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Jean-Luc Marion, cours sur Etre et Temps de Heidegger

Sorbonne, Paris IV

5 octobre 2005

On étudie Heidegger car il est au programme, parce qu’il est enseigné dans le secondaire et parce qu’il a
révolutionné la philosophie. Deux philosophes ont révolutionné la philosophie : Wittgenstein et Heidegger.
Une remarque sur les problèmes que cet auteur peut soulever. Je m’en tiens à Lévinas, dans Entre nous
(Grasset, p. 134 et p. 255) ; Lévinas avait dit souvent que Heidegger est le plus grand philosophe du texte, qu’il a
été nazi, ce sont deux faits indéniables. C’est un assez fidèle reflet du siècle, le siècle du nihilisme. Il faut ajouter
deux remarques : du point de vue des livres que vous pouvez lire, Hugo Ott, Eléments pour une biographie ;
vous pouvez lire aussi la traduction des textes politiques faite par Fédier, Ecrits politiques chez Gallimard, 1995.
Sur ce sujet encore des tentatives de réflexion spéculative intéressantes, et le volume XVI des discours de la
période 33-34, période du Rectorat.
Quelques indications sur les livres qu vous pouvez lire pour préparer cette étude : SZ avril 27, PF
semestre d’été 1927, CF cours de 29-30. Sur la bibliographie, introduction générale à Heidegger, c’est le livre de
Otto Pöggeler, qui est un livre de 63, Chemins de pensée de Heidegger, c’est un livre qui a beaucoup structuré la
réception de Heidegger dans les années 60. Sinon, il y a aussi le livre de Jean Greisch. Les interprètes
canoniques, Beaufret, Dialogues avec Heidegger, t. III ; plus récemment, Courtine, Franck (Heidegger et le
problème de l’espace). Cf. aussi le Cahier de l’Herne consacré à Heidegger en 83, avec la traduction de juillet 29
sur Qu’est-ce que la métaphysique ? qui est excellente et qu’il faut connaître par cœur. Il y a aussi le Janicaud,
Heidegger en France, 2001. Il y a quelques recueils qui ne sont pas inutiles, Janicaud à Sud en 89, Etre et temps
de martin Heidegger, Questions de méthode et voies de recherche, c’est bien ; il y a aussi Courtine De
l’herméneutique de la facticité à l’analytique du Dasein. Ou Kearney, Heidegger et la question de Dieu. Sur le
détail de la genèse de SZ, il y a Kisiel et tous ses travaux.
Un peu de chronologie ne messied point. Les textes que vous avez au programme sont des textes de
l’hiver 27 et de l’hiver 29-30. C’est très judicieux, car SZ est l’œuvre majeure de Heidegger, et il en a toujours
convenu ; son dernier texte, prononcé en 72, Temps et Etre. Au § 8 de SZ, Heidegger donne le plan de tout le
livre : la deuxième partie n’a pas été écrite, mais on en trouve des traces dans les cours. Revenons à la première
partie, elle-même découpée en trois sections ; la dernière partie porte comme titre « Temps et Etre ». Or il est
capital de comprendre que l’un des tous derniers textes reprend le titre de la dernière section manquante.
Nous nous arrêtons en 1930 ; nous n’avons pas à prendre parti sur le rapport entre 30 et 33-34 ; peut-
être car des décisions théoriques ont été prises. Mais pour comprendre SZ nous allons faire abstraction de tout
l’itinéraire de Heidegger. Il naît en 89, en Bavière, dans le pays de Bade, 1903-09 : fait son lycée à Constance et
Freibourg ; il entre à l’Université de Freibourg pour faire de la théologie, puis passe à la philosophie de 11 à 14 ;
dès 13, il soutient son doctorat, à 24 ans et deux ans après il passe son habilitation avec Rickert ; il devient
l’assistant de Husserl à Freibourg. Il se marie en 17, et reprend son poste en hiver 19 ; il fait son premier cours
(cours non traduit) ; en 22, à 33 ans, il est nommé professeur à Marburg, grande université à l’Est de Freibourg,
où était le mouvement de retour à Kant, avec Cassirer, Natorp, Cohen. Il y va déconstruire l’interprétation néo-
kantienne de Kant (la Critique de la raison pure est une doctrine de la science, et non métaphysique ni
transcendantale) ; il va montrer que la CRP est l’esquisse d’une analytique du Dasein, à l’endroit même où on dit
le contraire. Ici les choses s’accélèrent ; en 24 il fait une conférence sur le concept de temps, qui est décisive car
il a déjà alors la doctrine de SZ ; en 26, il finit SZ et choisit pour le finir la date de naissance de Husserl (8 avril) ;
il sort dans les Annales de phénoménologie et de recherche phénoménologique, que dirige Husserl. Il y a donc
entre Husserl et Heidegger une parenté institutionnelle ; il va mettre la dernière main aux leçons sur la
conscience intime du temps de Husserl. La communauté de pensée entre Heidegger et Husserl est réelle et très
étroite. En 29 : il est appelé à revenir à Freibourg comme le successeur de Husserl, il reçoit une habilitation à
prendre la chaire de Berlin, qu’il refuse, et juste avant de quitter Marbourg, il y a le débat de Davos, entre
Cassirer et Heidegger, auquel assiste Lévinas. Autre événement important, c’est le discours du 27 juillet 29
intitulé : « Qu’est-ce que la métaphysique ? » : reprise de l’analyse de l’angoisse des paragraphes 40 de SZ,
analyse plus claire et meilleure. Enfin tout s’achève avec Kant et le problème de la métaphysique qui insiste sur
la finitude du Dasein. En 33 il est nommé recteur de l’université, il le restera 11 mois ; il prend sa carte qu’il aura
en 45. En 45, il est interdit d’enseigner par les français, puis en 51 fait des séminaires surnuméraires. En 45 il
rencontre Beaufret et Char, et devient un auteur de gauche en France.
Nous nous intéressons à la première partie, et c’est déjà beaucoup. Je propose de prendre comme
principe de lecture : vous avez déjà lu les trois textes déjà au programme, et nous faisons une deuxième lecture.
Je vous donne le plan du cours pour que vous puissiez lire les textes :
11/10 (aujourd’hui) : les quatre premiers paragraphes ;

1
18 : 4-5
25 : 7 à lui tout seul
8/11 : 9-11 (l’analyse formelle des caractéristiques formelles du Dasein)
15 : 12-14 et la deuxième partie des Problèmes fondamentaux.
22 : 15-18 sur le Vorhanden (l’objet sous la forme de l’ousia), le Zuhanden.(+cours de l’été 29, 1 re partie
des Problèmes fondamentaux).
6/12 : 26-27 le on et la question d’autrui.
13/12 : 29 sqq. sur la Stimmung (première section des problèmes fondamentaux, avec le problème de la
tonalité fondamentale : ennui, ou angoisse ?)
3/ 1 : l’angoisse et l’ennui
10 : 43, la réalité du monde
17 : 44 la définition de la vérité.

Je vais donner des indications sur les deux premiers paragraphes. Je m’en tiens à l’essentiel. La question
de l’être est énigmatique pour une raison radicale, car on peut y répondre beaucoup trop bien : § 1 : la question
de l’être est close parce qu’elle n’a pas besoin d’avoir de solution, car il n’y a pas de question ; et § 2 : il faut
rouvrir la question : « la question de l’être doit être construite », élaborée. Pourquoi ? Car, c’est la conclusion du
§ 1, cette question elle-même est obscure et dépourvue d’orientation. Pourquoi n’a-t-elle pas de sens, de
direction ? Il ne suffit pas d’invoquer le mot de métaphysique pour que la question de l’étantité soit posée. Pour
Platon, c’était l’objet d’une bataille de géants et non d’un consensus de nains. Donc Wust tombe à côté.
Heidegger utilise l’expression versaümnis, qui veut dire manquer, que Heidegger utilise souvent § 6 ; dans un
cours, Prolégomènes à une histoire du concept de temps, il reprend § 12-13 ce manquement citant le Sophiste
plus à loisir. A quoi tient la dérobade ? A des préjugés : répondre à une question sérieuse en racontant des
histoires. La philosophie a tendance à se raconter des histoires, sous le dehors de la prétention scientifique. Le
mythe, ici, c’est le concept d’être lui-même, la définition du concept d’étant par la métaphysique, laquelle dit
Sein, alors qu’elle devrait dire Seindes. La métaphysique, quand on lui pose la question de l’être, répond : l’être
est un étant. C’est pourquoi la question qu’est-ce que l’être a du sens pour la métaphysique : l’être n’apparaît
qu’une seule fois dans la question. La métaphysique ne parle pas de l’être, mais de l’étant et éventuellement de
sa manière d’être. Le concept métaphysique d’étant (conceptus entis, Duns Scot, Suarez, puis Clauberg) a des
caractéristiques :
1/ Il est le plus universel : Aristote, Métaphysique B 4 ; puis Duns Scot ; Suarez DM I, I, 27 ; Aristote
Métaphysique B 3 : l’étant n’est pas un genre, et il n’y a pas de science de l’étant ; toutes les caractéristiques de
to on sont liées à ces caractères supérieurement universels. Il y a une pluralité des quatre sens de l’étant, il est
donc le plus commun : le concept d’étant se définit par l’absence de définition ; c’est un transcendans ; et c’est
pourquoi
2/ Le concept n’est pas définissable (cf. De l’esprit de géométrie, ou Entretien avec Monsieur de Sacy) :
c’est parce qu’il est le plus général, qu’on ne peut le définir ; son extension est maximale, donc sa
compréhension nulle. C’est la force de ce concept : il n’exclut rien car il ne comprend rien, cf. Clauberg,
Ontosophia : l’objet de l’ontologia, ce n’est pas la substance car si on se concentre sur la substance on doit
laisser en dehors du domaine de l’étant les accidents ; il faut introduire l’accident, et on prend alors comme
détermination la chose (res), mais on laisse de côté tout ce qui n’est pas réel, mais on laisse de côté les êtres de
raison (l’ensemble du champ théorique, les idéalités mathématiques, logiques) ; c’est pourquoi on dira que le
cogitabile est le concept qui ne fait aucune exception (§ 6-9 de l’Ontosophia). Il a le privilège de sa définition,
car
3/ Par définition il va de soi, il n’a pas de définition : la pensée pense toujours du cogitable, le néant se
cogitant comme le reste. Donc n’ayant aucune définition ni limite, il est toujours utilisable, précisément parce
qu’il n’a pas de contenu et de définition. Le paradoxe, Heidegger ne le dit pas, est que le concept d’étant porte
sur tout sauf sur ce que l’on veut dire quand on dit être. L’ontologie, c’est la science du pensable, de l’être et
du non-être ; l’objet peut n’être pas et rester pensable. L’ontologie porte toujours sur des objets, porte sur ce
qui n’a pas besoin d’être pour rester pensé. Alors c’est le néant ? oui, c’est-ce que dit Heidegger, et que disait
déjà Hegel, dans la Logique : l’être immédiat indéterminé n’est ni plus ni moins que néant. Qu’est-ce qu’on
de commun l’étant (l’être) et le néant, c’est de n’avoir aucun contenu. L’être et le néant coïncident : ce n’est
pas une critique de la métaphysique, c’est-ce que la métaphysique dit. C’est pourquoi, dit Heidegger, la
question de l’être est donc fermée : il n’y a rien à voir, il n’y a pas de question ! Si on est raisonnable, c'est-à-dire
métaphysique, on pense que la question de l’être ne se pose pas, qu’il n’y a pas de problème.

13 octobre 2005 (cours manqué, récupéré à partir de X)

Reprenons la réflexion sur la question (de l’être, bien évidemment). Les déterminations mêmes données à la

2
question sur l’être, qui n’est pas distinguée de la question de l’étant, apparaissent en opposition avec le caractère
aporétique de ce concept. L’équivalence logique du concept d’être et de néant en est le signe. Cette énigme du
concept dont l’évidence se trouve dans le concept se trouve au cœur de la question. Cf. Texte de Russel, non cité
par Heidegger, daté de 63, n°8, Revue de Philosophie, année 85 : « Le mot être est ambigu : le sens où il affirme
l’être ». C’est qu’on peut en distinguer plusieurs :

Le sens de l’identité.
Le sens de la prédication.
Le sens de : « A est un non-homme ».
Et des sens moins habituels, comme la relation d’insertion.

Dans cette façon de poser la question d’être, on ne sait si l’on parle du sens verbal ou du sens nominal.
Lorsqu’on pose la question de l’être, il est question de l’étant et non du verbe. Ceci vérifie à travers les
siècles la célèbre ouverture d’Aristote, dans la Métaphysique : « Ce qui a toujours été recherché, autrefois et
maintenant, est ce qui a toujours été manqué : ti to on, quoi l’étant. Ce qui est le même que : qu’est-ce que
l’étance ? Il faut répéter une question précisément parce que la question n’a pas été posée.
L’obstacle, c’est le discours de la philosophie sur le concept d’étant. Il s’agit de dégager les préjugés : invoquer
l’évidence, toutefois notre énumération des préjugés a montré que la question est obscure et qu’elle mérite
répétition ; il faut réélaborer la position de la question, construire la question. Le propre du concept d’étant
tient à sa platitude, au fait que c’est une question sans profondeur, au point que le concept de l’étant
équivaut au concept, au concevable. Ce qui fait défaut au concept d’être, ce n’est pas l’être lui-même, c’est
la question. Pour la rendre sensée à nouveau, 4, 35 : « erst eimal zu reichten », fin des Prolégomènes à la
définition du concept de temps.
Il faut traverser la platitude de la question.
Rechercher, construire, supposent que l’on mette en rapport, das Gefragt, ce qui est demandé, das Befragte, ce
qui est interrogé et das Erfragte, ce qu’on cherche. Tout questionner est un chercher-connaissant de l’étant en
son « être que » et « être ainsi ». Le chercher peut devenir recherche en tant que détermination qui libère de ce
qui est recherché.
A toute question, il faut un questionné : il y a celui qu’on interroge, celui qui est soumis à la question, celui qui
est ébloui pour qu’il réponde. Je demande au suspect de répondre à une question, mais ce que je veux savoir
n’est pas nécessairement ce que je lui demande. Il y a la question et ce sur quoi se focalise la question, ce qu’on
veut savoir, das Efragte.
N’y a-t-il pas de cercle dans la preuve ? L’interrogé suppose une enquête, et celle-ci suppose déjà
précompréhension de l’affaire. C’est elle qui permet la sélection du qui est demandé. Aucune enquête n’est
neutre. Le but est obscur cependant. Tout est déterminé par la condition de détermination de ce qu’on ne connaît
pas. Ce sur quoi tout repose, c’est ce qu’on ne comprend / sait pas. Il y a un cercle herméneutique indiscutable.
Je suis à la fois en mouvement et c’est par la pré-définiton de cela même que j’ignore que je peux gérer ce qui
m’est présenté.

Mais comment peut-on appliquer ceci à la question de l’être ?

La difficulté, c’est que, dit Heidegger, page 6, la philosophie ne doit pas raconter d’histoires : keine Geschichte
Ertzellen. Mais la philosophie ne doit pas raconter des histoires, des histoires à propos de ce qui arrive, mais
donner une connaissance de ce qui est et à partir de ce qui est, le raconté.
C’est poser : das Sein des Seinendes ist nicht ein Seinendes. L’être de l’étant n’est pas lui-même un étant.

Preuves à l’appui :

§7, page 35 de Sein und Zeit, : « le sens de l’être n’est pas tel ou tel étant, mais il est l’être de l’étant. L’être ne
peut être éclairé à partir de l’étant », page 207 ; § 47. dans la Phénoménologie, tome 28 : « effectivité,
essence, ce n’est rien d’effectif. Ce que Kant veut au fond dire, c’est Sein ist nicht Seiendes ». §10, page 109 :
« cet être lui-même n’est rien d’étant ».
Il ne faut donc pas confondre l’Etre et l’étant. Le Gefragt, celui que l’on interroge, c’est un étant. Das
Gefragt, ce qui est demandé, c’est son Etre, mais ce qu’on veut savoir, c’est le sens d’Etre lui-même.
Au § 40, page 182 : « L’angoisse donne à titre de possibilité d’être du Dasein, l’être du Dasein, d’un seul coup
avec lui, in eins in dem in hier, dans le Dasein ouvert, le Befragt, le sol phénoménal pour une saisie explicite de
la totalité d’être du Dasein. Il y a donc le Dasein ouvert, le Befragt qui fait signe vers la possibilité d’être du
Dasein.
§56 : Das Gerede, dans Beredete, celui dont on bavarde, et le néant, ce qui se révèle dans l’appel de la
conscience à ce moment.

3
§16, Prolégomènes à la définition du temps.

Entre Befragt, et das Gefragt, quelle différence ?

Dès §2, Heidegger parle d’une différence : l’être de l’étant n’est pas lui–même un étant. L’être comme
questionné requiert un mode propre de dévoilement. L’être comme ce que l’on demande se distingue, sich
unterscheidet, essentiellement du découvrement de l’étant. Ceci veut dire que l’être découvert, accessible,
endeckt sein, n’est pas du tout la même chose que le s’ouvrir et le se manifester, que le mode de manifestation
de l’être. L’être ne s’offre pas à l’accès de la même manière.
La différence ontologique n’est certes pas déjà dressée, mais pointe.
Fin de § 44 : « l’être de la vérité se tient dans une connexion originaire avec le Dasein. Il n’y a, es gibt, d’être,
qu’autant que la vérité est, être et vérité sont co-originairement, si tant est qu’ils doivent être différenciés ; cela
ne peut être examiner qu’avec l’examen de l’être…l’être est, ce que ça signifie, là du moins où il doit se
distinguer de l’étant, ceci ne peut être demandé qu’à partir de l’enquête du sens d’être. D’autres textes décisifs
s’intéressent à la question.
L’histoire consiste à opposer non pas l’être à l’étant, mais la manière d’Etre de l’étant à la manière d’Etre
de l’être. Ce qui est déterminant dans l’enquête, c’est le sens d’être.
§5 : C’est la temporalité (certains traduisent temporellité), Zeitlichkeit, qui sera mise en lumière non pas comme
le sens de l’étant, mais comme le sens de l’être de l’étant que nous appelons dasein. Il faut distinguer un étant,
l’être de cet étant, du sens d’être, la temporalité.
Il faut que la question soit construite de telle manière qu’elle ne soit plus plate.

Das Gefragte--- Seiendes


Das Befragte---Seindes
Das Erfragt--- Sinndes sein.

Pourquoi y a-t-il une distinction entre l’être et le sens d’être ? Est-ce un redoublement ? Non, car Sinndes Sein,
c’est la Zeitlichkeit, qui permet de distinguer les différentes manières d’être. Il dit que le Dasein se définit
par la temporalité. Qu’est-ce que ceci peut vouloir dire ? Page 25, §6, Heidegger fait allusion à la parousia,
qu’on traduit par présence. Le sens d’être de parousia équivaut à ousia, qu’on traduit à tort par l’essence, mais
qui est, chez Aristote, est le suppôt, l’hypokeimenon, qu’il faudrait traduire, si on l’osait, par l’étance. L’ousia,
présence subsistance, le bien substancié. Le fils prodigue demande l’ousia qui lui revient. C’est l’avoir du bien
au soleil dit Lévinas.
Ici, la manière d’être est non seulement le champ, sa manière d’être, mais c’est l’être du champ, qui, si on le
temporalité, est d’autant plus qu’il est au présent. Il est essentiel à la manière d’être de cet étant que sa
manière d’être se temporalise au présent.
La détermination du sens d’Etre comme parousia, c'est-à-dire comme ousia, qui signifie ontologique
temporellement, présence, l’étant est, dans son être, saisit comme présence.
Or, Heidegger dit à propos du Dasein, que le Dasein est son passé sur le mode de son être propre, lequel dit
grossièrement, rau gesagt, se produit à chaque fois à partir de son futur. Pour voir la différence entre les
étants, il faut s’enquérir de leur différence dans leur être, mais cette différence ne devient visible qu’en
passant à la temporalité, à la troisième dimension. Cet étant bien particulier, a en propre d’être d’autant
plus lui-même qu’il est sur le mode de l’avenir, car, ce qui distingue la personne de l’objet, c’est que tous
ils sont d’autant plus qu’on les a au présent. S’ils cessent d’être au présent, ils ne sont plus.
A supposer que nous ne disposions d’aucun avenir, ne disposant que du présent, nous ne serions plus des Dasein.
Cf. Kierkegaard. Tout le monde le sait mort, mais, n’étant plus projeté extatiquement, lui seul ne le sait pas.
La différence entre les étants, c’est la différence du mode d’être. C’est le sens d’Etre. Pour savoir ce qu’il en est
d’Etre, sans se raconter d’histoires, il faut s’enquérir des modes d’Etre. Mais il faut les lunettes qui donnent la
troisième dimension, donnée par la question de la temporalité. La question de l’être ne s’ouvre que dans
l’horizon que lui dégage le temps.
Ceci est indiqué très clairement à la fin de §5 : il faut montrer sur la base de la question, c’est que la
problématique de toute ontologie est enracinée dans le phénomène du temps, bien aperçu et bien expliqué. C’est
l’être lui-même qui est rendu à partir de son caractère temporel. Cela vaut dans un sens positif qui reste à
clarifier. Cette compréhension est respectée dans la métaphysique et ignorée. C’est qu’elle ne construit pas
sa question dans l’horizon du temps. Le fait qu’ousia implique parousia. Etre, c’est être maintenant.
L’étantité est équivalent à la présence. Avoir été, ce n’est pas être, et n’être pas encore, c’est n’être pas du tout,
d’où la classique aporie du temps expliqué par Saint Augustin. Le temps est tout, et le temps n’est pas.
Heidegger fait allusion à la distinction entre l’étant supra-temporel et intra-temporel. Lorsque la métaphysique

4
énonce le concept d’étant, chez Suarez, comme chez Duns Scott : dans ce concept, il n’y a pas de différences
possibles. La distinction entre fini et infini, entre ce qui passe et ce qui ne passe pas. Ce qui est en mouvement,
ce qui est sous la lune et ce qui est au-dessus de la lune. Les premières distinctions sont temporelles. Heidegger
élabore une autre distinction fort problématique.
Comme le mot temporel est attesté, nous appellerons la déterminité de sens originaire de l’être sa détermination
temporale. Il distingue la Zeitlichkeit, la temporalité, c’est le sens d’être de l’étant. Ceci implique que l’être lui-
même se temporalise. L’être lui-même est temporable, et dans ce cas, il emploie le mot Temporalität, utilisant la
racine latine (assez rare en Allemand) pour marquer l’étrange différence.
Dasein et temporalité : tout ce qu’on a décrit est en fait temporalisé. Mais il y aurait la Temporalität de l’être lui-
même, qui ne fut qu’évoquée dans les problèmes fondamentaux de Marburg, au §22 de ce cours intitulé Etre et
étant, la différence ontologique.
Au § 4 est mis en place la construction de la question, à savoir la différence entre Etre et le sens d’Etre.
Heidegger insiste sur le cercle. Le suspect n’est discernable qu’en fonction de la détermination de ce qu’il faut
savoir.
La question est tout de même de savoir quel est l’étant, das Befragt, celui qui supportera la question. Il y a
un étant qu’Heidegger notera le Dasein. Il a un sens philosophique avant Heidegger. Dasein wirklichkeit, ce qui
est le résultat de wirken, l’effectueux donne l’effectif. Tout étant possible peut devenir wirklich. Il a des
possibilités de passage à l’effectivité. Dasein s’applique à tous étants. Y a-t-il une existence de mon esprit ?
Heidegger garde Dasein pour un sens type d’étant. Il est seulement un étant parmi d’autres. Page 11, début du
§4 : les sciences en tant que comportement. Cet étant, nous le saisissons par rapport au Dasein. Il a un privilège
par rapport au autre étant. Un étant ausgezichnet, signalé, surligné, en quoi est-il remarquable ? Le dasein a
plusieurs caractéristiques, mais toutes dépendent de celle-ci. Le Dasein est un étant qui ne se borne pas à
apparaître. Il possède le privilège ontique : pour cet étant, il y va dans son être de cet être : es (…)um dieses
Sein selbt geht (cf. §12, §23, §30, §41).
Cela signifie que le Dasein, en lui-même, pose l’Etre comme question. C’est le seul étant auquel appartienne
le fait que l’être s’impose à lui comme sa propre question. Il ne peut pas être sans avoir conscience qu’il a
à être. Etre, pour le Dasein, est un fardeau ; il n’est pas possible d’être sans appréhender le verbe être comme
une question. Le Dasein ouvre la question, s’ouvre lui-même à la question de l’Etre, est ouvert à la question
de l’Etre. Il se caractérise d’abord en ce sens qu’il est ontologique. Le caractère ontique remarquable réside en
ceci qu’il est ontologique cf. Lettre sur l’humanisme.
§7, ligne 24 : « le Dasein qui est un étant remarquable ontologiquement ontique. Si je peux le remarquer, les
distinguer ontiquement, je dois faire signe vers la propriété de mettre en jeu son être. Pour le Dasein, le souci de
l’être n’est pas facultatif. Une des questions fondamentales est de savoir : le Dasein est l’étant, das Sich, in
seiner, il est cet étant qui comprenant, se comprenant lui-même dans son être, est dans cette compréhension, il se
rapporte à son être lui-même.

Trois caractéristiques d’être de telles manières d’être dans son être :

L’être du Dasein est toujours le sien, celui qui est en jeu dans le Dasein, dans l’Existenz.

Etre, pour le Dasein, est toujours une affaire personnelle ; c’est la mienneté. Il y a un phénomène
d’identification du Dasein par l’être. La question du Dasein par l’être ne se pose qu’à un Dasein. On ne peut se
poser la question de l’être en général. Il y a un caractère d’impossibilité de substitution.

L’être au monde.

La facticité de l’être, toujours déjà fait, l’individualité, la mienneté à chaque fois et l’être au monde, qui ne veut
pas dire que le Dasein est dans le monde mais que le monde est dans le Dasein.
Ces trois caractéristiques sont liées entre elles. Parce que l’être, c’est pour moi. Ces caractéristiques sont celles
du privilège du Dasein : c’est un étant instable dont les noyaux ont une masse qui peut devenir énergie. On est
dans la fission et non pas dans la fusion. C’est l’étant qui peut se transformer en énergie, dont la réalité ontique
peut devenir ontologique. Quand il explose, s’ouvre la transcendance. Le Dasein est instable puisque comme
étant, il en va/ a à jouer/ de l’être.

§2 et §4 à lire pour la prochaine fois.

Mardi 25 octobre

5
Après avoir rappelé le privilège ontique du Dasein, il nous faudrait mettre en avant, en sautant le §6, la définition
de la phénoménologie impliquée par la pensée de l’Etre.
§5 fixe le paradoxe suivant : Le Dasein est certes ontiquement proche mais il est surtout le plus proche car nous
le sommes, de fait, nous-mêmes. A cause de cela même, il est ontologiquement le plus éloigné, das Fernstest, le
plus lointain. Heidegger souligne que si la définition du Dasein est qu’il est ontologique, le privilège ontique du
Dasein réside en ceci qu’il est ontologique. Si tel est le propre du Dasein, il met en jeu son être. Alors, dans ce
cas, on trouve ce paradoxe que le Dasein est à doubles tiroirs. Si le Dasein a comme caractéristique ontique non
pas son essence, ni même la conscience de son essence, mais le fait qu’il y a va, dans son être, de lui-même,
alors le Dasein est écart. Ce point est développé dans les paragraphes 6 & 5 qui mettent en évidence la tendance
du Dasein à l’auto-interprétation quotidienne, à la tendance à se comprendre à partir du monde auquel il est
préoccupé. La tendance métaphysique, c’est, dit-il à propos de Descartes, in Leçons sur la philosophie de
l’histoire, la tendance à questionner la substance : tou to esti, qu’est ce que l’essence, ou substance ? Le propre
du Dasein, c’est qu’il a tendance spontanément à se comprendre à partir de l’étant auquel il se rapporte
de manière permanente et primordiale à partir du monde. Le Dasein se comprend donc d’abord d’après le
monde à partir de ce qui est le plus proche. En fait, cette tendance recouvre la propriété, Aufzeichnung, à savoir
que lui appartient, comme caractère ontique, un savoir ontologique ; ce qui est à lui-même le plus étranger, lui
est aussi le plus proche. Voilà ce que développe le §5.
Le §6 revient au §1 en parlant de la destruction de l’histoire de l’ontologie. Le Dasein est l’étant dont la manière
d’être son être se produit, à chaque fois, à partir du futur.
Que signifie qu’il faille détruire l’histoire de l’ontologie ? Il faut détruire, abbauen, dégager ou retrouver dessous
la manière d’être propre du Dasein, car, spontanément, le Dasein est prêt à admettre qu’étant et Dasein sont sur
le même mode. Il s’agit de voir la manière d’être de l’étant qui a comme caractéristique ontique le caractère
ontologique.
Revenons à la compréhension du §4.
L’ontologie fondamentale d’où seulement doit jaillir les autres ontologiques doit être cherché dans l’existentiale.
C’est l’existence qui détermine l’être de l’étant. Le second privilège est ontologique. Le Dasein, dans sa
détermination ontique, est ontologiquement. Mais il appartient de manière originelle, en tant que constitution de
l’existence, la compréhension de tout étant. Il a la possibilité de toutes les ontologiques. C’est donc
ontologiquement qu’il doit être interprété. Le Dasein, en laissant apparaître, par son propre mode d’être
l’être, ontiquement et ontologiquement premier, dévoile l’articulation entre Dasein et étant. Le Dasein
devient ainsi celui qui doit, avant tout autre, être interrogé ontologiquement : befragte. Nous avons trouvé
celui que nous allons interroger. C’est le seul étant qui sache quelque chose.

Quelles sont les caractéristiques d’un tel étant ?

Existenz,
Jemeinigkeit je meines
In-der-wel-sein

L’Existenz tient en ceci que le Dasein est l’étant dans lequel il y va de l’être. § 5 17, le Dasein est dans / selon la
manière qu’étant il comprend quelque chose comme être. L’être est ce dont il y va dans cet étant. §23, page 133 :
« l’Etre dont, dans cet étant, il y va, dans son être… » Il y a un étant, le Da-sein, dans lequel il y a va de cet étant
mais aussi de l’Etre. Le là du Dasein est un étant. Pour voir l’être, il faut fixer son attention sur le Dasein. Le da
n’est pas le lieu où il est. C’est lui-même qui donne un lieu à l’Etre. Si l’Etre est une scène, c’est sur les
épaules du Dasein qu’il se produit. Etre un Dasein n’est pas être l’être-ci. C’est être le seul ici possible où
l’être puisse se manifester. Le Dasein est l’étant dans lequel il y va de l’être. §30 : « L’étant pour lequel dans son
être il y a va de cet être même ». Le Dasein est l’étant pour lequel dans son être il va de cet être même. Au tome
24, page 453, de Grundprobleme : « A l’étant que nous nommons Dasein, appartient la compréhension d’être. »
Dans cet étant, le Dasein, il n’y va pas simplement du lieu même.
Dans ce qu’on appelle l’éthique, l’étant ne modifie pas/ ne met pas en jeu--seulement-- son identité. Ici, il y
va de beaucoup plus. Il met en jeu ce qu’il n’est pas, à savoir l’être. C’est l’être tout court qui est en jeu. On
trouve une note dans Sein und Zeit : « A cet étant échoit qu’avec et par son être, cet Etre lui est ouvert par lui-
même. Etre cependant ici n’est pas seulement l’être de l’homme ». L’être englobe la relation de l’existence
avec l’être comme un tout, avec l’être comme totalité. Le Seins’verstandnis ne renvoie pas seulement à la
compréhension de l'être de l'homme, nicht nur als Menschen sein, mais le das in-der-Welt-sein schliesst der
beschluss der Existenz. L’être dans le monde englobe la relation de l’existence à l’Etre en totalité. L’être dont
il s’agit, c’est l’être. Dans un autre texte, Zum Frage Beitrage, Heidegger va plus loin: « L’essence de l’homme,
le Dasein dans l’homme, n’est pas quelque chose d’humain ».

La deuxième caractéristique fondamentale du Dasein, c'est la Jemeinigkeit : « L’être même par rapport auquel le

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Dasein peut se comporter et se comporte d’une manière ou d’une autre, nous l’appelons existence ». Comme
l’être de cet étant ne peut être accompli que par un quelque chose réal, mais que son essence consiste en ceci
qu’il a, à chaque fois, à être son être en tant que sien, le titre Dasein pur a été indiqué pour signifier cet étant. §9:
Le Dasein, nous le sommes à chaque fois nous-mêmes. Le Dasein certes n’est pas ontiquement proche ou même
le plus proche. Nous le sommes, chaque fois, nous-même. Que signifie ce caractère ?
Ce trait met en évidence la manière dont le Dasein met en jeu son être et même l’Etre tout court dans son être
propre. On peut trouver ici, sous-jacente, la doctrine de l’Erreignis. Le Dasein doit être individualisé pour être.
Parler d’un Dasein qui ne soit personne n’est pas concevable.
Aristote pense le kath olou comme l'équivalent du kat olou équivalent lui-même du kath auto, qu’on peut
traduire par ce qui est par soi. Le Dasein, pour être kat auto, selon lui-même, doit être en première personne,
c'est-à-dire non-universel. La caractéristique littéraire du prendre pour soi ce qui est dit du Dasein, dans Sein und
Zeit, est méthode de lecture. Ce dont il s’agit, l’être, n’apparaît que si je suis cet étant qui accueille l’être. Il faut
penser : cette fois-ci c’est pour moi, comme l’homme qui comprend avec frayeur qu’il devra payer la note au
restaurant cette fois-ci.
Il y a un vaste débat sur la Jemeinigkeit. Pour Lévinas, la Jemeinigkeit, c’est ma place au soleil, la revendication
d'une priorité sur tout autrui, d'une préséance de moi sur autrui. Quelque soit la profondeur de la conception de
Lévinas, l’interprétation fait contre-sens. Bien entendu, il y a un privilège du je. Mais le mien est moins
possession que dépossession par la transformation du je ontique. Je suis l’étant qui ne peut se définir sur ousia.
Or, Lévinas suppose que la Jemeinigkeit donne un privilège ontique. Pour Heidegger, au contraire, la
Jemeinigkeit marque le Dasein d'un sceau plutôt funeste.

Il convient de faire le lien avec les autres caractéristiques du Dasein. L’existence est question. Comment se
définit l’Existenz, en quoi est-ce que mettre en jeu en soi le Dasein ? Comment fait-on pour mettre en soi le
Dasein ?
La meinneté à ceci en propre qu’elle permet la phénoménalisation de l’être. C’est de l’être qu’il s’agit dans mon
être. La conséquence, c’est cette mise en scène de l’Etre dans la mise en jeu du Dasein. C’est l’être au monde.
Prenons en vue cette troisième détermination.

§13 : Les sciences sont les modes d’être du Dasein en tant qu’il appartient à un mode. La compréhension d’être
concerne donc, sur un mode originaire, la compréhension de l’être de l’étant. La compréhension est co-
originaire. Elle comprend quelque chose comme le monde. Le Dasein a donc comme caractéristique l’être dans
le monde. L’être dans le monde comme constitution fondamentale du Dasein. Le Dasein, en tant qu’étant, est
déjà dans un monde. Heidegger critique le je cartésien en ce que celui-ci est un je sans monde, un weltloss ich,
un umweltloss Subject ou un isoliert Subjek. Ce qui signifie que le rapport entre le je et son objet n’est pas
mondanéisé. L’ego comme res cogitans n’implique pas un monde. La seule façon de dire qu’il est chose
agissante, c’est de dire qu’il est dans la res extensa. D’où l’absence de preuves quant à l’existence des choses
extérieures pour cette raison même qu’elles sont nécessaires. Le monde est absence chez Descartes. Il n'existe
que pour moi. Mais, la définition d’un monde, c’est qu’on n’y est pas tout seul. La manière dont Descartes
obtient l’ego implique la fin du monde. Or, si d’autres étants peuvent être, ce sera en s’articulant avec les
autres étants. Au § 19 et § 43, Descartes est donc l’adversaire à abattre. En réalité, c'est l'auteur des Méditations
cartésiennes qui est visé.
Dans les débats écrits entre Heidegger et Husserl à propos de la rédaction de l’article Phénoménologie de
l’Encyclopédie Britannicus, Heidegger écrit : « Nous nous accordons sur le fait que l’étant ne saurait être éclairé
par retour d’un étant. Le monde ne peut être expliqué par un étant qui serait dedans. Mais cela ne signifie pas que
ce qui constitue le lieu n’est rien d’étant. Le monde n’a pas pour lieu le monde. Le problème se pose de savoir
quel est le lieu dans lequel apparaît l’être de l’étant ». L’étant solus in mondo n’est pas dans un monde. C’est
dans le solus in mondo qu’existe le monde.
Il faut donc trouver une base ontique à l’être dans le monde qui ne soit pas un étant du monde. Cette base,
bien évidemment, sera le Dasein. La propriété de l’in-der-welt sein est dans le Dasein. Le monde se
constitue dans cet étant qu’est le Dasein. Ce qui signifie que le Dasein n’est dans le monde, mais a pour
propriété d’être dans le monde, ce qui est une radicalisation de la caractérisation de l’intention cf. Vème
Recherche Métaphysique et III Méditations Cartésiennes. Toute conscience est conscience de quelque chose,
c'est-à-dire d’une chose qui n’est pas elle-même. La conscience est d’emblée extravertie en tant que conscience
d’autre chose. Cette extra-version est une intentionnalité non limitée aux objets.
Avec les trois caractéristiques du Dasein, nous avons l’étant instable que nous cherchions. Avec son mode d’être
propre, il fait apparaître l’être en général et dévoile donc aussi les autres étants. Mais comment s’effectue la
visée ?

Cette visée, ce comment, Heidegger l’explicite dans l’interprétation du Dasein en vue de la temporalité dans une
analyse fondamentale préparatoire du Dasein. Il s’agit, comme au bowling, de viser le bon endroit pour faire

7
tomber les quilles. Vont se dégager alors les manières d’être du Dasein. Ces manières se disent en se
temporalisant. Ce sera la deuxième section de Sein&Zeit, la retranscription en mode temporelle de la première
partie pour faire apparaître les différents modes d’être du Dasein. Pour cela, il faut faire exploser l’atome faible
qu’est le Dasein, ou rompre le pli, l’articulation, entre être et étant ou plutôt son articulation avec l’être, plus
essentiel au Dasein puisqu’en lui se trouve le Dasein, ou le Dasein en tant que lui.

Le §7 est tout à fait central à cet égard. Il est composé de quatre parties :

Le concept de phénomène, ce qui se montre à partir de soi.

Le concept de logos fondamentalement comme « laisser se dire », ou plutôt « dire pour laisser se voir », c’est le
logos comme apo phaneistai, apo phasis, comme « se manifester ».

La phénoménologie ou forme de philosophie qui laisse se manifester la chose même comme phénomène.
L’ontologie n’est possible que comme phénoménologie. Le concept de phénomène comme das sich eigende,
l’être de l’étant, son sens et ses dérivés.

Le rapport entre l’ontologie et la phénoménologie. La phénoménologie est une herméneutique du Dasein et la
phénoménologie est la méthode de l’ontologie.

Remarque : la phénoménologie n’est pas comparable à la biologie, ou aux autres sciences en logos parce que le
logos qui les travaille s’applique à une région de l’étant. Ce sont des sciences qui portent sur quelque chose alors
que la phénoménologie ne porte sur rien. Au plutôt, elle porte sur tout, sur tout le pensable.
En quoi se distingue-t-elle de l’ontologie traditionnelle ?
La phénoménologie porte sur le comment les étants ou les objets se donnent à voir. cf. Michel Henry, la
phénoménologie est une science critique, méthodologique, une science neutre, athée, indifférente à tout objet,
une science qui procède par errasement. La phénoménologie peut s’intéresser à la théologie en tant que la
théologie est un mode particulier de révélation. Mais la nouvelle religion, l’objectivité, peut-elle être un mode de
manifestation ? Le mode de manifestation de tous les phénomènes est ontologique. Mais, paradoxalement, cela
n’est clair que lorsque l’ontologie perd de son évidence. Dans le cas où être deviendrait problématique, il y aurait
la possibilité d’éclaircissement des modes.
Qu’entendre donc par phénomène ?
Phainomena, les apparus, au pluriel, les manifestes : « Comme signification de l’expression phénomène, il est à
retenir : das Sich als sich selbst zeigende : das Offenbar. » Le phénomène, pour Heidegger, c’est le révélé
comme ce qui est ouvert. C’est le « se montrer à partir de soi-même ». La problématique, c’est le « comme soi-
même », l’en tant que soi-même. On ne se montre pas comme à un autre, mais comme un soi-même.
Précisément, le propre du phénomène dans les cas où la métaphysique a une acception positive, c’est qu’il se
montre pas en tant que soi même.
C’est Kant qui est visé ici. Le phénomène comme objet ne coïncide pas avec l’objet. Il n’est pas an sich selbst.
Alors nichts als sich selbst, comme ce n’est pas en tant que lui-même qu’il se montre, il ne se montre pas. Il
serait montré, gezeigte. Et en effet, le phénomène chez Kant est toujours déterminé par les possibilités de
l’expérience, par l’espace, le temps et les catégories. L’objet, c’est ce qui se trouve montré, à la suite de
l’opération de synthèse des catégories, dans l’intuition, toujours soumise au je pense. Le phénomène est donc
montré, mais pas à partir de lui-même.
Si l’on songe à l’intuition, présente chez Kant, absente chez Heidegger--intuitus, regard, qui vient du verbe
intueor, eri, in–tueor, qui veut dire garder, tutus signifiant sûr-- on peut dire que tueri n’est pas voir, mais voir en
gardant, comme dans l’expression « je garde un œil sur lui ».

Le 8 novembre 05

Aujourd’hui on étudie la définition de la phénoménologie (§7) et la question du monde (§ 12), puis


l’étude très importante des §§ 12-18 (doctrine du monde).
Donc la question de la définition de la phénoménologie au § 7. en parlant de la question de la phénoménologie,
je parle de façon inappropriée, car Heidegger dit qu’il ne s’intéresse pas à la phénoménologie, mais à ce à quoi la
phénoménologie s’intéresse. Justement la phénoménologie par rapport à la métaphysique s’intéresse à la chose,
mais non au discours. La phénoménologie est ici une méthode, qui est strictement phénoménologique.
Pourquoi cette méthode est requise ? Car la recherche porte sur l’être de l’étant, c'est-à-dire sur le
sens de l’être en général, de tous les étants, qui n’est visible accessible, que sur l’étant sensible, visible du
Dasein : lire sur un étant autre chose que l’étant. D’où les deux phrases fondamentales : l’être n’est rien
d’étant ; il n’y a pas d’être sans l’étant. C’est à partir de l’étant que nous devons lire le différent de l’étant.

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Ce qui est visé, c’est l’explication, le dépliement de l’être lui-même. Cf. § 7.1 : on est déjà sur la voie d’une
ontologie, mais ce n’est pas l’ontologie de Wolff et la métaphysique classique ; c’est une précaution de Husserl à
la fin des Méditations cartésiennes (§68). Il s’agit donc de trouver la méthode pour lire sur l’étant l’être de
l’étant. C’est une méthode phénoménologique. Et la phénoménologie n’est pas une méthode permettant de
trouver de nouveaux objets formels de la philosophie, mais la science du comment : elle ne cherche pas de
nouveaux phénomènes, mais s’intéresse au comment de l’apparaître, quelle densité d’apparition. Que signifie
le terme phénoménologie est classiquement pensé à partir des mots d’ordre de Husserl : « Retour aux choses
mêmes (=les questions) », et « autant d’apparences, autant d’être », et le principe des principes, Ideen I § 24 :
« les phénomènes sont à prendre comme ils se donnent » : il n’y a pas de conditions conceptuelles a priori de la
phénoménalité : tout phénomène a droit. Heidegger reprend le premier slogan, retour aux choses mêmes, mais ce
n’est pas déterminant ; ce qui est déterminant, c’est la section 1 du § 7 avec le concept formel du phénomène (p.
28) : ce qui se montre en soi ; c’est le sich, le soi. Le ce-qui-se-montre-à-partir-de-lui-même, ce qui se montre
lui-même en soi. Pas besoin d’avoir lu Kant pour savoir que Heidegger suggère une nouveauté, revendique
que le phénomène appartient certes à la sphère de la visibilité, de l’intuition, mais qu’il se montre en lui-
même à partir de lui-même, cf. bas de la page 28. le « à partir de lui-même » est important. Le phénomène
kantien laisse derrière lui l’en-soi, car il est constitué comme un objet, résulte des synthèses de l’aperception
transcendantale synthétique : le phénomène résulte d’une synthèse opérée par le je pense. Le phénomène n’est
pas en soi, mais par un autre ; son unité n’est pas de lui, mais celle de la synthèse. Ici Heidegger dit justement
que le phénomène est en soi, car il ne dépend pas de la synthèse, mais que de lui-même, il se manifeste, il
fait sa démonstration, il se montre ; c’est vraiment l’expression se montrer. C’est là la définition formelle du
phénomène sur laquelle nous travaillerons ; on trouvera Prolégomènes à l’histoire du concept de temps, § 9,
texte non traduit, au tome XX. Cf. Figures de la pensée métaphysique, Jean Hyppolite, t. 2, p. 613. nous avons
donc la détermination la plus simple, formelle du phénomène. Cette détermination n’interdit pas mais implique
au contraire qu’il puisse se dissimuler : la possibilité de se montrer rend possible celle de se montrer comme ce
qui n’est pas. Si on a une détermination du phénomène à partir de lui-même, la dissimulation change de statut :
dans le cas de Kant, la dissimulation est une erreur du sujet synthétique ; chez Heidegger, si dissimulation
il y a, la culpabilité en revient au phénomène. Si le phénomène ne se montre pas comme il est, c’est qu’il a la
possibilité de se montrer comme il est. Le phénomène est donc ce qui peut se dissimuler. Cf. se montrer, donne
la monstration, le monstre ; le monstre c’est-ce qu’on exhibe car il attire l’attention – tel est le phénomène,
comme à partir de soi.
Ainsi on peut dégager les degrés d’automonstration des phénomènes sur la base de cette
définition. il y en a trois déterminations : 1/ le phainoménon par opposition à la chose réelle (p. 29, l. 10),
avec l’exemple de la formule aristotélicienne « phainoménon agathon », qu’il faut comprendre en revenant à
Aristote. Chez Aristote, nous avons une doctrine du bien apparent ; Métaphysique lambda 7, 1072a27 : le désir se
contente du bien apparent, alors que la délibération veut le vrai. il y a une ambiguïté dans cette opposition : le
désir fonctionne avec une apparence de bien ; Traité de l’âme III 10, 433a 28 : le désirable met en mouvement,
se fait désirer qu’il soit une apparence de bien ou qu’il soit une réalité de bien ; d’où la conséquence qui ira
jusqu’à Spinoza, selon qui les choses sont bonnes car nous les désirons, ce qui n’a pas de sens pour Aristote :
Physique béta, 3, 195a25 : le désir fonctionne aussi bien sur l’apparence du bien que sur le bien lui-même, c’est
proprement le désir. On voit qu’ici phainoménon est utilisé en un sens négatif, comme opposé à on, il est
Schein, illusion. Pourquoi fonctionne-t-elle, cette illusion ? parce qu’on n’est pas attentif, mais pourquoi ? parce
que le Schein apparaît comme un phénomène et non comme un Schein : si l’apparence nous trompe, c’est qu’elle
a la même apparence que le vrai phénomène : la possibilité d’être trompé par l’apparence repose sur le fait que la
réalité apparaît, et du coup, quand l’apparence apparaît on ne peut faire la distinction . La faiblesse de
l’opposition réalité/phénomène, en-soi/phénomène, dans la métaphysique, c’est que ce qui devrait prendre la
place de l’apparition, prétendument fausse, serait encore phénomène, vrai ou faux : on ne peut opposer qu’un
phénomène à un autre, on joue toujours une apparence contre une autre, mais on ne sort jamais de l’apparence.
On voit que le premier sens du phénomène est fondamental ; Kant dit très bien que les apparences sont
inévitables.

2/ deuxième rapport entre le phénomène et sa propre dissimulation : symptômes d’une maladie (en
allemand, c’est le phénomène). En voyant un symptôme, qu’est-ce qu’on fait ? celui qui n’est pas médecin voit
la même chose que le médecin doué, mais le médecin voit la même chose sans conclure la même chose : il voit
l’apparence comme l’apparence de la maladie. C’est donc une apparence dans laquelle je ne suis pas trompé par
une illusion, mais la profondeur de la phénoménalité joue dans le fait que ce que je vois a une double visibilité :
je vois la fièvre et la maladie derrière. La maladie ici se montre sans apparaître et le symptôme apparaît comme
tel sans rien montrer. Husserl dit au début de la première Recherche logique que nous avons ici un
indice (Anzeige) : l’indice est un visible à double fond – ce qu’on voit et ce que ça veut dire. Le phénomène
se montre même s’il n’apparaît d’une certaine manière : il parasite l’apparition d’un autre se-montrer, grâce à

9
laquelle il se montre sans apparaître. C’est le s’annoncer. Ce phénomène utilise donc un autre phénomène
pour apparaître ; une analyse parallèle dans le § 9 des Problèmes fondamentaux de la phénoménologie.

3/Puis le troisième niveau : la pure production d’illusion, le pur produit : c’est le faire illusion, l’illusion
intentionnellement produite pour elle même, pour tromper. C’est intéressant, car l’illusion pour tromper,
c’est un montrer qui a pour but de ne pas montrer, c’est un montrer qui a pour but de dissimuler, ce qui est
différent du symptôme qui montre plus que lui-même ; le faiseur montre pour ne rien montrer. Ici nous avons le
sens kantien du phénomène qui cache la chose en soi.

Donc 1/ l’apparence, le sens grec, qui reste indissociable de la chose vraie et indistinguable ; 2/ l’indice et le
redoublement de la visibilité ; 3/la pure illusion ou ce qui se montre a pour fonction de dissimuler qu’il ne
montre rien. nous avons des caractères communs : il se manifeste en soi à partir de soi, la dissimulation, le renvoi
et l’apparence ne sont intelligibles qu’à partir de cela. Le phénomène ne se borne pas au statut de simple
phénomène (au sens kantien, vulgaire) car il reste à préciser ce sur quoi la phénoménalité s’exerce
Si on veut comme Kant construire le phénomène à partir du fait qu’il n’y a de phénomène que dans
l’intuition de l’espace et du temps, ce qui empêche Kant d’avoir un phénomène, c’est de s’interroger sur l’espace
et le temps : quel statut phénoménologique les formes de l’intuition ont-elles ? sont-elles mathématiques, non
elles les rendent possibles ? comment sont elles en charge de la phénoménalité, c’est-ce qui reste indéterminé.
Mais qu’est-ce qui se montre dans le phénomène qui peut se montrer et se dissimuler dans sa manifestation ?
c’est l’énigme. Mais dans phénoménologie il y a logos. Logos n’est pas ici science de, comme dans
psychologie… la phénoménologie n’est pas science du quelque chose, mais du comment ; comment le logos
met en œuvre le comment ? logos, ne veut pas dire discours, mais montrer, il est dénotique, monstratif et
Heidegger s’appuie sur le De l’interprétation d’Aristote IV, 17a2. ce qui est déterminant c’est l’apophansis ;
Aristote dit qu’il y a un logos apophanticos, qui déclare quelque chose : en fait il faudrait dire qu’il montre
quelque chose. La prière supplie, demande, mais ne montre rien ; des logoi montrent quelque chose, et c’est alors
qu’il y a du vrai et du faux. Le logos a un statut déclaratif qui est fondé sur sa fonction monstrative. Ce point sera
l’objet du § 44 qui reprendra la thèse qu’être vrai veut dire être découvrant, ou § 9 (p. 44). Le logos est
essentiellement un faire-voir, p. 32 : la parole fait voir, car elle parle non pas sur quelque chose, mais à partir de
quelque chose : on ne parle pas n’importe comment de quelque chose : quand on parle de quelque chose,
respecter la chose, c’est articuler son discours sur la chose même, sinon : « vous ne respectez rien ! » On ne dit
quelque chose de quelque chose qu’à partir de la chose ; respecter la chose, c’est la voir. Le discours est
fondamentalement monstratif. Nous nous avons une vision non monstrative du discours. Du coup, à partir du
moment ou le langage parle à partir de la chose et non de nous, il parle tout seul, dira Heidegger. Le phénomène
est-ce qui se montre en soi à partir de soi, p. 32, et le parler fait voir à partir de cela même dont il est parlé. Le
discours est apophantique, c'est-à-dire qu’il parle à partir de ce qui se montre.
Nous pouvons avancer vers le concept préalable de phénomène. Nous allons commencer par la fin : p.
37-38. la phénomène est la base de l’ontologie car elle sera capable d’interpréter le Dasein. Qu’est-ce
qu’interpréter le Dasein ? c’est l’interpréter dans son comment ? mais quel est le problème avec le
comment du Dasein ? il faut en venir à la définition phénoménologique du phénomène : p. 34 : apophanesthai
(logos) phainomena : la phénoménologie laisse les phénomènes apparaître en paix. En métaphysique, on
surveille le phénomène, soumets toi au concept, fais toi faire une synthèse, obéis au concept. La phénoménologie
consiste à laisser apparaître les phénomènes. Cette formule a tout son sens si on le commente comme fait
Heidegger : la phénoménologie c’est laisser se montrer à partir de lui-même à partir de lui-même (alors que la
métaphysique veut que ce qui se montre à partir de lui même ne se montre pas à partir de lui-même). Ces
formules s’opposent aux définitions de Kant et de husserl, dans l’Idée de la phénomène (qui est pour husserl sa
critique de la raison pure, selon une lettre), qui est le premier texte à faire apparaître la réduction : « le mot
phénomène a un double sens selon la corrélation entre l’apparaître et ce qui apparaît. Phénomène c’est-ce qui
apparaît, mais il est aussi employé pour ce qu’il y a de subjectif dans le phénomène » : il reformule ce qu’il a
déjà dit dans l’ajout à la 6 e recherche logique, et dans la cinquième (§ 2), en parlant du vécu dans lequel le
phénomène apparaît : on peut le comprendre comme la différence entre le vécu de conscience et l’objet qui se
manifeste dans le vécu que si le vécu est soumis à une signification. Dans ce cas, ce qui apparaît est ultimement
déterminée par la signification qui est imposée par l’intuition. On peut rapprocher ça du phénomène kantien,
synthèse entre l’intuition et le concept ; dans l’intuition donatrice, l’esprit est passif ; le concept ramène le divers
de l’intuition à l’unité du concept, avec la spontanéité de l’entendement. Chez Husserl et chez Kant, la
passivité du vécu ou de l’intuition, est tenu en main par l’activité de la signification ou du concept. On ne
lâche pas le phénomène. Heidegger s’oppose même à Husserl : il ne parle pas d’intentionnalité, car elle sera
déplacée vers le soin.
Le propre du phénomène maintenant, c’est que puisqu’il se montre à partir de lui même, il faut qu’il
suive les articulations de l’étant dans lequel il se manifeste. Cf. p. 35. de la phénoménologie, il en faut quand on
a affaire à des phénomènes qui de prime abord et le plus souvent ne se montrent pas, sinon on n’a pas besoin de

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phénoménologie ; ça finira par la phénoménologie de l’inapparent, en 1964, et qui est déjà dans SZ. Quel
phénomène ne se montre pas ? rappelez vous l’articulation de la question : le demandé, le questionné,
l’interrogé. On retrouve ces trois pôles ici de façon phénoménologique : c’est l’être de l’étant qui se dissimule
dans l’apparition parfaitement visible de l’étant. On va demander à l’étant le plus fragile de nous faire voir ce
qu’il cache : son être. C’est moins un interrogatoire que une interprétation : on fait jouer ce qui dans un étant
renvoie à lui-même, mais aussi à son être. Du Dasein, on ne va pas savoir ce qu’est l’être car l’être n’est pas
(le quoi est inadéquat), mais le comment, c'est-à-dire des manières d’être : il faut interroger un étant le
plus visible, le plus lisible, pour voir sa manière d’être.
On comprend pourquoi la première détermination du Dasein est l’étant pour lequel il y a va de l’être
(existence) : c’est la condition de possibilité d’une phénoménologie du Dasein, d’une herméneutique. P. 47 : la
phénoménologie est le mode de détermination qui prouve l’identité de ce qui doit devenir le thème de
l’ontologie, non pas l’être des étants en général, mais l’être de l’étant. Ce qui est en retrait des phénomènes, c’est
leur mode d’être qu’on ne peut voir que par les phénomènes qui les exhibent et nous permettent de voir l’être de
ce qui n’est pas le Dasein. D’où l’opposition entre ce qui est dans le Dasein caractéristique de son mode d’être,
et ce qui n’est pas à la mesure du Dasein, qui a un autre mode d’être, qui n’est pas à la hauteur du Dasein. Ce qui
permet à Heidegger de dire p. 37 ligne 12 : l’étant qui va montrer l’être à sa surface, c’est évidemment le Dasein.
D’où la différence entre authentique/inauthentique, qui est propre/impropre : le Dasein se comprend lui même
et se laisse décrire sur un mode impropre, comme un étant comme les autres, et la phénoménologie attend
que le phénomène (le Dasein) devienne proprement lui même pour qu’il montre quelque chose de lui
même. Voilà pourquoi on commence par le Dasein comme n’étant pas lui-même jusqu’au § 40 : ce n’est pas une
question morale mais phénoménologique. aussi longtemps que le Dasein se croit un étant du monde, il n’y a rien
à voir, il dissimule sa manière d’être ; la conversion du propre à l’impropre a un sens phénoménologique.

Le 15 nov. 05

Aujourd’hui nous travaillons la détermination de l’être-dans-le-monde, détermination essentielle du


Dasein. Elle est liée, § 9, à l’enchaînement des trois déterminations de 1/ l’existence : le Dasein est le seul étant
instable, dans lequel il y va de son être, qui peut laisser échapper son véritable visage, qui consiste à laisser voir
son être, qui est l’être tout court : pourquoi et comment ce dépli s’ouvre-t-il ? 2/ intervient ici la Jemeinigkeit,
selon laquelle le Dasein n’est jamais au neutre, mais toujours déjà décliné à la première personne. On pourrait
décliner les grandes philosophies par les premières personnes : chez Heidegger c’est toujours je, au nominatif,
c’est lui qui est en jeu, et personne d’autre : on ne peut décrire un Dasein en prenant la position du je, et du nous.
le je transcendantal peut-être dit chez Husserl aussi au pluriel, dans la constitution de l’objet par plusieurs je
transcendantal, et on a un nous transcendantal – et c’est la situation normale. Chez Lévinas, le cas privilégié est
le vocatif de l’appel, et la personne est le tu ; dans la métaphysique, c’est la troisième personne. On voit que
l’existence – la mise en jeu – du Dasein est toujours en première personne : si l’autre pouvait faire le Dasein à
ma place, il n’y aurait pas d’existence. Justement dans le on, le Dasein se met dans la position où
n’importe qui me prendre ma place : la Dasein évite la mienneté, ce qui a pour conséquence de masquer la
première détermination, l’existence. 3/ La troisième détermination est celle de l’être dans le monde. Il est utile de
revenir sur le § 9 : Heidegger insiste sur le fait que le Dasein « est un qui, ou bien un que (vorhandenheit) au
sens le plus large » [45]. Cette distinction qui est en fait la distinction entre le mode d’être propre ou impropre
dans l’être dans le monde. L’être dans le monde est une détermination négative : le Dasein est l’étant par
lequel quelque chose comme un monde s’ouvre ; les étants qui sont dans le monde sont, eux, sur le mode de la
subsistance permanente. L’existenz s’oppose à la vohandenheit, subsistance : la troisième propriété est celle ou le
Dasein par opposition au mode d’être des étants qui ne sont pas lui, manifeste négativement son mode d’être.
L’existence : ouverture du Dasein à son être, plus essentiel que son statut d’étant – qui se fait en première
personne : ce qui se voit à ce qu’il n’est pas sur les étants, ce qui se marque dans l’être-dans-le-monde. Cf.
p. 180, § 25 : opposition entre le on, qui se pense lui-même comme subsistant et le qui est précisément toute
l’opposition à construire ici ; cf. aussi §47 p. 238 ; § 63 p. 311 ; § 49, p. 249. Mais justement le Dasein n’est ni
permanent ni disponible : il n’est pas ce qui est toujours à disposition sous la main. Mais comment est il ? il
est sur le mode de la possibilité. on l’a vu au § 7, de façon un peu énigmatique : la possibilité est plus haute que
l’effectivité. Cf. théta de la métaphysique, chez Aristote : Aristote montre que l’effectivité (energéia,
entelecheia εντελεχεια, la chose dans son telos) précède toujours la chose en potentialité. On peut dire
qu’en dignité d’être, c’est mieux d’être effectif que potentiel ; mais Aristote va plus loin : même
chronologiquement l’ent. précède toujours : le mouvement est toujours mu par un moteur déjà en acte qui se fait
désirer. Ici Heidegger contredit donc massivement Aristote et donc toute la métaphysique ; le Dasein
précède l’étant subsistant comme la possibilité précède l’effectivité. Car le monde repose sur son ouverture :
il n’y a pas un vaste monde d’abord et le Dasein qui y entre ; c’est l’inverse : l’ouverture du monde dépend du
Dasein. Ce n’est pas plus il y a d’étant subsistant, plus il y a du monde, c’est l’inverse : plus le Dasein ouvre des
possibilités, plus le monde va s’élargir. Cf. deuxième section des problèmes fondamentaux de la métaphysique :

11
l’homme est riche en monde car il est plus possibilisant qu’aucun autre étant. Ce qui marque l’écart entre lui et
l’étant subsistant – qui est d’autant plus qu’il est en état d’effectivité –, mais ça correspond à notre expérience
existentielle : il y a un monde si nous savons ouvrir les possibilités ; c’est nous qui apportons les possibilités du
monde. Ce qui rend inaccessible le monde, s’il se ferme, s’il n’y a plus de futur, c’est que nous ne sommes pas à
l’état de possibilité. la possibilité est donc une détermination du Dasein. Cf. p. 42. dans le cas de ce crayon, je
peux dire que j’espère qu’il y a un crayon avant d’entrer, puis je peux dire que j’espère qu’il lui est possible
d’écrire ; plus il devient effectif, plus il est là, écrit, mieux c’est ; pour moi c’est exactement l’inverse : il est
fondamental que je sois possible, que j’ai quelque chose à écrire par exemple, quelque chose à dire, et on ne sait
jamais à l’avance ce qu’on va dire, parce que au bout du compte la performance appartient toujours à l’horizon
de la possibilité. l’existence est confirmé par opposition à ce qu’elle rend possible. Deux remarques, explicites
dans ce § 9 : les déterminations qu’Heidegger appelle les modes d’être peuvent s’entendre en deux sens. Il ne va
pas utiliser la catégorie, qui est le mot de la philosophie, et qui consiste à dire quelque chose de ce qui ne se
définit pas ; la catégorie, ce qui est désigné c’est la chose dont on parle, mais ce qui est en jeu c’est celui fait
l’opération, qui n’est pas lui même soumis à une catégorie : c’est le Dasein, qui n’est pas un ti, qui n’est pas à
compléter par un autre ti (catégorie : ti kata tinos legein) ; le legein, c’est le Dasein qui le fait, car il est l’étant
dans lequel est en jeu tout le reste. Pourtant le Dasein dit quelque chose de lui même, il dit quelque chose de lui-
même : ce sont les existentiaux. Le Dasein est l’étant fissile (existent), qui se met en œuvre en première
personne, il ouvre le monde.
La question est de savoir ce que nous pouvons phénoménologiquement mettre au jour du monde, car de
ceci nous ne savons encore rien. nous allons suivre les trois sections : l’être dans le monde, qui conduit à la
notion de mondanéité (caractère d’être dans le monde) ; l’être au monde déterminant à titre d’existential le
Dasein montre que le Dasein n’est pas mondain. Quand vous ouvrez une piste en ski, en un sens la piste était
là avant vous, c’est parce que vous l’ouvrez qu’ensuite on peut skier sur cette piste ; il faut savoir si c’est ouvert
ou fermé, et c’est le Dasein, qui prend ça sur lui, c’est l’existence, et qui y va. Heidegger faisait du ski. Vous
voyez c’est simple. la philosophie c’est toujours simple quand c’est bien fait ; pour que ce soit de la philosophie
bien faite, il faut qu’on voie, et ça doit être amusant, jouissif. Le deuxième chapitre portera sur le mode d’être de
l’étant du Dasein capable d’ouvrir un monde (chap. 4), étant qui n’est pas le on. Donc l’analyse du on, c’est le
Dasein sans la jemeinigkeit. Le chap. 6 fait apparaître le Dasein comme tel : dans l’angoisse, le Dasein se
réapproprie à lui-même, car l’angoisse ça ne se partage pas, car elle n’est pas produite par un étant du
monde, mais elle nous met face au néant des étants du monde ; elle n’a pas de cause ontique. Ça renvoie le
Dasein a sa mienneté, mais cette mienneté n’est atteinte non seulement à aucun étant du monde, mais à la région
monde en tant que vide. il est donc individualisé (jemeineigkeit) et en face de son être au monde comme tel. On
retrouve les trois : existence, mienneté, être-dans-le-monde.
Nous tentons de comprendre l’être-dans-le-monde. Ce sur quoi il faut se concentrer, ce n’est pas le
monde – et je dis ça sans paradoxe : le monde, ce sont les étants du monde. Mais ce qui est paradoxal, c’est qu’il
dise que l’être au monde, est un existential, et pourtant ça porte sur le catégorial, les étants du monde.
Pour que ce soit un existential, il faut donc se focaliser sur le moins connu, le in, le dans de in-sein. Or justement
il ne faut pas comprendre in-sein comme équivalent à sein-in, être-dans. Etre-dans, sein-in, est une propriété
de l’étant intramondain : ce sont les chaises dans la salle ; la salle est dans la Sorbonne… : c’est une affaire de
contenu et de contenant, c’est une propriété de l’étant ; si la chose change de dimension, elle ne peut plus être
dedans, sein-in. Il faut qu’elle subsiste. On voit que être-dans ne porte sur l’étant subsistant pour une autre
raison : à partir de quand l’être-dans n’a plus de sens, à partir de quand on sera obligé de dire « le monde » ? le
monde ne commence que là où on ne peut plus recourir à un étant subsistant. Le monde n’est pas l’universel
réceptacle des étants qui subsisterait en lui. Dire de quelqu’un qu’il est dans son monde, c’est dire qu’on ne sait
pas où il est. On s’ouvre au monde, ce qui n’est pas une question d’étantité subsistante : on entre dans le monde,
comme les jeunes filles, les bals, ça devient leur monde, comme réalité sociale… : le monde n’est pas une salle
précise, il ne s’agit pas d’accéder à d’autres étants, mais à d’autres rapports aux étants. Monde n’est donc pas
étant subsistant. Le monde commence quand on ne peut dire de quel étant subsistant il s’agit : c’est
l’instance qui interdit la question : « dans quoi ? » Quand on ne peut pas dire dans quoi l’étant se trouve, il y a
le monde : quand je ne suis plus avec les étants dans un rapports de co-subsistance. Mais comment dire le
monde, comment penser le in-sein ? comment traduire in-sein : c’est être sur le mode du dans ; la dans-attitude,
la in-attitude, la dans-ité. Comment le montrer ? le premier argument est une description phénoménologique
assez simple. il y a d’abord une indication philologique : Heidegger s’appuyant sur certains petits écrits de
Grimm montre que in vient de innan, qui veut dire à la fois dans quelque chose et le lieu ou le dans est possible ;
qui doit être rapproché de la taverne anglaise de la campagne où il n’y a personne, l’inn. In, c’est donc
l’expérience de l’intériorité, l’expérience de l’habitation. Or on n’habite pas une maison parce qu’il y a une
maison, ça devient une maison parce qu’on y habite. Aujourd’hui, on se sent dans une maison et on se sent nulle
part ! pour être chez soi, il ne suffit pas d’avoir une maison, il faut habiter la maison. P. 55, Heidegger dit
que je suis signifie alors j’habite, donc il y a une maison : c’est ma propriété de dans-ité qui fait qu’il y a un
monde. Le monde n’est donc pas question d’aménagement de l’espace, lequel dépend donc de la dans-ité. On

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peut le dire autrement avec l’analyse de la proximité : habiter, c’est être proche, susciter de la proximité ; or être
proche, aucun étant du monde ne peut l’être d’un autre étant : un livre (le texte allemand) n’est pas proche de la
traduction : car ils n’ont pas la possibilité de se-sentir-proche. Le fait d’être à côté de quelqu’un ne fait pas qu’on
se sent proche : on peut avoir l’expérience de la proximité dans l’éloignement. On est même éloigné de
quelqu’un parce qu’on en est très proche : c’est la rupture amoureuse. C’est la proximité qui fait l’éloignement.
La crise, c’est qu’on rompt avec quelqu’un dont on est encore proche. La notion même d’éloignement est donc
tout à fait étrange. En-fernung : ce qui est au loin de, comme é-loignement ; mais on peut lire ex comme négatif :
c’est le rapprocher comme dé-éloigner, qui n’est possible que parce que la proximité précède ; se rapprocher,
c’est être déjà proche. Ça n’a rien à voir avec l’écart spatial qu’on peut mesurer entre deux étants. Etre dans
n’est pas un événement du monde, mais la situation qui rend possible la distance. On est allé en Amérique
quand quelqu’un pour qui cette distance était inscrite dans son monde ; le prochain peut-être très lointain ! p. 55 :
deux étants intra-mondains ne peuvent pas se toucher car ils ne sont pas sur le mode de la proximité car ils sont
sans monde, comme le je de husserl. On est sans monde quand le rapport aux étants du monde est conçu comme
la relation entre deux étants qui subsistent. Il y a ouverture du monde, parce que je ne suis pas une chose ; le
monde est donc un existential du Dasein.
Il faut faire une nouvelle remarque (toujours § 12), et prendre en considération le terme fondamental, la
facticité, fäktizität (p. 57 du chap. 12). Heidegger dit d’abord de façon purement négative que : le Dasein
n’accomplit pas son être dans le monde sans un étant qui est directement le lieu l’occasion, le coup d’envoi, de
cet être dans le monde. Le Dasein ne peut jamais procéder en existant sur le mode de la mienneté (3) puis en
ouvrant (4) le monde ; l’être au monde se joue en même temps que la mienneté, et avec des étants pour de bon :
il ne peut faire l’expérience de l’être dans le monde s’il est tout seul ; donc le factum du Dasein va être lié à
un fait, un factum (c’est le langage du Kant de la C2 : le je ne peux pas ne pas éprouver le fait que la raison lui
dit : agis de telle manière…), au sens d’un fait accompli (il est toujours trop tard pour voir l’immoralité de mon
action : la conscience individuelle par rapport à la raison pratique). Il est toujours trop tard pour que le Dasein ne
sache pas qu’il a ouvert un monde : c’est un fait accompli, par rapport auquel nous devons nous décider. Mais ce
fait accompli est toujours lié à un étant, le Dasein est toujours lié comme étant à d’autres étants avec lequel il se
collette. Elle a un lien direct avec l’être-jeté : le coup est déjà parti, ce n’est pas rattrapable, Geworfenheit. Le
Dasein va essayer de se soustraire à ces existentiaux, en neutralisant la facticité : le on fait comme si le
monde s’ouvrait tout seul, comme si ça n’était pas à moi que ça arrive, comme s’il n’y avait pas d’enjeu : le on,
c’est le politiquement correct. Sur la facticité, Heidegger précise souvent que ce n’est pas l’ancrage du Dasein
dans la subsistance : § 29 p. 135, § 50 p. 250 (la facticité = l’être-déjà-dans) ; § 57, p. 236 : le Dasein dans la
facticité n’est justement pas subsistant ; c’est le fait que je suis déjà dans le processus de me mettre en jeu,
je ne demeure jamais égal à moi-même. La facticité me met en écart, en porte-à-faux avec moi-même, c’est donc
une caractéristique du Dasein. A quoi je vois que je suis historique ? c’est que je suis en retard sur moi-même,
je suis sur le mode d’être-né ; ma naissance qui décide de tout, je n’en sais rien, je suis celui qui ne peut en
parler ; tout le monde y était sauf moi : j’étais en retard sur moi-même : c’est une caractéristique fondamentale
de mon monde. Je découvre mon monde trop tard : le coup de dé est déjà parti. Il est trop tard et je ne
peux plus choisir le numéro que je joue.
Nous allons voir comment même les étants dans le monde ne sont pas subsistants, mais mondanéisés en quelque
sorte.

Le 22 nov. 05

Aujourd’hui on s’intéresse au « système » d’apparition du monde, si j’ose dire, c'est-à-dire les §§ 14-18.
Le monde répond à la définition du phénomène selon la phénoménologie : il est-ce qui, de prime abord et le plus
souvent, n’apparaît pas. Il faut un détour, et c’est précisément son invisibilité qui est la voie d’accès à sa
définition.
Dans un premier temps il rappelle les possibles déterminations du monde comme propriété du Dasein :
être dans le monde ce n’est pas s’ouvrir, mais c’est le monde qui s’ouvre parce qu’il est dans le Dasein. Cf. § 14,
p. 64 : la mondanéité du monde en général n’est pas une détermination des étants intramondain, une
détermination du Dasein comme tel ; cf. § 4, p. 13 : être dans un monde ce n’est pas un caractère mondain qui
caractérise le Dasein, mais un caractère propre au Dasein qui est l’étant par lequel il y a un monde ; § 43, p. 206.
Nous sommes ici dans les polémiques de Heidegger contre le je-sans-monde, cf. § 63, p. 316, § 75, p. 388. le
monde est une détermination du je pur. C’est donc à l’intérieur de cette décision – la mondanéité n’est pas un
catégorial mais un existential – que l’analyse va se déployer.
L’analyse qui se déploie à partir du § 14 et surtout 15 vise à montrer les propriétés mondaines des
étants intramondains à partir de la détermination du Dasein lui-même. La thèse polémique qui se dégage :
quand l’ego n’est pas compris comme un Dasein, ce qui est impossible, c’est le rapport au monde (critique de
Descartes). Comment nous rapportons-nous au monde ? Nous nous rapportons au monde dans le cadre d’une
situation d’usage, la situation qui est de se soucier : la porte n’est pas faite pour qu’on la regarde mais pour qu’on

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l’ouvre ; le propre d’un étant est la façon dont il se rencontre. L’étant n’est pas ce qui se voit comme tel, mais
plutôt de me faire quelque chose par lui.
Mon rapport à l’étant est un rapport essentiellement non-réel : voir l’étant comme une chose c’est d’une
certaine manière la dissimuler. Quand je pense l’étant comme une chose, d’une certaine manière, je lui dénie
ou lui retire sa première forme d’apparition. C’est pourquoi il insiste sur le fait que les grecs concevaient les
choses comme pragmata, qui sont le résultat de la praxis, et non l’inverse ; les mathemata sont le résultat de
l’entreprise de connaître ; la praxis est la chose en tant que toujours-déjà-prise en main. « nous appelons l’étant
qui fait encontre dans le besoin le Zeug ». traduction habituelle : l’outil, mais au sens le plus large du terme.
Heidegger dira qu’une maison avant d’être un espace vide entre quatre murs, elle est fondamentalement un outil
à habiter : elle n’est construite que pour servir à habiter. La maison est d’abord un habitacle. L’allemand a un
usage très large de Zeug, c’est l’outil-pour ; c’est-ce dont on se sert pour, et l’une des premières caractéristiques
du Zeug, c’est qu’il n’y a pas. il n’y a jamais un Zeug, et pour une raison évidente : si la chose se rencontre
comme un outil, comme devant-servir-à, elle est toujours liée à un autre que soi : il n’y a pas de maison sans
un habitant potentiel ; dans une voiture, les bougies, le moteur en soi n’ont aucune réalité d’outil : l’outil n’est
possible que dans un système de renvoi, sur lequel nous reviendrons. Cf. p. 69. La vue propre d’un outil, c’est
l’Umsicht : je ne peux jamais le voir solitairement, il est toujours outil pour, um…zu (en vue de), pour
transporter quelqu’un. Il est donc clair que la vue de l’outil consiste toujours à regarder autour de l’outil ; La
fontaine parle de la poule qui est étonnée quand elle trouve une fourchette, car elle n’a pas d’umsicht, elle voit
sans voir à quoi ça sert, dans quelle structure de renvoi ça s’intègre. Cf. p. 69, la très belle analyse du marteau :
on ne le voit que si on s’en sert ; le fait de marteler n’est pas une chose que l’on peut faire avec le marteau : c’est
le contraire : c’est le marteler qui fait du marteau un marteau ; la forme et le matériau sont inessentiels à la
structure de renvoi. Comment a-t-on fabriqué le premier marteau ? il y a un moment ou l’os ou la pierre apparaît
comme un marteau, car tout d’un coup l’homme tape et s’aperçoit que ça martèle : il ne découvre le marteau
qu’à partir du marteler. Le marteau n’a aucune visibilité comme marteau. On ne voit pas l’ordinateur si on ne sait
pas ce que c’est. Il y a donc un mode d’être qui n’est pas d’abord théorique (le marteau n’a pas été inventé en
dessinant l’épure d’un marteau), c’est plutôt l’épure théorique qui est une soustraction, une abstraction, à partir
de l’usage. La zuhandenheit est le mode d’être de l’étant intramondain quand il est vu comme Zeug. Comment
traduire ? ce qui n’est que si on s’en sert, ce qu’on ne voit que si on s’en sert ; c’est-ce qu’on a à sa main, s’en
servir : « à portée-de-la-main » (Martineau), par opposition au Vorhanden, « sous-la-main », c’est-ce qui est là
disponible, même si on ne s’en sert pas, ce qui est en stock. Mon ordinateur est pour une grande part V, et une
très petite part V : c’est-ce qui reste visible même quand il n’est pas pris dans le maniement. C’est pourquoi il est
moins visible, moins étant que le Z. et donc il n’y a pas d’abord le monde objectif, qu’on observe en se reculant,
car ce geste ôte la visibilité des étants mondains : le point de vue théorique neutralise les étants : ce n’est pas
seulement notre regard, mais l’étant lui même qui est neutralisé. Quand la métaphysique privilégie
l’attitude théorique, elle s’interdit l’accès à la mondanéité. Heidegger dira toujours que la technique n’est
pas une application de la science ; l’usage n’est pas le résultat du savoir : la recherche est toujours faite en
vue des applications : c’est donc le souci de l’en-vue-de qui est au fondement de l’attitude théorique.
Pourquoi l’innovation est le moteur de la croissance ? car elle est toujours en vue de la croissance : la recherche
fondamentale n’intéresse personne. Ce qui intéresse, c’est la Z, qui est le mode originaire d’apparition des étants.
D’où la critique de la notion de chose, disponible, permanent, formalisé, au contraire de l’étant Z, Zeug.
On peut traduire Zeug par l’outil, mais c’est un peu réducteur, car pour nous les outils dessinent une région des
étants ; il faudrait un mot plus large : l’outil au sens ou il est utilisable, une pierre ou un fémur de diplodocus
peut servir à, et donc devenir un outil, sans changer de structure : elle change de statut ontologique, mais non de
structure. On pourrait traduire par l’ « utilisable », l’ « usuel ». Qu’est-ce qu’un usuel ? ce qui n’est pas en rayon,
mais disponible dans la salle parce que tout le monde s’en sert : livres comme les autres qui se distinguent des
autres parce qu’usuelles. Le Zeug est défini par son statut d’être pris dans l’usage.
Heidegger en arrive à cette remarque, p. 69 : l’étant n’est pas d’abord objet pour une théorie, mais il
n’apparaît pas thématiquement comme Z. lorsque je me sers de quelque chose que je transforme en un usuel,
je ne le vois plus. Quand on commence à skier, il ne faut pas regarder ses skis ; tant qu’on regarde ses skis, c’est
qu’il ne sont pas encore usuels, il ne sont pas regardés comme ski ; de même, on ne regarde pas la voiture ni les
touches. Il y a donc un retrait de l’étant usuel, et ceci lui est constitutif. Pourquoi ? car nous sommes dans la
situation de l’usage, entièrement concentré sur tout sauf sur l’étant à portée de la main dont nous usons. On
regarde vers le but. Quand on joue au tennis, on regarde la balle, non la raquette, et au moment ou l’autre la
frappe, pour anticiper. C’est pourquoi pour voir un objet, il faut ne plus s’en servir, et ce que Duchamp a
compris. Il est donc essentiel à l’étant de disparaître dans son usage. Il est tout entier dépendant de la structure de
renvoi. Les choses que nous achetons sont accompagnées d’un mode d’emploi, ce qu’il faut lire pour ne plus
avoir à regarder la chose. Donc nous avons trouvé la détermination essentiel de l’étant dans le monde : il est
(p. 71) à portée de main, à la main. C’est une détermination ontologico-catégoriale (catégorial, car il ne
s’agit pas du Dasein) de l’étant tel qu’il est en soi : il ne faut pas penser que c’est là un étant-pour-nous
par opposition à l’étant de l’attitude théorique. Pourquoi ? Heidegger ne le dit pas mais on peut le deviner : 1/

14
l’étant permanent, détaché, est un objet ; or un objet est précisément jamais en soi, car il est constitué par et à
la mesure du sujet. il n’y a aucun paradoxe là-dedans : l’objet subsistant n’est pas en soi. 2/ il n’est pas en soi
car il n’est dans aucun monde, c’est l’objet qui nous attend sur les planètes que nous n’atteindrons jamais. Ces
choses sont V, déficients, dans une situation de pénurie de monde ; on n’en fera jamais rien, il ne seront jamais
pris dans une structure de renvoi, ils sont en marge du monde. Si on veut voir un étant en possession de tous ses
moyens, il faut donc qu’il soit Z. le meilleur exemple, ce serait le sport : ce avec quoi on fait un sport n’a de sens
qu’en tant que Z : il ne suffit pas de voir une barre fixe pour la faire apparaître comme barre fixe. Donc l’étant,
en tant qu’on l’a à la main est en soi, et c’est son mode d’être.
Mais alors, au terme de cette analyse, deux choses ne sont pas claires : 1/ quel est le rôle du Dasein
dans cette mise en scène de l’étant en tant qu’à la main : comment on arrive du catégorial à l’existential ?
Mais avant même cela, 2/ si le propre de l’usuel est qu’il n’apparaît pas, comment le voyons-nous ? nous
sommes dans le phénomène au sens de Heidegger, le phénomène de prime abord ne se manifeste pas. exemple
type : nous ne savons pas quels sont nos organes tant que nous ne sommes pas malades à cause d’eux. C’est
pourquoi le § 16 va tenter de montrer comment la mondanéité du monde peut s’annoncer, manifester sa
présence, dans l’étant qui ne se manifeste pas. le paradoxe, la difficulté, c’est que le monde n’est pas un étant
intramondain et le propre de l’étant intramondain dont on s’assure le maniement, c’est que l’acte même de le
manie le rend invisible. C’est ici que Heidegger fait une analyse assez célèbre et remarquable, en montrant les
trois caractères de l’usuel qui rend manifeste la mondanéité du monde. Comment l’usuel se fait remarquer ? il
se fait remarquer dans la mesure où on ne peut s’en servir, et il y a trois manières : 1/ auffallen, se faire
remarquer : le Z fait l’intéressant, se fait remarquer, comme l’enfant qui fait l’intéressant ; il est en panne : le
marteau mal emmanché ; la voiture ne démarre pas, elle est en panne, vous êtes affolés, vous ouvrez le capot,
mais vous avez l’air malin, vous n’en savez pas plus : là vous la regardez ; elle se fait remarquer parce qu’elle ne
marche pas. En ce sens la panne d’auto n’est pas une caractéristique réelle de l’auto, c’est une modalité qui
change sa manière d’être : si elle le fait trop souvent, elle va devenir un tas de ferraille. Ce changement de
mode d’être montre bien a contrario que l’auto ne vaut que si elle marche, si elle est, en soi, utilisable ou
inutilisable. 2/ l’Aufdringlichkeit, qu’on peut traduire par l’insistance : c’est la situation dans laquelle l’étant
devient inopportun. L’étant dont on ne voit que lui, c’est l’étant manquant : j’ai la pipe, le tabac, mais pas
d’allumette. C’est la situation de Luke au début de L’Empire contre attaque : il a le sabre laser à un mètre de lui,
mais il ne peut pas le prendre : le sabre laser est visible en tant que manquant, il est d’une présence insistance
en tant que manquant : la notion d’étant manquant est évidemment déterminante et Heidegger dit p. 75 : si
vous avez un sabre laser à vingt mètres mais que la force n’est pas avec vous, il n’est pas là ; la chose est
insistante en tant qu’elle est simplement V. au début du Corniaud, la Roll’s de Louis de Funès engloutit la 2CV
de bourvil, et Bourvil tient le volant : la Z a disparu, mais reste la V. ce qui manque c’est la Z, et le scénariste l’a
compris. 3/ l’Aufsässigkeit, la saturation ou l’obstination : vous avez le marteau et le clou, mais il y a du béton,
ou un nœud de bois, et là « ça commence à m’énerver, à bien faire » : la chose s’obstine à faire obstacle à son
utilisation. C’est plus frustrant : ici encore rien de subsistant ne manque, le marteau, les clous, la subsistance – et
pourtant vous ne pouvez pas faire votre travail ; le V fait de la résistance, c’est la résistance, il est décalé par
rapport à l’usage. Si j’osais un exemple, quand le Grand Schtroumf demande un fruit et qu’on lui apporte un
autre.
Il y a dans ces trois cas, négativement, nous voyons la z en tant qu’elle manque à l’étant qui cette fois
ci prend l’allure de l’étant v, neutralisé ; et dans l’étant neutralisé il n’y pas de déception, mais il est, dans la
métaphysique, comme dans Descartes dans la première méditation : Descartes est libre ab omnibus curis : il est
libre de l’ustensilité des usuels, il n’en a rien à faire, et donc va penser les choses. Or pour Heidegger notre
rapport au monde est phénoménologiquement quand justement nous avons à faire, mais alors là justement nous
ne voyons pas les étants. Donc de prime abord et …, nous ne voyons les étants que comme subsistants et
permanents, et dans le cas de la panne nous ne voyons plus les étants. Pourquoi quand nous ne pouvons plus
manier les étants nous les fait apparaître comme maniables ? car précisément c’est le signe qu’ils n’était pas
auparavant subsistant. C’est la destruction de la structure de renvoi dans un étant qui n’a de sens que dans
la structure de renvoi. C’est donc la structure de renvoi et uniquement elle qui définit la mondanéité, cf. p.
76. C’est la structure de renvoi qui est constitutive et Heidegger l’appelle la confiance dans le monde : le monde
ne nous fait pas peur ; si vous savez faire du bateau, le coup de vent ne fait pas peur, vous avez confiance en
vous, mais c’est au fond une confiance dans le monde : c’est à ce moment là qu’il y a un monde.
Reste le point de savoir comment le renvoi se fait ; il se fait de sorte qu’à un certain moment il
n’est plus possible de continuer à renvoyer. Nous disons le monde quand la structure de renvoi ne peut-
être prolongé d’un étant z à un autre étant z. quand l’étant usuel est analysé en un premier temps il est
toujours analysé par un renvoi, lequel est indéfini par définition : parce que, parce que… Et il y a un moment ou
le parce que ne se pose plus. Chez saint Augustin, il y a des étants dont on se sert (uti), qui ne sont jamais une
fin, au contraire quand c’est une fin, on en jouit (frui) ; dans la z, on considère toujours un étant comme un
moyen pour un autre étant. Quand cette structure ne peut pas être poursuivie, c’est à ce moment qu’il y a
accès au Dasein : c’est ultimement en vue du Dasein que l’usuel est constitué.

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Ça nous fait comprendre la première caractéristique du Dasein : l’étant dans lequel il y va de lui même,
alors que les autres étants il n’y va jamais d’eux-mêmes, ils sont pris dans le système de renvoi. L’étant ne
renvoie qu’à son être.
Mais qu’est-ce qu’un système de renvoi ? on peut l’envisager circulaire, neutre, sans Dasein, comme un
web sans fin. Heidegger introduit entre le système de renvoi et le Dasein une autre instance : la Bewandnis, qui
permet de comprendre la Wendung (la tournure). Pour comprendre ça, cf. § 17 : un cas particulier du z, c’est le
signe, qui permet de comprendre la structure de renvoi. C’est un mode privilégié du renvoi. Heidegger prend
l’exemple de l’automobile avec les petites flèches qui indiquent la direction : c’est un signe qui ne montre rien ;
je veux dire, quand apparaît ce signal, le signal ne se signale pas lui-même, il faut le repérer mais ne pas le voir ;
il faut voir non plus le côté droit ou gauche de la voiture, ça n’indique même pas la voie à droite ou à gauche du
prochain carrefour : ça indique l’intention qu’on a de tourner. L’autre conducteur a besoin de savoir cette
intention. Le signal est en vue d’indiquer votre attention. Ce système de renvoi est conçu par le conducteur,
car il sait très bien de quoi il retourne ; mais il faut que les autres aussi comprennent sinon c’est un danger
public : quand il ne voit pas les renvois que tout le monde voit passer, il est hors du système de renvoi. Il faut
donc savoir ce dont il retourne, et c’est exactement la définition de la Bewandnis, être versé dans, s’y
retrouver ; c’est la tournure, ce dont il retourne.
Le système de renvois n’est pas seulement connecté au Dasein négativement – car il l’arrête –
mais parce que seul le Dasein sait ce dont il retourne : le Dasein est le seul pour qui il y a un monde, qui rend
possible un système de renvoi : c’est à la mesure de la Bewandnis que se détermine le système de renvoi.
Rastignac sait de quoi il retourne, alors il peut se faire une place dans le monde – mais le monde n’est plus alors
une définition spatiale : chacun a le monde qu’il mérite, le monde qu’il s’ouvre. Le Dasein s’en fait tout un
monde. Je fais exprès de garder ces mots car ce n’est pas écrit en termes métaphysique, mais en laissant parler le
langage.

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