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LA PROSPECTIVE STRATEGIQUE ET LA MODELISATION DES SYSTEMES

DYNAMIQUES

MODULE 4 :

Démarches et outils de la prospective

Directeur de cours : Prof KOUASSI Kouamé Sylvestre


Enseignant-Chercheur à l’Université Alassane OUATTARA, Côte d’Ivoire
Titulaire de la Chaire UNESCO Anticipation, Prospective et Territoires Durables
Novembre 2023

Table des matières


INTRODUCTION...................................................................................................................................... 2
I. LA DÉMARCHE GÉNÉRALE DE LA PROSPECTIVE ......................................................... 3
II. LA DÉMARCHE DE L’ANALYSE STRUCTURELLE ........................................................ 6
III. LA DÉMARCHE DE LA CONSTRUCTION DES SCÉNARIOS .................................... 11
III.1. La construction des scénarios par l’analyse morphologique ........................... 11
III.2. Identification des incertitudes majeures et des questions clés ..................... 13
III.3. Formulation des modalités de réponses ou hypothèses contrastées ........... 14
III.4. Détermination des profils morphologiques .............................................................. 14
III.5. Adoption du nombre de niveaux de la procédure .................................................. 15
CONCLUSION ......................................................................................................................................... 17
Bibliographie............................................................................................................................................ 18

Liste des figures

Figure 1: Schéma du triangle grec................................................................................................. 4


Figure 2: Schéma de la démarche prospective ........................................................................ 5
Figure 3: Exemple de matrice d'analyse structurelle ........................................................... 8
Figure 4 : Plan d'influence/ dépendance .................................................................................... 9

Liste de tableau

Tableau 1: Procédure de construction des scénarios à deux niveaux ......................... 15

1
INTRODUCTION
La planification, simple anticipation aux tendances actuelles, est orientée vers
l'avenir mais n’est pas "ouverte" sur l’avenir, au sens de la prospective, c’est à
dire envisageant plusieurs avenirs possibles. C’est la croissance des incertitudes
qui rend la prospective de plus en plus nécessaire, et ce module en montrera
l'utilité et la diversité d’approches utilisés dans sa mise en œuvre. Ainsi, définie
comme étant à la fois un art et une science, la prospective adopte une démarche
assez propre à elle et s’appuie sur des méthodes spécifiques dont il sera question
de présenter dans le présent document. Les principaux objectifs de module se
déclinent donc comme suit :

- Montrer la diversité des approches de la prospective ;


- Identifier les grandes phases de la démarche prospective ;
- Expliquer les différentes étapes de la méthode des scénarios ;
- Présenter le mode opératoire des outils de la prospective stratégique que
sont, entre autres, l’analyse structurelle, et l’analyse morphologique ;
- Présenter des cas d’études prospectives régionale, nationale et sectorielle
s’appuyant sur les démarches et outils expliqués (CEDEAO 2050,
Madagascar 2030-2040-2063, UEMOA 2040, ENP CI 2025, ENP CI 2040,
etc.)

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I. LA DÉMARCHE GÉNÉRALE DE LA PROSPECTIVE
La démarche de la prospective est constituée de deux grandes phases :

- La phase exploratoire : c’est la phase de la compréhension du système


étudié qui consiste à collecter toutes les informations nécessaires pour la
constitution de la base de données prospective et l’exploration des futurs
possibles ;
- La phase stratégique : c’est l’étape dans l’incursion stratégique afin de
créer le lien entre l’exploratoire et la mise en œuvre.

Ces deux grandes phases se traduisent par les 5 questions de la prospective, à


savoir :

- Qui suis-je ? : Avant de se projeter dans l’avenir, il faut se connaitre soi-


même. C’est donc une évaluation de ses capacités et des politiques
publiques mises en œuvre afin de comprendre comment le système est
parvenu à la situation actuelle ;
- Que peut-il advenir ? : c’est l’étape de l’imagination des futurs possibles et
souhaitables à travers la construction des scénarios ;
- Que peux-je faire ? : Cette étape est le point de départ de la phase
stratégique de la prospective. Elle vise à explorer l’ensemble des possibilités
stratégiques qui sont nécessaires pour aller vers la concrétisation du futur
souhaité de l’organisation ;
- Que vais-je faire ? : Face à la rareté des ressources, des choix sont
nécessaires. En outre, cette étape permet de créer le lien entre le long terme
et le court terme en faisant le choix des actions à mettre en œuvre dès à
présent. C’est l’étape de la priorisation des orientations stratégiques de
long terme en court, moyen et long termes ;

3
- Comment le faire ? : Il s’agit ici de tracer le chemin nécessaire pour la
réalisation des choix faits. C’est l’étape de la déclinaison de la stratégie afin
d’atteindre les buts fixés.

Cette méthodologie de la prospective peut être représentée par le cadre de


référence du triangle grec de Michel Godet.

Figure 1: Schéma du triangle grec

Anticipation
Action
(Logos)
(erga)
Réflexion
prospective Volonté
stratégique

Appropriation
(epithumia)

Mobilisation
collective

Source : Michel GODET

- Anticipation : le logos, la réflexion représentent les études qui doivent être


menées en amont de la planification ;
- Action : Erga, la volonté stratégique. Il s’agit de la mise en œuvre des
produits de la réflexion. C’est le temps de la planification stratégique ;
- Appropriation : Epithumia, la mobilisation des acteurs. Pour que les
produits de la réflexion parviennent à se cristalliser en actions porteuses
de sens pour la collectivité, il faut que tous les acteurs concernés par
l’avenir de l’organisation s’approprient le projet ou se mobilisent autour de
ce projet et s’impliquent dans la mise en œuvre.

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Cette démarche empirique s’est perfectionnée au fil du temps pour aboutir à une
approche plus aboutie qui est la méthode des scénarios. Elle est constituée de
quatre principales phases que sont :

 La constitution de la base
 La construction des scénarios
 La formulation de la vision
 Définition de la stratégie

La figure ci-après présente le schéma synthétique de la démarche prospective.

Figure 2: Schéma de la démarche prospective

I. Constitution de la base de données


prospective
-Rétrospective,
-Audit territorial (analyse structurelle,
jeu des acteurs)

II. Construction des scenarios

III. Formulation de la vision

IV. Définition de la stratégie

 La constitution de la base de données prospectives : elle comprend plusieurs


étapes que sont la rétrospective, le diagnostic ou audit, l’analyse de la
dynamique du système :

- Rétrospective : Parcourir les politiques publiques du passé au présent.


Les produits de cette rétrospective sont les Tendances lourdes, les germes
de changement, les invariants, les incertitudes, les risques de ruptures.

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- Audit territorial : faire l’état des lieux au présent de l’organisation. Les
produits de l’audit sont les forces, les faiblesses, les menaces et les
opportunités.

Il faut néanmoins souligner que, dans certains cas, l’audit peut être intégré à
la rétrospective.

- Dynamique du système ou du territoire : déterminer les facteurs ou


acteurs qui, par leurs actions, leurs objectifs, ont contribué à la situation
actuelle du système. Les méthodes de l’analyse structurelle et de l’analyse
du jeu des acteurs contribuent à analyser la dynamique des organisations.

 La construction des scénarios : Sur la base des principaux enjeux


identifiés, se projeter dans le futur en construisant les futurs possibles du
territoire. La méthode de l’analyse morphologique est un outil de choix
pour cette étape.
 La formulation de la vision : définir, sur la base du scénario désiré par
les parties prenantes, une ambition de développement à l’horizon de
l’étude.
 La définition des stratégies : définir les orientations stratégiques de
court, moyen et long terme afin d’alimenter les prochaines étapes de la
planification et de la programmation.

II. LA DÉMARCHE DE L’ANALYSE STRUCTURELLE


L’analyse structurelle est une étape de la constitution de la base de données
prospectives. C’est un outil de choix pour la structuration de la réflexion
collective. Elle permet de répondre à une question importante à laquelle est
confrontée toute réflexion prospective, à savoir : « parmi la multitude de
variables, lesquelles faut-il privilégier ? ».

L’analyse structurelle est réalisée par un groupe de travail composé d’acteurs et


d’experts du domaine étudié. De la constitution de l’équipe dépendra beaucoup la

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qualité de l’apport de cette analyse à la réflexion prospective. L’équipe doit être de
taille réduite et multidisciplinaire. La mise en œuvre de l’analyse structurelle
s’articule autour de quatre phases successives : Le recensement des variables, la
description des relations entre variables, l’identification des variables clés et
l’analyse des résultats à travers les questions clés d’avenir.

 Première phase : le recensement des variables

La construction du modèle d’analyse structurelle pose la question de la


détermination des variables du système étudié. Afin d’identifier une liste la plus
exhaustive possible de variables, les ateliers de prospective constituent un
auxiliaire précieux car ils fournissent, en quelques heures de réflexion collective,
une première liste de plusieurs dizaines de facteurs à prendre en compte. Pour
découvrir ces variables, il est utile d’adopter différents points de vue politique,
économique, social, environnemental, culturel, technologique ; de constituer des
dossiers et d’organiser quelques séances de réflexion collective. Le recensement
proprement dit des variables se fait, à partir de la liste en vrac établie, en
procédant à certaines agrégations et suppressions, de manière à obtenir une liste
relativement homogène. De plus, il est souvent très judicieux de procéder à un
regroupement à priori, afin de distinguer les variables internes et externes ; les
variables internes étant celles qui caractérisent les sous-systèmes faisant l’objet de
l’étude et les variables externes étant celles qui constituent son environnement. Les
variables retenues sont autant sinon plus définies par leur réseau de relations
que par leur existence propre. Ainsi, il s’agira au niveau de la seconde étape, de
décrire les liens entre ces différentes variables.

 Deuxième phase : la description des relations entre les variables

Une variable n’existe que par les relations qu’elle entretient avec les autres
variables. Il s’agit donc d’effectuer le repérage des relations entre variables en
réalisant un tableau à double entrées appelé matrice d’analyse structurelle (voir
figure ci-dessous).

7
Figure 3: Exemple de matrice d'analyse structurelle

Influence de X

Sur
Y
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
0 0 0 0 0 0
Source : IAAT, 2005 modifié par N’zué

0 : Pas d’influence, 1 : Faible, 2 : Moyenne, 3 : Forte, P : Potentielle

Cette matrice détermine si chaque critère de colonne a ou non une influence directe
sur chaque critère de ligne. Ainsi, il s’agit de remplir la matrice. Le remplissage
est qualitatif et s’effectue ligne par ligne en se posant la question suivante : la
variable X a-t-elle une influence directe sur la variable Y ? Ainsi, si une
variable de colonne a une influence sur une variable de ligne, on inscrit 1 à
l’intersection de la colonne et de la ligne et s’il n’y a pas de relation d’influence,
on inscrit 0. On peut aussi utiliser une échelle d’intensité entre variable
(influence faible = 1, influence moyenne = 2, influence forte = 3, influence
potentielle= P). Lorsque la matrice est remplie, il faut ensuite comptabiliser le
degré de motricité et le degré de dépendance des critères. Le degré de motricité
est obtenu en totalisant chaque colonne et le degré de dépendance s’obtient en
totalisant les lignes.

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La figure suivante présente la grille de lecture des résultats de l’analyse
structurelle.

Figure 4 : Plan d'influence/ dépendance

Influence j

A B

i
aij

C D

Dépendance

- Cadran A : Variables d’entrées, elles sont très motrices et peu dépendantes. Ce


sont elles qui feront évoluer le système et il faudra donc leur accorder une
attention particulière dans la construction des scénarios et la réflexion
stratégique.

- Cadran B : variables à la fois très motrices et très dépendantes. Ce sont des


relais sur lesquels toute action peut avoir des répercussions sur les autres et sur
elles-mêmes et dont les conséquences peuvent amplifier ou désamorcer
l’impulsion initiale.

- Cadran C : Variables de sorties, ce sont là des variables peu motrices et très


dépendantes ou encore des variables résultats dont l’évolution dépend de celles
des deux secteurs précédents.

- Cadran D : Peu motrices et peu dépendantes ou encore variables autonomes,

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elles font figure de tendances lourdes ou des facteurs relativement déconnectés
dont on peut se passer dans une première partie de l’analyse.

- Cadran E : variables moyennement motrices et / ou indépendantes forment le


«peloton». Elles peuvent jouer tantôt le rôle de variables auxiliaires d’action ou de
communication, ou celui de variables régulatrices intervenant tantôt comme
leviers secondaires, tantôt comme objectifs faibles ou bien comme enjeux
auxiliaires.

 Troisième phase : L’identification des variables clés

L’identification des variables clés se fait à l’aide de l’outil MICMAC. Il s’agit d’un
programme de multiplication matricielle appliquée à la matrice structurelle.
Cette méthode est fondée sur l’élévation aux puissances de rang (1, 2, 3 jusqu’à
n) de la matrice d’analyse structurelle. Ce sont ainsi des milliers de chemins qui
sont explorés et dénombrés. Une analyse est dite directe lorsqu’elle ne prend en
compte que les relations directes entre les variables (Godet, 1997). Cette analyse
est faite sur la matrice structurelle qui rend compte de l’ensemble des relations
directes entre variables.

 Quatrième phase : Se poser les questions clés d’avenir


L’interprétation des résultats de l’analyse structurelle est liée au positionnement
des variables dans les différents cadrans. Il s’agit donc d’analyser les implications
stratégiques du nuage de points dans le plan influence dépendance et de poser
les questions clés qui vont conditionner l’avenir du système étudié.

Dans le cas où cette étape devrait aider à passer à celle de la construction des
scénarios, la proximité géographique et la proximité sémantique des variables
dans le plan influence dépendance vont aider à un regroupement de variables
(macro-variables) ou patatoïdes. Ceux-ci seront reformulés en thèmes prospectifs
afin de construire des scénarios.

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III. LA DÉMARCHE DE LA CONSTRUCTION DES SCÉNARIOS

La méthode des scénarios appliquée à un territoire permet d’en envisager les


différents futurs possibles, en se fondant sur un diagnostic en dynamique du
territoire et de ses relations avec son environnement. Une diversité de méthodes
sont utilisées pour la construction des scénarios. Ces différentes méthodes ne
diffèrent pas fondamentalement les unes des autres. Leur spécificité se situe
dans l’accent qu’elles mettent sur tel ou tel aspect de la construction des
scénarios. Dans le cadre de ce module, le choix est porté sur l’analyse
morphologique qui a l’avantage d’être une approche globale et systémique.

III.1. La construction des scénarios par l’analyse morphologique

L’analyse morphologique, née aux Etats-Unis dans les années 60 et redécouverte


à la fin des années 80, particulièrement en France, est aujourd’hui l’un des outils
les plus utilisés en matière de scénario. Elle est une technique qui a été
formalisée par le chercheur américain F. Zwicky au cours de la deuxième guerre
mondiale (Maurer, 2001 in Godet, 2006). Utilisée à l’origine en prévision
technologique, cette méthode se prête de plus en plus à la construction de
scénarios et surtout dans des domaines différents de sa branche originelle. Les
composantes démographiques, économiques, techniques ou sociales peuvent
être caractérisées par un certain nombre d’états possibles. L’analyse
morphologique vise à explorer de manière systématique les futurs possibles à
partir de l’étude de toutes les combinaisons issues de la décomposition d’un
système donné. Un scénario ne sera rien d’autre qu’un cheminement, une
combinaison associant une configuration de chaque composante. Dans son mode
opératoire, l’analyse morphologique comporte deux grandes phases : la
construction de l’espace morphologique et la réduction de l’espace
morphologique (Arcade, 2000 ; Godet, 2006).

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Phase 1 : La construction de l’espace morphologique

Il s’agit de décomposer le système étudié en sous-systèmes ou composantes. Le


choix des sous-systèmes est à ce niveau très délicat et nécessite une réflexion
approfondie qui a été réalisée à partir des résultats de l’analyse structurelle. Les
sous-systèmes doivent être aussi indépendants que possible et surtout rendre
compte de la globalité du système étudié. Cependant, si l’on retient beaucoup de
composantes, on se trouve très rapidement confronté à une analyse inextricable.
Si l’on opte pour un petit nombre de composantes, les résultats de l’analyse
seront d’autant plus pauvres que le nombre est petit et on prend le risque qu’ils
soient inopérationnels. D’où la nécessité de trouver un compromis (Mali 2025,
2001 ; Godet, 2006). Chaque composante peut prendre plusieurs configurations
ou hypothèses. Il y aura autant de scénarios possibles que de combinaisons de
configurations. L’ensemble de ces combinaisons représente le champ des
possibles, encore appelée « espace morphologique », un espace qui croît très
rapidement avec le nombre de composantes et de configurations. Cet espace
morphologique est bâti sous la forme d’une matrice « Sous-systèmes ou
Composantes – Configurations ». Mais, beaucoup de combinaisons de cases de
la matrice correspondent à des situations irréalistes car certaines configurations
sont incompatibles entre elles (Godet, 2006).

Phase 2 : La réduction de l’espace morphologique

Cette partie de l’analyse morphologique va donc consister à réduire l’espace


morphologique, c’est-à-dire à rechercher les combinaisons irréalistes et à barrer
les cases correspondantes. Il restera dans la matrice un certain nombre de cases
représentant des combinaisons parmi lesquelles on pourra choisir celles qui
semblent les plus pertinentes pour construire des scénarios exploratoires

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balayant des futurs possibles (Arcade, 2000 ; Mali 2025, 2001 ; Godet, 2006). Le
principe est donc généralement simple mais la mise en œuvre est délicate. Elle
repose en effet sur le bon choix des composantes ou sous-systèmes et des
configurations ou hypothèses : omettre une composante ou une configuration
essentielle pour le futur, c’est négliger toute une face du champ des avenirs
possibles et donc oublier des scénarios.

Dans la pratique, ces deux grandes phases de l’analyse morphologique se


décomposent en plusieurs étapes qui, juxtaposées, permettent de construire de
façon rigoureuse les ossatures des scénarios des systèmes en jeu.

III.2. Identification des incertitudes majeures et des questions clés

Suivant une procédure de tri, on sélectionne un sous-ensemble de variables


considérées comme essentielles (Cf. figure 70). Les incertitudes majeures
(phénomènes structurants, considérés comme décisifs pour l’avenir du système
étudié et qui sont susceptibles de prendre plusieurs directions possibles qu’on
ne peut ni contrôler ni influencer, sur lesquelles, en somme, on a peu ou pas de
maîtrise) (Futurs Africains, 1997) ou les questions clés pour l’avenir sont donc
identifiés à partir des facteurs ou variables qui se caractérisent par la conjonction
de trois propriétés :

- Ils sont importants du point de vue de leur influence sur la dynamique du


système ou de la problématique étudiée soit en tant que moteurs soit en
tant que facteurs d’inertie. D’où la nécessité de les prendre en
considération pour anticiper l’avenir ;
- Ils ne sont pas maîtrisables par l’acteur en charge de la réflexion, en ce
sens qu’ils échappent globalement à son contrôle. Il ne peut prétendre, de
par sa volonté, peser significativement sur leur évolution ;
- Ils sont porteurs d’incertitudes majeures car leur état à l’horizon étudié
n’est pas prédéterminé et relève d’un large éventail de possibilités.

La conjonction de ces trois propriétés est nécessaire pour garantir la pertinence


de la construction de l’ossature ou du profil morphologique des scénarios

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(Arcade, 2000 ; Mali 2025, 2001). Les incertitudes majeures constituent des
pivots autour desquels l’avenir peut être amené à basculer. Transformer donc
ces incertitudes majeures en question clés consiste à exprimer cette incertitude
sous la forme d’interpellation forte pour les initiateurs de l’étude (Arcade, 2000).

III.3. Formulation des modalités de réponses ou hypothèses contrastées

Les incertitudes majeures ou questions clés étant identifiées, il s’agit maintenant


d’explorer pour chacune d’entre elles, les hypothèses alternatives ou modalités
de réponses. Une hypothèse est une direction possible de l’avenir en partant soit,
d’éléments visibles dans le présent, soit de faits porteurs d’avenir ou de germes
de changement qui se caractérisent par leur imperceptibilité actuelle. Il est de
précaution d’imaginer des hypothèses sur l’avenir relativement contrastées sinon
il ne pourra s’agir à quelques nuances près que d’une tendance lourde. Ainsi, on
élabore la trame ou le canevas des scénarios. C’est un tableau à double entrée
dont les lignes correspondent aux incertitudes majeures ou questions clés
classées. Sur chacune de ces dimensions d’incertitudes, on aligne les « briques
de base » pour reprendre l’expression de Mali 2025, correspondant à l’éventail
des modalités de réponses possibles à l’horizon de la prospective. Ces
alternatives de réponses résultent d’une exploration purement créative.

III.4. Détermination des profils morphologiques

Les ossatures de scénarios sont les combinaisons cohérentes et vraisemblables


de configurations qui se matérialisent par le tracé de ligne de segments (profil
morphologique) reliant différentes configurations. Un profil ou ossature d’un
scénario est donc constitué d’un jeu d’hypothèses vraisemblables sur chacune
des questions-clés. Il s’agit d’explorer puis de réduire « l’espace des possibles »
en tenant compte des incompatibilités éventuelles entre certaines hypothèses.
Après s’être rassuré sur la cohérence des scénarios ainsi présélectionnés, on
essaie de retenir un scénario jugé le plus probable. On examine également deux
ou trois scénarios moins probables, mais plus contrastés pour mieux encadrer
les futurs possibles.

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III.5. Adoption du nombre de niveaux de la procédure

Pour réduire la complexité de la démarche, il est possible de systématiser la


détermination et la sélection des profils de scénarios en adoptant une procédure
à deux niveaux : les scénarios thématiques ou microscénarios et les scénarios
globaux (tableau 1).

Tableau 1: Procédure de construction des scénarios à deux niveaux

Etapes Contenu
Identification des dimensions essentielles
Rez-de-chaussée
(incertitudes majeures ou des questions clés) et
détermination des champs thématiques
1.1. Elaboration des trames de scénarios
thématiques : situations hypothétiques et modalités
Niveau 1 : Construction
de réponses à chaque question clé ;
des micro-scénarios
1.2. Détermination des profils morphologiques des
scénarios thématiques : combinaisons contrastées à
raison d’une par dimension ;
1.3. Dénomination et structuration des scénarios
thématiques : alignement vertical de leurs
hypothèses respectives.
2.1. Elaboration de la trame des scénarios globaux :
scénarios thématiques comme hypothèses
Niveau 2 : Construction
composites pour chaque thème ou macro-dimension
des scénarios globaux
;
2.2. Détermination des profils morphologiques des
scénarios globaux : combinaisons contrastées des
scénarios thématiques ;

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2.3. Dénomination et structuration des scénarios
globaux : alignement vertical de leurs scénarios
thématiques ou de leurs hypothèses composites ;
2.4. Exposés narratifs des scénarios globaux
Source : Acarde, 2000

Le premier niveau revient à classer tout d’abord les dimensions d’incertitudes


majeures concernées en domaine ou en thèmes qui aboutiront aux scénarios
thématiques (microscénarios), puis à considérer chacun de ces thèmes comme
une composante à part entière de la strate considérée. Le second niveau consiste
à réitérer la procédure en considérant cette fois les composantes thématiques
comme des macro-dimensions d’incertitudes majeures ou de questions clés
génériques comme indiqué dans le tableau ci-dessous. Les hypothèses
composites associées à cette composante, ne seront autres que les scénarios
fragmentaires issus du niveau précédent pour le thème en question. Un scénario
global qui inclut tous les thèmes étudiés n’est en réalité qu’une combinaison
cohérente d’hypothèses composites, une seule grosse hypothèse étant retenue
par thème.

Chaque scénario global est baptisé en lui donnant un nom évocateur. Ainsi, les
scénarios de l’Etude Nationale Prospective « Côte d’Ivoire 2025 » ont été ainsi
baptisés : la chauve-souris étranglée (scénario très pessimiste), le suicide du
scorpion (scénario pessimiste), l’éléphant en marche (scénario optimiste), et la
ruche des abeilles (scénario très optimiste ou idyllique). Les scénarios sont
accompagnés d’un exposé narratif qui tient compte de la logique d’avènement du
scénario. C’est l’histoire du futur.

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CONCLUSION
La prospective, dans son évolution, a exploré plusieurs méthodes et outils qui,
utilisés de façon rigoureuse, permettent d’explorer l’avenir des organisations à la
lumière des futurs possibles et souhaitables. Cependant, il n’existe de méthode
passe-partout. La démarche est fonction des objectifs à atteindre et des attentes
de son initiateur.

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Bibliographie

ARCADE Jacques, 1998, Articuler prospective et stratégie, Parcours du stratège dans la


complexité. Travaux et recherches de prospective, n° 8, 88p.

ARCADE Jacques, 2000, Mettre en scène des futurs inédits : éléments d’ingénierie

prospective à l’usage des praticiens, Travaux et recherches de prospective, n°11,


Futuribles/CNAM/DATAR/Commissariat général du plan, Paris, 53p.

De Jouvenel Hugues (2004), Invitation à la prospective, Futuribles Perspectives, Paris,


90p.

Philippe Durance, Michel Godet, Philipe Minérowicz, Vincent Pacini (2007), La prospective
territoriale, pour quoi faire ? Comment faire ? Cahiers du Lipsor, Paris, 131p.

FUTURS AFRICAINS, 2001, Un guide pour les réflexions prospectives en Afrique, Abidjan,
NEI, 130p.

GODET Michel, 2006, Prospective stratégique : Problèmes et méthodes, Paris, Cahiers du


LIPSOR n° 20, 92p.

GODET, MICHEL ; DURANCE PHILLIPE, 1997, La prospective stratégique, Futuribles, pp 45-


57.

GOLI Kouakou Camille, 2022, La pêche dans le département de Béoumi, Thèse unique de
doctorat, Université Alassane OUATTARA, Bouaké 403p.

INSTITUT ATLANTIQUE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE (IAAT), 2005, Guide


méthodologique du travail en commun, France, 22 p.

KOBY Assa Théophile, KOUASSI Kouamé Sylvestre (2023), Essai sur une géographie de
l’avenir, Harmattan, Paris, 429p.
18
KOUASSI Kouamé Sylvestre, 2012, La prospective territoriale au service de la gestion
durable des aires protégées : les exemples comparés des parcs nationaux de Taï et de la

Marahoué en Côte d’Ivoire, Thèse unique de doctorat, Université Félix Houphouët Boigny,
Abidjan, 441 p.

REPUBLIQUE DU MALI, 2001, Rapport général de l’étude nationale prospective MALI 2025,
200 p.

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