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Les kystes rénaux

Yann NEUZILLET (a), Jean-Alexandre LONG (b)

a : Service d’Urologie et Transplantation Rénale, Hôpital de la Conception – C.H.U. – MARSEILLE


b : Service d’Urologie – C.H.U. – GRENOBLE

Introduction
Le diagnostic des masses rénales kystiques en imagerie est fréquent et le plus souvent fortuit (1).
Une « masse kystique » définie une prolifération tissulaire creusée de cavités. Cette définition ne
préjuge ni de l’origine des cavités, ni de la nature de la tumeur (à cellule rénale ou non), ni de sa
malignité.
Les masses kystiques du rein sont classées selon des critères échographiques établis par Morton
Bosniak. Les critères échographiques de la classification de Bosniak peuvent être transposés en
tomodensitométrie (2) (Tableau 1). Cette classification distingue les kystes typiques (types I et
II), les masses kystiques indéterminées (type III), correspondant soit à des kystes remaniés soit à
des tumeurs kystiques bénignes ou malignes et les masses de type IV typiquement
carcinomateuses. Dans les types III et IV suspects, la classification de Bosniak distingue aussi 2
catégories de lésions en fonction de la présence ou non de cloisons, on parle alors de lésions de
type III ou IV, unies ou multiloculaires dont la signification est très différente. La classification
distingue également un type IIF (F pour follow-up) correspondant à une lésion intermédiaire
entre le type II et III, nécessitant une surveillance annuelle.
Le propos de cet article est d’établir des critères évoquant une prolifération tumorale nécessitant
une confirmation histologique et une exérèse.

Kystes Bosniak I et II
Il s’agit de kystes dont les parois sont régulières et fines parfois finement calcifiées, uniloculaire s
ou avec une à deux cloisons fines et dont le contenu est de densité hydrique ou hyperdense.

Epidémiologie
Terada et coll. ont rapporté une fréquence des kystes simples de 11,9% chez les sujets
participant à une étude de santé de la population. Les kystes simples ont été plus fréquents
chez l’homme et leur fréquence a augmenté avec l’âge (Tableau 2). L’histoire naturelle
des kystes simples a été une augmentation de taille de 2,8 mm/an. Cette augmentation de
taille a été plus importante chez les patients âgés de moins de 50 ans et en cas de kyste
multiloculaire (2).

Symptomatologie
Les kystes simples peuvent causer des symptômes. Le volume du kyste peut provoquer
des douleurs à type de pesanteur ou liées a la compression du tractus digestif. Un kyste
simple peut, en comprimant la voie excrétrice urinaire, provoquer des coliques
néphrétiques. Les temps excrétoires d’un uroscanner ou d’une urographie intra-veineuse
permettent de visualiser la distension de la voie excrétrice en amont du kyste. Cette
distension peut ne concerner qu’une portion limitée des cavités intra-rénales. Les kystes
simples peuvent causer une hypertension artérielle réno-vasculaire soit par compression
de l’artère rénale (objectivée au temps artériel d’un uroscanner), soit par compression
parenchymateuse. Ce deuxième mécanisme, décrit par Pedersen et coll. est lié a
l’augmentation de la pression intra-rénale due à la présence du kyste. La résultante est une
diminution de la pression dans les artères glomérulaires afférentes provoquant une
stimulation du système rénine-angiotensine.

Conduite à tenir diagnostique et thérapeutique


Les kystes simples symptomatiques justifient un traitement.
Les thérapeutiques validées pour le traitement des kystes simples sont la ponction
aspiration sclérothérapie par voie percutanée et la résection chirurgicale du dôme saillant.
La ponction aspiration isolée est suivie d’une récidive des symptômes dans 75% des cas.
Elle a l’intérêt d’établir la corrélation entre les symptômes et le kyste. La réalisation d’une
sclérothérapie, par alcoolisation ou au moyen de bétadine, impose que le trajet de
ponction du kyste soit strictement rétro-péritonéal et que le kyste ne soit pas parapyélique
(risque de diffusion de l’agent sclérosant dans le hile rénal). La sclérothérapie peut être
pratiquée de façon unique ou répétée toutes les 24 heures (généralement trois jours de
suite). Les résultats d’une séance unique ont été 93% de succès cliniques (disparition du
symptôme) et 19% de succès radiologiques (disparition du kyste). En cas de séances
itératives, les résultats ont été 97% de succès cliniques et 73% de succès radiologiques.
Les résultats de la résection chirurgicale du dôme saillant, par coelioscopie ou
rétropéritonéoscopie, ont été 97% de succès cliniques et 94% de succès radiologiques. Ces
résultats ont été inférieurs en cas de kyste parapyélique (93% de succès clinique, 81% de
succès radiologique). Il n’a pas été rapporté de complication lors de la chirurgie liée à la
réalisation antérieure d’une ponction du kyste.
Au total, les kystes simples symptomatiques doivent être caractérisés par un uroscanner
éliminant le diagnostic différentiel de kyste communicant (diverticule caliciel) et précisant
la topographie parapyélique (intra-hilaire) ou périphérique du kyste. Les kystes
parapyéliques doivent être traités chirurgicalement. Les kystes périphériques peuvent être
traités en première intention par ponction aspiration sclérothérapie. En cas de récidive du
kyste et des symptômes un traitement chirurgical doit être réalisé. En cas de récidive des
symptômes sans réapparition du kyste, une autre étiologie doit être recherchée.

Kyste Bosniak III et IV


Il s’agit de kyste dont les parois et les cloisons sont épaisses et irrégulières, pouvant comporter
des calcifications épaisses et irrégulières, des nodules et des végétations. La paroi et les cloisons
de ces kystes se rehaussent lors de l’injection de produit de contraste. Le contenu de ces kystes
est dense.
Classification histologique

Tumeur Maligne

Carcinomes à cellules rénales (CCR) kystiques

Il représente 3% des carcinomes à cellules rénales (CCR).

Aspect radiologique

CCR kystique multiloculaire

Lorsque la masse kystique est classée Bosniak IV, le diagnostic de carcinome


kystique multiloculaire est certain. Lorsque la masse kystique est classée Bosniak
III multiloculaire il s’agit dans 45% des cas d’un CCR kystique. Le diagnostic de
CCR est toujours associé à un rehaussement après contraste de la composante
solide et est d’autant plus probable que le rehaussement est précoce et intense, que
les cloisons sont plus épaisses (>2mm) et nombreuses. La très bonne résolution en
contraste de l’IRM et sa grande sensibilité pour la détection d’une prise de
contraste après injection permet d’obtenir un meilleur résultat dans la détection de
la composante tumorale et des cloisons par rapport à la TDM. Il n’est pas rare
d’observer un aspect plus inquiétant en échographie avec notamment des cloisons
plus épaisses et plus nombreuses que sur le scanner. L’utilisation d’un agent de
contraste ultrasonore permet d’explorer la vascularisation de ces tumeurs avec une
sensibilité et une précision qui semblent équivalentes aux résultats du scanner.

CCR kystique uniloculaire

Les lésions de la catégorie IV représentent la forme typique du CCR kystique dont


la spécificité est de 100%. Les lésions appartenant à la catégorie III comportent
des éléments d’atypie moins suspects (paroi épaisse et vascularisée mais uniforme
et régulière). La mise en évidence d’une prise de contraste au niveau de la paroi de
ces lésions doit être considérée comme un élément essentiel mais non spécifique
du diagnostic de cancer kystique. En effet, la découverte d’une lésion de type III
au cours ou au décours immédiat d’un épisode infectieux ou hémorragique rénal
aigu, ou d’un traumatisme rénal, doit suggérer la possibilité de phénomènes
inflammatoires au niveau de la paroi d’un kyste préexistant. Un contrôle TDM à 3
mois et à 6 mois est alors indiqué afin de chercher des arguments en faveur d'un
kyste bénin remanié, tels que la disparition de la prise de contraste périphérique, la
diminution de taille de la lésion ou son retour à un aspect de kyste de type I ou II.
La meilleure résolution en contraste de l’IRM et la visualisation plus facile de la
prise de contraste en fait un outil utile dans le cadre de cette surveillance.
L’échographie, réalisée en deuxième intention devant une lésion kystique de type
III au scanner, peut avoir un intérêt décisif en montrant le contenu échogène et
hétérogène d’un CCR massivement nécrosé et parfois une paroi épaisse et
irrégulière sous évaluée en scanner.
Aspects histologiques et pronostiques :
Les CCR kystique sont des tumeurs bien limitées, encapsulées et aux kystes de
taille variable. Elle se compose par définition exclusivement de multiples kystes
dont les septa renferment des cellules claires aux caractéristiques morphologiques
d’un CCR de grade 1 de Fuhrman. De très bon pronostic, sans évolution
métastatique connue, cette tumeur doit être différenciée du néphrome kystique et
surtout du CCR partiellement kystisé. Pour distinguer l’entité particulière du CCR
multiloculaire des autres CCR, il est proposé de retenir que son volume de cellules
claires ne dépasse pas le seuil de 25%.

Carcinome tubulokystique

Aspect radiologique
Il s’agit d’une nouvelle entité très rare en cours d’individualisation, qui appartient
au groupe des tumeurs des tubes collecteurs de Bellini. Le carcinome
tubulokystique (29 cas rapportés), est une tumeur de bas grade de bon pronostic,
constituée de très nombreuses formations kystiques de petite taille séparées par de
fins septa. Les quelques cas observés ont la particularité d’associer un aspect de
kyste simple ou de type II discrètement cloisonné en scanner ou en IRM et une
présentation hyper échogène plus ou moins homogène avec renforcement
postérieur en échographie, attribué à la présence des nombreuses interfaces que
constitue l’architecture micro kystique.

Aspects histologiques et pronostiques


Tumeur rare, elle est d’architecture microkystique, de bon pronostic car sans
récidive ou évolution métastatique. Ses caractéristiques immunohistochimiques
combinent les phénotypes des tubes proximaux et distaux.

Tumeur Bénigne (Figure 1)

Néphrome kystique
Tumeur bénigne à forte prédominance féminine. Associant des éléments
épithéliaux et stromaux , elle se compose de kystes non communicants et de fins
septa renfermant des tubes matures.

Tumeur mixte épithéliale et stromale


Tumeur bénigne également de composante mixte et stromale, les différences avec
le néphrome kystique seraient plus quantitatives que qualitatives.

Lymphangiome kystique
Tumeur bénigne développée à partir de la capsule, elle est souvent volumineuse,
justifiant ainsi d’une néphrectomie et se compose de kystes à revêtement
endothélial.

Angiomyolipome kystique
Quatre cas sont recensés associant un angiomyolipome à des kystes entourés d’un
stroma mullérien 4.
Conduite à tenir diagnostique et thérapeutique
Toute lésion kystique multiloculaire de type III doit être considérée comme un
possible CCR et conduire à une chirurgie d’exérèse (néphrectomie ou
tumorectomie). En outre, l’exérèse systématique de ces lésions serait également
justifiée par la possibilité de dégénérescence carcinomateuse des néphromes
kystiques multiloculaires rapportée par certains auteurs. Cependant la
classification de Bosniak ne doit pas être le seul et unique critère. L’âge, les
comorbidités, le contexte clinique (hématurie, infection, traumatisme), la fonction
rénale et la localisation du kyste doivent également être pris en compte.
Un fait clairement retrouvé dans toutes les séries est le caractère peu agressif de
ces kystes puisqu’ils sont de bas grade et de bas stade et que leur nature
métastasiante est très rarement retrouvée (3). La possibilité d’effectuer une
chirurgie conservatrice doit donc être évaluée avant de décider une néphrectomie
élargie.

Kyste Bosniak IIf


La classification réactualisée de Bosniak met en évidence une lésion kystique atypique de
traitement non chirurgical mais nécessitant une surveillance : les kystes rénaux IIF. Ils
sont présumés bénins mais requièrent une imagerie de surveillance pour prouver leur
bénignité (4). Dans cette classe, différencier un kyste multiloculaire et un carcinome
multiloculaire kystique n’est pas possible avec l’imagerie. L’idée est d’organiser une
surveillance et réaliser l’exérèse en cas de modification des parois du kyste.
Le point essentiel afin de les différencier des type III est l’absence de rehaussement des
parois et des cloisons du kyste après injection de produit de contraste. L’IRM est
intéressante dans les kystes présentant des calcifications ou les kystes hyperdenses pour
l’étude du rehaussement des cloisons qui sont dans ces cas difficilement analysables. En
dehors de ces cas, les performances du scanner et de l’IRM sont comparables.

Les séries font état de cancer entre 5 et 20% des cas (5). Une évolution radiologique est
constatée dans 15% des cas. Les cancers sont principalement des carcinomes à forme
kystique peu agressifs et de bas grade. Il existe une stabilité du kyste dans la majorité des
cas. L’augmentation du volume du kyste est moins prédominante que la modification des
cloisons et l’apparition d’un rehaussement..

Conduite à tenir : modalité de la surveillance


La fréquence d’une imagerie tous les 6 mois pendant 5 ans est celle préconisée par
Bosniak. Les différentes modalités d’imagerie injectées (TDM, IRM voire échographie de
contraste) ont les mêmes performances. La surveillance est basée sur une imagerie en
coupe selon les mêmes modalités pour une reproductibilité des résultats. Les
recommandations ne sont pas basées sur des séries randomisées et il nous semble prudent
de prolonger la surveillance chez un patient jeune. L’apparition d’un rehaussement des
cloisons impose la suspension de la surveillance et une exérèse.
Conclusion

L’exérèse d’une lésion kystique du rein s’impose devant des critères de suspicion tumorale sur
l’imagerie dominés par le rehaussement des parois et des cloisons du kyste après injection de
produit de contraste. La lésion la plus fréquente est le carcinome à cellules rénales kystique
multiloculaire. L’exérèse est la technique de référence avec un objectif de préservation
nephronique rendu possible, malgré des volumes tumoraux importants, par un faible grade de
Fuhrman.
Références :

1. Terada N, Ichioka K, Matsuta Y, Okubo K, Yoshimura K, Arai Y. The natural history of


simple renal cysts. J Urol. 2002;167:21-3

2. Israel GM, Hindman N, Bosniak MA.. Evaluation of cystic renal masses: comparison of
CT and MR imaging by using the Bosniak classification system. Radiology.
2004;231:365-71

3. Koga S, Nishikido M, Hayashi T, Matsuya F, Saito Y, Kanetake H. Outcome of surgery


in cystic renal cell carcinoma. Urology. 2000;56:67-70

4. Israel, GM, Bosniak MA. An update of the Bosniak renal cyst classification system.
Urology 2005 ;66:484-488

5. Israel GM, Bosniak MA. Follow-up CT of moderately complex cystic lesions of the
kidney (Bosniak category IIF). AJR Am J Roentgenol. 2003;181:627-633
Tableaux :

Tableau 1 : Classification des tumeurs kystiques rénale selon Israel et coll.

Densité hydrique (< 20 UH)


Type I Homogène
« Kyste simple » Limites régulières sans paroi visible
Absence de rehaussement (<10UH)

Cloisons fines
Type II Fines calcifications pariétales
« Kyste atypique » Kyste hyperdense (> 50 UH)
Absence de rehaussement (< 10 UH)

Cloisons nombreuses et fines


Paroi légèrement épaissie
Type IIF Calcifications paréitales et des cloisons, régulières
Kyste hyperdense et entièrement intra-rénal et ≥ 3 cm.

Cloisons nombreuses et épaisses


Paroi épaisse
Type III Limites irrégulières
« Kyste suspect » Calcifications épaisses, irrégulières
Contenu dense (> 20 UH)
Rehaussement de la paroi ou des cloisons

Paroi épaisse et irrégulière


Type IV
Végétations ou nodule mural
« Cancer à forme kystique » Rehaussement de la paroi ou des végétations

Tableau 2 : Fréquence des kystes simple dans une étude de santé de la population ayant inclus
14314 patients, selon Terada et coll. (2).

Fréquence des kystes Fréquence des kystes Fréquence des kystes


Ages
simples chez les femmes simples chez les hommes simples
16-29 ans 0% 0% 0%
30-39 ans 5,8 % 3,4 % 4,7 %
40-49 ans 10 % 5,7 % 8,3 %
50-59 ans 17,3 % 9,1 % 14,1 %
60-69 ans 28,2 % 13,4 % 23,2 %
≥ 70 ans 38,9 % 28,2 % 34,6 %
Total 14,6 % 7,6 % 11,9 %
Figure :

Figure 1 : aspect radiologique et macroscopique du néphrome kystique (NK), de la tumeur mixte


épithéliale et stromale (TMES) du lymphangiome kystique (LK) et de l’angiomyolipome
kystique (AMLK).

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