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Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, 89—92

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ARTICLE ORIGINAL

Ataxie avec ophtalmoplégie : syndrome de


Miller-Fisher avec positivité des anticorps
anti-GQ1b
Ataxia with ophthalmoplegia: Miller-Fisher syndrome with
anti-GQ1b antibody positivity

L. Guilloton a,∗, C. Camarasa a, E. Agard b, G. Tondeur a,


C. Dot b, A. Drouet a

a
Service de neurologie, HIA Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69275 Lyon cedex 03, France
b
Service d’ophtalmologie, HIA Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69275 Lyon cedex 03,
France

Reçu le 23 février 2013 ; accepté le 17 mai 2013


Disponible sur Internet le 7 février 2014

MOTS CLÉS Résumé Le syndrome de Miller-Fisher associe une ophtalmoplégie avec une ataxie et une
Syndrome de aréflexie. Considéré comme une variante du syndrome de Guillain-Barré, il s’en différencie par
Miller-Fisher ; sa présentation clinique et par la positivité des anticorps anti-GQ1b. Les auteurs rapportent
Syndrome de l’observation d’un cas de syndrome de Miller-Fisher caractérisé par une ataxie et par une
Guillain-Barré ; ophtalmoplégie complète. Au travers de cet exemple, la variété des manifestations cliniques
Anticorps anti-GQ1b ; ophtalmologiques sont évoquées.
Électromyogramme © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary Miller-Fisher syndrome is defined as ophthalmoplegia, ataxia and areflexia. Consi-
Miller-Fisher dered as a variant of Guillain-Barré syndrome, it differs in its clinical presentation and by
syndrome; anti-GQ1b antibody positivity. The authors report a case of Miller-Fisher syndrome characterized
Guillain-Barré by ataxia and complete ophthalmoplegia. Through this example, the range of ophthalmologic
syndrome; clinical manifestations are discussed.
Anti-GQ1b © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
antibodies;
Electromyogram

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : lss.guilloton@wanadoo.fr (L. Guilloton).

0181-5512/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.05.026
90 L. Guilloton et al.

Introduction pneumoniae, Chlamydiae, Yersinia, fièvre Q, Haemophy-


lus influenzae). Hormis le dosage positif des AC anti-GQ1b,
Le syndrome de Miller-Fisher se définit, depuis sa description le bilan auto-immun revint négatif en dehors d’une éléva-
par Fisher en 1956, par l’association d’une ophtalmoplégie, tion, modérée et isolée, des anticorps antinucléaires à 16.
d’une aréflexie et d’une ataxie. Ce groupement syndro- L’évolution se fit vers une récupération spontanée laquelle
mique fut d’emblée rattaché à une variante du syndrome de s’amorça après 15 jours d’évolution ; il ne fut pas nécessaire
Guillain-Barré (SGB) [1], notamment en raison de l’atteinte de réaliser de traitement symptomatique, notamment de
visuelle et de l’abolition des réflexes ; toutefois, l’existence cure d’immunoglobulines ou d’échanges plasmatiques. La
d’une ataxie fait autant discuter une participation cen- patiente récupéra ainsi complètement 6 semaines après le
trale dans la physiopathologie de ce syndrome [2]. La début de sa maladie.
plainte fonctionnelle ophtalmologique est habituellement
au premier plan orientant le diagnostic, d’autant plus si
elle s’intègre dans cette triade syndromique. Dans certains Discussion
cas, l’ataxie peut être le symptôme majeur, comme nous
le rapportons au travers d’une observation. La reconnais- Le SMF est rare en Europe, de l’ordre de 0,04 à
sance d’une atteinte oculomotrice lors de l’examen clinique 0,18/100 000 habitants, représentant jusqu’à 6,6 % des cas
orienté permet ainsi d’orienter vers cette hypothèse syndro- de syndrome SGB [3]. Il serait plus fréquent dans l’est de
mique. l’Asie (Japon, Chine, Thaïlande. . .) affectant par exemple
jusqu’à 18 % des cas de SGB à Hong Kong [4]. Comme pour le
SGB, il fait suite le plus souvent à un épisode infectieux des
Observation voies aériennes supérieures ou gastro-intestinal, l’atteinte
infectieuse précédant l’épisode neurologique déficitaire de
Une patiente de 72 ans sans antécédent majeur en dehors 8 jours [1]. Les troubles neurologiques sont à leur maxi-
d’une hypertension artérielle traitée par périndopril et inda- mum, le plus souvent, entre le 5e et le 14e jour. L’ataxie est
pamide et d’une intolérance au glucose non traitée, se cérébelleuse, sans atteinte de la sensibilité proprioceptive ;
présenta aux urgences pour la survenue brutale d’un trouble des paresthésies distales peuvent parfois être rapportées.
de la marche décrit comme une instabilité. L’examen neu- L’altération des ROT appartient à la définition de ce syn-
rologique initial retrouva une ataxie à la marche avec drome : toutefois l’aréflexie n’est pas systématique, une
élargissement du polygone de sustentation et incoordination hyporéflexie pouvant être soulignée ; de même son ins-
motrice. À l’examen au lit, il existait un syndrome cérébel- tallation peut survenir dans un second temps comme ce
leux cinétique marqué par une dysmétrie à l’épreuve du fut le cas pour notre observation. Les signes ophtalmolo-
doigt—nez et du talon—genou. Il n’était pas retrouvé de giques sont généralement les premiers à apparaître même
déficit patent moteur ni d’atteinte de la sensibilité, tant s’ils peuvent ne pas être au premier plan comme pour
épicritique que protopathique. Les réflexes ostéotendineux notre observation. La paralysie oculomotrice est, au final,
(ROT) étaient préservés aux 4 membres. Il n’y avait pas diverse. Elle recouvre la classique ophtalmoplégie complète
de signe de Babinski. L’examen des paires crâniennes per- avec ou sans ptôsis, dans près de la 60 % des cas [1,3]. Le
mettait de découvrir une ophtalmoplégie complète, avec trouble oculomoteur peut ainsi être plus restreint, limité à
atteinte de la latéralité et de la verticalité mais sans un nerf oculomoteur, avec la description d’une ophtalmoplé-
atteinte de la musculature intrinsèque et sans ptôsis. Le gie interne ou externe, uni- ou bilatérale [1]. L’atteinte de
reste de l’examen clinique était normal. Un syndrome de la motilité intrinsèque est possible, semblant plus fréquente
Miller-Fisher fut fortement suspecté d’autant que l’imagerie au sein des populations asiatiques [5] avec la description de
par résonance magnétique cérébrale (IRM) était normale patients présentant une mydriase [6] ou encore une pupille
notamment sur les séquences de diffusion, écartant ainsi tonique [5]. Une paralysie de fonction, de type Parinaud a
l’hypothèse initialement discutée aux urgences d’un acci- aussi été rapportée tout comme une ophtalmoplégie inter-
dent vasculaire cérébrale. Cette hypothèse fut confortée nucléaire [7]. L’atteinte peut parfois se réduire à un trouble
par la disparition en 48 heures des ROT et par la positivité de divergence [8], à un nystagmus [7] ou encore à des
des anticorps anti-GQ1b (AC anti-GQ1b). La biologie usuelle mouvements de saccades palpébrales [9]. L’atteinte oph-
ainsi que le dosage de la TSH étaient normaux. L’étude talmologique peut aussi varier au fil du temps : soit au cours
du liquide céphalo-rachidien (LCR) montra une discrète d’un même épisode comme par exemple, la survenue d’une
dissociation albumino-cytologique (DAC) avec une protéi- mydriase aiguë bilatérale aréflexique à laquelle fait suite
norachie à 0,7 g/L sans hypoglycorachie et une absence une ophtalmoplégie complète [10] ; soit lors d’un nouvel
de cellules. Le liquide était stérile. L’électromyogramme épisode de SMF, des récurrences étant possibles : ainsi Riche
identifia des potentiels sensitifs d’amplitude globalement et al., en 1997 [11], décrivent le cas d’un patient lequel
diminuée, sans anomalie notable des vitesses de conduc- présenta successivement une ophtalmoplégie complète puis
tions sensitives. L’enquête étiologique infectieuse revint une ophtalmoplégie externe bilatérale. La triade sémio-
sans orientation de germes : les sérologies virales mon- logique définissant le SMF est souvent enrichie d’autres
trèrent un contage ancien pour le cytomégalovirus, le anomalies : une autre atteinte des nerfs crâniens notam-
virus d’Epstein-Barr et la rubéole et pour la toxoplas- ment du nerf facial est volontiers possible rapportée dans
mose. Les autres sérologies virales (Herpes virus 1 et 2, 30 à 50 % [1,3] ; ailleurs cela peut être une paralysie du
varicelle zona virus, VIH, hépatite A, B et C, grippe sai- glossopharyngé ou du nerf vague responsable de trouble de
sonnière) étaient négatives, tout comme les sérologies déglutition ou d’une dysphonie [12] ou encore une atteinte
bactériennes (Lyme, Campylobacter jejuni, Mycoplasma du grand hypoglosse dans 13 % [1]. L’association à une
Ataxie avec ophtalmoplégie : syndrome de Miller-Fisher 91

neuropathie optique est possible [13]. Un déficit moteur Berlit et Rackicky en 1992 [20]. Parallèlement, il est décrit
n’est pas retenu dans les formes habituelles de SMF ; tou- une évolution décroissante du taux des AC anti-GQ1b, avec
tefois, certaines observations ont pu rapporter un déficit une normalisation attendue en général dans les 2 mois qui
moteur proximal avec tétraparésie, lesquelles contribuent suivent le début des symptômes. Leur persistance pourrait
à discuter l’existence de telles formes frontières de SMF en revanche être annonciatrice d’une éventuelle rechute
avec les SGB [11]. Une association à une myasthénie est [11].
exceptionnellement décrite [14]. Ces mécanismes immunologiques permettent de valider
L’IRM est habituellement normale dans le SMF, per- l’intérêt dans ce syndrome des traitements immuno-
mettant de différencier habituellement ce syndrome des modulateurs avec en premier lieu des immunoglobulines
encéphalites de Bickerstaff ; toutefois, des anomalies de humaines polyvalentes ou encore les échanges plasma-
signal en séquences T2 localisées au tronc cérébral ont pu tiques. Il faut toutefois garder à l’esprit l’évolution
être décrites, dans le pont, au niveau du noyau du nerf habituellement bénigne de ce syndrome avec une régression
moteur oculaire commun, ou encore dans le pédoncule spontanée des troubles, qui pour notre observation aura per-
cérébelleux ces atteintes étant autant d’arguments pour ali- mis de surseoir à de telles thérapeutiques. Ces traitements
menter la discussion d’une origine neurologique centrale de doivent être réservés aux formes sévères avec déficit moteur
ce syndrome [7]. L’EMG est normal ou peut montrer une ou atteinte bulbaire [11].
neuropathie sensitive, en identifiant en stimulo-détection
une baisse des amplitudes des potentiels d’action sensi-
tifs sans atteinte de la vitesse [11]. L’étude du LCR montre Déclaration d’intérêts
fréquemment une DAC, sans réaction cellulaire, une pléïo-
cytose étant rapportée chez 4 % des patients [15]. Les Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en
agents infectieux retrouvés sont semblables à ceux mis en relation avec cet article.
cause dans le SGB avec des infections virales (cytoméga-
lovirus, Epstein-Barr virus ; varicelle-zona, VIH, hépatites,
oreillons), des infections bactériennes (M. pneumoniae, Références
fièvre Q, H. influenzae, Pasteurella, Helicobacter pylori) ou
même des infections mycosiques, dans le cadre d’une asper- [1] Lo YL. Clinical and immunological spectrum of the Miller-Fisher
gillose [1,16] ; des cas liés avec le virus grippal H1N1 ont syndrome. Muscle Nerve 2007;36:615—27.
été récemment rapportés [17] incitant réaliser systéma- [2] Battaglia F, Attane F, Robinson A, Martini L, Siboni J, Tannier C.
tiquement cette sérologie, ce qui ne fut pas le cas de Syndrome de Miller-Fisher récidivant. Rev Neurol 2005;161:8—9
notre patiente. Outre les signes d’examen clinique et les [844—7].
données biologiques, au travers du résultat de l’étude du [3] Aranyi Z, Kovacs T, Sipos I, Bereczki D. Miller-Fisher syndrome:
LCR, l’intérêt de la positivité pour les AC anti-GQ1b dans brief overview and update with a focus on electrophysiological
la démarche diagnostique est désormais bien reconnu. De findings. Eur J Neurol 2012;19:15—20.
[4] Yuan CL, Wang YJ, Tsai CP. Miller-Fisher syndrome: a hospital-
découverte récente, ces anticorps sont devenus de véri-
based retrospective study. Eur Neurol 2000;44:79—85.
tables marqueurs immunologiques avec un intérêt dans le [5] Fross RD, Daube JR. Neuropathy in the Miller-Fisher syn-
diagnostic du SMF. En effet, ils sont retrouvés chez 89 % drome: clinical and electrophysiologic findings. Neurology
des patients et offrent une spécificité pour les patients 1987;37:1493—8.
présentant une ataxie et/ou une ophtalmoplégie [1]. Cer- [6] Fleury V, Aqallal A, Lagrange E, Besson G, Caudie C. Acute
tains auteurs ont ainsi avancé l’hypothèse d’un syndrome bilateral mydriasis associated with anti-GQ1b antibody. J Clin
des AC anti-GQ1b, lequel recouvrirait non seulement le Neurosci 2010;17:515—7.
SMF mais aussi l’encéphalite de Bickerstaff ou encore [7] Najim Al Din S, Anerson M, Olofsson E, Trontelj TV.
l’ophtalmoplégie aiguë isolée [18]. La positivité pour ces Neuro-ophtalmic manifestations of the syndrome of ophtal-
anticorps permet en outre de différencier le SMF du SGB, moplegia, ataxia and areflexia: a review. Acta Neurol Scand
1994;89:157—63.
puisque ces anticorps ne sont pas retrouvés pour le SGB
[8] Oguro H, Yamaguchi S, Abe S, Bokura H, Kobayashi S. Acute
sans ophtalmoplégie [11]. Sur le plan physiopathologique, divergence paralysis in the Miller-Fisher syndrome. Rinsho Shin-
ces anticorps sont liés à l’ophtalmoplégie avec un immuno- keigaku 2005;45:524—6.
marquage, in vitro, qui retrouve ce ganglioside au niveau [9] Abdul-Rahman AM, Raj R. Eyelid nystagmus in Miller-Fisher syn-
des noyaux et des nerfs oculomoteurs. Kornberg et al. en drome. Br J Ophthalmol 2008;92:1576.
1996 [19] ont de plus souligné qu’il existait une fixation [10] Carracavale A, Mignemi L. Acute onset of a bilateral
préférentielle de ces AC anti-GQ1b sur le cervelet, auto- areflexia mydriasis in Miller-Fisher syndrome: a rare neuro-
risant à expliquer, de cette manière, la survenue de l’ataxie ophtalmologic disease. J Neuroophalmol 2000;20:61—2.
dans ce syndrome. La fréquence du SMF secondaire à une [11] Riche G, Caudie C, Vial C, Bourrat C. Syndrome de Miller-Fisher
infection à C. jejuni peut aussi être expliquée par le fait à rechutes et anticorps GQ1b. Rev Med Interne 1998;19:192—5.
[12] Laplatte G, Bouterra C, Itani A, Kuteifan’ K, Gutbub AM.
qu’il existe ; à la surface de cette bactérie, un épitope liant
Syndrome de Miller-Fischer, anticorps anti-GQ lb et Cam-
les AC anti-GQ1b de classe IgG. Ces anticorps ainsi pro- pylobactejre juni : à l’occasion d’une observation. Reanim
duits lors de l’infection à C. jejuni, entraîneraient ainsi, Urgences 2000;9:224—6.
par réaction croisée, une souffrance neurologique par mimé- [13] Colding-Jorgensen E, Vissing J. Visual impairment in anti-
tisme moléculaire [1]. L’évolution du SMF est en général GQ1b positive Miller-Fisher syndrome. Acta Neurol Scand
monofocal avec une atteinte aiguë et isolée et une récupé- 2001;103:259—60.
ration clinique dans les 10 semaines. Seuls 4 % de décès sont [14] Mak W, Chan KH, Ho SL. A case of ocular myasthenia gravis and
décrits parmi les 223 premiers cas lesquels ont été repris par Miller-Fisher syndrome. Hosp Med 2005;66:116—7.
92 L. Guilloton et al.

[15] Yuki N. Fisher syndrome and Bickerstaff brainstem encephalitis [18] Hamaguchi T, Yamaguchi K, Komai K, Yamada M, Yokoji H,
(Fisher—Bickerstaff syndrome). J Neuroimmune 2009;215:1—9. Satake R, et al. Recurrent anti-GQ1b IgG antibody syndrome
[16] Caudie C, Quittard Pinon A, Taravel D, Sivadon-Tardy V, showing different phenotypes in different periods. J Neurol
Orlikowski D, Rozenberg F, et al. Preceding infections and Neurosurg Psychiatry 2003;74:1350.
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2011;258:1958—64. serum IgG. In Miller-Fisher and related syndromes. Neurologv
[17] Soulillou A, Larabi K, Lucchini-Lecomte MJ, Fanton Y, Tafani 1996;47:1317—20.
B. Syndrome de Miller-Fisher et Influenza A. Rev Neurol [20] Berlit F, Rackicky J. The Miller-Fisher syndrome. Review of the
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