk. The second part deals
with the issuance of "Orasis" green ṣukūk which, despite its appeal, did not achieve the expected
success.
Keywords: green ṣukūk, pricing, risk, Orasis green ṣukūk.

Article reçu le : 29 décembre 2019, accepté le : 13 février 2020

Citation : Kafou A. (2020), Les ṣukūk verts : structuration, évaluation et risques inhérents : Cas des ṣukūk
Orasis , Recherches et Applications en Finance Islamique, Volume 4, Numéro 1, pages : 71-89.

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Introduction
L’un des développements les plus importants de la finance islamique (FI) est l’émission des
ṣukūk. Le terme « ṣukūk » est le nom arabe donné aux obligations islamiques pour les
distinguer des sanadāt (i.e., obligations conventionnelles). Les ṣukūk, cependant, seront
mieux décrits comme étant des certificats d’investissement1 ou encore des bons (Wilson,
2004). Les ṣukūk sont émis par les États ou par des entreprises qui ont besoin de financement.
Ils sont assimilables aux Asset-Backed Securities (ABS) de la finance conventionnelle.
D’après Alam et al. (2016), le marché des ṣukūk va probablement croître d’une année à l’autre
et l’avenir du marché est prometteur. En effet, les émissions mondiales de ṣukūk, en 2017, ont
connu une croissance de 22,8 % par rapport à 2016 (IFSB, 2018 : p.25). D’après l’IFSB (2013
: p.3), les émissions de ṣukūk ont enregistré un taux de croissance annuel composé de 44 %
entre 2004 et 2011. Cette tendance, sur le marché des ṣukūk, continuera d’être tirée par les
émetteurs souverains et quasi souverains dont les émissions semblent être indépendantes des
cycles économiques et importantes en termes de croissance (IIFM, 2018). Au fur et à mesure
que le marché se développe, le secteur privé sera de plus en plus intéressé par les opportunités
offertes par ce marché. Le marché des ṣukūk devrait maintenir des niveaux élevés de liquidité,
ce qui continuera de susciter l’intérêt des institutions financières (Alam et al., 2016).
Les ṣukūk verts sont des véhicules d’investissement conformes à la charia qui financent des
projets respectueux de l’environnement tels que les parcs solaires, les usines de biogaz et les
parcs éoliens (Alam et al., 2016). L’objectif principal du développement des ṣukūk verts est
de répondre aux préoccupations de la charia en matière de protection de l’environnement. Les
ṣukūk verts représentent une nouvelle classe d’actifs qui se situe à l’intersection de trois
tendances d’investissement : les fonds communs de placement islamiques, les investissements
socialement responsables (ISR) et les ṣukūk. Les ṣukūk verts ont le mérite d’intégrer la
dimension environnementale souvent négligée par le filtrage islamique, ce qui constitue l’une
des critiques majeures adressées à ce dernier (Kafou et Chakir, 2017; Binmahfouz, 2012). En
examinant et évaluant les structures et le mécanisme de tarification des ṣukūk verts, ce papier
essaye de fournir une recherche permettant au lecteur de comprendre les éléments techniques
les plus importants de ces ṣukūk pour pouvoir les différencier des autres ṣukūk ainsi que des
obligations conventionnelles.
Le présent article va traiter, dans un premier temps, le cadre théorique des ṣukūk verts. Il
abordera, entre autres, la structuration, la tarification ainsi que les risques de cette classe de
ṣukūk. En pratique, ces trois éléments sont d’une importance capitale pour la compréhension
de la logique de cette classe d’actifs et son évolution. En effet, la simplicité de la procédure de
structuration des ṣukūk est un élément-clé pour leur prospérité. Les difficultés de structuration
des transactions en ṣukūk avaient amené de nombreuses entités, qui auraient autrement été des
émetteurs de ṣukūk, à continuer de lever les fonds via le marché obligataire ou au moyen de
prêts bancaires classiques. Cependant, le resserrement du crédit en Europe et aux États-Unis
et la crise de la zone euro ont modifié le paysage et ont poussé de nombreuses entreprises à se

1
Surtout dans le cas des ṣukūk al-moḍāraba et ṣukūk al-mochāraka où le profit est variable.

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tourner de plus en plus vers le marché des ṣukūk (Alam et al., 2016). La tarification des ṣukūk
est l’un des domaines de la recherche qui enregistre un très grand retard en FI. Cela peut être
expliqué par le fait que les institutions financières islamiques (IFI), à l’origine des ṣukūk,
considèrent souvent la technique utilisée pour la tarification comme étant exclusive. À cela
s’ajoute la nature personnalisée de ces produits et l’on peut constater qu’il est difficile d’avoir
un modèle généralisé, à l’instar des obligations classiques, pour la détermination du prix des
ṣukūk (Bacha Mirakhor, 2013 : p.201). Le risque est un élément déterminant pour
l’orientation des émissions des ṣukūk. En effet, ṣukūk al-muḍāraba sont de moins en mois
populaires vu le risque qu’ils renferment, alors que les émissions à base d’ijāra et de wakāla,
étant moins risquées, sont prédominantes (IIFM, 2013). Dans la deuxième partie de ce papier,
le cas des ṣukūk verts Orasis sera traité.

I.Les ṣukūk verts : cadre théorique

L’AAOIFI (2017) définit les ṣukūk (ṣak au singulier) comme étant des certificats, de valeur
égale, représentant le droit sur des immobilisations corporelles, des usufruits, des services ou
le capital d’un projet ou d’un investissement. Cela implique que le risque et la rentabilité
associés aux cash-flows générés par l’actif sous-jacent sont passés aux souscripteurs
(Akkizidis et Khandelwal, 2008).
L’émission des ṣukūk constitue un moyen efficace pour la mobilisation des fonds pour le
financement des projets dans le secteur public qui dépendait premièrement du financement
conventionnel (voir Iqbal et Molyneux, 2005; Wilson, 2004). L’émission des ṣukūk est basée
sur les différents contrats islamiques. Ainsi, il peut s’agir de ṣukūk al-ijāra, ṣukūk al-
morābaḥa, ṣukūk al-mochāraka, ṣukūk al-salam, etc. En fait, l’AAOIFI (2017), dans son FAS
n° 17, énumère au moins 14 modalités de structuration des ṣukūk. Ces différences vont donner
lieu à différentes catégories de ṣukūk en ce qui concerne le risque, les conditions pour
l’émission ainsi que les règles de négociation régissant ces derniers. S’agissant de la
négociation des ṣukūk, ceux représentant une dette (e.g., ṣukūk al-morābaḥa) sont négociés
obligatoirement au pair, alors que ceux représentant des actifs (e.g., ṣukūk al-ijāra) peuvent
être vendus et achetés à leur valeur de marché. Dans le cas où les ṣukūk représentent une
combinaison de différents types de contrats, la règle applicable au type dominant sera retenue
(Iqbal et Molyneux, 2005). On peut distinguer deux manières de structuration des ṣukūk dans
le cadre de la FI. i) une structuration directe et ii) la titrisation. Dans le premier schéma, les
certificats sont émis pour lever les fonds nécessaires qui vont être utilisés dans un projet ou
pour l’acquisition d’un bien ou d’une marchandise (e.g., ṣukūk al-salam). Dans le deuxième
cas de figure, des actifs ou un projet déjà existant sont identifiés, mis en commun et ensuite
des ṣukūk sont émis contre la valeur de ces derniers (Obaidullah, 2007). La détention des
ṣukūk donne aux souscripteurs le droit à une rémunération qui dépend de la performance des
actifs financés et à une part du capital souscrit. Il est essentiel que les investisseurs sachent
qui détient les actifs sous-jacents ou titrisés dans une émission de ṣukūk. En effet, en fonction

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de la réponse, les risques peuvent changer. Par exemple, dans certaines conditions, les
investisseurs ne seraient pas en mesure de vendre les actifs sous-jacents de façon
indépendante ou peuvent ne pas être entièrement protégés contre l’insolvabilité de
l’émetteur2(Iqbal et Mirakhor, 2011). Il convient de signaler que les ṣukūk de type Corporate
et souverains pourraient être évalués par l’Agence Islamique Internationale de Notation
(Wilson, 2004).
Ṣukūk al-ijāra sont particulièrement intéressants puisqu’ils peuvent fonctionner comme des
bons de Trésor vu qu’ils représentent un risque minime avec des flux monétaires
stables3(Obaidullah, 2007). Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des ṣukūk souverains.
D’autre part, ṣukūk al-salam sont considérés comme à zéro coupon vu qu’ils ne donnent pas
lieu à des versements réguliers (Causse-Broquet, 2012) et sont généralement à court terme
(Causse-Broquet, 2012; Wilson, 2004). Dans plusieurs cas, les cash-flows des ṣukūk
ressemblent à ceux des obligations conventionnelles, très populaires parmi les investisseurs,
ce qui fait des ṣukūk un outil d’intégration entre le marché islamique et conventionnel des
capitaux (Iqbal et Mirakhor, 2011). L’absence d’un produit de type « fixed-income » faisait
défaut sur les marchés de capitaux islamiques, tant pour le placement des surplus de liquidité
que pour la collecte des fonds. Les ṣukūk permettent aux banques de se lancer dans des
opérations de financement à long terme et d’équilibrer la structure de leur bilan vu
qu’actuellement leurs ressources sont surtout constituées de dépôts de court terme (Causse-
Broquet, 2012). Les ṣukūk sont considérés comme une nouvelle addition au kit des produits
islamiques et comme un créneau prometteur de développement de la FI (Iqbal et Molyneux,
2005). Les émissions de ṣukūk ont contribué au développement des marchés secondaires
(Causse-Broquet, 2012), ce qui constitue une étape absolument nécessaire pour l’industrie de
la FI (Iqbal et Molyneux, 2005).
Selon El-Gamal (2007), les ṣukūk permettent aux banques islamiques de reproduire toutes les
classes d’actifs détenus par les banques classiques. Ils permettent aussi une exposition au
secteur financier souvent exclu lors du filtrage (Noripah et Tsu, 2013 : p.166) et constituent
donc des opportunités pour la diversification des portefeuilles.

1) Structuration des ṣukūk verts


Les ṣukūk verts peuvent être, à l’instar des autres ṣukūk, structurés en utilisant tous les
contrats islamiques de financement. Ce qui distingue les ṣukūk verts est la nature des actifs
financés à travers les fonds collectés. Les actifs pouvant être utilisés pour les ṣukūk verts, tels
que définis par la certification Climate Bond Standards, comprennent les parcs solaires, les
installations de biogaz, les parcs éoliens, les plans ambitieux de promotion de l’efficacité
énergétique, des infrastructures renouvelables, des véhicules électriques, etc. (Alam et al.,

2
Ainsi, le profil risque des Asset-Backed ṣukūk et Asset-Based ṣukūk est très différent, même en ce qui concerne
le risque chariatique.
3
Comme le contrat ijāra est pour une durée déterminée et génère des flux monétaires réguliers, il est plus adapté
à être utilisé pour l’émission des valeurs qui ont plusieurs caractéristiques des obligations conventionnelles
(Wilson, 2004).

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2016)4. Ceci est particulièrement important vu que le filtrage islamique n’intègre pas
nécessairement les préoccupations liées au respect de l’environnement.
La figure 1 donne un aperçu sur la structuration des ṣukūk verts.

Figure 1 : structuration des ṣukūk verts

Source : Alam et al. (2016)

2) Évaluation des ṣukūk verts

Safari et al. (2014, p : 10-11) identifient quatre méthodes pour l’évaluation des ṣukūk. La
première étant les enchères publiques. Cette méthode est largement utilisée par les praticiens
pour l’évaluation des ṣukūk cotés en bourse. Cette méthode est similaire à celle utilisée pour
la détermination du prix des obligations conventionnelles.
Dans ce processus, l’émetteur, avec l’intermédiation d’une banque d’investissement, structure
une proposition pour l’émission des ṣukūk. Le prix est déterminé à travers les enchères
publiques gérées par la banque d’investissement. En règle générale, les investisseurs
proposent un prix élevé s’ils anticipent des gains futurs très importants. Les ṣukūk seraient
vendus aux investisseurs ayant offert le prix le plus élevé. La deuxième méthode est la
négociation privée. Cette méthode est utilisée pour des placements privés offerts à un nombre
limité d’investisseurs. Ce processus peut être vu comme une solution, de gré à gré, offerte par
les banques d’investissement (en tant qu’intermédiaires) pour arriver à une entente entre

4
Pour plus de détails sur les secteurs éligibles, cf. https://www.climatebonds.net.

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l’initiateur et les investisseurs. La troisième méthode est la conversion. En fait, certains ṣukūk
ont une option de conversion intégrée dans leur structure (e.g., Telekom Malaysia). De telles
structures fournissent à leurs détenteurs la possibilité de négocier leurs ṣukūk contre les
actions de la société sous-jacente (principalement l’initiateur) après l’écoulement d’une
certaine période. Ces trois premières méthodes de tarification sont principalement basées sur
les forces du marché, telles que l’offre et la demande, et le prix résultant est donc une
valorisation des ṣukūk par le marché. La quatrième méthode est la modélisation théorique.
L’absence d’un modèle de tarification théorique a imposé le recours aux forces du marché, ce
qui entraîne que la valeur sous-jacente de l’actif est partiellement négligée. Il convient de
signaler que même dans le cas d’une évaluation basée sur le marché, les modèles théoriques
sont d’une importance capitale. En effet, ils permettraient d’éliminer les opportunités
d’arbitrage et d’avoir une idée sur la valeur des ṣukūk, ce qui est d’une importance capitale
pour les investisseurs lors de l’émission et de la négociation des ṣukūk. Lorsque les méthodes
basées sur le marché et sur la théorie sont appliquées ensemble, cela se traduirait par la
détermination d’un prix plus précis pour les ṣukūk (Safari et al., 2014). Il n’existe pas encore,
à notre connaissance, de modèles théoriques pour l’évaluation des ṣukūk. Il n’existe,
cependant, aucune raison pour ne pas utiliser la logique sous-jacente et les principes
d’évaluation utilisés en finance classique pour évaluer ces actifs (Bacha et Mirakhor, 2013).

2.1. Évaluation des ṣukūk nus (sans options intégrées)

D’après Fabozzi et Drake (2009, p : 51-52), le principe fondamental de l’évaluation est que la
valeur de tout actif est égale à la valeur actuelle de ses futurs flux de trésorerie . Ainsi,
l’évaluation d’un actif implique les trois étapes suivantes :

1) l’estimation des cash-flows ;


2) la détermination du ou des taux appropriés pour l’actualisation ;
3) le calcul de la valeur actuelle.

Le flux de trésorerie est simplement la somme que l’on s’attend à recevoir dans le futur du
fait de la possession d’un actif. Pour un actif, ces flux représentent la somme d’argent
attendue à chaque fin de période. En règle générale, les flux de trésorerie pour la plupart des
actifs ne sont pas simples à estimer. Étant donné qu’à l’origine les ṣukūk sont destinés à
remplacer les instruments de type « fixed income », l’estimation est relativement simple,
surtout pour les ṣukūk à base de marge bénéficiaire (e.g., salam, morābaḥa, ijāra, etc).

Toutefois, quelques caractéristiques rendraient difficile l’estimation des flux de trésorerie


même pour les actifs de type « fixed income » (e.g., les options intégrées, la possibilité de
conversion et l’indexation à une variable de marché) (Fabozzi et Drake, 2009).

Dans le cadre de la FI, d’autres facteurs peuvent s’ajouter (Razak, Saiti, & Dinç, 2019) :

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 la non-possibilité de déterminer une marge fixe pour les ṣukūk à base de contrats de
partage des pertes et des profits ;
 les rendements attendus sur certaines formes d’ijāra peuvent ne pas être complètement
fixés et déterminés à l’avance, car il se peut que certains frais et assurances soient
difficiles à déterminer au départ.

Lors de la projection des cash-flows, le risque de défaut n’est pas pris en considération.
Toutefois, le taux d’actualisation utilisé est d’autant plus important que le niveau du risque de
l’émetteur est considéré comme élevé (e.g., le taux applicable à une émission privée sera plus
important que celui d’une émission souveraine comparable).

D’après Razak et al.(2019), le taux d’actualisation à utiliser serait un coût d’opportunité qui
pourrait être ajusté en fonction du risque (i.e., un coût plus élevé pour les ṣukūk émis par des
entités considérées comme présentant un risque plus élevé).

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Tableau 1 : formules d’évaluation des ṣukūk selon les cash-flows espérés

Principales
Flux Exemples Valeur théorique
caractéristiques

Zéro coupon Aucun cash-flow avant ṣukūk salam


l’échéance M
Pt 
(1  r )T t

Ṣukūk avec des paiements Ṣukūk avec des


réguliers constants paiements réguliers T
R
promis sans paiement ṣukūk ijāra, Pt   (1  r) i t
supplémentaire à la ṣukūk i t 1

maturité morābaḥa

Ṣukūk avec des T


R M
paiements réguliers Pt   (1  r)
i t 1
i t

(1  r )T t
promis avec un paiement
supplémentaire à la
maturité

Paiements réguliers en ṣukūk de T


R (1  g )i t 1 M
constante croissance morābaḥa, Pt   t 1 i t

avec un paiement ijāra i t 1 (1  r ) (1  r )T t

ṣukūk avec des paiements supplémentaire à


l’échéance .
5

Rt 1   1  g  
variables promis. T t
M
 1    
(taux de variation ( r  g )   1  r   (1  r )T t
prédéterminé) Paiements réguliers en ṣukūk
Rt 1   1  g  
T t
constante baisse sans mochāraka- Pt  
 
1  
paiement supplémentaire motanāqisa. ( r  g )   1  r  
à l’échéance.

Ṣukūk avec des paiements Paiements aléatoires Ṣukūk à base


promis indéterminés de contrats
de partage ~ ~
P  f ( M , R; r , T , d )
de pertes et
de profits
N. B. Il convient de signaler que le raisonnement adopté dans le tableau ci-dessus retient deux
hypothèses. La première est que la notation de crédit des ṣukūk est fixe tout au long de la durée de vie
de l’instrument. La deuxième est que le taux d’actualisation est fixe (i.e., la structure par terme des
taux d’intérêt est plate).

Source : construction de l’auteur d’après Safari et al. (2014)

5
En absence d’un paiement à l’échéance, il suffit de prendre M=0.

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2.2. Évaluation des ṣukūk avec des options intégrées


a) Cas des ṣukūk convertibles et échangeables
L’évaluation des ṣukūk donnant à leur détenteur la possibilité de les échanger contre les
actions de l’entité à l’origine de l’émission (i.e., ṣukūk convertibles) ou d’une autre société
(i.e., ṣukūk échangeables) nécessite la prise en considération d’un autre paramètre qui est la
valeur de conversion ou d’échange. Ainsi, le prix minimal à l’instant « t » est donné par :

Pt  max(la valeur de conversion ou d 'échange ;valeur théorique sans options )

La valeur théorique est calculée d’après le tableau 1. La valeur de conversion ou d’échange


est donnée par :
valeur de conversion  Cours de l ' action * le ratio de conversion
Le ratio de conversion ou d’échange est le nombre d’actions reçues pour une valeur nominale
donné des ṣukūk. Si le ṣak ne se vend pas pour la plus grande de ces deux valeurs, des
bénéfices d’arbitrage pourraient être réalisés. Par exemple, supposons que la valeur de
conversion soit supérieure à la valeur nue et que le ṣak se négocie à cette dernière.
La stratégie d’arbitrage à adopter sera la suivante : acheter le ṣak convertible à sa valeur nue
et la convertir. L’investisseur va réaliser un gain égal à la différence entre la valeur de
conversion et la valeur nue.

b) Cas des ṣukūk callable et puttable

Une émission de ṣukūk peut contenir des clauses de rachat ou de vente avant l’échéance. Une
clause d’achat donne à l’émetteur le droit de retirer l’émission de ṣukūk avant la date
d’échéance prévue.
Sur le marché obligataire, la clause de rachat est une caractéristique peu attrayante pour le
détenteur d’obligations, car non seulement son échéance est incertaine, mais elle risque
également d’être exercée par l’émetteur lorsque les taux d’intérêt sont au-dessous du taux de
l’émission (Fabozzi et Drake, 2009 : p.166). En conséquence, le détenteur d’un ṣak ou d’une
obligation doit réinvestir le produit reçu, lorsque l’émission est rachetée, dans une autre
émission avec un taux de rendement ou d’intérêt moindre. Ce risque est appelé risque de
réinvestissement. Pour cette raison, les investisseurs exigent une compensation pour accepter
le risque de réinvestissement et reçoivent une indemnité sous forme d’un spread ou d’une
prime de risque plus élevé. Ainsi, le prix des ṣukūk callable à un instant « t » est donné par :

Une émission comportant une disposition de vente confère au porteur le droit de revendre
l’émission à l’émetteur contre la valeur nominale à des dates prédéterminées. Un ṣak qui
contient cette disposition est appelé un ṣak puttable. Contrairement à une clause d’achat, une
clause de vente constitue un avantage pour le créancier. La raison en est que si les taux

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d’intérêt augmentent après l’émission, le prix du ṣak baissera. La clause relative à la vente
permet donc au porteur du ṣak de le revendre à l’émetteur, éviter la perte sur la valeur de
marché et de réinvestir le produit de la vente à un taux plus important.

On peut donc inférer, pour des émissions présentant les mêmes caractéristiques, l’inégalité
suivante :

2.3. Estimation de la valeur de rachat :

Si le prix de vente n’est pas prédéterminé, une estimation du prix de vente espéré doit être
établie. Il existe plusieurs façons de gérer le processus d’estimation. Une des solutions
possibles serait d’attribuer des probabilités à chaque prix de vente potentiel (Bacha et
Mirakhor, 2013 : p.204). La moyenne pondérée de ces prix de vente est alors considérée
comme étant la valeur espérée de rachat.

Le étant le prix de vente sous le scénario « i » et la probabilité correspondante.


Il convient de signaler que les méthodes présentées dans cette section restent valables, quel
que soit le type de ṣukūk. En effet, la tarification dépend en premier lieu des cash-flows
espérés et du taux d’actualisation retenu. Toutefois, pour les ṣukūk verts, il convient de tenir
compte, lors de la détermination des cash-flows, des avantages fiscaux qui peuvent être
accordés à ce type d’émission.

3) Risques des ṣukūk verts

Les restructurations et les défauts sur les ṣukūk6 ont révélé des incohérences entre les
principes théoriques des ṣukūk et leurs structures réelles, ainsi que des lacunes dans la
compréhension des risques par les investisseurs (Lukonga, 2015). En tant qu’instruments
financiers à long terme faisant l’objet d’échanges sur le marché secondaire7, les ṣukūk
renferment un éventail de risques potentiels. La plupart de ces risques sont identiques à ceux
des instruments financiers classiques négociés sur le marché (Bacha et Mirakhor, 2013 :

6
Dont les plus célèbres sont Nakheel et Dana Gas émis aux Émirats Arabes Unis.
7
Il convient de signaler que les ṣukūk à court terme sont généralement structurés à base de contrats salam.
D’après AAOIFI (2017 : p.481), ṣukūk al-salam ne sont pas négociables.

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p.187). Les risques génériques seront traités succinctement dans un premier temps. Ensuite,
on s’attardera sur certains éléments liés au ṣukūk al-ijāra. Ceci est dû au fait que l’ijāra est de
loin la structure la plus privilégiée par les émetteurs. D’autre part, les ṣukūk étudiés dans le
cadre de ce papier sont de type ijāra. Le tableau 2 résume les risques les plus courants
rencontrés par un investisseur en ṣukūk.

Tableau 2 : risques liés aux ṣukūk


Risque des ṣukūk Description

Risque macroéconomique Les changements de la conjoncture macroéconomique, en


particulier ceux de nature systémique, peuvent avoir une
influence considérable sur la valeur des actifs financiers
négociés dans une économie ou en provenance de cette
dernière. Le risque macroéconomique est
particulièrement significatif en ce qui concerne les
émissions de ṣukūk souverains.

Risque de Il fait référence au risque résultant de l’incapacité de


crédit/contrepartie l’initiateur à honorer ses engagements.

Le risque de liquidité Il fait référence au risque résultant de la rareté et


l’irrégularité des transactions sur un actif. Ce risque se
matérialise par la difficulté voire l’impossibilité de
liquider un actif rapidement sans subir de pertes.

Risque de marché/prix C’est le risque résultant des variations du prix de marché


d’un actif en raison de variations de la demande ou de
l’offre de ce dernier. Les variations de la demande et de
l’offre d’un actif peuvent résulter de nombreux facteurs
(e.g., taux de change, taux d’intérêt, etc.).

Risque de taux d’intérêt Il désigne les variations de la valeur d’un actif en raison
des variations des taux d’intérêt. Dans le cas des ṣukūk,
étant donné que la plupart des ṣukūk sont émis et négociés
dans des pays à système dual, une modification du régime
de taux d’intérêt affecterait invariablement les prix des
ṣukūk.

Risque de change Il fait référence à l’exposition au risque de change


résultant de l’investissement dans des ṣukūk libellés en
devises étrangères. Les variations des cours des devises
par rapport à la monnaie locale impliqueraient des
modifications du rendement espéré.

Risque de non-conformité à Il découle principalement des différences d’interprétation


la charia entre les juridictions qui peuvent également varier dans le
temps.

Source : adapté de Bacha et Mirakhor (2013)

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En ce qui concerne ṣukūk al-ijāra, le risque de crédit peut se matérialiser par i) l’incapacité de
l’initiateur à effectuer les paiements périodiques au taux promis ou ii) l’incapacité à honorer
la promesse de rachat de l’actif sous-jacent. La première composante de ce risque est souvent
déclenchée par un risque de taux de rendement (RRR). En fait, les ṣukūk sont
contractuellement structurés de manière à transférer les rendements réels des actifs sous-
jacents (diminués de la part revenant à l’émetteur) aux investisseurs. Ainsi, les ṣukūk, comme
source de financement, ne doivent pas créer un RRR à l’initiateur, sauf celui de la variabilité
de la part qui lui est attribuable (Baldwin, 2015). Toutefois, certains ṣukūk (e.g., ṣukūk al-
ijāra) sont structurés pour fournir une promesse de rendement ou au moins un rendement
minimum garanti aux investisseurs (Baldwin, 2015). Dans une telle configuration, si les
bénéfices réels sont inférieurs aux rendements promis, l’initiateur va renoncer à une partie de
ses bénéfices. Dans le cas de bénéfices excédentaires ou un surplus, l’initiateur accapare cet
excédent et le considère comme une incitation (Razak et al., 2019). En pratique, les initiateurs
gèrent le RRR en constituant des réserves pour lisser les taux de profits ou pour éponger des
pertes. Il convient de signaler que même si le loyer est fixé à l’avance, le rendement de
certaines formes d’ijāra peut ne pas être complètement fixé et déterminé à l’avance. En
pratique, certains frais d’entretien et d’assurance pourraient être difficiles à déterminer à
l’avance (Razak et al., 2019). D’autres parts, le défaut du locataire initial et le délai nécessaire
pour son remplacement ainsi que les nouveaux termes du contrat peuvent miner les promesses
initiales de rendement.
Un autre facteur de risque associé au contrat ijāra, pour l’émetteur, est de trouver une autre
utilisation de l’actif financé par les ṣukūk, de localiser un nouveau client pour une période de
location plus courte que la durée de vie utile de l’actif (Obaidullah, 2002). On peut aussi citer
le risque que l’actif devienne obsolète en plus de l’incertitude sur la réalisation de sa valeur
résiduelle en l’absence d’un marché secondaire. Ce risque est plus élevé en cas d’ijāra portant
sur du matériel spécialisé ou de pointe (Obaidullah, 2002), comme c’est le cas des panneaux
solaires. Le leasing financier a été conçu pour répondre à ce problème en allongeant la durée
du bail (l’égaliser avec la durée de vie utile de l’actif loué) pour permettre au bailleur
d’amortir le coût de l’actif avec profit (Iqbal et Molyneux, 2005). Cette formule d’ijāra se
termine généralement par le transfert de la propriété du bien au locataire.
Une source majeure de risque dans les opérations de structuration des ṣukūk al-ijāra vient du
fait que le coupon est généralement fixé et le rendement est souvent prédéterminé. Tout échec
à déterminer un taux de rendement adéquat va causer la perte d’opportunités qui étaient
possibles sur d’autres produits (Akkizidis et Khandelwal, 2008). Pour faire face à ce risque,
les banques se couvrent généralement en prévoyant un réajustement régulier des loyers
(Causse-Broquet, 2012). En effet, un taux de rendement fixe peut être rendu variable en
entrant dans plusieurs contrats ijāra à court terme tout au long de la vie utile du bien
(Obaidullah, 2002). C’est dans cette optique qu’Al-Suwailem (2006) a proposé un

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Volume 4, numéro 1 (2020)

consentement mutuel8 entre les parties pour une renégociation périodique des contrats ijāra
afin de tenir compte des coûts réels de financement. D’autres propositions portent sur
l’augmentation, par un taux fixe, des redevances après une période spécifique ou l’indexation
de ces redevances à un benchmark comme le taux d’inflation, le taux d’imposition ou le taux
d’escompte (Akkizidis et Khandelwal, 2008). Ces techniques de couverture seront surtout
utiles lorsque c’est l’initiateur qui va prendre le bien financé, à travers les ṣukūk, en location9.
Selon Bacha et Mirakhor (2013), l’absence [ou la rareté] d’instruments de couverture
accentue les risques liés au ṣukūk.
Ṣukūk al-ijāra est la structure préférée par de nombreux émetteurs en raison de sa flexibilité.
Ce type de ṣukūk est couramment structuré sur la base d’ijāra muntahia bi tamlīk (Yasini et
Klopic, 2014). Cependant, cela ne signifie pas que ṣukūk al-ijāra sont sans problèmes de
conformité avec la charia ni à l’abri des critiques des savants de la charia et des acteurs du
marché. Dans les contrats d’ijāra, le véritable transfert de la propriété du sous-jacent a suscité
des inquiétudes, notamment en ce qui concerne le transfert des actifs du bilan de l’émetteur et
non seulement de la propriété bénéficiaire (i.e., usufruit) (Razak et al., 2019). D’autre part, la
valeur et le mécanisme de rachat des ṣukūk al-ijāra à l’échéance continuent de poser des
problèmes de conformité avec la charia.
D’après Lukonga (2015), les structures de ṣukūk peuvent être très complexes, ce qui peut
empêcher les investisseurs de discerner les risques. En outre, vu que les cadres juridiques et
réglementaires ne sont pas harmonisés d’un pays à l’autre, les investisseurs sont exposés à des
risques juridiques, notamment en cas de défaillance transfrontière. Les défauts sur les ṣukūk
ont mis en évidence la vulnérabilité des investisseurs face aux différences de cadres juridiques
entre pays, ont démontré que les résultats ex post dépendaient des lois locales et ont divulgué
les disparités existant entre les dispositions ex ante et les résultats ex post (Lukonga, 2015).

II.Cas des ṣukūk Orasis

La première émission de ṣukūk verts en France remonte au mois d’août 2012. Une émission
initiée par Legendre Patrimoine (société d’investissement spécialisée dans l’énergie solaire et
les investissements immobiliers) et Anouar Hassoune Conseil (société de finance islamique).
Les ṣukūk baptisés « Orasis Green Ṣukūk » s’appuient sur des actifs d’énergie renouvelable. Il
s’agit de la première émission en France où les certificats islamiques sont disponibles aux
investisseurs privés ainsi qu’aux investisseurs institutionnels (Alam et al., 2016). L’originalité
de l’Orasis ṣukūk réside dans le fait qu’ils répondent à la double exigence de conformité avec
la charia tout en s’engageant dans un investissement écologique et durable (i.e., les énergies
vertes).

8
Il faut noter que sans cette mutualité, cette configuration va aboutir, plutôt, à un transfert de risque. En cas
d’augmentation du benchmark (i.e., LIBOR), le bailleur n’aura aucun intérêt à renouveler le contrat et vice versa.
Il est à signaler que cette technique peut aussi être étendue aux contrats salam (voir Kafou et Chakir, 2015).
9
Il convient de signaler que c’est la configuration la plus courante dans la structuration des ṣukūk al- ijāra.

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1) Structure des ṣukūk

La figure 2 illustre la structure des ṣukūk Orasis

Figure 2 : structure des ṣukūk Orasis

Source : Alam et al. (2016)

Les investisseurs souscrivent aux ṣukūk Orasis et achètent les droits émis (A). Ces droits sont
émis par une société en participation (ou une SARL) qui constitue un véhicule ad hoc
acquérant, grâce aux fonds collectés, des équipements à énergie solaire, tels que des panneaux
solaires (B) (Hassoune, 2012). Ces panneaux sont ensuite loués à des compagnies10 qui vont
se charger de la production de l’électricité à base d’énergie solaire (C). L’énergie produite
sera vendue à la compagnie Électricité de France (EDF) (D) qui va la distribuer à sa clientèle
(E).

10
Ces compagnies sont : France Energies Finance, Solstice et P. Volteus24. La durée de la location est fixée à 15
ans à compter de la date de livraison des panneaux solaires.

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2) Étude des cash-flows générés par les ṣukūk Orasis


La figure 3 résume les flux de trésorerie des ṣukūk Orasis :

Figure 3 : Cash-flows de l’émission Orasis

Source : adapté de Alam et al. (2016)

L’émission des ṣukūk est faite pour un prix unitaire TTC11 de 5890 € en France métropolitaine
et de 5425 € dans les DOM-TOM. Contre ce prix, l’offre de ṣukūk devient disponible pour les
investisseurs individuels et institutionnels. En fonction du nombre d’actions achetées, les
investisseurs deviennent copropriétaires de plusieurs fermes solaires, dont le coût varie entre
60 000 € et 2 000 000 €.
Ces investissements permettent une distribution semestrielle des rendements aux détenteurs
de ṣukūk. Ce rendement est fixé à 7 % par an. Les détenteurs des ṣukūk peuvent bénéficier
d’une exonération d’impôt si la période de détention est égale à 10 ans. Au-delà de cette
période, ils bénéficient d’un abattement de 71 %. La durée de vie des ṣukūk Orasis est fixée à
15 ans avec une option de vente dès la dixième année. Toutefois, en cas de vente anticipée, les
investisseurs ne vont recevoir que 87 % du principal (Hassoune, 2012). Comme indiqué
précédemment, les fonds levés sont utilisés pour l’acquisition des panneaux solaires qui
seront ensuite loués à des sociétés de production d’énergie solaire. Ces sociétés d’exploitation
d’énergies propres ont passé un contrat portant sur la vente de l’énergie produite à EDF, le
groupe énergétique français, à un tarif convenu à l’avance. EDF va se charger de la
commercialisation auprès de ses clients.

11
Le prix HT est de 5.000,00. La TVA est remboursée dans le trimestre qui suit la livraison de la centrale
solaire.

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Volume 4, numéro 1 (2020)

La revente avant échéance à 87 % du nominal a soulevé plusieurs problèmes, en particulier


celui de la conformité de l’opération avec la charia. En effet, le Comite Indépendant de
Finance islamique en Europe (CIFIE) avait clairement indiqué que l’option de revente ne
pourra être exercée à un prix convenu au préalable, mais au prix de marché ou à un autre prix
convenu à la fin de la période de détention (Alam et al., 2016). D’un point de vue financier, il
est judicieux de calculer le taux de rendement actuariel dans les deux scénarios.
2.1. Taux de rendement actuariel des ṣukūk Orasis
Prenant l’exemple d’un investisseur résidant en France et ayant acquis 1 ṣuk de l’émission
Orasis au début de l’année 2013.

a) Pour les investisseurs personnes physiques :

Tableau 3 : Calcul des rendements actuariels pour les investisseurs personnes physiques

Scénario 1 (détention sur 10 ans avec des coupons semestriels)

Période Début 2013 2013 2014-2021 2022

Cash-flows -5 890,00 € S1 : 175,00 € (1) 175,00 € (1) S1 : 175,00 € (1)

S2 : 1 065,00 € (2) S2 : 4 525,00 € (3)

YTM** 5,89 %

Scénario 2 (détention sur 15 ans avec des coupons semestriels)

Période Début 2013 2013 2014-2022 2023-2026 2027

Cash-flows -5 890,00 € S1 : 175,00 € (1) 175,00 € (1) 168,50 € (4) S1 : 168,50 €

S2 : 1 065,00 € (2) S2 : 5 168,50 € (5)

YTM** 6,82 %

(1) 5000 * 0,07/2


(2) 5000 * 0,07/2+890. Ici on fait l’hypothèse que la TVA est remboursée dès le deuxième semestre de la
première année.
(3) 5000*0,07/2+0,87*5000.
(4) 5000 * 0,07/2*(1-12,8 %*29 %). Ainsi le cash-flow tient en considération la seule retenue à la source
au taux de 12,8 % avec un abattement de 71 %. Il convient de signaler que le produit des titres de
créances est aussi soumis à des prélèvements sociaux au taux de 17,2 % pour compléter les 30 % du
Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU). Même en intégrant ce prélèvement, le YTM sera de 6,54 % et le
deuxième scénario gardera sa supériorité par rapport au premier.
(5) 5000 * 0,07/2*(1-12,8 %*29 %)+5000.
**
le YTM est taux de rendement actuariel calculé.
Source : construction de l’auteur
b) Pour les investisseurs personnes morales

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Tableau 4 : Calcul des rendements actuariels pour les investisseurs personnes morales

Scénario 1 (détention sur 10 ans avec des coupons semestriels)

Période Début 2013 2013 2014-2021 2022

Cash-flows -5 890.00 € S1 : 175,00 € 175,00 € S1 : 175,00 €

S2 : 1 065,00 € S2 : 4 525,00 €

YTM 5,89 %

Scénario 2 (détention sur 15 ans avec des coupons semestriels)

Période Début 2013 2013 2014- 2023-2026 2027


2022

Cash-flows -5 890.00 € S1 : 175,00 € 175,00 € 166,37 € (6) S1 : 166,37 €

S2 : 1 065,00 € S2 : 5 166,37 € (7)

YTM 6,80 %

(6) 5000 € * 0,07/2*(1-17 %*29 %). Ainsi le cash-flow tient en considération la retenue à la source au taux
de 17 % avec un abattement de 71 %.
(7) (6) + 5000 €
Source : construction de l’auteur

On constate que, quelle que soit la catégorie d’investisseurs, le deuxième scénario est associé
à un plus grand taux de rendement actuariel.

2.2. Risque et performance des ṣukūk Orasis

En analysant le mécanisme de génération des flux de trésorerie, on peut constater que le


risque de crédit est maintenu à un niveau très bas. En effet, les sociétés d’exploitation agissant
en tant que locataires de panneaux solaires exploitent le matériel photovoltaïque, vendent de
l’énergie verte et reçoivent une marge. Dans cette structure, le contrat de vente d’énergie à
l’EDF représente une garantie de rendements contractuels pour les détenteurs de ṣukūk (Alam
et al., 2016).
Malgré son attrait, l’émission des ṣukūk Orasis n’a toutefois pas été jugée fructueuse deux ans
après son initiation. Sur un montant d’émission estimé à environ 40 millions d’euros, seuls
14 000 € ont été vendus à des investisseurs (voir Alam et al., 2016).
D’après Alam et al. (2016), plusieurs facteurs pourraient expliquer cette performance,
notamment le calendrier d’émission, la liquidité, la valeur de rachat et le certificat de
conformité. En effet, les ṣukūk Orasis ont été lancés à un moment où l’Europe était toujours
aux prises avec les séquelles de la crise financière mondiale. Les investissements de détail se

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Volume 4, numéro 1 (2020)

sont raréfiés dans un environnement déflationniste et à faible croissance en Europe. D’autre


part, on peut citer l’illiquidité relative des ṣukūk de cette émission. Au mieux, la valeur de
rachat est inférieure au pair. Finalement, l’échec à recertifier régulièrement la conformité avec
la charia12 de l’investissement était l’un des problèmes majeurs de l’émission.
Conclusion
Le concept de ṣukūk verts a le potentiel de créer un relais entre les marchés traditionnels
socialement responsables et ceux de la FI (Alam et al., 2016). De plus, les ṣukūk verts peuvent
donner à la FI l’occasion de démontrer son impact tangible sur la réalisation des objectifs du
millénaire pour le développement. En effet, la production d’énergies non polluantes est
essentielle au développement durable et représente un investissement écologique, économique
et socialement responsable. Ce papier a essayé, dans un premier temps, de mettre le point sur
la structuration des ṣukūk verts, les risques inhérents à ces derniers et les méthodes de
tarification que l’on peut utiliser pour la détermination du prix de cette classe de ṣukūk. Les
modèles théoriques de tarification des ṣukūk reposent sur la valeur temps de l’argent et sont
donc similaires à ceux utilisés dans le cadre de l’évaluation des obligations conventionnelles.
Dans un deuxième temps, le cas de l’émission des ṣukūk verts Orasis a été étudié. Une
émission qui demeure, malgré les problèmes rencontrés, une première dans son genre. Les
leçons positives et négatives de cette première expérience française pourraient bien servir de
base au développement de solutions conformes à la charia, à plus grande échelle, pour les
investissements respectueux de l’environnement.
Pour le Maroc qui s’est lancé dans la stratégie 2010-2030 des énergies renouvelables, les
ṣukūk verts constituent un potentiel non négligeable pour le financement des différents projets
de cette stratégie. En effet, d’après l’IMF(2015), les ṣukūk sont bien adaptés au financement
des infrastructures en raison de leurs caractéristiques de partage des risques, contribuant ainsi
à combler les déficits de financement dans les pays en développement. Ainsi, la FI peut
répondre aux besoins de financement des énergies renouvelables et d’autres investissements
durables grâce à cette nouvelle classe d’actifs connue sous le nom de ṣukūk verts (Alam et al.,
2016). Toutefois, il faut, au préalable, prévoir un cadre réglementaire adéquat et des avantages
fiscaux pour assurer la réussite des opérations de levée de fonds à travers les ṣukūk verts.
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 Bacha, O. I., & Mirakhor, A., (2013), «Islamic Capital Markets: A Comparative Approach».

12
Afin de vérifier la continuité de la conformité aux principes de la finance islamique des ṣukūk Orasis, le CIFIE
a stipulé dans le certificat initial que ces ṣukūk feront l’objet d’un audit charia semestriel (cf. Hassoune, 2012).

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Volume 4, numéro 1 (2020)

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