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Lecture analytique n°2

Juste la fin du monde – Première Partie Scène 4


de « LA MÈRE – Le dimanche » (l.33) à « on allait se promener » (l.86)
– édition Étonnants Classiques – Flammarion (pages 71-72)

Éléments d'introduction

➢ Louis est revenu dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine


➢ Toute la famille est réunie – la Mère souhaite ressasser les dimanches en
famille vécu avec le père décédé – Antoine excédé la réprimande, prétextant
que tous connaissent son histoire par cœur
➢ La Mère débite malgré tout son récit aux allures de soliloque, interrompu
deux fois par Suzanne et Antoine

Problématique : En quoi l'écriture du souvenir dans cette scène installe la nostalgie


d'un temps révolu ?

Tout d'abord, nous analyserons comment le souvenir du dimanche est perçu par
l'ensemble des personnages de l'extrait. Puis nous observerons comment le récit
de la Mère semble aboutir vers une forte présence du père décédé.

I.Le souvenir du dimanche (l.33 « le dimanche » à l.58 « On lui fait confiance »)

Première réplique de la Mère de l'extrait sélectionné : installe véritablement le


souvenir – début du récit auparavant perturbé par l'intervention d'Antoine dans les
versets précédents – présence de longues phrases complexes de la part de la
mère sur l'ensemble de ses répliques

➢ Imparfait servant la narration du souvenir - « allions », « sortait », « disais »,


« allais » - mais irruption du présent d'énonciation avec l'incise « -ce que je raconte
- » adressé aux autres personnages (et au public car double énonciation)-
interruption du souvenir, retardé par la Mère alors qu'il avait déjà été retardé
auparavant par Antoine
➢ repère temporel - nom commun « dimanche » répété trois fois (l.33, l.35, l.36)
– répétition pouvant traduire comme une obsession chez la Mère, préfigurant
l'acharnement avec lequel elle tente de faire revivre le souvenir de son mari
décédé
➢ verbe à l'infinitif « se promener » répété x2 – l.35 et 39 – retarde le récit =
difficulté de s'exprimer ou envie de prolonger le récit pour mieux en savourer le
souvenir ?
➢ « nous » - globalisant, font des membres de la famille présents dans la scène
les acteurs de ce récit – dresse un tableau de famille, dépeint un moment sacré
➢ dimension sacrée du dimanche renforcée par l'emploi du terme « rite » (x2,
l.36 et 37) + « habitude » - tradition dominicale
➢ « je disais cela, un rite » - commentaire de la Mère retardant encore le
déroulement du souvenir
➢ « Pas un dimanche où on ne sortait pas » - négation totale à la l.36 portant
sur l'ensemble de la proposition via l'emploi des adverbes « ne » et « pas » +
« impossible d'y échapper » (l.39)
- adjectif « impossible » renforce la forte nature ritualisée du dimanche (ou la
pesanteur de ce rituel vécue potentiellement par les enfants à l'époque)
= début de récit insuffle la nostalgie d'une époque révolue

Interruption de Suzanne (l.40)

➢ « C'est l'histoire d'avant » - constat amer articulé au présent – adverbe


« avant » relatif à une époque trop floue pour Suzanne – sorte de légende familiale
pour elle, récit hors du temps
➢ « lorsque j'étais trop petite ou lorsque je n'existais pas encore » -
parallélisme de construction qui suppose une explication à ce détachement du
récit de la Mère par deux hypothèses – trop jeune – adverbe « trop » associé à
l'adjectif « petite » + négation « je n'existais pas encore » - verbe « exister » insiste
sur la solennité du constat, formulation qui aurait pu être remplacée par « lorsque
je n'étais pas née » par ex

= Toujours l'idée d'une époque révolue mais amertume dans la réplique de


Suzanne – Lassitude d'entendre encore ce récit ? Jalousie de ne pas avoir
appartenu à cette époque (ou de ne plus pouvoir s'en rappeler) ?

Reprise de la Mère (l.43)

➢ « Bon, on prenait la voiture » - interjection « bon » - balaye le constat de


Suzanne, signe la reprise de son soliloque
➢ « on prenait la voiture » - répété x2 mais interruption entre les deux par un
commentaire au présent à la l.44 – « aujourd'hui vous ne faites plus ça » - énoncé
constatif ici articulé par l'emploi de l'adverbe de temps « aujourd'hui » + négation
« vous ne faites plus ça » + « vous » globalisant (vous – les enfants, le jeunes de
manière générale ?) = encore l'idée d'une époque révolue + critique implicite du
présent – idée que « c'était mieux avant »
➢ « nous n'étions pas extrêmement riches, non » - négation couplée à l'adverbe
« extrêmement » et « non » (ici entre deux virgules, comme soulignant que la mère
insiste sur ce point) amenant l'origine sociale de la famille – classe moyenne ?
(l.46)
➢ « mais nous avions une voiture » - conjonction de coordination « mais »
permet d'introduire un semblant de relativisation de la situation - « nous avions une
voiture » - mise en exergue d'un bien matériel
➢ à noter que le terme « voiture » est répété 6 fois dans la réplique –
l.43,44,46,47,52,55 – car la voiture est associée au père, son attribut – souvenir
ravivé par celui de la voiture familiale - « je ne crois pas avoir jamais connu leur
père sans une voiture » - père indissociable du véhicule

Progression du récit de la mère – 1) évocation de la promenade du dimanche 2)


mention de la voiture familiale et 3) aboutit au souvenir du père disparu

➢ « Avant même que nous nous marions, mariions ? » - hésitation de la mère


sur le temps qu'elle emploie – présent de l'indicatif puis subjonctif présent –
traduit la volonté de se corriger devant son fils Louis qui est un intellectuel –
alors qu'il s'agit d'une faute quasi impossible à déceler à l'oral
➢ « avant qu'on ne soit mariés » - épanorthose avec une formulation plus
simple et le participe passé « mariés » à valeur adjectivale
= indication temporelle comme renvoyant à des temps immémoriaux

➢ séduction, amour naissant passant par les jeux de regards amoureux


évoqués par la mère - « je le voyais » (l.50) + en incise « -je le regardais- »
(l.51) – confère plus d'intensité à la scène décrite
➢ « il avait une voiture » - rappel de l’indissociabilité père/voiture
➢ Le récit gagne ensuite en précision, en détails, sur la voiture - « une des
premières dans ce coin-ci » (l.53)- dépeint comme une ascension sociale,
avantage vis à vis des autres habitants de l'endroit où vit la famille
➢ « vieille et laide et faisant du bruit, trop » - adjectifs dépréciatifs « vieille et
laide » + participe présent « faisant » associé à « du bruit, trop » - adverbe
« trop » juxtaposé au reste du verset par une virgule comme pour montrer
que la Mère s'attarde, insiste sur la nature bruyante du véhicule
= portrait de la voiture presque ridicule, comique, en contraste avec la fierté
qui semble émaner de la mère à son sujet
➢ « mais, bon, c'était une voiture » (l.55)- conjonction de coordination « mais »
+ interjection « bon » amène une nouvelle relativisation de la situation
➢ « il avait travaillé et elle était à lui » - rappel de la condition sociale du père
par ces deux propositions coordonnées
➢ « c'était la sienne, il n'en était pas peu fier » (l.58)- insiste sur l'importance
de la voiture pour le père, avec le pronom possessif « la sienne » + négation
associée à ses sentiments « il n'en était pas peu fier »

Intervention d'Antoine (l.58)

➢ Une phrase simple en parfait contraste avec la longue tirade de la Mère


➢ « On lui fait confiance. » - présent de l'indicatif – ironique car 1) père absent
mais en parle comme s'il était encore vivant et 2) peut évoquer une
mésentente familiale – une crise familiale associée au père ?

= traduit toutefois un certain agacement, déjà décelable au début de la scène 4


lors de son échange avec sa mère

Dans ce premier mouvement du texte, le soliloque de la mère file progressivement


le souvenir du père disparu à travers le récit des promenades dominicales datant
de son vivant. Le récit reste retardé non seulement à deux reprises par les
interruptions de ses enfants Suzanne et Antoine, mais également par ses
considérations la ralentissant. Ainsi, via l'évocation de ce souvenir, la présence du
père disparu s'installe progressivement au cœur de la scène.
II. La forte présence du père décédé (l.59 « La Mère – Ensuite, notre voiture » à l.86
« on allait se promener »

La Mère reprend son récit

➢ l.59 - Pas atteinte par la pique ironique d'Antoine – poursuit directement son
histoire – adverbe connecteur logique « ensuite » + « notre voiture » avec
déterminant possessif globalisant « notre » + complément circonstanciel de temps
« plus tard » étirant le récit = fait durer le souvenir
➢ l.60 - nouvelle irruption du présent de l'indicatif dans un nouveau
commentaire de la Mère – conjonction de coordination « mais » plus négation
« mais ils ne doivent pas se souvenir » - commentaire filé jusqu'à la ligne 62 faisant
écho à l'intervention de Suzanne sur la nature lointaine de ce souvenir - « ils ne
peuvent pas » + constat, hypothèse à l'imparfait « ils étaient trop petits » + présent
« je ne me rends pas bien compte, oui, peut-être » - la multiplication des virgules, la
négation et le modalisateur « peut-être » traduisant l'incertitude de la mère, dont la
temporalité du souvenir semble lui échapper malgré son importance
➢ l. 63 - reprise du récit avec retour sur la voiture du père – retour de
l'imparfait- « nous en avions changé » - nouvelle étape dans l'histoire, marque d'un
changement
➢ l.64 jusqu'à 68 – nouvelle voiture au portrait flatteur en contraste avec la
première décrite assez péjorativement – plus élégante, plus « chic » - adjectifs
« longue », « allongée » + « aérodynamique » entre guillemets l. 65 – élément de
vente traduisant l'évolution de la condition sociale de la famille vers une certaine
aisance – acquisition d'une nouvelle voiture synonyme d’ascension
➢ évocation de la couleur « noire » répété x3 aux l.66, 67, 68 associée à
l'adjectif « chic » – fantasme lié à la couleur
➢ l.67 - précision dans le souvenir avec rappel des propos du père au style
direct – verbe de parole « disait » + guillemets encadrant l'adjectif « chic » l.68 +
conditionnel présent « cela serait » + déterminant possessif « son » relatif à lui
avec « son mot »
➢ Introduction d'une toute autre explication quant au choix de la couleur de la
voiture – raison plus pragmatique ayant une structure assez orale - introduite par la
conjonction de coordination « mais » qui revient encore + « bien plutôt parce que
en fait » - succession de termes modalisateurs + raison articulée par une nouvelle
négation « il n'en n'avait pas trouvé d'autre. »
➢ l. 71 - Hypothèse suggérée par la Mère sur une éventuelle couleur qu'aurait
préféré son mari - « rouge » mentionné x2 + commentaire au présent « je le
connais » alors qu'il est décédé + « voilà » employé comme une interjection + « je
crois » au présent + « ce qu'il aurait préféré » au conditionnel présent filant
l'hypothèse tout en articulant une formulation assez orale
➢ l.73 – nouvelle mention du dimanche avec CCT « Le matin du dimanche »
➢ « il la lavait, il l'astiquait » - énumération de deux verbes à l'imparfait – valeur
d'habitude - traduisant l'importance de la voiture pour le père – voiture désignée
par les pronoms « la » et « l' »
➢ « un maniaque » - nom pouvant être a connotation comique relevant de
l'obsession, de la fierté presque excessive du père pour le véhicule
➢ indication temporelle précise - « cela lui prenait deux heures » - insiste sur
cette fierté obsessionnelle
➢ poursuite du récit du souvenir avec encore plus de précision – CCT « l'après-
midi » + indication temporelle « après avoir mangé » = traduit l'acuité du souvenir
➢ Retour sur le rite de la promenade l. 77 - « on partait. », concluant la phrase
+ « Toujours été ainsi » aphérèse (élision de mots traduisant l'oralité) avec adverbe
« toujours » + « plusieurs années » + « tous les dimanches » x2 (l.80-81) +
comparaison « comme une tradition » = jour sacré pour la famille, presque
religieux – dimanche n'est ici pas le jour de la messe mais celui de la promenade
➢ « plusieurs belles et longues années » (l.79) - adjectifs associés à la
nostalgie provoquée par le souvenir de ce temps révolu
➢ l.81 - « pas de vacances, non, mais tous les dimanches » - rappel de la
condition sociale modeste de la famille avec l'adverbe de négation « pas »
➢ l. 82 « qu'il neige, qu'il vente » - propositions subordonnées circonstancielles
de concession, répétées et agrémentées à la l.85 au discours direct avec la
prosopopée « qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente » = fait parler le père défunt
➢ l.83 - « il disait des choses comme ça, des phrases pour chaque situation de
l'existence » - nouvelle parenthèse de la mère avec rappel des mots du père qui
jalonnaient dans toute leur banalité la vie de la famille
➢ l.86 – fin de la phrase « tous les dimanches on allait se promener » = reprise
et synthèse de la tirade de la mère

= le souvenir du dimanche est celui du père

CONCLUSION :

➢ Long récit aux allures de soliloque – exprimé difficilement à cause des


interruptions des enfants et des digressions formulées par la Mère = motif de la
communication compromise qui jalonne l'ensemble de la pièce
➢ Nostalgie uniquement présente chez la Mère – lassitude et agacement
d'Antoine + détachement de Suzanne
➢ Souvenir étiré par la Mère pour faire durer le plaisir de la nostalgie
provoquée par la remémoration du père disparu – forte présence au sein de
l'extrait via un flot de précisions allant jusqu'à la prosopopée - absence du
pèrepréfigurant celle de Louis
➢ Ce temps est révolu – fin des promenades dominicales à l'adolescence des
garçons mentionnée plus loin à la fin de la scène – constat douloureux et amer de
la mère avec question « est-ce-qu'on peut savoir comment tout disparaît ? » +
réponse tout aussi douloureuse d'Antoine et Suzanne - « C'est notre faute. » / « Ou
la mienne » = impasse du souvenir et crise de la communication
➢ Ouverture – scène de l'adaptation de JLFDM par X. Dolan (2016)
retranscrivant parfaitement cette nostalgie à sens unique mais se concluant ici par
un (court) moment de complicité entre les membres de la famille via la scène de
danse entre la Mère et Suzanne – la seule respiration positive de tout le long-
métrage

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