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13-006-D-17

Encyclopédie Médico-Chirurgicale 13-006-D-17

Syndromes thalassémiques
M de Montalembert

Résumé. – Les syndromes thalassémiques sont des affections génétiques, le plus souvent transmises sur le
mode récessif autosomique. Ils aboutissent à une altération de la synthèse des chaînes a (a-thalassémies), ou
b (b-thalassémies). Ce déséquilibre du ratio des chaînes a et non a aboutit à la précipitation des chaînes non
appariées, à une érythropoïèse inefficace, et à une anémie. La traduction clinique et biologique du
déséquilibre varie beaucoup en fonction d’autres éléments génétiques, en particulier du nombre de chaînes
complémentaires a ou b, et du taux de synthèse des chaînes c.
En fonction du degré de l’anémie et de l’importance des besoins transfusionnels, on distingue les thalassémies
intermédiaires (la plupart des a-thalassémies et certaines b-thalassémies), qui ont une production spontanée
d’hémoglobine entre 6 et 10 g/dL, et des besoins transfusionnels modérés, et les thalassémies majeures
(certaines b-thalassémies), au cours desquelles les transfusions très régulières sont une nécessité vitale. Le
pronostic de ces formes, appelées aussi maladies de Cooley, a été considérablement amélioré par la mise au
point de régimes transfusionnels appropriés et la chélation du fer. La lourdeur du traitement amène
cependant à proposer une greffe de moelle aux enfants ayant un donneur intrafamilial human leucocyte
antigen (HLA) compatible. Dans tous les autres cas, le pronostic dépend de l’adéquation des apports
transfusionnels aux besoins, et de la qualité de la chélation du fer.
Les syndromes thalassémiques posent de difficiles problèmes de santé publique dans certaines régions du
monde (bassin méditerranéen, Asie du Sud-Est). Des stratégies de dépistage sont développées, pour pouvoir
proposer un diagnostic prénatal aux couples à risque.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : thalassémie, syndromes thalassémiques, maladie de Cooley, hémoglobinopathie.

Physiopathologie des thalassémies multiplication des érythroblastes dans les espaces médullaires est
responsable des déformations osseuses [15]. L’érythropoïèse inefficace
est suivie d’une destruction partielle en périphérie des quelques
Les syndromes thalassémiques sont la conséquence d’une réticulocytes ayant réussi à maturer. Ainsi, l’anémie est la résultante
insuffisance de la synthèse d’une ou plusieurs chaînes de globine. de deux composantes, une dysérythropoïèse majeure et une
Selon la chaîne insuffisamment synthétisée, on distingue les a-, b-, hyperhémolyse. L’anémie est peu régénérative, du fait du
d-, db-, cb-thalassémies. Les a- et b-thalassémies sont parmi les dysfonctionnement médullaire. L’importance de ces phénomènes est
maladies monogéniques les plus représentées dans le monde, leur en fait variable selon le génotype. Les syndromes thalassémiques
fréquence étant maximale dans les pays infestés par le paludisme, sont ainsi caractérisés par des anémies héréditaires hémolytiques de
car un trait thalassémique paraît protéger contre les formes graves présentations cliniques très variables (tableau I). Ils se transmettent
de paludisme [6]. le plus souvent sur un mode autosomique récessif.
De multiples défauts moléculaires, de répartition géographique
déterminée, ont été identifiés à l’origine de syndromes
thalassémiques. Ils aboutissent à un déséquilibre de synthèse entre Syndromes a-thalassémiques
les chaînes a et non a (b, c, ou d). Une a-thalassémie est caractérisée
par un rapport a/non a inférieur à 1, une b-thalassémie par un ratio
a/non a supérieur à 1. Dans les formes symptomatiques de Les défauts moléculaires en cause étant détaillés par ailleurs, nous
thalassémie, l’excès relatif de chaînes « célibataires » forme des rappellerons seulement ici que les a-thalassémies sont le plus
polymères peu solubles dans l’érythroblaste, entraînant des souvent la conséquence de la délétion d’un ou plusieurs gènes a.
altérations des membranes cellulaires et nucléaires et la destruction
de l’érythroblaste, responsables d’une érythropoïèse inefficace et
ÉPIDÉMIOLOGIE
d’une anémie. Il en résulte une hypersécrétion d’érythopoïétine qui
stimule l’érythropoïèse, et suscite une hyperplasie avec expansion Les a-thalassémies sont particulièrement fréquentes en Asie du Sud-
érythroblastique caractéristique des syndromes thalassémiques. La Est et en Chine. Leur prévalence est de 3 à 5 % à Hong Kong, et
peut atteindre 30 à 40 % en Thaïlande et au Laos [4, 51]. Elles sont
aussi fréquentes en Afrique, surtout équatoriale, moins présentes en
Mariane de Montalembert : Praticien hospitalier, service de pédiatrie générale, hôpital Necker-Enfants
Afrique du Nord et australe (fréquences géniques observées entre
Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France. 0,06 et 0,41) [37].

Toute référence à cet article doit porter la mention : De Montalembert M. Syndromes thalassémiques. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Hématologie, 13-006-D-17,
2002, 8 p.
13-006-D-17 Syndromes thalassémiques Hématologie

Tableau I. – Classification des principales thalassémies.

Origines Biologie
Type Nosologie Électrophorèse (%)
ethniques Hb (g/dL) VGM (fl) Divers

b° b° Anémie de Cooley Méditerranée F : 98 ; A2 . 2 ; A = 0 10 - 60 & N ou #


Asie
Moyen-Orient

b + b+ Anémie de Cooley ou Noirs F : 30 à 60 ; A2 : 2 à 5 ; A : 35 à 68 75 - 90 & Heinz après splé-


b-thalassémie intermédiaire nectomie

b° b+ Anémie de Cooley F : 70 à 93 ; A2 : 2 à 5 ; A : 5 à 25 & N ou #

(db°) homozygote b-thalassémie intermédiaire Grèce, Indes F : 100 % 70 - 120 &

Lepore homozygote Anémie de Cooley Méditerranée Lepore 30 ; F : 70 ; A2 = 0 & N ou #


Lepore/b-thalassémie Lepore 15 ; F : 84 ; A2 . 1

HbE/b-thaléssémie b-thaléssémie intermédiaire Asie E : 65 ; F . 35 60 - 95 &

--/-- Hydrops fœtalis de Bart Asie Bart : 80 ; H . 10 60 100 - 120 TGMH &&
Méditerranée Portland . 10

-a/-- Hémoglobinose H Asie-Méditerranée Bart’s 10 à 30 ; H : 1 à 30 (naissance) 70 - 90 &&& Réticuloytes > 5 %


CS a/-- Noirs = 0 Heinz +

--/aa a1-thalassémie Asie-Méditerranée A2 : N ou & N ou & &


-a/-a Noirs +

-a/aa a2-thalassémie Noirs+++ N N N ou &


Asie
Méditerranée

VGM : volume globulaire moyen ; Hb : hémoglobine ; CS : Constant Spring ; TGMH : teneur globulaire moyenne en hémoglobine.

MANIFESTATIONS CLINIQUES ET BIOLOGIQUES transfusions répétées. Ce degré de sévérité est corrélé au génotype
Il existe chez le sujet normal deux gènes a (a1 et a2) sur chaque responsable [30]. Biologiquement, il existe une anémie hémolytique
chromosome 16, donc quatre gènes a-fonctionnels. Il existe ainsi microcytaire hypochrome d’intensité variable (6 à 10 g/dL). Les
quatre tableaux selon l’inactivation de 1, 2, 3 ou 4 gènes a. Les hématies incubées 1 heure à 37 °C en présence de bleu de crésyl
anomalies géniques affectant a2 sont plus sévères que celles brillant à 1 % prennent un aspect mûriforme : elles sont ponctuées
impliquant a1. de petits précipités en « motte » (tétramères b) (corps de Heinz).
Les a-thalassémies les plus fréquentes n’altèrent qu’un gène a, et ne L’électrophorèse montre la présence de 1 à 30 % d’HbH et de 10 à
sont responsables d’aucune pathologie : l’a + -thalassémie 30 % d’Hb Bart’s à la naissance. On a décrit récemment des formes
hétérozygote (-a/aa), ou a-thalassémie de type 2. Elles sont particulières d’hémoglobinose H chez des patients d’Europe du
silencieuses sur le plan clinique. La biologie montre à la période Nord ayant un retard mental (syndromes ATR-16 et ATR-X) [1, 23]. Les
néonatale un taux très modérément augmenté (1-2 %) sujets associant une a-thalassémie de type 1 à une hétérozygotie de
d’hémoglobine Bart’s (Hb Bart’s) (qui est un tétramère c4). type Constant Spring (qui est une mutation intéressant le gène a2)
L’hémogramme ensuite est normal dans 50 % des cas, ou peut sinon sont porteurs de formes graves de la maladie.
montrer une hypochromie et une microcytose modérées. Le Les patients atteints d’une hémoglobinose H peuvent être considérés
diagnostic peut être fait en biologie moléculaire. comme des thalassémiques « intermédiaires », puisqu’ils ont une
Les inactivations de deux gènes a sont responsables d’a-thalassémies production résiduelle spontanée d’hémoglobine et des besoins
mineures, ou a-thalassémies de type 1. Il peut s’agir du défaut de transfusionnels faibles ou occasionnels. Ils nécessitent une
deux gènes a en cis sur le même chromosome (--/-aa) (a 0 - supplémentation régulière en acide folique. Les lithiases biliaires
thalassémie hétérozygote), ou en trans sur chaque chromosome sont fréquentes. Une aggravation de l’anémie peut être secondaire à
(-a/-a) (a+-thalassémie homozygote). L’a0 est fréquente chez les une infection aiguë, ou à la prise de médicaments oxydants (les
Asiatiques et les Méditerranéens, et quasi absente chez les Noirs mêmes que ceux qui induisent une hémolyse chez les porteurs d’un
africains ou antillais, qui ont fréquemment des formes a+ . Il n’y a déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase [G6 PD]). Une
pas de conséquence clinique. Biologiquement, les nouveau-nés ont aggravation des besoins transfusionnels traduit parfois un
un taux plus élevé d’Hb Bart’s (5 à 10 %). À l’âge adulte, hypersplénisme qu’une splénectomie peut réduire. La splénectomie
l’hémogramme révèle une microcytose (70 ± 5 fl), une hypochromie, expose en revanche ces patients au risque de complications
un taux normal ou un peu bas d’hémoglobine A2 (HbA2) et un taux thromboemboliques.
normal d’hémoglobine F (HbF). Le diagnostic peut être confirmé par La délétion des quatre gènes a (- -/- -) correspond à l’homozygotie
l’étude de la synthèse des chaînes a/non a in vitro, ou par l’étude pour la délétion de deux gènes a en cis. Cette anomalie est surtout
du génome a en biologie moléculaire. rencontrée en Asie du Sud-Est, où existe la mutation Sud-Est
La non-fonctionnalité de trois gènes a est responsable d’une Asiatique (-- SEA), amputant la totalité des gènes a. Elle peut aussi
hémoglobinose H (--/-a). Les chaînes non a en excès s’apparient, être secondaire à d’autres grandes délétions présentes en
sous forme d’Hb Bart’s à la naissance, et de tétramères b4 à mesure Méditerranée [5] . Elle n’existe pas en Afrique. Les fœtus a0-
que les chaînes b se substituent aux chaînes c (hémoglobine H). thalassémiques homozygotes survivent au-delà du 5e mois de
Cette affection atteint surtout les patients orientaux ou grossesse grâce à la présence de petites quantités d’hémoglobines
méditerranéens, exceptionnellement les Noirs africains ou antillais. embryonnaires, mais décèdent le plus souvent avant la fin de
Son expression clinique est très variable. Certains patients sont grossesse ou juste après la naissance, dans un tableau d’anasarque
quasiment asymptomatiques. D’autres expriment le tableau d’une fœtoplacentaire (Bart’s hydrops fetalis). Ce tableau peut rendre
anémie hémolytique chronique modérée (pâleur, ictère, compte de 25 % des décès périnataux dans certaines régions d’Asie
hépatosplénomégalie, modifications squelettiques modérées) ; une du Sud-Est [47]. Très récemment, des survies d’enfants diagnostiqués
minorité enfin a une anémie plus sévère responsable de en période prénatale, avant le développement de la souffrance
modifications thalassémiques osseuses marquées, et requérant des neurologique, ont été rapportées, permises par la mise en œuvre de

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transfusions in utero [5]. En fait, cette complication grave pose La volumineuse splénomégalie a plusieurs conséquences néfastes :
surtout le problème de sa prévention, reposant sur la détection en une gêne abdominale, une inflation plasmatique, et une destruction
routine des hétérozygotes pour des mutations impliquant la totalité exagérée des hématies aggravant l’anémie. Une leucopénie et une
du génome a, et le recours au diagnostic prénatal pour les couples à thrombopénie peuvent être associées à l’hypersplénisme.
risque [5]. Les anomalies morphologiques dépendent du degré de l’anémie,
puisqu’elles sont la conséquence de l’hyperactivité érythroïde.
L’hyperplasie des os plats de la face confère aux enfants un aspect
Syndromes b-thalassémiques : asiatique : les malaires sont élargis, la base du nez est aplatie, il
épidémiologie existe un hypertélorisme, une protrusion du maxillaire supérieur.
Au niveau du crâne, on peut observer un aspect en « tour », avec
des bosses dans les régions frontales et occipitales. Des anomalies
Initialement décrite dans les populations du bassin méditerranéen,
de l’implantation dentaire sont fréquentes, entraînant des troubles
la b-thalassémie est aussi très répandue dans tout le Moyen-Orient,
de l’articulé dentaire [24]. Le retentissement psychologique de ces
le sud et l’est de l’Asie, l’Afrique de l’Ouest et les Antilles. La
déformations morphologiques peut être important. Les fractures
b-thalassémie est rare dans les populations originaires du nord de
pathologiques ne sont pas exceptionnelles, mais toutefois moins
l’Europe.
fréquentes que ne le laisserait prévoir l’importance de l’ostéopénie.
Des arthralgies sont fréquentes chez les adolescents et les adultes.
Les articulations les plus touchées sont les chevilles, puis les genoux
b-thalassémie hétérozygote et les hanches. Chez l’adulte, l’ostéoporose est responsable de
douleurs osseuses atteignant électivement le rachis [52, 53].
Les sujets atteints d’une b-thalassémie hétérozygote sont bien
portants. Ils n’ont pas de signes cliniques d’anémie ;
exceptionnellement, une splénomégalie discrète est constatée. SIGNES RADIOLOGIQUES
Biologiquement, le taux d’hémoglobine est normal ou très peu Les espaces médullaires sont élargis et les corticales amincies.
diminué (10 à 13 g/dL), la réticulocytose en valeur absolue est L’ostéoporose est généralisée, de degré variable. Les travées osseuses
normale ou un peu élevée, le frottis sanguin montre une restantes paraissent épaissies, la spongieuse prend un aspect réticulé
hypochromie, une anisocytose et une poïkilocytose. Les signes assez caractéristique sur l’ensemble des os des mains et des pieds.
biologiques sont : l’augmentation du nombre des globules rouges L’épaississement du diploé débute sur l’os frontal, puis s’étend aux
traduisant la pseudopolyglobulie, la microcytose et l’hypochromie, autres os de la voûte du crâne, tout en respectant l’écaille occipitale
l’élévation de l’HbA2 (> 3,3 %), tandis que l’HbF est normale ou inférieure, pauvre en moelle. Des réactions d’ossification
discrètement augmentée. Les mesures de l’HbA2 requièrent une perpendiculaires à la base interne réalisent l’aspect en « poil de
analyse par chromatographie liquide haute pression (CLHP). brosse ». Les extrémités costales sont élargies. Les os longs peuvent
L’élévation de l’HbA2 ne peut être masquée que par une carence en avoir un aspect massif et mal modelé, les bras raccourcis avec
fer sévère ; il est dans ce cas nécessaire de contrôler le dosage après diminution de l’abduction, et les corps vertébraux élargis. Les
correction de la carence. extrémités peuvent être le siège de bradymétacarpies et
Aucune précaution ou traitement particulier ne sont à envisager bradyphalangies. La déminéralisation vertébrale peut être
chez les porteurs d’un trait thalassémique. La seule précaution est responsable de scoliose, cyphose, tassement, voire compression
de faire une enquête familiale, afin de pouvoir reconnaître un couple médullaire [52, 53].
dont les deux membres seraient porteurs d’une b-thalassémie
hétérozygote, et de leur proposer un conseil génétique qui puisse
leur permettre d’éviter la naissance d’un enfant homozygote. SIGNES HÉMATOLOGIQUES
Rarement, une anémie peut être constatée chez certains sujets qui L’hémogramme révèle une anémie inférieure à 7 g/dL, microcytaire
associent une b-thalassémie hétérozygote à une triplication des (volume globulaire moyen [VGM] entre 60 et 65 fl), hypochrome
gènes a, ou à une sphérocytose héréditaire. Exceptionnellement, (teneur moyenne en hémoglobine inférieure à 26 pg). La
certaines femmes voient leur anémie s’aggraver au cours de la réticulocytose est voisine de 100 × 109/L, moins élevée que ne le
grossesse. voudrait le degré de l’anémie. L’examen du frottis sanguin des
hématies montre aussi une anisocytose, une poïkilocytose, des
ponctuations basophiles fréquentes, une érythroblastose majeure.
b-thalassémie homozygote : forme L’examen de la moelle n’est pas nécessaire au diagnostic ; il
montrerait la forte érythroblastose, avec des érythroblastes d’aspect
majeure dysmorphique du fait du défaut d’hémoglobinisation (érythroblastes
polychromatophiles II). Les macrophages médullaires sont
On classe les b-thalassémies selon que la synthèse des chaînes b est surchargés en fer.
supprimée (forme bo) ou seulement diminuée (b+). L’étude de l’hémoglobine permet le diagnostic ; le pourcentage de
C’est la profondeur de l’anémie et l’importance des besoins l’HbF est constamment très augmenté pour l’âge (50 à 98 %) ; il
transfusionnels, qui permettent de classer les thalassémies en forme persiste (b+) de l’HbA (5 à 45 %) ou non (b0) ; le pourcentage d’HbA2
majeure (anémie de Cooley) ou intermédiaire. Cette distinction ne est souvent bas dans les formes b0, et élevé dans les formes b+. La
peut être faite qu’après quelques mois de vie, lorsque la synthèse de bilirubine non conjuguée est augmentée du fait de l’hémolyse
l’HbF n’est plus capable de masquer l’anomalie de synthèse d’HbA. chronique. Le bilan du fer (sidérémie, coefficient de saturation de la
sidérophiline) est toujours augmenté, même en l’absence de
transfusion, du fait de l’hyperabsorption intestinale du fer
SIGNES CLINIQUES EN L’ABSENCE DE TRAITEMENT
secondaire à la dysérythropoïèse.
Les signes cliniques apparaissent chez le nourrisson [24]. La pâleur
est constante, associée rarement à un ictère conjonctival. L’asthénie
dépend du degré de l’anémie. COMPLICATIONS ET TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES
Une hépatosplénomégalie s’installe progressivement dans les En l’absence de traitement, l’anémie sévère se complique
premiers mois de la vie ; elle peut acquérir un volume considérable d’insuffisance cardiaque, l’hépatosplénomégalie se majore, un retard
et déformer l’abdomen. L’hypertrophie splénique s’accentue avec le de croissance s’installe ; le décès survient avant 5 ans.
temps, du fait de l’érythropoïèse ectopique, de l’érythrophagocytose, Le traitement conventionnel de la thalassémie majeure associe
et parfois, chez les patients plus âgés, d’une hypertension portale. transfusion, chélation du fer et splénectomie. Ce traitement a

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transformé l’espérance de vie des patients thalassémiques, et a thalassémiques après l’âge de 15 ans. Parmi les différentes méthodes
permis à près de 90 % des malades nés depuis 1975 de dépasser d’évaluation de la surcharge en fer, la mesure de la ferritine sérique
l’âge de 20 ans [36]. La lourdeur du traitement chélateur altère est le paramètre biologique le plus utilisé. L’interprétation de son
toutefois la qualité de vie, et fait discuter l’indication d’une greffe taux doit tenir compte de l’état hépatique, puisqu’une cytolyse
de moelle chez les enfants et les adolescents qui disposent d’un importante majore sa valeur, quel que soit l’état hépatique, d’une
donneur intrafamilial human leucocyte antigen (HLA)-compatible. inflammation, qui majore aussi la ferritinémie, de la proximité de la
Plus tard, les résultats de la greffe sont moins bons, et le traitement dernière transfusion sanguine. Une ferritinémie supérieure à
conventionnel est presque toujours préférable. 1 000 ng/mL traduit une surcharge martiale exposant à terme aux
complications cardiaques, endocriniennes ou hépatiques. Certaines
¶ Transfusion sanguine équipes recommandent la réalisation d’une ponction-biopsie
hépatique pour évaluer précisément la surcharge [38], mais cette
Chez l’enfant, le diagnostic de thalassémie majeure entraîne la
attitude est discutée, d’une part du fait de son invasivité, d’autre
surveillance régulière de l’état clinique, et le contrôle des taux
part parce que les fragments biopsiques peuvent être de taille trop
d’hémoglobine. Quand ceux-ci descendent en dessous de valeurs
insuffisante pour être informatifs, chez les patients porteurs d’une
compatibles avec une activité normale, les transfusions deviennent
fibrose marquée ou d’une cirrhose [45].
nécessaires et le diagnostic du caractère majeur de la thalassémie est
posé. La grande majorité des patients thalassémiques majeurs Enfin, la surcharge en fer peut être évaluée par résonance
nécessite des transfusions mensuelles dès la première année de vie, magnétique nucléaire, mais cette étude n’est possible que dans peu
mais certains patients, atteints de formes modérées, peuvent de centres.
attendre quelques années [45]. L’observation de la réponse clinique et Diagnostiquées le plus souvent dans la deuxième décennie, les
hématologique aux premières transfusions permet de déterminer la complications cardiaques menacent le pronostic vital à l’occasion de
fréquence et l’importance des apports transfusionnels [ 1 2 ] . la survenue d’une insuffisance cardiaque congestive. On a montré
L’adéquation des apports transfusionnels aux besoins est en particulier qu’une maladie cardiaque pouvait se constituer quand
régulièrement vérifiée. On sait qu’en règle le maintien en la ferritinémie était régulièrement supérieure à 2 500 ng/mL [39]. Les
permanence d’un taux d’Hb au-dessus de 10 g·dL–1, 8 à 9 g·dL–1 lésions histologiques rapportées à l’hémosidérose sont des dépôts
après 15 ans, permet des activités scolaires, ludiques ou de fer dans les cellules myocardiques, notamment ventriculaires, et
professionnelles normales, et empêche l’apparition de l’hyperplasie dans les voies de conduction. Des lésions de fibrose existent à un
érythroïde responsable des déformations morphologiques. Ce seuil stade plus avancé. Les signes cliniques et électriques de l’atteinte
est respecté en général grâce à l’apport de 15 mL·kg–1 de concentrés cardiaque sont présents à un stade tardif de la surcharge en fer. Ils
érythrocytaires toutes les 3 semaines, ou de 20 mL·kg–1 toutes les témoignent d’une hypertrophie ventriculaire gauche, d’un
4 semaines. Les risques immunologiques, infectieux et de surcharge épanchement péricardique, de troubles du rythme et/ou de la
en fer liés à la transfusion ont conduit à ne pas chercher de valeur conduction, d’une insuffisance cardiaque congestive. Une
plus élevée pour les taux d’Hb, alors que cela avait été proposé par intensification importante de la chélation peut seule permettre à ce
des partisans de stratégies « supertransfusionnelles ». stade une stabilisation de la fonction cardiaque [10]. Les patients
Le produit transfusé est du concentré érythrocytaire déleucocyté, thalassémiques adultes ont aussi un risque accru de complications
phénotypé Rh-Kell. L’utilisation de globules rouges jeunes, les thromboemboliques (accidents cérébraux ischémiques transitoires,
néocytes, a été abandonnée, bien qu’elle permette d’allonger hémiplégies, thromboses artérielles et veineuses), sans doute
l’intervalle entre les deux transfusions, car elle double le nombre de secondaire à une activation chronique des facteurs de coagulation [45].
donneurs de sang auquel le receveur est exposé [8]. Les anomalies hépatiques sont constantes dans l’hémosidérose post-
transfusionnelle. La surcharge en fer apparaît sous la forme de
L’évolution des taux d’Hb pré- et post-transfusionnels doit être
pigments d’hémosidérose dans les cellules de Kupffer, parfois
analysée par rapport aux quantités sanguines transfusées (les
entourés de nécrose hépatocytaire, voire de fibrose. L’examen
apports mensuels sont enregistrés et analysés annuellement). Une
histologique du foie, effectué par Jean et al chez 86 enfants
consommation annuelle de l’ordre de 150-200 mL·kg –1·an–1 de
thalassémiques âgés de 3 à 16 ans, a montré de façon constante une
concentrés érythrocytaires maintient normalement le taux d’Hb
fibrose à partir de l’âge de 6 ans, des lésions de cirrhose chez certains
moyen proche de 12 g·dL–1. Une consommation supérieure à
à partir de l’âge de 9 ans, une cirrhose presque constante après l’âge
200 mL·kg–1·an–1 doit faire rechercher la cause de l’inefficacité
de 15 ans [28]. Il faut toutefois souligner que ce travail est antérieur à
transfusionnelle, souvent due à un hypersplénisme, qui conduit
la mise en évidence du virus de l’hépatite C, et n’indique donc pas
habituellement à pratiquer une splénectomie. L’apparition d’un
si certains patients étaient aussi infectés par ce virus. En effet, les
autoanticorps antiérythrocytaire est possible, et peut aussi se
lésions hépatiques secondaires à la surcharge en fer sont aggravées
traduire par une majoration des besoins transfusionnels. L’allo-
quand coexiste une infection virale liée à l’hépatite B et/ou à
immunisation antiérythrocytaire est une complication relativement
l’hépatite C, complications fréquentes chez les thalassémiques
rare depuis l’utilisation systématique de produits phénotypés en Rh-
multitransfusés avant l’instauration des dépistages viraux
Kell, puisque la majorité des anticorps rencontrés autrefois
systématiques des dons de sang.
apparaissait dans ces systèmes.
Chez les patients thalassémiques, les complications endocriniennes
Bien traités, les patients ont des activités normales. La croissance
relèvent de mécanismes multiples ; cependant, l’examen
staturopondérale est normale jusqu’à l’adolescence, les anomalies
histologique des tissus concernés, prélevés lors des autopsies, amène
morphologiques sont atténuées ou absentes. Ainsi, la transfusion
à attribuer à la surcharge martiale la plus grande part de
sanguine a transformé le pronostic vital de la thalassémie majeure,
responsabilité dans la genèse de ces complications. Les
et les enfants bien traités ne meurent plus de cette maladie. En
complications endocriniennes sont observées dès l’âge de 12-15 ans,
revanche, la transfusion est responsable de complications multiples,
et contribuent à la morbidité de la thalassémie majeure à partir de la
responsables à leur tour de la morbidité et de la mortalité de
fin de la deuxième décennie. Un retard statural est fréquent, et peut
l’affection, chez les adolescents et les adultes dont la qualité de vie
être majoré par un retard pubertaire, ce dernier étant d’habitude
reste souvent médiocre.
plus sévère chez le garçon. La puberté peut demeurer incomplète.
Une aménorrhée peut aussi s’installer secondairement [2]. La qualité
¶ Surcharge en fer
du développement pubertaire et staturopondéral est très dépendante
Un concentré érythrocytaire de 280 mL apporte environ 200 mg de de l’adéquation des apports transfusionnels aux besoins, et de la
fer. L’organisme ne dispose pas de moyens naturels d’évacuation de mise en œuvre précoce du traitement chélateur du fer [3]. Des
ce fer, qui se dépose d’abord dans le foie et la rate, puis dans les traitements hormonaux substitutifs sont parfois utiles en cas
glandes endocrines et le cœur. La surcharge en fer est à l’origine des d’insuffisance en hormone de croissance (GH pour growth hormone),
complications et de la mortalité qui menacent maintenant les d’hypothyroïdie ou d’insuffisance gonadique associés [ 1 8 ] .

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L’hypogonadisme hypogonadotrope aggrave la maladie osseuse liée douleurs abdominales, tant qu’une infection par Yersinia
à l’ostéopénie. Une étude de la minéralisation osseuse chez enterocolitica n’a pas été éliminée, puisque cette bactérie dépourvue
82 patients âgés de 12 à 43 ans, bien pris en charge pour la de sidérophores détourne à son profit la capacité du Desféralt de
transfusion et la chélation, a montré une ostéoporose chez 51 % capter du fer, élément qu’elle utilise pour sa propre croissance.
d’entre eux, à l’origine de douleurs ostéoarticulaires diffuses, surtout
rachidiennes [29]. Le traitement inclut des apports calciques, une Chélateur oral : Ferriproxt (défériprone : 1,2 diméthyl-3-
supplémentation en vitamine D, et le traitement de l’hypogonadisme hydroxyridin-4-one : L1)
hypogonadotrope, qui était présent chez 67 % des 82 patients cités. Si le Desféralt a prouvé son efficacité quand il est administré
Les biphosphonates sont en cours d’étude [29, 52, 53]. L’hypothyroïdie régulièrement, ce traitement est extrêmement contraignant,
et l’hypoparathyroïdie, cliniques et/ou biologiques, doivent être occasionnant souvent des arrêts de traitement par les patients qui le
systématiquement recherchées. Un diabète insulinodépendant est jugent inacceptable, et s’exposent alors aux risques de la surcharge
possible. L’âge moyen d’installation d’un diabète, constaté dans en fer. Un chélateur administrable par voie orale était donc attendu
6,5 % des 448 cas de thalassémie étudiés par De Sanctis, est de avec impatience. La molécule pour laquelle on a aujourd’hui le plus
17 ans [ 1 6 ] . Du fait de la prévalence de l’hypogonadisme de recul est le Ferriproxt. Son activité chélatrice paraît inférieure à
hypogonadotrope, les cas de grossesse sont très rares, mais possibles celle du Desféralt, n’induisant une élimination urinaire que de
chez des patientes ayant bénéficié dès le diagnostic d’apports l’ordre de 65 % de celle provoquée par le Desféralt. Une étude
transfusionnels optimaux, et d’une chélation ayant toujours contrôlé clinique importante est celle de Hoffbrand [26]. Parmi 51 patients
la surcharge en fer [40]. thalassémiques traités par Ferriproxt (75 mg/kg/j), 49 % ont arrêté
¶ Traitement de la surcharge en fer le traitement ou sont morts après 19 mois en moyenne. Parmi les
cinq décès, quatre étaient liés à une insuffisance cardiaque et un à
Desféralt (déféroxamine) une infection ; les principales causes des arrêts de traitement étaient :
Le Desféralt reste en 2001 le traitement chélateur du fer de référence. une arthropathie pour cinq patients ; un échec pour cinq autres ; cinq
Cette molécule est très mal absorbée par voie orale, et doit être patients ont eu des symptômes digestifs sévères ; deux ont eu une
administrée par voie parentérale. La voie sous-cutanée est la plus neutropénie ; un patient a présenté une agranulocytose. Les données
utilisée, elle induit une élimination du fer de l’ordre de 90 % de celle les plus récentes sur la toxicité sont celles de Cohen et al [7].
induite par voie intraveineuse. La voie intramusculaire est bien L’incidence de l’agranulocytose (nombre de neutrophiles < 0,5
moins efficace [11]. L’équilibration des apports en fer est obtenue par × 109/L) dans une population de 187 patients thalassémiques
l’administration sous-cutanée pendant 8 à 10 heures de 40 mg/kg/j majeurs traités par 75 mg/kg/j est de 0,6/100 patients-années, celle
de Desféralt. Cette dose de 280 mg/kg/semaine peut être répartie de la neutropénie (nombre de neutrophiles < 1,5 × 109/L) est de
sur 5 jours, pour laisser un peu de répit aux patients. La négativation 5,4/100 patients-années. Une controverse avait été soulevée sur un
de la balance en fer est obtenue quand l’élimination urinaire de fer éventuel risque hépatotoxique du Ferriproxt. Les données les plus
atteint 0,5 mg/kg/j. L’objectif à atteindre, en l’absence d’autre récentes semblent rassurantes sur ce point [50].
évidence de surcharge tissulaire grave, est le maintien d’une Du fait de sa toxicité potentielle, et de sa moindre efficacité par
ferritinémie entre 500 et 1 000 ng/mL. La perfusion sous-cutanée rapport au Desféralt, le Ferriproxt a reçu, en août 1999, une
peut se faire grâce à des pompes portables, ou, chez les adolescents autorisation de mise sur le marché (AMM) restreinte aux patients
et les adultes, grâce à un diffuseur. Le volume des diffuseurs est thalassémiques pour lesquels un traitement par Desféralt est contre-
plus important que celui des seringues adaptées aux pompes indiqué ou s’accompagne d’une toxicité sévère.
portables, ce qui permet d’injecter plus de produit à chaque fois, et
Les autres chélateurs oraux sont encore à des stades relativement
réduit le nombre de jours de perfusion. Il faut toutefois veiller à ne
précoces de leur développement, et ne sont pas disponibles en
pas injecter plus de 80 mg/kg/injection, sauf s’il existe une
thérapeutique. Les plus prometteurs sont le HBED (N,N-bis-
défaillance cardiaque nécessitant une chélation intensive, pour éviter
hydroxybenzyl) éthylènediamine-N,N-diacétate) et son dérivé
la toxicité du Desféralt. En raison du caractère fastidieux des
diméthylé, peu toxique mais insuffisamment efficaces et l’IRCO 11,
perfusions sous-cutanées prolongées sur une dizaine d’heures,
qui n’a pas encore été testé chez l’homme.
certaines équipes proposent l’administration du Desféralt par bolus
sous-cutanés, la dose quotidienne étant répartie en deux Face à ce dilemme, une chélation efficace et terriblement
injections [19]. Les injections sous-cutanées peuvent être précédées de contraignante, le Desféralt, et une chélation orale insuffisamment
l’application d’une crème anesthésique locale (Emlat). active, certaines équipes proposent d’alterner ces traitements, en
administrant par périodes le Ferriproxt, et en relayant par le
La toxicité du Desféralt est essentiellement observée quand il est
Desféralt quand la ferritine remonte.
utilisé à une dose excédant 50 mg/kg/j, ou à des doses plus faibles
chez des patients faiblement surchargés en fer. Un « index de
¶ Infections virales post-transfusionnelles
toxicité » est proposé, qui fait le rapport de la dose quotidienne
(mg/kg) sur la ferritinémie (µg/L). Ce ratio doit rester inférieur à Les patients thalassémiques sont une des populations les plus
0,025 [44]. La toxicité est essentiellement neurosensorielle, sous forme exposées au risque de contamination virale transfusionnelle.
de déficits auditifs et d’anomalies rétiniennes, qui amènent à Effectivement, une étude publiée en 1987 par le European-
préconiser une surveillance annuelle de l’audiogramme et Mediterranean WHO Working Group, incluant 3 633 patients
l’électrorétinogramme. Une diminution de la vitesse de croissance, thalassémiques de 36 centres dans 13 pays, montrait que 1,56 % des
ainsi que des anomalies pseudorachitiques ont été décrites, chez de patients avaient des anticorps antivirus de l’immunodéficience
jeunes enfants traités alors qu’ils n’avaient qu’une surcharge humaine (VIH) [32]. L’instauration du dépistage des anticorps anti-
modérée. La réduction de la dose de Desféralt fait habituellement VIH a considérablement réduit le risque de contamination par ce
disparaître ces anomalies. Des complications irréversibles ont été virus. Un travail publié en 1990, concernant 305 patients
décrites chez des patients traités à de très fortes doses (100 à thalassémiques majeurs français, italiens et belges, chiffrait la
200 mg/kg/j) pour une complication cardiaque majeure. Certains prévalence des anticorps anti-VIH à 0,7 % (patients contaminés
patients traités par Desféralt par voie sous-cutanée font des avant le dépistage systématique chez les donneurs), anti-human
réactions à type d’urticaire, parfois paradoxalement absentes quand T-cell lymphoma virus I (HTLV I) à 0,7 %, antivirus de l’hépatite C
le Desféralt est administré par voie intraveineuse. D’autres patients (VHC) à 34,1 %, anticytomégalovirus (CMV) à 69,5 %. Neuf patients
font, à l’occasion d’injections sous-cutanées ou intraveineuses, des (3 %) étaient porteurs de l’antigène HBs [13]. Un problème majeur
bronchospasmes qui font discuter le choix de l’autre chélateur rencontré aujourd’hui chez les patients thalassémiques est celui de
existant : le Ferriproxt. l’infection par le VHC, qui associe sa toxicité hépatique propre à
À noter enfin que le Desféralt doit être interrompu chez les patients celle de l’hémochromatose. Le pourcentage de patients porteurs
présentant une fièvre d’origine inexpliquée, une diarrhée, des d’anticorps anti-VHC va de 23 % (Angleterre) à 75 % (Italie) [53]. Bien

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13-006-D-17 Syndromes thalassémiques Hématologie

que l’association interféron-ribavirine soit plus efficace qu’une d’un donneur HLA compatible. L’expérience la plus importante est
monothérapie par interféron, certains contre-indiquent l’utilisation celle de l’équipe de Pesaro en Italie. L’étude de plus de
de la ribavirine chez les patients porteurs d’une hémoglobinopathie, 200 transplantations médullaires chez des enfants thalassémiques
du fait de l’aggravation de l’hémolyse provoquée [43]. Des traitements âgés de moins de 16 ans a permis à Lucarelli et al de relever trois
par interféron alpha seul ont donc été menés ; il apparaît que leurs facteurs pronostiques : l’existence d’une fibrose portale, la présence
chances de succès sont meilleures en l’absence de cirrhose, quand la d’une hépatomégalie, et l’inadéquation de la chélation sont des
surcharge en fer est faible, et en l’absence d’infection par le génotype facteurs péjoratifs significativement associés à une diminution des
Ib [17]. Une équipe a associé l’interféron alpha (3 millions UI par voie pourcentages de survie et de survie sans maladie. Les probabilités
sous-cutanée trois fois par semaine) à la ribavirine (1 g/j) chez 11 de survie, survie sans maladie et de récurrence sont respectivement
patients thalassémiques [48]. Cinq ont eu une réponse soutenue à la de 94 %, 94 %, et 0 % dans le groupe ne présentant aucun de ces
bithérapie, deux une réponse transitoire, quatre n’ont pas répondu. facteurs de risque [35]. Ces très bons résultats ont fait discuter la
Les besoins transfusionnels ont été accrus en moyenne de 41 % transplantation médullaire chez des patients présentant des
(extrêmes : 25-94 %) pendant les 6 mois de l’étude. La même équipe conditions initiales moins favorables. Les probabilités de survie à
préconise donc actuellement, si les données de la ponction-biopsie 5 ans sont clairement moins bonnes chez les patients âgés de moins
hépatique l’indiquent, un traitement initial par interféron à la dose de 17 ans associant les trois facteurs de risque, mais diffèrent selon
de 3 millions UI trois fois par semaine pendant 3 mois. En l’absence que le conditionnement a comporté plus ou moins de 200 mg/kg de
d’amélioration, la dose d’interféron est doublée ; en l’absence encore ciclosporine (57 et 74 % respectivement). Dans cette même catégorie
d’amélioration, l’association à la ribavirine (1 g/j) est préconisée, de patients, le pourcentage de rejets varie selon que les patients ont
sous couvert d’une augmentation des apports transfusionnels et reçu plus ou moins de 100 transfusions de globules rouges (53 et
d’une intensification de la chélation. La persistance du génome viral 24 % respectivement) [34]. La même équipe a aussi réalisé des greffes
au-delà de 12 semaines de bithérapie prédit fortement un échec, et de moelle allogéniques chez des patients âgés de 17 ans à 35 ans, et
engage à arrêter le traitement [53]. Par ailleurs, la vaccination contre rapporte des pourcentages de survie, survie sans rejet et rejet
l’hépatite B des patients thalassémiques est systématique. respectivement de 66 %, 62 % et 4 % [33]. Une mortalité de l’ordre du
tiers, chez les patients recevant des greffes de donneurs non
¶ Splénectomie
apparentés, amène pour l’instant à récuser la greffe chez les patients
Le développement d’un hypersplénisme est pratiquement constant n’ayant pas de donneur intrafamilial [21].
dans la thalassémie majeure [24]. Il apparaît en général entre 6 et
8 ans, parfois plus tardivement chez des patients soumis d’emblée à
des apports transfusionnels élevés [45]. Dans la grande majorité des DIAGNOSTIC PRÉNATAL
cas, un hypersplénisme est évoqué devant une augmentation des Il est possible dès 10 semaines de grossesse à partir d’un
besoins transfusionnels d’année en année, avec parfois la prélèvement de villosités choriales, à condition que les deux
constatation d’une leucopénie ou d’une thrombopénie. On estime mutations en cause aient été préalablement identifiées chez les cas
actuellement qu’une consommation annuelle supérieure à index et/ou les parents. Sinon, une étude de ségrégation des
200 mL·kg–1·an–1 de concentrés érythrocytaires pour maintenir un marqueurs de l’acide désoxyribonucléique (ADN) du gène b-globine
taux d’Hb moyen proche de 12g·dL –1 doit faire évoquer un peut être réalisée par méthode indirecte si une étude familiale de
hypersplénisme et conduire à une splénectomie. La splénectomie l’ADN a pu être faite préalablement chez le cas index, ses parents
totale est préconisée, des méthodes alternatives à cette chirurgie voire ses germains, et a permis d’identifier le chromosome
n’ayant pas fait clairement la preuve de leur efficacité. La vaccination 11 porteur de la copie altérée du gène, et celui porteur d’une copie
antipneumococcique et la mise sous pénicilline V (Oracillinet) sont normale [22]. Il est maintenant beaucoup plus rare de faire une étude
nécessaires. Le risque thromboembolique est majoré chez les patients de l’hémoglobine à partir d’une ponction de sang fœtal faite à une
splénectomisés. période plus tardive de la grossesse.
¶ Supplémentation en acide folique
Elle est systématique (5 mg/j) et indéfiniment poursuivie. THÉRAPIE GÉNIQUE
L’introduction dans le génome des cellules-souches
PRONOSTIC DES PATIENTS TRAITÉS PAR TRANSFUSION
ET CHÉLATION hématopoïétiques de souris d’un gène de b-globine normal n’a
induit jusqu’à ces toutes dernières années qu’un taux d’expression
Le traitement conventionnel de la thalassémie majeure a transformé
du gène normal à un niveau infrathérapeutique, diminuant de plus
l’espérance de vie des patients, dont la quasi-totalité atteint
rapidement avec le temps. Quelques essais récents de transfection
maintenant l’âge adulte [36, 55]. En 1989, Zurlo et al montraient que le
de gènes chez la souris sont plus prometteurs, grâce notamment à
pourcentage de décès était de 60,6 % chez les patients nés avant
une meilleure maîtrise des éléments régulateurs de l’expression
1965, et de 0,6 % chez ceux nés après 1979 [55]. Une maladie cardiaque
génique (fragments du locus control region, pièce régulatrice
était la première cause de décès (63,6 %) ; la deuxième cause était
d’importance majeure située en amont du gène b-globine) et à
une infection chez les patients décédant avant l’âge de 15 ans, une
l’utilisation de nouveaux vecteurs viraux [42]. Une application à
maladie hépatique chez les autres. Les autres maladies fatales étaient
l’homme relève encore toutefois d’un avenir lointain.
ensuite des maladies hématologiques malignes (5 %), puis les
maladies endocriniennes (2,5 %) et les accidents thromboemboliques
(2,5 %). En fait, si le pronostic vital est considérablement amélioré,
la qualité de vie est grevée par la nécessité de la chélation du fer b-thalassémie intermédiaire
sous forme d’injections sous-cutanées quotidiennes sur plusieurs
heures. Le traitement chélateur est en fait rarement appliqué assez C’est l’importance de l’anémie et des besoins transfusionnels qui
rigoureusement, si bien que la majorité des patients souffrent de amène à différencier les thalassémies homozygotes majeures et
plusieurs endocrinopathies, et nécessitent des traitement hormonaux intermédiaires. Les patients atteints de thalassémie intermédiaire ont
substitutifs. Par ailleurs, même bien conduit, le traitement une production résiduelle d’hémoglobine de l’ordre de 6 à 11 g/dL
conventionnel n’évite pas la survenue d’une ostéoporose ne requérant pas de transfusion mensuelle. La sévérité de
responsable de douleurs ostéoarticulaires sévères [29]. l’expression clinique résulte de la conjonction d’au moins trois
facteurs, la mutation b-thalassémique en cause, le nombre de gènes
TRANSPLANTATION MÉDULLAIRE a, le taux de production de chaînes c capables de s’apparier avec les
Du fait de la lourdeur de la maladie chez l’adulte, une greffe de chaînes a, éléments qui seront donc tous pris en compte pour tenter
moelle, même compte tenu de son risque de morbidité et de de prédire la gravité clinique de l’affection [25] ; cette prédiction doit
mortalité, doit légitimement être proposée aux patients qui disposent rester toutefois très prudente, et seule l’observation des besoins

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Hématologie Syndromes thalassémiques 13-006-D-17

transfusionnels permet de distinguer une thalassémie intermédiaire la fréquence des mutations b-thalassémiques en Asie du Sud-Est,
d’une forme majeure. Sous l’influence combinée de ces différents l’hétérozygotie composite E/b-thalassémie, tout à fait caractéristique
paramètres, et sans doute d’autres non encore identifiés, l’expression de cette région du monde, n’est pas rare.
clinique d’une thalassémie intermédiaire va de l’ absence de
manifestation clinique, jusqu’à une dépendance transfusionnelle. Le
plus souvent, le tableau est celui d’une anémie hémolytique PHYSIOPATHOLOGIE
modérée (pâleur, hépatosplénomégalie), pouvant s’aggraver lors La mutation E, de type thalassémique, réduit la quantité de chaînes
d’une infection, une érythroblastopénie, une grossesse, un bE synthétisées. Les patients E/b-thalassémiques ont donc deux
hypersplénisme, une carence en folates. Comme les patients ne sont allèles thalassémiques, mais la sévérité de l’anémie est très variable.
pas transfusés, certains d’entre eux peuvent manifester les Comme pour les b-thalassémies, on décrit les E/b0-thalassémies et
complications osseuses de l’hyperplasie médullaire. Il peut s’agir de les E/b+- thalassémies. L’association à une a-thalassémie, l’activité
remodelage osseux, voire de l’apparition d’une tumeur des gènes c sont d’autres facteurs contribuant à la diversité de
hématopoïétique extramédullaire. Des cas de compression l’expression clinique et biologique.
médullaire ont été décrits. Leur traitement reposait classiquement
sur la radiothérapie, plus ou moins associée à la chirurgie. Très
récemment, on a rapporté que l’hydroxyurée, sans association MANIFESTATIONS CLINIQUES ET BIOLOGIQUES
d’autre traitement, avait entraîné la régression d’une tumeur Les signes cliniques sont très variables, allant d’un tableau de
paraspinale chez un patient [46]. L’inflation érythroïde est aussi thalassémie intermédiaire à celui d’une thalassémie majeure. Les
responsable d’une hyperabsorption intestinale du fer, si bien qu’une patients présentent donc à des degrés variables une anémie, un
hémochromatose est parfois décrite chez des patients n’ayant jamais ictère, une hépatosplénomégalie, des modifications osseuses, un
été transfusés. Des ulcères de jambe, des lithiases, des thromboses retard du développement pubertaire.
sont aussi rapportés chez les patients adultes. L’hyperabsorption intestinale du fer peut entraîner une
Le traitement est discuté cas par cas. Une transfusion ponctuelle est hémochromatose, chez des patients non transfusés.
nécessaire en cas d’aggravation de l’anémie chronique. Certains Une série de 802 malades à l’état basal montre des taux
patients peuvent nécessiter des transfusions régulières, souvent dans d’hémoglobine de 2,6 à 13,3 g/dL, en moyenne à 7,7 g/dL [20].
ce cas tous les 3 mois quand l’anémie chronique retentit sur le
niveau d’activité, la scolarité, le développement staturopondéral, le
modelage osseux. L’apparition de besoins transfusionnels peut TRAITEMENT
traduire la constitution d’un hypersplénisme, qui sera traité par une
Il est fonction de la production d’hémoglobine. Une majoration des
splénectomie. Une supplémentation en acide folique est utile
besoins transfusionnels peut indiquer un hypersplénisme qui sera
(5 mg/j).
corrigé par une splénectomie. Les patients ayant une surcharge en
Quelques publications, incluant peu de malades et avec peu de fer doivent être traités par Desféralt. Une supplémentation en acide
recul, ont montré une augmentation significative du taux folique est utile (5 mg/j).
d’hémoglobine, permettant dans quelques cas un sevrage
Une amélioration de l’érythropoïèse et une augmentation de la
transfusionnel chez des patients thalassémiques intermédiaires, lors
production d’HbF ont été rapportées sous hydroxyurée dans une
de traitements par hydroxyurée [27, 54] , érythropoïétine [46] , et
série de 13 patients [20].
phénylbutyrate [9, 40].

Hétérozygoties composites b-thalassémies intermédiaires


E/b-thalassémies de transmission dominante
Elles ont un tableau clinique de thalassémie intermédiaire. Les
ÉPIDÉMIOLOGIE mutations sont de type hyperinstable.
L’HbE est l’Hb anormale la plus fréquemment rencontrée dans le
Sud-Est asiatique. La prévalence de l’HbE est maximale aux
frontières de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge, où près de Remerciements. – L’auteur remercie Dora Bachir (Centre de la drépanocytose, hôpital Henri
50 % de la population sont porteurs du gène de l’HbE [20]. Du fait de Mondor, Créteil) pour sa relecture du texte.

Références ➤

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