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DIAGNOSTIC DES AFFECTIONS RHUMATISMALES

J. Malghem, B. Vande Berg, F. Lecouvet, B. Maldague


Université de Louvain - Bruxelles

Le diagnostic radiologique des affections articulaires repose sur la reconnaissance


d’anomalies élémentaires portant sur les tissus mous, les interlignes cartilagineux et les
structures osseuses :
a : inflammation; b : mécanique

• la tuméfaction des tissus mous constitue la

manifestation la plus précoce de l’atteinte


articulaire inflammatoire. Cependant, à
quelques nuances près, cette tuméfaction est
totalement aspécifique et a priori peu
distinguable par exemple d’épanchements
traumatiques.
• le type de dégradation cartilagineuse peut, pour les grosses articulations du moins,

orienter vers le type de pathologie destructrice : la dégradation cartilagineuse mécanique


est un processus focal survenant dans des territoires de contrainte excessive, tandis que la
chondrolyse d’origine inflammatoire est un processus articulaire global, de nature
enzymatique, entraînant un pincement homogène de l’interligne articulaire.
• les destructions osseuses peuvent comporter des lésions portant sur les surfaces sous-

chondrales et les marges articulaires. Les érosions de surfaces et les géodes sous-
chondrales peuvent résulter tout autant d’une agression par un pannus synovial
inflammatoire que d’abrasions et fragmentations induites par des contraintes mécaniques.
Les lésions de surface sont donc aspécifiques. Par contre, l’érosion marginale est une
lésion dont la spécificité est quasi absolue, constituant la signature d’une pathologie
synoviale agressive.

I - EROSIONS MARGINALES
Elles sont la conséquence d’une stimulation de la résorption osseuse, induite par le
pannus synovial. Elles surviennent préférentiellement dans les marges articulaires, parce qu’il
s’agit de segments osseux qui ont comme caractéristiques d’être de topographie intra-
articulaire et de ne pas être protégés par un recouvrement cartilagineux, c’est-à-dire qu’il
s’agit de « surfaces nues » [Martel et coll 65]. Des érosions marginales sont surtout
visualisées dans les petites articulations. Pour les mains et les pieds, les plus interprétables
portent sur le versant radial des têtes métacarpiennes et phalangiennes et interne des têtes
métatarsiennes car, dans les projections radiologiques habituelles, ces surfaces présentent des
contours régulièrement convexes, à l’inverse du versant cubital ou externe, qui sont
d’interprétation plus délicate en raison de la présence d’une encoche physiologique et
d’irrégularités résultant de l’insertion des capsules articulaires.

a : aspect normal : irrégularités banales du versant cubital (⇐ ?);


b : arthrite débutante : érosion subtile mais très significative du versant radial
(flèche courbe)

Les érosions des bases phalangiennes sont plus petites que celles
des têtes métacarpiennes, phalangiennes ou métatarsiennes (extension
des érosions marginales inflammatoires), parce que l’insertion capsulaire
y est plus proche de la surface articulaire. Dans le cadre de la maladie
rhumatoïde, les érosions marginales méritent d’être systématiquement
recherchées aux avant-pieds car elles y surviennent habituellement plus
précocement que les lésions des mains [Brook et Corbett 77] et que les arthropathies des
avant-pieds sont souvent cliniquement muettes. Le cliché de face des avant-pieds est donc un
cliché d’un rendement diagnostique particulièrement performant.

II - DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
Quelques situations rares sont susceptibles d’entraîner des anomalies pouvant mimer
les érosions marginales inflammatoires :
• l’algodystrophie, dans les cas extrêmes, peut raréfier l’os trabéculaire et les marges
osseuses au point de les rendre indistincts. Dans ce cas cependant, l’os n’est pas
réellement érodé car les contours osseux réapparaissent quand la raréfaction régresse.
• dans l’hyperparathyroïdie, des érosions marginales peuvent survenir par résorption sous-
périostée dans les sites d’insertion capsulaire ou au voisinage de dépôts calciques juxta-
articulaires dans le cadre d’ostéodystrophies rénales.
• des remaniements post-traumatiques peuvent s’accompagner de petites résorptions
osseuses, en particulier au décours d’entorses digitales ou dans des sites de tendinopathies
d’insertion, des coiffes des rotateurs des épaules par exemple.

III - ASPECT EVOLUTIF


Les érosions marginales sont des lésions d’apparition moyennement précoce
(n’apparaissant par exemple qu’après plus d’un an dans la majorité des cas de polyarthrite
rhumatoïde).
Les érosions avérées, avec amputation plus ou moins profonde de la marge osseuse,
sont précédées d’un aspect pré-érosif, pratiquement aussi significatif, mais qui nécessite pour
être interprété de disposer de clichés en haute définition. A ce stade, le contour osseux n’est
pas encore déformé mais la fine couche corticale de recouvrement a disparu et les travées de
l’os spongieux sont mises à nu .
(a-d) : polyarthrite rhumatoïde débutante :
a : état initial d'une articulation
métatarsophalangienne;
b : 6 mois plus tard : chondrolyse débutante;
c : 6 mois plus tard : aspect estompé, "pré-érosif",
du versant interne de la tête métatarsienne (flèche);
d : 1 an plus tard : érosions marginales franches
(flèches).

L’aspect des lésions permet une certaine estimation de leur évolutivité. En cas de
lésions actives, en plus d’une tuméfaction des tissus mous et d’une raréfaction osseuse
locorégionale hétérogène de type dystrophique, les érosions ont typiquement des contours
flous, mal délimitables, avec des travées osseuses mises à nu. En revanche, en cas de lésions
éteintes, le contour des érosions marginales redevient plus net et peut se recorticaliser.

a : érosions actives, d'aspect flou;


b (4 ans plus tard) : érosions éteintes, recorticalisées (flèches)
III - EROSIONS HYPEROSTOSANTES
Contrairement à celles d’origine rhumatoïde, les érosions des « spondylarthropathies séro-
négatives (spondylarthrite ankylosante, syndrome de Reiter et arthrites psoriasiques) ne
s’accompagnent que rarement de raréfactions osseuses intenses, du moins en phase chronique.
A l’inverse, les réactions d’hyperostose réactionnelle sont fréquentes et comportent :

(érosions hyperostosantes" dans un rhumatisme psoriasique :


association d'érosions marginales typiquement inflammatoires
(flèches noires), d'une densification de l'os spongieux, de
petites efflorescences osseuses et d'appositions périostées para-
articulaires (flèches blanches).):

• une densification intra-spongieuse, d’aspect flou en phase inflammatoire active,

• des efflorescences osseuses accompagnant les érosions marginales [Helliwell et Wright

94], pouvant apparaître à une certaine distance de l’articulation,


• des périostoses plus ou moins étendues le long des métaphyses et parfois des diaphyses

para-articulaires [Peterson et Silbiger 67]


Ces mélanges intriqués d’érosions inflammatoires floues et d’hyperostose constituent
le même type de lésions élémentaires qui sont induites, par ce groupe d’affections, dans les
territoires d’enthésopathies (calcanéum par exemple), du rachis et des articulations sacro-
iliaques.
En cas de rhumatisme psoriasique, des lésions similaires peuvent porter sur les houppes phalangiennes
(hyperostose des houppes phalangiennes (flèches courbes) dans un rhumatisme psoriasique.),

en association généralement à des


atteintes unguéales et souvent des
articulations interphalangiennes distales
correspondantes [Millet et coll 71]. Ces
lésions des houppes phalangiennes
peuvent comporter à la fois des érosions
(acro-ostéolyse) et des réactions
hyperostosantes (« phalanges d’ivoire »
[Resnick et Broderick 77]). Ces érosions hyperostosantes floues des houppes phalangiennes
sont pratiquement pathognomoniques du rhumatisme psoriasique.

IV - EROSIONS EXPANSIVES
Certaines pathologies synoviales sont caractérisées par des accumulations
métaboliques ou des proliférations tissulaires à tendance expansive. Cette situation se
rencontre par exemple en cas de synovite villonodulaire pigmentée, d’amyloïdose ou de
goutte tophacée. Dans ces cas, le processus synovial peut, à travers des érosions marginales,
s’étendre plus ou moins profondément dans l’os et y augmenter de volume. Ces expansions
intra-osseuses peuvent, dans la goutte en particulier, déterminer un soulèvement du contour
cortical dominant l’érosion sous-jacente, avec refoulement du rebord osseux « en surplomb ».

érosions "expansives" dans


le cadre d'une goutte :
lacunes à développement
intra-osseux (*) entrainant
des soulèvements
corticopériostés (flèches).

Une telle situation peut se rencontrer également en cas de polyarthrite rhumatoïde peu
inflammatoire, chez des sujets relativement peu handicapés et qui poursuivent leurs activités
physiques (on a parlé de « polyarthrite robuste »). Ces expansions intra-osseuses, quand elles
sont massives, peuvent poser le diagnostic différentiel avec des tumeurs osseuses proprement
dites. En cas de goutte par exemple, les érosions expansives peuvent déterminer des
amputations phalangiennes complètes.
EN RESUME

• L’érosion marginale constitue le signe le plus formel d’une atteinte articulaire


inflammatoire.
• Son aspect peut varier en fonction des phases évolutives de la maladie.
• En cas de spondylarthropathie séronégative, les érosions sont associées à une réactivité
osseuse hyperostosante particulière.
• Enfin, des érosions d’allure expansive peuvent être la conséquence de processus
synoviaux d’allure tumorale.

Références

1. Martel W, Hayes JT, Duff IF. The pattern of bone erosion in the hand and wrist in
rheumatoid arthritis. Radiology 1965, 84 : 204-214.
2. Brook A, Corbett M. Radiographic changes in early rheumatoid disease. Ann Rheum Dis
1977, 36 : 71-73.
3. Helliwell PS, Wright V. Psoriatic arthritis : clinical features. In : JH Klippel, PA Dieppe.
Rheumatology. London, Mosby-Year Book, 1994, 3.31 : 1-8.
4. Peterson CC, Silbiger ML. Reiter’s syndrome and psoriatic arthritis. AJR 1967, 101 : 860-
871.
5. Miller JL, Soltani K, Tourtellotte CD. Psoriatic acro-osteolysis witout arthritis. J Bone
Joint Surg (Am) 1971, 53 : 371-374.
6. Resnick D, Broderick TW. Bony proliferation of terminal toe phalanges in psoriasis the
« ivory » phalanx. J Can Assoc Radiol 1977, 28 : 187-189.

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