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Régulation médicale en médecine


d’urgence
M. Giroud

La régulation médicale est un acte médical pratiqué au téléphone par un médecin d’un centre d’appels
dédié aux urgences. Le médecin régulateur, après un échange avec le demandeur (si possible le patient lui-
même) et un interrogatoire méthodique, détermine et déclenche la réponse la mieux adaptée à l’état du
patient et à l’offre de soins existant à cet instant. Cet acte de télémédecine nécessite une solide expérience
en médecine d’urgence et un environnement technique adapté, généralement au sein d’un service d’aide
médicale urgente (Samu). La régulation médicale aboutit à la prescription du juste soin au bénéfice du
patient. La bonne gestion du temps est un enjeu majeur. Elle repose sur trois axes : la priorisation de la
réponse aux cas de gravité avérée ou potentielle, l’envoi rapide de moyens nécessaires et l’orientation
directe vers l’unité de soins la mieux adaptée. Devant toute situation où l’analyse est incertaine, le doute
justifie la réponse en rapport avec l’hypothèse potentiellement la plus grave. De même, les moyens lourds
sont déclenchés avec d’autant moins d’hésitation que le patient en est plus éloigné ; ceci afin de ne pas
ajouter, à un temps de trajet déjà long, le délai d’une décision prise en deuxième intention, après l’envoi
initial d’un moyen a minima. Un suivi méthodique de l’ensemble des cas renforce la sécurité des réponses
et apporte le retour d’information nécessaire à l’évaluation des pratiques.
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Mots-clés : Préhospitalier ; Aide médicale urgente ; Régulation médicale ; Samu ; Centre d’appels ;
Travail en réseau ; Télémédecine ; Conseil médical

Plan tielle ou ressentie, en réponse à la demande du patient lui-même


ou d’un tiers. Introduit il y a une trentaine d’années, cet exercice
■ Introduction 1 médical est peu à peu devenu une nouvelle composante de l’art de
soigner, sa particularité étant d’être un acte médical pratiqué au
■ Justification 2 téléphone ; ce qui en fait une des dimensions de la télémédecine.
■ Finalité 2 Naturellement inquiet, le patient exprime des symptômes, des
■ Présence permanente d’un médecin régulateur 2 besoins et des attentes. Il se confie par téléphone au médecin régu-

lateur dans un colloque singulier, attendant de lui une plus-value
Critères de décision 2
en termes de rapidité, d’efficacité, de sécurité et d’humanité. Il ne
■ Suivi des conseils médicaux 3 sait pas évaluer lui-même la gravité de la situation, mais il entend
■ Réseau des urgences 3 néanmoins être considéré comme responsable et autonome. Il
■ Qualité 3 s’exprime plus ou moins adroitement et efficacement ; une des
difficultés de l’exercice de régulation médicale étant précisément
■ Dossier patient 4 liée à la très grande variété des profils d’appelants. Certains, de
■ Évaluation des pratiques et des résultats 4 plus en plus nombreux, possèdent une culture médicale relati-
■ Optimisation de la gestion du temps 4 vement solide, d’autres, en revanche, ignorent des notions que

l’on croirait unanimement partagées. Certains sont vindicatifs
Conclusion 5
et l’on risque d’en inférer qu’ils exagèrent la gravité des symp-
tômes, tandis que d’autres, au contraire, sont tellement policés et
confiants qu’ils s’expriment sans insistance, ce qui peut parfois
laisser échapper le caractère pourtant dramatique de la situation.
 Introduction Le médecin régulateur conduit son dialogue téléphonique avec
le patient comme un interrogatoire médical. L’acte de régulation
La régulation médicale est la prise en charge à distance, par médicale aboutit à la prescription du juste soin représentant la
un médecin exerçant dans un centre d’appels dédié aux urgences réponse la mieux adaptée aux besoins de santé du patient, compte
médicales, d’un patient en situation d’urgence manifeste, poten- tenu de l’organisation en place, des ressources disponibles, du

EMC - Médecine d’urgence 1


Volume 9 > n◦ 4 > décembre 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S1959-5182(14)61695-0
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contexte et des attentes du patient. Il se poursuit par la mise en place. Cet objectif s’est depuis considérablement élargi ; la régu-
œuvre de cette prescription, l’assistance aux éventuels interve- lation médicale effectuée à l’hôpital par les Samu est, peu à peu,
nants, l’anticipation de chacune des étapes de la prise en charge devenue le pivot de l’organisation et du fonctionnement, non
du patient et le suivi de cette prise en charge le temps nécessaire, seulement de l’aide médicale urgente, mais également de la per-
soit à son achèvement, soit à la prise du relais par une autre struc- manence des soins en médecine ambulatoire, ainsi qu’un élément
ture de santé. La prescription du médecin régulateur peut être central de la gestion des crises sanitaires.
un conseil médical, une aide aux gestes de premier secours, une Le Code de déontologie médicale prescrit (article 8) : « Dans les
prescription médicamenteuse, l’envoi d’un moyen (médecin de limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui
garde, ambulance ou service mobile d’urgence et de réanimation seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
[Smur]), l’orientation du patient vers les urgences ou une filière Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses
spécialisée (par exemple : syndrome coronarien aigu directement prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la
adressé en coronarographie). sécurité et à l’efficacité des soins ». Cette obligation déontologique
La pratique professionnelle de la régulation médicale suppose, est à mettre en parallèle avec la mission des Samu (Code de la santé
outre une solide expérience en médecine d’urgence, un environ- publique, art R6311-2) qui : « déterminent et déclenchent, dans le
nement technique adapté, un sens du travail en réseau, une bonne délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des
connaissance des partenaires, un réel savoir-faire, à la fois médical appels ».
et relationnel, et une éthique rigoureuse. La régulation médicale a donc deux principales finalités : la pre-
La régulation médicale occupe, en France, une place centrale et mière est qu’elle doit apporter une aide à chacun des patients pour
croissante dans la gestion des urgences préhospitalières. Chaque lesquels elle est sollicitée (finalité individuelle) ; la seconde est
année, 15 millions de cas sont pris en charge par les Samu. qu’elle doit optimiser (« limiter à ce qui est nécessaire ») l’usage des
ressources (finalité communautaire). Le médecin régulateur peut
ainsi se sentir tiraillé entre l’intérêt communautaire (préservation
 Justification de la disponibilité des ressources en en limitant l’engagement) et
l’intérêt du patient qu’il a en charge (dispensation des ressources).
Ces deux finalités ne sont cependant pas contradictoires ; elles
• Le patient confronté à une urgence a besoin, là où il se trouve,
s’additionnent, mais de façon hiérarchisée. Le Code pénal pres-
qu’une réponse efficace lui soit apportée rapidement. Il appelle,
crit, en effet, l’obligation de porter secours et la jurisprudence des
ne sachant pas comment mettre en œuvre les moyens appro-
tribunaux place, de façon constante, au premier plan la finalité
priés, ni même ce qu’il convient de faire.
individuelle de la régulation médicale. Une attitude trop restric-
• Les ressources accessibles en urgence ne sont pas illimitées et
tive dans l’emploi des moyens lourds explique, d’ailleurs, une
il y a un avantage collectif à les utiliser d’une façon adaptée et
bonne partie des échecs dramatiques de la régulation médicale
coordonnée.
et peut nourrir au sein du public un certain ressentiment à son
• L’accès à ces ressources nécessite une bonne connaissance de
encontre. Il convient donc de souligner que la régulation médi-
leur organisation. Leur disponibilité évolue en permanence.
cale, comme tout acte médical, est un acte à finalité individuelle
Seule une structure dédiée peut posséder les informations per-
avec des effets secondaires communautaires.
tinentes sur ces ressources et en coordonner l’emploi.
• Un médecin dûment formé et agissant dans un centre d’appels
dédié à l’urgence médicale est le mieux à même d’assurer le
dialogue avec le patient, de maîtriser les règles d’emploi des  Présence permanente
ressources, d’en connaître la disponibilité, de déterminer et de d’un médecin régulateur
mettre en œuvre, au cas par cas, la solution la mieux adaptée
dans le délai le plus rapide. Deux catégories de médecins régulateurs œuvrent généralement
• Le temps passé par un tel médecin à comprendre à distance la côte à côte au sein du centre de régulation médicale, les médecins
situation et à prendre les dispositions nécessaires est un temps régulateurs urgentistes et les médecins régulateurs généralistes. La
court (quelques minutes) et d’autant plus court que la gravité complémentarité entre ces médecins facilite une réponse coor-
de la situation est plus évidente ; ce temps initialement investi donnée, efficace et adaptée à tous les appels urgents dans leur
permet d’organiser et de sécuriser la phase préhospitalière de la diversité croissante. Toutefois, les deux catégories de médecins
prise en charge du patient et d’optimiser et d’accélérer, souvent régulateurs ne sont pas interchangeables. En permanence, au
considérablement, son orientation et son parcours de soin en moins un médecin régulateur urgentiste doit être en activité à
urgence. son poste de travail en salle de régulation médicale, y compris la
• Pratiquée dans le cadre du service public hospitalier au sein d’un nuit [1, 2] . Pour cela, plusieurs urgentistes doivent pouvoir se relayer
Service d’aide médicale d’urgence (Samu), la régulation médi- en nuit profonde par équipes de deux, de façon à ce que, alterna-
cale offre à la personne la moins favorisée et la moins informée tivement, l’un se repose tandis que l’autre assure la régulation
comme à la plus aisée d’accéder en urgence aux ressources les médicale en étant parfaitement réveillé. Ce point est essentiel à la
plus performantes dans les meilleurs délais, chaque fois que cela sécurité. Nombre d’échecs de la régulation médicale surviennent,
est nécessaire. Elle est ainsi un facteur d’égalité et de cohésion en effet, au creux de la nuit, lorsque l’organisation ne comporte
sociale. qu’un seul médecin régulateur qui, s’étant assoupi ou endormi par
• La participation de médecins régulateurs généralistes aux côtés épuisement, est subitement réveillé pour répondre, dans l’instant,
d’urgentistes hospitaliers, au sein d’un centre unique de régu- à la demande d’un patient ; sa capacité d’écoute et sa lucidité sont
lation médicale, apporte une compétence complémentaire qui alors insuffisantes pour garantir une réponse pertinente et sûre.
permet de mieux couvrir l’ensemble des demandes urgentes, Les effets de l’engourdissement au réveil brutal sont, en effet, aussi
quelle que soit leur gravité. sévères que ceux de l’ivresse [3] .
• La régulation médicale constitue un lien efficace entre les
différents intervenants, notamment entre l’organisation pré-
hospitalière des secours et des soins et le réseau hospitalier
des urgences. Elle optimise, au quotidien, l’emploi des res-
 Critères de décision
sources hospitalières et contribue à une meilleure structuration
La décision du médecin régulateur doit d’abord être conforme
de l’offre de soins sur un territoire de santé.
aux obligations du droit (assistance à personne en danger et droits
du patient, notamment) et aux règles de l’éthique médicale. Le
Code de déontologie médicale édicte l’indépendance du prescrip-
 Finalité teur (articles 5, 8, 95), sa neutralité (articles 23, 57), l’information
du patient et le respect de son libre choix (articles 6, 35, 36),
L’objectif initial de la régulation médicale était, il y a 30 ans, la confidentialité (articles 4, 72), le fonctionnement en réseau
d’encadrer les sorties du Smur que l’on venait juste de mettre en (articles 32, 33, 40, 60, 64), la responsabilité personnelle de chaque

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médecin (article 69), et la limite à ce qui est nécessaire (article 8). conseil ou l’avis donné par le médecin régulateur (habituellement
Ces règles d’éthique s’appliquent tout particulièrement au méde- le régulateur généraliste), outre son effet généralement apaisant,
cin régulateur. Des développements particuliers seraient toutefois est un facteur de prévention et de sécurité. Il convient donc de
nécessaires sur la fin de vie, la tentative de suicide, le refus de considérer cette évolution comme positive et de la prendre en
soins, les soins sous contrainte, etc. compte, notamment par l’élaboration de règles de bonne pra-
La décision du médecin régulateur associe des critères médi- tique. Parmi ces règles, le suivi systématique des réponses données
caux, opérationnels et contextuels. Le médecin régulateur prend est à promouvoir [1, 2] .
en compte les signes et les symptômes décrits et perçus, les anté- Actuellement, les Samu n’assurent, en fait, le suivi systématique
cédents médicaux, le contexte, les demandes et les attentes du que des cas les plus lourds. Or, un suivi (par exemple dans un
patient, dans le but de préciser le besoin de soins, d’établir une délai d’une heure) des cas n’ayant pas donné lieu à l’envoi d’un
ou des hypothèses diagnostiques et pronostiques et d’évaluer les moyen permettrait de rattraper certaines erreurs ou incompréhen-
risques de la situation en regard des bénéfices attendus des diffé- sions initiales, de prendre en compte une évolution inattendue,
rentes prises en charge possibles. L’accès du médecin régulateur de gérer à temps une éventuelle défaillance du dispositif mis en
au dossier médical informatisé du patient est une perspective œuvre, etc. Le suivi systématique apporterait, en outre, un retour
majeure de progrès [4] . La « valence sociale » intervient fortement d’information précieux au médecin régulateur et au service. Enfin,
dans les éléments contextuels. Elle est souvent associée à des un tel suivi, lorsqu’il est réalisé, s’avère particulièrement bien
considérations pratiques (par exemple : le patient socialement perçu par le patient.
défavorisé ne dispose généralement pas de moyens de transport
personnels). La présence, sur les lieux où se trouve le patient,
d’un public plus ou moins pressant (par exemple : dans un
espace public) est à prendre en compte dans le choix du moyen
 Réseau des urgences
d’intervention. Les références culturelles s’y associent ; sans que
Les « décrets urgences » de mai 2006 (Code de la santé publique,
rien n’ait jamais été formellement prescrit dans aucun texte à ce
art R6123-26 et D6124-25) créent le réseau de l’urgence et le dotent
sujet, il est admis d’accorder une attention toute particulière aux
d’un répertoire opérationnel des ressources (ROR), outil majeur
enfants et aux femmes enceintes.
de la régulation médicale. Ce ROR, édité dans chaque région par
La question de la finalité est essentielle. Le médecin régulateur
l’Agence régionale de santé, regroupe toutes les unités des établis-
doit impérativement garder à l’esprit que, dans une logique de
sements de santé susceptibles de concourir à l’urgence.
soin, son acte de régulation médicale est, au-delà de tout, dédié
Le centre de régulation médicale du Samu, dans une logique
au patient dont il a la responsabilité d’organiser la prise en charge.
de réseau, est appelé à élargir son champ d’action et à s’ouvrir
En effet, sous l’influence de multiples pressions, généralement
à ses partenaires : associations de permanence des soins, ambu-
tacites émanant des autorités ou de ses collègues, il peut se trouver
lanciers privés, travailleurs sociaux, etc. La salle de régulation
incité à suréconomiser l’usage des ressources rares. Dans le doute,
médicale doit donc être suffisamment vaste pour permettre son
lorsque le risque n’est pas patent, un raisonnement communau-
évolution au fil du temps. En outre, les Samu doivent conforter
taire le pousserait à l’abstention ou à une demi-mesure, tandis
leurs liens entre eux. Certains Samu disposent de consultants spé-
que le raisonnement médical lui enjoint de couvrir le risque qu’il
cialisés (pédiatres, psychiatres, toxicologues, sages-femmes, etc.)
ne peut raisonnablement écarter (et donc pas seulement le risque
dont il convient de mutualiser le recours. Des accords doivent,
patent) [5] . Comme dans tout acte médical, le médecin régulateur
par ailleurs, régir les questions frontalières et l’entraide que se
ne doit pas se comporter comme un gestionnaire des ressources,
doivent les Samu. Ce réseau, dont la structure peut être régio-
mais comme s’il avait affaire à l’un de ses proches en situation
nale, ne doit pas faire obstacle à la recherche des solutions les
d’urgence et envoyer, par exemple, le Smur dans le doute sur
plus appropriées pour le patient, y compris au-delà des frontières
la gravité, sauf s’il finit par recueillir des éléments démontrant
administratives. L’interopérabilité nationale du ROR et, plus large-
qu’il n’y en a raisonnablement pas besoin. Le médecin régulateur
ment, de l’ensemble des outils des centres de régulation médicale
ne doit donc pas attendre d’avoir la preuve de la gravité pour
est, à cet égard, un enjeu essentiel. Dans cette logique, un pro-
agir ; un risque qu’il ne parvient pas à écarter suffit. Ainsi, un
gramme ambitieux vise à doter, en dix ans, l’ensemble des Samu
patient allongé devant la gare (situation fréquente) doit être consi-
du même logiciel de régulation médicale, en faisant appel aux
déré comme étant en situation médicale critique justifiant l’envoi
technologies les plus avancées [6] . Cette harmonisation et cette
d’un Smur, sauf à avoir recueilli, auprès des témoins ou mieux
interopérabilité faciliteront la coopération et l’entraide entre les
encore du patient lui-même, des éléments permettant d’écarter
Samu et renforceront, pour les autorités de santé comme pour les
un risque vital ou, au moins, de le considérer comme raison-
professionnels, toutes les actions multicentriques de veille sani-
nablement très improbable. Ainsi également, dans une situation
taire et de recherche clinique.
exceptionnelle (explosion, accident de train, etc.), de nombreux
Pour répondre à l’objectif fixé par le président de la République
moyens lourds doivent être déclenchés d’emblée en faisant appel
de garantir, sur l’ensemble du territoire national, l’accès en moins
au renfort d’équipes à distance, jusqu’à ce qu’un bilan fiable (et
de 30 minutes à des soins médicaux urgents spécialisés, des méde-
nécessairement trop tardif pour qu’il soit raisonnable de l’attendre
cins correspondants du Samu (MCS) vont être généralisés dans les
pour agir) en démontre l’inutilité. Il s’agit là de la problématique
secteurs isolés, où le Smur le plus proche est à plus de 30 minutes.
la plus sensible de la régulation médicale. Nombre d’erreurs aux
Il s’agit de médecins généralistes volontaires formés, équipés et
conséquences catastrophiques sont liées à une étonnante audace
rémunérés pour intervenir à la demande du Samu en éléments
du médecin régulateur le conduisant à prendre, sans en avoir une
avant-coureurs du Smur envoyé simultanément, mais qui, par-
claire conscience, un risque insensé qu’il ne peut justifier que par
tant de plus loin, arrivera après que le MCS a pratiqué un bilan
un raccourci n’ayant rien à voir avec un raisonnement médical.
médical et les premiers soins.

 Suivi des conseils médicaux  Qualité


Le conseil est l’une des réponses de la régulation médicale. Cette Le progrès continu de la médecine d’urgence, avec ses deux
réponse occupe une place croissante et elle fait de plus en plus composantes préhospitalière et hospitalière étroitement liées, est
souvent suite à une demande explicite de conseil ou d’avis. En le fondement de la qualité médicale de l’acte de régulation médi-
effet, les particuliers, soucieux de prendre le minimum de risques, cale.
s’adressent à présent au médecin régulateur simplement pour lui La démarche qualité s’impose dans ce domaine comme dans
poser des questions, notamment à propos de médicaments (erreur tous les autres, mais elle y est d’autant plus nécessaire que les
dans la prise, effets indésirables, crainte d’interactions, grossesse, actes de régulation médicale sont si nombreux et polymorphes
etc.). Naturellement, seules les situations urgentes concernent le que seule une gestion méthodique peut permettre de les appré-
Samu, les autres devant être réorientées vers le médecin traitant. Le hender [1] .

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Les protocoles de régulation médicale sont destinés à guider la donc de l’aborder avec méthode, en procédant notamment par
réponse aux demandes. Le guide de régulation médicale est une tirage au sort [1] . L’évaluation doit porter sur la tenue du dossier
référence générale [7] . Des règles de bonne pratique plus ponc- et sur la conformité aux procédures des réponses données. La dis-
tuelles se dessinent au fur et à mesure. La réponse médicale persion des pratiques étant une des faiblesses de toute structure
peut parfois comporter une prescription médicamenteuse télé- d’urgences, l’évaluation des pratiques professionnelles y revêt une
phonique par le médecin régulateur [8] . Cette pratique devrait importance majeure.
croître de façon importante. La mesure du service rendu doit, en premier lieu, porter sur la
La qualité du service rendu au patient dépend en grande partie pertinence médicale des réponses appréciée en fonction des don-
des possibilités d’accéder à ses antécédents médicaux, avec plus nées accessibles lors de la prise d’appel (qualité de l’écoute, de
de précision que par le seul interrogatoire. La connaissance des l’interrogatoire et de l’échange avec le patient, logique du raison-
antécédents est particulièrement utile pour les patients polypa- nement et de la décision).
thologiques, souvent âgés, qui représentent une part croissante Le retour d’information au centre de régulation médicale est
des appels d’urgence. Pour tous les patients ayant déjà appelé une aujourd’hui très incomplet. Il ne concerne généralement que les
fois le Samu, le retour sur les informations antérieures est pos- cas les plus graves et seulement aux premiers instants de leur prise
sible par la consultation de leur dossier de régulation médicale. De en charge. Il convient donc de le compléter pour évaluer la régu-
même pour les patients déjà hospitalisés, mais seulement (en rai- lation médicale et ses effets d’une façon globale ; les évaluations
son de la réglementation informatique et liberté) ceux qui l’ont été faites aux urgences permettent une vue d’ensemble de la qualité
dans l’établissement siège du centre de régulation médicale. Cer- du service rendu par la régulation médicale.
tains patients remarquables (par exemple : maladies rares) ont un Trop peu de travaux scientifiques sont encore spécifiquement
dossier préalablement enregistré dans la base de données du Samu, dédiés à la régulation médicale.
à l’initiative du service qui les suit. Le développement du dos-
sier médical personnel (DMP) et du dossier pharmaceutique (DP)
devrait permettre de généraliser l’accès du médecin régulateur aux
antécédents du patient [4] .
 Optimisation de la gestion
La qualité du service rendu par un centre de régulation médi- du temps
cale est également liée à son organisation interne et à ses
moyens techniques. Certaines améliorations actuelles s’inspirent Le temps est l’un des enjeux majeurs de la régulation médicale.
de l’organisation des centres d’appels organisés dans d’autres La régulation médicale ne prend, elle-même, que quelques
domaines d’activité [6] . L’organisation et le dimensionnement des minutes et elle est d’autant plus rapide que la situation est plus
ressources pour faire face aux demandes doivent, pour le moins, critique.
répondre aux critères d’une « organisation de haute fiabilité » rete- La bonne gestion du temps repose sur trois axes : la priorisa-
nus, d’une façon générale, pour les centres d’appels non médicaux tion de la réponse aux cas de gravité avérée ou potentielle, l’envoi
dans le but d’assurer la fiabilité des opérations courantes et de rapide de moyens nécessaires et l’orientation directe vers l’unité
prévenir l’erreur aux conséquences souvent catastrophiques. de soins la mieux adaptée.
Pour la prise en compte de l’appel initial, il n’existe pas de
norme officielle en dehors de la prescription de « répondre dans
 Dossier patient les délais les plus brefs » figurant dans le décret précisant la mis-
sion du Samu. D’une part, il est bien connu que le patient est
Le dossier de régulation médicale est un élément clé de la qua- très attaché à la rapidité de la réponse, rapidité qui conditionne
lité. Il doit comporter : d’ailleurs son acceptation de la régulation médicale. D’autre part,
• le motif de recours ; le délai de réponse est un facteur déterminant pour les cas les plus
• les antécédents ; urgents. La prise en charge de chaque appel doit être aussitôt enga-
• le résumé de l’interrogatoire médical ; gée, au moins par l’écoute et la priorisation de la demande. Outre
• les hypothèses sur le diagnostic et le pronostic ; le fait de disposer de communications performantes et fiables,
• le débat bénéfices–risques avec, le cas échéant, l’enregistrement une solution efficace est qu’un assistant de régulation médicale
de l’analyse des termes de ce débat et de la réaction du patient ait comme fonction spécifique de réaliser rapidement un premier
à son exposé ; tri de chaque nouvel appel entrant, de telle façon qu’une détresse
• l’expression du consentement éclairé du patient ou de son vitale évidente (par exemple l’inconscience) soit traitée prioritai-
choix ; rement.
• les éléments du suivi de la régulation médicale avec les bilans La régulation médicale doit aboutir à un déclenchement rapide
itératifs des éventuels effecteurs ; des moyens adaptés et surtout ne pas être à l’origine d’une
• la procédure de clôture du dossier comportant la validation de perte de temps par un déclenchement inapproprié ou différé de
la démarche et l’information du médecin traitant. ces moyens. Certaines stratégies de régulation médicale peuvent
L’opération de clôture du dossier est un temps fort de la qualité s’avérer beaucoup trop consommatrices de temps, notamment
et de la prévention des risques. C’est le moment de vérifier et de lorsque la décision d’envoi du Smur n’intervient qu’en deuxième
valider l’ensemble de la démarche. Au moindre doute, le rappel du intention, après l’envoi préalable d’un premier intervenant,
patient et/ou des effecteurs permet de sécuriser la prise en charge. médecin généraliste, infirmier, ambulancier ou pompier pour un
L’information du médecin traitant doit être organisée ; le déve- premier bilan destiné à s’assurer de la gravité du cas.
loppement du DMP devrait, dans la plupart des cas, permettre de Deux situations sont trop souvent à l’origine d’un délai indû :
porter à la connaissance du médecin traitant le résumé de l’appel d’une part, l’éloignement du patient et, d’autre part, le doute sur
de son patient au Samu [4] . la gravité de son état ; les deux situations pouvant d’ailleurs être
La communication au patient ou à la justice suppose combinées.
l’établissement d’un dossier formalisé de régulation médicale. Le délai supplémentaire supporté par le patient est d’autant plus
L’enregistrement des communications téléphoniques est habi- pénalisant que le trajet pour se rendre auprès de lui est plus long
tuel ; il est utile à l’évaluation et à la formation et s’inscrit à ce titre (patient en milieu rural isolé). Pour cette raison, le Smur doit être
dans la démarche qualité. déclenché avec d’autant moins d’hésitation que le patient en est
plus éloigné ; une logique inverse serait, en effet, discriminatoire à
l’encontre de patients déjà handicapés par leur éloignement. Il est,
 Évaluation des pratiques du reste, toujours possible, quelques minutes plus tard, d’annuler
le concours du Smur en fonction du bilan établi par le premier
et des résultats intervenant, généralement arrivé avant le Smur.
Les agences régionales de santé privilégient parfois les indica-
La revue des dossiers de régulation médicale est un exercice teurs visant à évaluer la gravité moyenne des patients pris en
difficile compte tenu de leur nombre très important. Il convient charge par les Smur. Ces indicateurs ne prennent pas en compte les

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patients de gravité élevée pour lesquels le Smur n’a pas été envoyé, (épidémies, catastrophes). Mais, avant tout, elle est un service
ou n’a été envoyé qu’en deuxième intention. L’usage exclusif de rendu à un moment donné à un patient donné. C’est en ce
ces indicateurs peut pousser les médecins régulateurs à n’envoyer sens qu’elle est un facteur déterminant de la qualité et de la
le Smur qu’en cas de certitude sur la gravité. Pour lutter contre ce sécurité du dispositif de soins d’urgence, en même temps qu’un
travers dangereux, il convient d’utiliser également les indicateurs facteur d’égalité et de cohésion sociale, permettant, en situation
suivants : taux de déclenchement du Smur en deuxième intention d’urgence, à la personne la plus aisée comme la moins favorisée
et taux de patients graves arrivant aux urgences sans le bénéfice et la moins informée d’accéder, après une rapide analyse faite au
du Smur. téléphone par le médecin régulateur, aux ressources les plus per-
La régulation médicale doit faire gagner du temps par formantes et les mieux adaptées à son cas, dans une logique de
l’orientation directe du patient vers l’unité de soins la mieux « juste soin ».
adaptée. Les résultats obtenus dans l’infarctus du myocarde
démontrent à cet égard l’intérêt d’une organisation intégrée dans
laquelle la régulation médicale joue un rôle clé en envoyant le Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela-
Smur dans tous les cas pouvant faire évoquer, de près ou de loin, tion avec cet article.
un syndrome coronarien aigu, puis, une fois le diagnostic établi
par l’urgentiste du Smur, en faisant accéder le patient directement
à la table de coronarographie, court-circuitant tous les intermé-  Références
diaires, mobilisant le coronarographiste, souvent d’astreinte à
domicile, dès avant l’arrivée du patient à l’hôpital. L’évaluation [1] Haute Autorité de santé. Recommandations de bonne pratique : modali-
par les Samu des différents délais imposés au patient a d’ailleurs tés de prise en charge d’un appel de demande de soins non programmés
fortement impulsé la réorganisation de la cardiologie interven- dans le cadre de la régulation médicale ; 2011.
tionnelle. Le gain de temps lié à une orientation directe en service [2] Giroud M, Pateron D. Régulation médicale : la HAS édicte des recom-
spécialisé est de l’ordre d’une à plusieurs heures. mandations sur la prise en charge d’un appel. Ann Fr Med Urg
2012;2:4–6.
[3] Wertz A, Ronda J, Czeisler C, Wright K. Effects of sleep inertia on
cognition. JAMA 2006;295:163–4.
 Conclusion [4] Giroud M. L’accès au Dossier médical personnel par le médecin régu-
lateur du Samu. Congr Urg 2009;80:807–16.
[5] Penverne Y, Jenvrin J, Debierre V. Régulation médicale des situations
En 30 ans, la régulation médicale pratiquée par les Samu est à risque. Congr Urg 2011;89:1015–33.
devenue un nouveau service public, appelé à jouer un rôle de plus [6] Agence des systèmes d’information partagés en santé (2012). Moder-
en plus important. Sur un territoire qui, de proche en proche, nisation du système d’information et télécom des Samu–Centres 15 :
couvre le pays tout entier, la régulation médicale est un outil http://esante.gouv.fr/sites/default/files/ASIP SISAMU Livrable final
de convergence dynamique entre les professionnels de l’urgence vf.pdf.
(généralistes, hospitaliers, pompiers, ambulanciers, etc.). Elle est [7] Samu de France. Guide d’aide à la régulation au Samu–Centre 15.
une pièce importante du dispositif de santé publique qu’elle Paris: SFEM; 2009, 517 p.
contribue à structurer. Elle est un poste d’observation (système [8] Haute Autorité de santé. Prescription médicamenteuse par téléphone
de veille et d’alerte) et un atout majeur en situation de crise (ou téléprescription) dans le cadre de la régulation médicale ; 2009.

M. Giroud (marc@giroud.fr).
Service d’aide médicale urgente (Samu)-Service mobile d’urgence et de réanimation (Smur), Centre hospitalier de Pontoise, BP 79 Pontoise, 95303 Cergy-
Pontoise, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Giroud M. Régulation médicale en médecine d’urgence. EMC - Médecine d’urgence 2014;9(4):1-5
[Article 25-210-D-10].

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