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Presses de

l’Université
Saint-Louis
Malades mentaux et incapables majeurs  | Guy Benoît, 
Isabelle Brandon,  Jean Gillardin

Vers un nouveau
régime
d'incapacité ? Les
interrogations d'une
juge de paix
Isabelle Brandon
p. 225-303
Texte intégral

Avant-Propos
1 Le travail que nous avons entrepris il y a déjà plusieurs
mois est avant tout un travail de réflexion personnelle
sur le thème de l’incapacité, fondé essentiellement sur
notre expérience professionnelle de juge de paix,
expérience de terrain, peu connue des juristes car elle
ne transparaît que très rarement dans des décisions
judiciaires.
2 Bien sûr, le droit ne sera pas absent, loin s’en faut. Mais
comme le disait Jacques Fierens dans un ouvrage
remarquable que nous aurons encore l’occasion de citer
à la fin de notre texte1 : « Le juriste sait qu’il y a un aval
et un amont de la science juridique, qui lui interdit un
dangereux positivisme feignant d’oublier que le droit
possède cette faculté étonnante de se prétendre donné
objectif et en même temps de s’objectiver lui-même ».
3 C’est précisément cet «  amont  » et cet «  aval  » qui
enrichira notre réflexion actuelle et c’est pour cette
raison que nous citerons, parfois longuement, quelques
textes psychiatriques.

Chapitre I. La capacité et l'incapacité


aujourd'hui
Section 1. La position clé du juge de paix
4 Depuis l’entrée en vigueur de l’article 488 bis du Code
civil2, c’est le juge de paix qui occupe de plus en plus la
position centrale en matière d’incapacité, reprenant des
compétences auparavant dévolues au tribunal de
première instance.
5 C’est en effet le juge de paix qui décide des mises en
observation des malades mentaux sur base de la loi du
26 juin 1990, qui en assure la surveillance et qui connaît
des contestations qui s’y rapportent.
6 C’est le juge de paix qui décide la mise sous
administration provisoire des personnes incapables
(art. 488 bis) et qui organise le contrôle et la
surveillance des administrateurs qu’il a désignés.
7 De plus, ainsi que cela a d’ailleurs toujours été le cas,
c’est le juge de paix qui organise la tutelle de tous les
incapables pour qui une tutelle doit être organisée (les
mineurs d’âge ayant perdu père et/ou mère, les interdits
et les mineurs prolongés) et qui préside les réunions du
conseil de famille durant toute la tutelle, assurant ainsi
une surveillance et un contrôle à long terme.
8 Pour toutes ces fonctions, anciennes et nouvelles du
juge de paix, le tribunal de première instance intervient
comme juridiction d’appel (appel des décisions de mise
en observation des malades mentaux, de mise sous
administration provisoire, ou contre les décisions du
conseil de famille).
9 C’est, par contre, le tribunal de première instance qui
décide de la mise sous statut de minorité prolongée. Il
n’en organise cependant pas le contrôle, puisque c’est le
juge de paix qui organise la tutelle du mineur prolongé.
La situation est d’ailleurs identique en matière
d’interdiction, où le tribunal de première instance
prend la décision d’interdiction et le juge de paix
organise la tutelle de l’interdit. La seule matière relative
à l’incapacité dans laquelle le juge de paix n’intervient
pas est la mise sous conseil judiciaire, et nous verrons
que ce régime, de même que celui de l’interdiction, est
destiné à disparaître au profit de l’administration
provisoire. Un chevauchement de compétences assez
comparable existe avec le tribunal de la jeunesse pour
les mineurs d’âge orphelins, dont le juge de paix
organise la tutelle.
10 Mais la position clef qu’occupe le juge de paix en
matière d’incapacité ne s’explique pas uniquement par
les compétences qui lui sont dévolues par la loi  : la
structure et les méthodes de travail d’une juridiction
cantonale constituent un atout essentiel.
11 Le juge de paix est un juge unique (il n’y en a qu’un par
canton) et c’est donc toujours la même personne qui
intervient, contrairement à ce qui se passe au tribunal
de première instance, où l’on assiste à une très grande
mobilité des magistrats (la composition des différentes
chambres fait l’objet de fréquentes modifications). De
plus, il n’est pas rare de voir la même personne rester
en fonction comme juge de paix durant 20 ou 25 ans, ce
qui est peu fréquent chez les magistrats de première
instance.
12 A cela, il convient d’ajouter la plus grande
indépendance et la décentralisation du juge de paix, qui
font de celui-ci le magistrat le plus proche du citoyen,
connaissant bien son canton, et dont la permanence et
la stabilité justifient des investissements à long terme,
tels que la création d’un réseau de contacts avec les
services sociaux de la commune, les centres de santé
mentale qui s’y trouvent, les services médicaux, les
hôpitaux, les homes pour personnes âgées, etc…
13 Tout cela est, bien entendu, essentiel lorsqu’il s’agit de
gérer la situation des incapables, qui sont les personnes
les plus fragiles de notre société, et c’est dès lors, à juste
titre, que le juge de paix est apparu de plus en plus au
législateur comme le « juge naturel » de l’incapacité.
14 A l’occasion de ses contacts avec les professionnels de la
santé et de l’aide sociale, et sans cesse interpellé par les
non-juristes, le juge de paix est bien souvent amené à
devoir expliquer le droit, discuter de sa signification et à
réfléchir sur le sens de la loi.
15 La contribution à la fois théorique et pratique du juge
de paix dans une réflexion globale sur l’incapacité
apparaît dès lors comme essentielle.

Section 2. Le sens des mots : le fait et le droit


16 Les mots « capacité » et « incapacité » n’ont pas le même
sens dans le langage courant et dans le langage
juridique.
17 Selon le «  Petit Robert  », dans le langage courant, le
terme capacité signifie « qualité de celui qui est en état
de comprendre, de faire quelque chose ».
18 Toujours selon le « Petit Robert », dans le sens juridique,
ce terme signifie « aptitude légale ».
19 La «  capacité de jouir  » est «  l’aptitude de jouir d’un
droit » et la « capacité d’exercice » signifie « être habilité
à  » accomplir tel ou tel acte juridique (capacité pour
tester ou pour contracter, par exemple).
20 De Page3 donne la définition suivante : « La capacité est
l’aptitude d’une personne à faire un acte juridique
valable. Tout sujet de droit à qui la loi ne reconnaît pas
cette aptitude est un « incapable ».
21 Deux grands principes dominent la matière :

L’incapacité ne concerne que le domaine des actes


juridiques et non celui des faits juridiques… Les
faits juridiques, lorsqu’ils sont volontaires, ne
mettent jamais en jeu qu’une question de
discernement et non de capacité civile. De là, la
règle fondamentale que les incapables s’obligent
par leurs délits et quasi-délits…
C‘est la capacité qui est la règle et l’incapacité,
l’exception. Ne sont donc incapables que ceux qui
sont déclarés tels par la loi (Code civ., art. 1123). Ce
principe s’applique, tout comme le premier
d’ailleurs, aussi bien aux incapacités de jouissance
qu’aux incapacités d’exercice. Pour déclarer une
personne incapable, il faut un texte formel, et ce
texte est toujours de stricte interprétation ».

22 A propos de la distinction entre incapacité de jouissance


et d’exercice, De Page précise encore4  : «  …les
incapacités de jouissance, qui étaient assez fréquentes
dans l’ancien droit (les esclaves à Rome, les aubains au
moyen âge, les individus frappés de mort civile au début
du XIXe  siècle), et qui étaient presque toujours
générales, ont complètement disparu de nos jours. Il ne
subsiste plus guère que des incapacités de jouissance
spéciales, telle l’incapacité successorale (art. 725),…
23 Les incapacités d’exercice, par contre, ont presque
intégralement subsisté, parce qu’elles se rattachent à
des causes objectives et permanentes ».
24 La notion de « cause objective et permanente » est, bien
entendu, susceptible de varier selon les pays et les
époques, et dès lors l’incapacité juridique ne recouvre
pas nécessairement l’incapacité prise dans son sens
usuel (dont le propre est justement de refléter les
conceptions d’une époque).
25 Ainsi, pendant longtemps, ont été considérées comme
des incapables juridiques des catégories de personnes
que la conscience sociale a progressivement considérées
comme capables au sens usuel du mot, telles que les
femmes mariées (frappées d’incapacité juridique
jusqu’en 1976) et les jeunes âgés de 18 à 21 ans (mineurs
jusqu’au 30 avril 1990).
26 Inversement, il était évident depuis fort longtemps que
bien des personnes qui ne pouvaient pas faire l’objet
d’une incapacité juridique étaient, selon nos
conceptions psycho-médico-sociales actuelles, de
véritables incapables en fait, comme les handicapés
mentaux et certaines personnes âgées, par exemple.
27 Le droit a toutefois vocation de suivre le fait et
l’évolution législative des dernières années va
clairement en ce sens : tout en rendant progressivement
leur capacité juridique aux «  faux incapables  » que
constituaient les femmes mariées et les jeunes de 18 à
21  ans, le législateur a permis à des catégories de plus
en plus importantes de personnes souffrant d’une
maladie ou d’un handicap affectant l’état mental de
bénéficier d’un régime d’incapacité juridique.
28 Avec la loi du 29 juin 1973 sur la minorité prolongée
d’abord, et la loi du 18 juillet 1991 sur la protection des
biens des personnes incapables ensuite, des étapes
décisives ont été accomplies pour actualiser notre droit
de l’incapacité, bien que l’évolution soit loin d’être
achevée, ainsi que nous le verrons plus loin.

Section 3. Les régimes d'incapacité depuis la loi du


18.7.1991
29 De Page qualifiait comme suit le régime des incapacités
pour cause d’infirmités mentales du Code civil5 :
30 «  … les infirmités mentales donnant naissance, dans
notre Droit, à un régime d’incapacité sont
essentiellement différentes l’une de l’autre. Elles sont
pourtant traitées par le Code ensemble, et avec une
confusion évidente. On remarquera, en effet, que, dans
le titre XI du livre Ier (art. 488 à 515), le législateur ne
s’est pas placé, pour étudier la matière, au point de vue
de l’infirmité mentale elle-même, mais bien à celui du
régime de protection (interdiction, conseil judiciaire ;…)
qu’il instituait pour tout ce groupe d’incapacités. Et
comme ce régime est parfois commun à deux infirmités
différentes (l’interdiction pour l’aliénation mentale et
l’imbécillité ; le conseil judiciaire pour l’imbécillité à un
degré moins accusé, et la prodigalité), il s’en est suivi un
véritable chevauchement des matières traitées, peu
favorable à la clarté du sujet.

31 …la confusion commise par les auteurs du Code civil
s’est perpétuée jusque dans le régime de la loi de  1850
sur les aliénés.

32 On se doit cependant d’ajouter que la loi du 20 juin 1973
sur la minorité prolongée n’encourt pas les mêmes
reproches. Elle définit clairement le type d’infirmité
pour lequel elle établit un régime de protection ; »
33 On aurait pu s’attendre à ce qu’à l’occasion de
l’élaboration de la loi du 18 juillet 1991, le législateur
suscite un travail de réflexion en profondeur sur les
régimes d’incapacité et refonde l’ensemble du système
en vigueur.
34 Cela n’a malheureusement pas été le cas, bien que la loi
du 18 juillet 1991 elle-même constitue certainement une
étape importante dans ce sens.
35 Avec ce nouveau texte de loi, le législateur a voulu
donner au pouvoir judiciaire un outil permettant de
protéger rapidement tous les incapables majeurs, mais
faute d’une réflexion globale et d’une théorie générale
de l’incapacité, il a maintenu les systèmes antérieurs du
Code civil, l’interdiction et la mise sous conseil
judiciaire, réservant à plus tard un dépoussiérage des
textes. Un peu comme s’il attendait que cette réflexion
globale jaillisse de la pratique6.
36 Etudier systématiquement les divers régimes
d’incapacité qui existent aujourd’hui ne ferait que
reproduire l’erreur de méthode du Code civil et rendre
encore plus confuse la situation actuelle, d’autant plus
que la loi du 18 juillet 1991 a un caractère subsidiaire et
qu’à un même type d’incapacité, divers régimes de
protection peuvent désormais s’appliquer.
37 Il convient, dès lors, d’adopter une attitude résolument
pratique et prospective.
38 Tous les commentateurs de la loi du 18 juillet 19917
semblaient d’accord pour dire que l’interdiction et la
mise sous conseil judiciaire allaient tomber en
désuétude et que ne subsisteraient que la minorité
prolongée et l’administration provisoire organisée par
l’article 488 bis inséré dans le Code civil par la loi
nouvelle.
39 Or, il résulte d’un an et demi de pratique que c’est
l'ensemble des régimes d’incapacité destinés aux
majeurs (y compris la minorité prolongée) qui
paraissent devoir céder le pas à l’administration
provisoire. Ceci est confirmé par les chiffres qui nous
ont été fournis par le tribunal de première instance de
Bruxelles, où le nombre de requêtes en minorité
prolongée a décru de manière importante depuis
l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1991, alors qu’il
n’y a pratiquement plus de nouvelles demandes
d’interdiction ou de mise sous conseil judiciaire8.
40 Compte tenu de ces chiffres et de la volonté manifeste
du législateur9, nous considérerons donc la disparition
de l’interdiction et de la mise sous conseil judiciaire
comme un fait acquis, et bien que ces régimes ne soient
pas encore abrogés, nous ne les citerons que pour
mémoire, dans le cadre d’une réflexion globale sur
l’incapacité.
41 Notre position quant à la minorité prolongée (art. 487
bis) sera, en revanche, plus nuancée. Pour des raisons
qui apparaîtront progressivement tout au long de cette
étude, nous pensons que ce régime ne mérite pas les
faveurs dont il semble encore jouir dans certains
milieux et dans l’esprit du législateur lui-même, nous
semble-t-il. Ce régime pourra être utilement remplacé
par l’administration provisoire (art. 488 bis). Mais étant
donné son actualité, le régime de la minorité prolongée
devra encore être étudié aux côtés de l’administration
provisoire
42 Le point de départ de notre étude ne sera toutefois ni
l’un ni l’autre de ces régimes  : bien au contraire, il est
devenu impérieux d’adopter une méthode toute
différente  : définir l’incapacité, puis identifier les
incapables, en examinant au fur et à mesure, pour
chaque groupe spécifique, le régime de protection
adéquat.

Section 4. La capacité juridique et ses conséquences


43 Dans notre droit, la capacité est la règle, et l’incapacité
l’exception  ; quiconque n’est pas considéré comme
incapable par la loi (avec ou sans décision judiciaire) est
capable, avec toutes les conséquences que la loi attache
à la capacité10.
44 Sont, à l’heure actuelle, des incapables juridiques les
personnes suivantes11 :
45 1. Par l’effet de la loi, sans nécessité d’un jugement :

les mineurs d’âge ;

46 2. Par l’effet de la loi, mais après jugement :

les interdits légaux et judiciaires ;


les personnes pourvues d’un conseil judiciaire ;
les mineurs prolongés ;
les personnes pourvues d’un administrateur
provisoire.

47 Toutes les autres personnes jouissent de la pleine


capacité juridique et sont, dès lors, considérées comme
aptes à accomplir des actes juridiques valables, et
notamment :

les actes juridiques à caractère personnel, comme le


mariage, le contrat de mariage, le divorce, la
reconnaissance d’enfant, le testament,
les actes à caractère patrimonial, et notamment les
contrats.

48 Tous les actes juridiques accomplis par une personne


capable sont donc, en principe, valides, pour autant que
les autres conditions de validité de ces actes soient
réunies. S’agissant de contrats, l’article 1134 du Code
civil s’appliquera (« les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites  »). Nous
verrons cependant ultérieurement qu’il convient de
nuancer la capacité des personnes juridiquement
capables, mais pour l’instant, nous nous en tiendrons
aux principes fondamentaux.
49 Une personne juridiquement capable est donc, en
principe, supposée savoir ce qu’elle fait et agir en
connaissance de cause ; pour pouvoir faire déclarer nul
un acte juridique accompli par une personne jouissant
de sa pleine capacité juridique, il faudra prouver qu’au
moment de conclure l’acte, la personne n’était pas en
mesure de consentir valablement à cet acte, par
exemple pour cause de maladie mentale ou toute autre
raison médicale affectant son état mental à ce
moment12.
50 Dès lors, dans l’hypothèse où une personne incapable de
fait n’aurait pas été déclarée juridiquement incapable,
non seulement il lui faudra (elle-même, le représentant
légal qui lui aura été désigné ultérieurement ou ses
héritiers) agir en nullité pour chacun des actes qu’elle
aura accomplis, mais aussi démontrer, pour chaque
acte, l’incapacité de fait de donner un consentement
valable dans laquelle elle se trouvait au moment de
conclure cet acte.
51 Ceci est, en pratique, très difficile, voire insurmontable,
et les régimes d’incapacité apparaissent, dès lors,
comme la seule véritable protection de la personne
incapable puisque, dès la décision judiciaire prononçant
l’incapacité et parfois même à partir de la requête,
comme dans le cas de l’article 488 bis c. civ., tous les
actes accomplis par la personne protégée sont soit nuls,
soit annulables à certaines conditions, sans qu’il soit
nécessaire de rapporter quelque preuve que ce soit
concernant l’état de la personne.

Section 5. L'incapacité juridique : régime de protection


ou atteinte à la liberté individuelle ?
52 L’incapacité ainsi décrite apparaît comme un véritable
régime de protection des personnes les plus faibles
contre leurs propres actes inconsidérés, qu’il s’agisse de
personnes âgées à qui des tiers mal intentionnés
extorquent des signatures, ou des personnes dont la
maladie mentale se manifeste par des dépenses
inconsidérées ou des actes de prodigalité13 (protection
passive).
53 D’autre part, le régime de la représentation constitue
également une protection (protection active) de toute
une série de personnes dont l’état d’incapacité se
caractérise par une passivité qui fait qu’elles
s’abstiennent de remplir leurs obligations, parfois les
plus essentielles, telles que payer le loyer et les charges,
avec les suites désastreuses que cette passivité peut
entraîner (expulsions, coupures de gaz et d’électricité,
saisies,…).
54 Si les régimes d’incapacité apparaissent pour toutes ces
personnes comme la seule protection possible, voire une
véritable planche de salut, il ne faut cependant jamais
perdre de vue qu’une incapacité prononcée à mauvais
escient constitue une des atteintes à la liberté
individuelle les plus insupportables qui soient.
55 Cela paraît assez évident en matière d’interdiction et de
minorité prolongée, puisque, dans ces régimes, la
personne est déclarée incapable de gérer ses biens et sa
personne (elle ne peut plus poser aucun acte juridique,
pas même un acte personnel comme un mariage par
exemple).
56 Mais cette atteinte à la liberté individuelle existe tout
autant dans les régimes où la personne est « seulement »
déclarée incapable de gérer ses biens (art. 488 bis c.
civ.).
57 Quelles que soient les distinctions qui, en droit, peuvent
être faites entre «  gestion des biens  » et «  gestion de la
personne  », ou plus exactement «  gouvernement de la
personne  », il est clair que lorsqu’une personne est
déclarée incapable de gérer ses biens et est pourvue
d’un représentant légal chargé d’administrer ses biens à
sa place, cette personne va, en pratique, perdre une
grande partie de sa liberté individuelle, puisque dans les
faits, on ne peut gérer les biens d’une personne sans
gouverner dans une grande mesure la personne elle-
même.
58 Ainsi, une personne sous administration provisoire
perd, en fait, le droit de choisir elle-même le lieu où elle
va vivre (elle ne peut conclure de bail ni aucun contrat),
perd, en fait, sa liberté de mouvement qui peut être
aisément contrôlée par son représentant légal par le
biais de «  l’argent de poche  », et perd la liberté de
choisir elle-même son occupation, puisqu’elle ne peut
plus conclure de contrat de travail, ni s’inscrire dans
une école ou un centre de jour.
59 Aussi, une grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de
déclarer une personne incapable, et si la relative
simplicité et la souplesse de l’article 488 bis soulignées
par pratiquement tous les auteurs permettra de venir
rapidement au secours des personnes les plus fragiles
que leur état a placées dans des situations quelquefois
catastrophiques, il faut évidemment veiller à ce que
cette extrême souplesse de la procédure ne facilite pas
les abus ou les décisions hâtives dans les cas douteux.
60 Encore que cette souplesse permette de rectifier
rapidement l’erreur si nécessaire.
61 Il nous semble en tous cas que le juge chargé de
prononcer une incapacité juridique doit sans cesse
garder à l’esprit l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme, libellé comme suit :
62 « 1-Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
63 2-Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique
dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est
nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique,
au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre
et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d’autrui ».
64 Une requête par laquelle on demande au juge de
déclarer telle personne incapable de gérer ses biens
et/ou de gouverner sa personne peut en effet être
analysée comme une demande faite au juge de
s’immiscer dans la vie privée de cette personne et de
dire pour droit qu’il n’est plus possible pour cette
personne de continuer à vivre comme elle le fait.
65 Dans bon nombre de cas, les conditions de vie de la
personne sont telles qu’il n’y aura pas beaucoup
d’hésitations  : la plupart d’entre nous ont déjà eu
l’occasion de découvrir quels enfers se cachent parfois
derrière les façades de nos grandes villes.
66 Mais dans certains cas, la demande sera abusive et
constituera de la part de la famille (et quelquefois d’une
autorité publique) une véritable immixtion inadmissible
dans la vie privée d’une personne (personne âgée par
exemple), à qui on refuse le droit de vivre de manière
originale ou non-conformiste14.

Chapitre II. Les incapables et leur protection


juridique
Section 1. Qui sont les incapables ?
67 Une des principales causes du sentiment de grande
confusion que l’on retire de l’étude systématique du
«  régime des incapables  » est non seulement la
survivance d’institutions manifestement dépassées
comme l’interdiction ou la mise sous conseil judiciaire,
mais surtout la persistance dans notre droit de
l’incapacité de concepts et de termes surannés, hérités
du début du siècle dernier, voire du 18e  siècle, qui
choquent d’autant plus que, depuis plus d’un siècle, les
progrès de la médecine, de la psychiatrie, de la
psychologie et des sciences humaines en général ont été
considérables.
68 Ainsi, l’article 489 du Code civil, dans sa rédaction la
plus récente, parle-t-il encore de «  … état habituel
d’imbécillité ou de démence », état qui, d’après le même
texte, peut présenter des « intervalles lucides ». Dans sa
rédaction d’origine (1804), cet article ajoutait encore « la
fureur », terme heureusement supprimé par la loi du 10
octobre 196715.
69 L’article 513 du Code civil traitant de la mise sous
conseil judiciaire traite des «  prodigues  » auxquels le
Code judiciaire a permis d’ajouter les «  faibles
d’esprit ».16
70 D’autre part, les lois des 18 juin 1850 et 28 décembre
1873 sur les «  aliénés  », abrogées par la loi du 26 juin
1990, utilisaient le terme d'« aliénation mentale ».
71 Aucun des termes précités n’est ou n’était défini par la
loi, et leur utilisation 150 à 200 ans après leur rédaction
a une connotation à la fois surannée et blessante pour
les personnes concernées.
72 Le même grief ne peut, par contre, être fait à l’encontre
de l’article 487 bis relatif à la minorité prolongée. Inséré
dans le Code civil par la loi du 29 juin 1973, ce texte
organise un régime de protection particulier destiné à
une catégorie spécifique d’incapables, les personnes
atteintes d’arriération mentale grave, que la loi définit
comme suit  : «  Par arriération mentale grave, il faut
entendre un état de déficience mentale congénitale ou
ayant débuté au cours de la petite enfance, caractérisé
par un manque de développement de l’ensemble des
facultés intellectuelles, affectives et volitives »17.
73 De création relativement récente, ce texte contient des
définitions à la fois modernes, rigoureuses et précises, et
qui permettent d’identifier sans difficulté les personnes
susceptibles d’être placées sous statut de minorité
prolongée.
74 Dans l’étude systématique des diverses catégories
d’incapables, nous adopterons un critère de
classification pragmatique essentiellement fondé sur la
pratique.
75 Nous examinerons d’abord la situation juridique des
mineurs d’âge, catégorie qualitativement et
quantitativement la plus importante d’incapables
juridiques, puisque passage obligé pour tout être
humain, et dont il est utile de comparer le statut avec
celui des incapables «  majeurs  ». Certaines institutions
de la minorité, telles que l’autorité parentale et la
tutelle, sont d’ailleurs utilisées telles quelles dans
d’autres régimes d’incapacité, et notamment la minorité
prolongée et l’interdiction.
76 Nous étudierons ensuite les incapables «  majeurs  »,
c’est-à-dire les incapables en raison d’infirmités
mentales. Bien plus que la nature médicale ou
psychologique du mal qui cause l’incapacité, c’est la
spécificité sociologique et humaine globale, ainsi que la
spécificité des besoins, qui guidera notre réflexion.
D’une certaine façon, la classification adoptée rejoint
celle de la sécurité sociale et plus particulièrement celle
opérée par la loi du 27 février 1987 sur les allocations
aux handicapés18.
77 Nous étudierons successivement :

1. les handicapés mentaux,


2. les malades mentaux,
3. les personnes âgées incapables.

78 A ces catégories, nous ajouterons, sur base de notre


expérience, une quatrième, les incapacités d’origine
« physique », telles que les comas.
79 Il nous a semblé essentiel, dans un texte relatif à
l’incapacité, d’étudier en dernier lieu la situation des
adultes capables juridiques, le principe général
d’autonomie de la volonté qui les régit, et les
nombreuses dispositions légales protectrices de
certaines catégories socio-économiques «  fragiles  » qui
dérogent à ce principe.
80 La classification des «  incapables  » que nous avons
adoptée est évidemment, à beaucoup d’égards, assez
arbitraire, puisqu’il s’agit d’êtres humains et que ceux-ci
ne se laissent pas enfermer dans des catégories. La
«  classification  » de ces personnes n’a évidemment
d’autre but que de permettre une approche
systématique des problèmes rencontrés, et dans la
plupart des cas, les difficultés et particularités
rencontrées chez les uns peuvent, bien entendu, aussi se
retrouver chez les autres.

Section 2. Les mineurs d'âge


81 Contrairement à une idée très répandue, l’incapacité
dont sont frappés les jeunes de moins de 18  ans n’est
que très relative et varie selon l’âge et la capacité «  de
fait » du mineur.
82 Une étude systématique de cette incapacité montre que
la plupart des jeunes peuvent en effet poser beaucoup
plus d’actes juridiques valables que l’on ne se l’imagine
généralement.
83 Le statut des mineurs d’âge n’étant cependant pas le
thème essentiel de la présente contribution, nous
renverrons le lecteur, pour un examen plus approfondi
de la matière, au Traité élémentaire de droit civil de H.
De Page19.

a) les différents stades d’incapacité chez les mineurs


84 Loi, doctrine et jurisprudence répartissent les mineurs
d’âge en trois catégories :
1. Le stade de l’incapacité naturelle
85 C’est le stade de ceux qui n’ont pas atteint l’âge du
discernement (« l’infans » du droit romain). Cet âge n’est
pas fixé par la loi, mais est laissé à l’appréciation du
juge.
86 Durant cette période, l’enfant est frappé d’une
incapacité absolue.
87 Il ne pourra s’obliger ni par contrat, ni par aucun autre
acte juridique, sauf certaines obligations légales dont il
n’a pas pris l’initiative, mais dont son patrimoine est
tenu ou retire avantage (obligation alimentaire, gestion
d’affaires, enrichissement sans cause).
88 Il ne sera responsable ni de ses délits, ni de ses quasi-
délits.
89 « L’incapacité naturelle n’a d’autre effet que d’affranchir
l’infans de la capacité aquilienne à laquelle est soumis
en principe le mineur capable de discernement, et de la
capacité civile limitée à laquelle le même mineur peut,
dans certains cas, prétendre. Pour le surplus, le régime
de protection est le même. L’infans, tout comme le
mineur capable de discernement, est soumis au régime
de la représentation »20.
2. Le stade de l’incapacité civile
90 C’est le stade dans lequel se trouve l’enfant qui a atteint
l’âge du discernement.
91 Ce régime de protection est le même que celui de
l’enfant non pourvu de discernement, c’est-à-dire le
régime de la représentation. Mais l’incapacité civile se
révèle beaucoup moins rigoureuse que l’incapacité
naturelle. La représentation existe, mais fort atténuée
dans la réalité des choses (nous reviendrons sur ces
questions dans la dernière partie de la présente
contribution, consacrée à la sanction judiciaire de
l’incapacité).
92 Le mineur capable de discernement reste incapable
pour tous les actes importants de la vie civile, mais pour
plusieurs actes de la vie courante, une véritable capacité
restreinte lui est reconnue, soit par les principes
généraux, soit par des lois particulières.
93 Cette capacité restreinte existe notamment :

pour les actes qui n’admettent pas la représentation


(actes à caractère personnel, tels que le mariage, la
reconnaissance d’enfant, l’exercice de l’autorité
parentale, le consentement à sa propre adoption à
partir de 15  ans, le consentement à l’établissement
de sa filiation paternelle à partir de 15 ans, etc…) ;
pour les actes conservatoires ;
pour les actes permis par des lois particulières
(citons notamment l’article 43 de la loi du 3.7.78 sur
les contrats de travail, la capacité limitée pour les
dépôts à la C.G.E.R. à partir de 16 ans, l’article 44, §
1 de la loi du 27.6.69 relative aux prestations de
sécurité sociale, et la capacité de principe en
matière d’aide sociale, toute personne ayant droit à
l’aide sociale) ;
pour les actes de la vie civile qui ne sont pas « nuls
en la forme ».

94 Ce sont, en réalité, les actes les plus importants et les


plus nombreux de la vie courante, et que la loi définit
par rapport au régime de la tutelle, comme les «  actes
qui, en matière de tutelle, ne sont pas soumis à des
formalités habilitantes  », c’est-à-dire les actes que le
tuteur peut accomplir seul (sans devoir y être autorisé
par le conseil de famille, et/ou par le tribunal, et sans
intervention du subrogé tuteur). Il s’agit essentiellement
des actes de gestion courante comme l’encaissement des
revenus, la conclusion d’un bail, toutes les dépenses
courantes d’entretien de la vie quotidienne, par
opposition aux actes de disposition, tels que la vente
d’immeubles, la conclusion d’emprunts, pour lesquels
des formalités habilitantes sont nécessaires.
95 Pour tous ces actes, le mineur n’est pas à proprement
parler incapable de contracter, mais seulement
incapable de se léser.
96 Il résulte de cette règle que si le mineur accomplit un
des actes que le tuteur pouvait accomplir seul, cet acte
ne sera pas nul, mais seulement et uniquement
rescindable pour lésion. C’est aussi une des formes de la
capacité restreinte du mineur qui a atteint l’âge du
discernement particulièrement importante en raison de
son champ d’application. L’hypothèse d’un jeune de
moins de 18 ans vivant sans ses parents (« en kot », par
exemple, pour les étudiants ou jeunes travaillant loin de
chez eux) est en effet loin d’être théorique.
97 On voit donc bien par-là que le mineur qui a atteint
l’âge du discernement n’est pas frappé d’une véritable
incapacité, mais bénéficie plutôt d’une capacité
restreinte.
3. Le stade de l’émancipation
98 L’étude détaillée de la situation du mineur émancipé
dépasse la cadre de la présente contribution. Disons
simplement que le mineur émancipé est soumis au
régime de l’assistance pour certains actes et non plus au
régime de la représentation, et que sa situation est à
maints égards comparable à celle d’une personne mise
sous conseil judiciaire. Pour le surplus, nous renvoyons
le lecteur à De Page21.

b) le régime de protection des mineurs


99 Comme déjà signalé plus haut, les deux régimes de
protection qui existent pour les mineurs sont le régime
de la représentation pour tous les mineurs non
émancipés et le régime de l’assistance pour les mineurs
émancipés.
100 Il est important d’expliciter quelque peu ces concepts
puisqu’ils sont également utilisés pour les autres
incapables.
101 Lorsqu’un incapable (mineur ou autre) est pourvu d’un
représentant légal ou judiciaire, cela signifie qu’il existe
en tant que sujet de droit, titulaire de droits et
d’obligations comme tout un chacun, mais que ces droits
et obligations sont exercés en ses lieu et place par son
représentant.
102 Ainsi, le mineur (ou tout autre incapable) propriétaire
d’un immeuble, par exemple, pourra être cité en justice
par ses locataires ou voisins en exécution des
obligations qui lui incombent en tant que propriétaire.
Seulement, c’est son représentant, légal ou judiciaire,
qui devra être cité en ses lieux et place. Inversement, en
cas de non-payement des loyers par un locataire, par
exemple, c’est le représentant du mineur propriétaire
qui devra agir en justice pour le mineur.
103 C’est le régime de la représentation qui fait d’une
personne un incapable qui, dans notre droit, ne peut
être qu’un incapable d’exercice (puisque les incapacités
de jouissance ont pratiquement disparu, ainsi que nous
l’avons déjà vu plus haut). L’incapable est celui qui ne
peut exercer lui-même les droits et les obligations qu’il
possède.
104 Tout autre est le régime de l’assistance des mineurs
émancipés ou des personnes pourvues d’un conseil
judiciaire. Le curateur du mineur émancipé ou le
conseil judiciaire ne gèrent pas les biens de l’incapable
et ne le représentent pas. Ils ne font que l’assister dans
la conclusion de certains actes, essentiellement les actes
de disposition, que la personne soumise à l’assistance ne
peut donc plus accomplir seule.
105 Les mineurs émancipés et les personnes pourvues d’un
conseil judiciaire ne sont dès lors pas, à proprement
parler, des incapables.

c) les personnes chargées de la protection du mineur


106 Le régime de protection que la loi organise en faveur
des mineurs s’étend à la fois à la personne du mineur et
à son patrimoine. Cette double protection se trouve
réunie dans l’autorité parentale.
107 Les personnes chargées de la protection du mineur
sont :
1. les père et mère
108 L’autorité parentale exercée conjointement par le père
et la mère réunit entre les mêmes mains les pouvoirs
sur la personne et les biens du mineur.
109 Lorsque cette autorité est exercée conjointement par les
deux parents, elle s’exerce sans aucun contrôle
préalable de quelqu’autorité que ce soit, sauf pour un
seul type d’actes  : la vente d’un immeuble appartenant
au mineur, qui doit être autorisée par le tribunal de
première instance, l’acte devant être ensuite passé
devant le juge de paix.
110 Bien sûr, en cas de litiges ou de difficultés, des recours
sont ouverts devant le tribunal de première instance ou
devant le tribunal de la jeunesse, selon que la
contestation concerne les biens ou la personne du
mineur.
111 Signalons encore qu’en cas de déchéance de l’autorité
parentale, c’est un régime de protutelle (sur lequel nous
ne nous étendrons pas ici) qui est organisé par le
tribunal de la jeunesse.
2. le survivant des père et mère
112 Lorsque l’enfant mineur perd son père ou sa mère,
l’autorité parentale se dissocie. Le survivant des père et
mère reste seul investi du gouvernement de la personne
du mineur.
113 La gestion de ses biens, par contre, est soumise à
l’institution de la tutelle. Ce sera presque toujours le
parent survivant qui sera tuteur et qui gérera donc
aussi les biens de l’enfant. Il ne fera cependant pas cette
gestion seul  : il sera soumis au contrôle et à
l’intervention, dans certaines limites, du subrogé-tuteur
et du conseil de famille.
3. la tutelle des orphelins de père et de mère22
114 Lorsque l’enfant perd à la fois son père et sa mère, la
reconstitution des pouvoirs s’opère entre les mains du
tuteur, mais sous la haute surveillance du conseil de
famille.
115 Cette tutelle — dite tutelle dative — est fort différente de
la tutelle exercée par le père ou la mère survivant.
116 Le Code civil accorde une beaucoup plus grande
confiance au père et mère tuteur ou tutrice qu’au tuteur
datif, et ce dernier sera soumis à un contrôle beaucoup
plus rigoureux que les parents. Dans le cas de la tutelle
dative, c’est le conseil de famille qui fixera la part des
revenus du mineur qui devra être consacrée à
l’entretien de celui-ci, et la somme à partir de laquelle
ces revenus devront faire l’objet d’un remploi
(réinvestissement). Rappelons, à ce propos, que les
parents bénéficient de la jouissance légale des biens de
leurs enfants, ce qui n’est évidemment pas le cas du
tuteur datif.
117 De plus, le tuteur datif devra rendre des comptes
annuels de sa gestion au subrogé tuteur, obligation qui
n’existe pas non plus pour le père ou la mère tuteur ou
tutrice. Enfin, et c’est bien sûr une des raisons d’être de
la distinction, les père et mère ont l’obligation d’élever
et d’entretenir leurs enfants (article 203 du Code civil),
obligation qui ne pèse pas sur le tuteur datif (qui n’a pas
d’autres obligations que celles nées de la tutelle).
118 D’autre part, dans toutes les tutelles, le tuteur devra
toujours rendre compte de sa gestion à la fin de son
mandat et, en tous cas, au mineur devenu majeur, à
l’incapable dont l’incapacité aura été levée, et en cas de
décès du mineur ou de l’incapable, aux héritiers de
celui-ci.
d) différence essentielle entre la tutelle des mineurs et la
tutelle des incapables majeurs
119 La première différence essentielle entre la tutelle des
mineurs et les autres tutelles provient de l’obligation de
rendre compte à l’incapable lui-même en fin de tutelle.
S’agissant des mineurs d’âge, cette perspective est bien
réelle, et souvent assez peu éloignée dans le temps.
Devoir rendre directement des comptes à l’enfant
devenu majeur lui-même constitue, sans aucun doute, la
meilleure protection qui soit contre les abus en tous
genres. D’autant plus que bien des adolescents sont déjà
bien au fait de ces questions avant même d’être
majeurs, et n’hésiteront pas à entrer en conflit avec leur
tuteur, même (et peut-être surtout) s’il s’agit du père ou
de la mère, s’ils pensent être lésés par sa gestion.
120 Pour les incapables majeurs, la situation est toute
différente. Dans pratiquement tous les cas, il existe une
absolue certitude que la personne sous tutelle ne pourra
jamais réclamer elle-même quelque compte que ce soit,
et la reddition des comptes n’aura généralement lieu
que longtemps après le début de la tutelle, vis-à-vis des
héritiers de l’incapable, lorsque celui-ci sera décédé.
121 La seconde différence essentielle provient de ce que la
majorité étant actuellement de 18  ans, la gestion des
biens du mineur par son représentant légal est
forcément limitée dans le temps. En cas de tutelle, celle-
ci sera, par la force des choses, d'une durée limitée, et
les institutions telles que le conseil de famille, le subrogé
tuteur et le tuteur lui-même ne durent en général que
quelques années. La tutelle dative des mineurs d’âge est
d’ailleurs rarissime, les orphelins de père et de mère
étant peu nombreux, de même que les enfants dont le
parent survivant est dispensé, exclu, destitué ou
incapable de tutelle23.
122 En revanche, pour les incapables majeurs sous tutelle,
les situations sont amenées, dans pratiquement tous les
cas, à durer fort longtemps, en général toute la vie de
l'incapable. Cela pose problème puisque la tutelle, créée
à origine pour les mineurs et donc à durée limitée, est,
dans le cas des incapables, amenée à devoir se
prolonger quelquefois plusieurs décennies. Petit à petit,
tous les membres de la famille de l’incapable vieillissent
et disparaissent, et se posent alors des problèmes
insurmontables que nous aurons l'occasion d’examiner
dans le chapitre suivant, lorsque nous aborderons en
détail la situation qui se crée en cas de minorité
prolongée. Les observations qui seront faites à cette
occasion, qui valent d’ailleurs aussi pour la tutelle des
interdits, montreront les difficultés qu’il y a à transposer
aux incapables majeurs les institutions de la minorité.

Section 3. Les incapacités liées à une déficience


mentale

a) Les arriérés mentaux


1. Définition
123 Les professeurs Henry V. Cobb et Peter Mittler
définissent comme suit l’arriération mentale24 :
124 « 2.2. Pour qu’un individu soit considéré comme arriéré
mental, il est actuellement admis qu’il doit présenter à
la fois une altération du fonctionnement intellectuel et
du comportement adaptatif. Ni une intelligence faible ni
une altération du comportement adaptatif ne suffisent
isolément à justifier le diagnostic d’arriération mentale.
125 2.3. L’arriération mentale n’est pas en soi une maladie.
Elle est expression de toute une série d’états dus à des
troubles biologiques ou des lésions organiques, mais
aussi à des causes sociales ou psychologiques
complexes. Dans de nombreux cas, la cause spécifique
de l’arriération n’est pas connue.
126 2.4. L’objectif du traitement de l’individu arriéré est
avant tout développemental, c’est-à-dire qu’il vise à
développer systématiquement ses capacités, ses
connaissances et ses qualités personnelles et à lui
apprendre à s’adapter aux exigences de la société dans
laquelle il vit…
127 2.5. Puisque l’arriération mentale est fondamentalement
un problème de développement, les services devront
avoir pour but d’aider chaque individu à apprendre à
développer ses possibilités afin d’augmenter sa
compétence et diminuer sa dépendance…
128 2.6. L’arriération mentale se manifeste généralement
chez le nourrisson ou le petit enfant, ou à l’âge scolaire.
129 On remarque une lenteur inhabituelle dans le
développement, des difficultés de compréhension et
d’utilisation du langage et de compréhension de
concepts généraux ou abstraits…… ».
130 Ainsi que cela sera détaillé plus amplement ci-après,
l’arriération mentale diffère profondément de la
maladie mentale. L’arriéré mental est une personne qui
n’est jamais arrivée à maturité, alors que le malade
mental sera, la plupart du temps, une personne adulte
dont les facultés sont arrivées à leur stade normal de
développement, mais que la maladie mentale a fait
régresser.
2. La protection juridique des arriérés mentaux : choix entre deux
régimes
131 Deux statuts juridiques de protection sont possibles  :
celui de la minorité prolongée (art. 487 bis du Code civil)
et celui de l’administration provisoire organisée par
l’article 488 bis nouveau du Code civil.
132 La minorité prolongée ne sera possible qu’en cas
d’arriération mentale grave, congénitale ou ayant
débuté au cours de la petite enfance.
133 L’administration provisoire organisée par l’article 488
bis du Code civil est, quant à elle, toujours possible pour
les arriérés mentaux, puisqu’elle peut s’appliquer à
toute personne incapable de gérer ses biens à cause de
son état (de santé) physique ou mentale.
134 Dès lors, au point de vue du choix du régime de
protection, il y aura pour la personne arriérée mentale
deux situations possibles :

dans le cas de l’arriération mentale grave de nature


congénitale ou ayant débuté au cours de la petite
enfance, on aura le choix entre la minorité
prolongée et l’administration provisoire. L’existence
de ce choix ne signifie toutefois pas que les deux
régimes soient équivalents, et pour les raisons que
nous allons développer, notre préférence va, et de
loin, au régime de l’administration provisoire.
dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque l’arriération
mentale n’est pas grave ou qu’elle a débuté après la
petite enfance, seule l’administration provisoire
sera possible.

2.1 Le statut de minorité prolongée


135 L’article 487 bis du Code civil est libellé comme suit :
136 «  Le mineur, dont il est établi qu’en raison de son
arriération mentale grave, il est et paraît devoir rester
incapable de gouverner sa personne et d’administrer
ses biens, peut être placé sous statut de minorité
prolongée.
137 Par arriération mentale grave, il faut entendre un état
de déficience mentale congénitale ou ayant débuté au
cours de la petite enfance, caractérisé par un manque
de développement de l’ensemble des facultés
intellectuelles, affectives et volitives.
138 La même mesure peut être prise à l’égard d’un majeur
dont il est établi qu’il se trouvait durant sa minorité
dans les conditions prévues aux alinéas précédents.
139 Celui qui se trouve sous statut de minorité prolongée
est, quant à sa personne et à ses biens, assimilé à un
mineur de moins de 15 ans ».
140 Les personnes atteintes d’arriération mentale grave,
placées sous statut de minorité prolongée, sont
assimilées à des mineurs d’âge de moins de 15  ans
d’après le texte de la loi.
141 En réalité, leur incapacité est beaucoup plus importante
que cela, et les mineurs prolongés seront de fait
assimilés à des mineurs incapables de discernement,
c’est-à-dire au tout petit enfant.
142 Ainsi que nous l’avons vu, les mineurs de moins de
15  ans ne constituent pas une catégorie homogène, et
l’incapacité dont ils sont frappés est fort différente selon
qu’ils ont ou non atteint l’âge du discernement. Cet âge
n’est pas fixé par la loi et il convient, dans chaque cas
d’espèce, de déterminer si un enfant possède ou non le
discernement nécessaire à l’acte qu’il a accompli. S’il
possède ce discernement, cet acte ne sera pas nul, mais
uniquement rescindable pour lésion.
143 Le mineur prolongé étant, par définition, toujours une
personne atteinte d’arriération mentale grave, il ne sera
jamais considéré comme pourvu de discernement, et
tous ses actes seront nuls.
144 Le mineur prolongé sera donc assimilé au petit enfant
(l’infans), et l’incapacité dont il est frappé sera la plus
absolue qui soit. Cette incapacité s’étend à tous les actes
de la vie juridique, tant ceux à caractère personnel que
ceux à caractère patrimonial.
145 Compte tenu du caractère absolu de l’incapacité
organisée par la minorité prolongée, il convient
d’interpréter de manière tout à fait restrictive l’article
487 bis du Code civil, et réserver ce régime aux cas
d’arriération mentale grave. Or, si certaines juridictions
ont manifestement fait preuve de toute la prudence et la
circonspection nécessaires en affinant et en précisant
les limites de la loi de façon intéressante25, d’autres ont
malheureusement adopté une interprétation extensive,
susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle de
personnes non visées par la loi26.
146 Il est toutefois vraisemblable, cependant, qu’avec
l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1991, les
interprétations extensives de l’article 487 bis auront
tendance à diminuer, voire à disparaître au profit de
l’administration provisoire qui, ainsi que nous le
verrons, crée un régime d’incapacité juridique
beaucoup moins intense.
147 Le mineur prolongé reste soumis à l’autorité parentale.
Si l’un des père et mère est décédé, c’est le survivant qui
exercera seul cette autorité. Le mineur prolongé sera de
plus soumis au régime de la tutelle comme le mineur
d’âge. Si les deux parents sont décédés, on organisera la
tutelle dative comme pour le mineur ordinaire.
148 La difficulté principale du régime de la minorité
prolongée provient de ce que l’ensemble des partenaires
de ce régime, la personne protégée et ses parents,
vieillissent et disparaissent.
149 Pour les mineurs prolongés âgés, il n’y a souvent plus ni
père ni mère, ou alors ils sont tellement âgés qu’ils sont
eux-mêmes dans l’incapacité d’assurer l’autorité
parentale ou la tutelle. La constitution d’un conseil de
famille, à la fois conforme à la loi et efficace, posera
dans ce cas aussi des problèmes, et le cas des personnes
âgées n’ayant plus du tout de famille est loin d’être rare.
150 Nous avons déjà évoqué cette question à propos du
statut des mineurs d’âge, lorsque nous avons souligné la
difficulté de transposer les institutions de la minorité
ordinaire qui, par définition, a une durée limitée et
concerne des personnes jeunes, au régime des autres
incapables, dont l’état est généralement amené à durer
la vie entière.
151 La solution très partielle de la tutelle spéciale visée par
l’article 487 quater n’apporte aucune réponse aux
problèmes précités, puisqu’elle implique que les père ou
mère encore vivants au moment de la décision
judiciaire demandent à être dispensés d’exercer eux-
mêmes l’autorité parentale.
152 Diverses décisions judiciaires rendues au cours de
l'année  1991 ont admis que des arriérés mentaux, qui
remplissaient les conditions de l’article 487 bis,
pouvaient encore être placés sous statut de minorité
prolongée à l’âge de 80, 79, 77 ou 63 ans27.
153 De telles décisions sont évidemment justifiées lorsqu’il
n’existe aucun autre régime de protection possible pour
les personnes concernées, comme c’était encore le cas
dans les espèces citées par le professeur Senaeve
(antérieures à l’entrée en vigueur de l’article 488 bis).
Mais il nous semble que, dès lors que le choix existe, la
préférence doit être donnée à l’article 488 bis lorsqu’il
s’agit d’arriérés mentaux âgés, ou même plus jeunes
lorsqu’il n’y a plus de famille.
154 En effet, en l’absence de parents et de famille, même si
toutes les conditions de la loi de 1973 sont réunies, il est
inopportun de placer une personne arriérée mentale
sous statut de minorité prolongée  : en l’absence de
parents, l’administration provisoire par un
administrateur professionnel, sous le contrôle direct et
personnalisé du juge de paix, est de loin préférable à
une tutelle dative exercée par un tiers, sous le contrôle
d’un conseil de famille exclusivement composé
« d’amis » souvent désignés par le juge de paix, et dont
la fonction de contrôle sera, dès lors, plus théorique que
réelle.
155 La minorité prolongée n’a de sens, à notre avis, que si
elle permet un exercice effectif de l’autorité parentale
par les père et mère de l’incapable, surtout s’ils
continuent à élever effectivement leur enfant. C’est dans
ces situations particulières que l’on trouvera chez les
parents de vrais protecteurs de l’incapable, et qui sont
les seuls à ne pas devoir être contrôlés, ni par le juge de
paix, ni par un conseil de famille.
156 Mais, même dans ce cas, l’institution de la minorité
prolongée devrait, pour des raisons d’humanité que
nous développerons ultérieurement, céder le pas à
l’administration provisoire.
157 Quoi qu’il en soit, dès l’instant où l’autorité parentale ne
peut plus être exercée conjointement par les père et
mère, soit que ceux-ci ne le souhaitent pas ou ne le
peuvent plus (et que la tutelle spéciale doit être
organisée par le tribunal de première instance), soit en
cas de décès de l’un des parents ou même des deux (et
qu’une tutelle doit donc être organisée par le juge de
paix), nous n’apercevons plus l’intérêt de choisir la
minorité prolongée plutôt que l’administration
provisoire.
158 Le juge de paix peut, en effet, désigner le père ou la
mère survivant (ou tout autre proche parent) comme
administrateur provisoire et exercer lui-même
directement le contrôle conformément à l’article 488
bis, ce qui dispense de l’organisation d’une tutelle.
159 Il est d’ailleurs important de rappeler, à cet égard, que
les possibilités de contrôle du juge de paix sur
l’administrateur provisoire sont plus importantes que
ses possibilités de contrôle du tuteur. Ce dernier n’a en
effet pas de comptes à rendre au juge de paix, mais
uniquement au subrogé tuteur en cas de tutelle dative
seulement (le père ou la mère tuteur n’a, en effet, pas de
comptes à rendre durant sa gestion).
160 Tout cela ne pose aucun problème lorsque la tutelle est
exercée par des proches parents, relativement jeunes,
comme c’est généralement le cas pour les mineurs d’âge.
La tutelle sera alors une institution efficace, et le rôle du
juge sera, de ce fait même, très limité.
161 Par contre, si le tuteur, le subrogé tuteur et les membres
du conseil de famille sont des parents très éloignés ou
des tiers qui, quelquefois, n’ont même jamais vu
l’incapable, ainsi que cela arrive souvent dans les
tutelles d’incapables majeurs âgés, la tutelle sera une
institution peu efficace et la question du contrôle par le
juge se posera. Car dans l’institution de la tutelle, si
personne (tuteur, subrogé tuteur ou membre du conseil
de famille) ne prend l’initiative d’aviser le juge des
problèmes qui se posent, celui-ci ne peut rien faire. Il
n’existe pas d’obligation pour le tuteur de rendre
régulièrement des comptes de gestion au conseil de
famille ou au juge (comme c’est le cas dans
l’administration provisoire). De plus, ce n’est pas le juge
qui désigne tuteur et subrogé tuteur, mais le conseil de
famille, dans lequel le juge n’a qu’une voix sur 7. Bien
sûr, dans la pratique, le juge parvient généralement à
faire prévaloir son point de vue (dans l’intérêt de
l’incapable), mais combien plus claire et plus saine
serait la situation si le représentant de l’incapable était
directement responsable devant le juge (au besoin
entouré d’un conseil de famille) et devait lui rendre
directement et régulièrement compte de sa gestion !
162 Dans beaucoup de tutelles de mineurs prolongés ou
d’interdits vieillissants, la difficulté a dû être résolue par
la désignation en qualité de tuteur d’un
«  professionnel  », avocat et juge suppléant, exerçant
habituellement les fonctions d’administrateur
provisoire… Parfois même, le parent tuteur devenait, en
vieillissant, tellement incapable lui-même, qu’il a dû
être remplacé d’urgence par un « professionnel », dans
l’intérêt du pupille, dont la situation se trouvait soudain
gravement menacée.
163 Tous ces problèmes de gestion qui surviennent chez les
mineurs prolongés vieillissants sont d’autant plus
délicats que, ainsi que nous l’avons vu, l’incapacité dont
ils sont frappés est la plus absolue qui soit, et recouvre
non seulement la gestion des biens, mais aussi le
gouvernement de la personne.
164 Et ainsi que nous aurons encore l’occasion de le
souligner longuement, confier le gouvernement de la
personne d’un incapable à un tiers, sans que l’incapable
ne doive jamais être consulté ni même entendu28 pour
ce qui le concerne pourtant dans ce qu’il a de plus
intime, constitue une véritable atteinte aux droits de
l’homme.
165 Ce problème n’existe, par contre, pas avec
l’administration provisoire organisée par la loi du 18
juillet 1991, qui constitue dans notre droit positif le
premier régime de protection juridique des personnes
incapables compatible avec les droits de l’homme. Les
grandes innovations de l’administration provisoire sont,
d’une part, la limitation de l’incapacité à la gestion des
biens, et d’autre part, l’obligation faite au juge de paix
d’entendre personnellement la personne protégée, et à
de nombreuses occasions. Nous y reviendrons.
2.2 L’administration provisoire des arriérés mentaux
166 Ce régime d’incapacité s’adresse, selon le texte de
l’article 488 bis A du Code civil, à « tout majeur qui, en
raison de son état de santé, est totalement ou
partiellement hors d’état de gérer ses biens, fût-ce
temporairement ».
167 Les personnes atteintes d’arriération mentale, quel
qu’en soit le degré et quelle que soit la date à laquelle
elle ait débuté, peuvent dès lors toujours être placées
sous administration provisoire pour autant que celle-ci
s’avère nécessaire pour la protection de l’incapable.
168 Nous réservons à un chapitre ultérieur les réflexions
que nous inspirent les apparentes contradictions qui
existent entre l’intitulé de la loi du 18 juillet 1991 (qui
parle «  d’état physique ou mental  ») et le texte de
l’article 488 bis A précité (qui contient une référence à
la « santé »).
169 Pour que l’article 488 bis puisse s’appliquer, il faut que
l’incapacité soit due à une cause médicalement
objectivable. Pour le type d’incapacité qui nous
concerne ici, il suffit que l’arriération mentale, même
légère, soit bien établie conformément aux critères
définis par les professeurs Cobb et Mittler dans le texte
cité ci-dessus.
170 Selon ces critères, il faut qu’il y ait en plus d’une
intelligence faible, une altération du comportement
adaptatif pour que l’on puisse parler d’arriération
mentale. De même, la seule altération du comportement
adaptatif ne suffit pas non plus, si elle ne se combine pas
avec une intelligence faible.
171 Pour autant que nous puissions en juger, cette définition
se rapproche de celle de l’article 487 bis in fine qui parle
de «  manque de développement de l’ensemble des
facultés intellectuelles, affectives et volitives ».
172 C’est la combinaison des différents critères qui
permettra de définir le champ d’application de l’article
488 bis et de tracer la subtile frontière entre la personne
atteinte d’arriération mentale légère, susceptible d’être
protégée par un régime d’incapacité, et la personne
simplement «  non douée  » ou immature, mais pas
arriérée mentale, et non susceptible d’être considérée
comme incapable au sens juridique de ce mot.
173 Dans le doute, une expertise psychiatrique sérieuse
devra être faite, toujours dans l’hypothèse, bien
entendu, où les circonstances de fait appellent une
protection.
174 En effet, même lorsque l’arriération mentale est établie,
la désignation d’un administrateur provisoire est
possible, mais n’est jamais obligatoire. La loi utilise en
effet le terme « peut » être pourvu d’un administrateur,
et non pas « doit », comme c’est le cas dans l’article 489
du c. civ. relatif à l’interdiction.
175 Dans tous les cas d’arriération mentale, et surtout
lorsqu’elle n’est que légère, il faudra donc agir avec
beaucoup de circonspection. Rappelons en effet que,
selon les professeurs Cobb et Mittler, dans le texte cité
plus haut, l’arriération mentale est fondamentalement
un problème de développement, et les services devront
avoir pour but de développer les possibilités de l’arriéré
mental, afin d’augmenter sa compétence et diminuer sa
dépendance.
176 Cela peut signifier, dans certains cas, le refus de la
désignation d’un administrateur provisoire, lorsque
cette désignation aurait, en pratique, pour effet
d’accentuer la dépendance de la personne protégée en
la déresponsabilisant et en lui ôtant par là toute
motivation à développer ses capacités.
177 Théoriquement cependant, l’administration provisoire
pourrait être utilisée pour amener un arriéré mental à
conquérir une certaine autonomie, en donnant par
exemple instruction à l’administrateur d’installer des
mécanismes de gestion simples dont l’incapable pourra
lui-même progressivement s’occuper, avec ou sans
maintien d’un administrateur aux pouvoirs limités.
178 Un des avantages de l’article 488 bis est, en effet, de
permettre au juge de limiter les pouvoirs de
l’administrateur provisoire, ce qui confère une grande
souplesse, du moins en théorie, à la pratique de
l’administration provisoire, en permettant de trouver
une solution adaptée à chaque cas particulier.
179 En réalité, la pratique est actuellement fort différente, et
les obstacles à une utilisation «  modulée  » de
l’administration provisoire sont nombreux.
180 Faute d’indications dans la loi29, faute de conseils et d’un
guide pratique sur les limitations possibles et
souhaitables selon les cas, et de crainte des «  oublis  »
préjudiciables à la personne protégée, le juge de paix
aura le plus souvent encore tendance à prononcer des
incapacités pures et simples, donnant à l’administrateur
tous les pouvoirs visés par l’article 488 bis et laissant le
soin à cet administrateur provisoire de décider lui-
même de déléguer une partie de ses pouvoirs à la
personne protégée dès qu’il la connaîtra suffisamment.
181 Au besoin, le juge de paix pourra lui-même limiter
ultérieurement les pouvoirs de l'administrateur, mais,
en pratique, les choses se passent rarement de cette
façon.
182 La dépendance engendre la dépendance, et nous restons
très sceptique quant à la possibilité réelle d’utiliser une
dépendance restreinte pour amener une personne
incapable à plus d’autonomie. Dans notre pratique, nous
avons plutôt constaté le phénomène inverse et, dans
tous les cas où nous avions limité les pouvoirs de
l’administrateur, une demande ultérieure a été faite,
souvent avec l’accord de l’incapable, de les augmenter.
183 Il faut d’ailleurs espérer que, dans les années à venir, les
associations d’handicapés, les familles et leurs conseils
feront un travail de réflexion à la fois théorique et
pratique sur l’utilisation de l’administration provisoire
comme outil de développement plutôt que comme
instrument de dépendance. On pourrait imaginer une
sorte de «  guide  » des limitations de pouvoirs de
l’administrateur souhaitables pour les différents types
de handicap.
184 Nous ne pouvons, dans l’immédiat, qu’attirer l’attention
sur le danger que représente la désignation
systématique d’administrateurs provisoires aux
personnes atteintes d’arriération mentale de moyenne à
légère.
185 Le risque est en effet grand que ces personnes, qui ne
bénéficiaient jusqu’au 18 juillet 1991 d’aucune
protection juridique, ne s’installent petit à petit dans
une dépendance totale, préjudiciable à leur
développement et à leur intégration dans la société.
2. 3 Qui désigner comme administrateur provisoire ?
186 Quelles que soient les réserves que l’on doive émettre à
ce propos pour les autres catégories d’incapables, c’est
dans le cas des personnes atteintes d’arriération
mentale que se justifiera le plus souvent la préférence
marquée par le législateur pour la désignation en
qualité d’administrateur provisoire des membres de la
proche famille de la personne à protéger.
187 La désignation des père et mère qui le demandent fera
rarement l’objet de discussions. Ils constituent, en
principe, les protecteurs naturels de l’incapable, et
devront être généralement préférés à des tiers.
188 Mais même ici, toute attitude systématique est à rejeter.
Il arrive en effet assez fréquemment, après examen
psychiatrique ou psychologique, que dans l’intérêt
même de la personne protégée, il y a précisément lieu
d’éviter la désignation du père, et surtout de la mère,
car cette désignation n’aurait d’autre effet que
d’accentuer la dépendance de l’incapable et de nuire à
ses possibilités de développement.
189 Il peut apparaître des circonstances où le choix d’un
autre proche parent (frère, sœur ou grands-parents) soit
indiqué, surtout si celui-ci héberge la personne arriérée
mentale, s’en occupe personnellement et lorsque des
liens d’affection véritables peuvent être mis en
évidence.
190 Mais dans tous les cas, une grande prudence s’impose et
toute attitude systématique est à rejeter. Les relations de
la personne arriérée mentale et le membre de la famille
qui demande à être désigné comme administrateur
provisoire devront être examinées de très près, au
besoin à l’aide d’une expertise psycho-sociale.
191 En toute hypothèse, il conviendra toujours de solliciter
l’avis de la personne à protéger. Dans le doute quant à
l’opportunité de désigner un membre de la famille, il
vaudra mieux, selon nous, désigner un administrateur
professionnel (avocat, juge suppléant ou autre) à charge
pour celui-ci de travailler en étroite concertation avec la
famille, si nécessaire.
192 Mais dans ce domaine aussi, un travail de réflexion
s’impose. Car bien souvent, il apparaît que le choix des
administrateurs provisoires possibles reste
singulièrement limité, surtout lorsque l’on se place dans
une optique de restituer une certaine autonomie à
l’incapable. Les parents n’ont malheureusement pas
toujours ce souci, et les administrateurs professionnels
ont une tendance souvent trop marquée à ne
s’intéresser qu’à la gestion des biens proprement dite.
Nous reviendrons sur cette importante question, qui
concerne en fait toutes les catégories d’incapables.

b) les malades mentaux


1. Différence entre maladie mentale et arriération mentale
193 Reprenons ici les définitions des professeurs Cobb et
Mittler, déjà cités à propos de l’arriération mentale.
194 « 3. Maladie mentale (Troubles psychiatriques).
195 3.1. Le terme maladie mentale est utilisé ici pour
désigner toute une série de troubles qui perturbent le
fonctionnement et le comportement affectif, social et
cognitif. La maladie mentale est caractérisée par des
réactions émotives inappropriées, de nature et
d’intensité variées, par une distorsion plutôt qu’une
insuffisance de la compréhension ou de la
communication et par un comportement social
inapproprié plutôt qu’incompétent.
196 Des systèmes de classification adoptés par des
organisations internationales font généralement la
distinction entre les psychoses (exemple : schizophrénie
et maladie maniaco-dépressive), les désordres dus à des
lésions organiques (exemple  : les démences et les
maladies dégénératives du cerveau), les troubles
psycho-névrotiques (exemple  : états d’anxiété, troubles
obsessionnels) et les troubles du comportement et de la
personnalité.
197 3.2. La maladie mentale grave survient généralement
chez l’adolescent ou chez l’adulte et moins
fréquemment chez l’enfant. Elle apparaît souvent
comme un dérèglement soudain et aigu d’un
comportement auparavant normal. Elle est parfois
associée à une modification biochimique ou à l’abus de
drogue, mais souvent à l’immaturité de certains aspects
essentiels de la personnalité, à des périodes de stress
important et prolongé ou à des conflits psychologiques.
Elle peut aussi être associée à divers troubles
organiques de nature neurologique, biochimique ou
génétique. La maladie mentale peut être aiguë,
chronique ou intermittente dans ses manifestations.
198 Ces désordres peuvent être précédés de difficultés
d’ordre social, personnel ou éducatif, avant que
n’apparaissent les symptômes définitifs de la maladie.
Des troubles psychiatriques moins graves, tels que des
troubles émotifs ou des troubles du comportement, sont
plus fréquents chez les jeunes mais peuvent se
manifester à tout âge.
199 Toutefois, la distinction entre une réaction normale au
stress et une réaction psychopathologique doit être très
soigneusement diagnostiquée.
200 …
201 3.4. Bien qu’il y ait de nombreux points communs dans
le traitement de la maladie mentale et de l’arriération
mentale, dans la première, on insiste surtout sur la ré-
éducation des personnes afin de leur permettre de
reprendre un style de vie qui était précédemment
normal ou quasi normal, tandis que dans la seconde, on
s’attache à enseigner, pour la première fois, la façon de
vivre en société. Ceci correspond en fait à la distinction
entre les objectifs de la réadaptation et de
l'adaptation »30.
2. Le régime juridique de protection des malades mentaux
202 Le seul régime de protection tout à fait spécifique à la
maladie mentale, est actuellement la loi du 26.6.1990
relative à la protection de la personne des malades
mentaux, dont l’étude fait l’objet de la première partie
de cet ouvrage.
203 Mais il convient, en pratique, de ne pas se laisser abuser
par les mots et de voir que, bien souvent, des mesures
prises relativement à la personne du malade mental ont
un effet direct sur la gestion de ses biens, tout comme
d’ailleurs à l’inverse, toute mesure relative à la gestion
des biens a un effet direct sur la gestion de la personne,
ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le souligner.
204 Comme il s’agit ici d’étudier plus particulièrement la
«  gestion des biens  » des malades mentaux, et donc le
régime d’incapacité applicable à ceux-ci, il convient de
distinguer selon que la personne fait ou ne fait pas
l’objet d’une mesure fondée sur la loi du 26.6.1990.
2.1 La personne fait l’objet d’une mesure de protection sur base de
la loi du 26.6.1990
205 L’article 488 bis du Code civil dispose en son point B, §
1er, alinéa 2, que : « Le juge de paix peut prendre cette
mesure d’office lorsqu’il est saisi de la requête prévue à
l’article 5, § 1er, de la loi du 26 juin 1990 relative à la
protection de la personne des malades mentaux ».
206 Cette disposition pourrait faire croire qu’à l’instar de la
situation qui existait sous l’empire de l’ancienne loi du
18 juin 1850, aujourd’hui abrogée, une mise en
observation dans un établissement psychiatrique
entraîne automatiquement la désignation d’un
administrateur provisoire (la fonction d’administrateur
général ayant été supprimée).
207 Il n’en est rien.
208 Bien au contraire, le nouveau système mis en place
depuis fin juillet 1991 dissocie protection de la personne
du malade mental et gestion des biens.
209 Le rapport Herman-Michielsens précise d’ailleurs à ce
propos : « Cette scission et indépendance totale entre les
deux régimes permettra d’éviter que les personnes
faisant l’objet d’une mesure en application de la loi du
26 juin 1990 ne soient automatiquement frappées
d’incapacité et est conforme à l’article 19-1 de la
recommandation R (83) 2 du 22 février 1983 du Conseil
de l’Europe «  sur la protection juridique des personnes
atteintes de troubles mentaux et placées comme
patients involontaires  », qui dispose que  : «  Le
placement à lui seul ne peut constituer de plein droit
une cause de restriction de la capacité juridique du
patient »31.
210 L’expérience acquise jusqu’ici semble confirmer que
seule une faible partie des malades mentaux mis en
observation sur pied de la loi du 26 juin 1990 ont été
pourvus d’un administrateur provisoire32.
* Qu’est ce qui explique cette situation ?
211 - Tout d’abord, le fait que maladie mentale ne signifie
pas automatiquement incapacité, et qu’une mise en
observation forcée d’un malade mental en état de crise
n’a pas nécessairement d’effets sur la gestion de ses
biens, ce dont le législateur était conscient et qui
explique d’ailleurs la suppression des administrateurs
généraux.
212 Il ne faut en effet pas confondre arriération mentale et
maladie mentale, et c’est, bien sûr, à dessein que nous
avons longuement cité le texte des professeurs Cobb et
Mittler faisant cette distinction.
213 Les malades mentaux sont, la plupart du temps, des
adultes qui, avant la période de crise, géraient leurs
affaires de manière plus ou moins « normale » et dont la
maladie ne perturbe pas toujours la gestion.
214 - Dans les cas où la crise qu’ils traversent lorsqu’ils sont
mis en observation a des conséquences sur la gestion
des biens (souvent par le désordre et la désorganisation
que la crise provoque), l’hospitalisation et le traitement
médical suivi suffisent souvent, déjà au bout de
quelques jours, à restituer à la personne malade une
capacité suffisante pour gérer des avoirs de faible
importance (ce qui sera bien souvent le cas).
215 De plus, une fois hospitalisée, la personne malade est à
l’abri de beaucoup de tentations, et quelques conseils
judicieux prodigués par les services sociaux des
établissements hospitaliers suffisent bien souvent à
résoudre les problèmes de gestion des avoirs de la
personne.
216 - Si un maintien de longue durée s’impose, une
« postcure » sera, en général, rapidement organisée. Une
véritable guidance psycho-sociale est alors mise en
place par une équipe pluridisciplinaire attachée au
centre hospitalier où la personne malade à été mise en
maintien, et qui rend bien souvent superflue la
désignation d’un administrateur provisoire, mesure qui,
rappelons-le, a pour effet de faire perdre sa capacité
juridique au malade.
217 - D’après notre expérience, la plupart des personnes
atteintes de maladies mentales chroniques sont «  sans
biens  » et entièrement à charge de leur entourage
(conjoint ou parents), ce qui rend la désignation d’un
administrateur provisoire tout aussi inutile que dans les
cas précédents.
218 * Dans des circonstances bien déterminées, la
désignation d’un administrateur provisoire reste
cependant nécessaire :
Lorsque la personne malade possède effectivement
des biens importants ;
Lorsque les circonstances de fait dénotent un réel
problème de gestion, même en l’absence de
« biens » à proprement parler (par exemple, dans le
cas fréquent de non-payement du loyer et des
menaces d’expulsion qui en résultent) ;
Lorsque parmi les symptômes de la maladie
mentale dont la personne est atteinte apparaissent
des troubles ayant une incidence directe sur les
biens, comme par exemple des « folles dépenses »33
(destinées souvent à combler une carence affective)
avec l’endettement qui s’ensuit, ou lorsqu’une
personne souffrant de paranoïa aiguë effectue des
opérations financières douteuses dans le seul but de
mettre des fonds à l’abri de persécutions
imaginaires de la part des proches.

2.2 La personne ne fait pas l’objet d’une mesure de protection sur


base de la loi du 26 juin 1990 et ne peut faire l’objet d’une telle
mesure
219 Ce sera, en pratique, le cas le plus fréquent où une
personne atteinte de maladie mentale se verra pourvue
d’un administrateur provisoire.
220 En effet, il ne faut pas perdre de vue que, pour que la loi
du 26.6.90 puisse s’appliquer, il faut que la personne
malade soit dans un tel état qu’elle mette gravement en
péril sa santé et sa sécurité ou qu’elle constitue une
menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui (art. 2
de la loi).
221 Or, ceci n’est que rarement le cas, la plupart des
malades mentaux ne constituant de menace ou de péril
grave pour qui que ce soit.
222 Or, le fait de ne pas constituer de menace n’enlève rien
au fait que de nombreuses personnes malades mentales
ont besoin d’être soignées et prises en charge, parfois
malgré elles, et d’être protégées contre elles-mêmes
d’une manière ou d’une autre.
223 Dans cette catégorie de personnes se trouvent
notamment bon nombre d’anciens colloqués qui ne sont
plus, depuis que la loi de 1850 a cessé de sortir ses effets
(depuis le 27.7.92), sous le coup d’aucune mesure de
protection (du fait que l’absence actuelle de «  menace
grave » rend la nouvelle loi inapplicable).
224 Dans le cas de toutes ces personnes, trois attitudes sont
possibles, attitudes sur lesquelles nous allons nous
étendre quelque peu dans les pages qui suivent :

soit on adopte une interprétation extensive de


l’article 2 de la loi du 26.6.90, et l’on met ces
personnes en observation, puis on maintien dans le
seul but de pouvoir organiser une « postcure » dès
que possible ;
soit au contraire, on adopte une interprétation
extensive de l’article 488 bis A du Code civil, et l’on
désigne à ces personnes un administrateur
provisoire, même en l’absence de problème de
gestion de biens à proprement parler ;
soit on accepte qu’en l’absence de problème de
gestion de biens, il existe toute une catégorie de
personnes atteintes de maladie mentale pour
lesquelles aucun régime de « protection » juridique
n’est possible.

2.2.1 quant à une éventuelle interpétation extensive de la loi du 26


juin 1990
225 Celle-ci doit être rejetée d’emblée, sous peine de voir
vider le texte légal de son contenu. Les limites fixées par
l’article 2 de la loi doivent être respectées, faute de quoi
l’ensemble du système sera mis en péril.
226 Disons d’ailleurs que le risque d’une interprétation
extensive de cette loi est relativement limité en pratique
— du moins à l’heure actuelle.
227 La mise en observation forcée d’un malade mental est
une mesure très dramatique qui déclenche de forts
sentiments de culpabilité chez les proches qui la
demandent, et qui, bien souvent, fera perdre au
médecin qui la prescrit tout crédit auprès de son
malade. Cette mesure ne sera dès lors envisagée qu’avec
beaucoup de réticence, quand plus rien d’autre ne sera
possible.
2.2.2 quant à l’interprétation extensive de l’article 488 bis A du code
civil
228 La tentation de faire une interprétation large de l’article
488 bis est, par contre, omniprésente et il existe une
véritable demande de la part de bon nombre de services
médico-sociaux (et notamment des centres de santé
mentale) de mettre sous administration provisoire des
malades mentaux qui n’ont pas de problèmes de gestion
de biens à proprement parler, mais que l’on souhaite
voir soignés et pris en charge à des degrés divers, et
contre leur volonté.
229 Nous avons vu plus haut que le régime de
l’administration provisoire, et l’incapacité juridique
qu’il organise, est un moyen très efficace pour arriver
de manière souple et progressive à priver une personne
de sa liberté.
230 Cette véritable privation de liberté n’apparaît cependant
pas immédiatement et ce n’est que progressivement que
la personne placée sous administration découvre
l’intensité de cette privation.
231 Ceci constitue une différence essentielle avec la mise en
observation forcée fondée sur la loi du 26.6.90.
232 Dans le public, l’administration provisoire n’a pas du
tout la connotation négative de la mise en observation
forcée, et l’ignorance dans laquelle se trouvent
généralement le malade, son entourage et son médecin
quant aux implications réelles de l’administration
provisoire fait que cette mesure est, dans un premier
temps, facilement demandée et bien acceptée. Pour le
médecin, la mesure est d’ailleurs beaucoup plus simple
à prescrire.
233 Beaucoup voient d’ailleurs dans l’administration
provisoire une véritable alternative à la «  collocation  »
(le terme ancien à la vie dure), tant il est vrai qu’en
plaçant une personne sous administration provisoire,
on peut arriver, de manière indirecte, à s’assurer que
les médications prescrites seront prises régulièrement.
234 L’administration provisoire constitue à tout le moins
une façon de briser l’isolement d’une personne qui sera,
dès lors, contrainte à un minimum de contacts sociaux,
ne fût-ce que pour obtenir de son administrateur les
moyens nécessaires à sa subsistance. Le contrôle des
finances d’une personne peut, en outre, être un
redoutable moyen de pression sur une personne malade
mentale, afin de la contraindre à se soigner.
235 A notre sens cependant, en agissant ainsi, on détourne
le but de la loi.
236 Tout d’abord, parce que le texte de l’article 488 bis ne
vise que les personnes hors d’état de gérer leurs biens,
ne fût-ce que partiellement. Une personne, même
gravement malade, qui n’est pas hors d’état de gérer ses
biens, ne peut donc être placée sous administration
provisoire.
237 D’autre part, le texte même de l’article 1er de la loi du
26.6.1990 interdit l’utilisation de l’article 488 bis du Code
civil dans le but de contraindre un malade mental à se
soigner, ou de le priver de sa liberté de quelque manière
que ce soit. Cette disposition stipule en effet que : « Sauf
les mesures de protection prises par la présente loi, le
diagnostic et le traitement des troubles psychiques ne
peuvent donner lieu à aucune restriction de la liberté
individuelle, sans préjudice de l’application de la loi du
1er juillet 1964 de défense sociale à l’égard des
anormaux et des délinquants d’habitude ».
2.2.3 Il faut accepter qu’il existe des malades mentaux pour qui
aucune, protection juridique n’est possible
238 C’est la conclusion logique des chapitres précédents, et il
est, à notre sens, fondamental d’accepter le fait même
que, dans une société démocratique, il y a
nécessairement une série de personnes malades
mentales pour qui aucune protection juridique n’est
possible, ni même souhaitable.
239 Dans les milieux psycho-médico-sociaux, nombre de
personnes dont le métier est d’aider les personnes en
détresse regrettent manifestement les limites à leur
intervention que la loi assigne. Aussi, le juge de paix est,
dans les matières faisant l’objet du présent ouvrage,
sans cesse soumis à de véritables pressions morales
pour appliquer les textes de manière extensive, toujours
pour le « bien » des personnes concernées, bien sûr. Et
lorsque le juge respecte scrupuleusement les limites de
la loi, on sent poindre, dans ces mêmes milieux, une
volonté de voir introduire, «  de lege ferenda  » de
nouvelles institutions, telles que le « mentor »34, dont le
rôle serait d’organiser une sorte de surveillance à
caractère exclusivement médical et thérapeutique des
malades mentaux.
240 C’est là, à notre sens, se méprendre totalement sur la
fonction du droit dans cette matière.
241 Le droit a en effet ici pour fonction de poser des limites
au pouvoir d’aider les autres malgré eux, et
l’intervention du pouvoir judiciaire se justifie dans le but
de veiller au respect de ces limites.
242 Le judiciaire a, dans cette matière de l'aide à autrui, un
rôle de garant de la liberté individuelle sous toutes ses
formes, qu’il s’agisse des libertés garanties par la
Constitution (et notamment l’inviolabilité du domicile)
ou celles garanties par la Convention européenne des
droits de l’homme (et notamment l’article 5 et l’article 8
déjà cités).
243 Nous reviendrons sur toutes ces questions essentielles
ultérieurement, dans la conclusion à la présente
contribution.
244 S’agissant de maladie mentale, il y a, en outre, lieu de se
poser la question suivante  : ne serait-il pas essentiel
pour un malade mental de recevoir la juste sanction
civile des actes juridiques qu’il pose ou qu’il s’abstient
de poser, et cela ne constituerait-il pas pour lui un
moyen efficace d’être à nouveau confronté au réel ?
245 Ce qui caractérise la maladie mentale, c’est justement la
coupure avec le réel, et on peut se demander si en
privant le malade (par exemple, par un régime
d’incapacité) de l’obligation de devoir rendre compte de
ses faits et gestes et de leurs conséquences, on ne le
prive pas d’une chance précieuse d’entrer à nouveau en
contact avec cette réalité dont la maladie l’a coupé, et
d’y poser à nouveau des repères35. La question n’a
évidemment pas de sens si ce contact avec la réalité
devient par trop désastreux, mais dans bon nombre de
cas il s’agit d’une considération très importante, à
garder toujours à l’esprit.
246 Un exemple concret permettra de mieux voir le
problème et la difficulté de choix qui se pose pour le
juge.
247 Une personne atteinte d’une variété de paranoïa a dû
être placée sous administration provisoire. Sa maladie
se caractérisait par un isolement total du monde
extérieur. S’enfermant chez elle, elle refusait d’ouvrir la
porte à qui que ce soit. De temps à autre cependant, les
voisins la voyaient sortir pour faire ses courses,
démontrant par là qu’elle se soignait et se nourrissait
suffisamment. Elle ne constituait manifestement pas de
menace grave pour qui que ce soit (ce qui fut d’ailleurs
confirmé ultérieurement par les médecins), et aucune
requête n’a d’ailleurs été déposée pour la mettre en
observation.
248 Pas de problème, jusqu’au moment où il est apparu que
les loyers n’étant plus payés depuis de nombreux mois,
le bailleur avait obtenu un jugement par défaut contre
elle, prononçant la résolution du bail à ses torts et griefs
et autorisant son expulsion.
249 C’est au moment où l’huissier a signifié le jugement que
la famille a été alertée et a déposé une requête en
désignation d’administrateur provisoire. Ce qui fut fait,
la maladie mentale et son impact sur la gestion des
biens (le non-payement des loyers n’avait pas pour
origine un manque d’argent) étant bien établis. Cet
administrateur put, en temps utile, faire opposition au
jugement et obtenir sa réformation, en payant le
bailleur, et éviter ainsi l’expulsion.
250 Avant de désigner l’administrateur, le juge de paix tenta,
conformément à la loi, d’avoir un entretien avec la
personne concernée. Celle-ci ayant refusé de le recevoir,
il put malgré tout, grâce aux voisins, converser avec elle
au travers de la porte de son appartement. De cette
conversation ressortit un total déni de la réalité. Ce
n’était pas vrai que des loyers étaient impayés, et le
procès que lui avait fait le bailleur, et le jugement par
défaut autorisant son expulsion étaient pure invention.
251 Il est clair qu’en désignant un administrateur provisoire
à cette personne, le juge de paix a pris la mesure de
protection qui s’imposait. Mais il nous semble clair aussi
que ladite mesure ne trouve sa justification que dans la
gravité de la mesure d’expulsion qui menaçait la
personne. La sanction civile normale que constituait
cette mesure était naturellement hors de proportion,
par la gravité de ses conséquences (la personne aurait
probablement dû être placée), avec l’intérêt que pouvait
présenter pour cette personne d’être confrontée avec la
réalité dont elle déniait obstinément l’existence. La
fonction de l’administrateur qui a été désigné dans ce
cas d’espèce a consisté essentiellement en la perception
en lieu et place de la personne de ses allocations
sociales, au payement des loyers et charges, et dans le
versement de l’intégralité du solde à la personne
protégée, dont la vie quotidienne a ainsi pu être
préservée.
252 Une telle mesure, pour justifiée qu’elle soit sur le plan
juridique et social, a aussi eu un effet non désiré : celui
de conforter la personne dans son déni du réel, et dans
la conviction qu’il n’y avait jamais eu de problème avec
le bailleur, et que les loyers avaient toujours bien été
payés, et que toutes ces histoires de procès, de juge et
d’administration n’étaient que des inventions de
personnes mal intentionnées cherchant à lui nuire.
253 On voit donc que la désignation d’un administrateur
provisoire à une personne malade mentale est donc une
mesure qui a un coût, qui peut parfois s’avérer
exorbitant  : la perte de responsabilité de ses actes et le
détachement du réel que cela suppose.
254 C’est donc une arme qu’il faut manier avec beaucoup de
prudence, surtout dans le cas de personnes jeunes et
dont la maladie n’a que des effets mineurs sur la gestion
des biens. Pour ce type de personnes, il est clair qu’il
vaut mieux les laisser subir les coupures de téléphone
ou de télédistribution, et les laisser s’expliquer avec les
créanciers impayés ou les voisins mécontents, plutôt
que de les installer dans une situation de dépendance et
d’irresponsabilité, dont ils auront beaucoup de mal à
sortir un jour.
255 Les remarques que l’on peut faire ici à propos des
dangers de l’administration provisoire des malades
mentaux rejoignent celles que nous avons déjà faites à
propos des arriérés mentaux de moyens à légers.
256 Les mesures de protection à l’égard des personnes
incapables ne doivent pas être prises systématiquement
et à tout prix, dans tous les cas.
257 Bien au contraire, elles doivent rester exceptionnelles et
être bien pesées pour chaque cas d’espèce en
particulier.
258 Chacun d’entre nous a déjà pu expérimenter dans son
existence que la réalité de la vie quotidienne, avec ses
contraintes et ses obligations, a un effet équilibrant.
L’obligation dans laquelle nous nous trouvons de
travailler, de s’occuper des enfants, de faire le ménage,
constitue bien souvent un rempart solide contre la
maladie mentale de quelque nature qu’elle soit. Il est
d’ailleurs symptomatique de constater que les mesures
de mises en observation de malades mentaux
concernent pratiquement toujours des personnes sans
travail et, la plupart du temps, sans responsabilités
familiales.
259 Un grand nombre de malades mentaux ne peuvent, dès
lors, pas faire l’objet d’une mesure de protection
juridique, et il est sain qu’il en soit ainsi.
2.3 Cas où l’article 488 bis doit être appliqué
260 Pour que l’article 488 bis puisse s’appliquer à une
personne malade mentale, il faut donc que cette
personne ait un problème de gestion de biens.
261 Hors traitement médical, en dehors de toute guidance
psycho-sociale et, bien entendu, hors «  hôpital  », nous
nous trouverons malgré tout souvent confrontés à cette
situation.
262 En effet, les obligations administratives et financières de
la vie quotidienne (recevoir et payer des factures, aller à
la poste, à la banque, recevoir des lettres
recommandées, y répondre, etc…) peuvent, même pour
des personnes en bonne santé, souvent être source
d’anxiété, de lassitude, d’inquiétude, sentiments qui
expliquent de façon générale beaucoup de négligences
vis-à-vis de ce type d’obligations.
263 A fortiori, si l’on se trouve en présence de véritables
troubles psychiques, avec angoisses insurmontables,
délires ou même hallucinations, les «  petites
négligences  » de l’homme «  normal  » peuvent
rapidement se transformer en désastre. Il est, dès lors,
bien évident que l’administration provisoire se justifie.
264 Mais si, en outre, il apparaît que la personne malade ne
fait plus ses courses, ne se nourrit plus, ne se soigne
plus, ne se lave plus, vit entourée d’excréments, dans un
désordre et une saleté indescriptibles, on arrive à une
situation d’urgence telle que la personne met gravement
en danger sa santé et sa sécurité, au point qu’une mise
en observation d’urgence sur pied de la loi du 26.6.90
s’impose, ce qui, comme nous l’avons vu plus haut, peut
rendre l’administration provisoire superflue.
265 A ces hypothèses particulièrement dramatiques
s’ajoutent, bien sûr, les cas où les symptômes de la
maladie eux-mêmes rendent l’administration provisoire
nécessaire, et que nous avons déjà examinés au chapitre
précédent («  folles dépenses  » ou tout autre
comportement pathologique à l’égard de l’argent et des
biens matériels).
2.4 Particularités de l’administration provisoire des malades
mentaux
266 Alors que dans le cas de l’arriération mentale, la
désignation des proches parents comme
administrateurs provisoires semble souvent se justifier,
dans le cas de la maladie mentale, elle sera
pratiquement toujours à proscrire.
267 La maladie mentale a généralement pour effet de créer
des conflits souvent très violents entre la personne
malade et ses proches. Fréquemment, les relations
tendues entre la personne malade et sa famille peuvent
être une des causes de la maladie mentale ou, en tous
cas, être à l’origine de la crise qui nécessite
l’intervention.
268 Si la désignation d’un administrateur provisoire s’avère
nécessaire, il faut alors que le juge désigne une
personne totalement neutre dans les conflits qui
entourent la personne malade.
269 Cette personne neutre ne pourra, en pratique, être
qu’un professionnel et c’est à l’occasion de la
désignation des administrateurs provisoires des
malades mentaux que nombre de discussions ont surgi
à ce propos.
270 Les anciens administrateurs généraux désignés en vertu
de la loi de  1850, pour chaque établissement où les
malades étaient colloqués, et dont la fonction a été
supprimée par la loi du 18 juillet 1991, continuaient, en
vertu de la loi, à exercer leurs fonctions jusqu’au 27
juillet 1992 pour tous les malades mentaux dont ils
avaient l’administration avant l’entrée en vigueur de la
loi du 18 juillet 1991.
271 A l’approche de l’échéance du 27 juillet 1992, les anciens
administrateurs généraux ont introduit, pour nombre
de leurs anciens administrés, une requête tendant au
renouvellement de leur mandat sur base de la loi
nouvelle.
272 Des querelles parfois très vives ont surgi quant aux
qualités qui devaient être exigées de l’administrateur
provisoire «  nouveau régime  », lorsqu’un juge de paix
ayant estimé devoir remplacer l’ancien administrateur
général requérant par un autre administrateur
provisoire professionnel, a été réformé par le tribunal
de première instance36.
273 Sans entrer dans le détail des procédures ayant donné
lieu à ces décisions, fort critiquées au demeurant, le
problème peut être résumé comme suit.
274 Traditionnellement, les administrateurs provisoires,
tant ceux désignés par le tribunal de première instance
que par le juge de paix, étaient des avocats exerçant en
outre une fonction de juge suppléant, rémunérés pour
l’administration provisoire par un pourcentage des
revenus de la personne administrée.
275 Tel était aussi le cas des administrateurs généraux
désignés en vertu de l’article 30 de la loi du 18 juin 1850
sur les Aliénés.
276 On a ainsi vu apparaître des cabinets d’avocats
spécialisés dans l’administration provisoire, gérant
quelquefois les biens de plusieurs centaines
d’incapables (la plupart du temps, des malades
mentaux).
277 Ce système a fait l’objet de nombreuses critiques dont le
contenu apparaît, non seulement dans les travaux
préparatoires de la loi du 18.7.91, mais aussi dans le
texte légal lui-même.
278 Le reproche essentiel fait à ce type d’administration
provisoire est son caractère impersonnel et
exclusivement financier, conséquence immédiate du
nombre important d’administrations effectuées.
279 Or, nous l’avons vu, des décisions à caractère
apparemment financier ont des conséquences
immédiates sur la vie quotidienne de la personne
protégée, particulièrement fragile quand elle est malade
mentale.
280 Ainsi, circulent dans les hôpitaux psychiatriques, parmi
les avocats, les magistrats et les services sociaux, des
récits navrants de malades qui, au sortir de l’hôpital
psychiatrique, découvraient avec surprise que tous
leurs objets personnels avaient été vendus par un
administrateur qui ne les avait pas consultés et qu’ils
n’avaient, bien souvent, jamais vu.
281 C’est manifestement ce type d’abus commis sous
l’empire de la loi de 1850 qui explique que le législateur
de  1991 ait supprimé les administrateurs généraux,
manifesté la préférence pour le choix des proches
parents comme administrateurs, ainsi que la possibilité
de limiter par arrêté royal le nombre d’administrations
à confier à une seule personne. Ce sont, bien sûr, aussi
ces anciens abus qui expliquent la protection
particulière organisée par l’article 488 bis pour les
objets personnels, le logement et les meubles de la
personne protégée.
282 La volonté manifeste du législateur de personnaliser et
d’humaniser l’administration provisoire apparaît
clairement, et dans un premier temps, les juges de paix
ont été amenés à exiger de l’administrateur provisoire,
outre les qualités de gestionnaire qui restent
indispensables, des qualités humaines et de contact.
283 Pas de problèmes dans les rares cas où la désignation
d’un très proche parent a paru opportune.
284 Mais, dans la majorité des cas, et pour des raisons
parfois fort diverses, c’est l’administrateur
« professionnel » qui s’est imposé et il est apparu assez
rapidement, en pratique, qu’il était pratiquement
impossible de trouver chez le même administrateur à la
fois certaines qualités humaines et sociales exigées par
le nouveau texte légal et les indispensables qualités de
gestion proprement dites. Pour des raisons qui
apparaîtront mieux dans la partie de cet ouvrage
consacrée à l’administration provisoire, les visions de ce
que peut être la fonction d’administrateur sont fort
différentes selon la personnalité et les convictions de
l’administrateur lui-même.
285 La question du choix de l’administrateur se pose dès
lors, à chaque fois, avec acuité.
286 Les candidats ne sont en effet pas légion, et la tâche du
juge, au fur et à mesure où les mois s’écoulent et où le
nombre d’administrations provisoires augmente,
s’apparente à la quadrature du cercle. Comme Diogène
qui cherchait un homme, le juge de paix est
perpétuellement en quête d’un administrateur
« professionnel » présentant toutes les qualités requises.
287 Dans un premier temps, nous avons sollicité les
travailleurs sociaux occupés par des a.s.b.l. (centres de
santé mentale, centres de guidance, maisons médicales),
qui nous semblaient, a priori, bien placés pour assumer
des administrations provisoires simples (dans le cas le
plus fréquent où il n’y a pas vraiment de biens). Ce
travail nous paraissait en effet proche du travail social
et en particulier des guidances budgétaires. De plus,
étant rémunérés par leur employeur, ils auraient pu
exercer cette fonction sans frais pour la personne
protégée ou, en tous cas, en limitant ceux-ci aux 3  %
fixés par la loi.
288 Or, chose qui nous a tout d’abord surpris, la réponse
unanime de tous les travailleurs sociaux sollicités a été
négative. Deux raisons à cela  : le refus d’assumer la
responsabilité de l’administrateur provisoire, et d’autre
part, la volonté de garder avec le malade un lien de
confiance privilégié qui deviendrait vite impossible s’ils
devaient assumer une quelconque responsabilité de
gestion financière (l’administrateur est souvent amené à
dire « non » à la personne protégée)37.
289 Les avocats, qu’ils soient ou non juges suppléants,
restent dès lors (avec certains notaires) pratiquement la
seule catégorie professionnelle actuellement disponible
et compétente pour la fonction d’administrateur
provisoire.
290 Et rapidement, il est devenu évident que les plus
efficaces et les plus compétents étaient les cabinets
spécialisés dans l’administration provisoire.
291 Ainsi que cela apparaîtra plus amplement dans la
contribution relative à l’administration provisoire (voir
plus loin), cette fonction est en réalité très complexe, et
de par l’ampleur du travail qu’elle suscite, et de par
l’importance de la responsabilité professionnelle qu’elle
entraîne, elle exige une organisation importante, ainsi
qu’une assurance responsabilité civile particulière,
choses qui ne peuvent se concevoir que dans le cadre
d’une spécialisation, et exclut en tout cas toute
limitation du nombre des administrés.
292 L’expérience nous a en effet démontré que les
administrateurs «  familiaux  » soit ne rendent tout
simplement pas les comptes prévus par la loi, soit
rendent, après de nombreux rappels, des comptes
incompréhensibles qui ne permettent pas au juge
d’exercer un contrôle effectif sur leur gestion.
293 En ce qui concerne les administrateurs professionnels
non spécialistes, la situation est encore plus délicate,
car, outre le fait qu’ils ne respectent pas toujours non
plus la loi aussi scrupuleusement qu’ils le devraient, ils
sont contraints, vu le manque d’affaires de même
nature, de reporter sur quelques administrés seulement
la charge et le coût des prestations exceptionnelles
considérables qu’ils doivent effectuer. Car c’est une
réalité avec laquelle il faut compter, sous peine de ne
plus trouver d’administrateurs  : les 3  % fixés par la loi
sont largement insuffisants, dans la plupart des cas,
pour couvrir les frais et prestations réelles des
administrateurs, compte tenu de ce que l’essentiel des
administrés sont des allocataires sociaux (ou même des
minimexés). Et tous les administrateurs rentrent, dès
lors, des états de frais et honoraires détaillés pour
prestations exceptionnelles, et généralement le montant
de ces états est inversement proportionnel au nombre
d’administrations assurées par l’administrateur.
294 La meilleure solution semble dès lors être, à notre
estime, la désignation d’administrateurs professionnels,
mais en stipulant dans l’ordonnance de désignation que
l’administrateur devra s’entourer de l’avis de tel ou tel
membre de la famille et/ou personne de confiance de
l’incapable, ou, ce qui arrive de plus en plus souvent, de
l’avis et l’intervention de tel ou tel service social (de la
commune ou centre de santé mentale), voire même de
tel ou tel assistant social en particulier.
295 Dans certains cantons, a ainsi pu s’instaurer, pour
plusieurs personnes, un mécanisme de fonctionnement
«  à trois  »  : — administrateur professionnel chargé des
aspects de gestion proprement dits — centre de santé
mentale pour le contact avec la personne protégée elle-
même — et juge de paix contrôlant le tout.
296 Ce mécanisme de fonctionnement existait d’ailleurs déjà
dans la tutelle de certains mineurs prolongés ou
interdits (sans famille proche), où le tuteur était un
professionnel, et une assistante sociale d’un centre de
santé mentale, subrogée-tutrice (fonction que certains
travailleurs sociaux qualifient de «  maternelle  », par
opposition à celle du tuteur ou de l’administrateur
provisoire, qualifiée de « paternelle »).
297 La pratique actuelle des juges de paix en matière
d’administration provisoire fait, dans certains milieux,
l’objet de critiques quelquefois fort acerbes38.
298 Le reproche essentiel qui est fait est la désignation très
systématique d’administrateurs professionnels en lieu
et place des administrateurs familiaux.
299 Dans une certaine mesure, ces critiques sont sans doute
justifiées. Mais, ainsi que nous l’avons longuement
expliqué, le juge de paix doit souvent choisir, et
rapidement, entre les administrateurs possibles à un
moment déterminé. Et ce n’est pas au juge de paix, en
particulier, ni au pouvroir judiciaire, en général, de
s’occuper à organiser lui-même sur le terrain des
groupes pluridisciplinaires pouvant exercer
l’administration provisoire, ni d’organiser des cours de
formation d‘«  administration des biens  » à l’attention
des familles.
300 Il y a ici manifestement une lacune, non pas au niveau
de la loi, dont le texte est suffisamment complet, mais au
niveau des moyens sociaux et matériels pour mettre la
loi en pratique. Il est clair que la préférence du
législateur va à une administration par la proche famille
ou par des tiers travaillant de manière
«  personnalisée  », en contact avec l’incapable, tout en
présentant des garanties en matière de gestion.
Seulement, rien n’a été mis en place pour que ce vœu
pieux puisse devenir réalité concrète.
301 Il nous a paru intéressant de nous étendre sur ces
questions, la plupart des problèmes posés se retrouvant
dans toutes les administrations provisoires, pour les
différentes catégories d’incapables, et parfois même,
comme nous venons de le voir, dans les autres régimes
d’incapacité.

c) les personnes âgées incapables


1. Qu’est-ce qu’une « personne âgée » ?
302 Les personnes âgées constituent, et de très loin, la
catégorie la plus nombreuse d’incapables majeurs, et la
majorité des personnes pour lesquelles l’application de
l’article 488 bis est le plus souvent demandé, sont des
personnes âgées.
303 Mais, lorsqu’il s’est agi de définir cette catégorie de
personnes et de déterminer quels sont leurs problèmes
spécifiques en rapport avec l’incapacité juridique, nous
avons ressenti un immense désarroi et l’impression de
pénétrer, pour la première fois, dans un continent
inconnu.
304 S’agissant des malades mentaux, il nous semble que les
juges de paix, dès avant même l’entrée en vigueur des
lois faisant l’objet du présent ouvrage, ont rapidement
été entourés et sollicités par les professionnels de la
santé mentale en tous genres  ; nombre de colloques et
de journées d’études ont été organisées, dont la dernière
(du moins pour l’arrondissement de Bruxelles) s’est
tenue le 19 septembre 199239 aux Facultés oniversitaires
Saint-Louis sur le thème  : «  Bilan et perspectives de la
protection des malades mentaux et des biens des
incapables — journée de rencontres et d’échanges entre
praticiens socio-médico-juridiques ».
305 De leur côté, plusieurs associations d’handicapés et de
malades mentaux ont pris des initiatives telles que
l’envoi de circulaires et brochures attirant l’attention
des juges de paix sur la spécificité de leurs problèmes40.
Le 9 octobre 1992, l’A.N.A.H.M. a tenu un fort
intéressant colloque sur le thème de la minorité
prolongée et de l’administration provisoire, colloque
dont les actes ont déjà été cités à diverses reprises41.
306 Rien de tel cependant pour les personnes âgées. Aucun
groupement représentatif, aucun « spécialiste » pour se
réclamer des personnes âgées ne s’est présenté à nous.
307 Dans ce domaine ne semblent exister que des
«  évidences  » dont aucune ne résiste à une analyse
même superficielle et des «  lieux communs  » parfois
difficiles à remettre en question. Combien de fois
n’avons-nous pas reçu de la part de l’entourage d’une
personne âgée dont nous mettions en doute l’incapacité,
des réactions irritées du genre «  mais enfin, Madame,
cette personne a 90  ans  !  », comme si l’âge constituait
une présomption d’incapacité.
308 Nous nous sommes alors tournée vers les livres, et là
aussi, la surprise a été grande  : fort peu d’ouvrages
consacrés aux personnes âgées sont disponibles en
librairie. Chose d’autant plus étonnante que chacun sait
l’importance numérique croissante des personnes
âgées, et les difficultés que cela semble de voir susciter
dans les décennies à venir (à moins que ces difficultés
ne fassent elles-mêmes partie des «  lieux communs  »
qu’il est de bon ton d’admettre sans critique).
309 Deux ouvrages récents (ils datent de  1992) ont
cependant retenu notre attention et vont servir de base
à notre réflexion personnelle : d’une part, « La personne
âgée n’existe pas. Une approche psychanalytique de la
vieillesse  » par Jack Messy42, et d’autre part, les «  Actes
du 3e congrès francophone des droits de l’homme âgé,
Genève, 1991  » intitulé «  L’homme très âgé  : quelles
libertés ? »43.
310 « La personne âgée n’existe pas » dit Jack Messy dans le
livre qui porte ce titre. Il s’agit d’un très beau texte,
tellement riche d’humanité et d’espérance, que nous
n’avons pu résister à la tentation d’en citer de larges
(trop larges  ?) extraits en guise d’introduction à ce
chapitre.
311 «  Le choix du titre de cet ouvrage, La personne âgée
n’existe pas, dépasse la simple affirmation provocatrice
si nous considérons le point de vue du psychanalyste
car, pour lui, l’âge n’intervient pas dans la psyché. Les
processus du système inconscient sont hors du temps, le
rapport temporel est le fait du système conscient. La
cure psychanalytique est une rencontre singulière des
inconscients quel que soit l’âge du patient… ou du
psychanalyste ; seuls leurs désirs sont en question. Dans
la circulation de la libido il n’y a ni jeune ni vieux, le
désir n’a pas d’âge »44.
312 « Le vieillissement n’est pas la vieillesse, pas plus que le
voyage ne se réduit à l’étape. Le vieillissement est un
processus irréversible qui s’inscrit dans le temps. Il
débute dès la naissance et s’achève avec la destruction
de l’individu.
313 … le vieillissement est un processus qui s’inscrit dans la
temporalité de l’individu du début à la fin de sa vie. Il
est fait d’une succession de pertes et d’acquisitions à
l’instar des mouvements de vie évoqués par Hering,
puis par Freud »45.
314 « J’ai choisi d’approfondir ma réflexion sur la notion de
vieillissement par son élément le moins familier  :
l’acquisition. C’est une décision arbitraire justifiée par le
seul fait que nous ne perdons que ce que nous avons. Si
le vieillissement concerne chaque individu, de sa
naissance à sa mort, quels sont les éléments, dans la
théorie psychanalytique, qui font appel au principe de
l’acquisition tout au long de la vie  ? Ce sont bien
évidemment les investissements portés aux êtres aimés
ou, d’une manière générale, aux objets et qui façonnent,
en retour, un des aspects de l’une des instances
psychiques définies par Freud : le moi »46.
315 « … au sens familier, le terme de perte évoque d’emblée
la disparition des objets par nous investis. Si nous
faisons pencher le vieillissement du côté de la perte,
nous constatons qu’il concerne tous les temps de la vie
et pas seulement le dernier. A commencer par ce
vieillissement-perte qui marque notre séparation des
enveloppes foetales…
316 Il en est ainsi tout au long de notre vie. Nous devons
faire face à de nombreuses pertes qui privent l’image de
son objet mais relancent notre quête d’un autre. Une
perte n’est pas toujours une fin, elle engendre le plus
souvent une acquisition »47.
317 « Si le vieillissement est le temps de l’âge qui s’avance, la
vieillesse est celui de l’âge avancé, sous-entendu vers la
mort…
318 La vieillesse n’est pas un processus comme le
vieillissement, c’est un état qui caractérise la position de
l’individu âgé. Mais comment définir la vieillesse ?
319 C’est bien évidemment le registre social, porteur de
l’appellation, qui nous définit la « personne âgée » selon
un statut politico-économique. La retraite en marque
l’avènement, tout comme l’âge de la majorité fait de
l’adolescent un adulte en mal d’urne. Marquage
autoritaire qui ne convient pas toujours à l’ensemble
des intéressés…
320 Cependant, le marquage a laissé des traces et la
cessation de l’activité, vécue comme une perte plus ou
moins importante, selon la quantité d’images
narcissiques fournies par le travail, en place d’objet
investi, a pu précipiter plus d’un exclu du labeur dans le
pathologique, voire dans la mort…
321 L’expression, ô combien anonyme, «  personne âgée  »
désigne une catégorie sociale… Malheureusement, cette
composition de mots fait disparaître le sujet avec son
histoire personnelle, ses particularités, son caractère ; la
«  personne âgée  » devient un habitant de la vieillesse,
sorte de phalanstérien de la «  maison-retraite  ». Elle
correspond à une catégorie définie selon les critères
sociaux concernés : 60 ans pour la retraite, 70 ans pour
le vaccin anti-grippe et 75  ans pour les impôts locaux.
Les démographes déterminent, en fonction du nombre
de morts jeunes, l’âge moyen d’espérance de vie, ils font
du vieux un sursitaire et de la vieillesse une tranche de
vie en rabiot.
322 Aussi, j’affirme que la « personne âgée » n’existe pas. Il
n’y a pas un être « personne âgée ». C’est la raison pour
laquelle j’écris l’expression entre guillemets. Je devrais
dire entre parenthèses, comme sont placés les vieux. La
«  personne âgée  » n’existe pas comme entité
individuelle, c’est une terminologie sociale qui n’a pas
de réalité humaine. Cela n’empêche pas quelques-uns de
décrire la « personne âgée » avec ses us et ses coutumes,
ses façons de penser, de vivre, son caractère, ses
défauts. Tout ceci projette, pour les plus jeunes, une
image de la vieillesse assez effrayante qui ne peut plus
correspondre à un idéal à atteindre, tel qu’il apparaît
dans d’autres civilisations, dans d’autres cultures. Cet
idéal du moi vieillissant prend l’aspect d’un croque-
mitaine du moi sur lequel va se briser plus d’un
miroir »48.
323 C’est bien parce que nous partageons intimement les
convictions exprimées par Jack Messy que nous l’avons
si longuement cité, et sans doute l’inexistence même de
la « personne âgée » explique-t-elle le désarroi que l’on
éprouve à tenter de cerner ce qu’elle est…
2. Qui sont les personnes âgées incapables ?
324 Mais si la «  personne âgée  » n’existe pas, de quoi
parlons-nous dans le présent chapitre, et pourquoi faire
alors des «  personnes âgées incapables  » la troisième
catégorie d’incapables majeurs ? Pourquoi ne pas s’être
contenté, ce qui eût été concevable d’ailleurs, de classer
les incapables majeurs en «  arriérés mentaux  » et
«  malades mentaux  », parmi lesquels il y aurait eu des
personnes de tout âge ?
325 Parce qu’il existe manifestement, parmi les incapables
majeurs les plus âgés, une série de problèmes qui leur
sont particuliers, et que, d’autre part, le grand âge
semble par lui-même être porteur d’une série de
troubles d’ordre à la fois psychologique, médical et
social particuliers qui génèrent l’incapacité de la
personne qui les subit. D’autre part, l’administration
provisoire ou la tutelle de ces personnes présente des
particularités qui méritent d’être examinées
séparément.
326 Les personnes dont nous allons examiner la situation
dans ce chapitre intitulé «  les personnes âgées
incapables  » sont celles qui réunissent un certain
nombre de caractéristiques d’ordre social et
économique, d’ordre psychologique et d’ordre médical.
327 Dans l’article intitulé «  Droits, devoirs et libertés du
grand âge  », et qui forme le troisième chapitre de la
première partie de «  L’homme très âgé  : quelles
libertés  ?  »49, Robert Moulias, Nadine Raynal et Sylvie
Meaume, respectivement médecins et chef de clinique
assistant en France, esquissent les caractéristiques non
pas de la personne très âgée, mais de la situation dans
laquelle elle se trouve généralement. Nous
considérerons donc que ce sont les personnes
incapables qui se trouvent dans ces situations qui font
l’objet de ce chapitre.
2.1 Quelles sont les situations généralement vécues par les
personnes très âgées, et dans lesquelles survient l’incapacité ?
2.1.1 Le retrait de l’activité
328 Une des premières caractéristiques est, bien entendu, le
retrait de la vie professionnelle active. Il ne vient à
personne l’idée de considérer comme personne âgée
une personne exerçant toujours une activité
professionnelle normale, même si elle a plus de 80 ou
90  ans ainsi que cela arrive encore (et heureusement)
dans certaines professions libérales telles que les
avocats ou les médecins par exemple, ou dans certaines
professions artistiques (chez les musiciens ou les
peintres).
329 Ce retrait de l’activité a généralement deux
conséquences négatives  : tout d’abord, une diminution
importante des ressources, à un moment de la vie où les
besoins (notamment de santé ou d’aide d’une tierce
personne) sont quelquefois très importants. Ensuite, un
retrait de la vie sociale et l’isolement qui en résulte.
2.1.2. Le retrait de la vie sociale et politique
330 Les auteurs constatent et dénoncent une véritable
exclusion de la vie de la cité des personnes très âgées et
écrivent que « Toute gérontocratie est abusive. Ceux qui
décident doivent avoir l’âge qui leur permette de voir et
subir l’effet de leur décision. Mais les personnes âgées
ont le temps d’être dans les conseils, les associations…,
de proposer, enquêter, faire savoir. Les personnes
même très âgées ne doivent pas être que l’enjeu de la
recherche électorale de voix, mais doivent participer
activement à la vie de la cité. C’est pour elles un
devoir »50.
331 Encore faut-il que la cité donne aux personnes très
âgées les moyens de participer à la vie sociale, ce qui est
loin d’être le cas. Rien que pour se déplacer, la personne
très âgée rencontre nombre de difficultés, parmi
lesquelles l’insécurité des villes (la peur des agressions)
ou les difficultés de transport semblent jouer un grand
rôle.
332 Le retrait de la vie politique et sociale a une
conséquence importante que nous avions déjà soulignée
dans l’introduction au présent chapitre  : l’absence de
représentation des personnes âgées.
2.1.3. L’absence de représentation des personnes âgées
333 Citons le texte « Droits, devoirs et libertés du grand âge »
à ce propos  : «  Les personnes âgées risquent d’être les
victimes des difficultés économiques, car malgré leur
nombre, elles ne sont pas représentées : les syndicats se
désintéressent des retraités et les retraités ne sont
absolument pas syndiqués…
334 Les associations de résidents ou de familles ne sont
absolument pas fédérées. Seules les personnes
travaillant au contact des personnes âgées  : médecins,
soignants, travailleurs sociaux, administrateurs,
psychologues, sont devenus leurs défenseurs attitrés.
Egalement, ils sont dispersés et ils sont des
professionnels, non des représentants….
335 Mais c’est aux personnes âgées elles-mêmes de se
prendre en charge. C’est leur devoir d’être conscientes
de l’enjeu et de créer un lobby suffisamment puissant
pour faire respecter leurs droits et ceux des plus âgés
qui auront le plus de difficultés à revendiquer. C’est
dommage, mais c’est ainsi  : tant qu’un problème n’est
pas médiatisé de façon violente et que la presse n’en
parle pas, les décisions sont éternellement
reportées… »51.
2.1.4. Les difficultés d’accès aux soins
336 Une des surprises que l’on retire de la lecture de
l’ouvrage « L’homme très âgé : quelles libertés ? » est le
fait que pratiquement tous les auteurs qui ont contribué
à cet ouvrage, médecins, juristes, sociologues, dénoncent
ce qu’ils appellent les difficultés d’accès aux soins ou
même le refus de soins des personnes très âgées. Citons
encore le texte «  Droits, devoirs et libertés du grand
âge  » à ce propos  : «  La plus grande épidémie de nos
jours n’est pas celle, négative, du SIDA, mais celle,
positive, de la multiplication des vieillards et des grands
vieillards. Cet évènement, le principal du prochain
siècle, est positif…
337 Cependant, le grand vieillard a une physiologie, une
pathologie, une thérapeutique différentes de l’adulte.
Nos médecins n’ont pas reçu la formation nécessaire.
Nos hôpitaux n’ont pas prévu les structures nécessaires,
nos organismes de recherche n’ont prévu pour ainsi
dire aucune recherche.
338 Or, dès aujourd’hui, les maladies du grand âge coûtent
le plus cher et causent le plus d’infirmités. Un malade
atteint de démence de type Alzheimer coûte plus cher à
la société qu’un SIDA. Et chaque année, il y a plus de
nouveaux cas d’Alzheimer que de nouveaux cas de
SIDA. Sidéens et sidologues ont su créer une dynamique
médiatique telle que tous se sentent concernés par les
progrès dans le SIDA, dans la prise en charge et dans le
refus des exclusions. Crédits et postes se sont multipliés.
Progrès des connaissances et des thérapeutiques ont
suivi, améliorant considérablement le pronostic, même
en l’absence de découverte radicale  : ceci ne devrait-il
pas être un modèle pour les gérontologues. La
gérontologie continue d’être la parente pauvre de toutes
les disciplines, alors que les personnes âgées
représentent déjà la majorité des dépenses médicales.
Quels progrès, quelles préventions, quelles guérisons
donc, quelles économies seraient obtenues si une même
sensibilisation avait existé !
339 Au lieu de cela, on discute gravement d’euthanasie,
forme hypocrite du refus de soins, alors que ce qui
frappe tous les jours les personnes âgées c’est le
renoncement thérapeutique injustifié. Parce que la
personne est âgée, tout est attribué à l’âge et elle n’est
pas soignée en temps utile. Ensuite devant le patient,
rendu infirme par des maladies qui auraient été
curables, on jugera inutile chez quelqu’un d’aussi
dépendant de faire le geste curateur nécessaire et
suffisant. Les personnes âgées sont les victimes
quotidiennes de l’ignorance et de l’obscurantisme de
plus en plus à la mode »52.
2.1.5. La dépendance et l’infantilisation
340 Citons toujours le même texte à ce propos  : «  La
dépendance  : elle est la crainte du grand âge. Par les
problèmes humains d’abord : toutes les personnes âgées
ont peur de la dégradation physique et surtout mentale.
Elles ont peur des contraintes intolérables qui
l’accompagnent  ; rejet des circuits de soins,
enfermement dans des conditions parfois misérabilistes,
mépris de la société, restent malheureusement
fréquents. Il faut y ajouter l’inutile culpabilisation de
l’entourage. Pire : la culpabilisation de la personne très
âgée d’être là, de gêner, de coûter cher.
341 Problèmes financiers ensuite  : le dépendant âgé est
traité dans la plupart des pays comme un « cas social »…
342 La dépendance étant «  sociale  », l’entrée en institution
n’est pas l’objet d’une prise en charge gériatrique, si
bien qu’une personne ayant dépendance curable peut
être placée définitivement sur demande de la famille,
des voisins, de l’assistante sociale.
343 …
344 L’entrée en institution pour dépendance, décision grave,
difficilement réversible, devrait être le résultat d’une
évaluation médico-sociale qui puisse établir que c’est la
meilleure solution pour le malade et qui puisse vérifier
son niveau de consentement. Cette évaluation devrait
être refaite à plusieurs reprises avant que
l’institutionnalisation puisse devenir définitive. Ainsi les
placements inutiles seraient évités, ainsi la personne
âgée dépendante aurait autant de garanties que le
malade mental dangereux (qui, lui, est protégé par la
loi) »53.
345 A propos de l’infantilisation du grand âge, les mêmes
auteurs écrivent  : «  Lutter contre l’infantilisation est
difficile, car c’est un mouvement spontané des familles
et des soignants de materner leurs malades, mais aussi
des médecins à paterner avec autorité, alors que lutter
contre la dépendance, c’est rééduquer, c’est refaire le
travail d’évolution vers l’indépendance qui a été
l’éducation des enfants. C’est faire quitter l’enfance, non
la restaurer. Cette infantilisation est omniprésente. On
peut la retrouver dans certaines animations des
institutions, dans certaines initiatives des mairies. Elle
part souvent d’une bonne volonté irréfléchie, mais
d’autres fois de la facilité. Même vis-à-vis du dément, ce
ne doit jamais être l’attitude. La personne âgée est
sensible au maintien de sa dignité surtout quand la
maladie la rend dépendante physiquement, mais aussi
dans la dépendance mentale. Lorsque la communication
est rompue, ce drame doit recevoir une autre réponse
qu’une condescendance goguenarde »54.
346 C’est donc dans ce contexte que surviennent pour la
personne âgée les maladies liées à l’âge, et qui
entraînent l’incapacité proprement dite, démences
séniles en tous genres, et en particulier la maladie
d’Alzheimer dont il a été question.
347 Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1991, les
juges de paix visitent un grand nombre de personnes
âgées, de tous âges, de toute condition physique ou
sociale, en institution ou à domicile, et qui ont toutes
ceci en commun que quelqu’un demande de les déclarer
incapables de gérer leurs biens et de leur désigner un
administrateur provisoire55.
348 La perception de la capacité de discernement dans
laquelle se trouve une personne âgée est chose souvent
peu aisée. Bien sûr, il y a des cas évidents où la
personne est devenue une véritable «  présence
absente  », qui ne parle plus, ne réagit plus, ne bouge
plus.
349 Mais à côté de ceux-là, qui vivent la plupart du temps en
institution, nous avons visité quantité de personnes
âgées, presque toujours des femmes d’ailleurs, vivant
encore chez elles ou déjà placées dans un home, qui
paraissaient raisonnablement aptes à vivre dans une
certaine indépendance, parlant et communiquant
normalement avec autrui, et que l’on demandait de
déclarer juridiquement incapables. Bien sûr, il y avait
un certificat médical joint à la requête, mais ainsi que
nous avons déjà eu l’occasion de le signaler à propos des
malades mentaux, les médecins sont rarement d’un
grand secours lorsqu’il s’agit d'incapacité juridique.
Tout d’abord, parce qu’ils ne perçoivent généralement
pas l’enjeu véritable de l’administration provisoire
(qu’ils prennent généralement pour une sorte de simple
assistance).
350 Ensuite, parce que les certificats qui accompagnent
généralement les requêtes fondées sur l’article 488 bis
sont généralement fort vagues et sommaires. Des
certificats déclarant que « l’intéressée est âgée de 90 ans
et ne peut plus gérer convenablement ses biens » (sans
autre précision) ou encore «  la personne intéressée
souffre de pertes de mémoire  » ou «  difficultés
d'orientation dans le temps et dans l’espace  »,
n’apportent rien de bien concret au juge qui se retrouve,
en définitive, seul à devoir juger de l’incapacité de la
personne qu’il a devant lui.
351 Les difficultés concrètes de gestion ne sont en effet pas
toujours clairement établies au moment du dépôt de la
requête, les proches n’ayant souvent à ce moment que
des présomptions de difficultés. Ce ne sera en général
que bien plus tard, lorsque l’administrateur sera
désigné, qu‘il découvrira les problèmes en examinant
les comptes et les « papiers ».
352 Un des phénomènes les plus troublants chez certaines
personnes âgées, c’est l’alternance des périodes de
lucidité et de démence plus ou moins intense. Et la visite
du juge peut avoir lieu durant un intervalle lucide.
353 Dans une vision des choses que nous pensions
pragmatique et réaliste, nous avons d’abord pensé que
la bonne solution pour déterminer si une personne
âgée, apparemment «  normale  », devait ou non être
mise sous administration provisoire, consistait d’abord
à requérir l’opinion de la personne elle-même au sujet
de la mesure sollicitée, en lui expliquant clairement la
portée de celle-ci, et à réserver ensuite les mesures
d’expertise et d’investigation plus approfondie aux seuls
cas où la mesure serait contestée par la personne âgée.
Et chose curieuse, dont nous n’avons pas bien perçu la
portée avant la lecture de l’ouvrage « L’homme très âgé :
quelles libertés  ?  », dans la plupart des cas rencontrés,
la mesure a été acceptée par la personne âgée. Les
véritables oppositions des personnes âgées aux mesures
que l’on prend à leur sujet sont rares, et le seul cas que
nous avons connu d’opposition très nette, et
permanente, a effectivement donné lieu à un refus de la
mesure.
354 Nous avons d’abord attribué ce phénomène au fait qu’il
s’agissait toujours de femmes, d’une génération qui n’a
pas connu l’indépendance que les femmes connaissent
aujourd’hui, et qui étaient d’ailleurs, pour la plus
grande partie de leur existence, de véritables incapables
juridiques puisque c’était effectivement le statut de la
femme mariée jusqu’en 1976.
355 Mais les actes du 3e Congrès francophone des droits de
l’homme âgé, Genève, 1991, que nous avons déjà
abondemment cités, contiennent une contribution
relative à la résignation des personnes âgées, et la
lecture de ce texte nous a fait entrevoir que le problème
est à la fois beaucoup plus profond et beaucoup plus
important que nous ne l’avions entrevu de prime abord.
356 L’importance de cette question, qui dépasse d’ailleurs
dans une certaine mesure la question des seules
personnes âgées, est telle qu’il nous a paru intéressant
d’y consacrer une partie de ce chapitre.
3. Acceptation passive et résignation : le problème du
consentement
357 Dans la contribution au congrès précité, sous le titre
«  Quand l’acceptation passive, pour ne pas dire la
résignation, tient lieu de consentement », Louis Ploton et
Françoise Souillard, tous deux psychiatres en France,
soulèvent l’importante question du consentement des
personnes âgées au placement et aux autres mesures
dont elles font l’objet.
« Pourquoi quitter son domicile ?
358 Les signaux d’alarme se multiplient  : erreurs, oublis
(eau, gaz), chutes, malaises…
359 L’hospitalisation apparaît comme une solution dans
l’immédiat et, en fait, elle risque fort d’être le point de
départ d’une institutionnalisation.
360 En effet, il faut peu de choses pour rompre l’équilibre
précaire qui s’était instauré entre le vieillard et son
entourage. La famille, soulagée de ne plus vivre dans
l’angoisse permanente de la catastrophe, consentira à
un placement à la place de la personne âgée, placement
que même elle souhaitera à sa place.
361 Le transfert de responsabilité opéré sur la famille,
transfert qui signait l’entrée dans la dépendance pourra,
ce faisant, être reporté sur l’institution et dégager la
famille de sa position d’otage des sentiments qu’elle
porte à un parent.

Si ce n’est le vieillard, qui décide du placement ?
362 Le droit au choix ou la possibilité de contracter sont
souvent contestés à la personne âgée, compromettant
ainsi sa liberté, considérant que son état mental est tel
qu’elle ne peut plus comprendre ni décider, et on va, ce
faisant, se permettre de se passer de son avis.
363 Bien sûr, si la personne âgée est reconnue démente, son
incapacité à contracter est juridiquement admise. Mais
si une mesure de tutelle ou de curatelle a été prise à son
encontre, elle ne dispense cependant pas d’informer
l’intéressé des projets en cours, et de tenter d’obtenir
son assentiment. Il est à noter que la loi française
de  1968 concerne principalement la protection du
patrimoine et reste peu explicite et insuffisante en ce
qui concerne la protection de la personne.

364 Quand la personne est inapte à exprimer verbalement
son acceptation ou son refus, qui peut alors décider ? Le
tuteur, s’il existe, la famille ou le conseil de famille…
365 La liberté de la personne est alors d’autant plus
compromise que non seulement on se passe de son
consentement, mais en plus de son information. La
personne très âgée, la personne démente peut alors
avoir à subir moult placements ou orientations
successives en fonction des aléas de ses troubles
somatiques ou de ses troubles du comportement… sans
jamais être au préalable informée, dans le mépris
complet de son statut de personne, de sa liberté depuis
longtemps aliénée, au détriment de ce qui persiste en
elle de vie affective et de perception du monde, aussi
globale que soit cette perception, et en totale négation
de son droit à la dignité la plus élémentaire.
366 Les médecins participent souvent à ces prises de
décision (ou à ces coalitions  ?) qui conduisent à des
transferts en établissements de soins ou d’hébergement.
367 En résumé, qui donc assume la responsabilité d’un
placement ?

la personne âgée  : rarement, nous venons de le


voir ;
la famille : éventuellement,…
les professionnels sanitaires et sociaux, dont le
médecin  : ce sont eux qui, en définitive, auront à
assumer cette responsabilité, soit à la demande
d’un tiers, souvent la famille, soit seuls (en l’absence
de famille proche) pris entre, d’une part, les limites
de la non-assistance à personne en danger et,
d’autre part, le non-respect de la liberté du patient
de refuser toute aide extérieure, participant ainsi à
une forme d’acharnement assistanciel.

368 En proie à un véritable cas de conscience, le médecin


peut ainsi « pour se couvrir » commettre des erreurs. Il
faut également noter que les acteurs d’un maintien à
domicile ne bénéficient d’aucune protection juridique
par rapport aux risques qu’ils prennent
quotidiennement pour respecter le plus longtemps
possible la volonté du patient de vivre chez lui.
369 Ainsi, les professionnels peuvent en quelque sorte, eux
aussi, se protéger, ou se sentir en sécurité par le fait que
« leur » patient soit « placé ».
370 Qui plus est, concernant le médecin, il est soumis en
milieu hospitalier à des impératifs matériels tels que par
exemple  : la nécessité de libérer des lits dans son
service, impératifs qui le conduisent à être lui-même
demandeur de placement…
371 Or, s’il y a un risque concernant la dynamique du
placement, c’est :

celui de la dilution des responsabilités,…


celui, en définitive, de faire l’économie d’une
réflexion conduite avec une méthode rigoureuse
(c’est-à-dire, aussi faire l’économie de penser) ;


372 Qu’en est-il alors du consentement libre et éclairé de
l’intéressé ?

373 Si peu de personnes âgées souhaitent entrer en
établissement, on observe en général, les concernant, un
conflit entre le désir et la nécessité, nécessité qui fera
souvent loi en ce qui les concerne.
374 D’une certaine façon, on pourrait dire à propos de
l’accord de la personne âgée que  : «  qui ne dit mot
(maux ?) consent », et qui ne se révolte pas est supposé
être d’accord.
375 On est d’ailleurs en droit de se poser la question de
savoir pourquoi «  tout le monde  » est, d’une certaine
façon, complice pour se passer du consentement de la
personne âgée qui, elle-même, va souvent se prêter à ce
jeu… et donc consentir !
376 Si la volonté de contracter est un fait psychologique, on
peut souvent, en ce qui concerne la personne âgée,
parler de consentement par démission, soumission ou
lassitude : « Je ne veux pas déranger », « Faites de moi ce
que vous voudrez  » (ce qui est aussi une façon
d’agresser et de culpabiliser l’autre en se posant comme
victime). Le consentement peut également être obtenu
par incompréhension ou manque d’information, le
patient n’ayant manifestement pas, par exemple,
«  compris  » qu’il quittait son domicile de façon
définitive (on lui annonce qu’il part en maison de repos,
ou pour un placement temporaire).
377 Qui plus est, quand une place se libère dans un
établissement, elle est généralement «  à prendre ou à
laisser  » séance tenante, et cela que le moment soit ou
ne soit pas opportun pour l’intéressé.

378 Quelles sont alors les mesures de protection en vigueur
et les possibilités de recours pour les personnes âgées
pour se démettre du contrat consenti ?

379 En fait, il ne semble bien rester à la personne âgée que
la voie du silence, ou de la régression, dans une
acceptation passive du sort qui leur est réservé ou bien
alors l’expression de leurs maux, sous forme de
problèmes somatiques ou de troubles du
comportement  : maux du corps, expression
comportementale inconsciente, qu’il conviendra de
déchiffrer.
380 Aussi, s’il est une tâche, un devoir important du
soignant s’occupant des personnes âgées, c’est bien
d’être attentif à ce qui tient, faute de mieux, lieu de
langage chez les patients.

381 En conclusion, je serai tenté de rappeler que si on parle
beaucoup du vieillard, trop souvent à notre niveau,
celui des professionnels, on ne lui parle pas assez, se
contentant d’agir à sa place, «  oubliant  » de l’informer
de nos démarches et de nos actions, et ce quel que soit
son état apparent.
382 Le respect de la personne du sujet âgé et de ses libertés
devrait lui offrir la possibilité de rester associé aux
choix le concernant, jusqu’au terme de sa vie. Entre
autres, il serait bon de veiller à ce que consentement (au
placement en institution) cesse de rimer avec
renoncement, mais puisse être beaucoup plus associé à
la notion essentielle de confort de fin de vie »56..
383 Si nous avons si longuement cité ce texte, c’est qu’il
soulève des problèmes essentiels qui déterminent la
manière, à la fois de décider d’une administration
provisoire éventuelle, et d’en exercer la mission, lorsque
celle-ci est décidée.
384 Ainsi que nous le verrons ci-dessous, ce texte constitue
un véritable défi pour tous les professionnels (et pas
seulement ceux de la santé) et permet de définir une
orientation au travail de l’administrateur provisoire et
du juge de paix dans l’importante mission qu’il a de
suivre et de contrôler sa gestion.
4. La protection juridique : l’administration provisoire et ses
particularités
4.1 Qui désigner comme administrateur provisoire ?
385 C’est dans le cas des personnes âgées ou très âgées que
la désignation d’un administrateur provisoire
professionnel semble s’imposer avec le plus d’évidence.
386 Généralement, ces personnes n’ont plus de proche
famille, et souvent plus de famille du tout. Bien plus : on
peut dire que la plupart du temps, si l’administration
provisoire est demandée, c’est parce que la personne
âgée est totalement isolée. Lorsqu’une de ces personnes
est entourée de ses enfants et petits-enfants (même s’ils
ne cohabitent pas), elle trouvera chez eux une
protection et un soutien naturel suffisants, qui rendent
superflue toute mesure de protection juridique.
387 Il arrive cependant assez souvent que des parties
requérantes à la mise sous administration provisoire
d’une personne âgée — neveu, arrière-neveu ou cousin
— demandent d’être elles-mêmes désignées comme
administrateur.
388 La réaction du juge sera généralement une réaction de
méfiance, certains de ces parents éloignés paraissant
bien souvent plus préoccupés de préserver leur futur
héritage que la personne âgée elle-même. Et même si, de
temps à autre, pour des raisons pas toujours explicables,
tel ou tel parent paraîtra digne de confiance et
désintéressé, la prudence face aux conflits d’intérêts
toujours présents fera le plus souvent pencher la
balance en faveur de l’administrateur professionnel
indépendant et ayant la confiance du juge.
389 Cette solution, pour souhaitable qu’elle paraisse, en tous
cas dans le cadre actuel du droit et des infrastructures
sociales, présente cependant un inconvénient majeur  :
celui de l’institutionnalisation dont il a été
abondamment question dans le chapitre précédent.
390 En effet, les commentaires et remarques que faisaient
les docteurs Ploton et Souillard à propos des effets
pervers de la responsabilité professionnelle des
médecins lorsqu’il s’agit de décider d’un placement
d’une personne âgée, concernent tout autant les juristes
que sont les administrateurs provisoires professionnels.
Eux aussi, auront généralement ce réflexe de se
« protéger » et de se sentir mis en sécurité par le fait que
« leur » administré soit « placé »…
391 Et de fait, dans bon nombre de cas où nous avons
désigné un administrateur provisoire professionnel à
une personne âgée vivant encore chez elle, une
demande de placement s’en est suivi, avec demande
d’autorisation de liquider l’appartement ou la maison
occupée par la personne âgée, et de mettre en vente le
mobilier…
392 Le fait que la loi du 18 juillet 1991 ne concerne que la
gestion des biens et non le gouvernement de la
personne ne change rien à cet état de fait, comme nous
allons le voir ci-après. Et quelle que soit l’importance
des arguments en faveur des administrateurs
professionnels, il n’en demeure pas moins qu’au stade
actuel des choses, dans la majorité des cas, seul un
administrateur familial, parent de la personne âgée
qu’il administre, osera prendre le risque de laisser celle-
ci dans son domicile…
4.2 Administration provisoire : gestion des biens ou gouvernement
de la personne ?
393 Le rapport Herman-Michielsens précise57  :
«  ..l’administrateur doit pouvoir assurer une gestion
personnalisée. La gestion des biens ne peut donc pas
être simplement considérée comme une gestion
matérielle, mais elle doit aussi être axée sur la personne
à protéger ».
394 Il n’en demeure pas moins que la loi du 18 juillet 1991
ne concerne, en principe, que la gestion des biens d’une
personne incapable, et la question de savoir quels sont,
en fait, les pouvoirs et les fonctions de l’administrateur
provisoire fait actuellement l’objet de beaucoup de
discussions.
395 Nous avons déjà partiellement abordé ce problème dans
diverses parties de la présente contribution, en
soulignant combien théorique était la distinction entre
gestion des biens et gouvernement de la personne, tant
il est vrai que le moyen le plus efficace de contrôler une
personne est de contrôler ses finances. Nous ne nous
étendrons pas ici sur cet aspect des choses.
396 Le point de vue sous lequel nous allons à présent
envisager le problème, part de la question, ô combien
délicate, nous l’avons vu, du placement des personnes
âgées en institution, et du changement d’institution.
397 Un certain nombre d’administrateurs professionnels
estiment qu’ils n’ont pas le pouvoir de prendre une telle
décision en lieu et place de la personne protégée, et
théoriquement, ils ont raison.
398 Mais, sous peine de faire preuve d’hypocrisie, il faut
bien admettre que, dans ce domaine, la théorie est sans
rapport avec la pratique.
399 Tout d’abord, parce que ce n’est que très
exceptionnellement (voire jamais), que la personne
protégée prend une initiative dans ce domaine. Les
demandes de placement ou de changement
d’établissement émanent quelquefois des familles, mais
le plus souvent des professionnels de la santé et de
l’assistance, ainsi que cela a été démontré par les
docteurs Ploton et Souillard dans le texte cité ci-dessus.
400 De plus, la personne âgée, face à ces initiatives, réagit
généralement par l’acceptation passive et la résignation.
401 Dans ces conditions, quelle marge de manœuvre
l’administrateur provisoire a-t-il encore pour refuser un
placement ou un transfert lorsque médecins, assistants
sociaux et membres de la famille se coalisent pour
l’exiger, et que de plus, la personne protégée ne s’y
oppose pas clairement, faisant preuve de cette fameuse
résignation, caractéristique des personnes âgées, mais
que l’on rencontre aussi chez les autres catégories
d’incapables majeurs, malades mentaux et arriérés
mentaux notamment ?
402 Bien plus, l’administrateur qui refuserait un placement
sollicité par les professionnels de la santé et de
l’assistance et n’accepterait pas de signer le contrat avec
le home que les services sociaux hospitaliers ou non ont
eu tant de mal à trouver, n’engagerait-il pas justement
sa responsabilité professionnelle ?
403 Le problème n’est pas simple, on le voit, et la tentation
est grande, dans ce domaine, de modifier les textes
légaux dans le but de résoudre les questions qui se
posent. A notre estime cependant, les problèmes liés au
gouvernement de la personne des incapables ne doivent
pas faire l’objet d’une quelconque intervention
législative. Il nous apparaît, au contraire, et nous y
reviendrons en conclusion, qu’une sérieuse
investigation de la réalité humaine et sociale des
personnes concernées démontrerait la nécessité d’une
non-immixtion de la loi dans cette matière.
404 Aussi, nous ne sommes pas parmi ceux qui, au nom
d’une apparente efficacité juridique, réclament
d’urgence l’extension de l’administration provisoire au
gouvernement de la personne58. Ainsi que nous aurons
l’occasion de l’examiner plus loin, une extrême
prudence s’impose dans ce domaine où les droits de
l’homme les plus essentiels sont en jeu.

d) l’administration provisoire (art. 488 bis) comme outil général


de protection des incapacités de toute origine
405 La souplesse de cette nouvelle disposition légale en fait
un outil privilégié pour résoudre, en dehors des
différents cas d’incapacité longuement étudiés ci-dessus,
les difficultés plus ou moins temporaires de toute une
série de personnes que l’on ne songe pas tout de suite à
classer comme « incapables ». D’autre part, une série de
caractéristiques propres à ce régime et communes à
tous les incapables qu’il protège méritent d’être relevées
ici.
1. Les incapacités dites « physiques » — le cas des comas
406 Il ressort de l’intitulé de la loi du 18 juillet 1991, qui
parle «  d’état physique ou mental  » et du texte de
l’article 488 bis A, qui parle d'«  état de santé  » sans
autres précisions, que des incapacités à caractère
«  physique  » peuvent aussi donner lieu à désignation
d’un administrateur provisoire. Cela a, au début, suscité
un certain émoi dans certains milieux de handicapés
physiques, dont certaines associations ont adressé des
circulaires inquiètes aux juges de paix59. Cette
inquiétude résultait manifestement d’un malentendu, et
il est bien évident qu’en permettant d’étendre
l’administration provisoire aux incapacités physiques, le
législateur visait exclusivement celles qui avaient une
incidence sur l’état mental, donc la capacité de gérer.
Tant qu’une personne reste capable d’exercer et de
manifester sa volonté, elle peut continuer à gérer elle-
même ses biens, fût-ce par mandataire interposé.
407 Cela n’est évidemment pas le cas d’une personne dans le
coma. Un coma peut avoir des causes fort diverses,
telles que certains accidents (de la route ou simples
chutes) ou certaines maladies telles que l’encéphalite
aiguë par exemple. Les comas peuvent être variables
tant dans leur durée (quelques jours ou quelques mois)
que dans leurs effets (inconscience totale ou partielle,
avec ou sans difficultés motrices). L’issue de ces comas
est, elle aussi, fort variable et peut aller de la
récupération totale de l’ensemble des facultés au décès,
en passant par tous les stades intermédiaires possibles
de récupération partielle.
408 Les juges de paix ont eu l’occasion, à diverses reprises,
de mettre de telles personnes sous administration
provisoire, et c’est sans doute l’un des seuls domaines
où l’application rapide de la loi nouvelle peut être
approuvée sans réserves. S’agissant, en effet, d’adultes
jouissant de leur pleine capacité lorsque la maladie ou
l’accident les atteint, on peut être à peu près sûr que dès
que la mesure ne sera plus justifiée, sa levée sera
demandée par la personne concernée. Les risques
d’abus sont ici beaucoup plus réduits que pour les trois
grandes catégories d’incapables que nous avons
étudiées, puisqu’il n’y a ici ni phénomène de
résignation, ni processus de dégradation progressive des
relations familiales et sociales.
409 On trouvera donc fréquemment dans l’entourage de ces
personnes de la famille proche, conjoints et enfants, qui
seront tout naturellement désignés pour exercer la
fonction d’administrateur provisoire.
410 Signalons d’ailleurs que s’agissant du conjoint, le Code
civil contient déjà depuis longtemps une disposition
permettant d’arriver au même résultat pratique que
l’administration provisoire  : l’article 220 qui permet à
l’époux dont le conjoint est dans l’impossibilité de
manifester sa volonté, d’être autorisé par le tribunal de
première instance à passer seul certains actes, et par le
juge de paix à percevoir les revenus du conjoint en ses
lieu et place.
2. Durée de l’administration provisoire
411 Comme, d’une part, «  Par ordonnance motivée, le juge
de paix peut à tout moment soit d’office, soit à la
demande de la personne protégée ou de toute personne
intéressée ainsi qu’à celle du procureur du Roi ou de
l’administrateur provisoire, mettre fin à la mission de ce
dernier, modifier les pouvoirs qui lui ont été confiés, ou
le remplacer  »60, et que, d’autre part, «  Le juge définit,
compte tenu de la nature et de la composition des biens
à gérer ainsi que l’état de santé de la personne protégée,
l’étendue des pouvoirs de l’administrateur
provisoire  »61, il semble bien que le juge de paix ait
totale liberté pour déterminer la durée de
l’administration provisoire.
412 Il peut, dès lors, soit prendre une mesure à durée
indéterminée, soit une mesure à durée déterminée62. Le
choix entre l’une et l’autre formule sera généralement
dicté par des considérations d’opportunité. Le juge aura
tendance à limiter la mesure dans le temps s’il estime
que vraiment l’incapacité n’aura qu’une durée limitée,
ou si c’est du moins ce qu’il souhaite faire croire à
l’incapable.
413 Mais le plus souvent, la limitation dans le temps aura un
tout autre but  : s’assurer que la situation sera
effectivement revue au bout d’un certain temps (3 à
5  ans par exemple). Compte tenu de l’encombrement
que connaissent la plupart des justices de paix, il
devient vite impossible, dès lors que l’on a quelques
dizaines ou même quelques centaines d’administrations
provisoires en cours, de revoir périodiquement
«  d’office  » le bien-fondé de chaque administration
provisoire. La durée limitée dans le temps, au contraire,
contraindra l’administrateur provisoire, ou tout autre
intéressé, à redéposer une nouvelle requête, assortie
d’un nouveau certificat médical, nouvelle requête qui
fera l’objet d’un nouvel examen approfondi.
414 La loi du 26 juin 1990 a, entre autres, pour but et pour
effet d’éviter que l’on « oublie » dorénavant les malades
mentaux mis en observation ou maintenus dans les
hôpitaux psychiatriques. Il ne faudrait pas arriver
aujourd’hui à ce que, par la systématisation des mesures
à durée indéterminée, on « oublie » les administrations
provisoires.
415 Car, ainsi que cela résulte de tout ce qui a été décrit
dans la présente contribution, les situations de
dépendance ont «  naturellement  » tendance à
s’éterniser, et si l’on n’y prend garde, l’administration de
l’article 488 bis, n’aura bientôt plus de « provisoire » que
le nom…
416 Cependant, cette limitation des administrations
provisoires dans le temps n’est pas sans conséquences
juridiques, notamment sur la compétence territoriale
des juges de paix. Le juge de paix devra y être attentif,
afin d’éviter certains effets non désirables de sa
décision.
3. La compétence territoriale du juge de paix
417 Après que la première requête ait été déposée devant le
juge de paix territorialement compétent en raison de la
résidence et, à défaut, du domicile, de la personne à
protéger, il est fréquent que celle-ci déménage (avec ou
sans « placement ») et change de canton. Quel est alors
le juge de paix territorialement compétent pour
connaître de tout le «  suivi  » de l’administration
provisoire, avec les autorisations en tout genre qui
doivent être demandées par l’administrateur, et les
rapports de gestion que celui-ci doit adresser
annuellement au juge  ? Bien que le texte de la loi soit
muet à ce propos, il résulte clairement de son esprit que
tant que dure l’administration, c’est le juge qui a pris la
décision de placer la personne concernée sous cette
administration qui reste compétent63. Affirmer le
contraire aboutirait à des absurdités.
418 Mais cette situation peut avoir des effets non voulus par
le juge, et notamment l’obligation pour celui-ci de
quitter son canton chaque fois qu’il devra revoir la
personne protégée (en cas de demande d’autorisation de
résilier le bail de son appartement ou de vendre son
mobilier, par exemple). Or, on sait à quel point cette
obligation pèse à certains juges de paix.
419 Cette obligation ne dure cependant que tant que dure
l’administration provisoire. Et limiter une telle mesure
dans le temps devient, dès lors, pour le juge de paix le
seul moyen, à long terme, d’éviter de devoir assurer le
suivi de personnes incapables qui n’habitent plus
depuis longtemps dans son canton. La nouvelle
demande de mise sous administration provisoire devra
en effet être introduite devant le juge de la résidence de
la personne à ce moment-là.
420 Il peut, bien sûr, arriver que ce soit justement un effet
que le juge de paix cherche à éviter, surtout dans des
affaires particulièrement délicates, où une décision
nuancée a longuement été élaborée, et où
administrateur provisoire ou famille pourraient être
tentés de tout remettre en question devant un nouveau
juge qui ne connaît pas les antécédents de l’affaire.
421 Dans ce cas, le juge de paix aura, bien sûr, la prudence
de prendre une décision à durée indéterminée, et il
restera donc compétent.
4. Les mesures de publicité
422 L’article 488 bis E dispose que :
423 «  § 1er. Toute décision portant désignation d’un
administrateur provisoire ou modifiant les pouvoirs de
ce dernier est, à la diligence du greffier, insérée par
extrait au Moniteur belge.
424 Il en est de même des décisions de mainlevée ou
infirmatives…
425 § 2. Le juge de paix, tenant compte de la mission limitée
de l’administrateur provisoire, peut décider que les
décisions visées au § 1er feront uniquement l’objet
d’une notification par les soins du greffier aux
personnes qu’il détermine.
426 § 3. Le Roi peut prescrire d’autres mesures de publicité
à prendre dans l’intérêt des tiers ».
427 D’aucuns se sont posés la question de savoir si la
publication au Moniteur était une mesure de publicité
suffisamment efficace pour protéger les tiers.
L’existence même du § 3 nous laisse supposer que le
législateur avait aussi quelques doutes à ce sujet.
428 Car enfin, peu de personnes lisent, en définitive, tous les
jours le Moniteur, et on se pose naturellement la
question de savoir comment un tiers, comme un
commerçant par exemple, peut savoir si la personne
qu’il a en face de lui est capable ou non.
429 Il ressort toutefois de la pratique que ce problème a peu
de chances de se poser. En effet, les banques, les
assurances, les organismes de crédit et les organismes
de sécurité sociale, eux, non seulement lisent le
Moniteur mais sont, de plus, parfaitement capables de
traiter les informations qui s’y trouvent. Dès lors, dès la
parution au Moniteur, l’incapable sera rapidement mis
dans l’impossibilité de pouvoir disposer de ses avoirs en
banque, de toucher lui-même ses allocations sociales,
d’obtenir un crédit, etc… Les tiers seront, dès lors,
suffisamment protégés par le fait que l’incapable, même
s’il désire s’engager, ne pourra en tous cas ni payer en
liquide, ni par chèque, ni par carte, ni même fournir un
acompte, ni payer un mois de loyer ou une garantie…
430 Dans la pratique, la publication au Moniteur est donc
devenue une mesure de publicité redoutablement
efficace, d’autant plus qu’elle se doublera toujours d’une
série de courriers que l’administrateur provisoire
adressera, dès l’acceptation de sa mission, à tous les
débiteurs et créanciers de l’incapable pour les informer
de la situation.
431 C’est donc une mesure de publicité suffisante et qui
présente, en outre, l’avantage, par sa relative discrétion,
de ne pas être humiliante pour l’incapable. C’est, à notre
sens, loin d’être le cas pour la minorité prolongée, où cet
état est mentionné sur la carte d’identité. Une telle
mesure peut se concevoir pour l’arriération mentale
grave, lorsque l’état de la personne protégée la rend
relativement insensible à ce que la mesure a
d’humiliant, encore que l’on ne voit pas dans ce cas la
véritable nécessité de la mesure. Mais elle nous paraît
en tous cas à proscrire pour les autres incapables.
432 D’autre part, il faut insister sur le fait que la mesure de
publicité que constitue la publication au Moniteur est
aussi une mesure absolument nécessaire, en tous cas
lorsque l’administrateur est investi de la totalité des
pouvoirs de l’article 488 bis. Seule cette publication rend
la désignation opposable à tous les tiers, et rend par
exemple irrecevable une citation en justice dirigée
contre l’incapable lui-même.
433 Mais la mesure est bien souvent nécessaire aussi, en
pratique, même lorsque les pouvoirs de l’administrateur
sont limités : bon nombre d’administrateurs provisoires,
généralement les administrateurs familiaux, mais
quelquefois aussi les professionnels, éprouvent des
difficultés, à leur entrée en fonction, à convaincre les
tiers à qui ils s’adressent de la réalité de leurs pouvoirs,
et la présentation du Moniteur constitue, dès lors,
souvent le seul moyen de se faire accepter dans les faits
comme étant réellement le représentant de l’incapable.
434 Il ne faut, dès lors, à notre avis, dispenser de la
publication au Moniteur que dans des cas tout à fait
exceptionnels.

Section 4. La sanction judiciaire de l'incapacité


435 Pour plus de détails concernant cette matière
extrêmement technique et au demeurant fort vaste,
nous renvoyons le lecteur à De Page pour tous les
régimes d’incapacité en vigueur avant la loi du 18 juillet
1991, et à Jean-Pol Masson pour la loi du 18 juillet
199164.
436 Dans le cadre de la présente réflexion, nous nous
contenterons de rappeler les principes en vigueur dans
cette matière, principes dont certains ont d’ailleurs déjà
été abordés dans les chapitres qui précèdent.

a) Les mineurs d’âge


437 -Tous les actes accomplis par les mineurs non pourvus de
discernement (les petits enfants) sont nuls. Comme pour
tous les incapables, il s’agit d’une nullité relative qui ne
peut être invoquée que par celui qu’elle protège, c’est-à-
dire le mineur ou son représentant légal ainsi que par
les héritiers du mineur.
438 De plus, aucune responsabilité aquilienne n’est possible
dans leur chef (art. 1382 c. civ.). Cela signifie que n’ayant
pas de discernement, ils ne peuvent commettre aucune
faute et ne peuvent être personnellement tenus à
réparation sur leur patrimoine propre. Par contre, la
responsabilité de leurs père et mère peut
éventuellement être engagée sur base de l’article 1384,
alinéa 2 du Code civil.
439 - Pour les mineurs d’âge pourvus de discernement, sont
nuls seuls les actes « nuls en la forme » (c’est-à-dire ceux
que le tuteur ne peut accomplir seul — voir supra). Ici
encore, il ne s’agit que d’une nullité relative.
440 Seront valables les actes que le mineur de plus de 15 ou
16  ans pouvait accomplir en vertu de dispositions
légales particulières (voir supra).
441 Tous les autres actes ne sont que rescindables pour cause
de lésion. Cela signifie que s’il souhaite attaquer un acte
qu’il a accompli, le mineur ou son représentant légal
devra rapporter la preuve qu’il a été lésé par cet acte,
soit que l’acte par lui-même était lésionnaire (par un
prix excédant la valeur de la chose, par exemple), soit
que l’acte était lésionnaire par rapport aux possibilités
du mineur (le prix était correct mais le mineur ne
pouvait se le permettre par rapport au montant de ses
ressources). Lorsque la lésion est établie, l’acte pourra
être rescindé, ce qui équivaut en pratique à
l’annulation.
442 En ce qui concerne la responsabilité aquilienne (art.
1382 c. civ.), celle-ci sera normalement engagée pour un
mineur pourvu de discernement. Parce qu’il a du
discernement, il sait qu’il commet une faute et il pourra
être tenu de réparer le dommage qu’il a causé sur son
patrimoine propre. C’est une réalité juridique que
beaucoup de juristes perdent souvent de vue, à cause de
l’article 1384, alinéa 2, qui permet aussi dans ce cas de
mettre en cause la responsabilité des père et mère.
443 - En ce qui concerne le mineur émancipé seuls les actes
qu’il ne pouvait accomplir sans l’assistance du curateur
(voir supra) seront nuls (de nullité relative). Tous les
autres actes seront valables.
444 Sa responsabilité aquilienne sera normalement
engagée, et comme il est toujours mineur, ses père et
mère pourront être tenus sur base de l’article 1384,
alinéa 2, du Code civil.

b) Les mineurs prolongés


445 Nous avons déjà examiné leur situation plus haut.
Rappelons que la loi les assimile à des mineurs de moins
de 15  ans, et que s’il s’agit de vrais mineurs prolongés,
donc de personnes atteintes d’arriération mentale
grave, ils devront être assimilés aux mineurs non
pourvus de discernement au statut desquels il faudra, dès
lors, se référer.
446 Il existe cependant parmi les mineurs prolongés des
personnes qui ne se trouvent pas dans un état
d’arriération mentale grave, soit que le tribunal de
première instance ait adopté une interprétation
extensive de la loi dans un but de protection, soit que
l’état de la personne protégée s’est amélioré depuis la
décision judiciaire de mise sous statut de minorité
prolongée. Il nous est en tous cas arrivé de le constater
de visu à l’occasion d’un conseil de famille où le mineur
prolongé était présent et paraissait tout à fait capable de
discernement.
447 Comme la loi sur la minorité prolongée ne prévoit
nullement la nullité des actes accomplis par l’incapable,
il faut donc continuer à appliquer les règles relatives
aux mineurs d’âge et, dans le cas particulier que nous
venons de citer, les règles relatives aux mineurs pourvus
de discernement.

c) La mise sous conseil judiciaire (pour mémoire)


448 Ainsi que nous l’avons déjà signalé, la situation de la
mise sous conseil judiciaire est comparable à celle des
mineurs émancipés. Seuls les actes accomplis sans
l'assistance du conseil judiciaire, là où cette assistance
était requise, seront nuls à partir du jugement
prononçant la mise sous conseil judiciaire. Comme pour
les autres incapacités, il s’agit d’une nullité relative.

d) L’interdiction (pour mémoire)


449 L’article 502 du Code civil dispose que tous les actes
accomplis par l’interdit sont, à partir du jugement
prononçant l’interdiction, nuls de plein droit. Les actes
antérieurs au jugement d’interdiction seront, en vertu
de l’article 503, annulables si la cause de l’interdiction
existait notoirement au moment où l’acte a été
accompli.
450 Comme pour les autres incapacités, il s’agit d’une nullité
relative, mais à la différence des autres régimes
d’incapacité, cette nullité ne pourra être invoquée par
les héritiers de l’incapable que pour autant que son
interdiction ait été prononcée ou provoquée avant son
décès (art. 544 c. civ.).
451 Cette disposition, particulière à l’interdiction, avait pour
but de contraindre les héritiers d’un «  dément  » à
demander son interdiction, puisque celle-ci, était
d’après le texte de l’article 489, obligatoire.

e) L'administration provisoire
452 En vertu de l’article 488 bis I, tous les actes accomplis
par la personne protégée sont nuls à dater du dépôt de
la requête. Ceci constitue une différence importante
avec les autres régimes de protection des incapables
majeurs, pour qui la protection ne sort ses effets qu’à
partir du jugement.
453 Ceci a pour effet de permettre une protection très
rapide, même dans les cas plus complexes où
l’instruction de la cause par le juge de paix nécessite
certains délais.
454 Les actes visés par la loi ne sont, par ailleurs, que les
actes à caractère patrimonial, à l’exclusion des actes à
caractère personnel, comme déjà signalé.
455 Pour le surplus, la nullité est une nullité relative, comme
pour les autres incapacités.
456 En vertu de l’article 488 bis J, l’action en nullité se
prescrit par 5  ans à dater de la connaissance de l’acte
par l’incapable ou ses héritiers, ou à dater de la
signification qui leur en aura été faite postérieurement
à la fin des fonctions de l’administrateur provisoire
(pour la personne protégée) ou à dater du décès (pour
les héritiers).

f) Différence entre nullité relative et rescision pour lésion


457 Cette différence, évidente pour les juristes, pose
quelquefois problème pour les non juristes.
458 Le mineur qui veut obtenir la rescision pour lésion d’un
acte doit prouver qu’il a été lésé par l’acte.
459 Si la preuve de la lésion n’est pas rapportée, l’acte ne
pourra être rescindé et il restera valable. Le mineur sera
dès lors engagé par cet acte.
460 Aucune obligation de ce genre n’existe pour l’incapable
qui désire (lui-même, son représentant légal ou ses
héritiers) invoquer la nullité d’un acte. Il suffit que l’acte
ait été accompli durant la période faisant l’objet de la
protection, et que l’incapable ait décidé d’en demander
la nullité. Il ne doit pas justifier ni d’une quelconque
lésion, ni d’un préjudice. Le caractère relatif de la
nullité n’a d’autre effet que de lui laisser la liberté de
l’invoquer ou non.

g) Les incapables majeurs et la responsabilité aquilienne


461 Ainsi que nous l’avons vu, la responsabilité aquilienne
(art. 1382  c. civ.) implique la capacité de discernement,
c’est-à-dire la conscience de commettre une faute
lorsque cela arrive. Savoir si l’incapable qui commet
une «  faute  » avait ou non le discernement requis est
une question de fait à établir dans chaque cas en
particulier. Mais s’agissant des incapables majeurs,
c’est-à-dire de personnes souffrant à des degrés divers
d’une déficience mentale, il arrivera souvent que ce
discernement sera absent et que l’incapable ne pourra
dès lors encourir une quelconque responsabilité de ses
actes.
462 La loi a cependant tempéré les conséquences néfastes
de cette situation vis-à-vis des tiers qui seraient victimes
des actes de l’incapable, par le biais de l’article 1386 bis
du Code civil, qui instaure dans certains cas une
véritable responsabilité sans faute et une obligation de
réparer si la situation de l’incapable le permet. Cette
disposition est libellée comme suit :
463 « Lorsqu’une personne se trouvant en état de démence,
ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de
débilité mentale la rendant incapable du contrôle de ses
actions, cause un dommage à autrui, le juge peut la
condamner à tout ou partie de la réparation à laquelle
elle serait astreinte si elle avait le contrôle de ses actes.
464 Le juge statue selon l’équité, tenant compte des
circonstances et de la situation des parties ».

Chapitre III. Régimes juridiques d'incapacité


et droits de l’homme

Section 1. Les « régimes en voie de désuétude » non


abrogés par le législateur

a) L’ambiguïté actuelle
465 Nous avons à diverses reprises déjà signalé que
l’interdiction et la mise sous conseil judiciaire sont,
selon le vœu même du législateur65, destinées à tomber
en désuétude et à être progressivement remplacées par
l’administration provisoire, avec laquelle elles font —
partiellement du moins — double emploi. Les chiffres
que nous avons cités plus haut, et qui nous ont été
fournis par le tribunal de première instance de
Bruxelles, semblent bien confirmer cette prédiction66.
466 Mais rappelons tout de même que ni l’interdiction, ni la
mise sous conseil judiciaire n’ont été abrogées et que ces
régimes existent donc toujours. Et comme le rappelle
fort opportunément Jean-Pol Masson, le «  principe
dispositif  » empêche le juge saisi d’une demande
d’interdiction de décider qu’une administration
provisoire conviendrait mieux à la personne qu’il a
devant lui67. Dès lors que le demandeur insiste pour
obtenir l’interdiction, et que les conditions des articles
489 et suivants du Code civil sont réunies, celle-ci devra
être prononcée. La même chose vaut, bien entendu,
pour la mise sous conseil judiciaire, et si l’on constate
une forte réduction du nombre de demandes dans ce
domaine depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet
1991, elles n’ont toutefois pas disparu, et il existe donc
encore des personnes pour s’accrocher à ces
institutions.
467 Il nous a paru intéressant ici de tenter de déterminer
pourquoi, puisque ce sont sans doute des considérations
de même nature qui ont empêché le législateur
d’abroger, jusqu’ici, les deux (anciens) régimes, qui sont
les deux seuls régimes de protection du Code civil
originaire (celui de 1804).

b) L’interdiction aujourd'hui
468 De Page lui-même qualifiait déjà les régimes de
protection du Code civil de manière cinglante68  : «  Le
Code civil… a fait de l’infirmité mentale une question
dont le sort dépend uniquement de la famille de
l’intéressé (Code civ., art. 487 ter et 514 ; Code judic., art.
1238). Si la famille ne se plaint pas, personne n’a le droit
de se plaindre. Il faut même ajouter que le droit
reconnu à la famille ne se fonde pas sur l’intérêt moral
mais sur un intérêt patrimonial  : la crainte de se voir
dissiper une fortune qui doit revenir aux héritiers de
l’infirme. Conception égoïste, comme on le voit. La pitié,
la commisération n’ont rien à voir dans ce domaine  ;
l’intérêt, sous la forme des espérances successorales, est,
seul, au premier plan. C’est ce qui explique notamment
que les alliés ne sont pas recevables à agir. L’intéressé
lui-même ne peut, comme dans les législations récentes
(Code civil suisse, notamment, art. 372 et 394),
demander protection à la justice si sa famille s’en
détourne ! »
469 S’agissant de l’interdiction, De Page souligne le peu de
faveur que ce régime a, semble-t-il, d’emblée rencontré
auprès du public et souligne que69  : «  … l’interdiction
conçue comme mesure préalable à l’internement, grâce
à l’intervention du pouvoir judiciaire et à la procédure
spéciale instituée par la loi, offrait les garanties les plus
sûres contre les internements arbitraires ou
insuffisamment justifiés. Un des grands dangers de
notre système actuel avait donc disparu.
Malheureusement, les événements ne répondirent pas à
l’attente du législateur de  1804. Soit à cause des frais
considérables qu’entraînaient les demandes de ce genre,
soit en raison de craintes qu’éprouvaient les familles de
rendre publique une maladie qu’on considère, souvent
à juste titre, comme héréditaire. Les demandes
d’interdiction demeurèrent extrêmement rares, et la loi
inappliquée. Personne ne se souciait de se conformer à
l’obligation formulée par l’article 489 du Code civil, et
les déments continuaient à être internés sans être
interdits. Cette situation émut le législateur qui, au lieu
de renforcer le système du Code civil, ou de prendre des
mesures pour qu’il fût plus strictement observé, préféra
réglementer l’internement et lui donner, même au point
de vue de la capacité civile des aliénés, un statut propre,
distinct de celui du code civil, qu’on laissa, par ailleurs,
subsister à titre facultatif (cf. art. 29 de la loi du 18 juin
1850…). Peut-être, le législateur du XIXe siècle s’imagina-
t-il que les familles, ayant obtenu plus facilement
l’internement, ne s’en contenteraient point et
poursuivraient, plus à l’aise cette fois, l’interdiction.
Mais là aussi, son attente fut trompée, car depuis que
l’internement est civilement réglementé, la proportion
des demandes d’interdiction marque une décroissance
encore plus forte. Nous nous trouvons donc, quelle que
soit l’explication qu’on adopte, devant une véritable
abrogation par désuétude des dispositions du code civil
relatives à l’interdiction obligatoire,… »
470 Lorsque l'on lit aujourd’hui ces lignes, on comprend de
moins en moins, de premier abord, pourquoi le
législateur n’a pas définitivement abrogé l’interdiction à
l’occasion de la loi du 18 juillet 1991. C’est d’autant plus
difficile à comprendre que le législateur ne s’explique
pas beaucoup sur les raisons de cette apparente erreur
de méthode.
471 Dans le rapport fait au nom de la Commission de la
Justice du Sénat, Madame Herman-Michielsens précise à
ce propos70  : «  Le nouveau système peut être considéré
comme un système sui generis. Les autres systèmes du
droit civil restent maintenus à ce stade  : on n’a pas
voulu les abroger puisque, dans certains cas, ils
conservent une certaine utilité, mais l’espoir a toutefois
été exprimé qu’ils tomberont en désuétude au fil du
temps précisément en raison de la plus grande
souplesse du nouveau système. Ceci ne s’applique bien
sûr pas à la loi sur la minorité prolongée qui, vu son
caractère spécifique, doit être conservée ».
472 Le rapport précise encore à ce propos71  : «  Le
représentant du Ministre rappelle que l’on n’a pas
touché aux systèmes existants afin de ne pas
hypothéquer le projet par une discussion sans fin à ce
sujet. Il est en effet nécessaire de mener le projet
proposé à bonne fin puisque d’importants problèmes se
posent principalement à l’égard d’autres personnes non
visées par ces systèmes ».
473 La vraie difficulté à abroger les anciens régimes, et en
particulier l'interdiction, apparaît à l’examen des
motivations qui poussent aujourd’hui encore certaines
personnes à demander l’interdiction, et ceci malgré le
fait que ce régime soit devenu parfaitement
impopulaire, de par son appellation (aujourd’hui, on
préfère «  protéger  » plutôt qu'«  interdire  »), son esprit
rétrograde et la lourdeur de sa procédure. Ce qui est
recherché au travers de l’interdiction aujourd’hui c’est
l’incapacité quant au gouvernement de la personne
(souvent improprement appelé «  gestion de la
personne »).
474 C’est évidemment le débat essentiel sur l’incapacité de
gestion des biens et ses rapports avec l’incapacité de
gouvernement de la personne que le législateur a voulu
éviter, compte tenu à la fois de l’urgence à rencontrer
certains besoins immédiats et de la complexité du
problème de principe posé. Car abroger l’interdiction
implique qu’au préalable on ait résolu la question du
gouvernement de la personne, et que l’on ait pris une
décision quant à la nécessité et à l’opportunité d’étendre
ou non à l’article 488 bis au gouvernement de la
personne.
475 Celle-ci ne peut, en effet, être obtenue par le biais de
l’article 488 bis, et si l’administration provisoire permet
dans les faits, comme nous l’avons vu, un certain
gouvernement de la personne, avec le consentement au
moins tacite de la personne protégée, elle n’organise
pas, en droit, l’incapacité de la personne protégée à
gouverner sa propre personne.
476 L’interdit est, par contre, incapable de gérer ses biens et
de gouverner sa personne, ce qui signifie que non
seulement il ne pourra accomplir aucun des actes
juridiques à caractère personnel, tels que mariage,
divorce, reconnaissance d’enfant, etc…, mais que, pour
sa vie quotidienne, son lieu d’hébergement ou de soins,
les décisions seront prises par le tuteur et le conseil de
famille. L’article 510 du Code civil dispose plus
particulièrement que  : «  Selon les caractères de sa
maladie et l’état de sa fortune, le conseil de famille
pourra arrêter qu’il sera traité dans son domicile ou
qu’il sera placé dans une maison de santé ».
477 Cette disposition est devenue contraire à l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’homme, et
s’agissant d’un malade mental (ce qui sera souvent le
cas de l’interdit), elle est, de plus, contraire à l’article 1er
de la loi du 26.6.1990 sur la protection des malades
mentaux. Il y a, dès lors, abrogation de fait de certaines
des dispositions du Code civil relatives à l’interdiction et
en particulier l’article 510, deuxième partie, cité ci-
dessus. Rappelons en effet que l’article 1er de la loi du
26.6.1990 dispose que : « Sauf les mesures de protection
prévues par la présente loi, le diagnostic et le traitement
des troubles psychiques ne peuvent donner lieu à
aucune restriction de la liberté individuelle, sans
préjudice de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale
à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude ».
478 Il ne fait donc pas de doute que l’article 510 ne puisse,
dès lors, plus être appliqué, et que le juge de paix, saisi
d’une demande de réunion d’un conseil de famille d’un
interdit en vue de le placer, devrait refuser de mettre
cette question à l’ordre du jour du conseil de famille.
479 Mais que reste-t-il dès lors dans l’interdiction comme
«  protection  » que l’on ne puisse obtenir par les
nouvelles voies légales — 488 bis avec ou sans mise en
observation sur pied de la loi du 26.6.1990  ? Il s’agit,
bien entendu, essentiellement de rendre le malade
mental incapable de poser des actes juridiques à
caractère personnel, tels que le mariage, le divorce, le
testament et la reconnaissance d’enfant.
480 Mais une telle incapacité, dont les conséquences sont
évidemment terribles sur le plan de la liberté
individuelle du malade mental puisqu’elle l’atteint dans
ce qu’il a de plus personnel et de plus intime, est-elle
vraiment nécessaire pour sa protection à lui  ? Où ne
sont-ce pas là justement des mesures qui protègent
avant tout les héritiers, au détriment des sentiments du
malade ?
481 Une telle incapacité doit-elle vraiment être maintenue
dans notre système juridique, ou ne faut-il pas déclarer
une fois pour toutes celle-ci contraire aux droits de
l’homme et incompatible avec une société
démocratique ?
482 Il faut en effet, dans cette matière, rester extrêmement
pratique et se rappeler à quel point les nouvelles
dispositions légales — qui n’organisent un régime
d’incapacité que quant aux biens — ont en fait déjà un
impact considérable sur le gouvernement de la
personne. D’autre part, il ne faut jamais oublier que,
même sans régime d’incapacité, les actes juridiques
peuvent toujours être attaqués pour vice du
consentement, sur base du droit commun. Ainsi que
nous l’avons vu supra, si le droit commun est insuffisant
lorsque tous les actes juridiques courants d’une
personne doivent être attaqués, c’est évidemment pour
une grande part à cause de leur nombre.
483 Mais s’agissant d’actes à caractère personnel, il en va
tout autrement. Ces actes, lorsqu’ils existent, sont
souvent uniques et à caractère solennel ou authentique,
ce qui est en soi déjà une protection de la volonté.
D’autre part, quel est encore le risque que court un
malade mental au point de vue des actes personnels, dès
lors qu’il est sous administration provisoire, voire même
mis en observation dans un établissement
psychiatrique ?
484 Rappelons, en outre, que les actes juridiques à caractère
personnel, dont nous allons examiner brièvement les
principales caractéristiques, sont des actes juridiques
qui n’admettent pas la représentation72 et qu’en
déclarant une personne incapable quant au
gouvernement de sa personne, on l’empêche purement
et simplement d’accomplir ces actes.
485 Nous ne pensons dès lors pas qu’il y ait une quelconque
objection de principe à laisser intacte la capacité des
« incapables » s’agissant des actes juridiques à caractère
personnel.
486 Tout d’abord, en ce qui concerne le mariage de
l’incapable. Il s’agit là d’un acte juridique qui n’a
d’incidence ni sur l’administration provisoire, ni sur la
mise en observation. L’incapable ne cesse pas de l’être
par l’effet du mariage. D'autre part, si l'incapable était
hors d’état de consentir au mariage, celui-ci pourra
toujours être annulé sur base de l’article 146 du Code
civil (nullité absolue, qui peut être invoquée entre
autres par le procureur du Roi). Le contrat de mariage
suivra toujours le sort du mariage lui-même, et dès lors
que l’incapable a vraiment consenti à cette union,
pourquoi l’empêcher de conclure un contrat de
mariage ?
487 S’agissant du divorce d’un incapable marié, on aperçoit
encore moins où résiderait le problème. Le divorce se
fait en effet par une procédure judiciaire, conçue
spécialement pour s’assurer du consentement et de la
volonté persistante du ou des époux demandeurs. Et la
représentation n’existant pas dans ce domaine,
l'incapacité quant à la gestion de la personne aurait
pour seul effet d’empêcher la personne de demander le
divorce.
488 S’agissant d'une reconnaissance d’enfant, la question est
actuellement régie par la loi du 31 mars 1987 sur la
filiation qui a complètement changé les données du
problème. L’article 328 nouveau, alinéa 1, est libellé
comme suit : « La reconnaissance peut être faite par un
incapable ». Cette disposition légale récente se passe de
tout commentaire.
489 Reste, dès lors, le problème du testament. C’est vrai
qu’une personne atteinte d’une maladie ou infirmité
mentale quelconque peut parfaitement faire un
testament « aberrant », surtout s’il s’agit d’un testament
olographe. Mais il est clair que si on empêche la
personne incapable de tester, ce n’est pas elle qu’on
protège, puisque ce testament ne pourra en tout état de
cause sortir ses effets qu’après son décès. Ce sont, bien
sûr, exclusivement les héritiers qui sont protégés par
une incapacité dans ce domaine. Mais cette protection
des héritiers de l’incapable, n’existe-t-elle pas déjà
suffisamment par le droit commun lui-même, avec
l’institution de la réserve légale d’une part, et la
possibilité d’agir en nullité du testament, d’autre part ?
Faut-il maintenir absolument dans notre droit un
régime désuet, suranné et qui porte gravement atteinte
aux droits de l’homme et à la dignité des personnes
malades ou handicapées mentales, uniquement pour
dispenser quelques très rares héritiers (vu le peu de
succès de l’interdiction) de devoir intenter une
éventuelle action en nullité d’un testament ?
490 La réponse est bien évidemment négative et il ne fait
aucun doute pour nous que l’interdiction doit être
abrogée purement et simplement, sans qu’il soit
nécessaire d’en reporter certains des effets sur le régime
de l’administration provisoire.
491 L’article 488 bis, dans sa rédaction actuelle, est, d’après
nous, largement suffisant pour assurer, avec le recours
au droit commun quand cela s’avère nécessaire, une
protection juridique complète des incapables, dans le
respect de leur dignité et de leurs droits fondamentaux
les plus élémentaires. Nous nous démarquons, à cet
égard, résolument des auteurs et commentateurs qui
préconisent l’extension de l’administration provisoire
au gouvernement de la personne. Nous reviendrons sur
cette importante question en conclusion.

c) La mise sous conseil judiciaire aujourd'hui


492 La mise sous conseil judiciaire concerne deux catégories
d’incapables (du moins si l’on prend l’ancienne
classification du Code civil)  : les «  faibles d’esprit  »,
d’une part, et les « prodigues », d’autre part.
493 Les «  faibles d’esprit  » correspondent à ce que l’on
appelle aujourd’hui les arriérés mentaux qui, dans le
cadre d’une mise sous conseil judiciaire, ne peuvent être
que « moyens » ou « légers », et aussi à certains malades
mentaux.
494 Pour eux, pas de problème  : un résultat tout à fait
identique de protection peut être obtenu par
l’administration provisoire, avec cet avantage que la
procédure est beaucoup plus rapide et moins coûteuse.
Pour eux, aucune raison ne peut être invoquée pour ne
pas abroger immédiatement les articles 513 à 515 du
Code civil, ainsi que leurs correspondants dans le Code
judiciaire.
495 Pour les «  prodigues  », par contre, la situation est
beaucoup moins simple, et nécessite que l’on s’y attarde.
496 La prodigalité se définit en effet comme étant « … le fait
de celui qui, par dérèglement d’esprit ou de mœurs,
dissipe sa fortune en folles dépenses. Le prodigue n’est
pas, médicalement parlant, un malade mental, mais on
le juge atteint d’un déséquilibre de l’entendement qui se
manifeste comparativement à l’homme normal, par une
conception insolite de la fortune »73.
497 L’auteur cité ajoute d’ailleurs74 que « on ne conçoit pas,
en effet, qu’une expertise mentale soit ordonnée pour
vérifier s’il y a prodigalité. Cette infirmité se détermine
en droit par l’analyse de certains actes envisagés à la
fois au point de vue juridique et au point de vue
économique ».
498 Toujours selon De Page, les éléments constitutifs de la
prodigalité sont les suivants75  : «  Il ne suffit pas d’être
dépensier pour être prodigue, ni d’être en passe de se
ruiner pour se voir mis sous conseil judiciaire. La notion
juridique de prodigalité suppose deux éléments bien
caractérisés  : la dissipation du capital et les dépenses
folles.
1. Dissipation du capital. — Il faut, pour qu’il y ait
prodigalité, que le capital lui-même soit entamé. Les
dépenses peuvent être aussi exagérées, aussi
somptuaires que possible ; dès qu’elles ne dépassent
pas les revenus, il n’y a pas de prodigalité.
2. Dépenses injustifiées. — Il faut, de plus, que les
dépenses soient injustifiées, qu’il s’agisse, en
d’autres termes, de «  vaines profusions  », de
dépenses déraisonnables ne répondant à aucune
nécessité ni utilité, et constituant par conséquent de
véritables dilapidations ».

499 Si la prodigalité a une cause médicale et qu’elle


constitue, par exemple, le symptôme d'une maladie
mentale, pas de problème  : non seulement une
protection identique peut être obtenue par
l’administration provisoire (grâce aux limitations
possibles des pouvoirs de l’administrateur), mais la
protection de l'article 488 bis sera en fait beaucoup plus
efficace si nécessaire. Les revenus seront en effet
protégés au même titre que le capital. De plus, les biens
de l’incapable seront gérés, alors que le conseil
judiciaire, rappelons-le, ne gère pas, mais assiste
seulement la personne dans certains actes.
500 Pour ces personnes-là, il n’y a donc pas non plus
d’obstacle à l’abrogation de la mise sous conseil
judiciaire.
501 Par contre, pour les « prodigues » qui ne sont ni malades
ni handicapés mentaux, la question demeure plus
complexe. Le terme «  dérèglement des mœurs  » est
naturellement fort désuet et n’a plus cours aujourd’hui.
502 La «  prodigalité  », dont l’origine n’est pas identifiable
sur le plan médical, nous pose aujourd’hui des questions
que ne se posaient manifestement pas les générations
précédentes. La tendance aujourd’hui consiste à
«  médicaliser  » et surtout à «  psychiatriser  » les
comportements aberrants, et placer sous conseil
judiciaire une personne que tous les médecins
déclareraient unanimement disposer de toutes ses
facultés mentales, heurterait aujourd’hui le sens
commun. Et si une telle personne décide délibérément
de dépenser son capital en un court laps de temps, on ne
conçoit plus aujourd’hui qu’elle puisse en être
empêchée par une décision judiciaire.
503 Les générations précédentes n’avaient cependant pas du
tout les mêmes conceptions, et s’agissant de la mise sous
conseil judiciaire pour cause de prodigalité, seules
comptaient l’analyse des dépenses par rapport aux
revenus et au capital, et la justification économique des
dépenses.
504 De Page76 cite une ancienne décision, selon laquelle
« dès qu’il est acquis que le capital est dilapidé en folles
dépenses, l’objet de ces dépenses ne doit pas être pris en
considération  ; il importe peu qu’elles aient poursuivi,
ou non, un but honorable ou élevé ».
505 Il nous semble qu’aujourd’hui, un tribunal s’assurerait
de l’état de santé mentale de la personne dont la mise
sous conseil judiciaire est demandée.
506 Mais une expertise médicale n’est, rappelons-le,
nullement requise en droit pour la mise sous conseil
judiciaire d’un prodigue.
507 Le cas d’une prodigalité d’origine non médicale
constitue, dès lors, le seul cas de figure où le régime de
la mise sous conseil judiciaire organisée par les articles
513 à 515 du Code civil constitue le seul régime de
«  protection  » possible, puisque l’administration
provisoire ne pourra s’appliquer que si la prodigalité a
une cause médicale.
508 La question se pose cependant aujourd’hui de savoir si
un régime d’incapacité organisé pour des personnes
saines d’esprit est compatible avec les droits de
l’homme. Il nous apparaît clairement que non et le
régime juridique de la mise sous conseil judiciaire n’a,
dès lors, plus de raison d’être aujourd’hui. Rien ne
s’oppose donc à son abrogation.

d) La minorité prolongée aujourd’hui


509 Nous nous sommes déjà longuement étendue sur la
minorité prolongée dans la partie de ce texte consacrée
à l’arriération mentale.
510 Nous n’y reviendrons plus en détail, et nous
contenterons de rappeler ici, pour la clarté de notre
propos, ce que nous avons déjà exposé plus haut  : à
notre estime, le statut de minorité prolongée devrait
être supprimé, au même titre que l’interdiction et la
mise sous conseil judiciaire, au profit du nouveau
régime de l’administration provisoire. Si ce régime ne
présente pas les mêmes inconvénients que l’interdiction
au niveau de sa mise en oeuvre, il faut bien constater,
qu’une fois prononcés, les deux régimes présentent
pour l’essentiel, les mêmes inconvénients.

Section 2. De la nécessité de rattacher l'incapacité à


une cause objective
511 Nous avons cité tout au début de la présente
contribution le texte de De Page où celui-ci rappelle que
les incapacités d’exercice ont presque toutes subsisté
dans notre droit parce qu’elles se rattachent à des
causes objectives et permanentes77.
512 Il est clair qu’avec la loi du 18 juillet 1991, la nécessité
du caractère permanent de la cause a disparu, et cela
peut se comprendre : à l’époque où De Page écrivait ces
lignes, les seuls régimes juridiques d’incapacité qui
existaient se caractérisaient par la longueur, la lourdeur
et le coût des procédures judiciaires nécessaires pour les
obtenir. Revenu-en arrière sur une décision d’incapacité
était donc fort difficile, et l’exigence de la permanence
de la cause objective était de rigueur.
513 Avec l’article 488 bis du Code civil, la situation est
devenue fort différente, et la procédure devant le juge
de paix est tellement souple et potentiellement rapide
qu’en cas d’amélioration subite de l’état d’un incapable,
la mesure de protection peut être levée en un jour ou
deux s’il le faut.
514 Par contre, l’exigence d’une cause objective est toujours,
et plus que jamais, de rigueur.
515 En Belgique, c’est même une obligation
constitutionnelle. L’article 6 de la Constitution dispose
en effet que  : «  Il n’y a dans l’Etat aucune distinction
d’ordres. Les Belges sont égaux devant la loi ;… ».
516 La cour de cassation a précisé la portée de cette
disposition comme suit : « La règle constitutionnelle de
l’égalité des Belges devant la loi implique que tous ceux
qui se trouvent dans la même situation soient traités de
la même manière, mais n’exclut pas qu’une distinction
soit faite selon certaines catégories de personnes, à la
condition que cette distinction ne soit pas arbitraire,
c’est-à-dire non susceptible de justification »78.
517 Il s’agit là de principes fondamentaux bien connus de
tous, mais qu’il n’est pas inutile de rappeler lorsque l’on
voit certains commentateurs de la loi du 18 juillet 1991
prôner l’extension du nouveau régime d’incapacité à
«  la prodigalité, l’intempérance, l’alcoolisme grave,
l’abus de drogues ainsi que les débiles légers  »79, en
prenant le soin de préciser que «  nous pensons que la
prodigalité est un trouble de la personnalité, c’est-à-dire
un « état », ce qui est prévu dans « l’intitulé » de la loi. Il
est dommage que dans la définition donnée à l’article
488 bis A l’on ait réduit cette notion plus large à celle
plus restrictive de « santé » et un peu plus loin que « si
on admet la notion d’état, on pourrait désigner un
administrateur provisoire aux débiles légers (de la
catégorie des arriérés mentaux, mais moins atteints) »80.
518 Ainsi que nous allons tenter de le démontrer, les
extensions proposées, sans aucun doute de bonne foi,
par l’auteur précité sont extrêmement dangereuses et
de nature à entraîner une dérive autoritaire du système.
Si l’on devait accepter les extensions précitées, et se
référer à la notion « d’état » plutôt qu’à la notion « d’état
de santé  », on aboutirait à bref délai à une véritable
société « duale » où seuls bénéficieraient de la capacité
juridique quelques privilégiés, jeunes, cultivés, bien
dans leur peau et ayant du travail, et où les pauvres, les
chômeurs, les malades, les handicapés, les vieux, les
alcooliques, les drogués, bref tous les citoyens mal dans
leur peau et marginalisés, vivraient dans une sorte de
« sous-statut ».
519 Ainsi apparaît indubitablement le danger de pareille
extension, et s’agissant d’une mesure aussi grave qu’une
incapacité juridique, il faut bien sûr rigoureusement
s’en tenir à la terminologie de « en raison de son état de
santé  » ou à la notion de cause médicalement
objectivable de l’incapacité, notion contenue dans
l’article 488 bis A.

Section 3. L'état de santé comme cause objective de


l'incapacité
520 Que l’incapacité trouve son origine dans l’état de santé
de la personne dont la protection est demandée
constitue une condition de fond de l’application de
l’article 488 bis du Code civil. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle l’article 488 bis B, § 3, dispose que : « sous
peine d’irrecevabilité, est joint à la requête, sauf en cas
d’urgence, un certificat médical circonstancié, ne datant
pas de plus de quinze jours, décrivant l’état de santé de
la personne à protéger ».
521 Pas question donc de mettre sous administration
provisoire et de rendre, dès lors, incapables juridiques,
les personnes dont l’incapacité «  de fait  » ou les
difficultés personnelles et matérielles, même graves, ont
une autre origine que l’état de santé81.
522 Et ces personnes sont, à l’heure actuelle, fort
nombreuses : les sans-logis, les sans-travail ou les exclus
en tout genre, que les événements de la vie, comme
perte d’emploi, divorce ou difficultés personnelles de
toute nature, ont brusquement projeté dans la misère.
Misère dont il devient de plus en plus difficile de se
sortir, compte tenu de la récession économique, du
niveau actuel des loyers et du nombre croissant de
personnes vivant les mêmes difficultés.
523 Et dans certains milieux de l’assistance, la tentation de
mettre ce type de personnes sous administration
provisoire est grand, dans la mesure où les exclusions et
difficultés sociales ou personnelles graves ne vont
évidemment pas sans certains troubles psychologiques
importants qu'il faut cependant se garder de confondre
avec la maladie mentale.
524 Mais indépendamment de ces hypothèses extrêmes, il
existe un grand nombre de personnes qui, quelle que
soit leur origine sociale ou leur niveau de fortune,
souffrent de difficultés à vivre de toute origine, et qui
rencontrent elles aussi des difficultés psychologiques,
auxquelles elles réagissent de manière inadéquate. C’est
souvent dans ce contexte d’ailleurs que l’on rencontre
les problèmes d’alcool ou de toxicomanie, qui ne
constituent pas en soi une maladie mentale.
525 Il est tout à fait évident que ces personnes doivent être
aidées, et qu’une société véritablement démocratique ne
saurait rester sans réaction face à leur détresse. Mais la
solution n’est évidemment pas à rechercher du côté
d’un régime d’incapacité juridique, qui n’aurait d’autre
effet que d’exclure en droit ceux qui sont déjà exclus en
fait, les transformant en véritables citoyens de seconde
zone, privés de l’exercice de l’essentiel de leurs droits
civils.
526 S’agissant plus particulièrement des toxicomanes, on
peut d’ailleurs se demander si une protection de leurs
biens (non assortie de mesures destinées à combattre la
toxicomanie) n’aurait pas pour effet indirect de mettre
en danger les biens des autres citoyens. Il existe en effet
chez les toxicomanes une «  criminalité accessoire  »
destinée à procurer les fonds nécessaires à la drogue.
527 Il faut, dès lors, s’en tenir rigoureusement aux
conditions de fond actuelles de la loi, qui exige que
l’incapacité trouve son origine dans l’état de santé. Nous
estimons qu’il faut non seulement refuser toute
extension de l’article 488 bis à ce qui ne relève pas de la
santé, mais que bien plus, l’état de santé devrait
constituer la seule cause possible pour tout régime
d’incapacité quel qu’il soit.
528 Bien sûr, se posera le problème de la définition de ce
qu’est la « santé ». Beaucoup de définitions de ce terme
existent, mais s’agissant d’une matière qui relève, en
définitive, de la liberté individuelle, il y a lieu de
prendre ce mot dans son sens restrictif, c’est-à-dire par
référence à notre système de sécurité sociale.
529 D’une manière plus simple, on pourrait dire que
peuvent faire l’objet d’une incapacité juridique toutes
les personnes incapables de gérer leurs biens à cause
des manifestations actuelles d’une maladie ou d’un
accident, ou à cause des séquelles d’une ancienne
maladie ou d’un ancien accident. Une telle définition a
la mérite d’être concrète et de pouvoir englober toutes
les catégories d’incapables que nous avons étudiées : les
personnes, jeunes ou âgées, atteintes d’une quelconque
maladie mentale ou nerveuse ou les arriérés mentaux,
ces derniers ayant été généralement victimes de
séquelles de maladies ou d’accidents anciens (maladies
chromosomiques, ou maladies ou accidents intra-
utérins ou survenus au moment de la naissance ou dans
les mois qui ont suivi).

Section 4. Incapacité juridique et autres mécanismes


de protection des plus faibles
530 Notre attitude restrictive à l’égard des régimes qui
organisent l’incapacité juridique provient de ce qu’il
existe, tout compte fait, beaucoup d’autres mécanismes
de protection possible des plus faibles, et qui
n’entraînent pas l’incapacité.
531 Bien plus, nous avons le sentiment que la mise en avant
d’un régime d’incapacité comme régime de
«  protection  » masque bien souvent les carences de
notre société à venir réellement en aide aux plus faibles
et à vraiment les protéger.
532 Quels sont les autres mécanismes de protection
possibles et qui ne présentent pas les limitations à la
liberté individuelle propres à l’incapacité ?
533 - Les mécanismes proprement juridiques tels que les
dispositions légales impératives, destinées à protéger les
catégories de citoyens fragilisés sur le plan économique
et social contre les rigueurs de l’article 1134 du Ccode
civil82. Les plus anciennes et les plus connues sont les
lois relatives aux contrats de travail. Citons aussi les
législations protectrices des baux commerciaux, des
baux à loyers relatifs à la résidence principale du
preneur, les lois de protection des consommateurs, la loi
sur le crédit à la consommation, etc…
534 - Les mécanismes d’assurance collective obligatoire,
parmi lesquels la sécurité sociale et ses divers secteurs,
notamment les pensions et l’assurance maladie-
invalidité. La tentation de «  protéger  » en privant les
bénéficiaires de cette «  protection  » de leur capacité
juridique ne cache-t-elle pas une véritable incapacité
collective à améliorer la protection sociale des malades
et des personnes âgées ?
535 - Les mécanismes d'aide sociale en tous genres, depuis le
minimex à l’aide apportée sous toutes ses formes par les
C.P.A.S. aux personnes dans le besoin.
536 Il faut cependant noter que, contrairement à la sécurité
sociale qui constitue un véritable droit pour les
bénéficiaires, l’aide sociale est plus aléatoire et ne va
pas sans une certaine immixtion dans la vie privée des
« assistés » par le C.P.A.S, donc sans une certaine atteinte
à la liberté individuelle.
537 Il est d’ailleurs urgent d’attirer l’attention du public sur
cette réalité navrante de l’administration provisoire  :
mis à part quelques cas particuliers où la personne
administrée possède des biens, les administrateurs
provisoires n’ont généralement rien d’autre à gérer que la
misère et la pauvreté.
538 C’est pour nous la découverte la plus saisissante depuis
l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1991 : celle de
la faiblesse inouïe des revenus dont disposent la plupart
des incapables.
539 - Les moyens collectifs d'assistance à domicile qui
permettraient d’aider les personnes souffrant à des
degrés divers d’un handicap, tout en leur laissant leur
liberté et leur autonomie, font singulièrement et très
souvent défaut. Et, paradoxe, les personnes
financièrement aisées semblent souffrir autant de cette
carence que celles qui sont démunies, tant il est vrai que
l’argent et certains biens matériels ne servent plus à
grand-chose lorsque l’on est seul, abandonné par les
quelques parents qui vous restent et incapable de
continuer à assumer seul certaines tâches de la vie
quotidienne83.
540 Et tous ceux qui vivent quotidiennement les problèmes
humains liés à l’administration provisoire savent
combien de désignations d’administrateurs suivies de
placement auraient pu être évitées si une assistance
efficace à domicile avait été organisée en temps utile.

Section 5. Les personnes incapables et l'indivisibilité


des droits de l'homme : le droit à la qualité de la vie
541 Nous avons très nettement le sentiment d’être ici au
cœur même du débat sur l’antagonisme entre les
différentes catégories de droits de l’homme qui fait
l’objet du tout récent ouvrage de Jacques Fierens « Droit
et pauvreté »84.
542 Pourquoi, en effet, devoir choisir entre protéger une
personne incapable et la priver de l’exercice de ses
droits civils, ou lui laisser cet exercice et ne pas la
protéger, en sorte qu’elle finisse par dépérir faute
d’aide ?
543 Cet antagonisme se présente souvent lorsqu’il s’agit de
venir en aide aux plus démunis. Jacques Fierens le
décrit comme suit :
544 «  L’analyse est classique, qui distingue les trois
générations (de droits de l’homme, n.d.l.r.) selon le
rapport qu’elles instaurent à l’égard du pouvoir.

545 - Les droits civils et politiques seraient des libertés
contre l’Etat (freedom from), des droits-libertés ou des
libertés-franchises, qui imposeraient au pouvoir une
obligation d’abstention.

546 - Les droits économiques, sociaux et culturels seraient
des libertés par l’Etat (freedom to) à qui certains
moyens sont réclamés à titre de créances d’individus ou
de groupes sur la société, des libertés-créances.

547 L’antagonisme ne peut être nié. La première approche
de la liberté tend en effet à instaurer un Etat minimal.
La deuxième approche aura au contraire tendance à
exiger toujours davantage des pouvoirs publics,
premiers responsables d’un espace suffisant de liberté
concrète »85.
548 A propos de l’indivisibilité de ces deux catégories de
droits de l’homme, Jacques Fierens poursuit  : «  Si
l’antagonisme potentiel est évident, il ne peut être
exagérément durci. Quelques grands instruments
internationaux, à commencer par la Déclaration
universelle, cherchent chacun à leur manière à concilier
les approches. Or, il est nécessaire qu’il en soit ainsi,
pour des raisons théoriques aussi bien que politiques.
En matière de droits de l’homme, les catégories ne sont
nullement destinées à se voir reconnaître des contours
précis. Il est au contraire important d’abolir toute
étanchéité »86.
549 L’auteur poursuit en évoquant l’apparition d’une
troisième catégorie de droits de l’homme, dite «  de la
troisième génération  »  : «  L’apparition d’une troisième
famille de droits de l’homme va très nettement dans le
sens d’une conciliation entre les deux premières
approches.
550 Il est vrai qu’à l’heure actuelle, quand elle veut bien les
prendre en compte, la doctrine n’énumère, à titre de
droits censés appartenir à cette troisième génération,
que le droit au développement, le droit à la paix, le droit
à l’environnement, le droit sur le patrimoine commun
de l’humanité, éventuellement le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Cependant, dans la ligne de ce
qui a été dit à propos des différentes perspectives sur un
même droit, on constate que l’on pourrait envisager
sous l’optique «  troisième génération  » des droits
appartenant classiquement à la première ou à la
deuxième »87..
551 Sur le thème de «  l’indivisibilité nécessaire  » des
différentes catégories de droits de l’homme, Jacques
Frierens poursuit encore  : «  Au surplus, par-delà
l’indivisibilité nécessaire des catégories des droits de
l’homme apparaît celle de chacun des droits par rapport
aux autres. On y a déjà fait une allusion avec l’exemple
du droit au respect de la vie familiale  : celui-ci dépend
du respect du droit à la vie privée, du respect du droit
au logement, à la santé, au développement, au travail.
Inversément, la perte du travail peut entraîner
l’expulsion du logement, l’échec scolaire des enfants,
etc. L’absence d’un droit compromet tous les autres.
C’est là la conséquence juridique de la multi
dimensionnalité de la pauvreté. L’effectivité d’un droit
est toujours le soutènement d’un autre »88.
552 S’agissant de l’aide que la société doit nécessairement
apporter aux personnes incapables (et cette fois, le
terme est pris dans son sens usuel), c’est dans une
optique de l’indivisibilité des droits de la personne
humaine que les solutions doivent être trouvées. Une
personne incapable a le droit d’être aidée à assumer les
tâches qu’elle ne peut pas ou ne peut plus accomplir
seule («  liberté-créance  ») et en même temps doit
pouvoir prétendre à son autonomie et au respect de sa
vie privée (« droit-liberté »).
553 Il est clair que les moyens actuels ne permettent en
général pas de concilier les deux catégories de droits,
mais cela doit être l’objectif à atteindre.
554 Et si l’on adopte cette vision-là des choses, il faut
renoncer une fois pour toutes à vouloir poursuivre dans
la voie de l’extension de l’incapacité juridique.
555 Le droit à la qualité de la vie, droit de la troisième
génération s’il en est, est bien le droit qui résume tous
les autres dans leur indivisiblité et leur richesse.
556 S’agissant d’une personne incapable, le droit à la qualité
de la vie passe par le droit à l’aide et à l’assistance
d’autrui, mais avec le maintien à domicile aussi
longtemps que possible, avec le maintien de sa capacité
juridique et le respect de sa vie privée.
557 C’est là l’idéal à atteindre et c’est vers ce but que doivent
tendre aujourd’hui toutes les réflexions et toutes les
initiatives faites pour améliorer l’existence des
personnes incapables et, plus particulièrement, en
faveur des personnes âgées qui entrent en dépendance.
558 Avec l’augmentation du nombre des personnes âgées
dans les prochaines décennies, le nombre des personnes
incapables est destiné à augmenter. Il est certain que les
années et les décennies à venir verront surgir des idées
et des initiatives nouvelles pour résoudre les problèmes
nouveaux que cela posera inéluctablement.
559 Poursuivre la réflexion dans le sens de l’accroissement
de l’incapacité juridique est, de par l’ampleur même que
le problème de l’incapacité «  de fait  » est amené à
prendre, devenu une voie sans issue.
560 Les régimes d’incapacité juridique, dans le sens du Code
civil, n’ont évidemment de sens que lorsque l’incapacité
est tout à fait exceptionnelle.
561 A partir du moment où elle atteint une très grande
partie de la population, elle cesse d’être une solution.
562 D’autre part, le concept d’incapacité juridique qui était
celui du Code civil, est devenu aujourd’hui incompatible
avec nos conceptions actuelles des droits de l’homme et
du droit à la dignité de toute personne, même lorsque
ses facultés mentales sont gravement atteintes.
563 Dès lors, les anciens régimes (interdiction et mise sous
conseil judiciaire) devraient être purement et
simplement abrogés, comme exposé plus longuement ci-
avant. A notre estime, le statut de minorité prolongée
devrait aussi disparaître.
564 L’administration provisoire est devenue le régime de
protection des incapables par excellence, et le nombre
des demandes dont sont saisis les juges de paix est, à cet
égard, révélateur.
565 Ainsi que nous allons le voir pour terminer, la loi du 18
juillet 1991 instaure un régime de protection dans un
esprit nouveau qui restitue aux personnes incapables leur
dignité, et considère les personnes frappées d’incapacité
juridique comme des sujets de droit à part entière, se
démarquant en cela radicalement des régimes
juridiques antérieurs où l’incapable était bien plus objet
que sujet  : l’administré reste, en effet, investi du
gouvernement de sa personne et doit régulièrement être
consulté pour toute décision importante qui le
concerne.

Chapitre IV. Conclusion : la personne


incapable est un sujet de droit
Section 1. Les grandes innovations de la loi du 18
juillet 1991 à cet égard
566 La loi du 18 juillet 1991 a créé un régime d’incapacité
juridique dans lequel la personne incapable reste un
sujet de droit à part entière, et ceci quel que soit le degré
de son incapacité. C’est là, à notre estime, l’innovation
essentielle de ce nouveau texte légal, dont toutes les
implications pratiques ne peuvent être comprises, que si
l’on accepte la personne incapable comme une être
humain à part entière, et non pas comme un simple
objet à gérer.
567 Les innovations essentielles du régime de
l’administration provisoire à cet égard sont, d’une part,
la limitation de l’incapacité juridique à la seule gestion
des biens et, d’autre part, l’obligation faite au juge de
paix d’entendre personnellement la personne incapable,
non seulement à l’occasion du dépôt de la requête
originaire en désignation d’un administrateur
provisoire (une obligation équivalente existait déjà dans
les autres régimes d’incapacité), mais aussi durant toute
la durée de l’administration provisoire, chaque fois
qu’un acte d’une certaine importance doit être accompli
par l’administrateur.

Section 2. L'incapacité limitée à la gestion des biens


568 Il ne fait pas de doute que l’article 488 bis ne crée
qu’une incapacité quant à la gestion des biens et que,
légalement, la personne placée sous administration
provisoire reste seule investie du gouvernement de sa
personne.
569 Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir tout au
long de la présente contribution, gestion des biens et
gouvernement de la personne sont toutefois
inextricablement liés, et la plupart des décisions
importantes en matière de gestion de biens ont une
incidence immédiate sur la personne. L’inverse est
d’ailleurs tout aussi vrai, et bien souvent une personne
sous administration qui souhaite prendre une décision
importante quant à sa personne (changer de home, par
exemple) devra convaincre son administrateur de
prendre les décisions concrètes qui y correspondent sur
le plan de la gestion des biens.
570 Tout cela soulève, en pratique, énormément de
questions, et divers administrateurs professionnels
exposeront plus loin dans cet ouvrage collectif, leur
point de vue et leurs multiples interrogations à ce
propos.
571 Cette dualité entre la gestion des biens et le
gouvernement de la personne génèrera des conflits
entre l’administrateur et l’administré, conflits qui
devront être tranchés par le juge de paix qui jouera
ainsi, en quelque sorte, le rôle de l’arbitre entre la « voix
de la raison  » personnifiée par l’administrateur et le
désir souvent tout à fait légitime exprimé par
l’administré.
572 Car, quel que soit le degré d’incapacité d’un être
humain, celui-ci a toujours des aspirations, des désirs,
voire même des projets de vie qu’il exprimera comme il
le pourra, en paroles, par gestes, en dépérissant quand il
se sentira mal, ou en souriant quand il sera heureux. Et
ces projets, désirs ou aspirations, personne ne peut ni
les exprimer, ni les faire valoir en ses lieu et place. C’est
pour cette raison que nous sommes profondément
hostile au principe même d’une incapacité quant au
gouvernement de la personne. La vie d’une personne ne
cesse pas de lui appartenir parce qu’elle devient
incapable.
573 La fréquentation régulière, depuis près de deux ans, des
personnes dites « incapables » nous a amenée à réaliser
que l’incapacité (le mot étant pris ici dans son sens
usuel) est une chose très relative, et dont l’intensité
varie d’une personne à l’autre. Derrière une perte ou
une absence d’acuité de la perception de la réalité
immédiate, une impossibilité à réagir avec la vivacité
requise dans une foule de situations quotidiennes peut
quelquefois se cacher une grande profondeur de
compréhension des choses essentielles de la vie, une
parfaite lucidité sur soi-même et sur les autres. Cela
arrive notamment avec les personnes âgées, mais aussi
avec les malades mentaux et certains arriérés mentaux.
Chaque personne est différente, et il est tout à fait
essentiel qu’à chaque fois, le juge de paix, ainsi que la
loi le lui impose d’ailleurs, vérifie personnellement
l’étendue et le domaine exact de l’incapacité de la
personne dont la protection est demandée.
574 Il faut, dans ce domaine, se garder à la fois de toute
généralisation et de toute attitude bureaucratique,
attitudes qui peuvent causer d’énormes dégâts sur le
plan humain.

Section 3. L'obligation pour le juge de paix d'entendre


la personne sous administration provisoire
575 Il s’agit là d’une obligation à ce point essentielle que
nous allons nous y étendre quelque peu.
576 L’article 488 bis B, §4, alinéa 2, du Code civil dispose
que :
577 «  Le greffier convoque la personne à protéger et son
conjoint, par pli judiciaire, pour être entendus par le
juge de paix en chambre du conseil, le cas échéant en
présence de leur avocat. Il est fait de même en cas de
mesure envisagée d’office par le juge de paix. Ce dernier
peut également se rendre à l’endroit où la personne
réside ou à l’endroit où la personne se trouve. Il peut
entendre toute personne qu’il estime apte à le
renseigner ».
578 Comme déjà signalé, s’agissant de statuer sur la
demande de mise sous administration provisoire, cette
disposition ne constitue pas une innovation, puisqu’une
obligation analogue existe dans tous les autres régimes
d’incapacité, où le tribunal rencontre la personne dont
l’interdiction, la mise sous conseil judiciaire ou sous
statut de minorité prolongée est demandée89.
579 Une différence essentielle toutefois entre
l'administration provisoire et les autres régimes
d'incapacité : si la personne à protéger est incapable de
se déplacer, le juge de paix peut se rendre à l'endroit où
la personne réside ou se trouve. Le texte de la loi semble
donc indiquer qu'il ne s'agit pas là d'une obligation
formelle. Le juge de paix qui déciderait de ne pas se
déplacer lui-même en matière d'administration
provisoire ne serait donc pas en contradiction avec le
texte de la loi, qui impose seulement au greffier de
convoquer la personne à protéger.
580 Il existe donc en matière de protection des biens une
certaine souplesse quant à l'obligation de rendre visite à
la personne là où elle se trouve, souplesse qui contraste
avec la rigueur de l'obligation de rendre visite au
malade mental là où il se trouve. Connaissant
aujourd'hui l'intensité du phénomène de rejet dont la loi
du 26 juin 1990 a fait l'objet de la part de certains juges
de paix, et la modification législative malencontreuse
qui en a résulté, on ne peut que se louer de la souplesse
de l'article 488 bis à cet égard. Elle explique le fait qu'il
ne semble pas exister en matière d'administration
provisoire les difficultés d'application et de compétence
mises en exergue par certains pour la loi du 26 juin
1990.
581 Il n’en demeure pas moins que la rencontre personnelle
par le juge de paix de la personne dont la mise sous
administration provisoire est demandée reste une
nécessité tout à fait essentielle. Il s'agit d’une véritable
obligation morale et nous ne partageons nullement à cet
égard l’opinion exprimée par une certaine
jurisprudence90 selon laquelle le renouvellement d’un
mandat d’administrateur provisoire, dont le mandat
avait été prorogé par l’article 20 de la loi du 18.7.91, ne
nécessiterait ni la production d’un certificat médical
circonstancié ni la convocation en chambre du conseil
de la personne protégée. Non seulement ceci est tout à
fait contraire au texte de la loi, mais de plus, constitue
en pratique une manière de perpétuer sous la loi
nouvelle des situations abusives liées à l’ancienne
législation et que la loi nouvelle avait précisément pour
but de combattre. Le renouvellement des anciens
mandats d’administrateur a justement été l’occasion de
lever beaucoup de mesures injustifiées, et notamment
dans le cas des anciens administrateurs généraux, la loi
nouvelle dissociant dorénavant totalement la protection
des biens de la protection de la personne (voir plus haut
le chapitre consacré aux malades mentaux).
582 La rencontre personnelle entre le juge de paix et la
personne dont la protection est demandée est et reste en
tout état de cause essentielle, car seule cette rencontre
permet au juge d’apprécier correctement la situation, la
réalité de l’incapacité, l’étendue de celle-ci, la nature des
biens à protéger et les liens entre la personne et ses
proches.
583 Là où la loi du 18 juillet 1991 innove encore par rapport
à tous les autres régimes d’incapacité, c’est lorsqu’elle
impose à l’administrateur provisoire de demander
l’autorisation du juge de paix pour une série d’actes
importants, et qu’elle demande au juge de statuer en
faisant application de l’article 488 bis B, § 4, deuxième
alinéa, cité ci-dessus. Cela signifie que, dans le cours de
l’administration provisoire, le juge de paix rencontrera
la personne protégée à l’occasion de tous les actes
importants que l’administrateur provisoire souhaitera
poser.
584 L’article 488 bis F, § 3 et 4, énumère tous les actes pour
lesquels l’administrateur provisoire ne peut agir que
moyennant une autorisation spéciale du juge de paix. Il
s’agit essentiellement de la représentation en justice de
l’administré, de la vente de ses biens meubles ou
immeubles, emprunter et consentir une hypothèque,
acquiescer à une demande relative à des droits
immobiliers, accepter une succession sous bénéfice
d’inventaire ou y renoncer, accepter une donation ou
un legs, conclure un bail à ferme ou un bail commercial,
transiger.
585 Le dernier alinéa de la disposition précitée stipule
expressément que «  cette autorisation est accordée
suivant la procédure prévue à l’article 488 bis, B, § 4,
deuxième et troisième alinéas. Cette dernière
disposition, dont nous avons cité le texte ci-dessus,
demande au juge d’entendre la personne protégée en
chambre du conseil ou éventuellement à l’endroit où
elle réside, pour la personne incapable de se déplacer.
586 A notre estime il s’agit là d’une disposition essentielle de
la loi, et dont seule une application rigoureuse permet
au juge de paix d’exercer correctement sa mission
durant l’administration provisoire. Il nous apparaît que
cette rencontre avec la personne protégée doit, en
principe, se faire quel que soit le degré de l’incapacité
de la personne et quel que soit le degré de technicité de
la requête déposée par l’administrateur91.

Section 4. La fonction du juge de paix durant


l’administration provisoire
587 En effet, c’est à l’occasion de toutes les requêtes
déposées par l’administrateur qu’apparaissent petit à
petit les implications humaines des actes à caractère
patrimonial. Il arrive, par exemple, que la vente de
certains objets peut en effet parfois être totalement
justifiée (et même urgente) sur le plan patrimonial, pour
permettre à la personne de disposer de liquidités
nécessaires à sa subsistance. Après un entretien avec la
personne protégée, il peut cependant apparaître que les
objets en question (des œuvres d’art, par exemple) ont
pour la personne une telle valeur affective que le
bénéfice rapporté par leur vente serait disproportionné
par rapport au chagrin occasionné par leur vente. Mais
ce genre de choses, le juge de paix ne peut le percevoir
que s’il rencontre scrupuleusement, ainsi que la loi le lui
impose, la personne sous administration.
588 Les rencontres entre le juge de paix et la personne
protégée à l’occasion des diverses requêtes sont aussi
l’occasion pour le juge de découvrir l’étendue exacte de
l’incapacité de la personne. Beaucoup de personnes
souffrant à un degré ou un autre d’une déficience
mentale ont, en effet, soit des intervalles lucides durant
certaines périodes, soit des domaines dans lesquels
l’incapacité ne se manifeste pas. Et dans ces diverses
phases de lucidité, qui ne sont généralement pas du tout
prévisibles pour le juge, la personne protégée peut
quelquefois donner des avis d’une surprenante lucidité
sur les questions qui la concernent.
589 Le juge de paix acquiert ainsi, dans chaque
administration provisoire, une certaine connaissance de
la personne protégée, de son entourage et de son
administrateur provisoire. C’est cette connaissance qui
lui permettra de trancher les inévitables conflits qui
surviendront entre l’administré, qui reste seul investi
du gouvernement de sa personne, et l’administrateur
provisoire, seul habilité à gérer ses biens.
590 L’essentiel des conflits surviennent généralement
lorsque l’administrateur sollicite de pouvoir liquider
l’appartement où réside ou résidait la personne
protégée, en demandant l’autorisation de résilier le bail
(lorsque la personne était locataire) ou en sollicitant
l’autorisation de vendre l’appartement (si la personne
protégée était propirétaire), et de vendre le mobilier.
Dans tous ces cas, l'alternative pour la personne
incapable est bien évidemment l'institutionnalisation
plus ou moins définitive. Et bien souvent, la personne
protégée refusera cette institutionnalisation, soit qu’elle
désire à tout prix continuer à vivre chez elle, soit qu’elle
refuse d’admettre le caractère définitif de son séjour
dans le home où elle se trouve déjà depuis quelque
temps. Dans ce genre de situations, de véritables
tragédies humaines se jouent quelquefois,
l’administrateur provisoire faisant par exemple valoir
l’impossibilité économique de poursuivre à la fois le
paiement du home et le paiement du loyer, et la
personne protégée (souvent une personne âgée)
refusant de renoncer à l’idée de pouvoir sortir un jour
de l’institution où elle se trouve pour rentrer «  chez
elle ».
591 Ce sont là évidemment des situations très délicates qui
nécessitent «  une décision mûrie de manière toute
spéciale  »92, mais aussi que soit établie une hiérarchie
des valeurs qui privilégie les droits de l’homme (de la
«  première génération  »), et plus particulièrement le
droit au respect de la vie privée et la liberté individuelle
par rapport à la rationalité économique.
592 Cela signifie que c’est en principe toujours le désir de la
personne protégée qui devra l’emporter, sauf si ce désir
se heurte à une véritable impossibilité matérielle. Ainsi,
le juge de paix devra suivre la personne protégée dans
son refus de vendre son appartement, s’il apparaît que
les revenus de cette personne (pension par exemple)
suffisent à payer les frais du home où elle se trouve,
même au prix de certains sacrifices financiers. La
liberté individuelle est à ce prix.
593 Par contre, s’il apparaît des circonstances qu’il est
mathématiquement impossible, faute de moyens, pour
l’administrateur de poursuivre à la fois le payement du
home où une personne âgée impotente se trouve et le
loyer de l’appartement où cette personne ne vit plus
depuis plusieurs mois, il faudra bien que le juge de paix
accorde à l’administrateur l’autorisation de résilier le
bail, et ceci quel que soit le désir de la personne
protégée. Car, dans ce cas précis, si le juge de paix ne
donnait pas une telle autorisation, c’est le bailleur
impayé qui finirait par obtenir la résolution du bail et
l’expulsion de la personne protégée dans de bien plus
mauvaises conditions pour elle, avec éventuellement
même saisie de son mobilier. Alors qu’une résiliation
négociée au bon moment par l’administrateur avec le
bailleur permet de faire des économies, et
éventuellement de conserver le mobilier à la disposition
de la personne dans un garde-meubles par exemple.
Cette dernière mesure permet d’ailleurs de sauvegarder
l’espoir de la personne protégée de retrouver une vie
autonome dès que sa santé le lui permettra à nouveau.
594 Mais le conflit entre rationalité économique,
personnifiée par l’administrateur, et l’intérêt affectif ou
sentimental exprimé par la personne protégée, ne
survient pas uniquement à l’occasion des demandes
relatives au logement de la personne protégée, qui fait
d’ailleurs l’objet d’une protection particulière de l’article
488 bis F, § 4.
595 Ce type d’opposition peut être rencontré dans
pratiquement toutes les requêtes dont l’administrateur
peut saisir le juge. Nous avons déjà cité l’exemple d’un
administrateur qui sollicitait l’autorisation de pouvoir
vendre des objets d’art ayant une grande valeur
sentimentale pour la personne protégée.
596 Citons encore le cas d’un administrateur qui sollicitait
l’autorisation d’intenter une action alimentaire contre
un des enfants d’une personne âgée dans le besoin.
Cette autorisation ne fut pas accordée car la personne
protégée s’y refusait pour des raisons sentimentales tout
à fait compréhensibles.
597 Ce type d’opposition peut aussi surgir (quoique
beaucoup plus rarement) lorsque c’est la personne
protégée qui formule une demande à son
administrateur et que celui-ci refuse de l’accorder
(augmenter l’argent de poche par exemple). Le juge de
paix saisi du différend par l’incapable, ou même par
l’administrateur, n’a pas à proprement parler de
pouvoir de décision. N’ayant pas de responsablilité en
matière de gestion, il ne peut, à notre avis, modifier les
décisions de l’administrateur provisoire. Il aura
cependant un pouvoir indirect considérable sur
l’administrateur, puisqu’il peut à tout moment mettre
fin à la mission de ce dernier, et on peut supposer que la
plupart des différends seront ainsi résolus à l’amiable
entre administrateur et administré à l’intervention du
juge de paix.
598 Lorsqu’on analyse en profondeur tous les actes
susceptibles d’être accomplis dans le cadre de la gestion
des biens d’une personne, on arrive rapidement à la
conclusion que ces actes ont pratiquement toujours une
incidence sur la vie ou les sentiments de cette personne.
599 Selon la personnalité de l’administrateur provisoire, le
nombre de différends dont le juge sera saisi sera ainsi
plus ou moins grand : soit l’administrateur a une vision
très humaine de la gestion des biens et a de nombreux
contacts avec la personne protégée, et le juge n’aura que
peu de requêtes contestées par l’administré. Il se peut
aussi que l’administrateur ait une conception plus
« économique » de sa mission. C’est alors au juge de paix
qu’incombera la tâche de concilier ce point de vue avec
celui de l’administré, et de trancher les différends qui
risquent alors de lui être plus souvent soumis.
600 Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons que constater qu’il
existe de nombreuses façons d’exercer la fonction
d’administrateur provisoire, tout comme il existe sans
doute de nombreuses façons d’être juge de paix.
L’essentiel nous paraît de trouver pour chaque personne
incapable en particulier le type d’administration qui lui
convient le mieux, et d’en exercer le contrôle de la façon
la mieux adaptée à la personnalité de l’administrateur
et de la personne protégée.
601 Dans cette matière où l’on régit le sort d’êtres humains,
il n’y a pas de règle, et chaque cas est toujours un cas
particulier.

Section 5. La véritable richesse des personnes


incapables
602 Lorsqu’on étudie les régimes d’incapacité du Code civil
et que l’on relit les décisions de jurisprudence relatives
à l’incapacité rendues durant les vingt dernières années,
on ne peut être que frappé par l’importance du chemin
parcouru.
603 La perception que l’on peut avoir aujourd’hui de
l’incapacité et des personnes incapables n’est plus la
même. Au siècle dernier, les incapacités liées à une
déficience mentale étaient considérées comme une tare
ou une honte dont il fallait se cacher. Les incapables
étaient des personnes dont il fallait se protéger, et le
droit de l’incapacité du Code civil était surtout destiné à
protéger les familles et leur héritage contre la personne
incapable.
604 Cette vision des choses a ensuite fait place à une vision
protectrice condescendante et paternaliste de
l’incapacité. Dans cette optique, encore fréquente
aujourd’hui, la personne incapable est considérée
comme un être humain à qui il manque quelque chose,
qui ne peut pas faire ce que font les personnes
« normales » et qui ne sait pas ce qui est bon pour elle.
605 Il faut donc la prendre en charge, décider et agir en ses
lieu et place pour tout ce qui la concerne.
606 Cette vision des choses, très rassurante pour les
personnes « normales », était à la base de la loi de 1973
sur la minorité prolongée et reste très présente dans la
plupart des commentaires sur l’incapacité de cette
époque.
607 Le nouveau régime de l’administration provisoire est
fondé sur une tout autre philosophie. Tout comme la
personne «  normale  », la personne incapable est un
sujet des droits de l’homme. En reconnaissant à la
personne incapable le droit d’être entendue, on la
reconnaît dans sa subjectivité et dans sa différence. Et
ce faisant, la personne incapable cesse d’être « moins ».
Elle est tout simplement « autre ».
608 On découvre rapidement la grande richesse du contact
avec les personnes incapables. Chez la plupart des
personnes souffrant d’une déficience mentale, les
barrières sociales tombent ou n’ont tout simplement pas
cours. Et bien souvent s’exprime alors, dans un contact
vrai, une tendresse ou une sérénité que l’on ne trouve
que très rarement chez les personnes « capables ».
609 Combien de fois n’avons-nous pas vu l’entourage
familial s’entre-déchirer à propos de l’argent d’une
personne incapable qui, tout à fait étrangère à ce conflit,
se réjouissait tout simplement de recevoir de la visite de
ses proches. Et devant le visage épanoui de cette
personne, il nous a semblé que, tout compte fait, les
véritables incapables sont les personnes incapables de
tendresse.
610 Chez les personnes âgées, il arrive que l’incapacité de
gérer les biens, outre les causes proprement médicales,
soit aussi — du moins en partie — le résultat d’un
véritable détachement par rapport aux biens matériels,
fruit d’une grande sagesse née de la perspective de la
mort proche. Et c’est bien souvent parce que l’argent
compte beaucoup moins qu’une présence tendre et
amicale, que certaines personnes âgées devenues
« incapables » se laissent manœuvrer par des personnes
plus ou moins bien ou mal intentionnées cherchant —
au moins partiellement — à s’approprier leurs biens. Il
est d’ailleurs souvent bien difficile dans ce type de
situations, au demeurant fort fréquentes, de dire si la
personne âgée a réellement subi un préjudice du fait de
son appauvrissement ou si, au contraire, la présence,
même intéressée, d’une personne qui s’occupe d’elle, n’a
pas permis tout compte fait de rendre plus agréables les
dernières années de sa vie.
611 La mise en pratique de la loi du 18 juillet 1991 pose sans
cesse la question de la hiérarchie des valeurs dans notre
société. Le regard que l’on porte sur les personnes
incapables sera très différent selon les valeurs prônées.
Si c’est la réussite économique et sociale, l’efficacité, la
compétition avec l’autre qui est mise en avant, par
opposition à l’idéal du «  winner  » (le gagnant),
intelligent, habile, efficace, l’incapable ne peut être
considéré que comme un « looser » (un perdant), traité
(au mieux) avec une pitié condescendante.
612 Si les valeurs qui sont mises en avant sont de l’ordre de
la tendresse, de la recherche de la paix intérieure, de la
qualité des relations humaines, la personne incapable
sera une personne comme les autres, acceptée et
respectée pour ce qu’elle est.
613 Dans cette conception, les personnes incapables font
partie intégrante de notre société à laquelle elles
apportent une richesse non évaluable en argent.
D’ailleurs, la véritable richesse d’une personne, qu’elle
soit ou non incapable, n’est jamais évaluable en argent.

Notes
1. J. Fierens, Droit et pauvreté. Droits de l’homme, sécurité sociale,
aide sociale, Louvain-La Neuve, Bruxelles, 1992, p. 66, no 106.
2. Loi du 18 juillet 1991, Mon. belge, 26 juillet 1991.
3. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, 1990,
t. II, vol. II, Les personnes, Bruxelles, 1990, p. 1101, no 1192.
4. H. De Page, ibidem, p. 1102.
5. H. De Page, ibidem, p. 1367, n. 1498.
6. Voir à ce propos le rapport fait au nom de la Commission de la
Justice au Sénat par Mme Herman-Michielsens, Doc.parl., Sénat, 1989-
1990, no  1102/3, plus particulièrement p.  10 et 14 dont des extraits
sont cités infra.
7. Cela ressort d’ailleurs aussi du rapport de Mme Herman-
Michielsens, ibidem, p. 10 : « Le nouveau système peut être considéré
comme un système sui generis. Les autres systèmes du droit civil
restent maintenus à ce stade : on n’a pas voulu les abroger puisque,
dans certains cas, ils conservent une certaine utilité, mais l’espoir a
toutefois été exprimé qu’ils tomberont en désuétude au fil du temps
précisément en raison de la plus grande souplesse du nouveau
système. Ceci ne s’applique bien sûr pas à la loi sur la minorité
prolongée qui, vu son caractère spécifique, doit être conservée ».
8. Selon les renseignements aimablement fournis par Mme
Sauvage, commis-greffier déléguée, le greffe du tribunal de
première instance de Bruxelles a enregistré en 1992 :

35 demandes de minorité prolongée en langue néerlandaise contre


51 en 1990

34 demandes de minorité prolongée en langue française contre 53


en 1990

3 demandes d’interdiction et/ou de mise sous conseil judiciaire en


langue néerlandaise contre 18 en 1990

14 demandes d’interdiction et/ou de mise sous conseil judiciaire en


langue française contre 50 en 1990
9. Cf. note 7.
10. Art. 1123 C. civ. : « Toute personne peut contracter, si elle n’est
pas déclarée incapable par la loi ».
11. Art. 1124 C. civ.  : «  Les incapables de contracter sont  : les
mineurs, les interdits et généralement tous ceux à qui la loi interdit
certains contrats ».
12. Ceci, bien sûr, sans préjudice des autres vices du consentement
et autres causes possibles de nullité des conventions prévues par le
Code civil aux articles 1108 à 1133.
13. Le terme étant pris ici dans son sens usuel et non pas juridique.
Dans le sens usuel, ce mot signifie « folles dépenses ». En revanche,
pour qu’il y ait prodigalité au sens du Code civil, les folles dépenses
ne suffisent pas. Il faut, en outre, que ces folles dépenses entament
le capital, et ne se limitent pas aux seuls revenus de la personne.
Voir à ce propos H. De Page, op. cit., p.  1474, no  1653, et infra au
chapitre consacré à « la mise sous conseil judiciaire aujourd’hui ».
14. J.P. 2e canton d’Ixelles, 30 octobre 1991, J J.P., 1992, p. 69.
15. Le texte ancien de l’article 489  C. civ. faisait état de «  …l’état
habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur ».
16. Article 1247 du code judiciaire.
17. Article 487 bis, alinéa 2 du Code civil.
18. Pour plus de détails sur la loi du 27 février 1987, cf. infra S.
Fabry, Aspects de sécurité sociale, p. 423.
19. Op. cit., p. 1121 et s., no 1211 et s.
20. Ibidem, no 1211, p. 1122, no 1211.
21. Ibidem, no 1211 et 1225 à 1231.
22. Cette tutelle est également organisée lorsque le survivant des
père et mère est soit dispensé de la tutelle, soit en est exclu, destitué
ou incapable (Cf. articles de 427 à 449 du Code civil).
23. Cf. note 22.
24. V. Cobb et P. Mittler, Différences entre arriération mentale et
maladie mentale, édité sous forme de dépliant (édition revue 1989)
par la Ligue Internationale des Associations pour les Personnes
Handicapées Mentales, et if fuse en Belgique par l’Α.Ν.Α.Η.Μ.
(Association Nationale d’Aide aux Handicapés Mentaux, rue
Forestière, 13 à 1050 Bruxelles
25. Civ. Brugge, 19 juin 1990, R.W., 1990-91, col. 1305. Cette décision
établit notamment une intéressante classification des degrés
d’incapacité en fonction des taux de quotient intellectuel.
26. Civ. Liège, 26 novembre 1976, J T., 1977, p.  191. Cette décision
estime, à tort, pouvoir étendre le champ d’application de la
minorité prolongée à l’arriération mentale «  modérée  » et ceci,
nonobstant le texte clair de l’article 487 bis.
27. Jurisprudence 1991 citée par P. Senaeve, 20 jaar toepassing van de
wet op de verlengde minderjarigheid, in Journée d’études organisée à
Bruxelles par l’A.NA.H.M. le 9.10.1992, Bruxelles, 1992, p. 5.
28. Dans le régime de la tutelle, le mineur ou l’interdit ne sont
jamais consultés, ni même entendus !
29. En fait, un seul exemple de limitation est donné dans le rapport
Herman-Michielsens, op. cit., p.  9  : «  Ainsi le juge peut par exemple
limiter la mission de l’administrateur provisoire à la perception de
la pension de l’intéressé ».
30. V. Cobb et P. Mittler, op.cit.
31. Rapport Herman-Michielsens, op. cit., p. 6.
32. Ainsi, d’après les chiffres fournis par M. Claude Petit, Directeur-
adjoint au Centre hospitalier Jean Titeca, en  1992, dans ce Centre,
199 admissions nouvelles sur base de la loi du 26.6.90. Parmi ces
199 personnes, seules 34 ont été pourvues d’un administrateur
provisoire.
33. C’est-à-dire la prodigalité, cf. à ce propos la note 13.
34. L’idée avait notamment été défendue par G. Kirschen, Pour
l'instauration d’un mentor, in J.T., 1983, p. 721.
35. Cf. M.A. Sèchehaye, Le Journal d’une schizophrène, Paris, 1987, qui
constitue le saisissant récit d'une maladie mentale.
36. Civ. Bruxelles, 9 juin 1992, inédit, R.G. no 4366/92, réformant une
ordonnance du 12 février 1992 du juge de paix du 1er canton de
Schaerbeek.
37. La question a notamment été posée dans divers groupes de
travail auxquels participaient les travailleurs sociaux au cours de la
«  Journée de rencontres et d’échanges entre praticiens socio-
médico-juridiques  » tenue à Bruxelles le 19 septembre 1992, aux
Facultés Universitaires Saint-Louis, sur le thème «  Bilan et
perspectives de la protection de la personne des malades mentaux
et des biens des personnes incapables ».
38. Cf. la brochure adressée aux juges de paix le 21 avril 1993 par la
Federatie van Vlaamse Simileskringen (Groeneweg 151 - 3001
Heverlee) et intitulée Goede intenties blijven dode letter -
Bedenkingen bij de toepassing van de wet op de bescherming van de
goederen - De stem van de gebruiker en zijn familie.
39. Cf. note 37.
40. Cf. la lettre circulaire adressée à l’ensemble des juges de paix le
8 janvier 1992 par la Katolieke vereniging voor gehandicapten
v.z.w. ; cf. également la brochure d’information adressée aux juges
de paix en  1992 par la Overleg Gehandikapte Jongeren verbond
(Nieuwland à  8000 Brugge), intitulée Beschermen zonder te
beknottenen ; cf. aussi note 38.
41. Journée d’études bilingue organisée à Bruxelles le 9 octobre
1990 par l'A.N.A.H.M. sur le thème «  La protection juridique des
personnes mentalement handicapées » ; cf. aussi note 27.
42. J. Messy, La personne âgée N’existe pas. Une approche
psychanalytique de la vieillesse, Paris, 1 992.
43. L’Homme Très Âgé  : Quelles Libertés  ?. Actes du 3e Congrès
Francophone des Droits de l’Homme Agé tenu à Genève en 1991. Sous
la direction de Christian de Saussure, Genève, 1992.
44. J. Messy, op. cit, p. 13.
45. Ibidem, p. 22 et 23.
46. Ibidem, p. 24.
47. Ibidem, p. 25-27.
48. Ibidem, p. 30 à 32.
49. Ibidem, de la page 31 à 40.
50. Ibidem, p. 34.
51. Ibidem, p. 39.
52. Ibidem, p. 35 et 36.
53. Ibidem, p. 36 et 37.
54. Ibidem, p. 38.
55. Ils le faisaient d’ailleurs aussi avant, puisque sous la législation
ancienne le juge de paix était compétent pour les « séquestrations à
domicile ». Cette mesure était souvent sollicitée dans le seul but de
pouvoir désigner un administrateur provisoire à une personne
âgée, généralement totalement incapable et placée dans un home.
Avec la loi nouvelle, le nombre de personnes âgées pour qui la
mesure est sollicitée a considérablement augmenté, et l’éventail des
pathologies et de leur degré de gravité s’est élargi de manière
notable.
56. Ibidem, de la p. 109 à 114.
57. Rapport Herman-Michielsens, op. cit., p. 6.
58. A. Poselnicu, La protection des biens des personnes totalement ou
partiellement incapables d'en assumer la gestion en raison de leur
état physique ou mental, in J. T., 1992, p. 105 et s., in fine.
59. Cf. note no 40.
60. Art. 488 bis, D, C. civ.
61. Art. 488 bis F, § 2, C. civ.
62. Contra, J.P. Masson, Le nouveau régime de protection des biens des
incapables majeurs, in R. N. B., 1992, p.  174 et s., en particulier la
p.  191, no  18. En revanche, certaines associations de handicapés
préconisent la limitation dans le temps systématique, pour une
durée maximum de 5 ans (cf. note no 40).
63. Ibidem, p. 174 et s., no 15 in fine.
64. Ibidem.
65. Rapport Herman-Michielsens, op. cit., p. 10.
66. Cf. note no 8.
67. J.P. Masson, op.cit, p. 177, no 4.
68. H. De Page, op.cit., p. 1371, no 1502.
69. Ibidem, p. 1399, no 1549.
70. Cf. note 7.
71. Ibidem, p. 14.
72. H. De Page, op. cit., t.  I, Théorie générale des droits et des lois,
Bruxelles 1962, no 78, B.1°.
73. H. De Page, op.cit., t. II, p. 1366, no 1497.
74. Ibidem, note 1, p. 1367.
75. Ibidem, p. 1474, no 1653.
76. Liège, 29 janvier 1921, J. L. 1921, p. 97.
77. H. De Page,op. cit, t. II, p. 1102, no 1193.
78. Cass., 27 novembre 1979, Pas., 1980, p. 391.
79. A. Postelnicu, op.cit., p. 110.
80. Ibidem, p. 100.
81. Contra, J.P. Soignies, 2.octobre 1992, J.LM.B., 1992, p. 731.
82. Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux
qui les ont faites.
83. Le cas de la personne âgée mourant de faim sur un matelas
rempli de billets de banque n’est pas qu’une image d’Epinal…
84. J. Fierens, op. cit.
85. Ibidem, p. 80, no 137.
86. Ibidem, p. 81, no 139.
87. Ibidem, p. 85, no 143.
88. Ibidem, p. 89, no 148.
89. Interdiction et mise sous conseil judiciaire : article 1244, alinéa
2, du Code judiciaire ; minorité prolongée : article 487 quinquies du
Code civil.
90. J.P. Marchienne-au-Pont, 23 décembre 1991, J.L.M.B., 1992,
p. 747.
91. Contra, J.P. Marchienne-au-Pont, 11 février 1992, J.L.M.B., 1992,
p. 755.
92. J.P. Marchienne-au-Pont, 24 janvier 1992, J.M.L.B., 1992, p. 751 et
Obs.

Auteur

Isabelle Brandon

Juge de paix

Du même auteur

La mise en observation (articles


4 à 12 de la loi) in Malades
mentaux et incapables majeurs,
Presses de l’Université Saint-
Louis, 1994
Conclusion in Malades mentaux
et incapables majeurs, Presses
de l’Université Saint-Louis, 1994
Malades mentaux et incapables
majeurs, Presses de l’Université
Saint-Louis, 1994
© Presses de l’Université Saint-Louis, 1994

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Référence électronique du chapitre


BRANDON, Isabelle. Vers un nouveau régime d'incapacité  ? Les
interrogations d'une juge de paix In : Malades mentaux et incapables
majeurs : Émergence d'un nouveau statut civil [en ligne]. Bruxelles :
Presses de l’Université Saint-Louis, 1994 (généré le 18 septembre
2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pusl/13139>. ISBN  : 9782802803850.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.pusl.13139.

Référence électronique du livre


BENOÎT, Guy (dir.) ; BRANDON, Isabelle (dir.) ; et GILLARDIN, Jean
(dir.). Malades mentaux et incapables majeurs  : Émergence d'un
nouveau statut civil. Nouvelle édition [en ligne]. Bruxelles : Presses
de l’Université Saint-Louis, 1994 (généré le 18 septembre 2022).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pusl/13001>.
ISBN  : 9782802803850. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.pusl.13001.
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