Vous êtes sur la page 1sur 4

La pauvreté comme privation de capabilités

Alexandre Bertin
Dans Regards croisés sur l'économie 2008/2 (n° 4), pages 43 à 45
Éditions La Découverte
ISSN 1956-7413
ISBN 9782707156273
DOI 10.3917/rce.004.0043
© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-2-page-43.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
La pauvreté comme privation de capabilités 43

La pauvreté comme privation


de capabilités
Alexandre Bertin (RCE)

L’ approche par les capabilités (ou capacités selon la terminologie


utilisée) trouve ses fondements au début des années 1980 dans un
contexte d’explosion de la dette des pays du Sud. Initiée par Amartya Sen,
économiste indien et prix Nobel d’économie en 1998, cette approche a
pour ambition de proposer un cadre conceptuel alternatif à l’approche
orthodoxe de la pauvreté basée sur le revenu.

Fondements de l’approche et définitions

L’approche monétaire de la pauvreté part du principe qu’un individu est


pauvre lorsque son revenu ne lui permet pas de subvenir à ses besoins
vitaux. La pauvreté est donc définie comme un manque de ressources
monétaires et conséquemment comme un manque de biens de première
© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


nécessité. C’est l’approche que l’on retrouve communément dans la litté-
rature lorsqu’il s’agit de mesurer l’ampleur des situations de pauvreté, et
ce quelle que soit l’échelle considérée (individu, ménage, nation). Or, cette
approche souffre de plusieurs critiques dont les plus abouties sont à mettre
au crédit d’Amartya Sen. Selon lui, l’approche monétaire est limitée pour
deux raisons essentielles : elle ne se concentre que sur les moyens dont dis-
posent les individus pour éviter toute situation d’indigence, et elle ignore
la diversité humaine.
Regards croisés sur l’économie n° 4 – 2008 © La Découverte

Pour Sen, l’approche monétaire ne fait que la moitié du chemin, car elle
définit la pauvreté comme un faible revenu et non « comme une incapacité
à édifier son bien-être » [Sen, 1992, p. 161]. Pour percevoir la différence
essentielle entre ces deux visions d’un même phénomène, il est nécessaire
de revenir sur la définition des termes qu’utilise Sen. Pour lui, le bien-être
individuel doit être évalué à partir de l’ensemble des choses et des états
qu’un individu est capable de réaliser et d’atteindre à partir des ressources
dont il dispose. C’est ce que Sen nomme les fonctionnements, qu’il définit
comme « les différentes choses qu’une personne peut aspirer à être ou à
faire », comme se nourrir, avoir un bon niveau d’éducation ou participer
44 Pour en finir avec la pauvreté

à la vie de la communauté. Les différentes combinaisons de fonctionne-


ments qu’il est possible de mettre en œuvre constituent la capabilité : « il
s’agit d’une forme de liberté, c’est-à-dire de liberté substantielle de mettre
en œuvre diverses combinaisons de fonctionnements » [Sen, 1999, p. 83].
Est donc pauvre un individu qui ne possède pas la liberté d’accomplir
l’ensemble des fonctionnements qu’il valorise. Il se peut qu’un individu
possède un revenu décent mais qu’il ne soit pas en mesure, pour des rai-
sons d’absence de liberté, de la transformer en moyens d’atteindre un
niveau minimal de bien-être. Le revenu ne constitue plus qu’un élément
parmi d’autres du bien-être individuel.

Succès et limites de l’approche par les capabilités

L’enrichissement de la définition de la pauvreté a non seulement permis


de repenser l’analyse du bien-être et de la pauvreté mais trouve également
quelques échos dans les milieux politiques et institutionnels.
Ainsi, dès l’attribution du Prix Nobel d’économie en 1998, Amartya Sen
a entamé une collaboration avec la Banque mondiale. À ce titre, les recom-
mandations de l’institution en matière de développement et de lutte contre
la pauvreté se sont considérablement enrichies, la Banque mondiale n’hé-
© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


sitant pas à utiliser dans ses rapports officiels les notions de capacités, de
fonctionnements ou de liberté. L’axe du développement par la liberté est à
ce titre celui sur lequel repose les programmes d’autonomisation de l’indi-
vidu (empowerment) et plus particulièrement des pauvres et des femmes.
Plus récemment, les travaux de l’économiste indien ont trouvé des échos
en France puisque Nicolas Sarkozy a confié à Amartya Sen ainsi qu’à
Joseph Stiglitz une mission portant sur l’élaboration d’indicateurs alter-
natifs du bien-être et de la pauvreté. Cette mission s’inscrit parfaitement Regards croisés sur l’économie n° 4 – 2008 © La Découverte

dans l’orientation de la carrière de Sen depuis quelques années. En effet,


après avoir servi la recherche – ce qu’il n’a d’ailleurs pas abandonné – Sen
a décider de rendre sa pensée accessible à tous, en écrivant des livres à l’at-
tention du grand public et en collaborant avec les institutions politiques.
Si l’approche proposée par Sen connaît aujourd’hui un succès incontes-
table, il n’en reste pas moins que certaines de ses limites sont difficilement
surmontables. En premier lieu, il est difficile de transposer empiriquement
la mesure des capacités et des libertés. En effet, la mesure des différents
états (les capabilités) que pourrait potentiellement atteindre un individu
est impossible, et même si de nombreux chercheurs tentent de surmonter
La pauvreté comme privation de capabilités 45

cet écueil en utilisant des modèles économétriques sophistiqués, les prin-


cipales applications se contentent régulièrement de mesurer la pauvreté
comme un défaut de fonctionnements, ce qui rapproche cette mesure de
celle des besoins de base. De même, d’autres débats font rage autour du
cadre conceptuel et de la façon de le rendre opérationnel : doit-on privilé-
gier une approche universelle, qui, par l’établissement d’une liste défini-
tive de capabilités, aurait comme conséquence d’uniformiser les valeurs
individuelles ? Ou, a contrario, doit-on privilégier une version relativiste,
au risque de proposer des mesures qui ne soient plus comparables dans
l’espace et dans le temps ?
C’est en trouvant des réponses claires à ces questions que les tenants
de l’approche par les capabilités seront en mesure de proposer un cadre
d’analyse alternatif réellement puissant à la mesure strictement moné-
taire de la pauvreté.
© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© La Découverte | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


Regards croisés sur l’économie n° 4 – 2008 © La Découverte

Vous aimerez peut-être aussi