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« SwissLeaks » : HSBC, la banque de tous les

scandales
Présente dans plus de 80 pays, la banque qui a mis en place un système de fraude fiscale de plus
de 180 milliards d'euros, a déjà été impliquée dans de nombreuses affaires.

LE MONDE | 08.02.2015 à 21h58 • Mis à jour le 11.02.2015 à 14h58 | Par Anne Michel (/journaliste/anne-michel/)

Une agence HSBC à Londres. SUZANNE PLUNKETT / REUTERS

La femme qui tape du poing sur la table, ce jour de juillet 2013, c’est Elizabeth Warren, la nouvelle
coqueluche du Parti démocrate américain. Sa cible, la banque britannique HSBC. « Combien de
milliards de dollars faut-il blanchir , combien d’embargos faut-il violer pour qu’on envisage enfin de
fermer une banque comme celle-ci ? », s’emporte la sénatrice du Massachusetts, scandalisée par la
simple sanction de 1,9 milliard de dollars infligée à la filiale américaine de HSBC. Celle-ci vient
d’être reconnue coupable de blanchiment de l’argent de la drogue des cartels mexicain et colombien
et d’organisations en lien avec le terrorisme.

Sur le même sujet « SwissLeaks » : révélations sur un système international de fraude


fiscale (/evasion-fiscale/article/2015/02/08/swissleaks-revelations-sur-un-systeme-international-de-fraude-
fiscale_4572319_4862750.html)

La banque a tout avoué. Des guichets avaient été ouverts pour blanchir les valises de billets des
narco-trafiquants. Puis le cash était convoyé par avions et véhicules blindés jusqu’aux Etats-Unis.
Le trafic a duré sept ans, de 2003 à 2010, admis sinon couvert par les dirigeants. Comme ont été
aussi tolérés les liens d’affaires avec des organisations suspectées de soutien au terrorisme, dont la
banque d’Arabie saoudite Al Rajhi, proche d'Al-Qaïda.

L’affaire est très grave. Mais elle se solde par une amende. Une sanction vite payée, vite oubliée
donc, même si elle est assortie d’une période de probation de cinq ans, jusqu’en 2018. Devant la
commission sénatoriale consacrée à l’affaire, les mots d’Elizabeth Warren cinglent, laissant le
représentant du Trésor américain, David Cohen, un moment sans voix.
L’impuissance des politiques
L’affaire HSBC n’est pas seulement le symbole des dérives de la finance. Elle révèle l’impuissance
des politiques face à ces mastodontes bancaires, qui se relèvent toujours indemnes des pires
scandales, au nom de leur place centrale dans le financement de l’économie.

Avec 270 000 salariés dans plus de 80 pays, HSBC est un poumon de
HSBC EST UN l’économie mondiale. Qui oserait compromettre son avenir en la privant de
POUMON DE sa licence bancaire ? Et pourtant... Les infractions commises par le géant
L’ÉCONOMIE bancaire en Amérique centrale et du Sud sont loin d’être des faits isolés. Du
MONDIALE. QUI blanchiment d’argent sale aux affaires de manipulation de taux servant de
OSERAIT référence aux activités financières (Libor, Euribor...), en passant par la
COMPROMETTRE vente de produits financiers toxiques, on ne compte plus les procédures
SON AVENIR EN judiciaires dans lesquelles le groupe est impliqué ou cité.
LA PRIVANT DE SA
Et voilà que s’ouvre un nouveau front, avec cette affaire d’évasion fiscale
LICENCE
dont HSBC semble s’être rendue coupable à grande échelle, pour le
BANCAIRE ?
compte de fraudeurs au fisc mais aussi, fait bien plus préoccupant, de
groupes criminels fichés, voire déjà condamnés. Des criminels dont la
banque a aidé à dissimuler l’argent dans les paradis fiscaux les plus
opaques.

Comment de tels individus ont-ils pu passer le filtre de l’obligation faite aux banques du monde
entier de connaître leurs clients et de surveiller leurs comptes ? Comment de telles pratiques ont-
elles pu exister au sein d’un groupe soumis à une double surveillance interne et externe, jusqu’alors
bien réputé – en tout cas en Europe – en matière de contrôles anti-blanchiment ?

Faut-il incriminer la banque ? Sa culture ? Sa taille ? La régulation ? Dans un monde où les


scandales bancaires se multiplient – explosant depuis la crise de 2009, révélatrice des excès – le
cas d’HSBC frappe. Par l’histoire singulière de cette institution, tout d’abord, créée dans des
conditions sulfureuses, dans le Hongkong de la fin des années 1860. L’empire britannique vient
alors de remporter la guerre de l’opium qui l’oppose à la Chine depuis vingt ans. Il force les ports
chinois à participer à son lucratif trafic d’opium. L’idée de créer une banque pour financer ce
commerce germe dans la tête d’un écossais spécialisé dans l’importation de cette drogue produite
aux Indes. HKSC, l’ancêtre de HSBC, est né.

Pour Thomas Sutherland, le fondateur de l’établissement, c’est le jackpot. Et pour la banque, le


début d’une odyssée financière. Après s’être émancipée de la région Asie-Pacifique dans les
années 1970, elle s’impose comme l’un des plus gros conglomérats financiers mondiaux, grâce au
rachat de concurrents aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Le siège d’HSBC est transféré de
Hongkong à Londres en 1993, avant la rétrocession de la cité-Etat à la Chine.

Ce gigantisme a-t-il nui au contrôle ? Micros éteints, les meilleurs régulateurs mondiaux
acquiescent. Ils renvoient au profil de ce géant sino-britannique, doté de la plus intercontinentale
des banques de gestion de fortunes présentes dans tous les pays. Y compris ceux à risques, où
circule l’argent du crime et où la lutte contre le blanchiment constitue le défi majeur, sous-estimé par
les régulateurs locaux, y compris jusqu’à récemment par les autorités de Hongkong. De facto, une
partie du « business » d’HSBC est « en risque ».

Les conditions dans lesquelles s’est faite l’expansion du groupe sont soulignées. Car l’un des enjeux
de la croissance par acquisitions est de contrôler ses cibles, la qualité des portefeuilles comme la
probité des dirigeants. Surtout si localement, lois et autorités de contrôle sont faibles. Les
manquements d’HSBC au Mexique ne sont-ils pas dus, pour une large part, au Grupo Financiero
Bital, acquis en 2002 ? Aucun contrôle anti-blanchiment spécifique n’avait été instauré. De même,
l’héritage du banquier-milliardaire Edmond Safra, brésilien d’origine libanaise, et de sa banque
d’affaires, la Republic New York Corporation, rachetée en 1999 par HSBC, pèse lourd. C’est cet
établissement aux méthodes peu scrupuleuses qui a apporté la clientèle de diamantaires et la
culture de l’offshore.
« Too big to manage »
« L’effet taille induit des comportements dangereux », souligne l’économiste Gabriel Zucman, qui
enseigne à la London School of Economics. C’est le fameux aléa moral par lequel toute banque
« too big to fail » (trop grande pour faire faillite) se sait protégée par l’Etat... Jusqu’à se sentir « too
big to jail » (trop grande pour être condamnée). « Invulnérable », résume-t-il. L’histoire récente a
montré que le sentiment d’impunité avait gagné les banquiers.

« Certaines banques sont si grandes que le management ne peut plus les


« SUR DES gérer , c’est le “too big to manage”, renchérit Thierry Philipponat, membre
EFFECTIFS DE 300 du collège de l’Autorité des marchés financiers, expert en régulation. Sur
000, IL SUFFIT DE des effectifs de 300 000, il suffit de 4 % à 5 % de personnes malhonnêtes
4 % À 5 % DE pour créer de gros troubles. »
PERSONNES
MALHONNÊTES HSBC se serait-elle crue au-dessus des lois ? Son identité complexe,
POUR CRÉER DE presque apatride, à cheval entre l’Asie, son berceau, et l’Europe, a pu
GROS TROUBLES nourrir chez ses dirigeants le sentiment de se perdre entre les systèmes de
», THIERRY régulation. Voire de pouvoir circuler librement entre les lois. L’an dernier,
PHILIPPONAT, n’est-ce pas la même HSBC qui, à peine votée la directive européenne
MEMBRE DU limitant les bonus des banque, dévoilait stoïquement sa méthode pour la
COLLÈGE DE contourner ?
L’AUTORITÉ DES
MARCHÉS In fine, les errements d’HSBC montrent le besoin constant de renforcement
FINANCIERS des règles et des lois. Cette banque étant contrôlée depuis Londres, la
mise en place de la 4e directive anti-blanchiment, en 2016, contribuera à
lutter contre les angles morts de la régulation. Elle améliorera la coopération
entre pays et imposera aux banques de rechercher l’identité des bénéficiaires réels des sociétés
écrans. Un pas vers plus de transparence.

Mieux encore, la mise en place d’un système mondial d’échange automatique des données fiscales
sur les contribuables, en négociations au G20, devrait porter un coup d’arrêt à la fraude. Il est
espéré à l’horizon 2017-2019.

Enfin, il faudra diffuser la culture de la régulation. Peter Hahn en fait son plus grand défi
d’enseignant à la renommée Cass Business School de Londres : « L’attrait pour l’argent et le court
terme dominent depuis les années 1990. Si l’on veut changer les institutions, il faut bien former la
génération qui vient, dit l’ex-conseiller de la Banque d’Angleterre. Ma priorité, c’est de préparer les
étudiants aux conflits d’intérêts et aux cas de conscience auxquels ils seront confrontés. »

L'enquête SwissLeaks sur HSBC

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