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Revue française de science

politique

La neutralisation de la Présidence de la République en Autriche


Monsieur Armel Le Divellec

Résumé
Bien qu'élue au suffrage universel direct et dotée d'importantes prérogatives constitutionnelles, la Présidence de la République
autrichienne a été complètement neutralisée dès les origines. Cette neutralisation repose sur la volonté manifeste des partis
politiques de faire produire tous ses effets à la logique du parlementarisme, celle d'un gouvernement positivement choisi par la
majorité parlementaire.

Abstract
Although elected by universal suffrage and granted major constitutional powers, the Presidency of the Austrian Republic has
been completely neutralized since its creation. This neutralization is based on the political parties' clear desire to let the
parliamentary system produce its full effects, with a government positively chosen by the parliamentary majority.

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Le Divellec Armel. La neutralisation de la Présidence de la République en Autriche. In: Revue française de science politique,
46ᵉ année, n°6, 1996. pp. 936-960;

doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1996.395115

https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1996_num_46_6_395115

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LA NEUTRALISATION DE LA PRESIDENCE
DE LA RÉPUBLIQUE EN AUTRICHE

ARMEL LE DIVELLEC

Très largement ignorée par notre littérature scientifique, la


République d'Autriche aurait pu éveiller depuis longtemps l'intérêt de
l'observateur hexagonal, moins parce qu'elle est dotée d'une des
plus anciennes constitutions républicaines du vieux continent (1920,
révisée en 1929), que parce qu'elle répond prima facie à la définition du
« régime semi-présidentiel », à savoir réunir un président de la République
élu au suffrage universel, disposant de notables pouvoirs, et un
gouvernement responsable devant le Parlement. C'est d'ailleurs peut-être à un
Autrichien qu'il convient d'attribuer la paternité de la dénomination chère
à M. Duverger, puisqu'on trouve, en effet, dès 1957, sous la plume du
juriste et journaliste René Marcic, mention de la «démocratie semi-
présidentielle»1. Le fonctionnement très différent du système autrichien,
au regard des attentes soulevées par le concept évoqué plus haut, semble
cependant avoir tari l'intérêt de l'observateur français. Cette exclusion est
injustifiée, car le système politique de l'Autriche éclaire précisément
l'illusion de la spécificité — au demeurant si contestée — d'une
catégorie «semi-présidentielle»2. Le problème vient de loin, et ne se limite
d'ailleurs pas à cette «famille» constitutionnelle. L'analyse des régimes
politiques modernes souffre largement en effet de l'inadéquation de
concepts3 forgés par le constitutionnalisme «paléolithique». Le cadre
organique des institutions occidentales repose sur des constructions
juridiques nées dans un contexte bien spécifique (généralement celui des
monarchies limitées ou mixtes), et qui ont été maintenues dans leur
économie générale, en dépit des mutations qu'induisait le passage à la
démocratie. Le décalage qui en résulte rend surtout malaisée l'approche
juridique, qui se départit difficilement d'une conception idéaliste de la
constitution. Et cependant, du fait de l'archaïsme de nombreuses
institutions formelles, tout n'est pas nécessairement à prendre au sérieux dans
un texte constitutionnel. Cela est d'autant plus vrai pour les constitutions
parlementaires, car elles relèvent toutes d'une problématique commune. A
côté des facteurs historiques et politiques qui l'affectent, la Présidence
autrichienne est ainsi placée dans une logique qui la dépasse et que, pour
demeurer crédible, la démarche institutionnelle se doit d'identifier.

1. R. Marcic, «Mehr als ein Amt. Eine Macht», Forum, 40, 1957, p. 127.
2. Cf. nos observations sur ce sujet, dans la Zeitschrift fur Parlamentsfragen, 1,
1996, p. 145-151.
3. C. Bidegaray, C. Emeri, «Du droit constitutionnel au gouvernement comparé»,
Mélanges J.M. Auby, Paris, Dalloz, 1992, p. 445-462.

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UNE ORIGINE EQUIVOQUE

U anti-monarque de 1920
L'institution d'un chef de l'État élu au suffrage universel en Autriche
date de 1929, lorsque fut entreprise une importante révision de la
Constitution républicaine de 1920. La transition entre l'empire habsbourgeois défait
en 1918 et la République démocratique s'était effectuée de manière
révolutionnaire, sous la houlette des sociaux-démocrates (SPÔ), et c'est
l'Assemblée constituante (auto-proclamée puis élue) qui concentra tous les pouvoirs
jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle constitution. Les préventions
contre le principe même d'un chef de l'État personnalisé étaient fortes à
l'époque, car celui-ci était considéré comme d'inspiration trop monarchique.
A telle enseigne qu'initialement, les sociaux- démocrates, partisans d'une
démocratie «radicale» exaltant la souveraineté du peuple, préconisaient
l'institutionnalisation de la situation transitoire, à savoir confier les fonctions
de chef d'État au président de la chambre basse du Parlement, le Natio-
nalrat. Les élections à l'Assemblée constituante de février 1919 n'avaient
cependant pas permis au SPÔ de convertir sa majorité de voix (40,8 %) en
une majorité absolue de sièges, si bien qu'il fallut rechercher une entente
avec les partis de droite, singulièrement les chrétiens-sociaux, auxquels il
était déjà lié par un accord de gouvernement. Ces derniers, une fois le
chaos révolutionnaire passé, retrouvèrent une certaine combativité et
plaidèrent finalement pour un président élu directement par le peuple. Ce faisant,
ils s'inspiraient déjà de l'Allemagne, dont la Constitution (dite de Weimar),
adoptée en août 1919, avait choisi cette solution pour le chef de l'État. Le
problème de 1' Anschluss avec le «Reich» intervenait également dans la
question de l'institution présidentielle, bien que de manière contradictoire:
tandis que le parti populaire panallemand (Grossdeutsche Volksparteï)
souhaitait imiter le grand frère voisin, le SPÔ estimait au contraire qu'un
président fort en Autriche pourrait constituer une complication pour un
rattachement ultérieur.
Les sociaux-démocrates consentirent finalement à un chef d'État
personnalisé, mais ils n'avaient accepté de céder que moyennant de sérieuses
garanties : élu pour une durée de quatre ans, par les deux chambres du
Parlement réunies en Assemblée fédérale, le Président exerçait une fonction
«notariale» car tous ses pouvoirs devaient être exercés sur proposition et
avec le contreseing ministériel1. Ils étaient donc parvenus à imposer leur
conception institutionnelle, celle d'un régime de souveraineté parlementaire
(Parlamentsherrschaft), à peine tempérée par une Cour constitutionnelle
(première création en Europe, œuvre, comme on sait, de Hans Kelsen) et un
fédéralisme assez incertain. Pour les analystes français de l'époque, qui
considéraient le parlementarisme comme un système d'équilibre des
pouvoirs, le régime autrichien de 1920 relevait très largement du «régime

1. En outre, et sachant que la droite était restée assez largement monarchiste, ils
imposèrent une clause interdisant aux descendants des familles ayant régné sur le pays
d'être candidats, ce qui excluait un retour légal des Habsbourg (art. 60-3 Bundes-
Verfassungsgesetz B-VG).

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d'assemblée»1. L'un des points jugés significatifs était la procédure de


nomination du gouvernement: l'article 70 de la Constitution autrichienne
instituait l'élection du ministère par la Chambre basse, système inspiré de la
Suisse. En raisonnant en termes d'antagonisme organique Parlement/exécutif,
on notait la faiblesse des armes du cabinet dans ses relations avec
l'assemblée populaire, par exemple, l'absence de procédure de question de
confiance et de droit de dissolution, seuls les parlementaires pouvant décider
la fin anticipée de la législature.
La vie politique de la première décennie républicaine vit pourtant
fonctionner un gouvernement appuyé sur une majorité parlementaire (parfois
relative), auquel fit face une opposition claire de la part du SPÔ2. Sociaux-
démocrates et chrétiens-sociaux avaient rompu leur accord de coalition dès
juin 1920 et une fois la Constitution adoptée, celui-ci ne devait plus jamais
se reformer, tant leurs divergences étaient nombreuses. C'est la tendance
conservatrice qui détint le poste de Chancelier jusqu'en 1933. Rétabli dans
sa place de première force politique après les premières élections
législatives du 17 octobre 1920, le Parti chrétien- social prit la direction du
gouvernement, avec une certaine réticence cependant, car il avait à son tour besoin
d'alliés. Du fait du scrutin proportionnel en vigueur, il ne disposait que
d'une majorité relative au Nationalrat. De 1920 à 1929, toutes les majorités
furent constituées d'une alliance entre les chrétiens-sociaux et, le plus
souvent, le parti panallemand3, avec adjonction fréquente de ministres
«techniciens». On ne compte pourtant pas moins de quatorze cabinets successifs
durant cette période. Non qu'il faille y voir un problème réellement
institutionnel4, mais la cohérence et la stabilité de cette majorité faisait largement
défaut, les partenaires au sein du camp conservateur étant surtout unis dans
leur hostilité à l'«austromarxisme» du SPÔ. La polarisation de la vie
politique allait croissant et l'essor des mouvements ouvertement
antiparlementaires, en particulier les Heimwehren, sorte de ligues fascisantes, déclencha
une campagne de révision constitutionnelle qui devait aboutir en 1929.

La réforme de 1929
La Constitution de 1920 ayant été le résultat d'un rapport de force
politique favorable aux sociaux-démocrates, la droite, redevenue dominatrice,
n'avait eu de cesse, dans les années 1920, de réclamer une modification du
parlementarisme radical initialement établi, auquel elle n'avait consenti qu'à
contre-cœur. Aux revendications extrémistes des Heimwehren en faveur
d'une présidence à l'américaine5, qui n'aurait été à leurs yeux qu'une étape

1. Typique de cette approche, la démonstration de Georges Burdeau, Le régime


parlementaire dans les Constitutions européennes d'après-guerre, Paris, les Éditions
internationales, 1932, p. 148-166.
2. Anton Pelinka emploie à juste titre le terme de Kpnkurrenzdemokratie, dans
E. Tàlos et al. (dir.), Handbuch des politischen Systems Ôsterreichs, Erste Republik
1918-1933, Vienne, Manz, 1995, p. 63.
3. Auxquels s'ajoutera l'Union agraire (Landbund) à partir de 1927 (W.C. Miiller,
dans E. Tàlos, op. cit., p. 72 et suiv.)
4. Aucun cabinet ne fut d'ailleurs renversé par un vote formel du Nationalrat, mais
tous se retirèrent par dislocation interne de la majorité (ibid., p. 82).
5. J. Hartmann, U. Kempf, Staatsoberhàupter in westlichen Demokratien, Opladen,
Westdeutscher Verlag, 1989, p. 159.

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vers un État autoritaire se joignaient des propositions plus modérées,


destinées à réduire l'influence du Parlement sur le gouvernement. Majoritaires au
Conseil national, mais seulement avec l'appui des autres partis
conservateurs, les chrétiens- sociaux avaient mesuré la difficulté de gouverner dans la
seule dépendance parlementaire. Le prélat Ignaz Seipel, principale figure du
Parti chrétien- social, a en particulier régulièrement développé ces
arguments1. L'arrière-plan idéologique de ces réflexions renvoyait non seulement
au souci de stabilité gouvernementale, mais également à une conception
particulière de l'État, que l'on ne voulait pas voir réduit à un instrument
exclusif des partis, afin qu'il conserve son unité fondamentale2. On
imaginait donc de parvenir à une plus grande stabilité en instituant une autorité
indépendante des partis, qui incarnerait la continuité de l'État à la manière
du Kaiser avant 1918. Mais ces projets de réforme n'en revêtaient pas
moins un aspect paradoxal, parce qu'ils n'allaient pas jusqu'à remettre en
cause le principe de la responsabilité politique du gouvernement devant la
représentation populaire, et se présentaient au fond sous un aspect
essentiellement technique. C'est en particulier la procédure de nomination du
gouvernement, jusque-là totalement contrôlée par les partis, qui faisait l'objet de
virulentes critiques. Aussi les différents projets de révision préconisaient- ils
tous l'adoption des méthodes du régime parlementaire classique à cet égard,
c'est-à-dire faire intervenir le président de la République lors de la
nomination du cabinet, et lui confier le droit de dissolution. Bien que suggérée dès
1919, l'élection du chef de l'État ne constituait qu'en second lieu la
conséquence logique de la revalorisation de son rôle.
La Constitution ne pouvant être modifiée que par une majorité des deux
tiers au Parlement, c'est-à-dire avec l'accord d'une partie de l'opposition
social-démocrate, la droite dut se résoudre à un compromis dans lequel
intervenait en sus la question fédérale: défenseurs du fédéralisme en 1918/1920,
c'est-à-dire à l'apogée de l'influence du SPÔ, les chrétiens-sociaux une fois
le pouvoir reconquis, désiraient attaquer l'indépendance du bastion «rouge»
de Vienne, qui ménageait à la social-démocratie un important centre de
pouvoir. C'est donc un délicat compromis qui fut adopté en décembre 1929 et,
s 'agissant du renforcement de l'exécutif, force est de constater que le projet
initial du gouvernement sortit fortement amendé de la discussion.
La révision présentait au total une forte connotation weimarienne3, en
ce qu'elle instituait l'élection du président de la République au suffrage
universel direct, la durée de son mandat passant de quatre à six ans
(renouvelable une seule fois). On dotait le chef de l'État de la compétence de
nommer et révoquer sans contreseing le gouvernement, ainsi que de dissou-

1. I. Seipel, Der Kampf um die ôsterreichische Verfassung, Vienne, Leipzig,


Braumiiller, 1930.
2. Cf. l'argumentation très fouillée de Peter Pern thaler, «Das Staatsoberhaupt in
der parlamentarischen Demokratie », Verôffentlichungen der Vereinigung der Deutschen
Staatsrechtslehrer, tome 25, Berlin, de Gruyter, 1967, p. 95-208.
3. Mesurable aux nombreuses formulations littéralement recopiées de la
Constitution allemande, ainsi l'interdiction de deux dissolutions «pour le même motif»
(art. 29-1 B-VG), ou la procédure de révocation populaire contre le Président, sur
initiative du Parlement (art. 60-6 B-VG). Weimar fut explicitement évoquée par la
plupart des intervenants lors des débats parlementaires. Voir B. Skottsberg, Der
ôsterreichische Parlamentarismus, Gôteborg, Elander, 1940, p. 351-404.

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Armel Le Divellec

dre le Conseil national1. Les sociaux-démocrates avaient pu néanmoins


limiter la tendance à l'autonomie de l'exécutif: la responsabilité politique du
gouvernement devant le Nationalrat était maintenue, les relations
institutionnelles entre Parlement et gouvernement demeuraient à peu près
inchangées, et surtout, les compétences du Président restaient liées à une
proposition du gouvernement (à l'exception de la nomination et la
révocation de celui-ci). En outre, une disposition clé du projet avait été modifiée:
les pouvoirs d'exception, par lesquels l'exécutif aurait pu gouverner seul
en cas de blocage parlementaire, étaient soumis à de sérieuses restrictions,
en particulier à une approbation d'une Commission permanente du Conseil
national2. Cette révision présentait donc un caractère hybride. Elle
constituait incontestablement un pas dans le sens du rétablissement d'une dualité
des pouvoirs, à l'opposé du monisme de 1920, mais ses effets potentiels
n'étaient pas moins incertains. De fait, la restauration d'un chef de l'État
puissant ne s'est jamais réalisée dans ce système ambigu de «séparation des
pouvoirs coiffée par le principe parlementaire»3.

L'IMMÉDIATE NEUTRALISATION

Pour produire tous ses effets, une telle réforme aurait nécessité un
changement sensible des comportements. Or, à l'évidence, tel ne fut pas le cas.
Tout d'abord, le titulaire de la fonction présidentielle au moment de la
réforme, Wilhelm Miklas, élu en 1928 selon l'ancien système (grâce à
l'abstention des sociaux-démocrates au troisième tour et, bien que ce député
du Parti chrétien- social eût lui-même formulé auparavant certaines
propositions en faveur d'un renforcement de la place du chef de l'État4) demeura
en place sans se soumettre à une élection populaire. Or, n'étant pas un chef
de parti, il n'était pas évident pour lui de se muer instantanément en leader,
alors que par ailleurs, le camp conservateur comportait des personnalités
importantes (Seipel, à la tête des chrétiens-sociaux, et Schober, proche des
Grossdeutschen, qui dirigèrent à plusieurs reprises la Chancellerie). Déçue
par le caractère minimaliste du compromis de 1929, l'extrême droite, elle,
ne désarmait pas, et l'agitation de la vie politique fut encore aggravée par
le contexte économique mondial.
Une nouvelle crise gouvernementale due aux divisions des partis
conservateurs aboutit à la démission du troisième cabinet Schober en
septembre 1930. Si Miklas put confier à son camarade de parti, Cari Vau-
goin5, la direction d'un gouvernement minoritaire, et exercer son droit de

1. Formellement sur proposition du gouvernement, mais du fait de son droit de


révocation, il lui était possible de procéder à une «dissolution présidentielle».
2. Article 18 B-VG. Toutes ces limitations contrastent spectaculairement avec
l'article 48 de la Constitution de Weimar qui a permis toutes les manipulations sous la
présidence du maréchal Hindenburg.
3. « ... eine durch das parlamentarische System ùberbriickte Gewaltentrennung... »,
selon l'heureuse formule de Brita Skottsberg, op. cit., p. 403.
4. Texte cité dans: I. Seipel, Der Kampf..., op. cit., p. 259.
5. Ministre de la guerre sans interruption depuis 1922 (il le restera jusqu'en 1933),
Vaugoin, qui venait de contribuer à la chute de Schober (dont il était pourtant le vice-
Chancelier), était loin d'être l'homme lige du Président.

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dissolution sans même que le nouveau cabinet ne se soit présenté devant le


Conseil national, il est incontestable que le président de la République n'a
pas été l'initiateur de la crise, pas plus qu'il n'a imposé le nouveau
cabinet, lequel fut décidé par une réunion des dirigeants du Parti chrétien-
social et des Heimwehren1. Dans ces conditions, cette apparente
dissolution présidentielle ne revêtait pas précisément un aspect antimajoritaire,
c'est-à-dire celui d'un conflit entre un Parlement et le Président, mais une
tentative saisie par le chef de l'État pour permettre, à l'occasion d'une
crise intra-parlementaire, à ses amis politiques de retrouver la majorité. Les
nouvelles élections auraient d'ailleurs pu être obtenues avant la réforme de
1929, grâce à la faculté d' autodissolution de la Chambre basse, pour
laquelle il aurait suffit d'une majorité simple des voix. Miklas, critiqué il
est vrai, ne fut d'ailleurs pas mis en avant dans le combat électoral. Quoi
qu'il en soit, en raison de la défaite électorale de l'alliance des chrétiens-
sociaux et des Heimwehren, il fallut une nouvelle fois replâtrer l'ancienne
coalition2. Cette première intervention politique du chef de l'État n'était
donc pas de nature à inciter celui-ci à intervenir plus activement dans le
combat politique. Si virtualité «présidentialiste» il y eut, le dénouement de
la crise constituait un précédent défavorable. L'agitation persistante, mêlée
aux effets de la crise de 1930, fit que l'on ne procéda pas à l'élection du
chef de l'État par le peuple lorsque vint à échéance le mandat de Miklas
en 1932. Les partis s'entendirent pour déroger à l'article 60 de la
Constitution, introduit en 1929. Et, multipliant les assurances d'impartialité, le
Président sortant fut réélu par l'Assemblée fédérale, pour une durée de
quatre ans, c'est-à-dire celle de la version de 1920 du texte constitutionnel.
Au cours des années suivantes, qui voient l'abrogation autoritaire, en
1933/1934, de la Constitution démocratique et se terminent par l'Anschluss
en 1938, le rôle du Président Miklas est demeuré à la fois effacé et
complaisant. Il a cautionné le virage autoritaire de Dollfuss, privilégiant sa
confiance (puis sa crainte) dans le Chancelier en dépit de ses scrupules
légalistes. Le 4 mars 1933 en effet, suite à un incident mineur de procédure
parlementaire, les trois présidents du Conseil national démissionnèrent
simultanément. Dollfuss profita de l'occasion pour empêcher par la force une
nouvelle convocation de l'assemblée. Il prit des mesures législatives
(environ 500 ordonnances) en s 'appuyant sur une loi de 1917 relative aux
pouvoirs spéciaux. Miklas non seulement valida le procédé, mais se retrancha
derrière une argumentation très formaliste pour justifier son refus de
révoquer le gouvernement3. Ayant écarté tous les pouvoirs publics susceptibles
de le gêner, Dollfuss put faire promulguer une Constitution corporatiste en

1. Le détail de la crise est minutieusement relaté par B. Skottsberg, op. cit., p. 405
et suiv.
2. Il paraît donc excessif de parler de «16 mai 1877» à l'autrichienne, comme le
fait W. Kaltefleiter (Die Funktionen des Staatsoberhauptes in der parlamentarischen
Demokratie, Cologne-Opladen, Westdeutscher Verlag, 1970, p. 174).
3. Révélatrice de sa peur croissante, sa confidence à un ami, en décembre 1933:
«Le roi d'Italie peut-il révoquer Mussolini? Hindenburg peut- il révoquer Hitler? Chez
nous aussi il y a une dictature.» (cité par P. Pernthaler, op. cit., p. 139, note 152).

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1934 l. Si celle-ci maintenait de façon très formelle le poste de Président,


Miklas fut de plus en plus tenu à l'écart des décisions. Après l'assassinat
de Dollfuss en 1934, il refusa certes de céder aux nazis autrichiens et
nomma Schuschnigg à la tête du gouvernement, lequel accentua la voie
« austrofasciste ». Le Président de ce qui était devenu un État autoritaire
puis un État envahi par les nazis, finit néanmoins par démissionner le
13 mars 1938 pour n'avoir pas à signer lui-même 1' Anschluss.
L'institution présidentielle ne fut toutefois pas complètement discréditée
après la guerre, contrairement à son homologue weimarienne, puisque
l'arrivée au pouvoir de Dollfuss n'était pas une décision personnelle de Miklas,
et la Constitution de 1934 institutionnalisait une « Kanzlerdiktatur »
(M. Welan), non une dictature présidentielle. Enfin, le choix de Faustrofas-
cisme paraissant avoir constitué un moindre mal, elle acquérait à l'époque
une certaine légitimité du fait de son opposition à l'annexion nazie. Ces
circonstances ne sont sans doute pas étrangères au fait que l'on crut pouvoir
s'accommoder d'une restauration de la Présidence lors du retour à la
démocratie en 1945, restauration formelle d'autant plus aisée que l'on en avait
précisément intériorisé la substance, à savoir sa neutralisation.

LA NEUTRALISATION INTERIORISEE

Le Proporzsystem

L'institution présidentielle autrichienne réapparut en 1945, sans que sa


neutralisation originelle soit remise en question. Rapidement reformés2, les
partis autrichiens décidèrent de remettre en vigueur la Constitution
démocratique d'avant-guerre, celle «de 1920 dans la version de 1929», selon la
terminologie consacrée, afin de renouer ostensiblement avec la partie honorable
de l'histoire du pays. Compte tenu du contexte particulier lié à la tutelle
alliée, les questions purement institutionnelles semblaient secondaires, le
caractère moniste du régime parlementaire pratiqué entre 1920 et 1933 ne
faisant pas de doute pour le SPÔ et l'ÔVP, et leur apparaissant hautement
souhaitable. Surtout, un autre élément va contribuer à confirmer la
neutralisation de la Présidence. Victimes communes de la dictature nazie, les deux
grandes familles politiques autrichiennes abordèrent en effet la renaissance
du pays dans un tout autre esprit qu'en 1918. La nécessité d'une sorte
d'union nationale devant la précarité extérieure aussi bien qu'intérieure
s'imposa avec évidence. C'est ainsi que s'établit le régime de Proporz2
dans lequel on s'accorde à voir l'une des caractéristiques majeures de
l'Autriche de l'après-guerre. Il se traduisit en premier lieu par une Grande

1. O. Lehner, dans E. Tàlos, Handbuch..., op. cit., p. 53-56. M. Cullin,


F. Kreissler, L'Autriche contemporaine, Paris, Armand Colin, 1972, p. 75.
2. La tendance chrétiennne- sociale s'était renouvelée dans le Parti populaire
autrichien (ÔVP). Les tenants du camp pangermaniste furent exclus de la vie politique
jusqu'en 1949.
3. Le terme signifie représentation proportionnelle, mais dans une acception plus
large que la notion électorale et désigne par extension le partage généralisé des
responsabilités et des postes, dans tous les domaines, même hors de la sphère étatique.

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La neutralisation de la Présidence autrichienne

Coalition1, maintenue après les premières élections législatives libres de


novembre 1945, bien que l'ÔVP y détînt la majorité absolue des sièges.
S'il revint logiquement à ce parti d'occuper la fonction de Chancelier, le
poste de chef de l'État fut, au nom du partage du pouvoir, dévolu à un
socialiste, le vieux chef Karl Renner (75 ans), déjà fondateur de la
République en 1918. Ce partage des postes2 se fit à l'unanimité, dans la mesure
où, comme en 1932, il fut décidé de déroger à l'élection populaire, et donc
de faire désigner le Président par l'Assemblée fédérale (toutefois pour la
durée constitutionnelle de six ans). Par ailleurs, un accord informel entre les
deux partis en 1948 avait prévu de recourir encore à ce procédé à l'avenir3.
Le dispositif de neutralisation allait donc très loin. Hasard ou élément
révélateur, Renner choisit comme chef de cabinet un ancien collaborateur de
Miklas, un homme de continuité pour la Présidence neutralisée4. C'était
donc plus une caution morale qu'un chef politique que l'on installait à la
présidence de la République reconstituée5. Renner fut d'ailleurs «un grand
personnage tabou au-dessus des partis, et le rôle historique qu'il avait joué
en 1918 et en 1945 lui conférait une autorité incontestable et incontestée.
Sa fonction, qui fut loin d'être soumise aux intérêts particuliers d'un parti,
profita de cette image»6. La politique de l'Autriche dans ces premières
années était fortement conditionnée par le contexte international qui
imposait une solidarité aux deux grands partis. L'unité de direction se fit
incontestablement autour du chef du gouvernement, Leopold Figl, tandis que le
chef de l'État n'exerçait guère d'influence sur la marche des affaires.
W. Kaltefleiter a montré, par exemple, que la révocation, par le Président
Renner, de l'unique ministre communiste, Karl Altmann, en novembre 1947,
s'est bien effectuée en accord et sur la proposition du Chancelier, et non
contre son avis7. L'anticommunisme était d'ailleurs un ciment entre les
deux partenaires du système de Proporz, comme naguère l' antimarxisme
avait pu l'être pour les différents partis de droite contre le SPÔ.
La spécificité du contexte des débuts de la «Deuxième République»
devait tout de même finir par se dissiper, et aurait pu engendrer une
nouvelle orientation de l'institution présidentielle. Avant même que l'Autriche

1. Un gouvernement provisoire fut établi dès avril 1945, englobant également le


Parti communiste, qui entrera dans l'opposition en 1947.
2. Le partage était toutefois conditionnel, en ce sens que l'ÔVP n'avait accepté que
Renner, et non un autre socialiste (A. Schàrf, Ôsterreichs Erneuerung 1945-1955. Das
erste Jahrzehnt der zweiten Republik, Vienne, Wiener Volksbuchhandlung, 7e éd., 1960,
p. 87).
3. Ibid., p. 270. Celui-ci rapporte que l'élection du Président au suffrage universel
était encore considérée par les socialistes comme une «conquête ligueuse» {Heimwehr-
Errungenschaft) .
4. Ibid., p. 93.
5. Dans son discours d'accession à la Présidence, Renner déclara: «J'ai vu dans
cette dernière rencontre des socialistes et des chrétiens- sociaux un symbole des choses à
venir. Je crois fermement que la coopération entre les deux grands partis et aussi entre
tous les autres partis démocratiques jettera les fondements d'une nouvelle Autriche, plus
heureuse» (Stenographische Protokolle der Bundesversammlung, 20 décembre 1945,
dans M. Welan, Das ôsterreichische Staatsoberhaupt, Vienne, Ôsterreichisches Jahrbuch fiir
Politik, Sonderband 2, 2e éd., 1986, p. 104).
6. M. Cullin, F. Kreissler, L'Autriche contemporaine , op. cit., p. 183.
7. W. Kaltefleiter, Die Funktionen..., op. cit., p. 177-178.

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Armel Le Dive llec

ne recouvre sa souveraineté internationale par le Traité d'État de 1955 signé


avec les Alliés, le décès de Karl Renner (décembre 1950) posa le problème
de sa succession. Cette fois, les raisons de déroger à la procédure prévue
par la Constitution n'étaient, objectivement, plus aussi défendables devant
l'opinion. Mais, on l'a vu, ÔVP et SPÔ semblaient vouloir renoncer pour
l'avenir à l'élection directe par le peuple. Disposant d'une majorité
amplement suffisante pour réviser la Constitution, il aurait été envisageable qu'ils
institutionnalisent ce retour au texte de 1920 '. Adolf Scharf, le leader des
socialistes (il deviendra chef de l'État en 1957) a relaté dans ses écrits la
valse-hésitation du Parti populaire2, dont la presse lança une campagne en
faveur de l'élection au suffrage universel, bien que la direction elle-même
parût encore envisager la voie de l'Assemblée fédérale. Il lui importait
avant tout que son candidat soit élu, quelle qu'en fût la manière3. Or les
socialistes ne voulaient pas se rallier à la personnalité proposée par l'ÔVP
et l'on procéda donc à la première élection au suffrage universel direct4. La
perspective des législatives de 1953 a sans doute incité les partis de la
coalition gouvernementale à se mobiliser par ce «sondage en grandeur nature».
On aurait en effet pu concevoir un candidat commun des deux grandes
formations, n'eût été la logique de compétition vers laquelle s'orientait l'ÔVP
en cette occurrence. Chaque parti présentant son propre candidat, on pouvait
donc s'attendre à un réel affrontement5. Mais décidément, rien ne semblait
devoir être laissé au hasard dans le système de la démocratie de
concordance, et ÔVP et SPÔ conclurent aussitôt un accord sur les modalités de la
campagne électorale, afin que celle-ci ne soit pas trop polémique6.
Néanmoins, la nécessité d'un second tour de scrutin enflamma les esprits et le
ton devint de part et d'autre très virulent, chaque camp utilisant des
arguments caricaturaux, la menace de l'instauration d'une «démocratie
populaire» d'un côté, d'une résurgence du «clérical-fascisme» de l'autre. Le
rapprochement idéologique entre les «noirs» et les «rouges» trouvait ici
des limites, d'ailleurs plus épidermiques et culturelles que réelles car
précisément, aucun des deux «grands» candidats ne présentait de programme de
gouvernement. Le profil des candidats est déjà en soi un indicateur
fondamental de la portée accordée par les partis eux-mêmes à la fonction
présidentielle. Il est significatif qu'aucun d'entre eux n'ait présenté la
candidature de son chef: l'ÔVP opta pour Heinrich Gleissner, chef du
gouvernement du Land de Basse-Autriche, tandis que les socialistes
présentèrent, après quelques hésitations, le député-maire de Vienne, Theodor Kôrner
(Schàrf, le président du parti, demeurant à son poste de vice-Chancelier).
Choisi notamment pour attirer des électeurs non socialistes (il avait été
général dans l'armée impériale), Kôrner fut d'ailleurs élu, contre toute

1. Les socialistes déposèrent un projet de révision en ce sens en novembre 1948,


mais il ne fut pas examiné (A. Schàrf, Ôsterreichs Erneuerung..., op. cit., p. 270).
2. Ibid., p. 269 et suiv.
3. Ibid., p. 272.
4. Il fallut adopter en urgence une loi électorale (Wahlordnung du 16 janvier
1951), puisque cela n'avait même pas été fait en 1929.
5. Les quatre partis représentés au Conseil national, auxquels s'ajoutèrent deux
candidats indépendants (cf. Annexe n° 1, infra).
6. A. Schàrf, op. cit.

944
La neutralisation de la Présidence autrichienne

attente, quoique de justesse (52,1 %) après que le premier tour eût donné
lieu à un score serré (39,1 % contre 40,1 % à Gleissner). Les sympathisants
du camp «national», rétablis dans leur capacité électorale à partir de 1949,
s'étaient répartis également entre les deux candidats, favorisant finalement
celui des socialistes1. Quelles conséquences politiques étaient à attendre du
scrutin? Le leader socialiste Schàrf déclara: «Comme rien n'a changé sur
le plan parlementaire, il me paraît naturel que les grandes lignes de la
coopération entre les deux grands partis se poursuivent»2. Le cabinet se
maintint donc, inchangé. Les gouvernements prendront l'habitude d'offrir
formellement leur démission après une élection présidentielle, non par
obligation juridique, mais par un acte volontaire de courtoisie3.

La dépolitisation

Les événements révèlent donc que le choix de recourir enfin à l'élection


populaire du chef de l'État en 1951 s'est inscrit dans une stratégie de
l'ÔVP qui, confiant dans ses chances de victoire, espérait pouvoir ajouter la
présidence de la République à ses trophées, et ainsi modifier les rapports de
force au sein du gouvernement proportionnel, voire gouverner seul
ultérieurement. Mais le Parti populaire n'en comptait pas pour autant développer la
Présidence elle-même4. Ces élections présidentielles étaient placées
ouvertement à côté du circuit du parlementarisme, sans y être réellement intégrées.
Il reste évidemment qu'une institution pourrait évoluer et se développer par
elle-même. Tel ne fut pas le cas. Les élections présidentielles ultérieures
viendront confirmer la conception neutralisée de la fonction, tout d'abord
par le choix des candidats. Ainsi du scrutin de 1957. Suite aux élections
législatives de l'année précédente, qui avaient vu l'ÔVP se détacher de ses
partenaires, au point de manquer d'un siège la majorité absolue5, les
socialistes, craignant d'être bientôt exclus du pouvoir, présentèrent leur propre
président, Schàrf, vice-Chancelier dans le cabinet Raab, en faisant valoir la
nécessité d'un équilibre des pouvoirs, par le slogan «Chancelier noir,
Président rouge». Ils insistaient à l'envie sur la forte personnalité et l'expérience
politique de leur champion, qui contrastait selon eux avec celle du
chirurgien Denk, non affilié à un parti, que soutenaient à la fois l'ÔVP et le
FPÔ. En 1963 et 1965, le Parti populaire présentera des candidats jouissant
d'une certaine notoriété, les anciens Chanceliers Julius Raab (72 ans) puis
Alfons Gorbach (66 ans)6, tandis que le champion des socialistes en 1965,
Franz Jonas, sera brocardé par ses adversaires comme personnalité sans

1. F. Weissensteiner, Die ôsterreichischen Bundesprâsidenten, Vienne, Ôsterrei-


chischer Bundesverlag, 1982, p. 201.
2. Ibid., p. 216 (nous soulignons).
3. Une «convention de la Constitution», selon H. Widder (« Parlamentsauflôsung
und Regierungsbildung in Ôsterreich», Zeitschrift fiir Parlamentsfragen, 1, 1972, p. 93).
4. A la mort de Kôrner, en 1957, une partie non négligeable des dirigeants de la
coalition songea une nouvelle fois à revenir sur le principe même de l'élection populaire
du Président. Cette fois, Schàrf fit valoir que les citoyens se sentiraient « spoliés » par un
tel abandon (F. Weissensteiner, op. cit., p. 239).
5. Cf. annexe n° 2, infra.
6. Jusqu'à Rudolph Kirchschlâger en 1974, les principaux candidats étaient
presque toujours âgés de plus de 60 ans.

945
Armel Le Divellec

envergure. Mais il est à noter que Schàrf était déjà âgé de 67 ans en 1957
et que sa candidature fut le moyen pour le parti de le pousser vers une
retraite honorable1. Cela est également vrai pour Raab et Gorbach. En
présentant une personnalité connue, chacun espérait accroître ses chances de
remporter l'élection présidentielle, mais pas lui conférer pour autant une
portée gouvernementale. Avec Rudolph Kirchschlàger en 1974 apparaît pour
la première fois un président, certes antérieurement ministre des Affaires
étrangères dans le cabinet socialiste Kreisky, mais non affilié à un parti, et
personnalité dont les convictions catholiques furent mises en avant pour
séduire une partie de l'électorat conservateur. Les deux grands partis ne
présenteront en réalité jamais leur leader. A plusieurs reprises, l'ÔVP n'a
d'ailleurs pas proposé de candidat issu de ses propres rangs, apportant même
son soutien en 1980 à Kirchschlàger, candidat à sa propre succession. Il est
à noter que, au moins pour les deux grands partis, les candidatures ne
revêtiront jamais un caractère individuel aussi accentué que dans la
Cinquième République française2. Elles émergent pour l'essentiel de conciliabules
entre dirigeants des partis, ce qui ne facilite pas les stratégies personnelles.
Les arguments de campagne reflètent l'intériorisation du rôle modeste
dévolu au Président fédéral. Tous les candidats insisteront sur la neutralité
politique que commande la fonction présidentielle. Les discours électoraux
paraissent assez largement interchangeables, même si certains sont
caractérisés par une certaine ambiguïté sur l'influence potentielle du chef de l'État.
Une personnalité volontaire comme Schàrf lui-même admettait: «Ce n'est
pas le devoir du Président de développer son propre programme politique...
mais la Constitution ne lui interdit pas d'intervenir chaque fois que cela lui
semble nécessaire, par des conseils et des exhortations... ». Il devait
toutefois ajouter: «Je respecterai le devoir le plus important qui s'impose
naturellement au chef de l'État: l'impartialité»3. En réalité, les formules
relatives aux possibilités d'intervention du Président constituent
essentiellement un argument pour donner de l'intérêt à l'élection elle-même. On invite
certes les candidats à se prononcer sur les questions de l'actualité politique,
cependant, aucun n'a jamais présenté un programme de gouvernement. Les
affrontements sont donc limités. Ainsi, par exemple, Franz Jonas, qui se
représentait en 1971, refusa le débat télévisé que lui proposait son
concurrent, Kurt Waldheim, afin d'éviter de réduire la Présidence à un objet
de la politique quotidienne4. Le style des campagnes présidentielles n'en
demeura pas moins souvent animé, mais plus du fait des militants que des
candidats eux-mêmes5. La consolidation de la Deuxième République rendra

1. Celui-ci avait d'ailleurs bien conscience que son élection signifierait la fin de la
phase active de sa carrière politique (F. Weissensteiner, op. cit., p. 240).
2. Cela est d'ailleurs moins un effet de l'exigence légale d'un soutien de
6000 électeurs (2000 à l'origine) ou cinq députés pour se présenter que du caractère
assez structuré et oligarchique des partis.
3. F. Weissensteiner, Die ôsterreichischen Bundespràsidenten, op. cit., p. 242.
4. L'influence de l'audiovisuel est devenue telle qu'un refus de ce genre n'est plus
guère envisageable aujourd'hui. Le débat télévisé constitua d'ailleurs probablement le
tournant de la campagne de 1992, mais surtout parce qu'il permit à T. Klestil de se faire
connaître (P. A. Ulram, F. Plasser, «Against all odds. Eine Analyse der
Pràsidentschaftswahlen 1992», Ôsterreichische Monatshefte, 3-4, 1992, p. 6-7).
5. F. Weissensteiner, op. cit., p. 288.

946
La neutralisation de la Présidence autrichienne

de moins en moins crédibles les discours virulents des années 1950, et


l'accent est entre-temps davantage mis sur les personnalités que sur leur
orientation partisane.
La dépolitisation se mesure dans les résultats eux-mêmes. Sans doute les
premières élections refléteront-elles dans une assez large mesure le
comportement de Lager, c'est-à-dire la fidélité partisane des électeurs, qui se
traduit par des scores très serrés, au second tour en 1951 (chaque parti ayant
son candidat), ou au premier tour entre 1957 et 1986 (il n'y aura que deux
candidats de 1957 à 1974, à une exception négligeable près)1. Mais les
électeurs du camp «national» (VdU puis FPÔ) suivront longtemps le
principe «lieber rot als schwarz» (plutôt rouge que noir), notamment en 1951
et 1957, et ce alors même qu'une coalition de droite devenait envisageable
au niveau parlementaire. Le comportement des électeurs ne sera donc jamais
complètement partisan, et sera de plus en plus volatile avec le temps. Le
détachement atteindra son apogée en 1980, lorsque R. Kirchschlàger fut
réélu avec rien moins que 79,9 % des suffrages dès le premier tour.
Les perspectives, depuis 1986, ne sont différentes qu'en apparence.
Avec le très controversé Kurt Waldheim (déjà candidat malheureux en
1971), qui n'avait d'ailleurs manqué son élection au premier tour que d'un
souffle (49,6 %), c'est la première fois qu'une personnalité de tendance
ÔVP accède à la Hofburg2. Mais si le scrutin semblait annoncer un
tournant en faveur du Parti populaire, force est de constater qu'il ne s'est pas
concrétisé lors des législatives six mois plus tard3. Cette capacité des
électeurs à dissocier dans une large mesure leur vote présidentiel du vote
parlementaire montre que le principe parlementaire a toujours été perçu comme
se suffisant à lui-même, et que la Présidence reste substantiellement
extérieure à la sphère du parlementarisme4. On peut même constater le caractère
presque systématique du découplage entre les deux scrutins. Il n'est pas
interdit d'y voir un split ticket à l'autrichienne, ainsi que le confirme
l'élection de Thomas Klestil (soutenu par l'ÔVP) en 1992, lors même que
le Chancelier en place, le social-démocrate Franz Vranitzki, jouissait d'une
forte popularité. Les fronts sont aujourd'hui momentanément renversés : si
les premiers Présidents élus furent toujours SPÔ alors que l'ÔVP détenait la
Chancellerie, c'est l'inverse qui se passe actuellement5.
La recherche d'un président au profil dépolitisé est mise en avant par
les électeurs eux-mêmes. Dans un sondage réalisé à la veille de l'élection
de 1992, 67 % citent «une position au-dessus des partis» parmi leurs atten-

1. Cf. annexe n° 1, infra.


2. Le palais présidentiel, ancienne résidence des Habsbourg.
3. La rupture de la coalition SPÔ-FPÔ en septembre 1986 était complètement
indépendante de l'élection présidentielle; elle résultait de la prise de contrôle du petit
parti «libéral-national» par l'aile extrémiste dirigée par Jôrg Haider. F. Kreissler,
«L'Autriche en 1986: une image ternie», dans A. Grosser (dir.), Les pays d'Europe
occidentale, Paris, La Documentation française, 1987, p. 137-154.
4. Ainsi en 1992, seulement 27 % des électeurs traditionnels de l'ÔVP
reconnaissaient avoir voté pour Klestil en raison de son appartenance à ce parti politique
(sondage cité par A. Pelinka, «Ôsterreich: Was bleibt von den Besonderheiten?», Aus
Politik und Zeitgeschichte, 47-48, 1992, p. 18).
5. Cf. annexe n° 3, infra.

947
Armel Le Divellec

tes principales, tandis que 37 % seulement mentionnent le courage de faire


des propositions nouvelles '. Même si les partis tentent souvent de retirer un
bénéfice politique de ce scrutin, ils le maintiennent découplé de la question
gouvernementale2. Les élections présidentielles constituent, au mieux
(suivant les époques), une indication tendancielle de l'état de l'opinion
politique. La réélection de Jonas en avril 1971, par exemple, fut certes un signal
favorable pour le SPÔ, incitant le Chancelier Kreisky à faire dissoudre le
Conseil national pour obtenir enfin une majorité absolue de sièges. Il n'en
demeure pas moins que l'élection présidentielle n'a pas joué de rôle
directeur puisque la progression des socialistes était déjà entamée (48,4 % aux
élections législatives de mars 1970). En 1965 au contraire, la première
élection du même Jonas fut suivie, moins d'un an après, par la majorité absolue
de l'ÔVP au Conseil national.

Les fonctions réelles


Compte tenu des caractéristiques des candidats et de l'absence de
discussion sur des programmes gouvernementaux lors des campagnes
électorales, on ne saurait être surpris que la fonction du président de la République
élu directement par les citoyens n'ait pas sensiblement modifié le
fonctionnement du régime. Dépendant d'une proposition du gouvernement, pour
presque toutes les compétences qui lui permettraient d'agir, le chef de l'État
se situe à l'écart du processus décisionnel. Les négociations diplomatiques,
par exemple, qui aboutirent à la souveraineté en 1955, se firent sous l'égide
du seul Chancelier, le Président Kôrner n'y étant pas associé3. Certes, on
relèvera bien ça et là des interventions présidentielles, en particulier sous
les trois premiers titulaires de la fonction. La gestion de la Grande
Coalition devait, en raison de son caractère de mariage de raison, nécessairement
donner lieu à des tiraillements. Ainsi de la «crise» budgétaire de
l'hiver 1952, due à l'usure du gouvernement de Proporz et à la proximité
des élections législatives, la logique de situation poussant des partenaires au
coude à coude à se démarquer l'un de l'autre. Le refus du Président Kôrner
d'accepter la démission du cabinet, forçant ainsi les partis à trouver un
compromis a sans doute facilité la résolution de la crise. Il n'empêche que
cela n'était rendu possible que parce qu'il y avait encore une possibilité
d'entente que les partenaires n'avaient pas encore épuisée (ils décidèrent
d'ailleurs de recourir, peu de temps après, à des élections anticipées). Ce
genre de «crises» se reproduira à plusieurs reprises, et il faut relever que
les cas les plus difficiles seront toujours résolus, non par le chef de l'Etat
qui dispose formellement du droit de dissolution (moyennant proposition et
contreseing), mais par l' auto-dissolution du Conseil national, c'est-à-dire par
décision des partis eux-mêmes4. Le rôle effectif du Président autrichien est

1. Cité par M. Welan, Der Bundespràsident : Kein Kaiser in der Republik, Vienne,
Bôhlau, 1992, p. 107.
2. On a fortement souligné que son détachement partisan a contribué à l'élection de
T. Klestil en 1992 (P. Bochskanl, «Les élections présidentielles en Autriche»,
Documents, 2, 1992, p. 20-24).
3. J. Hartmann, U. Kempf, Staatsoberhàupter in westlichen Demokratien, op. cit.,
p. 164.
4. P. Lauvaux, La dissolution des assemblées parlementaires, Paris, Economica,
1980, p. 200-203. Ainsi encore de la dernière crise à l'automne 1995.

948
La neutralisation de la Présidence autrichienne

même, sur ce point, en retrait par rapport à la pratique d'un régime


parlementaire moniste tel que l'Italie.
L'intervention présidentielle pourrait paraître plus importante dans la
formation de certains gouvernements. Il en fut ainsi en 1953, après les
élections législatives qui s'étaient traduites par une progression sensible du SPÔ
au détriment de l'ÔVP (ce dernier, bien que devancé en nombre de voix,
maintenait toutefois d'un siège sa position de premier groupe parlementaire).
Le Chancelier sortant, Figl, caressa un moment l'idée d'élargir la coalition
à la Fédération des Indépendants (VdU), formation créée en 1949, en
rassemblant les héritiers du camp dit «national», c'est-à-dire une droite proche
de l'extrémisme1, qui atteignait 11 % des suffrages. Le chef de l'État
annonça publiquement qu'il refuserait de nommer des ministres appartenant
à un parti considéré comme non fréquentable car quasi néo-nazi. Et de fait,
la grande coalition ÔVP-SPÔ fut reconduite. Pour autant, conclure au
caractère décisif de l'intervention présidentielle serait erroné. Une analyse
attentive des dessous de la crise révèle les aspects éminemment tactiques de la
proposition d'associer les «Indépendants» au gouvernement: celle-ci relevait
en effet d'une stratégie du président de l'ÔVP, Julius Raab, plutôt favorable
à l'entente avec les socialistes, qui cherchait (et parvint) à évincer Figl de
la Chancellerie. De plus, cette perspective permit de faire renoncer le SPÔ
à revendiquer une nouvelle répartition, plus avantageuse pour lui, des divers
postes de direction dans la coalition2. Le même cas de figure se retrouvera
par la suite, notamment pour la formation du cabinet en 1959 et 1962 (où
il ne faudra pas moins de cinq mois pour former un nouveau cabinet).
La situation parut plus délicate en 1970, car l'ÔVP qui avait gouverné
seul pendant quatre ans, avait perdu sa majorité absolue, tandis que le SPÔ,
devenu premier parti, ne disposait que d'une majorité relative au Natio-
nalrat. Le Président de tendance socialiste, Franz Jonas, chargea finalement
Bruno Kreisky, chef du SPÔ, de constituer un cabinet homogène
minoritaire. On a parfois soutenu qu'un président de tendance «populaire» eût été
amené à favoriser la formation d'un gouvernement majoritaire ÔVP et FPÔ.
S'il est exact que Jonas fut critiqué pour sa décision, on ne saurait inscrire
l'existence du cabinet Kreisky à son actif. Il n'a fait que tirer les
conséquences qu'imposait la situation parlementaire. En effet, non seulement il
s'était d'abord prononcé pour une grande coalition (et avait chargé Kreisky,
chef du premier parti au Conseil national, de consulter à ce sujet). Mais
ensuite, devant l'échec de cette tentative, le cabinet socialiste minoritaire
était politiquement la seule solution possible, dans la mesure où une entente
entre ÔVP et FPÔ serait apparue comme une «coalition des perdants», et
surtout où ces deux partis n'étaient pas prêts à gouverner ensemble3. Ils
s'abstinrent d'ailleurs de déposer la moindre motion de censure une fois le
gouvernement Kreisky entré en fonctions. Ce n'est donc pas le chef de
l'État qui a imposé le gouvernement SPÔ minoritaire.

1. La VdU s'est transformée en 1956, pour devenir le Parti libéral autrichien


(FPÔ).
2. W. Kaltefleiter, Die Funktionen..., op. cit., p. 177-179.
3. H. Widder, «Parlamentsauflôsung...», art. cité, p. 92.

949
Armel Le Divellec

Le rôle du Président autrichien, que l'expression de «correctif» inventée


par J.-C. Colliard (mais dans un sens plus important, relatif à la
Cinquième République)1 nous paraît bien décrire, demeure donc ce qu'il était
avant 1929, une magistrature morale, non une autorité de direction politique.
Comme il ne préside pas le Conseil des ministres et que tous ses pouvoirs
sont soumis à proposition et/ou contreseing, son influence ne peut s'exercer,
même par petites touches2. Sa signature, requise pour les nominations, ne
lui a ménagé, en dépit des efforts d'un Adolf Scharf entre 1957 et 1965,
qu'une influence restreinte. Toutes ces contraintes limitent l'étendue de sa
fonction de correctif à l'égard d'un gouvernement dont la révocation est
finalement une arme trop lourde pour être utilisée.
C'est à partir de 1957 que s'est développée l'idée que la Présidence est
un facteur d'équilibre politique au sein de la Grande Coalition, donc qu'à
un Chancelier «noir» doit correspondre un Président «rouge». Dès lors, on
va considérer le chef de l'État comme garant du système de Proporz,
fonction sensible dès Kôrner de 1951 à 1957, mais tenue avec un soin
particulier par Schàrf qui, en sa qualité d'ancien Président du SPÔ, continuait à
jouir d'une certaine autorité dans son parti. Ainsi décida-t-il, par exemple,
de participer aux réunions des ministres socialistes préparant le conseil de
cabinet3 tout en œuvrant activement au maintien de l'équilibre entre les
deux partenaires, sans qu'il faille surévaluer son influence. Comme on l'a
vu, c'est aussi la formule d'une nouvelle Grande Coalition que privilégia
Jonas en 1970, avant de se résigner au cabinet socialiste minoritaire.
La fonction de gardien du Proporzsystem disparut logiquement entre
1966 et 1986, dans la période des cabinets homogènes majoritaires. La
dépolitisation de la Présidence semble s'être encore renforcée au cours de
cette phase de compétition4, au point que le chef de l'État parut plus
extérieur encore que naguère à la Grande Coalition reformée en 1986 (sans
compter le caractère controversé de la personnalité de Kurt Waldheim).
Aussi la fonction présidentielle prend-elle une dimension plus complètement
a-politique qu'auparavant. Elle semble, dans le contexte de scepticisme à
l'égard des partis, constituer une autorité-refuge pour citoyens critiques
envers la classe politique5. Le degré de pénétration de la société par les
partis étant en net repli, le chef de l'État fait, plus nettement que par le
passé, figure d'autorité presque anti partisane. Mais ce trait pourrait
s'appliquer également à ses homologues étrangers qui ne sont pas élus au suffrage

1. Les régimes parlementaires contemporains, Paris, Presses de Sciences Po, 1978,


p. 280.
2. Ainsi, par exemple, contrairement à leurs homologues du régime moniste
allemand, les Présidents autrichiens ne se sont jamais reconnu le droit de vérification
matérielle d'une loi votée (M. Welan, Der Bundespràsident..., op. cit., p. 59).
3. W. Kaltefleiter, op. cit., p. 175.
4. Ce qu'illustrait la pratique de Kirchschlàger (comme naguère Karl Renner) de
participer aux réunions publiques des principaux partis. Sur sa conception du rôle du
Président, voir «La fonction présidentielle en Autriche» (interview), Austriaca, 10,
1980, p. 13-19.
5. En témoigne, en 1992, après l'éventualité envisagée par SPÔ et ÔVP de
présenter un candidat commun, la tonalité de la campagne de T. Klestil (P. Pulzer, «The
Austrian presidential election of 1992», Electoral Studies, 11 (4), 1992, p. 347-351).

950
La neutralisation de la Présidence autrichienne

universel, ainsi de l'Allemagne lorsque le Président Weizsâcker se faisait le


premier critique de la Parteienherrschaft1 .

UN FONDEMENT INSTITUTIONNEL

L'ampleur de la neutralisation du chef de l'État semble donc pouvoir se


mesurer d'abord à l'aune des multiples facteurs historiques et politiques
propres à l'Autriche. Ainsi M. Duverger a-t-il pu faire remarquer que le
bipartisme autrichien préexistait à l'institution présidentielle, contrairement à la
bipolarisation française qui en résulte précisément2. La Présidence s 'étant
fondue dans un jeu politique déjà existant, la neutralisation de tout rôle
directeur de l'élection présidentielle par les partis aurait entraîné une
neutralisation de la fonction elle-même. Sans être inexacte, l'analyse manque
peut-être l'essentiel. Il semble possible de l'affiner en ayant recours à une
explication plus profonde, de nature institutionnelle. La neutralisation du
Président autrichien ne résulte en effet pas exactement du bipartisme qui,
d'ailleurs, n'a jamais été parfait3 (il se rapproche même, depuis 1986, d'un
pluralisme multipolaire, le FPÔ étant à nouveau considéré comme koali-
tionsunfàhig, c'est-à-dire non apte à entrer dans une coalition). Le système
de partis, même envisagé sous l'angle qualitatif (à savoir la concordance,
surtout dans les vingt premières années) n'est pas en soi la clé explicative
du problème. Il ne l'est du moins pas abstraitement, dans la mesure où on
ne saurait sérieusement négliger le cadre institutionnel dans lequel il
s'inscrit. L'essentiel de la question de la neutralisation du chef de l'État
autrichien réside en effet dans le fait que les dirigeants des partis majoritaires
au Conseil national ne se sont jamais dessaisis de la formation du
gouvernement. Quelle qu'ait été la consistance de leur entente, variable selon les
époques, l'initiative est toujours venue d'eux-mêmes. Ils ont en permanence
conservé la maîtrise de la création du cabinet. Cela résultait de leur
conception même du régime parlementaire.
Dégagé progressivement comme un moyen d'évolution libérale des
monarchies, le principe de responsabilité du gouvernement devant le
Parlement a en effet changé profondément de portée et de signification. Il n'est
plus un moyen de limiter l'action d'un exécutif monarchique. En imposant
finalement l'effacement bientôt complet du monarque au profit des ministres
(au plus tard avec le suffrage universel), il a abouti à transférer au seul
Parlement le choix direct du cabinet, à exercer ce que Walter Bagehot
appelait la fonction élective, qu'il classait à juste titre comme la première et
la principale fonction de la Chambre des communes4. Alors que la plupart
des pays européens ralliaient ce modèle de façon coutumière, sans change-

1. A. Kimmel, «De la crise des partis à la crise de la démocratie?», Pouvoirs, 66,


1993, p. 121-131.
2. Échec au roi, Paris, Albin Michel, 1978, p. 96-101.
3. Déjà sous la Première République, le camp conservateur était constitué de
plusieurs partis et, comme on l'a vu, l'instabilité gouvernementale résultait
principalement de cette hétérogénéité. Il conviendrait plutôt de parler de multipartisme
bipolaire pour cette époque.
4. W. Bagehot, The English Constitution, 1867 (p. 195-196 de l'édition française
de 1869).

951
Armel Le Divellec

ment des textes, la Constitution autrichienne de 1920, républicaine et


radicalement démocratique, a institutionnalisé ce principe de manière positive en
faisant élire les ministres par la Chambre basse elle-même1. Et si,
précisément, on croyait avoir touché à ce point en 1929, l'objectif de
«découplage» du cabinet vis-à-vis du Parlement était logiquement altéré, dès lors
que la responsabilité parlementaire du gouvernement avait été conservée
(article 74 B-VG, inchangé). On ne faisait que passer techniquement d'un
parlementarisme positif à un parlementarisme négatif2. En effet, le transfert
de la compétence formelle de création du gouvernement au chef de l'État
est en réalité inégalitaire : la nomination présidentielle ne peut jamais
s'exercer que dans le cadre politiquement tracé par la configuration
parlementaire (relativement nette dans une assemblée de groupes homogènes),
dès lors que, par la motion de censure, le Parlement a toujours la possibilité
d'imposer son choix au Président, fût-ce au moyen d'un bras de fer qui
peut être long et difficile. La dissolution ne constitue pas, contrairement à
l'idée reçue, une arme de riposte équivalente, car une fois la nouvelle
assemblée élue, le chef de l'État, qu'il sorte politiquement vainqueur ou
perdant du scrutin, ne pourra nommer un cabinet qui rencontre l'hostilité de
la majorité parlementaire nouvellement élue ou renouvelée (l'apparition de
partis organisés permettant généralement d'établir instantanément cette
hostilité). Cette fonction élective, codifiée en Autriche dans la Constitution de
1920, ou institutionnellement implicite depuis 1929, n'est toutefois qu'une
norme d'habilitation: elle ne dit pas que le Parlement l'exercera mais lui
permet de le faire3. Autrement dit, la source ultime d'un gouvernement en
régime parlementaire est toujours fondamentalement le Parlement, qu'il
exerce positivement sa fonction créatrice par un choix direct, ou qu'il laisse
un autre organe, singulièrement le chef de l'État, prendre l'initiative. Mais
cette dernière doit s'inscrire dans les limites de la configuration politique de
l'assemblée4, sauf pour les partis à consentir à ce que la doctrine
germanique appellerait une Verfassungswandlung (une métamorphose de la
Constitution), en « déparlementarisant » complètement le gouvernement. La fonction
élective constitue l'aboutissement de la logique inhérente à ce que
Boris Mirkine-Guetzévitch nommait le principe politique du
parlementarisme5, et l'Autriche ne s'en est jamais écartée, en dépit de la réforme de
1929. Aussi n'est- il pas exagéré de dire que sous la façade dualiste de
1929, c'est bien la version de 1920 de la Constitution qui régit pour
l'essentiel le système autrichien6.

1. Article 70-1 B-VG: «Le gouvernement fédéral est élu au scrutin nominal par le
Conseil national sur une liste d'ensemble présentée par le Comité principal».
2. W.C. Muller, dans E. Tàlos, Handbuch..., op. cit., p. 76.
3. G. Burdeau, F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 1993,
p. 128.
4. L'expérience récente de l'Italie illustre le dernier stade du parlementarisme
négatif, puisque les Chambres avaient, en 1995, laissé le chef de l'État nommer lui-
même un cabinet de fonctionnaires, qu'elles acceptaient seulement de tolérer.
5. Le régime parlementaire dans les Constitutions européennes d'après-guerre,
Paris, Sirey, 1937, p. 12.
6. Illustration (anecdotique) de cette permanence: le Président continue à prêter
serment devant l'Assemblée fédérale (c'est-à-dire les deux Chambres), organe qui,
naguère, l'élisait.

952
La neutralisation de la Présidence autrichienne

Pour contrecarrer l'effet intrinsèque du principe parlementaire, il aurait


fallu un consentement au moins tacite des partis. Or, paradoxalement, les
partis de droite autrichiens n'ont pas été jusqu'au bout de leur tentative
entre 1929 et 1933. Et l'élimination du Parlement par Dollfuss en 1933
démontre par l'absurde que la neutralisation unilatérale de tout élément de
parlementarisme exigeait une option autoritaire et antidémocratique, qui
d'ailleurs ne fut nullement le fait de la présidence de la République elle-
même, mais du Chancelier et de ses soutiens politiques. L'incapacité à
trouver une voie médiane entre un parlementarisme sans fard et la suppression
du Parlement lui-même n'était pas de nature à fournir, après 1945, un
modèle intermédiaire de présidence. Le choix par les partis d'un
gouvernement de concordance contrôlé par eux n'offrait guère d'espace politique au
chef de l'État. Au contraire, son insertion dans le jeu institutionnel aurait
pu menacer la logique de Proporz en développant des virtualités de
compétition dont visiblement, on ne voulait pas dans l'Autriche de la guerre
froide. La phase de concordance a, enfin, eu cet autre effet de démontrer la
viabilité du parlementarisme purement moniste, par l'étroite interpénétration
du gouvernement et du Parlement. Ainsi stabilisé au plan institutionnel, le
modèle strictement parlementaire a permis, dans les années 1960, le passage
sans heurt à la compétition entre les deux grands partis, époque où la
conception de la Présidence de la République était si profondément
intériorisée que l'on n'a pas imaginé un instant de la changer. M. Duverger
estimait qu'une mutation de la Présidence aurait éventuellement été rendue
possible en 1974, à l'époque des majorités absolues pour le SPÔ, si le
Chancelier Kreisky, très populaire, avait opté pour la Hofburg1. On ne
saurait en réalité s'étonner du choix de Kreisky de rester à la Chancellerie,
cela moins du fait des attentes de la population en faveur d'une
personnalité détachée des partis, qu'en raison de l'étroitesse structurelle de la marge
de manœuvre d'un organe institutionnellement découplé d'une majorité
parlementaire.
La forme constitutionnelle ouverte qu'instaurait la réforme de 1929 a
donc été complétée par un réseau de conventions de la Constitution, qui
achève de dessiner le cadre normatif du régime autrichien. Telle fut bien la
conception du Président Kirchschlàger qui jugeait ce cadre si contraignant
qu'il estimait qu'une dissolution présidentielle serait «très près d'une
violation de la Constitution», au regard de l'idée de primauté du lien Parlement-
gouvernement sur celui existant formellement entre président et
gouvernement2. Dans ces conditions, une analyse réaliste des institutions amène à
considérer que le président fédéral est un organe constitutionnel de
«seconde catégorie», contrairement au Conseil national et au gouvernement3.

1. Échec au roi, op. cit., p. 96-97.


2. Interview donnée à K. Bouzerda («Le rôle effectif du président de la République
dans le régime constitutionnel et dans le système politique autrichien», Mémoire de
DEA d'études politiques, Paris I, 1981, p. 66-67).
3. Selon la formule vigoureuse de Anton Pelinka, «Nicht schon wieder Weimar...,
Zur Sehnsucht nach einem starken Bundespràsidenten», Journal fiir Rechtspolitik (JRP),
3, 1994, p. 180-184.

953
VOYAGE SANS RETOUR?

Le caractère irrationnel que peut parfois revêtir le fonctionnement du


pouvoir politique invite à s'interroger sur le caractère irréversible de la
neutralisation de la Présidence autrichienne. Force est de constater que la
relative simplicité de la vie politique de la République danubienne s'est
modifiée au cours de ces dernières années. La période des majorités
absolues pour un seul parti semble bien révolue. Après la «démocratie du
Chancelier» sous l'ère Kreisky (plébiscité en 1971, 1975 et 1979), une
atténuation du caractère décisionnel des élections législatives est perceptible
depuis 1986. On retrouve le cas de figure des deux premières décennies,
avec des gouvernements de Grande Coalition, mais dans un cadre désormais
très différent1. La mutation qualitative du système de partis (entrée des
écologistes au Nationalrat et radicalisation du FPÔ sous l'impulsion de
Jôrg Haider) reflète incontestablement un certain «réveil» d'une société
longtemps corsetée dans des structures complexes, adaptées à la
segmentation naguère décrite par Gerhard Lehmbruch2. Caractérisée par la
sécularisation, un certain scepticisme à l'égard des structures traditionnelles
d'autorité, l'aspiration à davantage d'autonomie individuelle en même temps
que de participation citoyenne, cette mutation se traduit par la dissolution
partielle des Lager, et l'indépendance croissante des électeurs vis-à-vis des
consignes partisanes3. Le système de partis a acquis de ce fait une certaine
complexité, d'autant que le caractère jugé «non fréquentable» du FPÔ
réduit l'éventail des coalitions actuellement praticables. La Grande Coalition
comme formule gouvernementale incontournable semble condamner la vie
politique à une certaine pesanteur. Ces conditions ouvrent-elles de nouvelles
perspectives pour la présidence de la République, en dépit de la force de la
logique parlementaire?
Il existe bien en Autriche actuellement une tendance à la revendication
d'un renforcement du rôle du chef de l'État. Elle est essentiellement le fait
du leader du FPÔ, Jôrg Haider. Dans une violente condamnation du Pro-
porzstaat qui maintient son parti exclu du pouvoir depuis 1986, il a
préconisé, sans toutefois formuler de projets parfaitement précis, la fusion des
fonctions de Chancelier et de chef de l'État, en avançant surtout d'ailleurs
les nécessaires «économies budgétaires» (!) que permettrait une telle
opération4. L'horizon d'une «République présidentielle» (Pràsidentschaftsrepu-
blik) régulièrement dessinée par lui exalte des aspirations plus ou moins
confuses évoquant le mythe d'une personnalité contrecarrant «l'égoïsme»
des partis. Sans doute de telles idées restent-elles encore vagues, mais elles

1. A. Pelinka, S. Rosenberger, «Grosse Koalition in Ôsterreich. Riickkehr zur


Normalitàt?», Jahrbuch fur Politik, 1, 1992, p. 104-105.
2. Proporzdemokratie. Politisches System und politische Kultur in der Schweiz und
in Ôsterreich, Tubingen, J.C.B. Mohr, 1967.
3. W. Mantl, «Die Signatur der Verânderung », dans Politik in Ôsterreich. Die
zweite Republik: Bestand und Wandel, Vienne, Bôhlau, 1992, p. 992 (1005).
P. A. Ulram, Hégémonie und Erosion. Politische Kultur und politischer Wandel in
Ôsterreich, Vienne, Bôhlau, 1990.
4. J. Haider, Die Freiheit, die ich meine. Das Ende des Proporzstaates. Plàdoyer
fur die Dritte Republik, Francfort-Berlin, Ullstein, 1993, p. 235.

954
La neutralisation de la Présidence autrichienne

peuvent recueillir un écho dans une population politiquement désorientée et


de plus en plus sensible à ce que Anton Pelinka a nommé (dans un sens
neutre) la «logique populiste», c'est-à-dire la conjonction d'une
personnalisation renforcée et d'une prétention a-partisane ' . Concrètement, on songe
notamment à la part d'initiative qui pourrait désormais revenir au chef de
l'État dans la formation des gouvernements2, ainsi qu'à un éventuel rôle
d'« allié du peuple» face aux partis. Certaines péripéties récentes suscitées
par le Président Klestil, et qualifiées de «tendances bonapartistes» par un
journal viennois3, pourraient accréditer l'idée d'une telle évolution. Comme
certains de ses prédécesseurs (Adolf Schàrf notamment), l'actuel chef de
l'État avait annoncé son intention de jouer un «rôle actif», revendiquant,
par exemple, la possibilité d'intervenir en matière internationale4.
L'ambiguïté d'une telle prétention, qui n'est pas nouvelle mais que favorisent la
médiatisation et la personnalisation du débat politique, ne manquera pas
d'être relevée par l'observateur français, dans la mesure où elle prend appui
sur une attitude d'extériorité explicite vis-à-vis des partis, cette position
ayant été volontairement soulignée par T. Klestil au cours de sa campagne
électorale. Sous ce rapport, la référence est plus Weimar que Paris.
C'est pourtant la solution exactement inverse que préconise la doctrine
politiste et constitutionnaliste autrichienne contemporaine, qui souligne
l'incertitude qui s'attache à la signification d'une présidence renforcée, au-
delà de son rôle classique de correctif5. «La quadrature du cercle» (Welan)
que pose la conjonction, dans la Constitution autrichienne, d'importantes
compétences formelles du Président en face des mécanismes parlementaires,
complique inutilement le schéma institutionnel. L'idée de revaloriser la
place du chef de l'État dans une optique de «modernisation» du système
politique autrichien repose sur une illusion, à savoir que la difficulté à
constituer des gouvernements stables et efficaces pourrait être compensée
par l'activation d'une instance qui, en réalité, ne peut être, au mieux, que
médiatrice. Illusion parce que les compétences de la Présidence ne sauraient
sérieusement s'exercer indépendamment du noyau dur de la Constitution, le
gouvernement de partis6. Or, le mécanisme technique du parlementarisme
n'est pas en soi affecté par la mutation qualitative du système partisan. Au
lieu d'un choix «immédiatisé», les gouvernements résultent à nouveau
aujourd'hui de négociations entre les partis parlementaires. Il ne faudrait pas
s'abuser sur les potentialités d'un retour en force de la Présidence dans le

1. A. Pelinka, «Was bleibt...?», art. cité, p. 17.


2. F. Koja, «Die rechtlichen und politischen Môglichkeiten des Bundespràsidenten
bei der Ernennung der Bundesregierung», JRP, 3, 1994, p. 175-179.
3. Der Standard, 16 mai 1994.
4. F. Kreissler, «L'Autriche en 1994», dans A. Grosser (dir.), Les pays d'Europe
occidentale, Paris La Documentation française, 1995, p. 157-159.
5. A. Pelinka, «Nicht schon wieder...», art. cité, p. 180, et «Die Suche nach dem
starken Mann. Zur Ideologiekritik des Pràsidentialismus », Informationen zur politischen
Bildung, 1995/96, 10, p. 7-17. M. Welan, « Parlamentarische Prâsidentschafts-
republik?», JRP, 3, 1994, p. 185.
6. Ainsi est- il significatif que, hormis le cas de 1930 évoqué plus haut, toutes les
dissolutions soient intervenues jusqu'à aujourd'hui sur la décision du Conseil national
lui-même, cette procédure étant la seule hypothèse qu'instituait le texte de 1920. Les
partis ont ainsi le moyen de solliciter eux-mêmes le corps électoral.

955
Armel Le Divellec

contexte actuel, car elle ne dispensera pas pour autant les partis de
constituer une majorité gouvernementale, tant que sera maintenu le principe de
responsabilité politique du Cabinet devant le Nationalrat. Sachant que les
«frustrations citoyennes» ne sauraient être résolues par le mirage du
«Président fort», la question de la dimension participative de la vie politique,
qui pose des problèmes plus qualitatifs que purement institutionnels,
appellerait plutôt un regain éventuel du référendum, solution vers laquelle
s'orientent les réflexions des spécialistes1. Cependant, il n'est même pas
jusqu'à l'hypothèse d'un rôle accru du chef de l'État dans une opération
référendaire qui ne soit problématique, car elle risquerait d'apparaître
comme une mesure d'appel contre les décisions de la majorité
parlementaire 2.
C'est ainsi qu'il faut comprendre la récente suggestion, qui pourrait
paraître iconoclaste, du professeur Manfried Welan: supprimer purement et
simplement la fonction présidentielle3. Puisque le parlementarisme
démocratique repose fondamentalement sur la fonction élective de l'assemblée élue,
un organe supplémentaire, le chef de l'État — s'il peut effectivement
remplir des fonctions utiles dans un système politique4 — n'est pas en soi
indispensable à son fonctionnement. Sa seule existence formelle (notamment
lorsqu'elle est assise sur le suffrage universel direct) est, au contraire, de
nature à brouiller les fonctions respectives des autres organes
constitutionnels et à déresponsabiliser les acteurs politiques. Il propose ainsi de mettre
tout simplement le droit en accord avec la logique parlementaire acceptée
depuis les origines, et préconise le retour à la codification de la fonction
élective du Nationalrat, telle que la réalisait la Constitution de 1920. Elle
présenterait cet avantage de maintenir pour les partis la responsabilité
positive que postule le parlementarisme. Plus qu'une simple recommandation de
politique constitutionnelle, l'hostilité de la plupart des auteurs à l'encontre
du renforcement de la présidence de la République repose sur une
conception fouillée du parlementarisme lui-même, dimension que seule la
spécificité de la Cinquième République fait singulièrement méconnaître en France.
En Autriche comme en Allemagne, la science politique a exploré en
profondeur les circuits de décision au sein de l'ensemble majoritaire
(gouvernement, partis, groupes parlementaires)5. Il n'est pas rare que l'institution
présidentielle ne soit même pas abordée dans de telles études. On a réalisé
depuis longtemps, outre-Rhin, que l'étroite interpénétration du gouvernement
et du Parlement ménage à ce dernier une influence maximale. Au-delà des
apparences formelles et de sa formule techniquement négative, le système

1. K. Ucakar, « Demokratiereform in Ôsterreich», Ôsterreichische Zeitschrift fur


Politikwissenschaft, 1988, p. 349-372.
2. L'article 43 B-VG permet actuellement à la seule majorité du Nationalrat de
déclencher un référendum.
3. M. Welan, Der Bundespràsident..., op. cit., p. 101-102.
4. La discussion récente a poussé l'ancien Président Kirchschlàger à s'exprimer
pour défendre sa conception traditionnelle d'un président symbole d'unité de la nation,
et émettre des réserves sur l'utilité de son renforcement («Zwôlf Jahre im Amt des
Bundespràsidenten — ein Riïckblick», dans Mélanges Ludwig Adamovich, Vienne,
Springer, 1992, p. 202).
5. Par exemple: W.C. Miiller, «Die neue grosse Koalition in Ôsterreich»,
Ôsterreichische Zeitschrift fur Politikwissenschaft, 1988, p. 321-347.

956
La neutralisation de la Présidence autrichienne

autrichien a rejoint ce schéma sur le fond, en laissant la logique


parlementaire produire tous ses effets, c'est-à-dire en pratiquant le parlementarisme
positif. Ce n'est pas la moindre des réussites de la Deuxième République,
que d'avoir su évoluer vers ce schéma qui assigne logiquement au chef de
l'État le rang d'organe secondaire de la Constitution. Il ne suffirait pas
seulement de vouloir renforcer abstraitement la Présidence, fût-elle appuyée par
le suffrage universel, dans un régime parlementaire. Encore faut-il qu'elle
puisse en contrecarrer la logique, comme dans l'Allemagne de Weimar, ou
bien l'utiliser à son profit (dans le meilleur des cas) comme en France.
Deux exemples dont la valeur exemplaire est fort douteuse.

957
Annexe 1. Candidats aux élections présidentielles 195
Candidat Parti ou soutien Fonction pol
1) Theodor Korner 1951-57 SPÔ Maire de Vienne
Heinrich Gleissner ÔVP LH Haute- Autric
B. Breitner VdU
G. Fiala Bloc de Gauche Membre du Bun
J. Ude sans parti
L. Hainisch-Marchet sans parti
2) Adolf Schàrf 1957-63 SPÔ Vice-Chancelier
W. Denk sans parti (sout. ÔVP, FPÔ)
3) Adolf Schàrf 1963-65 SPÔ Président sortant
Julius Raab ÔVP Ancien Chancelie
J. Kimmel
4) Franz Jonas 1965-71 SPÔ Maire de Vienne
Alfons Gorbach ÔVP Ancien Chancelie
5) Franz Jonas 1971-74 SPÔ Président sortant
Kurt Waldheim sans parti (sout. ÔVP) Ancien ministre
6) R. Kirchschlàger 1974-80 sans parti (sout. SPÔ) Ministre fédéral
A. Lugger ÔVP Président d'un L
7) R. Kirchschlàger 1980-86 sans parti Président sortant
W. Gredler FPO Président du gro
N. Burger NDP Président du part
8) Kurt Waldheim 1986-92 sans parti (sout. ÔVP) Ancien ministre
K. Steyrer SPÔ Ministre fédéral
0. Scrinzi indépendant Député (FPÔ)
F. Meissner-Blau indépendant
9) Thomas Klestil 1992-... ÔVP Ambassadeur
R. Streicher SPÔ Ministre fédéral
R. Jungk sans parti (sout. des Verts)
H. Schmidt FPÔ Vice-Présidente d
N.B.: Le vote est obligatoire, aussi la participation électorale a-t-elle toujours oscillé entre 97,2 et 9
1980 (91,6).
* LH : Landeshauptmann (Chef de gouvernement de Land)
Annexe 2. Résultats des élections législatives 1945-1
FPO1
Législature SPÔ
Voix Sièges ÔVP
Voix Sièges Voix
1945-1949 1434898 44,6 76 1602 227 49,8 85 — —
( 1 65 sièges)
1949-1953 1 623 524 38,7 67 1 846 581 44,0 77 489 273 11
1953-1956 1818517 42,1 73 1 781777 41,2 74 472 866 10
1956-1959 1 873 295 43,0 74 1 999 986 46,0 82 283 749 6,
1959-1962 1 953 935 44,7 78 1 928 043 44,1 79 336110 7,
1962-1966 1960685 44,0 76 2 024501 45,4 81 313 895 7,
1966-1970 1 928 985 42,6 74 2 191 109 48,3 85 242 570 5,
1970-1971 2 221981 48,4 81 2051012 44,6 78 253 425 5,
1971-1975 2 280168 50,0 93 1964935 43,1 80 248 473 5,
(183 sièges)
1975-1979 2 324 309 51,0 93 1980374 42,9 80 249 317 5,
1979-1983 2412778 51,0 95 1 981 286 41,9 77 286 644 6,
1983-1986 2312529 47,6 90 2 097 808 43,2 81 241 789 4,
1986-1990 2 092 024 43,1 80 2 003 663 41,3 77 472 205 9,
1990-1994 1 995 032 43,0 80 1460392 32,1 60 754 379 16
1994-1995 1617 804 34,9 65 1 281 864 27,6 52 1 042 332 22
1995-... 1 843 679 38,0 71 1370497 28,2 53 1 060 175 22
N.B. : N'ont été mentionnés que les partis ayant remporté des sièges au Conseil national.
1. VdU de 1949 à 1956, FPÔ à partir de 1956.
2. KPÔ (Parti communiste autrichien) de 1945 à 1959.
3. Griine alternative Liste (Ecologistes).
4. Libérales Forum (Dissidence libérale du FPÔ créé en 1993).
Armel Le Divellec

Annexe 3. Présidents, Chanceliers et coalitions gouvernementales 1945-1996


Président Chancelier Coalition
Karl Renner (SPÔ) 1945 SPÔ-ÔVP-KPÔ
Karl Renner SPÔ (1945) Leopold Figl (ÔVP) 1945-1947 ÔVP-SPÔ-KPÔ
L. Figl 1947-1953 ÔVP-SPÔ
Kôrner SPÔ (1951)
Julius Raab (ÔVP) 1953-1961 ÔVP-SPÔ
Schârf SPÔ (1957) Alfons Gorbach (ÔVP) 1961-1964 ÔVP-SPÔ
Josef Klaus (ÔVP) 1964-1966 ÔVP-SPÔ
Jonas SPÔ (1965)
J. Klaus 1966-1970 ÔVP
Bruno Kreisky (SPÔ) 1970-1983 SPÔ
Kirchschlàger (1974)
Fred Sinowatz (SPÔ) 1983-1986 SPO-FPO
Franz Vranitzky (SPÔ) 1986 SPO-FPÔ
Waldheim (1986) F. Vranitzky 1986-.. . SPÔ-ÔVP
Klestil ÔVP (1992)

Armel Le Divellec est attaché temporaire d'enseignement et de


recherche en droit public à l'Université Panthéon- As sas (Paris II). Il a publié
«Parlementarisme dualiste: entre Weimar et Bay eux», Revue française de
droit constitutionnel, 20, 1994, p. 749-758 et «Die dualistische Variante
des Parlamentarismus. Eine franzôsische Ansicht zur wissenschaftlichen
Fata Morgana des semipràsidentiellen Systems», Zeitschrift fur Parla-
mentsfragen, 1, 1996, p. 145-151. Il prépare actuellement une thèse de
doctorat sur le parlementarisme allemand (27 rue Brézin, 75014 Paris).

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