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de liberte
c'est-ä-dire l'ethique politique de Rothbard. Sur la definition de la politique comme un art et une
science, cf. Saint Thomas, Preface ä la politique, trad, de Η. Keraly, Coll. Docteur Commun, NEL,
Paris.
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12
Op. dt. p.3l.
13
Op. cit. p.235.
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Sur l'epistemologie realiste, cf. Saint Thomas, Somme theologique, I a Q. 84-89, Traite de la pensee
humaine, trad, de J. Webert op, Edition de la revue des jeunes, Societe de Saint Jean l'evangeliste,
Desclee et Cie : Paris, Tournai, Rome, s.d., et Ayn Rand - 1979
Sur la methode du droit cf. Villey-1987; et sur les rapports entre cette methode et la formation des
connaissances humaines telle que l'a analysee Hayek, cf. Atias-1986.
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les rapports entre les hommes et les choses dans toute leur harmonie. Or
l'homme est limite dans son intelligence et dans sa volonte. Ainsi la convergence
du droit et de la loi n'est pas une donnee de son libre-arbitre mais resulte de
l'exercice de celui-ci : les traditions intellectuelles et morales rendues possibles
par la division du travail lui servent ä suppleer son imperfection16. Certes, le
progres de la raison resulte de l'usage de la methode dialectique mais cette
methode, du fait des limites humaines, ne peut arriver qu'ä des conclusions
provisoires : le philosophe ne peut pretendre avoir enonce exactement toutes les
lois ; le juge regit tous les rapports selon la plus parfaite harmonie. Aussi est-ce
dans les faits que Ton distingue l'activite du philosophe politique de celle du
juriste; la mise en evidence des lois de l'exercice de la justice; la loi du droit.
La confusion entre le droit et la loi est "moderne" : si ses origines
intellectuelles peuvent remonter au nominalisme, son developpement date de la
Renaissance, d'une epoque ού les theologiens se mirent ä ecrire des traites pour
justifier les politiques de leurs princes17. Non pas tant pour les absoudre de leurs
crimes, mais plutöt pour guider leurs actions vers un ideal de justice.
Theologiens moralistes, ils ne cherchaient pas ä comprendre la societe pour la
regir selon son ordre implicite, mais ä etablir des principes pour guider Taction
legislatrice. Aussi sont-ils conduits a deduire, par la logique, le droit de la loi : le
droit naturel est ainsi assimile ä la loi naturelle, et le droit positif recouvre toutes
les regies de droit.
De cette source precedent les "utopies", les "contrats sociaux" et toutes
les inventions des "constructivistes". Ainsi s'eclaire l'importance accordee aux
constitutions et aux declarations des droits de l'homme : la loi etant congue
comme l'unique source du droit, le droit subjectif - petition d'un individu pour le
respect d'un rapport qu'il estime juste - n'a pas d'autre moyen pour etre pris en
consideration par le droit objectif - l'ensemble des regies obligatoires d'une
societe donnee.
De cette source decoulent les politiques utilitaristes et l'idee de justice
sociale. Le droit n'etant plus defini ä l'occasion d'un conflit par l'autorite d'une
source, toute petition pour le respect d'un droit subjectif perd l'occasion d'etre
objectivee : la justice ne consiste plus dans le respect de l'harmonie des rapports
mais dans la realisation d'objectifs ä atteindre18. De lä l'hypertrophie de l'Etat, le
declin des libertes ...
16
Cf. Guillaumat-1991.
17
Cf. Mesnard -1936, Bastit-1990, et surtout Villey-1983.
18
Cf. Hayek-1985.
Pellissier Tanon. La dimension politique du principe de liberie 165
autant les droits crees ne sont pas remis en cause. Une volonte au futur ou au
conditionnel suffit au caractere executoire d'un contrat. Les droits des
contractants ne s'identifient pas ä une loi d'une des parties, changeante dans le
temps.
Nous sommes ä meme de mieux comprendre pourquoi Rotubard reduit
la politique ä l'exercice de la justice, l'ethique politique au droit : si, comme il
l'affirme, le droit d'une personne consiste en une liberte d'action sur sa propriete
et si effectivement "il serait immoral que toute autre personne ... l'empeche de la
faire par l'emploi de la force physique ou la menace de son emploi"21, l'emploi
moral ou legitime de la force, la politique, se reduit au respect des droits de
propriete. La liberte serait bien le principe supreme de justice.
21
Op. cit. p.27.
22
Op. cit. p. 24.
23
Op. cit. p. 27.
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pour se gouvemer. Ce serait dans les faits considerer cet homme comme un
animal. Aussi est-ce ä juste titre que Rothbard definit un droit comme une liberte
et non comme une capacite, l'homme se determinant par sa raison, l'animal
suivant son instinct. Le libre-arbitre est une realite ; la liberte - le respect de
l'usage par une personne de son libre-arbitre sur sa propriete, le principe de
developpement des hommes (tant de l'education de chacun d'entre eux que de
la croissance des communautes humaines) - est, tout particulierement, un
principe politique.
On retrouve cette idee chez Saint Thomas lorsqu'il traite de la loi
eternelle" et, plus precisement de la providence divine.
Claude Rousseau en donne une definition en commentant la formule de
Saint Thomas25, "c'est une perfection que d'etre bon en soi, mais e'en est une
plus grande encore que d'etre source de perfection pour les autres" : "Le
meilleur maitre n'est-il point, en effet, celui qui, non content d'instruire ses
disciples, les rend capables d'en avoir ä leur tour ? Et le meilleur chef, celui
aupres duquel on apprend non seulement ä obeir, mais aussi ä commander ? De
ce point de vue , le gouvernement parfait, metaphysiquement parlant, apparait
comme celui qui permet en general aux choses de devenir causes les unes des
autres, de fafon ä ce que le systeme qu'elles forment soit assure d'un maximum
de perfection. Si Dieu etait seul ä gouverner ... les etres se trouveraient mutiles
de leur puissance causale, qui fait precisement l'essentiel de leur vertu ... Ainsi,
et sous cet angle (d'ailleurs emprunte ä l'aristotelisme), l'idee de Providence
apparait-elle intimement liee ä celle de concours ; ce qui autorise faire des
hommes, en tous domaines, et selon l'heureuse formule consacree, des
cooperateurs de Dieu. A le bien prendre, le pouvoir providentiel ... (bien loin
d'enlever ä l'homme son libre-arbitre) a au contraire pour mission de leur
donner les moyens d'etre a eux-memes leur propre providence. C'est seulement ä
cette condition, en effet, qu'il atteindra sa propre perfection"24."
Et C. Rousseau d'en deduire "des consequences pratiques considerables" :
le droit naturel de propriete privee "parce que, sans elle, aucun homme ne
pourrait etre providentiel,ni pour les choses, ni pour lui-meme, ni pour autrui"27
et,son extension, le principe de subsidiarite28, "l'obligation faite aux dirigeants
politiques de ne pas se substituer aux individus (ou aux groupes) dans
l'accomplissement des activites dont ils peuvent s'acquitter eux-memes, ce qui
revient ä reduire au strict minimum la sphere d'intervention du public ; tout
comme l'obligation de faire participer aux responsabilites de ce dernier le plus
d'individus possibles, en se dechargeant des täches qu'ils peuvent accomplir
utilement"29.
cf. Saint Thomas, Traite des Lois, somme theologique, , la - Wae, Q. 90-97, trad. J. de la Croix
Kaolin op, Egloff, Paris, 1946.
2 5 Somme theologique, I a, Q. 103, art.6.
2® Cf. Millon-Delsol - 1990 ; Pellissier Tanon - 1990; et "Le principe de subsidiarite", dossier,
Cf. La partie inachevee des Harmonies economiques, tome 6, des Oeuvres completes, Guillaumin et
Cie, Paris, 6° ed. 1870; et pour un commentaire, Audouin -1991, et Pellissier Tanon - 1989.
Rothbard - Op. cit., p. 23. Remarquons que ni les philosophes grecs ni leurs commentateurs du
Moyen-Age n'ont utilise le mot Etat ; ils parlent de la cite, du prince, de la republique. Nous aurions
tendance ä penser que ce sont plutot leurs commentateurs de l'epoque moderne ou leurs traducteurs
contemporains qui, pour appliquer cette ancienne pensee ä la realite qu'ils vivaient — le
developpement de l'Etat-Nation —, sont ä l'origine de cette confusion entre la societe politique et
l'Etat. Nous retrouverons le debat evoque ä la note 17.
Cf. Saint Thomas, Du gouvernement royal, trad, de C. Roguet, Edition de la gazette frangaise,
Paris, 1926, qui developpe une idee dejä presente dans La politique d'Aristote.
Pellissier Tanon. La dimension politique du principe de liberie 169
References
Pellissier Tanon, Arnaud. "La dimension politique du principe de liberté", Journal des
Économistes et des Études Humaines, Volume 2, numéro 1, Mars 1991, pp159-169.