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Akou Mabelle BOTOZAN

M1 ICC
L'interactionnisme symbolique, issu de la deuxième École de Chicago, est une perspective
théorique majeure en sociologie. Elle est définie par plusieurs auteurs dont Goffman et Howard
Becker. Le terme «d’ interactionnisme » symbolique a toutefois été forgé par H. Blumer dans un
article de 1937. Il renvoie alors sous sa plume à la formation de l’enfant au sein du lien social à
l’intérieur d’un système de sens et de valeurs. Ce courant de pensée ne recouvre pas une théorie
formée sous l’égide d’un auteur de référence ayant marqué de son empreinte des générations de
chercheurs, il est plutôt une sensibilité commune réunissant des sociologues dont le style, les
objets et les méthodes diffèrent souvent. Pour E. Goffman, par exemple, qui récuse ce terme,
l’interactionnisme symbolique n’est qu’une étiquette ayant réussi à s’imposer. Pour A. Rose,
l’interactionnisme s’est développé « de manière croissante avec une idée ici, une formulation
magnifique mais partielle là, une petite étude ici, un programme de recherches spécialisées
ailleurs ». Sur la question des fondamentaux de l’interactionnisme symbolique notamment sur ses
apports à la sociologie de déviance, ce courant tout en mettant l’accent sur la signification que les
individus attribuent aux symboles et aux interactions sociales dans la construction de la réalité
sociale, offre des perspectives riches sur la manière dont les comportements déviants sont définis,
perçus et intégrés dans la société.
I- L’interactionnisme symbolique

L’interactionnisme rassemble un réseau de chercheurs conjuguant leurs différences, mais fidèles


à une poignée de principes. Aucune volonté d’hégémonie intellectuelle ne les anime, ils
n’entendent pas dire ce que doit être la sociologie, mais proposent un cadre cohérent et rigoureux
approprié à une analyse microsociologique. Proches de la tradition de Chicago, loin d’une
contribution purement théorique, ils possèdent en commun un souci aigu de l’étude de terrain et
la volonté de prendre en considération les acteurs sociaux plutôt que les structures ou les
systèmes comme le faisait alors une immense partie de la sociologie américaine sous l’égide de
Parsons. Un pôle de publications leur confère une visibilité croissante dans les années 1960.
Notamment l’ouvrage coordonné par A. Rose en 1962 : Human behavior and social process : An
interactionist approach qui réunit plusieurs générations d’auteurs marqués par Chicago : E. W.
Burgess, E. F. Frazier, D. R. Cressey, E. C. Hugues, H. Blumer, R. H. Turner, A. Strauss, T.
Shibutani, M. H. Kuhn, E. Freidson, D. Glaser, E. Goffman, H. Becker, etc.
L’émergence de l’interactionnisme coïncide avec une période de crise de la sociologie
américaine, de lassitude face à des méthodologies fondées sur le sondage, indifférentes aux
acteurs et à leur singularité. Les troubles sociaux, la contestation généralisée des campus
remettent en question le fonctionnalisme d’un Parsons qui incarnait la sociologie officielle et
conservatrice de l’époque. Le point de vue de l’acteur, la construction du sens dans le moment de
l’interaction, la capacité pour l’acteur de se comprendre et de rendre compte de son action et de
constituer ainsi la réalité, de renégocier en permanence son rapport au monde prennent dans ce
moment politique une signification éminente.
Dans la lignée des travaux des chercheurs des différentes écoles de Chicago, qui firent vite de
l'étude de la déviance un de leurs principaux centres d'intérêt, s'est épanoui un courant de
recherche, l'interactionnisme, qui n'eut de cesse de critiquer la perspective explicative
fonctionnaliste développée par le sociologue R. K. Merton. Ce dernier reprend certaines des
conclusions établies par Durkheim, pour lequel il importe que la société régule les aspirations
individuelles et évite ce faisant que ne se développent des sentiments de frustration et des désirs
qui ne peuvent être satisfaits ; pareille situation sociale générerait des tensions susceptibles de
pousser les individus à transgresser les normes sociales. En effet, quand l'intégration sociale est
insuffisante et que l'individu n'est plus tenu par la force socialisante de son environnement, « sa
motivation à fournir l'effort nécessaire pour respecter les normes sociales » se voit
considérablement affaiblie. Merton, qui règle sa focale sur les inégalités sociales, développe et
affine cette perspective en argumentant que la déviance résulte du décalage qui peut, dans
certaines conditions, exister entre les aspirations des individus promues par la société (dont la
réussite sociale) et les moyens de les réaliser. Il établit ainsi que les membres des groupes sociaux
qui vivent dans des conditions sociales désespérées développent des sentiments puissants de
frustration et d'aliénation. Cela peut les conduire à utiliser des moyens illégaux (crime, vol, etc.)
pour tenter de réaliser les buts que tout le monde poursuit. L'anomie est ainsi provoquée par la
coexistence contradictoire de valeurs égalitaires) largement partagées et d'une structure sociale
qui demeure profondément inégalitaire, en ce que tous les individus ne disposent pas des mêmes
moyens.
II- Influence de l’interactionnisme symbolique sur la sociologie de déviance
L’interaction est le moment où l’individu perd l’autonomie de sa représentation pour entrer dans
la sphère d’influence immédiate d’un public. Dès qu’une autre personne pénètre son champ de
perception, il est sur ses gardes et amené à la surveillance de l’impression qu’il donne à voir pour
écarter de lui tout soupçon. Tout acteur est dans la nécessité de rendre son comportement
raisonnable au regard des événements en cours. Cette manière de se composer un personnage en
toute sincérité relève de la routine mais souvent aussi du calcul. La maîtrise des impressions est
pour Goffman un fait de communication ordinaire. L’écheveau des interactions en face-à-face est
son domaine privilégié, celui qu’il aborde avec une finesse d’analyse qui en fait une sorte de
Proust de la sociologie, l’humour en plus. Goffman cherche à élucider les « moments et leurs
hommes », c’est-à-dire les rites qui réunissent les acteurs sous l’égide de définitions sociales dont
ils doivent s’accommoder, afin que l’échange, autant que possible, n’entame en rien l’estime
qu’ils pensent mériter mutuellement.
Un cadre de significations et de comportements possibles enveloppe les acteurs en présence et
leur donne une orientation de conduite, des attentes mutuelles normatives. Il pourvoit les
individus d’un schéma d’interprétation, au double sens du terme, à la fois pour jouer avec
pertinence leur personnage et pour comprendre également celui de l’autre. Des règles
innombrables régissent le bon déroulement des interactions, les manières de se vêtir, de
s’adresser à l’autre, de l’écouter, de le regarder, de le toucher, de prendre son tour de parole, de
s’inscrire dans une file d’attente, de se croiser sur le trottoir ou face à une porte sans se heurter…
Une myriade de rituels mineurs suggère les comportements afin que toute rencontre se déroule de
manière fluide en évitant les tensions ou les bévues. Leurs formes et leurs signes relèvent d’un
ordre symbolique propre à un groupe. Goffman distingue l’interaction focalisée, la conversation
par exemple, où les acteurs sont engagés les uns envers les autres par une attention soutenue. Une
interaction non focalisée est une coprésence plus vague : les passants dans une rue, les clients
d’un magasin, une file d’attente devant un cinéma. L’attention mutuelle est flottante mais
l’individu n’est pas tout à fait libre de ses faits et gestes car il est sous le regard d’un public de
circonstance.
Dans la lignée des travaux des chercheurs des différentes écoles de Chicago, qui firent vite de
l'étude de la déviance un de leurs principaux centres d'intérêt, s'est épanoui un courant de
recherche, l'interactionnisme, qui n'eut de cesse de critiquer la perspective explicative
fonctionnaliste développée par le sociologue R. K. Merton. Ce dernier reprend certaines des
conclusions établies par Durkheim, pour lequel il importe que la société régule les aspirations
individuelles et évite ce faisant que ne se développent des sentiments de frustration et des désirs
qui ne peuvent être satisfaits ; pareille situation sociale générerait des tensions susceptibles de
pousser les individus à transgresser les normes sociales. En effet, quand l'intégration sociale est
insuffisante et que l'individu n'est plus tenu par la force socialisante de son environnement, « sa
motivation à fournir l'effort nécessaire pour respecter les normes sociales » se voit
considérablement affaiblie. Merton, qui règle sa focale sur les inégalités sociales, développe et
affine cette perspective en argumentant que la déviance résulte du décalage qui peut, dans
certaines conditions, exister entre les aspirations des individus promues par la société (dont la
réussite sociale) et les moyens de les réaliser. Il établit ainsi que les membres des groupes sociaux
qui vivent dans des conditions sociales désespérées développent des sentiments puissants de
frustration et d'aliénation. Cela peut les conduire à utiliser des moyens illégaux (crime, vol, etc.)
pour tenter de réaliser les buts que tout le monde poursuit. L'anomie est ainsi provoquée par la
coexistence contradictoire de valeurs égalitaires (tout le monde peut réussir) largement partagées
et d'une structure sociale qui demeure profondément inégalitaire, en ce que tous les individus ne
disposent pas des mêmes moyens.
Les sociologues de la déviance de l'école de Chicago remettent en cause l'idée, omniprésente
dans la perspective adoptée par Merton, selon laquelle les sociétés posséderaient des normes
collectives uniformes que chaque membre aurait faites siennes. Ils soutiennent au contraire que
les individus, placés en certains endroits de l'espace social, peuvent intérioriser des normes
différentes des normes dominantes. A. K. Cohen est un de ceux qui ont le plus manifestement
privilégié le concept de culture secondaire ou sous-culture, contre une tradition mertonienne
restée, selon lui, trop atomiste : dans la théorie fonctionnaliste de Merton, le déviant n'est pas
saisi, argumente Cohen, dans son environnement social immédiat et ne semble pas adapter son
comportement en le comparant à celui qu'adoptent ceux qui vivent à ses côtés. Or le degré de
frustration ressenti dépend grandement de la perception de ce que peuvent obtenir et viser les
autres autour de soi.
Les sociologues qui, se réclamant de l'interactionnisme symbolique, pratiquent une sociologie
compréhensive s'inspirant des travaux de G. H. Mead, H. Blumer et E. Hughes, et qui ont promu
la théorie de la déviance, dite théorie de la désignation (labeling theory), proposent ainsi à partir
des années 1950 de déplacer le regard des caractéristiques des individus et des milieux vers les
interactions dans lesquelles se trouvent insérés les déviants, mais également de porter l'attention
sur les mécanismes sociaux qui font qu'un comportement va être, à un moment historique donné,
estimé comme ne respectant pas les normes dominantes. Selon une distinction désormais
classique, il existerait ainsi deux formes de déviances, une déviance primaire correspondant au
comportement non conforme mais qui ne serait pas socialement repérée, et une déviance
secondaire, étiquetée comme telle par les organismes de contrôle social chargés de la réguler. La
déviance n'étant pas, dans cette perspective, une propriété intrinsèque de l'acte déviant, c'est à
cette « réaction sociale » qu'il faut s'intéresser, car c'est elle qui doit être considérée comme le
processus principal par lequel est produite la déviance. Tel est le cas des usages de drogues en
particulier, si certains représentants de cette vaste tradition de recherche vont se pencher sur les
mécanismes du contrôle social, producteurs de déviance, beaucoup vont privilégier la description
des aspects sociaux de la consommation de drogues, des modes de vie des usagers et des
toxicomanes et tenter d'identifier les ressorts proprement sociologiques qui se trouvent au
principe de leur toxicomanie.
La déviance comme produit de l'interaction sociale, est le credo d'Howard Becker. Insistant plus
manifestement sur le contexte social entourant la prise de drogue que Cressey ne le fit lui-même,
soulignant que les apprentis usagers apprennent ce qu'ils doivent savoir des utilisateurs
expérimentés, et marqué par les travaux de Lindesmith, Becker incarne par excellence le
sociologue interactionniste des usages de drogues. Musicien de danse (il est pianiste de jazz), il
évolue dans un univers où l'usage de drogue est fréquent. Il choisit d'étudier la consommation de
marijuana en espérant pouvoir produire une « variante de la théorie » de Lindesmith [Becker,
2002], qui portait principalement sur les consommateurs d'opiacés. Dans un ouvrage désormais
célèbre [1963], mais également dans un article moins connu, il développe une théorie singulière
de la consommation de marijuana, et s'y appuie pour élaborer, plus largement, une théorie de la
déviance qui nourrira l'inspiration d'un nombre considérable de sociologues et d'étudiants en
sociologie. Becker le dit clairement dans Outsiders : l'on devient déviant quand l'étiquette de
déviant nous a été appliquée avec succès. La déviance n'est pas une caractéristique de l'acte lui-
même, mais le produit de l'application de normes qui ont été instituées par une société et de
l'administration de sanctions qui sont prévues dans pareille situation. Dans ces conditions, il
convient aussi d'étudier les processus politiques et sociaux par lesquels ces normes sont (re)créées
et comprendre comment ces « entrepreneurs de morale », au nom de valeurs présentées comme
universelles, se mobilisent et parviennent à faire interdire ou réglementer, d'un point de vue
juridique en particulier, certains comportements, certaines pratiques ou activités. La déviance est
donc le résultat contingent d'une interaction entre un groupe social qui a édifié des normes à
respecter et ceux qui les ont transgressées et les transgressent.

En somme, l'interactionnisme symbolique offre une compréhension approfondie de la déviance


en mettant l'accent sur la construction sociale de la réalité, l'étiquetage, la stigmatisation, les
processus de socialisation et la théorie de l'apprentissage social. Ces concepts permettent
d'expliquer comment la déviance n'est pas seulement un comportement individuel, mais résulte
des interactions sociales, des normes culturelles et des processus de perception et d'étiquetage au
sein de la société.
Bibliographie:
1. Howard S. Becker, "Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance" (1963).
2. Erving Goffman, "Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity" (1963).
3. Le Breton, David. « 1. La constitution historique de l’interactionnisme
symbolique », , L’interactionnisme symbolique. Sous la direction de Le Breton David. Presses
Universitaires de France, 2012, pp. 9-43.
4. Journet, Nicolas. « Outsiders : études de sociologie de la déviance », Xavier Molénat éd., La
sociologie. Éditions Sciences Humaines, 2009, pp. 93-94.

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