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Pour théoriser la notion de « stratégie » et celle « d’acquisition », reprenons les définitions

de Cuq (extraites du Dictionnaire de didactique du français, Clé International, 2003).

Pour l’auteur, la notion de stratégie s’est imposée graduellement dans la réflexion didactique
au cours des années 1970, parallèlement à l’analyse des styles d’apprentissage, la recherche en
matière d’inter langue et le développement de l’apprentissage autonome. Le terme trouve des
applications variées qui ne simplifient pas son utilisation. Tantôt il renvoie à des stratégies
d’apprentissage, tantôt à des stratégies de communication. Parmi les premières O’Malley et
Chamot proposent de distinguer des stratégies métacognitives correspondant à une réflexion
sur le processus d’apprentissage, des stratégies cognitives correspondant au traitement de la
matière à étudier, et enfin des stratégies socio-affectives impliquant une interaction avec une
autre personne. Les stratégies d’apprentissage peuvent être assimilées pour certaines d’entre
elles à des stratégies de communication. Par exemple, les stratégies de compensation
(également appelées « compétences stratégiques » par Canale et Swain ou encore « tactiques
compensatoires » par d’autres auteurs) permettent de suppléer certaines difficultés que l’on
pourrait éprouver dans le maniement de la langue cible. Elles font manifestement partie du
répertoire communicatif courant que l’on peut déployer aussi bien en langue maternelle qu’en
langue cible. On y compte par exemple le recours à la paraphrase ou aux hyperonymes, les
mimiques, les gestes, les onomatopées, les hypergénétiques désémantisés (ex : truc, bidule,
machin) dont la signification dépend du contexte d’utilisation. Les stratégies d’évitement par
lesquelles le locuteur s’abstient d’évoquer tel ou tel sujet ou de recourir à telle ou telle
formulation difficile à produire, phonétiquement ou morphologiquement, peuvent être incluses
dans les stratégies de compensation. Le débat porte également sur la nature consciente ou
inconsciente de l’emploi des stratégies d’apprentissage, ce qui incite certains formateurs à
préconiser un entrainement explicite aux stratégies considérées comme étant les plus rentables.
On court le risque dans ce cas de méconnaître la spécificité des styles d’apprentissage des
apprenants, qui peuvent conditionner en partie la pertinence de telle ou telle stratégie pour les
individus en question.

On appelle acquisition le processus de traitement de l’information et de mémorisation qui


aboutit à une augmentation des savoirs et savoir-faire langagiers et communicatifs d’un
apprenant, à une modification de son interlangue. L’acquisition n’est pas toujours distinguée de
l’apprentissage. Lorsqu’elle l’est, elle est associée à milieu naturel et « apprentissage » est
alors associé à milieu institutionnel. Pourtant d’un point de vue didactique, il est utile de
distinguer d’une part le processus largement inconscient et involontaire (acquisition naturelle)
et d’autre part la démarche consciente et volontaire (apprentissage). Le processus d’acquisition
des langues à fait l’objet de nombreuses recherches que l’on peut classer en quatre courants
(Skinner, Chomsky, Piaget, Vygotsky et Bruner).

Le débat n’est pas clos entre les chercheurs qui postulent l’existence d’un dispositif inné
permettant le traitement de n’importe quelle langue et se déclenchant au contact d’une langue
particulière, et les chercheurs qui postulent l’expérience de dispositions cognitives plus
générales qui permettent l’acquisition de la langue maternelle. Les recherches sur le
bilinguisme ont abouti à des modèles dans lesquels la langue maternelle joue des rôles variables
(transferts, interférences, séparation complète des deux systèmes ou coordination, etc.). Les
chercheurs s’accordent sur la distinction entre l’exposition : ce à quoi l’apprenant est exposé
(en anglais input), et la saisie : ce qui est effectivement saisi par l’apprenant (intake en anglais).

Acquérir, c’est découvrir des informations, les organiser et les stocker en mémoire, en les reliant
aux connaissances existantes (savoirs), et utiliser ces nouvelles connaissances dans les aptitudes
visées (compréhension orale et écrite, expression orale et écrite). Cette utilisation nécessite une
grande attention (contrôle) portée aux savoirs et savoir-faire visés, et progressivement amène
l’apprenant à utiliser des processus de plus en plus automatisés. L’acquisition de savoir-faire
est atteinte lorsque l’utilisation de savoirs est complètement automatisée.

Dans un article de 2005 (Théories d’apprentissage et didactique des langues) Heather Hilton
explique que l’apprentissage des langues étrangères, institutionnel est différent de l’acquisition
naturelle de la langue première (ou maternelle). La différence principale est d’ordre quantitatif,
puisqu’en milieu scolaire le temps d’immersion dans la langue n’est qu’une infime partie du
contact permanent dans lequel nous baignons en L1 et qui permet l’élaboration de réseaux
langagiers. Notons qu’un enfant bénéficie d’environ 20 000 heures avec sa L1 pendant les six
premières années de sa vie. Sept ans de scolarisation secondaire ne génèrent que 750 heures de
contact avec la première L2. En classe de langue, il n’y a pas le temps nécessaire pour assurer
le développement « naturel » (ou implicite) de réseaux cognitifs performants en L2. La tâche
cognitive est d’ailleurs qualitativement différente : un réseau langagier existe déjà dans la tête
d’un enfant apprenant une langue étrangère à l’école. Le rôle important des variables
individuelles dans les processus d’acquisition de la L2 est la preuve de cette différence
qualitative : certains facteurs cognitifs et affectifs tels que l’aptitude ou la motivation ainsi que
sociaux (d’apprentissage, rôle des adultes et des formateurs), peuvent déterminer de façon
décisive les acquis en L2. Dans le développement langagier en L1, où tout enfant acquiert une
compétence orale performante avant l’entrée à l’école, ces variables ne semblent pas entrer en
jeu. Ces caractéristiques de l’acquisition de la L2 en milieu scolaire relèvent plus du domaine
de l’acquisition d’une compétence cognitive complexe que celui de l’acquisition de la L1.

Jean-Marc MANGIANTE

Marie BEILLET

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