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Le principe de primauté

Le 7 octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais a contesté la compétence de la Cour de


justice de l'Union européen (CJUE) et le principe de la primauté du droit de l’Union, au motif que ses
décisions ou certaines dispositions des traités étaient contraires à la Constitution de la République de
Pologne. Cet arrêt est entré en vigueur en Pologne le 12 octobre 2021. Ce fait d’actualité pose la
question de la place des traités dans la hiérarchie des normes.

Le principe de primauté signifie que le droit de l'Union prévaut sur les droits nationaux des États
membres. Il bénéficie à toutes les normes de droit européen disposant d'une force obligatoire et
s'exerce à l'égard de toutes les normes nationales. En principe, tous les actes nationaux sont soumis à ce
principe, quelle que soit leur nature (constitution, loi, règlement, arrêté, etc.) et que ces textes aient été
émis par le pouvoir exécutif ou législatif de l’État membre. Mais en réalité, le principe de primauté se
heurte au principe de souveraineté des États et son application en droit interne a longtemps fait l’objet
d’un débat sur la compétence du juge national. En France selon l’article 55 de la Constitution du 4
octobre 1958, les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois. Dans l’ordre juridique interne
on considère toutefois qu’ils sont inférieurs à la Constitution. Cette supériorité du bloc de
constitutionnalité dans la hiérarchie des normes, déjà théorisée par Hans Kelsen, a d’ailleurs été
confirmée par la jurisprudence dans divers arrêts : notamment celui du Conseil d’Etat Sarran et Levacher
de 1998 et ou encore par une décision Chartes des langues régionales du Conseil constitutionnel en
1999. Toutefois, les juridictions internationales prônent toujours la primauté du droit de l’Union (arrêt
Costa/ Enel de 1964 et l’arrêt Simmenthal de 1978). Cet ordonnancement juridique rend nécessaire de
s’assurer que les normes inférieures aux traités, les lois et actes administratifs soient conformes aux
traités, sans quoi la hiérarchie des normes ne serait pas respectée. Ainsi, il convient de se demander
dans quelle mesure le principe de primauté du droit de l’Union est absolu ?

Si l’absolutisme de ce principe génère des contestations (I), des compromis et solutions ont été
trouvées afin d’assurer sa mise en œuvre par un contrôle de conventionnalité (II).

I. L’absolutisme contesté du principe de primauté


A. Le principe de primauté et le principe d’effet direct
1. L’émergence du principe de primauté

Le principe de primauté n’a pas été institué par les traités de l’Union : il s’agit bien d’une création
prétorienne. Après l’arrêt Costa c/ E.N.E.L. de la Cour de justice daté de 1964, aux termes duquel elle a,
pour la première fois, estimé que « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la
communauté économique européenne a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique
des États membres lors de l’entrée en vigueur du Traité et qui s’impose à leurs juridictions. » La
conséquence de cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de
source communautaire est l’impossibilité pour les États membres de faire prévaloir une mesure
nationale contre une provision issue de l’ordre juridique, car celui-ci a été accepté sur la base de la
réciprocité.

2. Le principe d’effet direct

Ce principe de primauté peut être rapproché du principe de l’effet direct du droit


communautaire, consacré par l’arrêt Van Gend en Loos en 1963. Tous deux ont vu le jour quasiment au
même moment et sont des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne. L'arrêt
Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970 a d’ailleurs confirmé que la primauté s'exerçait
même à l'égard des règles constitutionnelles des États membres. Sans ces deux principes, l’ordre
juridique européen et l’efficacité de son droit n’auraient pas pu se développer. En effet, le droit
communautaire ne peut pas être simplement écarté ou ignoré lorsque celui-ci entre en contradiction
avec leurs règles nationales, comme on peut parfois le constater avec les règles de droit international
classique.

B. L’absolutisme du principe de primauté contesté par les cours constitutionnelles


nationales
1. La mise en application du principe de primauté

À la suite de ces arrêts fondateurs, la Cour de justice a construit toute une ligne jurisprudentielle
ayant permis d’affirmer et d’affiner les contours du principe de primauté. Qu’elle se soit prononcée sur
les règles de droit primaire (traités) ou de droit dérivé, la Cour de justice n’a eu de cesse de répéter aux
États membres, et à leurs plus hautes juridictions, que le droit de l’Union prime le droit national, quelles
qu’en soient les conséquences. En principe, rien ne laissait présager que les États membres puissent
estimer que la reconnaissance de la primauté du droit de l’Union sur leur droit national puisse être
laissée à leur discrétion.

2. La résistance des états membres face au principe de primauté

L’absolutisme désiré du principe de primauté du droit de l’Union a été déjoué par des velléités
nationales de souveraineté juridique. Ainsi, les cours constitutionnelles des États membres n’ont pas
manqué de rappeler leurs identités constitutionnelles nationales : comme ce fut le cas notamment dans
les arrêts “Solange I et II” d’une cour constitutionnelle fédérale allemande. Ces arrêts, datant du 29 mai
1974 et du 22 octobre 1986, ont affirmé que “ la primauté du droit communautaire trouvait sa source
dans la loi fondamentale, et donc sa limite dans l’identité constitutionnelle » de l'Allemagne, et si la Cour
de Karlsruhe renonçait en pratique à exercer un contrôle sur le respect des droits fondamentaux, c'était
parce que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg rendait ce contrôle inutile, non parce qu'elle le
rendait impossible. La Cour de Karlsruhe n'a donc jamais suivi la cour de justice de la communauté
européenne dans l'affirmation d'une primauté inconditionnelle du droit communautaire, tout en
considérant que cette divergence sur les principes ne pouvait normalement pas se traduire par un conflit
de jurisprudences. Pour répondre à cela, la cour de justice a introduit les “principes généraux du droit”
qui protègent les droits fondamentaux en droit communautaire en s’inspirant soit des traditions
constitutionnelles communes aux états membres, soit des traités internationaux de protection des droits
de l'homme ratifiés par les Etats membres de de l’Union. Ainsi, ces principes se basent notamment sur la
convention européenne des droits de l’Homme notamment et surtout basés sur la CEDH. Ces
mouvements de résistance et de compromis témoignent du non-absolutisme du principe de primauté.
Toujours dans le but de concilier les intérêts nationaux et communautaires, un mécanisme de contrôle
de conventionnalité s’est étoffé.

II. L’adaptation du principe de primauté par le contrôle de conventionnalité

A. L’exercice du contrôle de conventionnalité

1. Le contrôle par voie d’action


Afin de s’assurer de la compatibilité entre le droit interne et le droit communautaire, et
éventuellement mettre en balance le principe de primauté avec celui de respect des principes
constitutionnels fondamentaux des États membres de l’union européenne, un mécanisme de contrôle de
conventionnalité a vu le jour. Celui-ci concerne les lois et actes administratifs nationaux, et s’assure qu’ils
soient conformes aux traités. La difficulté réside dans le fait que bien souvent, bien que la constitution
affirme la primauté des conventions sur la loi, elle ne donne pas nécessairement les outils nécessaires à
sa concrétisation. En France, plusieurs systèmes ont été envisagés afin de réaliser ce contrôle. Le premier
système permet un contrôle par voie d’action par le Conseil constitutionnel. Une loi violant une
convention internationale viole indirectement la Constitution car elle ne respecte par l’article 55
imposant la primauté des conventions, le Conseil pourrait donc la censurer. Le juge administratif quant à
lui censurerait les actes administratifs contraires à la convention internationale.

2. L’externalisation du contrôle

Dans un deuxième système, ce contrôle peut se voir externalisé. Ainsi, il serait confié à des
juridictions internationales. En effet la France peut être condamnée par la cour de justice de l’union ou la
cour européenne des droits de l’homme sous certaines conditions car son droit national (lois ou actes
administratifs) viole la convention européenne des droits de l’homme ou le droit de l’UE. Ainsi il
reviendrait au législateur ou au pouvoir réglementaire de tirer les conséquences de ce constat et de
retirer la norme. Cela pose trois difficultés : le contrôle ne se fait qu’à l’égard de la convention
européenne des droits de l’Homme et du droit de l’Union ; il est nécessaire d’attendre une
condamnation de la France ; enfin les justiciables sont tributaires d’une réaction du législateur et de
l’exécutif qui par attentisme pourraient laisser la norme se maintenir malgré son inconventionnalité.
C’est pourquoi la troisième manière de réaliser le contrôle de conventionnalité est celle qui est retenue.

3. Le contrôle par voie d’exception

Le système par voie d’exception devant un juge administratif ou judiciaire. A l’occasion d’un
litige, le juge constate qu’une loi est contraire à une convention internationale, il ne peut certes pas
l’annuler en raison du monopole du conseil constitutionnel et de son office limité mais il peut l’écarter
dans l’instance en cours. Le juge administratif reste compétent du reste pour annuler les actes
administratifs contraires aux conventions internationales. Ce système de contrôle présente des
avantages certains. Le juge judiciaire l’a employé avant le juge administratif, car ce dernier voyait son
office limité par la hiérarchie des normes.

B. Les évolutions prétoriennes du contrôle de conventionnalité

1. L’office du juge administratif et l’office du juge judiciaire

Le juge judiciaire s’est déclaré compétent en matière de contrôle de conventionnalité avant le


juge administratif, car ce dernier voyait son office limité par la hiérarchie des normes. En effet, de
nombreux d’actes administratifs ne sont pas autonomes, mais mis en application d’une loi. Or la loi a une
valeur supérieure aux actes administratifs mais inférieure aux traités (article 55 de la Constitution). Ce
problème de “loi-écran” a été mis en lumière dans un arrêt Arrighi du Conseil d’Etat de 1936, dans lequel
le juge administratif ne pouvait que contrôler la légalité de l’acte au regard de la loi, et non de la norme
communautaire. Dans un arrêt CE Syndicat général des fabricants de semoules de France 1968, le juge
administratif refuse de contrôler la conventionnalité des lois : une position partagée par le conseil
constitutionnel dans la décision IVG de 1975. Le conseil prônait alors une interprétation stricte des
compétences qui lui sont conférées à l’article 61 de la Constitution, et affirmait sa volonté de ne pas
incorporer les conventions internationales dans le bloc de constitutionnalité. C’est dans ce contexte que
le juge judiciaire se déclara finalement compétent à effectuer un contrôle de conventionnalité des lois
(arrêt de la Cour de cassation Société des cafés Jacques Vabre 1975). Pour que le Conseil d’Etat fasse de
même, il faudra attendre l’arrêt Nicolo 20 octobre 1989.

2. Les difficultés posées par la transposition des directives européennes

L'exercice du contrôle de conventionnalité en matière de transposition des directives


européennes a également généré un contentieux important. D’abord, le droit de l’Union distingue
différents types d’actes juridiques : les règlements, qui s’appliquent directement dans tous les Etats
membres et ont valeur de traité, et les directives. Ces dernières s’associent plus difficilement au principe
de primauté du droit de l’Union, car les Etats disposent d’une marge d’appréciation dans la transposition
de ces dernières au sein du droit national. Elles sont donc d’effet indirect. Les directives doivent être
transposées par une loi ou un décret dans un délai déterminé. Mais que faire si un État ne transpose pas
une directive européenne dans les délais fixés ? Un requérant peut-il s’en prévaloir ? La cour de justice
des communautés européennes a répondu à cette question dans un arrêt Van Duyn de 1974 : un
requérant peut s’en prévaloir contre les pouvoirs publics, en revanche les pouvoirs publics ne peuvent
pas s’en prévaloir contre l’individu. Toutefois dans l’arrêt Cohn-Bendit de 1978, le Conseil d’Etat refuse
de donner un effet direct aux directives non transposées (elles s’adressent aux Etats et pas aux
particuliers). En prenant cette position, la cour suprême administrative risquait une condamnation par la
nouvellement nommée Cour de justice de l’Union européenne. Elle a donc opéré un revirement de
jurisprudence en 2009 dans un arrêt Mme Perreux, octroyant l’effet direct au directives non transposées.

Conclusion

Avec un principe de primauté absolu, l’ordre juridique européen aurait été plus clair et lisible,
mais l’indépendance des états membres de cette confédération sui generis s’en serait trouvée
malmenée. Ainsi, les solutions jurisprudentielles et le contrôle de conventionnalité apparaissent
adéquats afin de préserver l’équilibre au sein de la hiérarchie des normes et de l’ordre juridique
européen.

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