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Bruno Robbes
Dans Spécificités 2011/1 (N° 4), pages 199 à 216
Éditions Champ social
ISSN 2256-7186
ISBN 9782918555094
DOI 10.3917/spec.004.0199
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Rien n’est moins sûr. Les analyses en termes de crise de la transmission,
d’érosion de l’autorité ou de mutation engendrée par la modernité
conduisent à penser que nous sommes sans doute d’abord confrontés à
un déficit d’exercice d’autorité éducative.
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Un décalage grandissant entre les valeurs prônées par la
société et les exigences sur lesquelles l’institution scolaire se
fonde
Les valeurs sociétales dominantes semblent s’éloigner toujours
davantage de celles portées par l’École. Pour que l’élève accède au
savoir, il lui faut contrôler ses pulsions a minima, accepter au moins
temporairement une discipline qui permet la réflexion et l’entrée dans le
travail, s’engager dans une démarche active s’inscrivant dans la durée et
réclamant sens de l’effort. Il en est tout autrement dans notre société
dominée par un individualisme devenu la valeur de référence, où
l’univers de la consommation donne à voir – et permet à ceux qui en ont
les moyens – d’accéder au plaisir le plus vite possible, sans effort et
apparemment sans limites. Ce « capitalisme pulsionnel » (Stiegler, 2006)
devient le moteur de notre économie et imprègne en profondeur les
comportements individuels. Il cible en particulier les jeunes, cherchant à
capter leur attention à travers l’image et le son (de télévision,
d’ordinateur, de téléphone portable). Langage privilégié de cette pulsion,
la publicité ne cesse d’user de l’inversion des places générationnelles
(Marcelli, 2003), présentant l’enfant comme tout-puissant et omniscient,
l’adulte comme inconsistant, faible, ignorant et sans intérêt. Quant à la
télévision, elle produit chez les élèves une attention plus fragmentée,
difficilement capable d'intégrer la continuité. Plus généralement, elle
cherche à garder le téléspectateur sous emprise par toutes les formes
d’effets possibles et imaginables, avant de lui permettre de réfléchir et de
penser (Meirieu, 2007). Un tel contexte rend l’action éducative et
pédagogique paradoxale, puisqu’on reproche aux enseignants de ne plus
jouer leur rôle alors même qu’une action de leur part irait à contre-
courant des valeurs que notre société promeut.
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Bernard Charlot (1987) et d’autres après lui (Bautier, Rochex, 1998)
avaient déjà montré que les réformes institutionnelles modernisant
l’école, telle la mise en place du collège unique entre 1959 et 1975,
avaient eu davantage pour effet une massification du système scolaire
qu’une réelle démocratisation de la réussite scolaire. Aujourd’hui, le
modèle normatif d’égalité des chances et de promotion sociale que
l’école soutenait depuis plus d’un siècle – et qu’elle soutient encore à
travers les positions de responsables politiques ou institutionnels – ne
dupe plus les usagers de l’école (Dubet, Duru-Bellat, 2000). D’un côté,
les conduites consuméristes de familles socialement et culturellement
privilégiées le mettent à mal. De l’autre, les élèves qui ne bénéficient pas
de ces possibilités cherchent comme ils le peuvent à donner un sens à
leur expérience scolaire (Ballion, 1982 ; Bautier, Charlot, Rochex, 1992 ;
Rochex, 1995). À moins que violemment renvoyés à leur propre échec
par l’institution, ils ne développent des sous-cultures
d’opposition/adaptation à l’école ou qu’ils ne basculent dans des
conduites de déviance (Woods, 1990 ; Dubet, 1991 ; Van Zanten, 2001) :
opposition à l’autorité, rejet du conformisme, de l’informel, sexisme et
racisme, violence, solidarité interne au groupe. Quant à l’absentéisme
massif, au décrochage scolaire voire à la délinquance, ils deviennent
préoccupants dans certains secteurs. Ainsi, le primat de stratégies
individuelles et autonomes de certains acteurs au sein de l’institution se
retourne contre les plus faibles d’entre eux. L’école française repose sur
le classement et l’élimination précoce des élèves, tolère les inégalités
d’origine socioculturelle et leur reproduction. Conséquences
désastreuses, d’un côté nos élites sont insuffisamment nombreuses et
performantes, de l’autre un nombre important de jeunes est
prématurément relégué aux marges du système (Baudelot, Establet,
2009). L’école perd donc sa légitimité en parvenant de moins en moins à
faire croire qu’elle peut garantir l’insertion socio-économique de tous les
élèves. Ceux-ci en viennent alors à douter de la légitimité de l’autorité
statutaire de ceux qui les enseignent.
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Un autre aspect concerne les savoirs que l’école transmet, sous le double
aspect de leurs contenus et de leur utilité sociale. Depuis plusieurs
années, malgré la mise en place de diverses commissions de programmes
et le lancement à la rentrée 2003 d’un débat national sur l’avenir de
l’école, le politique peine à définir les contenus des savoirs que l’école
doit enseigner. La décision d’instaurer un socle commun de
connaissances et de compétences1 ne semble pas avoir modifié la donne.
Le contenu définitif des nouveaux programmes pour l’école primaire,
présenté en juin 20082 n’a pas été mieux accueilli, bien au contraire
puisqu’il a réussi à rassembler la plupart des acteurs et des spécialistes de
l’école contre lui. Par ailleurs, la légitimité du savoir que l’école transmet
est questionnée au regard de son utilité sociale. En 1989, la loi
d’orientation sur l’éducation fixait l’objectif de 80 % d’une classe d’âge
au niveau du baccalauréat. Alors que cet objectif est aujourd’hui en voie
d’être atteint, l’élévation continue des niveaux scolaires des élèves ne
donne pas davantage de valeur au savoir transmis. C’est même le
contraire qui se produit, dans une société économiquement et
socialement fragilisée, où il apparaît clairement que la valeur sociale de
certains diplômes se déprécie du fait de leur abondance. Marie Duru-
Bellat (2006) considère même que cette conquête des diplômes contribue
à l’accroissement des inégalités sociales. La reconnaissance sociale du
savoir que l’école transmet fait problème. Celui-ci est délégitimé et
l’autorité de l’institution fragilisée. Un nouveau consensus s’impose non
seulement sur le rôle social de l’école mais au-delà, sur la place donnée à
chacun dans notre société.
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Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la
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suffisait à garantir l’obéissance des élèves. Elle ne peut plus se fonder
exclusivement sur le savoir détenu. Ses formes autoritaristes sont
dénoncées devant la justice. À l’inverse, une tendance au refus d’exercer
l’autorité est observée.
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On entrevoit alors les risques de mise en danger de l’identité personnelle.
L’institution semblant dans l’incapacité de soutenir l’individu, une
autorité personnelle serait indispensable pour apporter à la fonction le
supplément d’autorité dont elle a besoin (Rémond, 2001). L’enseignant
qui a des problèmes de discipline ne pourrait plus compter que sur lui-
même pour s’imposer à ses groupes d’élèves (Ranjard, 1984). François
Dubet (2000) parle d’un défaut d’institution, où l’expérience enseignante
est vécue sur le mode d’une épreuve narcissique tenant de plus en plus à
des traits de personnalité. L’autorité reprendrait alors des formes
charismatiques qui non seulement la rendraient aléatoire, mais surtout
surexposeraient l’enseignant – « sujet héroïque » – aux risques de cette
personnalisation. Bien que revendiquée par certains professeurs
impuissants à exercer l’autorité autrement ou/et à la recherche de
gratifications narcissiques, il n’est pas souhaitable pour leur équilibre
psychique que ceux-ci s’affranchissent d’une légitimation de leur autorité
par l’institution en établissant avec leurs élèves des relations plus
libérales, individualisées, affectives.
Le fait que désormais des enseignants saisissent directement la justice
lorsqu’ils s’estiment victimes n’exprime-t-il pas contradictoirement une
demande d’institution ?1 Tout ceci montre que l’autorité enseignante ne
peut se légitimer qu’à l’articulation du personnel et de l’institutionnel.
1
Il n’est nullement question de porter un jugement sur le bien-fondé de cette
saisie, que la gravité de certains faits justifie, mais d’indiquer une tendance qui
pourrait se développer. En décembre 2005, l’affaire d’Étampes au cours de
laquelle une professeure de lycée professionnel est victime d’un coup de couteau
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L’autorité statutaire de l’enseignant ne peut plus se fonder
exclusivement sur le savoir qu’il détient
La production scientifique devient un enjeu économique majeur et le
savoir occupe une place déterminante dans nos sociétés, mais la
légitimité de ses énoncés n’en est pas moins questionnée de toute part.
Une telle modification du rapport social au savoir a évidemment des
répercussions dans l’institution scolaire. D’une part, nous admettons que
la vérité des savoirs disponibles est relative. Ce qui s’enseigne à l’école
est une sélection de savoirs produits selon des méthodologies
scientifiques au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui, en l’état actuel de
nos connaissances. D’autre part, la transmission des savoirs n’est plus
l’apanage exclusif de l’école : les nouvelles technologies de
l’information et de la communication permettent désormais à la plupart
des élèves d’accéder à des savoirs plus diversifiés et vérifiables que ceux
du professeur. C’est donc à ce double titre que l’autorité du savoir
transmis par l’enseignant est ébranlée. Par conséquent, son autorité
statutaire ne peut plus se fonder exclusivement sur lui, ce qui provoque
une mutation profonde de l’exercice du métier et conduit à se demander
sur quoi l’enseignant peut aujourd’hui fonder son autorité statutaire.
En ce sens, Philippe Meirieu (2003) attire notre attention sur la nécessité
que le professeur permette à ses élèves de distinguer la vérité du savoir
(spécifié par les conditions de sa production), de l’opinion, de la
conviction ou de la croyance. Prendre au sérieux le fait que le savoir
fonde l’autorité statutaire de l’enseignant, c’est considérer que la plus-
value professorale réside non pas dans la détention d’un savoir en tant
que tel, mais dans la mise en place de modalités appropriées d’accès au
savoir qui légitiment son autorité et par là même le savoir, le statut
d’élève posant de fait la présence d’un écart avec les objets de savoirs.
En conséquence, l’enseignant ne peut plus se définir exclusivement
comme le détenteur d’un savoir. Il crée les conditions effectives –
didactiques et pédagogiques – permettant à l’élève d’être engagé dans
l’activité d’apprentissage et non plus soumis à un savoir qui ferait
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L’autorité enseignante se fonde donc non pas sur le fait que l’enseignant
« soit savant, mais […] plutôt dans sa compétence à ce que l’élève
s’approprie son savoir » (Rey, 2004b, p. 123). Nous retrouvons le
principe d’éducabilité porté par l’enseignant, qui témoigne de ses efforts
pour permettre aux élèves que son savoir leur soit accessible. La relation
pédagogique cherchera tantôt à penser l’écart entre le savoir et
l’organisation mentale des élèves (Rey, 2004a), tantôt à permettre à
l’élève de se décentrer de ses représentations propres afin d’insinuer en
lui l’écart indispensable à l’apprentissage (Jeffrey, 2002). La réflexivité
de l’élève sur le savoir qu’il reçoit devient un enjeu majeur, non
seulement pour légitimer l’autorité du professeur, mais surtout pour
permettre à l’élève d’accéder à un rapport au savoir à la fois critique et
émancipateur. Ainsi pour Bernard Vandewalle (2003), l’autorité du
professeur « lui vient précisément de ce qu’il augmente son savoir d’un
rapport critique d’appropriation », en donnant « l’image d’un sujet,
auteur de ses pensées et de ses actes » (p. 165) et Gérard Guillot (2003)
d’ajouter : « dans une dialectique permanente entre la rationalité
patrimoniale de référence et la discussion éclairée et argumentée »
(p.147). Philippe Meirieu (2005) estime pour sa part que « le défi de
l’éducation contemporaine n’est […] pas de « restaurer l’autorité », mais
d’aider les jeunes à retrouver le goût de contester celles auxquelles ils
s’assujettissent aveuglément… […] « L’autorité éducative » a alors pour
rôle de permettre à l’élève de « penser par soi-même » en créant les
conditions pour qu’il accède « à un rapport critique à la vérité » (p. 5, 6).
Pour cela, le professeur dispose de la démarche expérimentale, de la
recherche documentaire et de la démarche créatrice (Meirieu, 2008).
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L’accès de l’élève au savoir véritable ne peut que passer par « des
preuves tirées de l’expérience et de la raison » de l’élève lui-même
(p.116), certainement pas par un enseignant qui voudrait que l’élève se
soumette à sa personne1. Alain Marchive (2008) indique même que la
soumission à l’autorité de l’enseignant peut engendrer des difficultés
d’apprentissage et d’appropriation des savoirs chez les élèves, au
détriment du nécessaire assujettissement à la situation didactique. Il
existe donc un « lien étroit […] entre l’exercice de l’autorité du
professeur dans les situations d’enseignement et l’activité des élèves »
(p. 114).
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avec le droit. L’assise des fonctionnements institutionnels de l’école sur
les principes de justice répondant à ceux d’une démocratie imprègne les
textes officiels récents, comme le décret n°2006-935 du 28 juillet 2006,
qui met l’accent sur les droits des parents d’élèves1. La réforme des
procédures disciplinaires dans les établissements du second degré
contenue dans la circulaire n°2000-105 du 11 juillet 2000 constitue une
véritable révolution culturelle, en introduisant les principes de justice –
contradictoire, individualisation et proportionnalité de la sanction – dans
les collèges et les lycées2. Si ce texte place le principe de légalité au
fondement de la justice scolaire (Pech, 2002), l’application automatique
du droit ne peut arbitrer l’ensemble des conflits survenant à l’école. Lois
et règlements nécessitent souvent une interprétation inhérente à la
situation et le recours au droit n’enlève pas aux professionnels leur
responsabilité dans la recherche d’une solution adaptée. Il reste que
l’introduction de ces principes pour régir l’exercice de la discipline
scolaire déstabilise beaucoup d’enseignants.
1
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche, décret n° 2006-935 du 28 juillet 2006 relatif aux parents d’élèves,
aux associations de parents d’élèves et aux représentants des parents d’élèves et
modifiant le code de l’éducation (partie réglementaire), Journal officiel
N° 17429, juillet 2006, p. 11314, texte N° 24.
2
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche, « Organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les
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limite et fixer des repères devenus moins sûrs. Il peut aussi relativiser sa
position de transmetteur de savoirs. Des propos d’enseignants que nous
avons recueillis (« je ne suis pas entrée dans l’enseignement pour faire le
flic », « ce qui m’énerve c’est d’avoir à passer du temps à faire la
police ») montrent que l’autorité reste connotée péjorativement et que
son exercice relèverait d’autres professionnels : surveillants, conseillers
principaux d’éducation, directeurs d’écoles ou chefs d’établissement,
voire parents, éducateurs, juges ou policiers. Ainsi, des professeurs
revendiquant de limiter leur métier à enseigner des savoirs qu’ils
détiennent regrettent l’autorité traditionnelle et abdiquent parfois toute
ambition pédagogique et éducative, au prétexte que l’autorité
professorale n’est pas acquise d’emblée ou que l’élève réel ne correspond
pas à l’élève attendu (« ces élèves ne sont pas dignes d’être enseignés par
moi », « cet élève n’a rien à faire dans notre établissement »). Cette
position aboutit à refuser de transmettre l’héritage des savoirs.
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Comme nous l’avons vu, ce que l’on nomme « crise de l’autorité à
l’école » est d’abord une crise de conceptions et de modalités d’exercice
de la relation éducative qui relèvent de l’autorité autoritariste. Une étude
approfondie de ce qu’est l’autorité – notamment à partir de son
étymologie (Robbes, 2010) – laisse entrevoir qu’il ne s’agit pas
d’autorité mais d’abus, d’une réduction du sens de l’autorité à sa
dimension statutaire (potestas) alors que la relation d’autorité y associe
deux autres significations : l’autorité de l’auteur (auctor), qui s’autorise
et autorise l’autre (augere) ; l’autorité de capacité et de compétence, qui
s’observe à travers les savoirs d’action que le détenteur de l’autorité
statutaire mobilise.
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Crise de la transmission
S’agissant de la transmission, Michel Tozzi (2008) observe un déficit de
la légitimité de sa reconnaissance, du fait d’un relativisme des valeurs à
transmettre et des connaissances. Cette crise de l’autorité traditionnelle,
transmissive, s’explique aussi par la montée de l’individualisme. À cela
s’ajoute « une certaine méfiance des destinataires à l’égard des
transmetteurs » (p. 15) et « une moindre confiance des transmetteurs
dans leur capacité de transmettre » (p. 16), que d’autres remarquent
également. Philippe Jeammet (2000, 2004) estime que les problèmes
éducatifs des adultes à l’égard des jeunes sont avant tout des problèmes
d’adultes insuffisamment consistants pour être contenants. Démunis
voire déprimés devant une civilisation où l’information prend le pas sur
la transmission, ils en viennent à considérer que ce qu’ils ont à
transmettre est sans valeur, inutile. Pour Daniel Marcelli (2009), c’est
davantage l’abus ou le défaut d’autorité qui font problème dans
l’éducation actuellement que son exercice, à la condition de ne pas
confondre obéissance et soumission et de préciser en quoi l’autorité
éducative consiste.
L'autorité éducative est une conception adossée aux sciences humaines et
sociales. En effet, le lien social d’autorité est consubstantiel à l’espèce
humaine, fondateur de l’humanisation et du groupe dont il est un principe
régulateur (Marcelli, 2003). La relation d’autorité est donc une condition
de l’éducation. Fait psychique et institutionnel, elle se construit dans et
par l’action. L’autorité éducative associe une responsabilité statutaire,
une autorisation personnelle et une capacité fonctionnelle. Cette relation
articule l’asymétrie et la symétrie entre éducateur et éduqué, naît d’une
volonté d’influencer de la part du détenteur de l’autorité statutaire,
recherche la reconnaissance de celui sur qui elle s’exerce. Elle vise
l’obéissance et le consentement. C’est la durée qui la légitime (Robbes,
2010).
Si comme beaucoup l’observent actuellement, cette nouvelle modalité de
l’autorité parvient difficilement à s’exercer, nous ne sommes pas
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Érosion de l’autorité
Le terme d’érosion est choisi par Eirick Prairat (2010) pour indiquer
l’idée d’une dégradation de l’autorité qui est aussi transformation, dans
une temporalité lente. L’auteur propose trois lectures – sociologique,
philosophique et anthropologique – de ce phénomène, qui appellent des
réponses de nature différente. Nous retiendrons ici le point de vue
anthropologique, en ce qu’il fonde de façon originale le concept
d’autorité éducative et pour ses connexions avec la problématique de la
transmission.
Selon l’auteur, l’une des causes de « la crise de l’autorité est liée à
l’importance qu’a pris le présent dans les sociétés post-modernes »
(p.50). Or, l’autorité s’exerce dans « un espace commun de co-présence
mais aussi une « durée publique » qui relie les hommes, en enchaînant
les générations » (p. 51). C’est ainsi que l’éducateur fait autorité en
représentant cette « précédence du monde », cette « antécédence de la
culture », mais à condition qu’il « permet(te) au nouveau venu d’être de
ce monde, (qu’) il l’accueille et l’introdui(se) dans l’ordre symbolique de
l’humain ». Ainsi, dire que « l’on n’entre jamais seul dans le monde
(constitue) une vérité anthropologique » (p. 43). En termes de
perspectives pour l’éducateur, il s’agirait de se demander « comment être
hospitalier aux valeurs de la modernité tout en garantissant la nécessaire
dissymétrie statutaire et fonctionnelle qui est la condition de possibilité
de tout travail éducatif ? » (p. 49). L’enjeu est alors non pas de restaurer
mais de ré-institionnaliser de l’autorité en agissant selon quelques grands
principes éducatifs (cohérence, constance, souci de la justice, …) (p. 51).
Là encore, l’exercice de l’autorité enseignante selon cette visée éducative
est loin d’être toujours à l’œuvre dans l’école.
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Concernant l’autorité, l’hypothèse de la crise du travail de socialisation
scolaire de l’école républicaine calquée sur la transcendance du modèle
religieux vaut à l’évidence. Dubet montre par exemple que ce mode de
légitimation de l’autorité enseignante se retourne contre lui, tout en
préservant l’institution de toute remise en question, puisque « dans ce
modèle, l’essentiel de la critique est endogène et porte sur l’inaptitude
des maîtres […] à être conformes à leur vocation » (p. 54). Il y ajoute
une croyance miraculeuse des effets éducatifs du programme
institutionnel, où l’acceptation et l’intériorisation par l’individu de règles
de discipline objective au nom de valeurs universelles suffisent à le
libérer, à l’autonomiser, à le faire sujet. D’où l’absence « de
contradiction entre l’obéissance et la liberté, entre le conformisme et
l’affirmation d’une subjectivité » (p. 56).
Sauf que ces contradictions ne tiennent plus aujourd’hui… Le charisme
du professeur légitimé par un principe sacré est réduit au charme
personnel et « la professionnalisation débouche […] sur une légitimité
instrumentale […] (contribuant) à changer la nature même des
institutions » (p. 59). Un autre produit de la modernité tient à la
promotion de la créativité et de l’autonomie individuelle d’un
enfant/élève engagé dans l’apprentissage, sans confusion entre
obéissance et autonomie. En conséquence, de nouvelles formes de travail
sur autrui se mettent en place, où des enseignants plus engagés « doivent
construire leur activité en combinant des attentes normatives diversifiées,
[…] contradictoires : faire entrer les élèves dans une culture commune,
les préparer aux compétitions scolaires et sociales et reconnaître chacun
comme un individu singulier » (p. 62-63). Dès lors que l’on accepte avec
l’auteur l’idée « d’une mutation profonde », trois enjeux se dégagent,
relatifs à un exercice autre de l’autorité, à une véritable démocratisation
de la réussite scolaire et aux contenus à transmettre. Si l’idée d’un déficit
d’autorité éducative pointe à nouveau, ce premier enjeu dépend aussi en
partie des deux autres.
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