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Lésions cervicales non carieuses et récessions

gingivales : diagnostic et attitude thérapeutique #1

Pierre-Victor Bazin présence de défauts de minéralisations amélaires pourront favoriser l’apparition de ce type de lésions. La
Bourgoin Jallieu compréhension de l’étiologie du problème nous permettra d’adapter la prise en charge et de supprimer
Benoît Bernaud les facteurs déclenchants1-3.
Saint Chamond
Choix de la stratégie thérapeutique

À ce stade, la réalisation de photographies dentaires est indispensable. En effet, à partir des photos et
de l’examen clinique (sondage), nous pouvons déterminer :
Introduction -- si la LCNC associe ou non une récession gingivale,
Les Lésions Cervicales Non Carieuses (LCNC) peuvent être décrites comme des usures des dents -- la classification de cette récession4,5,
dans leurs tiers coronaires, en l’absence de lésion carieuse. Elles nécessitent une prise en charge -- le potentiel de recouvrement chirurgical de la lésion.
particulière, combinant fréquemment restaurations de la jonction amélo-cémentaire et chirurgie De plus, il nous sera possible de déterminer la Ligne de Recouvrement Radiculaire Maximale (LRRM), qui
plastique parodontale. L’objectif du traitement est d’obtenir le meilleur résultat esthétique et fonc- est le point clé de la réussite du traitement.
tionnel pour le patient. Pour cela, l’étude préalable du cas est déterminante. En effet, en fonction Enfin, l’utilisation d’outils comme les sondes colorimétriques de Rasperini est une aide afin de déterminer
de l’étiologie du problème et de la situation clinique, la prise en charge sera différente.   le phénotype parodontal du patient et le choix de la technique chirurgicale la plus adaptée.  
Nous tenterons au cours de notre propos de livrer les clefs diagnostiques et thérapeutiques per-
FIG.
mettant le traitement optimal de ces lésions, de nos jours très prégnantes. 4

Analyse
La consultation initiale constitue un moment primordial puisqu’elle doit permettre :
-- la compréhension des attentes du patient,
-- l’étiologie des lésions,
-- le choix de la stratégie thérapeutique.
Sondes colorimétriques de Rasperini
Attentes du patient

Le patient peut venir consulter pour des sensibilités, liées à l’exposition des tubuli dentinaires et/ou de Déterminer la ligne de recouvrement radiculaire maximale (LRRM)6,7
la surface cémentaire.  Sa demande peut également être esthétique, gêné par la couleur de la dentine
apparente ou la présence d’une récession gingivale.   La ligne de recouvrement radicu- FIG.
Enfin, le patient peut venir consulter pour une gêne lors du brossage. Cela peut être lié encore une fois aux laire maximale se dessine après 5
sensibilités dentinaires ou encore à l’inflammation gingivale localisée, liée à l’accumulation de plaque dans la calcul de la hauteur de la papille
concavité de la lésion. Cette inflammation va créer des saignements et un inconfort lors du nettoyage buccal. anatomique idéale. Selon Zucchelli,
celle-ci correspond à la distance
FIG. entre le point de contact et la
1
projection proximale de la jonc-
tion amélo-cémentaire (JAC). En
effet, la position de la papille est
déterminante pour le pronostic de
recouvrement. Une fois cette me-
sure prise, il suffit de la reporter Positionnement de la LRRM sur une LCNC de type 3 selon Zucchelli et posi-
apicalement à partir du sommet tionnement du composite 1 mm en dessous en marge de sécurité
de la papille clinique et de tracer
un trait horizontal afin d’estimer la nouvelle limite proximale de la ligne de recouvrement. Il faut réaliser
Lésion cervicale non carieuse associée à une récession gingivale sur 35
les mesures en mésial ainsi qu’en distal de la dent afin de relier les points par une ligne festonnée. Cette
ligne festonnée reliant les deux points mésial et distal détermine la position de la nouvelle JAC, et s’il est
Étiologie des lésions FIG. nécessaire, ou non, de réaliser un composite. Il est préférable de réaliser cette étape lors de l’analyse
2 photographique du cas et de tracer cette LRRM sur les photos afin de nous faciliter la réalisation des
Il faut également comprendre l’étiologie des lé- composites lors de la séance de collage.
sions, souvent multifactorielle : facteurs physiques
de type attrition, abrasion et abfraction (brossage Classification
traumatique, surcharge occlusales) additionnés à
des facteurs chimiques type érosion et corrosion Cairo
(troubles de l’acidité buccale d’origine médicamen-
teuse, alimentaire). Ces deux phénomènes mis en Cette classification utilise le niveau
œuvre sur un phénotype gingival insuffisamment d’attache interproximale et permet
résistant vont entraîner l’apparition de LCNC. Le de prédire le potentiel de recouvre-
facteur génétique entre donc également en compte ment de la récession :
Photographie de LCNC
car une faible quantité de gencive kératinisée ou la -- RT1 : La récession n’inclut pas
de perte d’attache interproxi-
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FIG.
male, un recouvrement à 100 %
3 de la lésion est possible,
-- RT2 : La perte d’attache interproximale est inférieure ou égale à la perte d’attache vestibulaire, un
recouvrement dans 70 % des cas est à espérer,
-- RT3 : La perte d’attache interproximale est supérieure à la perte d’attache vestibulaire, le recouvrement
est complexe, il faudra surtout espérer épaissir et augmenter la qualité de la gencive marginale.
La classification de Cairo constitue un outil puissant pour le chirurgien en cela qu’elle lui permet d’évaluer,
au gré de la situation clinique, l’espérance de recouvrement qu’il peut raisonnablement avoir.

Pini-Prato

La classification proposée par Pini-Prato8 en 2010 est en second lieu une aide précieuse dans l’analyse
préalable des LCNC. De fait, cette classification s’appuie sur la visibilité, ou non, de la jonction amélo-cémen-
taire ainsi que sur la concavité éventuelle pouvant créer une « marche ». Ces deux paramètres, essentiels,
influencent la décision thérapeutique : il conviendra de décider de la recréation, ou non, du bombé vestibulaire,
par l’utilisation d’un biomatériau ou d’un greffon conjonctif primordial pour compenser la perte de substance.

Zucchelli

Il existe cinq types de LCNC selon Zucchelli9. Cette classification clinique compare la ligne de recouvrement
maximale et la limite coronaire de la lésion afin de déterminer sa prise en charge :
Schéma résumant les étiologies des lésions cervicales non carieuses -- Type 1 : la LRRM est située > 1 mm coronaire par rapport à la limite coronaire de la LCNC (B)
Nascimento, M., Dilbone, D., Pereira, P., Geraldeli, S., Delgado, A., & Duarte, W. Abfraction lesions :
etiology, diagnosis, and treatment options. Clinical, Cosmetic and Investigational Dentistry 2016 ; 79 -- Type 2 : la LRRM est située < 1 mm coronaire par rapport à la limite supérieure de la LCNC (C)

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#1

-- Type 3 : la LRRM est située au niveau de la partie la plus profonde de la LCNC (D) rence la plus fondamentale dans le design du lambeau entre ces deux techniques12. La littérature inter-
-- Type 4 : la LRRM est située en dessous de la partie la plus profonde de la LCNC (E) nationale a bien documenté que les récessions gingivales peuvent être traitées avec succès par diverses
-- Type 5 : la LRRM est située apicalement à la LCNC (F) techniques chirurgicales16, sans tenir compte de la technique utilisée, à condition que les conditions
biologiques pour accomplir le recouvrement radiculaire soient réunies.
FIG. Le choix d’une approche chirurgicale par rapport à une autre dépend de plusieurs éléments :  
6 -- liés au défaut : nombre et taille des récessions, qualité/quantité et absence/présence de tissu kératinisé
en apical et en latéral du défaut, hauteur et largeur de la papille, présence de frein/bride ou de traction
musculaire, profondeur vestibulaire,
-- liés au patient17.  La requête esthétique et la nécessité de réduire l’inconfort post-opératoire sont les facteurs
liés au patient les plus importants à considérer dans le choix de l’approche chirurgicale de recouvrement.
De plus, le clinicien doit considérer les données de la littérature dans le but de sélectionner l’approche
chirurgicale la plus prédictible et reproductible parmi celles réalisables dans une situation clinique donnée18.
La méta-analyse de Tavelli et al. montre des résultats comparables entre le tunnel et le lambeau d’avan-
cée coronaire, en termes de recouvrement radiculaire moyen, de recouvrement radiculaire complet,
Schéma des différents types de LCNC selon Zucchelli d’augmentation de tissus kératinisés et de RES. Cependant, l’ajout d’un greffon semble offrir au lambeau
Zucchelli, G., Gori, G., Mele, M., Stefanini, M., Mazzotti, C., Marzadori, M., Montebugnoli, L., de Sanctis, M.Non-Carious Cer‑ d’avancée coronaire des résultats supérieurs19.
vical Lesions Associated With Gingival Recessions : A Decision-Making Process. J Periodontol 2011 ; 82 (12) : 1713-1724
FIG.
10
En fonction de la position de la LRRM par rapport à la LCNC, le plan de traitement peut varier. En effet,
selon le type de lésion, il faudra associer restauration de la jonction amélocémentaire au composite et
chirurgie plastique parodontale.

Traitement
Traitement restaurateur

Il est préférable de réaliser la restauration cervicale lors d’un rendez-vous précédent la chirurgie, sous digue
(si la LRRM laisse suffisamment d’espace avec la gencive marginale afin de pouvoir mettre en place un
clamp sans risquer de blesser la gencive) et afin de simplifier le protocole lors du rendez-vous chirurgical
(diminue le stress du praticien). Si l’espace disponible ne permet pas d’isoler de façon correcte (sans blesser
la gencive), et si l’on est malgré tout à distance du sulcus et du fluide gingival, il est « toléré » de réaliser les
Arbre décisionnel
composites à quatre mains, en associant plusieurs techniques pour refouler la gencive (teflon, cordonnets Cortasse B, Bernaud B, Gaudin M, Mourlaas J. Arbre décisionnel en chirurgie plastique parodontale
rétracteurs, Optragate, cotons salivaires…). pour le recouvrement esthétique des récessions : Une approche multitechnique. Titane 2021 ; 18 (4) : 1-12.

FIG.
7 Cet arbre décisionnel, proposé très récemment par Cortasse et son équipe20, peut servir de guide au clinicien dans
son choix d’approche thérapeutique dans une situation clinique donnée. D’après lui, la hauteur de tissu kératinisé
apical à la récession semble être l’élément primordial dans le choix de la technique, bien que d’autres éléments
comme l’anatomie papillaire, la forme des récessions ou encore le bombé cervical jouent un rôle important.

Récapitulatif
Le traitement idéal tient compte de l’ensemble des informations précédemment citées.
• Type 1 (la LRRM est située > 1 mm coronaire par rapport à la limite coronaire de la LCNC) :
Réalisation d’un composite cervicale sur une 34 sans digue, avec précautions particulières. Dans cette situation, la plus favorable, le traitement de la lésion ne nécessite pas la réalisation de com-
1 Situation initiale – 2 Réalisation du biseau amélaire – 3 Application d’une bandelette de teflon dans le fond du sulcus posites. Si le phénotype est suffisant, un lambeau positionné coronairement seul peut suffire (Fig. 6B).  
4 Application d’un cordonnet rétracteur (non imbibé) – 5 Situation finale • Type 2 (la LRRM est située < 1 mm coronaire par rapport à la limite supérieure de la LCNC) :
Cette situation ne nécessite pas la réalisation de composite mais la marge de sécurité étant trop faible, le
La réalisation de ce composite restant (fonction de la position de la LRRM) normalement à distance de risque d’exposition radiculaire après rétractation de la gencive lors de la cicatrisation ou d’une erreur de
la gencive marginale, le risque de contamination de la surface par le fluide gingival est plus faible et le calcul de la LRRM au départ, nécessite le positionnement d’un greffon conjonctif de sécurité. Lambeau
collage peut se réaliser dans de bonnes conditions (cf. photos ci-dessus).   bilaminaire ou tunnel modifié (Fig. 6C).
Si toutefois l’isolation est impossible, le composite devra être réalisé lors du rendez-vous chirurgical, après • Type 3 (la LRRM est située au niveau de la partie la plus profonde de la LCNC) :
élévation du lambeau, afin de pouvoir positionner le clamp sans blesser la gencive marginale et isoler cor- Cette situation est la plus complexe à gérer. En effet, si le défaut tissulaire dentaire est très profond, il faudra
rectement la dent pour le collage. Le risque est de ne plus avoir de repère pour positionner son composite, il réaliser un biseau amélaire pour réduire la profondeur de la lésion et permettre une bonne adhésion du
faudra donc sous-estimer la position de la LRRM, quitte à devoir retirer un peu de composite lors du polissage. composite. Afin de conserver une marge de sécurité, celui-ci sera réalisé 1 mm apicale à la LRRM. Enfin,
La dentine sclérotique et le cément ne sont pas des surfaces très favorables au collage. C’est pourquoi il est il faudra impérativement l’associer à une traction chirurgicale de la gencive en coronaire simple, lambeau
intéressant d’adapter son protocole afin d’optimiser le résultat. La réalisation d’un biseau amélaire permet positionné coronairement ou tunnel. Et l’accompagner, si nécessaire, d’un greffon conjonctif (Fig. 6D).
d’augmenter la surface de collage composite-émail et de réduire la profondeur du défaut. De plus, l’application • Type 4 (la LRRM est située en dessous de la partie la plus profonde de la LCNC) :
initiale d’EDTA sur la surface radiculaire puis dans un deuxième temps la réalisation d’un mordançage prolongé Il faudra dans ce cas, réaliser un composite dont la limite cervicale sera 1 mm apical à la position de la
(jusqu’à 45 secondes) afin de nettoyer complètement les surfaces de tout débris dentinaires, impropres au LRRM. Puis nous pourrons réaliser la chirurgie muco-gingivale, en adaptant le choix de la technique à
collage, semble être un préalable pertinent au protocole de collage10. Enfin, le protocole MR3 classique est réalisé. la situation clinique (Fig. 6E).  
L’application de composite fluide au fond de la cavité, qui permettrait de soulager la zone du stress bioméca- • Type 5 (la LRRM est située apicalement à la LCNC) :
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nique11, est suivie de celle d’un composite nano-chargé. Un polissage minutieux est finalement réalisé. Dans ce cas de figure, le composite comblera complètement la LCNC et viendra plus apicalement,
compenser le manque de potentiel de recouvrement de notre chirurgie muco-gingivale afin de pérenni-
Traitement chirurgical ser et optimiser le résultat esthétique sur le long terme de notre traitement. C’est ici que la réalisation
du composite devra se faire sous digue, après élévation du lambeau afin de pouvoir isoler de manière
Pour obtenir une reconstruction tissulaire aussi bien quantitative que qualitative, il est primordial, indé- correcte la zone lors du collage. Le repositionnement coronaire du lambeau permettra l’optimisation du
pendamment d’une technique chirurgicale définie, de parvenir à une cicatrisation rapide et sans écueil, résultat ésthétique (Fig. 6F).
la cicatrisation primaire étant un facteur de réussite clef12-15.
En comparant, d’un point de vue méthodologique, la version modifiée du lambeau d’avancée coronaire Conclusion
avec le lambeau tunnelisé, la décision clinique de quelle technique choisir vient essentiellement de la
question d’inciser et détacher, ou non, les tissus papillaires, en cela que cet aspect représente la diffé- La fréquence des lésions cervicales non carieuses associées aux récessions gingivales augmente dans
notre société. Le clinicien doit ainsi savoir y faire face : entendre la demande du patient, analyser au
FIG. FIG. mieux la situation clinique, et adapter son geste restaurateur et/ou chirurgical.
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Bibliographie
1. Nascimento, M., Dilbone, D., Pereira, P., Geraldeli, S., Delgado, A., & Duarte, W. (2016). Abfraction
lesions : etiology, diagnosis, and treatment options. Clinical, Cosmetic and Investigational Dentistry, 79.
2. Grippo, J. O., Simring, M., & Schreiner, S. (2004). Attrition, abrasion, corrosion and abfraction revisited.
The Journal of the American Dental Association, 135 (8), 1109‑1118. Https://doi.org/10.14219/jada.
archive.2004.0369

Toute la bibliographie est à retrouver sur


Lambeau tunnelisé Enveloppe bilaminaire multiple www.aonews-lemag.fr
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