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UNIVERSITÉ DE SFAX

FACULTÉ DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET DE GESTION DE SFAX

COMMISSION D’EXPERTISE COMPTABLE

MÉMOIRE PRÉSENTÉ EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLÔME


D’EXPERT COMPTABLE

LE RECOURS AUX ÉLÉMENTS EXTRACOMPTABLES DANS LES


OPÉRATIONS DE VÉRIFICATIONS FISCALES :

QUEL IMPACT SUR LA VALEUR PROBANTE DE LA COMPTABILITÉ ?

Élaboré par : Sous la direction de :

Mohamed Ali KALLEL Mr Fayçal DERBEL

Année universitaire : 2012-2013


A mes parents pour leurs amour et sacrifices continus

A ma femme pour son encouragement et son soutien inconditionnel

A mon fils pour tout l’amour que je lui porte

A mes sœurs et mes beaux frères

A mes beaux parents

A mes belles sœurs et mes beaux frères

A mes amis et à tous ceux que j’aime


REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, je tiens tout d’abord à remercier mon encadrant, Mr.


Fayçal DERBEL pour ses encouragements continus, sa disponibilité, ses qualités
scientifiques et humaines ainsi que ses précieux conseils tout au long des différentes
phases de réalisation de ce mémoire.

Je tiens aussi à exprimer toute ma reconnaissance à Mr. Hédi TURKI, pour


l’intérêt qu’il a accordé à ce travail et pour son aide précieuse, qu’il n’a pas hésité à me
prodiguer.

Je présente également mes vifs remerciements à tous les membres du jury qui
ont bien accepté de valoriser et de juger ce mémoire.

Enfin, je remercie toute personne qui a participé directement ou indirectement


à la réalisation de ce travail.
ABRÉVIATION

Art. Article
BODI Bulletin Officiel de la Direction générale des Impôts
CDPF Cde des Droits et Procédures fiscaux
CA Cour Administrative (Maroc)
CAA Cour Administrative d’Appel (France)
Cass Cassation
CE Conseil d’État (France)
CGI Code Général des Impôts (France)
CNRF Commission Nationale de Recours Fiscal (Maroc)
COC Code des Obligations et des Contrats
Comm Commentaire
CSTO Commission Supérieure de Taxation d’Office
DEA Diplôme des Études Approfondies
DGCF Direction Générale du Contrôle Fiscal Tunisie
DGELF Direction Générale des Études et de Contrôle Fiscal
DGI Direction Générale des Impôts
Ibid Au même endroit
IORT Imprimerie Officielle de la République Tunisienne
IRPP Impôt des Revenus des Personnes Physiques
IS Impôt sur les Sociétés
JORT Journal Officiel de la République Tunisienne
LPF Livre des Procédures Fiscaux (France)
NCT Norme Comptable Tunisienne
Op. cit Ouvrage précité
P. Page
Plén Assemblée plénière
PUF Presses Universitaires de France
RCF Revue Comptables et Financières
Req Requête
RJF Revue de Jurisprudence Fiscale
RTF Revue Tunisienne de Fiscalité
TA Tribunal Administratif
TPI Tribunal de Première Instance
TVA Taxe sur la valeur ajoutée
V. Voir
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

SOMMAIRE

INTRODUCTION ............................................................................................................... 3
PREMIÈRE PARTIE :
LA VALEUR PROBANTE D’UNE COMPTABILITÉ EN MATIÈRE FISCALE ET LE
POUVOIR D’APPRÉCIATION DE L’ADMINISTRATION FISCALE ........................ 11
INTRODUCTION ...................................................................................................................................... 12
CHAPITRE I : LES ORIGINES DES OBLIGATIONS COMPTABLES EN MATIÈRE FISCALE ................... 13
Section 1 : Les sources législatives et réglementaires...................................................................................13
1. Les prescriptions du droit comptable ................................................................................. 13
2. Les prescriptions du droit fiscal .......................................................................................... 16
Section 2 : Les sources jurisprudentielles et doctrinales .............................................................................. 23
1. La jurisprudence.....................................................................................................................24
2. La doctrine administrative .................................................................................................... 24
CHAPITRE II : LA COMPTABILITÉ NON CONFORME AUX EXIGENCES FISCALES ............................ 26
Section 1 : Comptabilité non probante pour des irrégularités de forme ....................................................... 26
1. L’absence des livres légaux ................................................................................................... 27
2. Le défaut d’inventaire physique ........................................................................................... 42
Section 2 : Les obligations comptables en cas de tenue de comptabilité informatisée .................................... 45
Section 3 : Comptabilité non probante pour des irrégularités graves de fond ............................................... 48
1. L’exhaustivité et la réalité des écritures comptables ......................................................... 49
2. Autres irrégularités graves de fond...................................................................................... 65
3. La qualité des enregistrements comptables........................................................................ 72
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ............................................................................................... 74
DEUXIÈME PARTIE :
L’ÉVALUATION EXTRACOMPTABLE DES BASES D’IMPOSITION DANS LE
CADRE D’UNE VÉRIFICATION FISCALE. ................................................................. 76
CHAPITRE I : LE RECOURS À LA RECONSTITUTION EXTRACOMPTABLE DES BASES D’IMPOSITION77
Section 1 : Le recours à l’évaluation extracomptable en cas de défaut de présentation de comptabilité.......... 78
Section 2 : Le recours à l’évaluation extracomptable en présence d’une comptabilité non probante............... 82
1. La motivation du rejet de comptabilité .............................................................................. 87
Section 3 : La possibilité de recours simultané aux éléments comptables et extracomptables en présence d’une
comptabilité régulière ............................................................................................................................... 88
1. L’ambiguïté de la loi quant à l’admission du recours simultané...................................... 90
2. L’absence d’une jurisprudence constante sur la possibilité du recours simultané........ 93

1
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

3. Les conséquences du recours simultané en présence d’une comptabilité régulière ...100


Section 4 : Les effets du rejet de la comptabilité sur la détermination du résultat fiscal .............................109
CHAPITRE II : LES TECHNIQUES ET LES MOYENS EXTRACOMPTABLES DE REDRESSEMENT .....112
Section 1 : les techniques extracomptables de redressement prévues par le CDPF et par le code de l’IRPP et de
l’IS.......................................................................................................................................................113
1. Les présomptions de droit et de fait .................................................................................114
2. Les renseignements (le droit de communication) ...........................................................127
3. Les documents .....................................................................................................................133
Section 2 : les méthodes de reconstitution des bases d’imposition utilisées par l’administration ..................134
1. L’évaluation extracomptable des bases d’imposition à partir des éléments internes à
l’activité de l’entreprise. ...............................................................................................................135
2. L’évaluation extracomptable des bases d’imposition à partir des éléments externes à
l’activité de l’entreprise ................................................................................................................143
Section 3 : La contestation par le contribuable des méthodes de reconstitution ..........................................149
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE............................................................................................151
TROISIÈME PARTIE :
ÉTUDE PRATIQUE DE L’ÉTENDUE DU RECOURS DE L’ADMINISTRATION
FISCALE AUX PRÉSOMPTIONS ET AUX MÉTHODES EXTRACOMPTABLES .. 153
SECTION 1 : PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE.........................................................................................154
1- Présentation des arrêtés de taxation d’office........................................................................................155
2- Présentation des arrêts du tribunal administratif................................................................................156
SECTION 2 : SYNTHÈSE DES CONSTATATIONS RELEVÉES. .............................................................. 156
1- Analyse des arrêtés de taxation d’office..............................................................................................156
2- Analyse des arrêts du tribunal administratif......................................................................................162
SECTION 3 : RECOMMANDATIONS ET REMÈDES PROPOSÉS. ..........................................................170
CONCLUSION ................................................................................................................ 176
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................181

2
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

INTRODUCTION

À l’instar de la plupart des systèmes fiscaux à travers le monde, le système fiscal


tunisien est pour l’essentiel un système déclaratif basé sur le dépôt spontané par les
contribuables de leurs déclarations1.

De ce fait, le contribuable détermine lui-même le montant de sa contribution


aux charges publiques, en déclarant son chiffre d’affaires, son revenu ou son résultat
fiscal et en payant spontanément l’impôt correspondant. Corrélativement, pour
assurer une imposition aussi exacte que possible, l’administration fiscale peut exercer
son droit de contrôle, corollaire du caractère déclaratif de l’impôt.

Basé sur le dépôt volontaire des déclarations, le système déclaratif ne peut être
efficace que s’il est assorti d’un système de contrôle fiscal juste et impartial
permettant de sanctionner la carence des contribuables2. On parle ainsi du système de
la déclaration contrôlée qui « consiste à exiger à des assujettis eux même l’annonce de la matière
imposable existant chez eux, sauf, bien entendu le contrôle de cette déclaration par l’administration.
Les assujettis collaborent directement et activement à l’évaluation de la matière imposable »3.

En outre, les contrôles effectués par l’administration constituent un moyen


essentiel de stabilité des finances publiques et de maintien d’une concurrence saine
entre les entreprises4. En effet, le facteur fiscal constitue une composante essentielle

1 L’article 2 du CDPF stipule que : « L'accomplissement du devoir fiscal suppose la déclaration spontanée de l'impôt dans les délais impartis
et le respect des autres obligations prescrites par la législation fiscale ».
2 M. BOUZID-AJROUD, « La taxation d’office et droit fiscal tunisien », thèse pour le doctorat en droit », mars 2009, p.31.
3 M. WALINE et J. LAFERRIERE, « Traité élémentaire de science et de législation financières, Paris, LGDJ, 1952, p.306.
4 Dans une économie de marché, la concurrence saine suppose que tous les intervenants ont les mêmes droits et obligations, et sont, par
conséquent, soumis aux même règles.

3
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

des règles de cette concurrence et ce, en éliminant toutes sources d’inégalité et de


concurrence déloyale qui peuvent être accordées aux contribuables faillis à leurs
obligations fiscales.

Plus fondamentalement et au-delà de la réparation de la transgression de la règle


fiscale, l’action du contrôle fiscal en matière de dissuasion et de répression de la
fraude contribue fortement à la promotion du civisme fiscal et au rétablissement de
l’équité fiscale. 5

Ainsi, le contrôle fiscal revêt une grande importance grâce à ses actions de
surveillance du système déclaratif et de recherche de la fraude. Ceci permet d’assurer
une répartition équitable des charges publiques qui ont pour corollaire l’égalité des
conditions fiscales d’exercice de la concurrence et de limitation des pertes de recettes
publiques.

Partant de cette importance, le législateur fiscal a doté l’administration d’un


ensemble de moyens et prérogatives lui permettant de mener à bien cette mission.
Ces prérogatives représentent essentiellement la vérification de comptabilité, le droit
de demande de renseignements, d’éclaircissements et de justification, le droit de
communication, le pouvoir d’appréciation, le pouvoir de redressement, etc.

Toutefois, le contrôle fiscal inhérent à tout système déclaratif, comporte des


risques liés aux prérogatives extrêmement larges confiées par la loi à l’autorité
administrative fiscale6. En effet, soucieux d’améliorer la rentabilité de l’impôt et
d’assurer une lutte efficace contre la fraude fiscale, le législateur à consolider les
pouvoirs de l’administration en matière de contrôle fiscal.

5 O. RASSOUNI, « le cadre juridique du contrôle fiscal : recherche de l’efficacité et droits des contribuables », p.1.
6 N. BACCOUCHE, « De la nécessité du contrôle fiscal », RTF, n°1, 2004, p.28.

4
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce contexte, avec la promulgation du CDPF, le législateur a donné le droit


à l’administration fiscale de procéder à la vérification approfondie en se basant sur la
comptabilité du redevable de l’impôt pour les personnes soumises à la tenue de
comptabilité, il lui a également donné le droit, dans tous les cas, de se baser sur des
présomptions de droit et de fait et sur les renseignements et documents, c'est-à-dire
même en présence d’une comptabilité tenue conformément à la loi.

Ainsi, dans le cadre de contrôle ou de la vérification fiscale, le législateur a


autorisé l’administration, dans un premier temps, d’établir l'impôt et rectifier les
déclarations sur la base de présomptions de droit ou de présomptions de fait.7

Ensuite, il a confirmé la possibilité du recours aux éléments extracomptables


pour vérifier la situation fiscale du contribuable même en présence d’une comptabilité
probante et ce, à travers l’article 38 du CDPF qui prévoit que « la vérification approfondie
s’effectue sur la base de la comptabilité pour le contribuable soumis à l’obligation de tenue de
comptabilité et dans tous les cas sur la base de renseignements, de documents ou de présomptions
de fait ou de droit ».

Ces dispositions pourraient conférer à l’administration un pouvoir et des marges


de manœuvres excessivement larges, pour recourir à des présomptions, quand bien
même la comptabilité demeure, sur le fond, probante et sincère, ce qui confirme une
certaine emprise de la fiscalité sur la comptabilité 8. En effet, l’imprécision du cadre
juridique régissant le recours aux éléments extracomptables et notamment les
présomptions de fait et de droit, donne à penser que la méthode comptable ne
bénéficie d’aucune priorité et amène à se demander si cette dernière peut être

7 Dans ce cadre, l’article 6 du CDPF prévoit : « Elle (l’administration) peut établir l'impôt et rectifier les déclarations sur la base de
présomptions de droit ou de présomptions de fait formées notamment de comparaison avec des exploitations, des sources de revues ou des
opérations similaires ».
8 : F. DERBEL, « Rejet de la comptabilité et recours aux éléments extra-comptable », RCF N°72, printemps 2006. p.61.

5
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

concurrencée et même repoussée en faveur de la méthode extracomptable de


reconstitution.

Le rejet de comptabilité entraine inévitablement des conséquences fiscales


importantes pour le contribuable concerné. L’expérience montre que les
redressements opérés étaient dans la plupart des cas plus lourds lorsque la
comptabilité était rejetée. Il s’agit alors pour le contribuable d’éviter des rappels
d’impôts qui constituent toujours une source sérieuse de déséquilibre financier.

De même, le rejet de la comptabilité implique nécessairement le recours à des


éléments extracomptables qui ont parfois des effets préjudiciables concernant la
charge de la preuve, la durée de l’opération de vérification et la responsabilité des
dirigeants sociaux. Cette situation constitue une arme redoutable qui permet à
l’administration d’arrêter l’assiette d’imposition d’une manière approximative et
conduit, en conséquent à des risques considérables de discrétionnaire.

En Tunisie, le législateur fiscal, à la différence de ses homologues français,


marocain et algérien, n’a pas spécifié la vérification approfondie, basée sur la
comptabilité, par des règles de procédures autonomes permettant de mettre à l’abri le
contribuable transparent tenant une comptabilité régulière, de tous redressements
basés sur des techniques extracomptables. De ce fait, l’appréciation des motifs de
maintien ou de rejet de la comptabilité dépend des agents de l’administration.

En effet, les appréciations sur un même cas peuvent diverger d’un service à
l’autre. C’est ainsi que, même si la comptabilité présentée ne porte aucune des
irrégularités graves, l’administration peut remettre en cause ladite comptabilité et
recourir aux éléments extracomptables.

6
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

De ce fait, le contribuable qui voit sa comptabilité rejetée, perd


systématiquement la présomption d’exactitude de ses déclarations fiscales et se trouve
contraint d’apporter la preuve de la sincérité de ses déclarations ou de l’exactitude de
l’imposition. Une mission qui parait très difficile en le privant de sa comptabilité, son
seul moyen de preuve tangible et direct dont le contribuable peut se prévaloir pour
justifier ses déclarations.

Partant de là, il est important pour le contribuable de connaitre les cas dans
lesquels l’administration peut rejeter sa comptabilité. C'est-à-dire, quand et comment
la comptabilité peut être écartée et substituée par d’autres moyens de détermination
des bases d’imposition.

Le droit fiscal tunisien accorde à la comptabilité une place déterminante. En


effet, les règles de détermination de la matière imposable selon le régime réel se
basent fondamentalement sur la comptabilité. Ainsi, la comptabilité représente, sur le
plan fiscal, un mode de preuve qui doit permettre au contribuable de justifier ses
déclarations fiscales.

Toutefois, contrairement à la législation comptable9 qui a défini les conditions et


les caractéristiques qu’une comptabilité doit remplir, le législateur a gardé le silence à
cet égard sur le plan fiscal. Il n’a pas énoncé d’une manière spécifique les motifs et les
causes de maintien ou de rejet de la comptabilité. Ainsi, les cas susceptibles
d’entrainer le rejet de la comptabilité n’ont pas été expressément définis et précisés au
niveau de la réglementation fiscale en vigueur et demeure jusqu'à aujourd’hui, soit
douze ans après la promulgation du CDPF, une notion aux contours flous.

9 La loi n°96-112 du 30 décembre 1996 et le système comptable des entreprises représentent la base du droit comptable.

7
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

De même, malgré son importance dans le contentieux fiscal, opposant


l’administration au contribuable et l’absence d’une réglementation claire, le rejet de
comptabilité n’a pas fait l’objet d’une doctrine administrative abondante permettant
de combler le vide législatif. Nous n’avons pu relever dans toute cette doctrine que
deux notes communes traitant cette question, à savoir la note commune n° 16 du 2
mai 1967 et la note commune 23/2005 et quelques prises de position qui constituent
des réponses fournies par l’administration aux questions et demandes
d’éclaircissement formulées par les contribuables.

De son côté, la jurisprudence n’a pas dégagé une règle générale applicable au
rejet de la comptabilité, elle a traité ce problème d’une manière casuistique10. En effet,
les jugements prononcés par les tribunaux en matière de recours aux éléments
extracomptables diffèrent d’un tribunal à un autre alors que l’objet du litige est
pratiquement le même.

En ce sens, cette situation constitue une source de contentieux abondante que


les juges de l’impôt s’efforceront de régler et rend alors d’actualité la question de la
réforme fiscale qui doit définir les cas de rejet de comptabilité et perfectionner les
textes fiscaux ambigus concernant la possibilité ou l’impossibilité du cumul du
comptable et de l’extracomptable.

Nous pouvons déduire que l’absence de garanties procédurales réglementant le


recours aux éléments extracomptables, l’absence d’un traitement préférentiel pour le
contribuable tenant une comptabilité régulière et la subjectivité et le caractère
approximatif des méthodes extracomptables utilisées par les vérificateurs rendent la
situation du contribuable fragile face à l’administration fiscale qui en profite. Ceci
nous amène à poser la problématique principale de notre recherche :

10 : A. ABOUDA, « Code des droits et procédures fiscaux : contrôle, contentieux et sanctions », Edition I.O.R.T, 2001, p.108.

8
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans quelles mesures la vérification approfondie du contribuable peut


s’effectuer sur des bases extracomptables. Réciproquement, est-il possible pour un
contribuable, tenant une comptabilité conformément à la législation comptable de se
prévaloir de cette comptabilité pour prouver la sincérité de ses déclarations ?

Dans ce cadre, le traitement d’un sujet portant le recours aux éléments


extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales, même en présence d’une
comptabilité fiable et sincère présente un double intérêt incontestable :

- En premier lieu, pour le contribuable, puisque une connaissance des


caractéristiques et des conditions qu’une comptabilité doit remplir pour assurer sa
fiabilité et sa sincérité du point de vue fiscal, permet d’éviter les conséquences
dommageables sur la pérennité de l’entreprise et la continuité de l’exploitation.
- En deuxième lieu, pour les professionnels, en essayant de tracer les grandes lignes
des orientations législatives susceptibles de réduire l’étendue de l’arbitrage fiscal au
niveau du rejet de la preuve comptable et de la reconstitution de la base d’imposition.

En vue de répondre à la problématique de notre recherche et atteindre les


objectifs qui lui sont assignés, nous proposons une étude de cette problématique en
trois parties :

Dans la première partie nous aborderons la valeur probante d’une comptabilité


en matière fiscale et le pouvoir d’appréciation de l’administration. Cette partie va être
appuyée par des cas d’irrégularités décelées par la jurisprudence tunisienne ainsi que
d’autres étrangères pouvant atténuer la valeur probante de la comptabilité.

Dans la deuxième partie nous examinerons, en premier lieu, le rejet de la


comptabilité et le recours à l’évaluation extracomptable même en présence d’une
comptabilité non rejetée, et en deuxième lieu, nous traiterons les techniques et les

9
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

moyens utilisés par les vérificateurs leurs permettant de fixer les bases d’imposition
du contribuable. Dans cette deuxième partie nous nous attacherons à fournir une
revue du droit comparé tel que le droit fiscal français, marocain et algérien.

La troisième partie sera consacrée à une vérification empirique de l’étendue du


recours de l’administration fiscale aux présomptions et aux méthodes
extracomptables. Cette analyse empirique sera faite à travers l’examen des arrêts des
tribunaux administratifs et des arrêtés de taxation d’office. Elle nous permettra de
détecter les incohérences et d’avancer certaines recommandations susceptibles de
préciser les règles fiscales en matière de rejet de comptabilité et d’aider à améliorer les
rapports « administration fiscale-contribuables ».

10
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Première partie :

La valeur probante d’une comptabilité en matière fiscale


et le pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale

11
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Introduction

La comptabilité représente, sur le plan fiscal, un mode de preuve qui doit


permettre aux contribuables exerçant une activité économique de justifier leurs
données déclarées (résultat, chiffre d’affaires…etc.).

Sur le plan comptable, le législateur tunisien a défini les conditions et


caractéristiques qu’une comptabilité doit remplir (premier chapitre). Sur le plan
fiscal, le législateur a plutôt gardé le silence à cet égard. Il n’a pas énoncé d’une
manière spécifique les motifs décisifs risquant de mettre en cause la valeur probante
de la comptabilité. Devant ce silence, il y a lieu de rechercher ces motifs a travers la
jurisprudence tunisienne et d’autres jurisprudences en la matière (deuxième
chapitre).

12
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Chapitre I : Les origines des obligations comptables en matière fiscale

La comptabilité trouve sa force probante dans plusieurs sources législatives,


jurisprudentielles et même doctrinales.

Les sources d’origine législative et réglementaire abordent deux domaines


complémentaires : le droit comptable et le droit fiscal. Ces sources sont complétées
par la jurisprudence et la doctrine.

Section 1 : Les sources législatives et réglementaires

1. Les prescriptions du droit comptable

Les sources émanant du droit comptable proviennent du code de commerce et


de la loi relative au système comptable des entreprises qui contribuent à la
constitution d’un ensemble cohérent de règles auxquelles sont soumis les
commerçants dans l’établissement et la présentation de leurs comptes annuels.

Par conséquent, les commerçants doivent dans l’établissement et la présentation


de leurs comptes annuels se soumettre aux prescriptions du code de commerce et du
système comptable des entreprises.

1.1 Le code de commerce

Les obligations comptables des personnes physiques ou morales ayant la qualité


de commerçant résultent des dispositions des articles 7 à 13 du code de commerce.

Dans ce cadre, le code de commerce dans le titre II intitulé « des livres de


commerce » de son livre premier intitulé « du commerce général » fixe :

13
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Les personnes assujetties à la tenue d’une comptabilité conformément au système


comptable des entreprises.

En effet l’article 7 du code de commerce stipule que : « toute personne physique ou


morale ayant la qualité de commerçant est assujettie à la tenue d'une comptabilité conforme aux
usages de la profession et aux dispositions des articles 8 à 13 ci-après ».

- Les personnes dispensées de la tenue d’une comptabilité conformément au


système comptable des entreprises : ce sont les personnes physiques dont leur chiffre
d'affaires annuel est inférieur à un chiffre fixé périodiquement par décret11.

- les principales obligations en matière de tenue d’une comptabilité, qui imposent :

- l’enregistrement chronologique des opérations réalisées par le commerçant.

- l’établissement d’un inventaire des éléments actifs et passifs de leur entreprise.


Le détail de cet inventaire est porté sur un livre d'inventaire.

- L’établissement et la conservation des documents comptables pendant une


période de 10 ans.

- L’authentification et le paraphe des registres comptables.

Par conséquent, ces obligations et formalismes ont pour objectif de permettre


d'assurer l'irréversibilité des enregistrements comptables et de garantir aux livres
prévus par ce code, régulièrement tenus, la possibilité d’être admis par le juge pour
faire preuve entre commerçants pour faits de commerce.

Ces objectifs sont prévus par l’article 11 du code de commerce stipulant que
« Les livres de commerce, régulièrement tenus, peuvent être admis par le juge pour faire preuve entre
commerçants pour faits de commerce ».

11 Article 7 du code de commerce.

14
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Selon ces dispositions, les livres comptables font foi à l’encontre de celui qui les
tient, c'est-à-dire ils constituent un moyen de preuve à son encontre.

Enfin, parallèlement aux dispositions du code de commerce, le droit et la


normalisation comptable constituent une source supplémentaire et complémentaire
aux obligations comptables des commerçants.

1.2 Le droit comptable

La loi comptable et le système comptable des entreprises représentent la base du


droit comptable.

Dans ce cadre, la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 relative au système


comptable des entreprises, le décret n°96-2459 du 30 décembre 1996 portant
approbation du cadre conceptuel de la comptabilité et les normes comptables ont fixé
le système comptable des entreprises ainsi que les conditions et les modalités de sa
mise en place, constituant ainsi un apport considérable en donnant à la législation
comptable la force de preuve devant les juridictions compétentes.

Dans ce sens, l’article 26 de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 stipule que :


« Les documents comptables prévus à l’article 2512 de la présente loi peuvent être admis, pour faire
preuve en justice, à condition qu’ils soient conformes aux dispositions de la présente loi ».

Ainsi, cet article reconnaît la comptabilité comme le moyen de preuve privilégié


des opérations faites par la société et énonce « le principe de la primauté de la preuve
comptable lorsque cette comptabilité est régulièrement tenue » 13.

12 Les documents comptables prévus par l’article 25 sont Les états financiers relatifs ainsi que les documents, les livres, les balances et les
pièces justificatives y afférentes.
13 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extra-comptables dans le cas d’une comptabilité
régulière », RCF n°71, Hiver 2006, p.45.

15
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Concernant les personnes soumises à la tenue d’une comptabilité, l’article


premier de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 fixe les personnes assujetties à la
tenue d’une comptabilité conformément au système comptable des entreprises. Il
prévoit que les dispositions de cette loi s’appliquent à toute personne soumise à
l’obligation de tenue de comptabilité par les textes fiscaux en vertu de la législation
fiscale en vigueur à l’exception des entreprises soumises, dans la tenue de leur
comptabilité, aux dispositions du code de la comptabilité publique et des entreprises
qui répondent aux conditions fixées par des législations spéciales pour la tenue d’une
comptabilité simplifiée définie par les normes comptables.

1.3 Le code des obligations et des contrats

L’article 461 du code des obligations et des contrats stipule que « lorsque les livres
des marchands portent l'annotation ou la reconnaissance écrite de l'autre partie, ou correspondent à
un double qui se trouve entre les mains de cette dernière, ils constituent pleine preuve contre elle et en
sa faveur ». De même l’article 462 du même code prévoit que « Les inscriptions faites sur
les livres de commerce par le commis qui tient les écritures, ou qui est chargé de la comptabilité, ont la
même foi que si elles étaient écrites par le commettant lui-même ».

2. Les prescriptions du droit fiscal

Les différents codes en vigueur en matière fiscale, tels que le code de l’impôt sur
le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés, la taxe sur la valeur
ajoutée, le code des incitations aux investissements ou même le code des droits et
procédures fiscaux ont fait de la tenue de comptabilité une obligation fiscale.

16
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2.1 Code de l’IRPP et de l’IS

En droit fiscal, la comptabilité a une place déterminante en matière d’impôts


directs, en effet, la fiscalité repose sur la comptabilité pour déterminer les bases
d’imposition du contribuable.

Le code de l’IRPP et de l’IS pose la tenue d’une comptabilité conformément à la


législation comptable des entreprises comme condition sine qua non pour pouvoir
prétendre aux règles de détermination de la base imposable qui y sont insérées14.

Dans ce sens, l’article 62 du code de l’IRPP et de l’IS a fixé les personnes


soumises à l’obligation de tenue de comptabilité conformément au système
comptable des entreprises.

En effet, cet article, a déterminé en quatre paragraphes, les personnes assujetties


et exonérées de la tenue d’une comptabilité conformément au système comptable des
entreprises, les obligations des personnes tenant une comptabilité sur ordinateur et
l’obligation de conserver les livres de commerce et les documents comptables.

A. Les personnes concernées par la tenue de la comptabilité

En vertu de l’article premier de la loi relative au nouveau système comptable des


entreprises, sont soumises à cette obligation toute personne physique ou morale
assujettie à la tenue d’une comptabilité en vertu de la législation en vigueur, de sa part
le code de l’IRPP / IS a soumis à cette obligation comptable :

- Toutes les personnes morales quels que soit leur nature, leur forme juridique et
leur objet.15

14 R. ELLOUMI, « Comptabilité et fiscalité : deux disciplines indissociables », RCF n°63, premier trimestre 2004.
15 Article 62 du code de l’IRPP et de l’IS.

17
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Toutes les personnes physiques soumises à l’impôt sur le revenu au titre des
bénéfices industriels et commerciaux.16

- Les personnes physiques soumises à l’impôt sur le revenu au titre des bénéfices
non commerciaux tels que les artisans ou les prestataires de service qui n’ont
pas opté lors du dépôt de leur déclaration pour le régime d’imposition sur la
base d’un bénéfice forfaitaire.17

- Les personnes physiques soumises à l’impôt sur le revenu au titre des revenus
agricoles18 ou revenus fonciers19 qui justifient la tenue d’une comptabilité
conformément à la législation comptable des entreprises.

Par ailleurs, l’article 39 de la loi de finances pour l’année 201120 a apporté des
nouvelles dispositions en matière d’obligations comptables et ce, par l’abrogation des
dispositions du paragraphe 4 de l’article 62 du code de l’IRPP et de l’IS afin de le
remplacer par le paragraphe III bis qui prévoit que : « les entreprises individuelles qui
réalisent des revenus de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux peuvent tenir une
comptabilité simplifiée conformément à la législation comptable des entreprises et ce, lorsque leur
chiffre d'affaires ne dépasse pas :

- 300 mille dinars pour les activités d'achat en vue de la revente, et les activités de
transformation et la consommation sur place ;

- 150 mille dinars pour les activités de services ».

16 Article 62 du code de l’IRPP et de l’IS.


17 Article 22 du code de l’IRPP et de l’IS.
18 Article 24 du code de l’IRPP et de l’IS.
19 Article 28 du code de l’IRPP et de l’IS.
20 La loi n°2010-58 du 17 décembre 2010.

18
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce cadre, l’arrêté du ministre des finances du 11 mars 2011, a approuvé


une nouvelle norme comptable relative à la comptabilité simplifiée (NCT 42) qui a
pour objectif d’aider les entreprises individuelles, voire celles qui réalisent des
bénéfices industriels ou commerciaux, à tenir une comptabilité simplifiée
conformément à la réglementation comptable des entreprises, d’y conférer d’avantage
de transparence et d’unifier les pratiques comptables concernant ce type d’entités21.

En revanche, sont dispensées de l’obligation de la tenue d’une comptabilité


conformément au système comptable des entreprises :

- Les personnes physiques visées à l’article 44 bis du code de l’impôt sur le


revenu, c’est-à-dire les personnes soumises au régime du forfait d’impôt22.

- Les personnes physiques bénéficiaires du régime forfaitaire de détermination du


revenu au titre des catégories des professions non commerciales 23 et les
personnes réalisant des revenus fonciers 24.

- Les personnes physiques bénéficiaires du régime forfaitaire pour la


détermination du revenu au titre des catégories de revenus agricoles ou de
pêche.25

Toutefois, les personnes exonérées de la tenue d’une comptabilité sont soumises


à l’obligation de tenir un registre coté et paraphé par les services du contrôle des
impôts, dans lequel sont portées les recettes et les dépenses journalières.26

21 Voir cours F. DERBEL, la NCT 42 « la comptabilité simplifiée ».


22 Article 62 du code de l’IRPP et de l’IS.
23 Article 21 du code de l’IRPP et de l’IS.
24 Article 27 du code de l’IRPP et de l’IS.
25 Article 23 du code de l’IRPP et de l’IS.
26 Article 62 du code de l’IRPP et de l’IS.

19
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Par ailleurs, les dispositions des articles 10 à 20 et 48 et suivants dudit code


concernent les personnes qui tiennent une comptabilité.

Ces articles définissent la panoplie des retraitements devant être opérés sur le
résultat comptable pour aboutir au résultat fiscal imposable du contribuable.

La lecture de ces articles permet de constater qu’une grande partie du code de


l’IRPP et de l’IS est consacrée au rapport entre la fiscalité et la comptabilité.

Concernant les avantages fiscaux prévus par le code de l’IRPP et de l’IS tels que
prévus par les articles 39 et 48 de ce code, la quasi-totalité de ces avantages exigent la
tenue d’une comptabilité conformément à la législation comptable des entreprises.

2.2 Code d’incitations aux investissements

Plusieurs articles du code d’incitations aux investissements se sont intéressés à la


tenue d’une comptabilité conformément au système comptable des entreprises.

En effet, la plupart des avantages fiscaux prévus par le code d’incitations aux
investissements est subordonné à la présentation d’une comptabilité régulière et lie
l’octroi de l’avantage de la déduction des revenus ou bénéfice à la tenue d’une
comptabilité.

Parfois même l’octroi de ces avantages fiscaux est subordonné à la


comptabilisation de l’opération de la constatation de l’avantage.

En effet, l’article 7 du code d’incitations aux investissements subordonne


l’avantage du réinvestissement physique à la condition que les bénéfices réinvestis
soient inscrits dans un « compte spécial d’investissement » au passif du bilan avant
l'expiration du délai de dépôt de la déclaration définitive au titre des bénéfices de

20
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

l'année au cours de laquelle la déduction a eu lieu et soit incorporés au capital de la


société au plus tard à la fin de l'année de la constitution de la réserve.

Les avantages spécifiques en faveur des entreprises totalement exportatrices27et


partiellement exportatrices28 sont subordonnés à la tenue d’une comptabilité régulière
conformément au système comptable des entreprises.

De même, il convient de préciser que plusieurs autres articles du code


d’incitations aux investissements, prévoyant des avantages fiscaux dans plusieurs
domaines29, exigent que le bénéfice des avantages au titre du dégrèvement financier et
physique est subordonné au respect des conditions prévues par l’article 7 du code, le
quel article prévoit entre autres conditions la tenue d'une comptabilité régulière
conformément au système de comptabilité des entreprises.

27 l’article 13 du code d’incitations aux investissements prévoit deux avantages au profits des entreprises totalement exportatrices qui sont,
premièrement, la déduction revenus ou bénéfices investis des revenus ou bénéfices nets soumis à l'impôt sur le revenu des personnes
physiques ou à l'impôt sur les sociétés du fait de la souscription au capital initial des entreprises totalement exportatrices ou à son
augmentation, deuxièmement, la déduction des bénéfices investis au sein même de l’entreprise totalement exportatrice du bénéfice net soumis
à l’impôt. Le même article dispose que le bénéfice de ces avantages est subordonné au respect des conditions prévues par l’article 7 du même
code, lequel article prévoit en outre la condition de tenue de comptabilité.
28 Article 22 du code d’incitations aux investissements qui prévoit : « Les entreprises qui réalisent des opérations d'exportation bénéficient,
durant leur activité, à condition de tenir une comptabilité régulière conformément au système de comptabilité des entreprises, des avantages
suivants :
1- La suspension de la taxe sur la valeur ajoutée et du droit de consommation sur les biens, produits et services nécessaires à la réalisation
d'opérations d'exportation ;
2- déduction des deux tiers des revenus provenant de l'exportation de l'assiette de l'impôt sur le revenu nonobstant les dispositions de
l'article 12 bis de la loi n°89-114 du 30 décembre 1989 portant promulgation du code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et
de l'impôt sur les sociétés et ce, pour les revenus réalisés à partir du 1er janvier 2012
29 Exemple l’article 23 du code d’incitations aux investissements relatif à l’encouragement au développement régional, l’article 30 du même
code qui prévoit des avantages relatifs au développement agricole, aussi l’article 38 du code relatifs à la lutte contre la pollution et la protection
de l’environnement et l’article 49 du code relatif à l’encouragement des investissements de soutien. Tous ces articles disposent que le bénéfice
des avantages au titre du dégrèvement financier et physique est subordonné au respect des conditions prévues par l'article 7 du code.

21
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2.3 Code de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA)

En matière de taxe sur la valeur ajoutée, les articles 9 et 18 du code de la TVA


ont prévu des dispositions en rapport avec la tenue d’une comptabilité conformément
au système comptable des entreprises. En effet, l’article 18 du code de la TVA prévoit
que : « les dispositions des articles 56 à 58, 62 à 65 et 85 du code de l'impôt sur le revenu des
personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés s'appliquent en matière de taxe sur la valeur
ajoutée ».

Par conséquent, les personnes morales assujetties à la TVA, ainsi que les
personnes physiques soumises au régime réel en matière d’impôt sur le revenu et
assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée sont soumises à l’obligation de tenue de
comptabilité.

Dans un autre cadre, l’article 9 du code de la TVA traite de la déductibilité de la


taxe sur la valeur ajoutée sur les achats et services.

Selon cet article le droit à déduction au titre des actifs amortissables est toujours
subordonné à la tenue d’une comptabilité, en effet il oblige le contribuable à inscrire
en comptabilité les biens soumis à amortissement pour leur prix d’achat ou de revient
afin de bénéficier du droit à déduction au titre des actifs amortissables.

2.4 Code des droits d’enregistrement et de timbre

L’article 47 du code des droits d’enregistrement et de timbre exige la production


des livres de commerce afin de bénéficier du droit de déduction des dettes du défunt
pour déterminer l’assiette de l’impôt sur les successions.

22
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2.5 Code des droits et procédures fiscaux (CDPF)

Les dispositions du code des droits et procédures fiscaux concernant la tenue de


comptabilité sont de nature pénale.

C’est ainsi que ce code a consacré une section dans son deuxième chapitre,
relatif aux sanctions fiscales pénales en matière de comptabilité et de communication
de renseignements a l'administration fiscale.

Dans ce cadre, les articles 97 et 98 de ce code sanctionnent le défaut de tenue


de comptabilité, le refus de communication de la comptabilité aux agents de
l’administration fiscale, la destruction des documents comptables avant l’expiration de
la durée légale impartie pour la conservation de la comptabilité et la tenue d’une
double comptabilité ou l’utilisation de documents comptables dans le but de se
soustraire au paiement de l’impôt ou de bénéficier d’avantages fiscaux ou de
restitution d’impôt.

Section 2 : Les sources jurisprudentielles et doctrinales

La jurisprudence et la doctrine administrative n’ont pas un caractère obligatoire


mais revêtent une grande importance pratique. Elles s’imposent le plus souvent en
raison de l’autorité qui s’attache aux jugements prononcés, aux décisions prises ou
aux recommandations effectuées par les autorités compétentes.30

30 P. GUARINOS, « l’expert comptable et le rejet de la comptabilité » mémoire pour l’obtention du diplôme d’expertise comptable, mai
1999, p.15.

23
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

1. La jurisprudence

La jurisprudence a consacré d’une manière constante la valeur probante de la


comptabilité en la considérant comme le moyen fondamental de la vérification
approfondie pour les contribuables ayant l’obligation de tenir une comptabilité.

Dans ce cadre, plusieurs jugements prononcés par les tribunaux se rapportent à


la notion de comptabilité régulière et sincère. Leur analyse tient une place capitale
dans la mise en œuvre des cas et des situations pouvant amener à un rejet de la
comptabilité.

A titre d’exemple, nous citons le jugement n°317 du 23/02/2005 prononcé par


le tribunal de première instance de Sfax qui a rappelé des sources de la force probante
de la comptabilité et de la prééminence de la comptabilité sur les autres éléments de
preuve.

Enfin, les décisions et les jugements des tribunaux jouent un rôle très important
dans la définition des différents critères retenus pour apprécier la valeur probante
d'une comptabilité.

2. La doctrine administrative

La doctrine administrative31 adoptait depuis longtemps, le principe de la force


probante de la comptabilité et ce dans plusieurs notes communes, circulaires internes
et prises de positions.

31 Définie comme étant « l’ensemble des documents : circulaires, instructions, documentation administrative, réponses ministérielles par
lesquels l’administration fiscale fait connaitre son interprétation des textes fiscaux », la doctrine administrative indique aux agents de l’impôt,
mais aussi et dans une moindre mesure, aux contribuables, la manière dont ils doivent entendre les textes à appliquer. Ambigus ou incomplets,
ces derniers sont assez souvent difficiles à maitriser y compris par les techniciens du droit eux-mêmes, O.GADHOUM, « la doctrine
administrative fiscale en Tunisie, p.19 édition l’Harmattan janvier 2007».

24
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce sens, elle a confirmé, à plusieurs reprises, que le recours aux éléments
extracomptables n’est possible que lorsque le contribuable ne tient pas une
comptabilité ou refuse de la communiquer à l’administration ou bien elle est
irrégulière et non conforme à la législation comptable.

Dans une prise de position en date du 29 janvier 2001, la DGCF a précisé que le
défaut de présentation d’une comptabilité, les agents de l’administration ont le droit
de rectifier les déclarations fiscales en se basant sur des présomptions de fait ou de
droit ou sur des données forfaitaires.32

Dans une prise de positions en date du 15 mars 2001 la DGCF a précisé qu’en
cas d’absence de comptabilité conforme à la loi n°96-112 du 30 décembre 1996
portant promulgation du système comptable des entreprises, l’administration fiscale
peut retenir des méthodes extracomptables lors de l’opération de vérification.33

On peut conclure donc que la doctrine administrative a consacré implicitement


la primauté de la comptabilité comme base de redressement et que le recours aux
présomptions ne revête qu’un caractère exceptionnel.

32 Prise de position DGCF/88 du 29 janvier 2001.


33 Prise de position DGCF en date du 15 mars 2001.

25
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Chapitre II : La comptabilité non conforme aux exigences fiscales

Le législateur tunisien n’a pas défini d’une manière spécifique les motifs et les
causes pouvant altérer la valeur probante de la comptabilité.

Devant ce silence, la doctrine et la jurisprudence se sont efforcées à déterminer


l’étendu du rejet de la comptabilité qui peut porter soit sur un vice de forme soit sur
un vice de fond.

En effet, le caractère non probant de la comptabilité peut résulter d'irrégularités


relevées dans la comptabilité (section 1), mais peut aussi être établie, malgré la
régularité apparente de la comptabilité, en présence d'un faisceau d'indices
concordants d'insincérité (section 2).

Section 1 : Comptabilité non probante pour des irrégularités de forme

La vérification de la comptabilité sur le plan de la forme porte aussi bien sur son
caractère régulier que complet.

Ainsi, une comptabilité est considérée comme complète lorsqu’elle « comporte


tous les livres et documents obligatoires »34. A cet effet, le vérificateur doit s’assurer
de l’existence matérielle des différents livres et documents et de leur conformité à la
législation comptable et fiscale.

L’étude du caractère régulier et complet d’une comptabilité doit débuter par


l’examen des livres comptables obligatoires. Ainsi, le contribuable doit veiller sur

34 A. ABOUDA, « Code des droits et procédures fiscaux : contrôle, contentieux et sanctions », Op.cit, p.108.

26
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

l’existence matérielle des différents livres et documents, de leur conformité à la


législation comptable et fiscale.

Le code de commerce et la loi relative au système comptable des entreprises ont


bien défini et précisé les obligations comptables des commerçants dans ce domaine.

Toutefois, La réglementation fiscale n’édicte, quant à elle, aucune règle


particulière relative à la présentation matérielle des documents et des livres
comptables. La jurisprudence a donc été amenée à préciser la nature des irrégularités
formelles qui rendent la comptabilité non régulière.

Enfin, corrélativement à ce qui précède , il convient d’analyser à travers la


jurisprudence tunisienne et d’autres jurisprudences les sanctions de l’absence ou la
disparition des livres légaux et du non respect des dispositions garantissant la bonne
tenue de ces livres.

Les irrégularités de forme les plus invoquées par la jurisprudence et par


l’administration fiscale se résument ci-dessous :

1. L’absence des livres légaux

1.1 Livres légaux : définition et contenu

Le droit commercial et le droit comptable imposent la tenue de certains livres.


Cette obligation permet de définir la première condition nécessaire pour qu’une
comptabilité soit régulière : la présence de tous les livres comptables obligatoires.

Dans ce sens, l’article 2 de la législation comptable des entreprises prévoit que :


« la tenue de la comptabilité s’appuie sur des pièces justificatives et comporte des livres comptables…
et ce conformément aux dispositions de la présente loi ».

27
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les livres comptables dont la tenue est obligatoire sont fixés dans le chapitre III
de la loi n° 96-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des
entreprises. C’est ainsi que l’article 11 de cette loi prévoit que les entreprises
soumises aux dispositions de cette loi doivent tenir des livres comptables qui
comportent un journal général, un grand livre et un livre d’inventaire. Ce chapitre
prévoit aussi l’obligation de l’établissement d’une balance.

De même, le législateur a soumis ces livres à un formalisme pouvant être justifié


par la nécessité de garantir la sûreté et l’exhaustivité des enregistrements comptables.

A. Journal général

Qualifié de « mémoire comptable de l’entreprise » par Alain VIANDER35, ce


document doit enregistrer, selon le paragraphe n° 27 de la norme générale une, toute
transaction effectuée par l'entreprise et tout effet d'événement susceptible d'avoir des
répercussions sur sa situation financière et ses performances.

En effet, toutes les opérations découlant des transactions de l’entreprise et des


événements liés a son activité et qui ont un impact sur ses résultats et ses
performances financières sont portées sur ce journal.

Selon le paragraphe n°28 de la norme générale une, Le journal général est tenu
dans les conditions prescrites par la loi et dans lequel sont enregistrées les opérations
soit jour par jour, soit sous forme de récapitulations au moins mensuelles des totaux
de ces opérations, à condition de conserver, dans ce cas, tous les documents
permettant de les reconstituer jour par jour.

35 A. VAIDER, droit comptable dollaz, Paris 1984, p.266.

28
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce cadre, le paragraphe 32 de cette norme prévoit que les écritures sont
passées dans le journal opération par opération et jour par jour. Toutefois, les
opérations de même nature réalisées en un même lieu et au cours d'une même
journée peuvent être regroupées et enregistrées en une même écriture à condition de
conserver les justificatifs détaillés.

B. Le grand livre

C’est le document sur le quel sont reproduites les transactions et les écritures
figurants dans le journal général36.

Il comporte l’ensemble des comptes de l’entreprise permettant le classement


opérationnel des écritures passées au journal.

Les écritures portées sur les livres et journaux auxiliaires ainsi que les totaux des
opérations et des soldes doivent être centralisés dans le journal général et le grand
livre au moins une fois par mois.

L’entreprise est tenue aussi d’établir une balance au moins une fois par exercice
dans laquelle sont enregistrés les totaux des opérations et des soldes ouverts dans le
grand livre.

D’après le paragraphe 37 de la norme comptable générale le total des


mouvements du journal doit être égal au total des mouvements du grand livre.

C. La balance

La balance constitue un instrument indispensable pour le contrôle comptable.


Elle est établie périodiquement et au moins une fois par exercice 37.

36 Article 13 de la loi relative au système comptable des entreprises.

29
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La balance constitue un état récapitulatif faisant apparaître, pour chaque compte,


le solde débiteur ou le solde créditeur au début de la période, le cumul des
mouvements débiteurs et le cumul des mouvements créditeurs depuis le début de la
période ainsi que le solde débiteur et le solde créditeur constitués en fin de période 38.

D’après le paragraphe 40 de la norme comptable générale le total des soldes


d'ouverture débiteurs et des mouvements débiteurs de la période doit correspondre
au total des mouvements débiteurs du journal général. Le total des soldes d'ouverture
créditeurs et des mouvements créditeurs de la période doit correspondre au total des
mouvements créditeurs du journal général.

D. Le livre d’inventaire

Le livre d’inventaire est un relevé de tous les éléments d’actifs et de passifs qui
constitue l’évaluation de ces éléments dont le but est de vérifier leur existence et de
s’assurer de leur valeur à la date de l’inventaire.

D’après le paragraphe 41 de la norme comptable générale, l'inventaire est un


relevé de tous les éléments d'actifs et de passifs, au regard desquels sont mentionnées
la quantité et la valeur de chacun d'eux à la date d'inventaire. Les données d'inventaire
sont conservées et organisées de manière à justifier le contenu des états financiers.

En vertu de l’article 17 de la loi relative au système comptable des entreprises,


l’inventaire doit être effectué au moins une fois par an. Les écritures sont regroupées
sur le livre d’inventaire selon la nature de chaque élément inventorié et le mode de
son évaluation.

37 Article 16 de la loi relative au système comptable des entreprises.


38 §39 de la norme comptable générale.

30
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce cadre, l’information saisie au niveau de ce livre doit être donnée en


quantité et en valeur, de façon à ce que chaque poste du bilan soit justifié quant à
sont contenu. C’est ainsi qu’un inventaire dressé sous forme de balance détaillée
n’apparaît pas alors suffisant, cette présentation ne récapitulant que des valeurs.39

En vertu de l’article 9 du code de commerce, le livre d’inventaire, comme le


journal général, doit être coté et paraphé soit par le juge soit par le président de la
municipalité ou son adjoint pour être pris en considération par l’administration fiscale

En conclusion la tenue des livres légaux est une obligation de forme, toutefois
L’utilisation généralisée de l’outil informatique a rendu cette obligation anachronique.

1.2 Conséquences fiscales de l’absence des livres légaux

En vertu des dispositions de l’article 25 de la loi 96-112 du 30 décembre 1996


relative au système comptable des entreprises « Les états financiers relatifs à un exercice
comptable ainsi que les documents, les livres, les balances et les pièces justificatives y afférentes sont
conservés pendant dix ans au moins »

Par conséquent, quelle est la position de l’administration fiscale et de la


jurisprudence quand les livres légaux auxquels le législateur tunisien a donné une
grande importance font défaut ? Et quel est l’impact de leur absence sur la valeur
probante de la comptabilité ?

En Tunisie, la doctrine est constante en matière d’absence ou de disparition des


livres légaux. Elle considère la tenue d’une comptabilité sans livre d’inventaire, ni livre
journal comme non probante. En effet dans une prise de position, l’administration a

39 I. DE KERVILER, droit comptable, Economica, Paris, 1986, p.32.

31
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

considéré que le défaut de tenue du livre d’inventaire pour une société de services
comme constituant un motif de rejet de la comptabilité.40

Dans ce même cadre, ont peut constater aussi l’alignement de la position de la


jurisprudence tunisienne sur celle de la doctrine administrative.

En effet, il ressort à travers l’étude des jugements prononcés par les tribunaux,
que l'absence du livre journal et du livre d'inventaire, associée à des irrégularités
graves de fond, peut motiver le rejet de la preuve comptable.

C’est ainsi que le tribunal de première instance de Sfax considère que l’absence
de livre d’inventaire et le défaut de dépôt au bureau de contrôle des impôts d’un
exemplaire du programme informatique initial ou modifié sur support magnétique
peut motiver le rejet de la comptabilité.41

Aussi, et à travers le droit comparé, nous pouvons constater la position similaire


de la France. En effet, le Conseil d'Etat français s’est prononcé à plusieurs reprises
sur des comptabilités sans livre d’inventaire, ni livre journal et les a considérées
comme non probantes42.

En revanche il a considéré que le défaut d’un seul livre comptable est insuffisant
pour considérer une comptabilité comme non probante, sauf si le seul livre manquant
constitue pour le service un moyen de contrôle essentiel, compte tenue de la nature
de la profession.

40 Prise de position numéro 1291/94 (F. DERBEL, rejet de comptabilité et recours aux éléments extra-comptable, RCF n°72, p.65).
41 TPI de Sfax affaire n°46 de 30Juin 2004 RTF n°5/2006 p.197 (S. BORGI, l’opposabilité de la comptabilité, R.C.F n°75, hiver 2007).
42 42 C.E 1er Juillet 1983, n°33086 : R.J.F 10/83, n°1103, C.E 5 Décembre 1983, n° 35479 : R.J.F 2/84, n°213 et C.E 26 Novembre 1984,
n° 29846 : R.J.F 1/85, n°69 M. PALLASET, « Valeur probante d’une comptabilité en matière fiscale : étude du rôle préventif de l’expert
comptable auprès des petites entreprises commerciales ou artisanales pour éviter les conséquences du rejet de la preuve comptable », mémoire
présenté pour l’obtention du diplôme national d’expert comptable, p.20.

32
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La jurisprudence Marocaine, quant à elle, n’a pas traité l’absence du livre


d’inventaire et du livre-journal, en tant qu’unique irrégularité décelée, comme motif
suffisant pour rejeter la comptabilité43.

Cependant, la cour administrative de Rabat considère que l’absence de livre


d’inventaire associé à des irrégularités graves de fond peut motiver le rejet de la
preuve comptable44. De même, la CNRF considère comme non probante, une
comptabilité qui ne comporte pas le livre d’inventaire, qui présente une caisse
créditrice à répétition et dont les livres comptables sont paraphés postérieurement à la
date de vérification45.

1.3 Conséquences fiscales de la non communication des livres légaux

Lors d’une vérification fiscale approfondie, les contribuables ayant l’obligation


de tenue d’une comptabilité doivent la présenter à l’administration fiscale dans un
délai de trente jours à compter de la notification adressée au contribuable46.

Ainsi, le contribuable doit présenter la comptabilité de son entreprise et donc


tous les livres comptables qui la composent.

Toutefois, en vertu de l’article 38 du C.D.P.F cette disposition n’est pas


applicable dans les cas où la comptabilité est déposée auprès des tribunaux, du
ministère public, des organismes de contrôle publics, des experts chargés

43 N. LAHLOU, « L’expert comptable devant le rejet de la preuve comptable et le pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale »,
mémoire présenté pour l’obtention du diplôme national d’expert comptable, p.23.

44 CA Rabat n°98/65 , N. LAHLOU, mémoire précité, p.23.


45 Affaire M.H. - décision n° 6/107/95 du 12 Mars 1997, Mme S. CHERKAOUI, « Le contentieux fiscal au Maroc : voies de recours et role
de l’expert comptable », mémoire présente en vue de l’obtention du diplôme national d’expert comptable, novembre 2006, p.195.
46 Article 38 du CDPF.

33
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

conformément à la loi ou en présence d’un autre empêchement légal ainsi que pour
les cas de force majeure.

La rédaction du texte relatif à ces exceptions n’est pas claire. En effet, les
notions d’« un autre empêchement légal » ou « les cas de force majeure » sont des
notions vagues et générales, ce qui laisse à l’administration une liberté d’interprétation
de l’existence et de la nature de l’empêchement légal ou les cas de force majeure. 47

La note commune n°42/2005 du 22 novembre 2005 a interprété la notion de la


force majeure comme étant : « les cas où la cause est imprévisible, inévitable et
extérieure conformément aux dispositions de l’article 283 du code des obligations et
des contrats ».

Dans ce cadre, l’administration fiscale a toujours refusé l’application de la force


majeure. C’est le cas lorsque les pièces justificatives de la comptabilité ont été
détruites par un incendie48 ou lorsque les documents comptables sont à la possession
de la caisse nationale de sécurité sociale49.

En France, le Conseil d’Etat français a rarement accepté la force majeure et il a


adopté des solutions d’une extrême rigueur.

Il ressort à travers l’étude des décisions du Conseil d’Etat de relever quelques


motifs qui ont amené l’administration à rejeter la comptabilité du contribuable :

47 C. TOUMI, « l’évaluation extra-comptable des bases d’imposition par l’administration fiscale », mémoire pour l’obtention du mastère en
droit fiscal, p.31.
48 CSTO Tunis II n°96/37 du 25 novembre 1998, extrait de l’arrêt de cassation n°32697 du 28 janvier 2002 (Y.EL HAFI, les présomptions et
taxation d’office en droit fiscal, mémoire pour l’obtention du diplôme des études approfondies en droit fiscal, p.13).
49 CSTO Sousse n°95/403 du 19 janvier 1996, extrait de l’arrêt du T.A requête n°31872 du 17 avril 2000 (Y.EL HAFI, les présomptions et
taxation d’office en droit fiscal p.13).

34
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- La comptabilité a été volée50.

- Une inondation ayant fait disparaître l’ensemble des documents comptables.51

- Le détournement de la comptabilité par un tiers52

- Le manque de temps pour fournir certains justificatifs impératifs. 53

- L’état de santé du contribuable54, la maladie du comptable55,

- La défaillance du tiers à qui le contribuable a confié la tâche de lui faire sa


déclaration56

- La destruction des documents par un incendie57

Dans le cas de destruction des documents par incendie, le ministre de


l’économie et des finances français a fait la réponse suivante : « l’administration est en
droit de rectifier d’office les résultats déclarés lorsque la comptabilité est irrégulière en
la forme et impropre à justifier ces résultats. Il en est ainsi, notamment, lorsque le
contribuable concerné ne présente pas, pour quelque motif que ce soit, les factures
d’achat et les copies des factures de ventes à l’appui de ses dépenses et de ses
recettes »58.

50 CE du 27 février 1984 n°37786 R.J.F 1984, P. GUARINOS, « l’expert comptable et le rejet de la comptabilité », mémoire présenté pour
l’obtention du diplôme national d’expert comptable, ANNEXE II « Jurisprudence du Conseil d’Etat et de la cour administrative d’appel sur
les fondements du rejet de la comptabilité », p.17.
51 C.E du 21 avril 1986, n°56671 : R.J.F 6/86, n°642, Ibid.
52 C.E du 02 Juin 1982, n°14928 : R.J.F 7/82, n°703, M. PALLASET, mémoire précité p.22.
53 C.E du 3 Avril 1981, n°19964 : R.J.F 6/81, n°612, Ibid.
54 CE 22 Juin 1984 n°33858 R.J.F 1984 p.486.
55 CE du 14 octobre 1983 n°32301 R.J.F 1983/ 12 n°701.
56 CE du 10 décembre 1984 n°40626 DF 1985/2 n°106.
57 C.E du 20 Février 1980, n°13013 : R.J.F 4/80, n°350 et C.E du 17 Juin 1985, n°34257 : R.J.F 8-9/85, n°1205 .
58 P. COLIN, « la vérification fiscale », ECONOMICA édition 1979.

35
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les circonstances qu’un incendie aurait détruit une partie des pièces de cette
comptabilité n’auraient pas pour effet de dispenser l’entreprise, dont le bénéfice a été
évalué d’office, d’apporter par tous autres moyens la preuve qui lui incombe de
l’exagération de l’évaluation des bases imposables fait par l’administration59

Dans toutes ces situations, la disparition de la comptabilité a entrainé la


reconstitution des bases d’imposition par voie de rectification d’office.

En cas de vol, le Conseil d’Etat français avait admis que le contribuable, dont
certains documents comptables avaient été volés, pouvait échapper à la rectification
d’office en apportant la preuve du vol60.

1.4 Le non respect des dispositions garantissant la bonne tenue des livres
légaux

Le législateur a imposé des règles et des exigences dans la tenue des livres légaux
afin d’assurer l’irréversibilité des enregistrements comptables et de garantir le rôle
attribué à la comptabilité en matière de preuve.

Ces règles sont éditées par les articles 8, 9 et 10 du code de commerce et par le
troisième chapitre de la loi relative au système comptable des entreprises.

L’analyse de la jurisprudence, dans cette matière, démontre que la comptabilité


est rejetée lorsqu’elle comporte des imperfections formelles d’importance majeure ou
lorsque les erreurs de forme peuvent être rattachées à d’autres motifs d’irrégularité.

59 CE du 22 juin 1977, n°98234, P. COLIN, « la vérification fiscale », ECONOMICA édition 1979.


60 C.E du 10 Décembre 1980, n°11702 : R.J.F 2/81, n°108.

36
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

A. L’authentification des livres légaux

L’article 11 de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 prévoit que « Le journal


général et le livre d’inventaire sont cotés et paraphés au greffe du tribunal dans le ressort duquel est
situé le siège de l’entreprise ou toute autre autorité compétente prévue par des législations spéciales ».

La cotation permet le numérotage de tous les feuillets contenus dans le livre


avec attestation de leur nombre. Le paraphe assure au livre une date certaine.

Ce formalisme particulier imposé pour la tenue du journal général et le livre


d’inventaire est destiné à assurer l’irréversibilité des enregistrements comptables et à
conférer à la comptabilité sa valeur probante. Il s’agit concrètement d’éviter que des
pages de ces livres soient supprimées, remplacées ou ajoutées. 61

Ainsi, on peut poser la question suivante : Le défaut de paraphe des livres légaux
permet-il à l’administration fiscale de mettre en cause, pour ce seul motif, la valeur
probante de la comptabilité ?

Dans ce contexte la doctrine administrative considère, à travers la note


commune n°16/1967, que l’absence de la côte et du paraphe du livre d’inventaire
peut-être tolérée dans la mesure où le document présente des garanties de sincérité
suffisantes et qu’il permet de donner le chiffre réel des inventaires.

61 N. LAHLOU, « L’expert comptable devant le rejet de la preuve comptable et le pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale »,
mémoire présenté pour l’obtention du diplôme national d’expert comptable, p.23.

37
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La jurisprudence, quant à elle, considère que la présentation des livres légaux


non cotés et paraphés et qui contiennent des surcharges et des ratures fait perdre
toute valeur probante à la qualité des livres comptables.62

Ainsi, nous pouvons conclure que le seul défaut de paraphe et de côte des livres
légaux ne permet pas à lui seul de rejeter la comptabilité du contribuable et de la
considérer comme non probante.

L’analyse du droit comparé montre l’alignement de la position de la


jurisprudence tunisienne sur celle de la jurisprudence française et marocaine sur ce
point bien précis.

En France, le conseil d’État considère que la présentation d’un livre d’inventaire


et d’un livre journal non côtés et paraphés avec une comptabilité qui présente des
soldes créditeurs du compte caisse, entraine le rejet de la comptabilité 63.

Le législateur fiscal marocain, quant à lui, considère que le non respect de cette
formalité ne conduit pas systématiquement à un rejet de la comptabilité, en effet il
constate que la côte et le paraphe du livre d’inventaire postérieurement à la période de
vérification palliée par la présentation d’un inventaire correctement tenu sur des
feuilles volantes n’a pas ôté la valeur probante de la comptabilité64

62 C.S.T.O Sousse n°4970 du 26/04/1996 C.TOUMI, « l’évaluation extra-comptable des bases d’imposition par l’administration fiscale »,
mémoire pour l’obtention du mastère en droit fiscal, p.40 :
"
."
63 CE n° 34 092 du 25/01/1985, RJF 03/85, M. PALLASET, mémoire précité p.27.

64 CA Rabat dossier n° 98/68 N. LAHLOU, « L’expert comptable devant le rejet de la preuve comptable et le pouvoir d’appréciation de
l’administration fiscale », mémoire présenté pour l’obtention du diplôme national d’expert comptable, p.23.

38
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Concernant le cote et paraphe des livres comptables obligatoires à une date


postérieure à la date de création de l’entreprise, la DGELF a précisé dans une prise de
position 65, que le coté et paraphé des livres comptables obligatoires à une date
postérieure à la date de création de la société ne constitue pas un motif suffisant de
rejet de comptabilité dès lors que ce retard n'affecte pas la fidélité de la comptabilité
de l'entreprise concernée.

Par ailleurs, Le législateur tunisien ne prévoit pas de dérogation à l'obligation de


la côte et du paraphe du livre-journal et du livre d'inventaire. En effet, le dépôt par un
fiduciaire de son programme informatique ne dispense pas ses clients de
l'accomplissement de cette obligation.66

Quant au législateur Français, le décret n° 83-1020 du 29 Novembre 1983, qui


stipule l’obligation de la tenue du livre journal et du livre d’inventaire côtés et
paraphés, prévoit en outre la possibilité d’utiliser des documents informatiques écrits
à la place des livres côtés et paraphés. Dans ce cas, ces documents doivent être
identifiés, numérotés et datés dès leur établissement par des moyens offrant toute
garantie en matière de preuve.

B. L’existence de blanc et altération sur les documents comptables

En vertu des dispositions de l’article 10 du code de commerce et de l’article 11


de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des

65prise de position n°(2349) du 20 octobre 2000 :


»
,

«.
66 Prise de position n°1291 du 24 décembre 1994 et prise de position 1463 du 29 juin 2000.

39
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

entreprises : « les livres comptables sont établis sans blanc ni altération d’aucune
sorte ».

Ces dispositions interdisent toute rectification d’erreur matérielle par rature ou


par utilisation d’un procédé chimique et excluent la possibilité d’employer le crayon
comme procédé d’impression.

En effet, les surcharges, les ratures et les grattages peuvent faire perdre toute
valeur probante à la comptabilité, à moins qu’il ne s’agisse simplement de quelques
ratures.

La justification de ce formalisme apparaît à l’article 11 du code de commerce qui


stipule que les livres de commerce, régulièrement tenus, peuvent être admis par le
juge pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce.

La jurisprudence tunisienne a constaté que la comptabilité est dépourvue de sa


valeur probante lorsqu’elle contient des ratures, blanc et des surcharges67

La jurisprudence Française a adopté cette même position. Dans ce cadre, Le


conseil d’État français considère que les ratures et les surcharges sur le livre journal
contribuent à rendre la comptabilité non probante68.

Dans le même sens, le Conseil d’Etat a jugé que l’utilisation du crayon enlève à
l’écrit la force probante qu’il tire précisément de sa permanence et de son
inaltérabilité69.

67 C.S.T.O Sousse, affaire n° 4970 du 26/04/1996. (C. Toumi, l’évaluation extra-comptable des bases d’imposition par l’administration
fiscale, p.40) .
68 CE 29/03/1985 n° 38 405 RJF 06/85 M. PALLASET, mémoire précité, annexe II « jurisprudence de Conseil d’Etat ».
69 CE n° 43886 du 13 Novembre 1959.

40
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Enfin, de nos jours la notion de rature et de surcharge sur les livres légaux
devient peu importante, car avec l'informatisation des systèmes comptables et
l’utilisation des logiciels pour la préparation et la présentation des états financiers, le
problème qui se pose actuellement est celui de la réalité des assurances présentées par
ces systèmes quant à l'irréversibilité des enregistrements comptables.

C. Le non respect des procédures d’enregistrement et de centralisation

La régularité d'une comptabilité s'apprécie à travers la qualité des


enregistrements qu'elle regroupe. Il importe donc qu'elle soit correctement tenue,
dans le respect des normes comptables.

Dans ce cadre, l’article 12 de la loi relative au système comptable prévoit que


« l’enregistrement doit se faire chronologiquement opération par opération et jour par jour ».

Cette chronologie doit être interprétée comme se rapportant à la période au


cours de laquelle des opérations de même nature sont comptabilisées et non comme
les différentes catégories d'opérations (achats, frais généraux, ventes,...).

Il convient également d'enregistrer les écritures comptables opération par


opération, c'est-à-dire qu'il n'est pas permis de globaliser les mouvements jour par
jour, sans que l'on puisse retrouver dans la comptabilité elle-même un enregistrement
de toutes les opérations.

Toutefois, il est permis de récapituler sur une pièce justificative unique les
opérations de même nature, réalisées en un même lieu et au cours d’une même
journée70.

70 Article 12 de la loi relative au système comptable des entreprises.

41
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Plusieurs dates peuvent être associées à un même fait comptable. La date


retenue en pratique est celle de la pièce comptable justificative.

Une comptabilité peut elle être rejetée du simple fait d’un enregistrement non
chronologique des opérations, d’une inscription globale d’un ensemble d’opérations
de natures différentes, ou d’une constatation globale d’opérations de même nature,
réalisées au cours du mois ou du trimestre ?

L’examen de la jurisprudence française relève l’existence d’un arrêt du Conseil


d'État qui a sanctionné l’enregistrement non chronologique des opérations71.

2. Le défaut d’inventaire physique

2.1 L’importance de l’inventaire au plan comptable

Le terme « inventaire physique » peut être utilisé pour désigner, d’une part,
l’ensemble des opérations de recensement des éléments actifs et passifs de l’entreprise
et d’autre part, le document mentionnant l’état descriptif et estimatif du patrimoine.

L’inventaire occupe une place déterminante et majeure dans l’élaboration des


comptes annuels. Il a pour objet de décrire et d’estimer le patrimoine de l’entreprise
par le recensement, en général par observation physique, de tous les éléments d’actifs
et de passifs.

L’inventaire constitue également un moyen de contrôler l’exactitude des


énonciations portées en comptabilité.

71 C.E Req n°6718 du 27 Juillet 1979 Dr.fisc. 1980 n°5 comm.253 (S. BORGI, l’opposabilité de la comptabilité, R.C.F n°75, hiver 2007
p.53).

42
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Il permet d’apporter aux comptes de la balance (avant inventaire) les corrections


rendues nécessaires par les données descriptives et estimatives recueillies au cours des
opérations de recensement.

L’inventaire physique concerne, essentiellement, les immobilisations, les valeurs


d’exploitations, les valeurs mobilières de placement et les espèces.

En vertu des dispositions de l’article 8 du code de commerce et de l’article 17 de


la loi n°96-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des entreprises,
l’opération d’inventaire doit être réalisée, au moins une fois par exercice, à l’effet de
vérifier l’existence des éléments d’actifs et de passifs et de s’assurer de leur valeur. Le
détail de cet inventaire doit être porté sur le livre d’inventaire selon la nature de
chaque élément inventorié et le mode de son évaluation. Le livre d’inventaire est tenu
d’une manière permettant la justification de tous les éléments des états financiers.

De même, les entreprises qui établissent leur inventaire sur support


informatique sont tenues de respecter cette exigence légale.

Toutefois, le législateur n’a pas imposé de formalisme particulier pour


l’inventaire. La seule exigence légale c’est que ces éléments soient regroupés sur le
livre d’inventaire selon la nature de chaque élément inventorié et le mode de son
évaluation.

2.2 Les sanctions fiscales de l’absence ou de l’insuffisance de l’inventaire

L’inventaire physique revêt sur le plan fiscal une importance particulière.

C’est ainsi que le défaut d’inventaire est sanctionné fiscalement, en raison de


l’incidence significative qu’une minoration ou qu’une majoration de leurs montants
peut avoir sur le résultat imposable.

43
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce cadre la commission spéciale de taxation d’office considère que le


défaut d’inventaire physique permet d’écarter la comptabilité72

En droit comparé, Le conseil d’État français estime que l’irrégularité des


inventaires de stocks ne constitue pas par elle-même un motif suffisant de rejet de la
comptabilité. Ainsi il considère que la comptabilité doit être regardée comme
régulière, dés lors que les irrégularités qui entachent les inventaires n'affectent pas la
sincérité des écritures d'achats et de ventes73.

En revanche il considère que les irrégularités des inventaires de stocks rattachées


à d’autres irrégularités graves et répétée peuvent constituer un motif suffisant de rejet
de la comptabilité.

Dans ce cadre, la cour administrative d’appel de bordeaux prévoit que l'absence


d'inventaire détaillée ou une évaluation énoncée des stocks ne peuvent être retenues
que pour appuyer des rejets de comptabilité fondés sur des anomalies déterminantes
affectant les recettes ou les achats74.

L’examen de la jurisprudence tunisienne, ainsi que française et marocaine dégage


les observations suivantes :

L’absence ou l’insuffisance de l’inventaire physique des éléments du stock peut


motiver le rejet de la comptabilité si elle est associée à d’autres irrégularités :

72 Décision de la CSTO n°159 et 554 BODI n°5.


73 CE. 4 juin 1986, n° 38.915 : RJ.F. 8-9/86, n° 808, conclusion de M. de GUIUENCHMIDT : RJ.F. 8-9/86, p.471
74 CAA Bordeaux, 09/02/1993 n° 9100615, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II, p.20.

44
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- L’existence d’inventaires incomplets et de caisse créditrice, rature et


discordance entre les livres.75

- Un versement des salaires occultes, des achats sans factures et des recettes
minorées. 76

- Des clients non détaillés, une alimentation de caisse par apport en compte
courant d’origine injustifiée, des factures de vente non comptabilisées.77

La jurisprudence marocaine considère que le défaut d’identification des articles


en stock avec suffisamment de précision privant le vérificateur de la possibilité
d’établir un rapprochement entre les achats, les ventes et les stocks peut altérer la
valeur probante de la comptabilité78.

Section 2 : Les obligations comptables en cas de tenue de comptabilité


informatisée

La révolution technologique a fini par imposer les supports comptables comme


une donnée nécessaire dans la comptabilité des sociétés.

Cette évolution a été prise en considération par le législateur tunisien pour que la
législation soit en adéquation avec la réalité économique.

« Aussi bien sur le plan comptable que fiscal, les entreprises qui tiennent leur
comptabilité sur ordinateur demeurent astreintes à la tenue des documents prescrits

75 Décision de la commission spéciale de taxation n°517 BODI n°5.


76 CE n°41734 du 17 février 1986 (www.légifrance.gouv.fr).

77 CA Fès dossier n°97/ 583; n°97/ 590 ; n°97/ 597, N. LAHLOU, mémoire précité, p.31.
78 CA Rabat dossier n°97/ 186, N. LAHLOU, mémoire précité, p.32.

45
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

par la législation comptable à savoir le journal général, le grand-livre et le livre


d'inventaire »79.

En vertu de l'article 14 de la loi 96-112 relative au système comptable des


entreprises, les documents écrits issus de l'informatique peuvent tenir lieu des livres et
journaux auxiliaires sous réserve qu'ils soient identifiés, numérotés et datés dès leur
élaboration par des moyens offrant toute garantie en matière de preuve.

Toutefois et conformément aux dispositions du même article, les entreprises qui


tiennent leur comptabilité sur ordinateur sont soumises à l'obligation de centraliser au
moins une fois par mois l'ensemble des écritures comptables ainsi que les totaux des
opérations et des soldes dans le journal général et le grand livre.

Dans ce cadre, ces enregistrements doivent faire l’objet de validation à l’issu de


chaque centralisation. En effet, le paragraphe n°56 de la norme générale une précise
que : « le caractère définitif des enregistrements est assuré, pour les comptabilités tenues au moyen de
systèmes informatisés, par la validation. Cette procédure, qui interdit toute modification ou
suppression de l'enregistrement, est mise en œuvre au plus tard au terme de chaque mois ». Ceci
permet de figer la chronologie des enregistrements comptables et de garantir
l'intangibilité des enregistrements.

Au terme de l’article 62 du code de l’IRPP et de l’IS « les personnes qui tiennent


leur comptabilité sur ordinateur doivent :

- Déposer, contre accusé de réception, au bureau de contrôle des impôts dont


elles relèvent un exemplaire du programme initial ou modifié sur support
magnétique ;

79 Note commune numéro 19/98, «Harmonisation des obligations comptables prévues par la législation fiscale avec les dispositions de la
législation comptable des entreprises».

46
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Informer ledit bureau de la nature du matériel utilisé, du lieu de son


implantation et de tout changement apporté à ces données.

Nous pouvons constater que l’administration n’a pas précisé la date de dépôt.

Dans le cas où la comptabilité serait tenue sur ordinateur, par le moyen de


logiciels informatiques, les comptables et les experts comptables peuvent déposer, au
lieu et place des entreprises clientes, une copie du programme initial ou modifié sur
supports magnétiques, à condition de faire parvenir aux services de contrôle fiscal la
liste de la clientèle utilisant lesdits programmes80.

Toutefois, la tenue de la comptabilité sur ordinateur, ne dégage pas les


entreprises de l'obligation de la tenue manuelle des documents comptables prévus par
l'article 11 de la loi relative au système comptable des entreprises à savoir le journal
général, le grand livre et le livre d’inventaire.

L’analyse d’un échantillon de jugement nous a permis de constater que la


jurisprudence n’est pas constante en matière de dépôt d’un exemplaire de programme
initial ou modifié sur support magnétique :

Par exemple, dans un jugement en date du 30 juin 2006 le tribunal de première


instance de Sfax a confirmé le rejet de comptabilité en l’absence de livre d’inventaire
et le non dépôt au bureau de contrôle des impôts d’un exemplaire du programme
informatique initial ou modifié sur support magnétique.81

80 Note commune numéro 19/98 «Harmonisation des obligations comptables prévues par la législation fiscale avec les dispositions de la
législation comptable des entreprises».
81 TPI de Sfax affaire n°46 du 30 juin 2004. RTF n°5/2006 p197. (S. BORGI, l’opposabilité de la comptabilité, R.C.F n°75, 2007 p.53)

47
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Quant au tribunal administratif (au niveau de cassation), il a considéré que le


dépôt d’un exemplaire de programme initial ou modifié sur support magnétique ne
représente pas une obligation comptable au sens de la loi relative au système
comptable et par conséquence ne représente pas un motif de rejet de la
comptabilité.82

Section 3 : Comptabilité non probante pour des irrégularités graves de fond

Pour être probante, c'est-à-dire susceptible de justifier auprès de l'administration


fiscale les résultats déclarés, une comptabilité doit être régulière et sincère.

Toutefois, une comptabilité peut être régulière en la forme, mais ceci ne signifie
pas la sincérité et l’exactitude de son contenu.

Ce pendant, pour être régulière et sincère, la comptabilité doit être tenue


conformément à la législation comptable des entreprises, et elle doit refléter la réalité
des comptes et de la situation financière de l’entreprise.

Ainsi, la vérification de la sincérité de la comptabilité concerne le contrôle des


différents comptes de la société, le contenu des états financiers et leur conformité à la
réalité.

82 TA affaire n°35770-35777 du 19 juin 2006 (inédit).

48
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

1. L’exhaustivité et la réalité des écritures comptables

1.1 L’absence de pièces justificatives privant la comptabilité de valeur


probante.

« Les pièces justificatives constituent la base même de la comptabilité ; les bilans et les comptes
ne sont que le résultat des transcriptions successives des éléments relevés sur ces documents
initiaux »83.

C’est ainsi que les pièces justificatives revêtent une importance fondamentale,
car elles sont à l’origine de toutes les opérations comptables. Elles ont une place
capitale dans l’administration de la preuve de la comptabilité.

Sur le plan fiscal, les pièces justificatives revêtent d’une importance majeure. En
effet, leur absence ou leur insuffisance pouvant entraîner l'irrégularité d'une
comptabilité et conduire ainsi à la mise en cause de sa valeur probante.

A. La description des pièces justificatives

En vertu de l’article 2 de la loi n° 96-112 relative au système comptable des


entreprises « la tenue de la comptabilité s’appuie sur des pièces justificatives ».

Ainsi, une écriture comptable ne peut donc être qualifiée d’authentique que si
elle se fonde sur une pièce justificative.

Toutefois, la législation comptable n’a pas défini les caractéristiques et la nature


que les pièces justificatives doit revêtir pour garantir son rôle dans la justification des
écritures comptables.

83 TH. Lambert, « contrôle fiscal : droit et pratique », P.U.F 1991, p.253.

49
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Sur le plan fiscal, l’article 18 du code de la TVA a précisé les mentions que les
factures doivent comporter pour garantir la déductibilité de la taxe sur la valeur
ajoutée.

De ce qui précède, nous pouvons conclure donc que le législateur tunisien n’a
pas énoncé d’une manière spécifique la nature des pièces justificatives.

Les pièces justificatives peuvent être soit établies par le contribuable lui-même
tel que l’inventaire, les ventes et les états de stocks qui influencent directement le
résultat de l’entreprise, soit établies par les tiers, et dans ce cas, elles consistent
essentiellement dans les factures d’achats et les pièces de dépenses.

Les pièces justificatives dont la conservation par la société est obligatoire sont :

- Des pièces justificatives de recettes, tels que :

- les factures de ventes, de prestations de services ou recettes assimilées ;

- les mémoires de règlement ;

- les contrats de cession des biens immeubles ;

- les tickets de caisse ;

- les bons de livraison ou de commande ;

- les factures de vente des éléments de l'actif.

- Des pièces justificatives de dépenses, tels que :

- les factures des dépenses d'exploitation et des dépenses assimilées ;

- les factures des dépenses d'investissement ;

- les relevés et pièces bancaires ;

50
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- D'autres pièces et documents, tels que :

- les correspondances envoyées ou reçues ;

- les procès verbaux des réunions et des assemblées ;

- les jugements et exécutions.

B. Le classement et la conservation des pièces justificatives

L’importance des pièces justificatives, en matière de preuve, nécessite l’adoption


d’un système de classement et de conservation efficace et sûr, apte à permettre le
contrôle de la comptabilité.

C’est ainsi que l’article 15 de la loi n°96-112 stipule qu’ « il est établi un document
qui prévoit l’organisation comptable et comporte notamment les intitulés et l’objet des documents
utilisés pour le traitement des informations et les modalités de liaison entre ces documents et les pièces
justificatives y afférentes ».

Ainsi, Il est utile de rendre possible et aisé le rapprochement d’un


enregistrement comptable avec la pièce d’origine. En effet, la qualité du classement et
du mode de conservation des pièces justificatives constitue une des conditions
objectives à satisfaire pour qu’une comptabilité soit qualifiée de régulière.

Dans ce cadre, la norme comptable générale prévoit que « l'organisation du système


de traitement doit assurer l'existence du chemin de révision. A tout moment, il est possible de
reconstituer à partir des pièces justificatives appuyant les données entrées, les éléments des comptes,
état et renseignements soumis à la vérification, ou, à partir de ces comptes, états et renseignements, de
retrouver ces données et les pièces justificatives »84.

84 §52 de la norme comptable générale.

51
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Un classement rationnel permet, en outre, d’éviter les doubles emplois ou les


omissions et facilitera les écritures d’inventaire.

A cette fin, l’organisation administrative et comptable de la société doit se


traduire par la mise en place de procédures visant à :

- Rendre nécessaire la présentation d’une pièce justificative lors de


l’enregistrement de toute écriture comptable ;

- Assurer une recherche rapide et un archivage fiable de ces documents ;

- Permettre la mise à disposition de ces pièces aux personnes chargées de vérifier


ou de contrôler la comptabilité.

En conclusion, la forme, le lieu et les modalités de classement des pièces


justificatives ne font l’objet d’aucune prescription légale. L’importance de la
conservation de pièces justificatives en matière de preuve, nécessite l’adoption d’un
système de classement sûr et efficace, apte à permettre le contrôle de la comptabilité.

Concernant la conservation des documents comptables, l’article 8 du code de


commerce prévoit que tous les documents justificatifs des opérations inscrites sur les
livres légaux doivent être conservés pendant 10 ans.

Dans ce sens, cet article vise, de manière générale, toutes les pièces justificatives.
Le libellé imprécis de ce texte implique que l’obligation de conservation décennale
concerne toutes les pièces justificatives ayant trait à l’exploitation de l’entreprise, tels
que par exemple les factures, les bons de commandes et de livraison, les contrats et
les conventions signées avec les tiers, ou encore les documents qui intéressent la
gestion de paie, etc.

52
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Concernant les états de synthèse, l’article 25 de la loi n°96-112 prévoit que « Les
états financiers relatifs à un exercice comptable ainsi que les documents, les livres, les balances et les
pièces justificatives y afférentes sont conservés pendant dix ans au moins ».

C. Les conséquences fiscales de l’absence de pièces justificatives

Destinées à permettre la vérification du bien fondé des enregistrements


comptables, les pièces justificatives revêtent donc, sur le plan fiscal, une importance
majeure, leur absence ou leur insuffisance peut entraîner l’irrégularité d’une
comptabilité et conduire ainsi à la mise en cause de sa valeur probante.

En droit fiscal, toutes les opérations comptabilisées par l’entreprise doivent être
appuyées de documents destinés à corroborer l’exactitude du résultat déclaré.
L’absence de pièces justificatives rend impossible la vérification de la comptabilité et
peut donc conduire au rejet de la comptabilité, même en cas de destruction fortuite
de ces justifications.

Cette position est appuyée par la commission spéciale de taxation qui considère
que la comptabilité qui n’est pas appuyée de pièces justificatives et qui présente des
lacunes, n’offre pas les garanties nécessaires pour être retenue en vue de la
détermination du bénéfice, et l’administration est en droit de taxer par
compensation.85

Toutefois, le défaut de pièces justificatives n’est pas toujours suffisant à lui seul
pour écarter une comptabilité. L’importance du document justificatif et la fréquence

85 Décision de la commission spéciale de taxation n°515, rapport au BODI, n°5 page 20. (A. ABOUDA, « Code de droits et procédures
fiscaux, contrôle, contentieux et sanctions » Op.cit, p.113)

53
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

de son omission constituent deux critères à prendre en considération pour apprécier


si la valeur probante d’une comptabilité peut être mise en cause86.

A travers l’étude et l’analyse de la jurisprudence, nous avons constaté que


l’absence de pièces justificatives entraine des conséquences fiscales différentes selon
que le document concerné porte sur une charge ou sur un produit.

a) L’absence de justification des charges

En règle générale, l’absence de pièces justificatives des dépenses ne permet pas à


elle seule de rejeter la comptabilité, mais a simplement pour conséquence
l’impossibilité pour l’entreprise de déduire la charge correspondante.

La justification des achats s’opère par la production de la facture rédigée par le


vendeur. Le contribuable qui effectue des achats auprès des fournisseurs dispensés
d’établir des factures doit, cependant, fournir un justificatif (ticket de caisse par
exemple).

Le défaut de pièces justificatives autorise l’administration à exclure des charges


déductibles de l’entreprise. La question est de savoir si l’absence de pièces
justificatives concernant les achats d’une entreprise peut conduire au rejet de la
comptabilité.

La jurisprudence française est constante : l’insuffisance des pièces justificatives


concernant les achats d’une entreprise n’est pas de nature, à elle seule, à priver la
comptabilité dans son ensemble de sa valeur probante.

86 CE. 4 juin 1986, n° 38.915 M. Pallasset, mémoire précité. p.36.

54
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En effet, le conseil d’État considère que l’absence des pièces justificatives des
dépenses ne permet pas, a elle seule, de rejeter la comptabilité mais, à simplement,
pour conséquence l’impossibilité pour l’entreprise de déduire la charge
correspondante. Par conséquent, le vérificateur a le droit de réintégrer ces charges
dans le bénéfice imposable87.

Dans ce cadre, et à titre d’exemple, le Conseil d’État considère que le l’omission


dans la comptabilité d’un restaurateur de dépenses de faible montant correspondant
au blanchissage de serviettes de table et payées sans facture pendant quatre mois et
demi88 ne peut pas à elle seule permettre à l’administration de rejeter la comptabilité
d’un contribuable.

En revanche l’absence de document justifiant les ventes entraîne des


conséquences fiscales plus importantes et plus étendues.

b) L’absence de justification des ventes

La jurisprudence tunisienne a confirmé le rejet de la comptabilité lorsque les


recettes sont enregistrées globalement sans détails dans les livres ou dans les pièces
annexes89.

Ainsi, l’avis de la jurisprudence tunisienne est contraire à la position de la


commission spéciale de taxation d’office qui a considéré que le seul fait que les

87 CE du 29/06/1990, n°67780, RJF 8-9/90, M. Pallasset, mémoire précité, p.39.


88 CE du 27 octobre 1982, n°21610, Lamy fiscal 1989, n°8283 et M. Pallasset, mémoire précité, p.62.
89 T.P.I Tunis, jugement n° 301 du 11/07/2002 (C. TOUMI, l’évaluation extra-comptable des bases d’imposition par l’administration fiscale,
p.40).

55
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

recettes ne soit détaillées ni dans les livres comptables, ni sur les pièces annexes ne
constitue pas à lui seul un motif suffisant pour écarter la comptabilité90.

En droit comparé, la jurisprudence française apparaît constante dans ce


domaine : elle affirme en permanence que la comptabilité est privée de valeur
probante lorsque les ventes sont inscrites globalement en fin de journée et ne sont
appuyées d’aucune pièce permettant d’en justifier le détail91.

Dans ca cadre, le Conseil d’Etat a considéré que la comptabilité était dépourvue


de valeur probante pour absence de pièces justificatives de recette et de stock 92. De
même il a jugé que la comptabilité d’une société fabriquant des produits alimentaires
qui enregistre globalement, par journée, ses recettes de caisse et ne peut produire de
pièces justificatives corroborant l’exactitude de ces écritures ne peut pas être retenue
comme probante93.

La jurisprudence marocaine, quant à elle, a confirmé le rejet d’une comptabilité


ne détaillant pas les recettes comptabilisées. En effet, la cour suprême a ratifié un
jugement de la cour administrative de Fès ayant ôté la valeur probante de la
comptabilité d’un contribuable qui comptabilisait globalement en fin de journée les
recettes tirées de l’exploitation de son commerce de boulangerie-pâtisserie et qui
n’avait pas été en mesure de produire, au cours de la vérification de comptabilité dont
il avait fait l’objet, des pièces justifiant le détail de ses recettes94.

90 C.S.T.O décision n°224 Bodi n°5.


91 M. PALLASSET, Mémoire précité, p.39.
92 CE 15/10/1990 n° 72 218 RJF 12/90, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.20.
93 CE du 22 juillet 1977, n°2424 cité par P. COLIN, la vérification fiscale, ECONOMICA Edition 1979, p.67
94 Cour suprême n°1639 du 13/11/2003 dossier n° 01/1/4/916, CA Fès dossier n°49/ 98, N. LAHLOU, mémoire précité, p.39.

56
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En revanche, le Conseil d'État a considéré que l'insuffisance de justification des


ventes de pièces détachées ne représentant qu'une partie du commerce de cycles
exploité par la société, ne présentait pas en l'espèce un caractère de gravité de nature à
autoriser le rejet de la comptabilité95.

1.2 Les erreurs et omissions graves et répétées constatées dans la


comptabilisation des opérations

Le droit tunisien adopte une définition large de l'erreur comptable. En effet, en


vertu de la norme comptable 11 relative aux modifications comptables, les erreurs
fondamentales dans les états financiers antérieurs sont « les erreurs découvertes durant
l'exercice en cours et qui sont d'une importance telle que les états financiers d'un ou de plusieurs
exercices antérieurs ne peuvent plus être considérés comme ayant été fiables à la date de leur
publication »96.

Plus précisément, il s'agit « des erreurs commises dans la préparation des états financiers
d'un ou de plusieurs exercices antérieurs et qui peuvent être découvertes lors de l'exercice en cours. Ces
erreurs peuvent avoir pour cause des erreurs de calcul, des erreurs dans l'application des méthodes
comptables, une mauvaise interprétation des faits, des fraudes ou des négligences. La correction de ces
erreurs est normalement incluse dans la détermination du résultat net de l'exercice en cours »97.

Ainsi, nous pouvons conclure que le législateur ne distingue pas entre les erreurs
comptables commises de bonne foi de celles commises de mauvaise foi. De ce fait,
l’intention du contribuable n’est pas tenue en compte.

95 CE n° 71467 du 26 Juillet 1991 (www.légifrance.gouv.fr).


96 NCT 11 §6.
97 Norme comptable 11, § 29 et § 30.

57
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Or, en droit fiscal, il convient d'apprécier le comportement du contribuable afin


de distinguer l'erreur volontaire de l'erreur involontaire98. Cette distinction revient à
apprécier l’intention du contribuable : on se demande si l’erreur commise est de
bonne ou de mauvaise foi.

En effet, en vérifiant la comptabilité, l’administration fiscale cherche la vérité


fiscale et doit donc procéder à l’instruction à charge et à décharge99. Elle doit
distinguer entre deux types d’irrégularités pour lesquels correspondent deux
méthodes de correction :

- Irrégularités commises de bonne foi et d’une manière involontaire, ce sont de


simples erreurs comptables et qui peuvent être rectifiées même par le contribuable
en pratiquant la correction symétrique.

- Irrégularités qui constituent des erreurs volontaires et qui représentent des


décisions de gestion opposables aux entreprises et qui ne peuvent pas donner lieu,
en conséquence, à des déclarations rectificatives100.

De même, il est utile en droit fiscal de procéder à une distinction entre la


comptabilisation incomplète des ventes et l'enregistrement incomplet des autres
comptes.

En effets, le défaut de sincérité de la comptabilité résulte, pour l'essentiel, des


omissions ou minorations de recettes. Toutefois les anomalies affectant les achats, les
frais généraux, le compte "caisse" et les stocks peuvent, selon leur importance, être
des motifs suffisants ou complémentaires de rejet de la comptabilité.

98 A. ABOUDA, « Code des droits et procédures fiscaux : contrôle, contentieux et sanctions », Op.cit, p.147.
99 S. BORJI, « l’opposabilité de la comptabilité en droit tunisien »,RTF n°7, p.265.
100 Prise de position n°30 du 10 janvier 2000. RCF n°48 deuxième trimestre 2000.

58
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

A. La comptabilisation incomplète des ventes

La comptabilisation incomplète des ventes constitue pour la jurisprudence une


irrégularité qui entraîne à elle seule le rejet de la comptabilité 101.

En principe, les omissions ou les minorations des recettes, ayant un caractère


répétitif, grave et concernant des montants globaux significatifs, constituent des
anomalies suffisamment graves pour justifier le rejet de la comptabilité.

La comptabilisation incomplète des ventes s'accompagne fréquemment d'autres


irrégularités dans la tenue de la comptabilité à savoir :

- L’absence d'inventaire détaillé ;

- La minoration injustifiée des stocks de marchandises ;

- Les apports de caisse inexpliqués ;

- Les apports en compte courant non justifiés.

Ce cumul d'irrégularités entraîne systématiquement le rejet de la comptabilité.

La commission spéciale de taxation considère que l’omission de recettes,


l’insuffisance de quantités de valeurs ou de marchandises à l’inventaire, le défaut de
comptabilisation des opérations à crédit, rendent la comptabilité non probante et
permettent de l’écarter102.

En France, le conseil d’État français considère que l’omission de certaines


recettes telles que les ventes au comptant et les ventes de la période de haute saison

101 TPI Sfax, affaire n° 76 du 12/05/2004 :


"
".
102 Décision de la commission spéciale de taxation n°63, BODI n°5.

59
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

ou de nombreuses omissions de recettes, ou la mention d’une augmentation


importante non justifiée du capital net engagé dans l’entreprise, représentent des
motifs de rejet de comptabilité103.

Cependant les omissions de recettes ne permettent pas toujours d'écarter la


comptabilité. Il en est ainsi lorsque :

- les minorations portent sur des recettes accessoires 104 ;

- les erreurs sont rectifiables ;

- les erreurs n'ont pas été retenues comme suffisamment graves pour enlever à la
comptabilité son caractère probant de par leur faible montant.

Les minorations de recettes peuvent être révélées par différents moyens et


notamment par :

- La vérification de la comptabilité matière des produits revendus qui peuvent


aboutir à la mise en évidence des recettes manquantes ;

- les confirmations des clients de l'entreprise ou l'aveu du contribuable lui-même ;

- la découverte d'une comptabilité occulte ;

- la découverte d’un compte bancaire non comptabilisé105.

B. La comptabilisation incomplète des autres opérations

La jurisprudence considère que l'omission d'achat est parfois un motif suffisant


de rejet de la comptabilité.

103 C.E requête n°22083 du 29/05/1957 dilignieres et CE 3ème sous-sect.17/06/1932 sem. jur. 1932 p. 776 (S. BORGI, l’opposabilité de la
comptabilité, R.C.F n°75, 2007 p.53)
104 CE, 23 janvier 1980, n°12567, cité par Lamy fiscal 1989 (A.ABOUDA, Op.cit, p.115)
105 TPI Sfax, affaire n°76 du 12/05/2004.

60
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les principaux critères résident, d’une part, dans l'importance ou la fréquence


des omissions, lorsqu'elles sont mineures les omissions d'achats ne sont pas retenues
par le juge.

Ainsi, la seule omission en comptabilité pendant une période limitée de charges


de faible montant dont les factures ne peuvent pas être produites, n’est pas de nature
à établir le caractère non sincère d’une comptabilité régulière106.

D’autre part, ces critères résident dans la relation qu’occupent les achats avec la
production.

En effet, les achats de marchandises et de matière première occupent, en raison


de leur poids et de leur relation directe avec le volume de la production, une place
majeure dans le compte de résultat d’une société.

Dans ce cadre, le juge fiscal a rejeté la comptabilité qui fait apparaitre un défaut
d’enregistrement de la totalité des achats consommés et une discordance entre le
chiffre d’affaires et les achats consommés107.

En France, La non comptabilisation des factures d’achats ou la comptabilisation


des achats sans facture représentent pour le Conseil d’Etat français un facteur unique
de rejet de comptabilité108.

106 CE du 27 octobre 1982, n°21611 : R.J.F 12/82, n°1159, M. PALASSET, mémoire précité, p.60.
107 TPI Sfax du 16 juin 2004, affaire n°146 (M.BOUZID, « Les présomptions en droit fiscal », Mémoire pour l’obtention du mastère en
science juridiques fondamentales, p.36) .
"
2000 1999
"
108 CE du 24 novembre 1986, n°47531 : R.J.F. 1/87, n°97, M. PALASSET, mémoire précité, p.61.

61
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Par ailleurs, l'omission de comptabilisation des frais généraux n'est pas, en


principe, un motif de rejet de comptabilité. Toutefois, pour permettre d'écarter la
comptabilité comme non probante, l'administration doit établir la relation existant
entre l'omission des frais généraux et la minoration corrélative des recettes. Ce qui est
très difficile.

Enfin la comptabilisation incomplète des opérations peut résulter de la


constatation d'anomalies graves et répétées, relevées dans certains comptes, tel que le
compte "caisse".

1.3 La dissimulation d’achat ou de vente (La comptabilisation d'opérations


fictives)

La dissimulation d’achat ou de vente consiste à cacher à l’administration fiscale


toute ou partie de l’assiette de l’impôt en s’abstenant de produire les documents
requis ou en déposant des documents inexacts.

Dans ce cas, la comptabilité vérifiée ne laisse apparaître aucune déficience de


fond ou de forme. Toutefois, les vérificateurs s’aperçoivent à travers les
recoupements qu’ils effectuent et les informations qu’ils collectent auprès des tiers
que les bases d’imposition sont largement minorées.

Les pratiques courantes en ce domaine sont :

- La minoration des recettes de façon à réduire les bénéfices soumis à l’impôt et


atténuer ainsi la base soumise à l’impôt.

- La minoration du prix des transactions soumises au droit d’enregistrement ou à


l’impôt sur les plus values de cession.

- La majoration des charges pour minimiser le bénéfice qui s’opère le plus


souvent par la comptabilisation des charges fictives sur la base de faux

62
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

documents (fausses factures ou fausses pièces de dépenses) ou l’imputation à


l’exploitation des dépenses qui ont un caractère uniquement privé et personnel.

- La surestimation de la valeur des provisions et des amortissements.

- La minoration de la valeur des stocks.

C. Conséquences fiscales de la dissimulation d’achat ou de vente

Une comptabilité qui exprime des données résultant d'opérations fictives ne


peut avoir aucune crédibilité au regard de la jurisprudence. Ainsi, le caractère fictif de
ces opérations entraîne une absence totale de sincérité de la comptabilité.

En effet, l'enregistrement d'achats et de ventes fictives, la comptabilisation


d'opérations au nom d'un client ou d'un fournisseur fictif prive la comptabilité de
toute sincérité.

De même, la découverte d'une comptabilité occulte supprime la force probante


des écritures comptables officielles. Le caractère occulte ou fictif d'une quelconque
opération comptable significative entraîne le rejet systématique de la comptabilité.

Sur le plan fiscal, la dissimulation d’achat ou de vente est sanctionnée


pénalement. En effet, le code des droits et procédures fiscaux classe les actes de
simulation dans le rang des manœuvres frauduleuses, de ce fait il n’y a pas de
distinction entre manœuvres frauduleuses et acte de simulation dès le moment où ils
visent tous les deux la dissimulation de revenu imposable. Ceci peut être constaté
dans l’article 101109 du code des droits et procédures fiscaux qui est classé sous une
section intitulée : « sanction fiscale pénale en matière de fraude fiscale ».

109 Article 101 du CDPF : Est punie d'un emprisonnement de seize jours à trois ans et d'une amende de 1000 dinars à 50.000 dinars toute
personne qui a : simulé des situations juridiques, produit des documents falsifiés ou dissimulé la véritable nature juridique d'un acte ou d'une
convention dans le but de bénéficier d'avantages fiscaux, de la minoration de l'impôt exigible ou de sa restitution ;

63
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

A travers l’analyse de la jurisprudence tunisienne ainsi que celle du droit


comparé, nous avons relevé les cas suivants :

- En Tunisie, Le tribunal de première instance de Sfax considère que la non


constatation dans la comptabilité de trois comptes bancaires et l’absence de pièces
justificatives concernant plusieurs opérations réalisées par l’entreprise peut motiver
le rejet de la comptabilité110.

- Le conseil d’État français considère que la découverte d’une comptabilité occulte


prive les écritures comptables officielles de leur valeur probante, même si elles sont
régulières111.

- La dissimulation d’achats ou de ventes est sanctionnée aussi par la jurisprudence


marocaine par le rejet de la comptabilité même en l’absence de comptabilité
occulte tenue en parallèle avec la comptabilité officielle 112.

Nous pouvons conclure donc, que la dissimulation d’achat ou de vente est toujours
sanctionnée par le rejet de la comptabilité.

Par ailleurs, la minoration des bases d’imposition pourrait résulter de la


constatation en charges non admises fiscalement et qui n’ont pas été réintégrées
conformément aux prescriptions du code de l’IRPP et de l’IS.

Dans de pareils cas, les vérificateurs procèdent aux ajustements nécessaires et


notifient au contribuable les corrections qui devraient être apportées aux bases
d’imposition initiales113.

110 TPI de Sfax, Affaire n°314 du 07/12/2005. Cité par S. BORGI, « L’opposabilité de la comptabilité en droit tunisien », RTF n°7 p.271.
111 CE n°48159 du 3 novembre 1986 (www.légifrance.gouv.fr).

112 CA de rabat dossier n° 98/243 et CA de Casablanca dossier n°97/1949, N. LAHLOU, mémoire précité, p.34.
113 F. DERBEL, « Comptabilité et vérification fiscale », RCF n°49 troisième trimestre 2000 p.37.

64
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2. Autres irrégularités graves de fond

2.1 Insuffisance du taux de bénéfice brut.

L’examen, en vue de s’assurer de la sincérité de la comptabilité, peut aller au-delà


de la vérification des documents détenus par l’entreprise pour aller jusqu’à la
détermination du pourcentage du bénéfice brut de l’exercice et sa comparaison avec
les pourcentages constatés au cours des exercices antérieurs ou par rapport aux
possibilités de l’entreprise ou aux résultats moyens du secteur.

Dans le cas où le vérificateur constate des variations, celles-ci doivent être


expliquées par l’entreprise, et à défaut elles constituent un indice pouvant enlever à la
comptabilité son caractère de sincérité114.

Il résulte de cette règle que la détermination du taux de bénéfice brut doit être
effectuée avec une grande précision, ce qui oblige par exemple, le vérificateur à :

- Corriger le prix de vente des produits vendus, des pertes et déchets de


fabrication, des articles invendables, des marchandises soldées, des rabais
accordés… ;

- Sélectionner un échantillon très représentatif des produits vendus par le


contribuable.

En effet, sanctionner les erreurs de gestion n’est pas le rôle de l’administration,


le propre du régime déclaratif est de permettre aux entreprises de déclarer leurs
résultats d’activité effectifs et aucune ne doit être pénalisée fiscalement parce qu’elle
ne réalise pas des performances suffisantes115.

114 A. ABOUDA, Op.cit, p.113.


115 N. LAHLOU « L’expert comptable devant le rejet de la preuve comptable et le pouvoir d’appréciation de l’administration », p.52.

65
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Cette position est confirmée par le juge fiscal qui considère que l'insuffisance du
taux de bénéfice brut ne suffit pas, à elle seule, à enlever à la comptabilité son
caractère probant116.

En France, le Conseil d’Etat confirme que l’insuffisance du coefficient de


bénéfice brut global ressortant de la comptabilité par rapport au taux théorique
résultant d’un échantillon même représentatif n’est pas, à elle seule, de nature à priver
la comptabilité de valeur probante117.

Par ailleurs, l’insuffisance de bénéfice accompagnée d’autres irrégularités a été


considérée par la commission spéciale de taxation d’office comme étant un élément
permettant de considérer la comptabilité comme non probante118.

Cette position est confirmée par la jurisprudence française, qui considère que
l'insuffisance de bénéfice brut peut être retenue pour déclarer la comptabilité comme
non probante lorsqu'elle est accompagnée d'autres irrégularités à savoir :

- L'enregistrement global des recettes 119 ;

- Apports de caisse inexpliqués et écarts entre dépenses personnelles connues de


l'exploitant et prélèvement dans l'entreprise120 ;

116 Tribunal d’appel de Tunis, CSTO, affaire n°010-2000/88 :


"
.

".
117 CE n°79933 du 10 mars 1976, CE n°14690 du 25 mai 1979, CE n°49986 du 18 février 1987 et CE n°74785 du 27 septembre 1991, M.
PALASSET, mémoire précité, p.67.
118 Décision de la commission spéciale de taxation n°224 BODI n°5 : « Le fait que les recettes ne sont détaillées ni dans les livres
comptables, ni sur des pièces annexes, ne constitue pas à lui seul un motif suffisant pour écarter la comptabilité. Mais si les coefficients de
productivité sont, de plus anormaux, le bénéfice est valablement déterminé par comparaison ».
119 CE n°34625 du 28 septembre 1983 , P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.22.

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Absence d'inventaire détaillé 121 ;

- Importance des apports et évaluation excessive des achats destinés à la


consommation personnelle122 ;

- Minoration du stock révélée par un contrôle matière effectué par le vérificateur


au magasin ;

- Inventaires de stocks entachés d'erreurs substantielles ;

- Soldes créditeurs de caisse fréquents et de montants significatifs.

Cette position est adoptée, de même, par la jurisprudence marocaine qui


considère que l’insuffisance du taux de bénéfice doit toujours être associée à d’autres
irrégularités pour motiver le rejet de la comptabilité.

Dans ce cadre, la cour administrative de Fès considère qu’un stock


correspondant à un nombre de jours de chiffre d’affaires anormalement élevé, assorti
d’un taux de marge anormalement bas par rapport au taux moyen de la profession,
peuvent motiver le rejet de la comptabilité123.

2.2 Situation comptable de la caisse créditrice

La position créditrice du compte « caisse » constitue une des infractions les plus
graves aux règles comptables.

En effet, la présence d’un solde de caisse créditeur entache la comptabilité d’une


présomption d’irrégularité.

120 CE n°33123 du 29 juillet 1983, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.24.
121 CE n°62199 du 17 mai 1989, M. PALASSET, mémoire précité, p.70.
122 CE n° 36451 du 22 octobre 1984, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.24.
123 CA Fès dossier n°2000/ 318, N. LAHLOU, mémoire précité, p.31.

67
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En droit fiscal, l’administration fiscale considère à travers la note commune


n°16/1967 que La caisse créditrice est un cas de rejet de comptabilité dans la mesure
où les irrégularités sont nombreuses et la caisse est tenue d'une manière fantaisiste

La commission spéciale de taxation d’office, quant à elle, considère que lorsque


la comptabilité « caisse » n’est maintenue débitrice que grâce à de très importants
versements des exploitants, l’administration est en droit d’exiger que la réalité de ces
versements soit justifiée et peut, n’ayant pas reçu satisfaction, écarter la
comptabilité124.

En droit comparé, le Conseil d’Etat français estime que l’existence d’un solde de
caisse créditeur est considérée comme motif de rejet de comptabilité dans les cas
suivants :

- Le solde créditeur est accompagné d’autres irrégularités, constituées notamment


par :

- Des recettes enregistrées globalement, un défaut d’inventaire des stocks et


une absence des pièces justificatives125.

- Des règlements en espèces d’un montant significatif, non appuyés de


documents justificatifs126.

- L’enregistrement global des recettes en fin de journée sans pièces


justificatives127.

124 Décision de la commission spéciale de taxation n°614 BODI n°5.


125 CE n° 43502 du 12/12/1984 RJF 02/85, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.24.
126 CE n° 41558 du 29/04/1985 RJF 06/85, P. GUARINOS « L'expert-comptable et le rejet de la comptabilité », annexe II p.18.
127 CE n° 44 444 du 14/10/1987 RJF 12/87, M. PALASSET, mémoire précité, p.31.

68
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Un livre de caisse tenu avec des ratures, des ventes enregistrées lors des
encaissements, des recettes omises ou incomplètement comptabilisées et un
inventaire de stock insuffisamment détaillé128.

- Des écarts importants entre inventaire et stocks, des discordances entre le


montant des chèques comptabilisés dans les écritures et ceux mentionnés
dans les caisses enregistreuses.

- Les soldes créditeurs sont importants et répétés.

Toutefois, ne privent pas la comptabilité de sa valeur probante :

- Un seul solde créditeur présentant un caractère accidentel et pouvant être


expliqué par le contribuable.

- Un solde créditeur inexpliqué, mais de faible montant129.

Par ailleurs, Le Conseil d’Etat français a jugé que l’absence d’un brouillard de
caisse ne prive pas la comptabilité d’un restaurateur de valeur probante, dès lors que
ce commerçant apportait les justifications nécessaires, sous la forme d’un livre journal
régulièrement tenu, appuyé par les souches des factures délivrées aux clients 130.

A contrario, une comptabilité où le brouillard de caisse fait défaut et où il n’est


pas possible de rattacher les articles vendus aux factures d’achat correspondantes
n’est pas probante131.

128 CE N° 87 666 du 02/05/1990 RJF 06/90, Ibid.


129 CE requête n°44504 et 44505 du 17/02/1986 Dr. Fisc 1986 n°18 comm 913. Concl. M. de guillenchmidt (S. BORGI, l’opposabilité de
la comptabilité, R.C.F n°75, hiver 2007 p.53).
130 CE. 4 juin 1986, n° 38.915 M. PALLASSET , mémoire précité p.29.
131 C.E du 8 février 1984, n°29174 : RJF. 4/84 n°494. M. PALLASSET, mémoire précitée, p.30.

69
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2.3 Discordances importantes entre les éléments de la comptabilité

Pour que la comptabilité soit régulière, elle doit être exacte de façon que les
additions, les reports et les récapitulations ne présentent pas d’erreur. Elle doit
refléter et présenter d’une manière fidèle la situation financière de l’entreprise.

Toutefois, il a été jugé qu’une comptabilité est dépourvue de sa valeur probante


dans le cas où aucune concordance n’est établie entre les éléments des états financiers
et leur support de base132, c’est le cas d’apparition d’écarts significatifs entre :

- Les totaux des journaux auxiliaires et ceux du journal général (centralisateur) ;

- Le total du journal et celui de la balance ;

- Le résultat figurant au bilan et à l’état de résultat.

Dans le même ordre d’idées, le juge fiscal a considéré que la comptabilité n’est
pas sincère lorsque les écritures sur le grand livre et le livre d’inventaire ne
correspondent pas aux écritures reportées sur le bilan133, ou lorsqu’il existe des
disproportions entre le chiffre d’affaires déclaré et les achats consommés134.

2.4 La confusion entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel


de l’entrepreneur

Afin de prouver que la comptabilité n'a pas enregistré toutes les recettes et
qu'elle n'est donc pas sincère, l'administration fiscale essaiera de déceler si les
dirigeants sociaux ou l'exploitant ont encaissé des recettes sur leurs propres comptes

132 F. DERBEL, « Comptabilité et vérification fiscale », RCF n°49 Troisième trimestre 2000.
133 T.A arrêt n°31695 du 27/03/2001 (C. TOUMI, l’évaluation extra-comptable des bases d’imposition par l’administration fiscale, p.43)
134 Tribunal de première instance de Sfax, Affaire n°146 du 16/06/2004. RTF N°5/2006 p.203 S. BORGI, « L’opposabilité de la
comptabilité en droit tunisien », Revue Tunisienne de Fiscalité N°7 p.271.

70
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

personnels. Elle portera également une attention particulière à la justification de leurs


apports.

A. L'encaissement des recettes sociales par le dirigeant ou l'exploitant

Les opérations financières de l'entreprise doivent être effectuées sur des


comptes professionnels dont le fonctionnement doit être totalement distinct des
autres comptes privés de l'exploitant.

Afin de prouver que la comptabilité n'a pas enregistré toutes les recettes et donc
qu'elle n'est pas sincère, l'administration essaiera de déceler si le dirigeant de la société
ou l'exploitant a encaissé des recettes sur ses propres comptes personnels.

Dans ce cas, la dissimulation de recettes ressortant de l'examen des comptes


bancaires privés de l'exploitation ou du dirigeant permet d'établir le caractère non
probant de la comptabilité135.

De même, le Conseil d'Etat français considère que la confusion des dépenses


professionnelles et personnelles sous une même rubrique peut altérer la valeur
probante de la comptabilité136.

B. Apports de fonds injustifiés à l'entreprise et insuffisance des


prélèvements de l'exploitant

La justification des apports de fonds concerne essentiellement les entreprises


individuelles. La valeur probante de la comptabilité peut être remise en cause lorsque
le montant ou la date des apports enregistrés au crédit du "compte de l'exploitant" ne
sont pas véritables ou contrôlables.

135 P. GUARINOS, « l’expert comptable et le rejet de la comptabilité », mémoire précité p.27.


136 CE 3ème sous-sect.17/06/1932 sem. jur. 1932 p. 776 (S. BORGI, l’opposabilité de la comptabilité, R.C.F n°75, hiver 2007 p.53) .

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Le Conseil d’Etat français considère que la comptabilité était dépourvue de


valeur probante d’un contribuable exploitant un hôtel-restaurant ne pouvant justifier
l’origine d’apports faits de manière constante à la caisse de l’entreprise et dont les
séjours effectués par les clients n’ont pas donné lieu à l’établissement de note
régulières137.

Toutefois, les apports en espèces non justifiés ne privent pas, à eux seuls, la
comptabilité de sa valeur probante s'ils sont peu élevés et peu nombreux.

En résumé, ce n'est pas l'origine des apports qui leur confère un caractère
suspect, mais leur caractère suffisamment important et régulier qui laisse présumer
l'existence de recettes dissimulées.

3. La qualité des enregistrements comptables

3.1 Le respect des normes et méthodes comptables

La régularité d'une comptabilité s'apprécie à travers la qualité des


enregistrements qu'elle regroupe. Il importe donc qu'elle soit correctement tenue,
dans le respect des normes comptables.

En effet, le contribuable qui entend invoquer la preuve comptable doit pouvoir


démontrer que la comptabilité de son entreprise est régulière sur le fond.

Cette qualité résulte de l’application des règles et procédures en vigueur et des


principes généralement admis.

137 CE du 26 septembre 1977, n°94847 (P. COLIN, « la vérification fiscale », ECONOMICA édition 1979).

72
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les états financiers doivent être préparés conformément aux principes


comptables généralement admis tels que définis par le cadre conceptuel et les normes
comptables.

3.2 Les conséquences du non respect des normes et méthodes comptables

Le non respect des normes comptables peut être invoqué pour justifier le rejet
d’une comptabilité. Les irrégularités d’ordre technique sont alors sanctionnées
lorsqu’elles ne permettent plus, en raison de leur gravité, une connaissance précise
des opérations de l’entreprise.

Dans ce cadre, le juge fiscal tunisien ainsi que ses homologues français et
marocain ont eu l’occasion de se prononcer sur le non respect des normes et
techniques comptables à travers les cas suivants :

- Le tribunal de première instance de Sfax a considéré que l’application de la


compensation entre les recettes et les dépenses ainsi que le chevauchement des
écritures et le manque de pièces justificatives peuvent atténuer la valeur probante de la
comptabilité.138

- Le non respect de l’hypothèse sous-jacente « comptabilité d’engagement » par


l’enregistrement des achats et des ventes par l’intermédiaire des seuls comptes de
trésorerie au fur et à mesure des décaissements et des encaissements, a été considéré

138 TPI Sfax, affaire n°354 du 13/07/2005, S. BORGI, « L’opposabilité de la comptabilité », la RCF n°75, Hiver 2007 p.52 et affaire n°76 du
12/05/2004 prévoyant :
"

."

73
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

par le Conseil d’Etat français comme des manquements substantiels aux règles
comptables139.

Dans ce même cadre, la cour administrative de Rabat a rejeté la comptabilité


d’une société d’études et de construction qui enregistrait ses factures des travaux
réalisés à la date de leurs encaissements au lieu de la date d’émission de décomptes 140.

- Par ailleurs, le Conseil d’Etat français a considéré qu’une comptabilité dans la quelle
des factures en nombre important ont été enregistrées à des dates erronées, a été
considérée comme dépourvue de valeur probante. Le principe comptable
d’indépendance des exercices n’avait pas, au cas présent, été respecté : ces factures
avaient été comptabilisées au cours de l’exercice suivant celui auquel elles auraient dû
être rattachées141.

Conclusion de la première partie

Ces premiers développements nous ont permis de constater que le caractère non
probant de la comptabilité peut résulter d’irrégularités graves de fonds ou de formes.
Ainsi, il peut découler soit d'irrégularités relevées dans la comptabilité, mais peut aussi
être établie, malgré sa régularité apparente, en présence d'un ensemble de signes
concordants de non sincérité hors cette comptabilité.

Cependant, devant le silence législatif quant à la fixation et la définition des cas


et des situations pouvant mettre en cause la valeur probante de la comptabilité, la
doctrine et la jurisprudence se sont investies pour les déterminer et les déceler à partir

139 CE n°37822 et 44916 du 22 Avril 1985 RJF 6/85 n°914, M. PALASSET, mémoire précité, p.26.

140 CA Rabat dossier n°97/ 1086, N. LAHLOU, mémoire précité, p.48.


141 CE 29 décembre 1983, n°34659 : R.J.F .2/84, n°140 M. PALLASSET, mémoire précité, p.26.

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

des dossiers et des cas traités ou à travers l’étude des jurisprudences des droits
comparés. Ceci a laissé une marge assez importante d’interprétation et d’arbitraire.

D’où la nécessité d’une délimitation législative claire et précise des cas de rejet
de comptabilité permettant d’éviter toute marge d’interprétation arbitraire de la part
de l’administration ou du juge fiscal.

75
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Deuxième partie :

L’évaluation extracomptable des bases d’imposition dans


le cadre d’une vérification fiscale

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Chapitre I : le recours à la reconstitution extracomptable des bases


d’imposition

Introduction

Par la promulgation du CDPF, le législateur a doté l’administration fiscale d’un


ensemble de pouvoirs et de prérogatives, parfois exorbitants et exagérés, lui
permettant de mener à bien la procédure de vérification et de contrôle.

Le renforcement de ces pouvoirs apparait, en premier lieu, aux marges et


manœuvres excessivement larges, accordées à l’administration, pour recourir à des
présomptions, quand bien même la comptabilité demeure, sur le fond, probante et
sincère, ce qui confirme une certaine emprise de la fiscalité sur la comptabilité 142. En
second lieu, le législateur a permis à l’administration fiscale d’utiliser plusieurs
méthodes d’évaluation sans pour autant fixer et définir l’ordre de priorité qui
s’impose aux vérificateurs lors de leur usage.

Devant ces pouvoirs exorbitants que le législateur a accordé à l’administration


lors des vérifications fiscales, la situation du contribuable se voit menacée par de
graves conséquences tant sur sa situation juridique et fiscale que sur sa situation
financière.

Cependant, la question qui se pose est dans quelles mesures la vérification


approfondie du contribuable peut s’effectuer sur des bases extracomptables ?

Le recours à la reconstitution extracomptable des bases d’imposition est


initialement usité par les vérificateurs afin de vérifier et contrôler les contribuables

142 : F. DERBEL, Rejet de la comptabilité et recours aux éléments extracomptable, RCF N°72, 2006, p.61.

77
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

non soumis à l’obligation de tenue d’une comptabilité, toutefois cette méthode peut
concerner ceux astreints à la tenue d’une comptabilité.

Ainsi, le recours aux éléments extracomptables est possible lorsque :

- le contribuable ne tient pas de comptabilité ou refuse de la communiquer aux


vérificateurs (section 1) ;

- le contribuable tient une comptabilité non probante et régulière (section 2) ;

- et même dans le cas où le contribuable tient une comptabilité régulière et qu’il


l’a présentée aux vérificateurs (section 3).

Section 1 : Le recours à l’évaluation extracomptable en cas de défaut de


présentation de comptabilité

Le défaut de communication ou de présentation de la comptabilité aux services


de l’administration fiscale représente un motif de rejet permettant, en conséquent, à
l’administration de recourir aux éléments extracomptables pour reconstituer et
déterminer la base imposable du contribuable.

Dans ce cas, le défaut de présentation de la comptabilité légitime le recours


direct à l’évaluation extracomptable des bases d’imposition143, mais ceci nécessite
avant tout la détermination de la notion de l’absence de la comptabilité.

143 Cette position est fréquemment soutenue par la doctrine administrative : prise de position DGCF 188 du 29 février 2001 :
... "

64

".

78
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Le législateur tunisien n’a défini, contrairement à son homologue français, ni le


défaut de présentation de la comptabilité ni les cas susceptibles de qualifier une
comptabilité comme non présentée aux agents du fisc.

En droit comparé et notamment en France, l'instruction du 6 mai 1988 144


précise que le défaut de présentation de la comptabilité est présumé : "lorsque le
contribuable ne produit pas les documents nécessaires au service pour vérifier la sincérité des
déclarations en les comparant avec les écritures comptables". Sont concernés les contribuables
qui ne présentent aucune pièce justificative de recettes ou de dépenses ou qui ne
tiennent pas les livres comptables jugés essentiels. Cette instruction cite, à titre
d'exemple, le livre-journal, le livre de trésorerie en matière de comptabilité super-
simplifiée, le livre spécial prévu par l'article 286-3° du C.G.I. ou le document qui en
tient lieu145.

L’absence de comptabilité peut être une absence matérielle, c'est-à-dire, le


contribuable s’est abstenu de tenir une comptabilité. Par ailleurs, il est assimilé à une
absence de comptabilité le refus de communication des documents et des pièces
comptables demandées par les vérificateurs146. Dans ce cas, le défaut de présentation
de la comptabilité est constaté par un procès verbal dans lequel le vérificateur
mentionne la cause de l’absence qu’elle soit due à l’inexistence de la comptabilité ou
au refus de sa communication.

144 Instruction de la DGI du 6 mai 1988.


145 M. PALASSET, « valeur probante d’une comptabilité en matière fiscale », mémoire précité p.78.
146 Comme obligation de communication, l’article 8 du CDPF dispose que : « le contribuable doit communiquer à toute réquisition des
agents de l’administration fiscale à ce habilités, ses quittances, documents et factures relatifs aux paiements des impôts dont il est redevable ou
justifiant l’accomplissement de ses obligations fiscales ».

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

A partir de 2005, l'article 62 de la loi de finances pour l'année 2005 a prévu des
dispositions qui visent à rationaliser les procédures de présentation de la comptabilité
pendant l'opération de vérification fiscale approfondie qui consistent en :

- l'établissement d'un procès verbal pour non présentation de la comptabilité,

- la mise en demeure du contribuable afin de présenter sa comptabilité dans un délai


maximum de 30 jours à compter de la date de la notification,

- et la non admission de la comptabilité non présentée dans le délai précité.

Toutefois, les dispositions prévues par ledit article ne s'appliquent pas lorsque la
comptabilité est déposée auprès des tribunaux, du ministère public, des organismes
de contrôle publics ou des experts chargés conformément à la loi, en cas de force
majeure prouvée conformément à la loi ou en présence d'un autre empêchement
légal.

La force majeure a été définie par le COC comme étant : « tout fait que l'homme ne
peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles),
l'invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l'exécution de l'obligation »147. De ce
fait, n'est pas considérée comme force majeure la cause qu'il était possible d'éviter, si
le débiteur ne justifie pas qu'il a déployé toute diligence pour s'en prémunir ou la
cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur148.

Par application de ces dispositions, l’administration fiscale doit prendre en


compte des empêchements amenant le contribuable à ne pas présenter sa
comptabilité.

147 Article 283 du COC.


148 Ibid.

80
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans la pratique, l’administration fiscale a toujours refusé l’application de la


règle de force majeure lorsque les pièces justificatives de la comptabilité ont été
détruites par un incendie149, lorsque les documents comptables sont à la possession
de la caisse nationale de sécurité sociale150ou lorsque le matériel informatique a été
saisi dans le cadre d’une saisie arrêt151. Cette même position a été adoptée par le
conseil d’État français qui a rarement accepté d’appliquer la force majeure. Il a refusé,
ainsi, de considérer comme force majeure l’état de santé du contribuable152, la saisie
des documents comptables153, la maladie du comptable154, la défaillance du tiers à qui
le contribuable a confié la tâche de lui faire sa déclaration155, le vol de la
comptabilité156 ou sa destruction par un incendie157.

Par dérogation au principe de recours à l’évaluation extracomptable en cas de


défaut de présentation de comptabilité, le juge fiscal considère dans un jugement en
date du 6 juin 2005158 que l’administration fiscale ne peut pas demander au

149 CSTO Tunis II n°96/37 du 25 novembre 1998, extrait de l’arrêt de cassation n°32697 du 28 janvier 2002 (Y.EL HAFI, les présomptions
et taxation d’office en droit fiscal, mémoire pour l’obtention du diplôme des études approfondies en droit fiscal, p.13).
150 CSTO Sousse n°95/403 du 19 janvier 1996, extrait de l’arrêt du T.A requête n°31872 du 17 avril 2000 (Y. EL HAFI, les présomptions et
taxation d’office en droit fiscal p.13).
151 Tribunal de première instance de Sfax, req. n°153 du 29 octobre 2003 ; St. T.R/ centre régional de contrôle fiscal, cité par Tarek. DRIRA,
chronique de la jurisprudence fiscale tunisienne. RTF N°4 :
"
283
".
152 CE 22 Juin 1984 n°33858 R.J.F 1984 p.486.
153 CE 28 octobre 1981 n°22279 R.J.F 1981/12 n°701.
154 CE du 14 octobre 1983 n°32301 R.J.F 1983/ 12 n°701.
155 CE du 10 décembre 1984 n°40626 DF 1985/2 n°106.
156 CE du 27 février 1984 n°37786 R.J.F 1984.
157 CE du 22 juin 1977, n°98234.
158 TA. Cass. Req. n°35575 du 6 juin 2005, DGI / Société des pièces de rechange, RTF n°8, p.239 et 240 :

81
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

contribuable des documents comptables relatifs à un exercice avant l’arrivée de son


délai de déclaration et par conséquence elle ne peut pas recourir aux éléments
extracomptables pour motif de non communication de documents.

Pour conclure, nous pouvons constater qu’à partir du 1er janvier 2005, le défaut
de présentation de la comptabilité est devenu un cas de rejet de plein droit de la
comptabilité.

Toutefois, la question qui se pose à cet égard est de savoir si le défaut partiel de
présentation de la comptabilité est sanctionné de la même manière que le défaut total.
On pense que la réponse ne peut être que négative car on passe dans ce cas du rejet
de plein droit de l’article 38 du CDPF aux cas de rejet en présence d’une comptabilité
non probante159.

Section 2 : Le recours à l’évaluation extracomptable en présence d’une


comptabilité non probante

D’emblée, le recours à l’évaluation des bases d’imposition par les éléments


extracomptables est initialement usité par l’administration fiscale afin de vérifier et de
redresser les contribuables non soumis à l’obligation de tenue d’une comptabilité.
Cependant, une telle méthode peut concerner les contribuables astreints à la tenue
d’une comptabilité lorsqu’ils présentent une comptabilité non probante et sincère.

80 "
1997
(...).1998 25 1998 25

. 1998 25 1997
1997
.
"
159 S. BORGI, l’opposabilité de la comptabilité, RCF n°75 hiver 2007, p.51.

82
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Le rejet de la comptabilité équivaut au refus de l’administration d’accepter les


états et documents comptables du contribuable pour les travaux de vérification et le
recours aux présomptions et éléments extracomptables pour la reconstitution des
bases d’imposition160. En présence d’une comptabilité non probante, le recours à
l’extracomptable est logique, légitime et juste 161.

Le rejet de la comptabilité est une décision lourde de conséquence162. Il autorise


l’administration de procéder à la reconstitution de la base imposable du contribuable
sur la base des éléments extracomptables. Toutefois, malgré son importance et son
impact, souvent néfaste, aussi bien sur l’entreprise que sur le contribuable, la notion
de rejet de la comptabilité et du recours à l’évaluation extracomptable en présence
d’une comptabilité non probante demeure jusqu’à présent non réglementée. Le
législateur s’est contenté dans l’article 62 de l’IRPP/IS de préciser que les
contribuables astreints à la tenue d’une comptabilité doivent se conformer à la
législation comptable en vigueur. Aucune autre précision n’a été avancée dans ce sens.

En effet, les cas susceptibles d’entrainer le rejet de la comptabilité n’ont pas été
définis par le législateur fiscal tunisien contrairement à ses homologues algérien 163,
français164 et marocain165.

160 F. DERBEL, « Rejet de la comptabilité et recours aux éléments extracomptables », la RCF n°72, Printemps 2006, p.61.
161 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une
comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006, p.36.
162 F. DERBEL, « Comptabilité et vérification fiscale », RCF N°49, Troisième trimestre 2000, p.39.
163 Article 191 du code des impôts directs et taxes assimilées algérien. Journal officiel de la république algérienne n°92 du 25/12/1999 : « Le
rejet de comptabilité, à la suite de vérification de déclaration fiscale ou de comptabilité, ne peut intervenir que dans les cas ci-après :
- Lorsque la tenue des livres comptables n'est pas conforme aux dispositions des articles 9 à 11 du code de commerce et aux conditions et
.alités d'application du plan comptable national ;
- lorsque la comptabilité se trouve privée de toute valeur probante, par suite de l'absence de pièces justificatives ;
- lorsque la comptabilité se trouve privée de toute valeur probante, par suite de l'absence de pièces justificatives ;
- lorsque la comptabilité comporte des erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées liées aux opérations comptabilisées.

83
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Face à ce vide juridique, la direction générale des impôts s’est contentée à


travers la note commune n°16 du 2 mai 1967 de prévoir qu’ « une comptabilité n’est
rejetable que dans la mesure où les irrégularités comptables et les écritures sont telles qu’il est
impossible au vérificateur de procéder à des redressements et des réintégrations de nature à aboutir
aux bénéfices réels susceptibles d’avoir été réalisés par les intéressés ». Toutefois, ces termes
n’ont pas été assez clairs pour être respectés, à tel point que la direction générale des
impôts a dû intervenir à nouveau pour préciser et revoir les critères de rejet à travers
la note commune n°23/2005 qui précise qu’ une comptabilité ne peut être écartée
que lorsqu’elle présente « des anomalies et des irrégularités, au niveau du fond ou de la forme,
qui sont de nature à altérer la sincérité et le caractère probant de la comptabilité ».

L'administration fiscale notifie, consécutivement à un rejet de comptabilité, les bases d'imposition arrêtées d'office et est tenue de répondre
aux observations du contribuable.
164 Dans sa version issue de la loi du 29 décembre 1977, l’article L.75 du LPF, qui régissait la procédure de rectification d’office, disposait
que l’administration peut rejeter la comptabilité « lorsque des erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées sont constatées dans la
comptabilité des opérations effectuées , en cas de non présentation de la comptabilité ou des documents en tenant lieu ou lorsque l’absence de
pièces justificatives prive cette comptabilité ou ces documents de toute valeur probante ». avec la suppression de la procédure de rectification
d’office et l’intégration des cas qu’elle régissaient dans l domaine de la procédure de rectification d’office et l’intégration des cas qu’elle
régissaient dans le domaine de la procédure de rectification contradictoire, l’article L.75 du LPF fut abrogé par la loi du 30 décembre 1986.
Mai en dépit de suppression, la jurisprudence a continué à utiliser les mêmes critères prévus par ledit article pour rejeter les comptabilités et
reconstituer contradictoirement la base imposable du contribuable (J. LAMARQUE, livre des procédures fiscales annoté, Dalloz, 13ème éd.,
2006 p.434 ; M. BOUZID AJROUD, la taxation d’office en droit fiscal tunisien, thèse pour le doctorat en droit, 2009, p.218)
165 Selon l’article 4 du LPF « Lorsque les écritures d'un exercice comptable ou d’une période d’imposition présentent des irrégularités graves
de nature à mettre en cause la valeur probante de la comptabilité, l'administration peut déterminer la base d'imposition d'après les éléments
dont elle dispose. Sont considérés comme irrégularités graves :
1. Le défaut de présentation d'une comptabilité tenue conformément aux dispositions de l’article 148 du livre d’assiette et de
recouvrement institué par l’article 6 de la loi de finances n°35-05 pour l’année budgétaire 2006 ;
2. L'absence des inventaires prévus par les mêmes articles ;
3. La dissimulation d'achats ou de ventes dont la preuve est établie par l'administration;
4. Les erreurs, omissions ou inexactitudes graves et répétées, constatées dans la comptabilisation des opérations ;
5. L'absence de pièces justificatives privant la comptabilité de toute valeur probante ;
6. La non comptabilisation d'opérations effectuées par le contribuable ;
7. la comptabilisation d'opérations fictives.
Si la comptabilité présentée ne comporte aucune des irrégularités graves énoncées ci-dessus, l'administration ne peut remettre en cause ladite
comptabilité et reconstituer le chiffre d'affaires que si elle apporte la preuve de l'insuffisance des chiffres déclarés.

84
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Partant du principe que le rejet de la comptabilité ne signifie pas que l’ensemble


des écritures comptables sont viciées, il est nécessaire dans ce cas de distinguer entre
les écritures erronées et les écritures régulières. Ces dernières doivent normalement
être dotées d’une valeur juridique supérieure aux éléments extracomptables. De
même, la prise en considération de ces écritures par l’administration peut permettre
d’obtenir une évaluation plus proche de la réalité de la situation du contribuable.
Nous parlons ici d’un rejet partiel de la comptabilité.

La question qui se pose est de savoir s’il est possible de combiner les données
comptables et les données extracomptables, en présence d’une comptabilité non
probante.

La jurisprudence fiscale n’a pas toujours accepté la combinaison et le recours en


même temps aux éléments comptables et extracomptables, en présence d’une
comptabilité non probante lors de l’évaluation des bases imposables du contribuable.
Dans ce cadre, le tribunal de première instance de Sfax a condamné, en premier
temps, la démarche suivie par l’administration fiscale en recourant en partie aux
éléments extracomptables et en une autre partie à la comptabilité166. En deuxième
temps, il a autorisé dans d’autres affaires le recours simultané à la méthode comptable
et à la méthode extracomptable167. Le tribunal de première instance de Tunis, quant à

166 Tribunal de première instance de Sfax, affaire n° 317 du 23 février 2005, cité par S.BORGI, RCF 2005, n°68 p.20 :
..."

.
....
".
167 Tribunal de première instance de Sfax, affaire n° 163 du 03 décembre 2003 ; HK. / centre régional de contrôle de Sfax, cité par T.
DRIRA, chronique de la jurisprudence fiscale tunisienne RTF n° 4 p.221 :

85
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

lui, a autorisé le recours combiné aux éléments comptables et extracomptables dans


les vérifications fiscales lorsque les deux sources d’information n’étaient pas
contradictoires168.

Le tribunal administratif, instance suprême en matière fiscale, considère que


l’administration doit retenir les éléments réguliers et probants de la comptabilité
présentée par le contribuable et recourir aux présomptions pour remplacer les
éléments irréguliers169.

En droit comparé, le Conseil d’État français considère que le rejet de la


comptabilité ne fait pas obstacle à ce que les éléments réguliers soient retenus pour
opérer la reconstitution de la matière imposable.170 Dans ce même ordre d’idées, le
juge fiscal belge a considéré que le fait qu’une comptabilité ne fournit pas une
garantie suffisante de précision et de sincérité pour valoir comme preuve complète du

"
38
".
168 Tribunal de première instance de Tunis, affaire n°1851 du 6 juillet 2006, cité par M. BOUZID, « la taxation d’office en droit fiscal
tunisien » thèse pour le doctorat en droit :

38 "
"
169
- TA. Cass. Req. n°35994 et 35971 du 3 mai 2007, direction générale du contrôle fiscal, Mohamed (inédit) :
"

" 66
TA. Cass. Req. n°34745 et 34777 du 28 février 2005, DGCF, société de conserverie de Sidi Thabet, cité par Sameh KOUBÂA, RTF n°8
-
p.249 et 250 :
"
".
170 CE du 27 mars 1995, n°117667, RJF 5/1995.

86
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

montant des bénéfices n’empêche aucunement l’administration de puiser des


éléments probants dans cette comptabilité171.

Partant du principe de l’annualité de l’impôt et du principe de l’indépendance


des exercices, l’appréciation du caractère probant de la comptabilité et le rejet de la
comptabilité doit se faire année par année. Ce qui signifie que la comptabilité peut
être régulière pour certains exercices vérifiés et rejetée en totalité pour d’autres
exercices. En revanche, si la gravité des erreurs ou des lacunes comptables sont telles
que le caractère non probant apparaît manifeste pour toute la période vérifiée,
l'appréciation est globale et la comptabilité est rejetée en "bloc".

1. La motivation du rejet de comptabilité

La décision de rejet de comptabilité, très grave de conséquence, ne doit être


opérée qu'à bonne connaissance et avec la plus grande prudence s'il existe des motifs
précis et sérieux permettant de la considérer comme dénuée de sincérité ou comme
non probante.

Mais en tout état de cause, tout rejet de comptabilité doit être justifié, fondé et
bien motivé dans l’arrêté de taxation d’office car il constitue une question préliminaire
sur la quelle le juge saisi doit statuer.

En pratique, le rejet de la comptabilité n’a pas été, dans plusieurs cas, le résultat
d’une démarche de contrôle méthodique et raisonnable172. La plupart des rejets de
comptabilité ont été généraux et non précis. Afin de rationnaliser l’usage de ce

171 Cass. 28 juin 1960 ; Cass. 8 janvier 1963, cité par J. MALHERBE et J. THILAMANY, l’amélioration des rapports entre l’administration
fiscale et les contribuables en Belgique, in, l’amélioration des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables. Actes du colloque de
la société française de droit fiscal, Orléans 15 – 16 septembre 1988, p.283 (M. BOUZID AJROUD, la taxation d’office en droit fiscal tunisien,
thèse pour le doctorat en droit, 2009, p.234).
172 T. DRIRA, « la vérification fiscale », mémoire de DEA Sfax 2003, p.114.

87
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

pouvoir exorbitant, l’administration fiscale a exigé depuis longtemps la motivation de


tout rejet de comptabilité. Une exigence qui a été appuyée, en premier temps, par la
note commune du 2 mai 1967 en prévoyant que « la direction ne se contentera plus
dorénavant de rejet de comptabilité non motivé appuyé simplement par des affirmations, la plupart du
temps gratuites et laconiques » et qui a été confirmée, ensuite, par la note commune n° 23
de 2005 en précisant que « dans le cas de rejet de comptabilité, il y a lieu de signaler que ce
dernier doit être suffisamment motivé ».

Aussi, il ressort à travers l’étude des jugements prononcés par les tribunaux que
le juge fiscal tunisien exige non seulement la motivation du rejet de comptabilité, mais
aussi il contrôle le contenu de la motivation. Cette dernière doit être claire et précise.
A défaut, le recours aux éléments extracomptables serait injustifié. En effet, selon le
tribunal administratif « si le rejet de la comptabilité n’est pas motivé d’une manière claire, le
recours aux présomptions devient douteux et inadmissible »173.

En conclusion, le recours à l’évaluation extracomptable des bases d’imposition


en présence d’une comptabilité irrégulière demeure un droit justifié de
l’administration pour préserver le trésor public de toutes fraudes fiscales. Cependant,
la question qui se pose est la possibilité d’un tel recours même en présence d’une
comptabilité régulière.

Section 3 : La possibilité de recours simultané aux éléments comptables et


extracomptables en présence d’une comptabilité régulière

La reconstitution des bases d’imposition à partir de tous les éléments en la


possession des vérificateurs est logique lorsqu’elle se justifie par la défaillance de la
comptabilité du contribuable. En revanche, ce procédé est dangereux lorsqu’il

173 TA affaire n°32434 du 13 novembre 2000 (M. BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du mastère en
science juridiques fondamentales 2007, p.60)
.

88
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

s’applique à des contribuables qui ont accompli leurs obligations comptables et


fiscales.

Au demeurant, l’absence de rejet de comptabilité confirme en principe, la


présomption de sincérité liée à la comptabilité vérifiée et protège par conséquent, le
contribuable de tout recours à des présomptions lors de l’évaluation des bases
imposables.

En droit fiscal, avant la promulgation du CDPF, l’éventualité d’une utilisation


combinée des documents comptables et des présomptions en présence d’une
comptabilité probante n’était pas autorisée ni par la doctrine administrative ni par la
jurisprudence. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur du CDPF, l’interdiction du
recours aux éléments extracomptables en présence d’une comptabilité probante n’est
pas évidente. De part sa rédaction, l’article 38 du CDPF laisse entendre que
l’administration est en droit de recourir aux éléments extracomptables même en
présence d’une comptabilité probante.

Ce faisant, le recours aux éléments extracomptables ne serait plus un recours


exceptionnel limité aux seuls cas où la comptabilité n’existerait pas, ne serait pas
présentée aux vérificateurs ou serait rejetée. Il va se transformer en un recours de
principe174.

En droit comparé, plusieurs systèmes fiscaux étrangers refusent fermement le


recours aux présomptions en présence d’une comptabilité probante. C’est le cas des
droits français175 et marocain176.

174 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une
comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006 p.37.
175 CE n°66877 du 20 mars 1989 DF 26/1989, comm. 1345.
176 Selon l’article 4-I du livre des procédures fiscales marocain,

89
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

1. L’ambiguïté de la loi quant à l’admission du recours simultané

L’article 38 du code des droits et procédures fiscaux considère que : « la


vérification approfondie s’effectue sur la base de la comptabilité pour le contribuable soumis à
l’obligation de tenue de la comptabilité et dans tous les cas sur la base de renseignements, de
documents ou de présomptions de fait ou de droit ».

Cette rédaction de l’article 38 du CDPF « est, pour le moins, maladroite et qu’elle laisse
une marge aux interprètes »177. En effet, l’étude des travaux effectués dans ce cadre fait
apparaitre deux interprétations possibles, d’une part, une interprétation « ad
litteram » autorisant un recours simultané à la comptabilité et aux éléments
extracomptables. D’autre part, une deuxième interprétation qui va au-delà de
« l’apparence trompeuse » de l’expression « dans tous les cas » en excluant
carrément l’extracomptable pour les contribuables tenant une comptabilité
régulière178.

1.1 Interprétation systématique

L’expression « dans tous les cas » ne vise que la situation où le contribuable ne


présente pas sa comptabilité au vérificateur alors qu’il est astreint de la tenir, ou bien
si cette comptabilité est irrégulière. C'est-à-dire que le recours aux éléments
extracomptables n’est possible qu’en cas de défaut de comptabilité.

Cette interprétation peut être justifiée par les fondements juridiques de la


comptabilité qui ont pour origine les textes du droit commun et fiscaux.

177 N. BACCOUCHE, « droit fiscal général », Sfax 2008 p.271.


178 F. CHOYAKH, l’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une comptabilité
régulière, RCF n°71, hiver 2006, p.37.

90
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Ces notions ont fait l’objet d’un long développement dans le premier chapitre de la
première partie de ce mémoire « les origines des obligations comptables en matière
fiscale ».

Cette interprétation peut être consolidée par la lecture du deuxième paragraphe


de l’article 40 du CDPF, qui prévoit que : « la durée effective maximale de la vérification
approfondie est fixée à six mois lorsque la vérification s’effectue sur la base d’une comptabilité tenue
conformément à la législation en vigueur et à une année dans les autres cas ». Nous pouvons
conclure que l’expression « dans tous les cas » ne vise qu’une seule situation, c’est
lorsque la vérification ne s’effectue pas sur la base de comptabilité tenue
conformément à la législation en vigueur.

La lecture combinée des deux articles 38 et 40 du CDPF nous laisse penser que
l’intention du législateur était de distinguer entre deux catégories de contribuables :
celui qui détient et celui qui ne détient pas une comptabilité. Cette lecture peut être
appliquée, individuellement, à l’article 38 du CDPF et en conséquence
l’administration ne peut recourir aux éléments extracomptables que si la comptabilité
n’a pas été présentée aux vérificateurs, ou si elle est non probante.

Toutefois, cette interprétation ne trouve pas assez d’ampleur ni au niveau de la


doctrine administrative ni au niveau de la jurisprudence fiscale.

1.2 Interprétation littérale

Disposant que : « la vérification approfondie de la situation fiscale (…) s'effectue sur la base
de la comptabilité pour le contribuable soumis à l'obligation de tenue de comptabilité et dans tous
les cas sur la base de renseignements, de documents ou de présomptions de fait ou de droit »,
l’article 38 du CDPF peut être interprété littéralement comme autorisant l’abandon de

91
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

certaines données comptables régulières, au profit des présomptions de faits et de


droits dont le choix est laissé au vérificateur.

Par conséquent, L’emploi de l’expression « dans tous les cas » n’est pas tout à
fait innocent179. Il donne à penser que le recours aux présomptions est susceptible
d’avoir lieu à l’égard de tous les contribuables sans distinction entre ceux qui sont
tenus de présenter une comptabilité et ceux qui ne le sont pas180.

Cette position peut être consolidée par la lecture de l’article 6 du CDPF, qui
permet à l’administration d’établir l'impôt et rectifier les déclarations sur la base de
présomptions de droit ou de présomptions de fait, ce qui nous laisse à penser que le
législateur a voulu autoriser l’administration de faire recours aux présomptions même
sans rejet de comptabilité.

Dans les travaux préparatoires du CDPF, Le ministre des finances a précisé que :
« la vérification approfondie de la situation fiscale peut se baser en tous cas sur tous les
renseignements et présomptions de droit ou de fait dont disposent les services fiscaux même en cas de
vérification effectuée sur la base d’une comptabilité. Car il s’agit d’une part de vérifier la situation
globale du contribuable, d’autre part, il est possible de retenir les présomptions pour s’assurer de
l’exactitude de la comptabilité »181. Ceci montre que cette interprétation parait la plus
proche de l’intention du législateur sur la possibilité de cumuler entre la méthode
comptable et extracomptable même en présence d’une comptabilité probante.

Enfin, quelque soit l’intention du législateur à travers cette rédaction maladroite


et ambigüe de l’article 38 du CDPF, il reste à l’origine d’une divergence doctrinale et

179 M. MTIR, « réflexions sur le rapport entre la législation fiscale et la législation comptable en Tunisie : les dispositions du code des droits
et procédures fiscaux et l’avenir de la comptabilité en matière fiscale », RCF 63/2004 p.77.
180 T. DRIRA, « la vérification fiscale », Mémoire de DEA Sfax, 2003, p.120.
181 Délibérations de la chambre de députés, n°39, séance du 26 juillet 2000, p.1924.

92
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

jurisprudentielle en matière de recours à la comptabilité et aux éléments


extracomptables dans les vérifications fiscales.

2. L’absence d’une jurisprudence constante sur la possibilité du recours


simultané

L’incertitude quant à la possibilité de recours simultané à la méthode comptable


et aux présomptions en cas de tenue d’une comptabilité probante s’est répercutée au
niveau de la doctrine administrative et la jurisprudence fiscale. Avec l’entrée en
vigueur du CDPF, la doctrine administrative, de son coté, a paru hésitante concernant
la détermination de la portée exacte de la formule « dans tous les cas », quant à la
jurisprudence tunisienne, elle n’a pas dégagé une règle générale applicable au rejet de
la comptabilité et elle a traité ce problème d’une manière casuistique182.

2.1 Divergence doctrinale

La doctrine administrative n’avait pas toujours la même attitude quant à la


possibilité du recours simultané aux éléments comptables et extracomptables en
présence d’une comptabilité régulière.

En effet, avant l’entrée en vigueur du CDPF en janvier 2002, l’administration


fiscale refuse généralement un tel recours. Cependant, avec l’entrée en vigueur de ce
code, elle a interprété l’article 38 du CDPF en admettant la généralité de la possibilité
du recours183.

Avant l’entrée en vigueur du CDPF en 2002, le recours aux éléments


extracomptables n’était possible que lorsque le contribuable ne tient pas une

182 A. ABOUDA, « code des doits et procédures fiscaux contrôle, contentieux et sanctions », op.cit p.108.
183 C. TOUMI, « l’évaluation extracomptable des bases d’imposition par l’administration fiscale », mémoire pour l’obtention du mastère en
droit fiscal, p.31.

93
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

comptabilité ou refuse de la communiquer à l’administration ou bien si celle-ci était


irrégulière et non conforme à la législation comptable. En effet :

D’une part, la note commune n°16/1967 du 2 Mai 1967 avait insisté sur le fait
que le rejet de la comptabilité devrait être fondé avant de recourir aux présomptions
de faits et de doits.

D’autre part, dans ce même cadre, la direction générale des impôts avait
confirmé cette position à travers plusieurs notes et prises de position184 en
considérant que le recours aux éléments extracomptables ne pouvait être envisagé
qu’en cas de défaut de présentation ou de rejet de comptabilité.

Par ailleurs, dans une note de service n°3177 du 24 avril 1993 ayant « pour but de
préciser la procédure à suivre lors de la régularisation de la situation fiscale des avocats »,
l’administration avait considéré que pour régulariser la situation fiscale des avocats, le
service doit, dans le cas de tenue d’une comptabilité régulière et probante, effectuer
les redressements sur la base de cette comptabilité 185.

Avec l’entrée en vigueur du CDPF, la position de l’administration fiscale a


changé et elle a adopté une nouvelle logique, issue d’une interprétation littérale du
texte fiscal, selon laquelle le recours aux présomptions est admis pour tous les
contribuables tenant ou non une comptabilité probante.

184 C’est ainsi que dans une prise de position du 29 février 2001, la DGI a précisé qu’en cas de défaut de présentation de comptabilité par le
contribuable, les agents de l’administration ont le droit de rectifier les déclarations fiscales en se basant sur des présomptions de fait ou de
droit ou sur des données forfaitaire (Prise de position DGCF n°188 du 29/02/2001).
Aussi, dans une autre prise de position du 15 mars 2001, la DGI a précisé qu’en absence de comptabilité conforme à la loi n°96-112 du 30
décembre 1996 portant promulgation du système comptable des entreprises, l’administration fiscale peut retenir des méthodes
extracomptables lors de l’opération de vérification (Prise de position DGCF n°188 du 15/03/2001).
185 C. TOUMI, « l’évaluation extracomptable des bases d’imposition par l’administration fiscale », mémoire pour l’obtention du mastère en
droit fiscal, p.49.

94
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce sens, la note commune n° 20/2002 a précisé que « la vérification sur la


base de la comptabilité n’exclut pas le recours aux présomptions de droit ou de fait et à tout autre
moyen de preuve pouvant être admis à cet effet ».

Paradoxalement à sa position exposée dans la note commune n° 20/2002, la


direction générale des impôts n’a pas maintenu dans toutes les notes communes qui
ont suivi la même logique. En effet, l’administration fiscale a consacré la supériorité
de la preuve écrite (dont notamment la comptabilité) sur la preuve par présomptions
à travers la note commune n° 10/2002 ayant pour objet « le commentaire des dispositions
des articles 47 à 52 du code des droits et procédures fiscaux relatives à la taxation d'office ». Cette
note commune fixe l’ordre des sources que l’administration doit utiliser pour établir la
taxation d’office, en cas de défaut de dépôt de déclaration de l’impôt, comme suit :

- les preuves littérales et écrites, si elles existent,

- les présomptions de droit ou de fait,

- les sommes portées sur la dernière déclaration déposée par le contribuable.

Ainsi, cette position présente le mérite de privilégier les documents comptables


détenus par le contribuable et de limiter le recours aux présomptions.

2.2 Divergence jurisprudentielle

Avant l’entrée en vigueur du CDPF, la possibilité du cumul entre la comptabilité


et l’extracomptable lors d’une vérification fiscale n’était pas acceptée par le juge fiscal.
La haute juridiction a même considéré que le fait d’utiliser la comptabilité pour
redresser une partie des impôts (en l’espèce la TVA) équivaut à une reconnaissance

95
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

de la part de l’administration de son caractère régulier, ce qui ne permet plus une


reconstitution extracomptable des bases imposable186.

Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur du CDPF, l’incertitude quant à la


possibilité de recours simultanément à la méthode comptable et aux présomptions en
cas de tenue d’une comptabilité probante s’est répercutée au niveau de la
jurisprudence. En effet, la jurisprudence tunisienne n’a pas dégagé une règle générale
applicable au rejet de la comptabilité, elle a traité ce problème d’une manière
casuistique187.

En effet, les jugements prononcés par les tribunaux tunisiens en matière de


recours aux éléments extracomptables diffèrent d’un tribunal à un autre alors que
l’objet de l’affaire est pratiquement le même. Nous illustrons cette absence
d’harmonisation de la jurisprudence à travers les jugements suivants :

Dans un jugement en date de 18 mars 2004, le tribunal de première instance de


Tunis énonce qu’ « il résulte de l’article 38 du code des droits et des procédures fiscaux que le
législateur a donné le droit à l’administration fiscale de procéder à la vérification approfondie en se
basant sur la comptabilité du redevable de l’impôt pour la personne soumise à la tenue de
comptabilité. Lui a également donné le droit de se baser sur les présomptions de droit ou de fait et sur
les renseignements et documents dans tous les cas, c'est-à-dire, même en présence d’une
comptabilité tenue conformément à la loi. L’administration fiscale peut se baser sur les
renseignements et sur les présomptions et ce, pour vérifier en particulier les informations enregistrées

186 Tribunal administration, requête n°32434 du 13 novembre 2000, F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours
simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006, p.45.
187 A. ABOUDA, code des doits et procédures fiscaux contrôle, contentieux et sanctions, p.108.

96
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

dans la comptabilité et, en conséquence, le recours de l’administration fiscale à la comptabilité de


matières en présence d’une comptabilité est également justifié »188.

Le tribunal de première instance de Sfax, quant à lui, a opté pour une position
inverse. Ainsi, il considère que l’expression « dans tous les cas » prévue par l’article
38 du CDPF ne donne pas le droit à l’administration fiscale de rejeter la comptabilité
du contribuable si elle est régulière. En effet, cette expression ne doit être interprétée
comme permettant à l’administration de recourir aux présomptions que dans deux
cas. Le premier concerne les contribuables non soumis à l’obligation de tenue de
comptabilité et le second est relatif aux contribuables soumis à l’obligation de tenue
de comptabilité lorsqu’elle établit que leur comptabilité comporte des erreurs et des
défaillances pouvant justifier le rejet 189.

Le tribunal de première instance de l’Ariana, quant à lui, semble avoir la même


position que celle du tribunal de première instance de Sfax quand il a affirmé
clairement que l’administration fiscale ne peut recourir aux présomptions si la
comptabilité du contribuable a été jugée régulière et que le recours à une méthode

188 Tribunal de première instance de Tunis, ch. Fiscale, affaire n°626, jugement du 18 mars 2004, cité et traduit par M. MTIR, « chronique de
jurisprudence fiscale », (RCF) n°66, 4ème trimestre 2004, p.23.
189 TPI de Sfax, affaire n°317 du 23 février 2005, cité par S.BORGI, RCF n°68 printemps 2005, p.20 :

38 " " "

.
38

".

97
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

extracomptable ne peut avoir lieu que si l’administration a prouvé, au préalable que la


comptabilité souffre de plusieurs anomalies affectant sa force probante190.

Le tribunal administratif, instance suprême en matière fiscale, a tranché


définitivement la question en penchant pour la position de la possibilité du recours
simultanément à la comptabilité et aux présomptions et il a affirmé qu’une
comptabilité non rejetée n’empêche pas le vérificateur fiscal de recourir à des
éléments extracomptables191.

La jurisprudence française, quant à elle, a clairement affirmé qu’une comptabilité


régulière prime sur toute autre preuve extracomptable, et c’est dans ce sens que le
conseil d’État français a considéré que « lorsque le contribuable tient une comptabilité régulière
et probante, l’administration ne peut pas substituer au bénéfice résultant de cette comptabilité qu’elle
calcule selon une méthode extracomptable, même si l’intéressé encourt la taxation d’office pour défaut
de déclaration ».192 De même, il a affirmé qu’ « aucune méthode extracomptable ne saurait

190 TPI Ariana req. n°55 du 19 avril 2003, cité par M.BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du mastère en
science juridiques fondamentales 2007, p.69 :
"
. 38
.

"
191 TA . cass. affaire n°36765 du 01 décembre 2008, direction générale des impôts, Al Jmili (inédit) :
"

"
192 CE du 14/11/1984 req n°40807, RJF 1/1985 n°80.

98
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

prévaloir sur les résultats ressortant d’une comptabilité probante »193. Dans ce même ordre
d’idée, le juge fiscal belge considère que lorsque la comptabilité est régulière,
l’administration ne peut pas recourir à la preuve par présomptions, tel que la preuve
par comparaison194.

Enfin, il faut signaler que le conseil économique et social195 a préconisé de


consacrer l’obligation de motiver le rejet de comptabilité. Il a attiré l’attention sur le
fait que le recours de l’administration à la taxation d’office sur la base de
présomptions ne doit se faire qu’après un rejet motivé de la comptabilité et sur cette
base le conseil a proposé une autre formulation de l’article 6 du CDPF, comme suit :

« L'administration fiscale peut, dans le cadre du contrôle ou de la vérification prévus par


l'Article 5 du présent code (CDPF), demander tous renseignements, éclaircissements ou justifications
concernant la situation fiscale du contribuable. L’administration peut établir l'impôt et rectifier les
déclarations sur la base de présomptions de droit ou de présomptions de fait concernant les
contribuables qui ne tiennent pas une comptabilité. En revanche, concernant les contribuables qui
tiennent une comptabilité, l’administration peut recourir à la taxation d’office sur la base de
présomptions après rejet motivé de la comptabilité »196. C’est l’article tel que proposé par le
conseil, mais malheureusement cette proposition n’a pas été retenue.

193 CE du 18/02/1987 req n°49986, RJF 4/87 n°436.


194 Bruxelles, 16 mars 1966 -Liège, 2 mars 1972, in Th. AFSCHRIFT, « Traité de la preuve en droit fiscal », larcier 1998, p.288. Voir supra
partie II, chapitre I, section II, §1. (F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies
en droit des affaires, faculté de droit de Sfax, 2001-2002, p.86).
195 Le Conseil économique et social (CES) est une institution consultative tunisienne prévue par l'article 70 de la constitution et
administrativement rattachée au Premier ministère .(Source: wikipedia.org)
196 L’avis du conseil économique et social concernant le projet de loi relatif à la promulgation du C.D.P.F., p.8. (F. KAMMOUN, « la preuve
en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de droit de Sfax, 2001-2002, p.50).

99
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

3. Les conséquences du recours simultané en présence d’une comptabilité


régulière

L’admission du recours simultané aux méthodes comptables et extracomptables,


aussi bien par la doctrine administrative, que par la jurisprudence, pourrait aboutir à
de graves conséquences tant sur le plan juridique, par la marginalisation de la force
probante de la comptabilité et le renversement de la charge de la preuve, que sur le
plan pratique et ce, par les atteintes aux droits du contribuable vérifié, l’absence d’un
traitement préférentiel pour les contribuables tenant une comptabilité régulière et
l’absence des garanties procédurales réglementant le recours aux éléments
extracomptables.

3.1 La marginalisation de la force probante de la comptabilité

Une comptabilité régulière possède une force probante qui suffit, en principe, à
elle seule de prouver l’exactitude des déclarations fiscales du contribuable.

La force probante d’une comptabilité régulière tenue signifie que cette


comptabilité « peut s’opposer à ses utilisateurs et notamment à l’administration fiscale »197. En
effet, l’existence de cette force attribue à la comptabilité une certaine puissance
juridique et une efficacité qui constituent une preuve suffisante de la sincérité des
revenus enregistrés. L'administration n'est pas sensé leur substituer d’autres revenus
par une reconstitution basée sur d’autres éléments hors cette comptabilité.

La force probante de la comptabilité peut être déduite d’un ensemble de


dispositions juridiques, de la position de la jurisprudence et de la doctrine
administrative.

197 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une
comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006, p.45.

100
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Toutefois, avec la promulgation du CDPF198, cette règle de supériorité de la


comptabilité sur les autres moyens d’évaluation de la base imposable, dont
notamment les présomptions, n’est plus explicitement consacrée par le législateur
fiscal.

En effet, la formule utilisée par l’article 38 a été une source d’hésitation et de


fragilisation de la valeur et de l’intérêt de la comptabilité en droit fiscal tunisien. Par
conséquent, la qualité de la comptabilité perd toute « utilité fiscale ». Elle se
transforme en une simple technique de vérification permettant d’évaluer la situation
du contribuable vérifié, parallèlement à d’autres techniques extracomptables pouvant
être utilisées par les vérificateurs. Ainsi, la comptabilité ne serait plus le support
exclusif ou, du moins, le support de base de la vérification fiscale199.

A vrai dire, marginaliser la force probante de la comptabilité, en acceptant le


cumul entre comptable et extracomptable, signifie que le système fiscal « ne s’intéresse
qu’à ses méthodes qualifiées d’approximatives et parfois d’arbitraires »200. Devant cette situation
on pourra craindre que le recours systématique aux éléments extracomptables par
l’administration dans les vérifications fiscales ne soit plus une sanction décisive pour
tout contribuable défaillant dans la tenue d’une comptabilité probante.

Pour un contribuable soumis à une vérification, la comptabilité, dont la tenue


nécessite un coût très élevé, n’a plus la même valeur si elle n’est pas acceptée par
l’administration fiscale. Ainsi, la soumission des contribuables à plusieurs obligations

198 Avant la promulgation du CDPF, la règle de l’opposabilité de la comptabilité était consacrée par la charte du contribuable qui prévoyait
que « L’administration est tenue de prendre en considération les données contenues dans votre comptabilité au cas où cette dernière remplit
les conditions légales de fond et de forme ».
199 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables dans le cas d’une
comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006, p.48.
200 K. FENDRI, M. KESSENTINI et S. KREIEM, op.cit RCF n°40, 2ème trimestre 1998.

101
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

comptables doit logiquement être récompensée par la reconnaissance de la valeur


probante de la comptabilité tenue conformément à la loi201. L’administration doit dès
lors se baser sur la comptabilité pour déterminer la base imposable et elle ne peut
l’écarter que lorsqu’elle est dépourvue de sa valeur probante.

3.2 Les atteintes aux droits du contribuable vérifié

Voulant lutter davantage contre la fraude fiscale, l’administration fiscale a fait du


contrôle une action primordiale. Cependant, elle s’est attribué des pouvoirs et des
prérogatives importants et parfois exorbitants.

Ce faisant, le législateur tunisien confère à l’administration fiscale « l’arme » du


recours aux éléments extracomptables même en présence d’une comptabilité
probante, « sans se préoccuper de savoir si, à l’image d’une arme chimique ou d’une bombe
atomique, l’arme ne détruit pas des innocents en même temps que les coupables. La fin justifie-t-elle
les moyens ? La lutte contre la fraude fiscale doit-elle détruire, en même temps, le bon grain et
l’ivraie ? »202.

Le recours aux présomptions en présence d’une comptabilité régulière est de


nature à atténuer la sécurité juridique des contribuables. En effet, avec la possibilité
d’un tel recours, la situation du contribuable vérifié et taxé d’office est affaiblie au
profit de l’administration fiscale toute puissante. En outre, de part leur diversité et
leurs conséquences néfastes sur la situation fiscale du contribuable, les éléments
extracomptables ont pour effet d’alourdir le déséquilibre entre l’administration fiscale

201 S. BORGI, « En présence d’une comptabilité reconnue pour régulière, point n’est laissé à l’extracomptable », RCF n°68, Printemps 2005,
p.20.
202 P. SERLOOTEN, « Etude critique du statut fiscal du conjoint salarié du commerçant », in mélanges offerts à André COLOMER, p.443,
444, (F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté
de droit de Sfax, 2001-2002, p.40).

102
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

toute puissante et le contribuable affaibli. Dès lors, personne n’est à l’abri de l’usage
abusif des présomptions par l’administration.

L’usage abusif des présomptions laisse beaucoup de contribuables considérer


que le montant de la dette fiscale dépend non pas d’une application mathématique de
la loi, mais en grande partie de la volonté arbitraire des agents du fisc, dont la
malveillance éventuelle pourrait causer leur ruine ; la fraude et la dissimulation leur
apparaissent dès lors comme des moyens de légitime défense 203.

Cependant, la situation précaire du contribuable lors des vérifications fiscales


n’est pas due uniquement à l’usage abusif des présomptions même en présence d’une
comptabilité régulière mais également à l’incertitude quant aux motifs de rejet de la
comptabilité par l’administration fiscale.

En effet, le législateur fiscal tunisien n’a pas énoncé d’une manière spécifique les
motifs de rejet de la comptabilité. L’imprécision des critères du rejet de la
comptabilité sur le plan fiscal « ne fait que conférer à l’administration un pouvoir
discrétionnaire trop large »204.

L’équilibre entre les droits du contribuable vérifié et les pouvoirs de


l’administration ne peut être, en outre, garanti que si les critères de rejet de
comptabilité sont minutieusement identifiés. Or, sur ce plan le silence du législateur
est flagrant. Cette situation a pour effet de favoriser les abus des agents de
l’administration fiscale qui pourraient plus facilement opérer des rejets de
comptabilités abusifs et infondés.

203 M. BALTUS, « Morale fiscale et renversement du fardeau de la preuve », article précité p.129. (F. KAMMOUN, « la preuve en droit
fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de droit de Sfax, 2001-2002, p.89.
204 F. DERBEL, « comptabilité et vérification fiscale », RCF n°49, 3ème trimestre 2000.

103
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Nous pouvons ainsi conclure, que face aux pouvoirs et prérogatives excessifs
dont l’administration fiscale est dotée dans les vérifications fiscales, les garanties
procédurales dont bénéficie actuellement le contribuable ne constituent pas un
véritable équilibre de position entre les deux parties. « On ne peut que regretter ce laconisme
législatif dans un nouveau code qui se proclame code des droits des contribuables. Cela constitue un
pas en arrière par rapport à la charte du contribuable. La charte, qui régissait les relations entre
l’administration fiscale et les contribuables avant l’adoption et l’entrée en vigueur du C.D.P.F »205.

3.3 L’absence d’un traitement préférentiel pour les contribuables tenant une
comptabilité régulière

L’admission du recours simultané à des méthodes comptables et


extracomptables a pour effet de traiter sur le même pied d’égalité le contribuable
transparent et soucieux d’accomplir toutes ses obligations comptables et fiscales et le
contribuable négligeant, qui ne tient pas une comptabilité ou qui tient une
comptabilité irrégulière et non probante, ou même qui refuse de la communiquer à
l’administration fiscale.

En effet, le contribuable sincère n’est pas à l’abri de redressement basé sur les
techniques extracomptables de redressement. Or, l’équité fiscale suppose que le
contribuable transparent ayant accompli toutes ses obligations comptables et fiscales
ne doit pas être traité de la même manière qu’un autre contribuable défaillant à ses
obligations. Ainsi, l’absence d’un traitement préférentiel a pour conséquence de
mettre en péril le principe d’égalité et de l’équité fiscale consacré
constitutionnellement206.

205 F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de
droit de Sfax, 2001-2002, p.18.
206 R. HABLANI, « la vérification de la comptabilité », mémoire pour l’obtention du mastère en droit des affaires, 2009-2010, p.90.

104
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Quoiqu’il parait évident, que le contribuable sincère ayant satisfait ses


obligations comptables et fiscales, bénéficie d’un traitement de faveur consistant à
s’assurer du caractère probant de la comptabilité avant de recourir aux méthodes
extracomptables, le droit fiscal tunisien n’a pas prévu un tel traitement pour les
contribuables tenant une comptabilité régulière.

Ainsi, il est illogique que l’administration fiscale fasse recours aux méthodes
extracomptables pour la reconstitution de la base imposable d’un contribuable qui
tient une comptabilité, sans avoir contesté au préalable la qualité de cette
comptabilité.

3.4 L’absence des garanties procédurales réglementant le recours aux éléments


extracomptables

Le recours aux éléments extracomptables n’est entouré d’aucune garantie


procédurale. En effet, l’administration peut reconstituer les bases d’imposition sans
écarter au préalable la comptabilité, sans notifier au contribuable son intention d’user
des moyens extracomptables et sans être tenue de motiver les raisons pour lesquelles
elle a recouru aux méthodes extracomptables de reconstitution des bases imposables.

Le recours simultané à la comptabilité et aux éléments extracomptables est laissé


à l’initiative des contrôleurs qui jugent seuls de l’opportunité de recourir aux éléments
extracomptables parallèlement à la comptabilité.

En admettant le cumul entre la comptabilité et les éléments extracomptables


dans les vérifications fiscales, le rejet de la comptabilité devient presque systématique
même si la comptabilité vérifiée est sincère et probante. Ce qui enlève toute limite
devant les vérificateurs de recourir aux éléments extracomptables.

105
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En droit comparé et notamment en France, la reconstitution des bases


d'imposition, après un rejet de la comptabilité, n'est pas une démarche arbitraire.
Ainsi, en l’absence des dispositions légales et réglementaires régissant les procédés de
reconstitution, les instructions administratives et la jurisprudence ont bien défini les
procédures et les pratiques à suivre par les vérificateurs 207.

3.5 Extension de la durée de vérification

D’emblée, la limitation de la durée maximale de la vérification approfondie


constitue une garantie incontournable pour la sécurité fiscale du contribuable vérifié.
Ce dernier sera protégé contre une intervention illimitée du fisc dans sa vie privée et
professionnelle qui pourrait entraver le fonctionnement normal de son entreprise208.

En Tunisie, la durée de vérification est fixée par l’article 40 du CDPF qui


dispose que : « la durée effective maximale de la vérification approfondie de la situation fiscale est
fixée à 6 mois lorsque la vérification s’effectue sur la base d’une comptabilité tenue conformément à la
législation en vigueur et à une année dans les autres cas ».

Le problème qui se pose alors est le suivant : le recours parallèle aux éléments
comptables et extracomptables peut-il être un moyen pour l’administration afin de
bénéficier de la durée d’un an au lieu de six mois ? Autrement dit, est ce que cette
vérification est inclue dans « les autres cas » prévus par l’article 40 du CDPF ?

207 En droit français, les irrégularités comptables étaient sanctionnées par la procédure de rectification d’office prévue par l’article 75 du LPF,
cet article a été supprimé par la loi de finances pour 1987 et a été remplacé par l’instruction de la DGI du 6 mai 1988 qui apporte des
compléments substantiels sur les éléments de mise en œuvre de la procédure, en instaurant des critères de rejet des comptabilités. Selon cette
instruction, la procédure de rectification d'office devait être une procédure exceptionnelle ne pouvant en aucun cas être utilisée par
l'Administration pour renverser la charge de la preuve à chaque fois que la comptabilité présentait une imperfection quelconque. « P.
GUARINOS ,« l’expert comptable et le rejet de la comptabilité », Mémoire précité, p.70.
208 S. JAMMOUSSI AZAÏEZ, « la clôture de la vérification fiscale », RTF n°7 p.328.

106
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La note commune n°20/2002 précise que « la durée de la vérification est de (…) une
année dans tous les autres cas et qui concernent notamment :

- Le défaut de tenue de comptabilité ;

- La tenue d'une comptabilité non conforme aux prescriptions de la législation fiscale


(comptabilité irrégulière, non appuyée de justificatifs ou comportant d'importantes violations
aux principes et normes comptables en application) ;

- La réalisation de revenus ou bénéfices dont la détermination n'est pas subordonnée à la tenue


d'une comptabilité ».

De ce qui précède, nous pouvons déduire que la durée maximale de la


vérification approfondie, basée sur la comptabilité et sur les éléments
extracomptables, est d’une année. En effet, face aux pouvoirs d’appréciation étendus
de l’administration fiscale, de recourir aux présomptions de fait et de droit même en
présence d’une comptabilité régulière ou de rejeter la comptabilité, objet de la
vérification, en raison des irrégularités minimes, l’administration n’est plus tenue de
respecter la durée de 6 mois et peut bénéficier, ainsi, de celle d’une année.

Il en résulte que « le délai de six mois risque, dans presque la totalité des cas,
d’être écarté au profit de celui d’une année puisque l’exigence d’une comptabilité
tenue conformément à la loi demeure la condition sine-qua-non pour bénéficier du
délai de six mois. Or la comptabilité sera toujours rejetée pour une raison ou une
autre pour que l’administration fiscale puisse appliquer le délai d’une année »209.

Dans ces conditions, la durée de vérification sera tributaire de l’appréciation de


l’administration fiscale ce qui pourrait être préjudiciable au contribuable.

209 S. Rezgui, « code des droits et procédures fiscaux », Op.Cit. p.85.

107
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

3.6 Renversement de la charge de la preuve

En vertu de l’article 65 du CDPF : « le contribuable taxé d’office ne peut obtenir la


décharge ou la réduction de l’impôt porté à sa charge qu’en apportant la preuve de la sincérité de ses
déclarations, de ses ressources réelles ou du caractère exagéré de son imposition ».

Partant de là, le contribuable qui voit sa comptabilité rejetée, perd


systématiquement la présomption d’exactitude de ses déclarations fiscales et se trouve
contraint d’apporter la preuve de la sincérité de ses déclarations ou de l’exagération de
l’imposition210. La taxation d’office apparaît, ainsi, comme un moyen de transfert de
la charge de la preuve qui dépend de la volonté des vérificateurs, qu’il leur suffit de
taxer d’office le contribuable pour qu’ils soient épargnés d’apporter la preuve. Il va
sans dire que le rejet non-fondé d’une comptabilité entraîne un renversement abusif
de la charge de la preuve au contribuable et une mise en échec injustifiable de la
présomption d’exactitude de la déclaration211.

« Certes, le renversement de la charge de la preuve est justifiable au cas où la taxation d'office


est due au défaut de dépôt de déclaration par le contribuable. Mais cette solution demeure contestable
pour les autres cas de taxation d'office. Aussi, par le renversement de la charge de la preuve, le
législateur a-t-il pénalisé le contribuable que ce dernier soit de bonne ou de mauvaise foi. Le
législateur aurait dû distinguer, au niveau de la charge de la preuve, entre le cas de défaut de
déclaration, dans lequel le contribuable supportera la charge de la preuve à titre de sanction, et le cas
où le contribuable a déposé sa déclaration, qui bénéficie de la présomption d'exactitude, et auquel cas
la charge de la preuve doit incomber à l'administration »212. Ainsi, le renversement de la

210 F. DERBEL, « Rejet de la comptabilité et recours aux éléments extracomptables », la RCF N°72, Printemps 2006, p.63.
211 F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de
droit de Sfax, 2001-2002, p.47.
212 S. KRAIEM, « La taxation d'office en droit tunisien », « Regards croisés sur le contrôle fiscal », RTF n°7, p.347 et s.

108
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

charge de la preuve peut sanctionner le contribuable en situation régulière vis-à-vis de


ses obligations comptables.

Dans ce cadre, le contribuable qui se trouve obligé de supporter la charge de la


preuve, lui revient de prouver que la taxation d’office est erronée, indue ou exagérée.
Le contribuable se trouve amené à contester les impositions supplémentaires mises à
sa charge, en apportant la preuve de l'exagération des bases d'imposition déterminées
par l'administration. Le contribuable aura à justifier qu’il n’a pas commis d’erreurs
dans l’exécution de ses obligations fiscales ou à apporter la preuve que la méthode
utilisée par l’administration est exagérée, ou qu'elle revêt un caractère excessivement
sommaire ou inadéquat, ou encore qu'elle est radicalement viciée dans son principe.
Or, une telle exigence est difficile, voir parfois impossible à réaliser.

Section 4 : Les effets du rejet de la comptabilité sur la détermination du


résultat fiscal

Le rejet de la comptabilité entraine inévitablement des conséquences fiscales


importantes pour le contribuable concerné. Dans la majorité des cas, la reconstitution
de résultats découlant du rejet d'une comptabilité, entraîne des impositions
supplémentaires qui sont assorties d’une augmentation du montant de l’impôt majoré
des pénalités de retard.

Nous pouvons dire que le rejet de la comptabilité et le recours aux éléments


extracomptables ne constituent pas une sanction du contribuable défaillant, elle est le
moyen d’évaluation de ses résultats lorsque l’administration juge que les déclarations
déposées font apparaître des résultats inférieurs à la réalité. Il s’agit donc, d’une
démarche administrative par laquelle l'administration se substitue au contribuable qui
n’a pas respecté ses obligations comptables et fiscales pour reconstituer la base
imposable du contribuable avec les données dont elle peut disposer.

109
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Au delà de la reconstitution de la base imposable du contribuable sur la base des


éléments extracomptables, le rejet de la comptabilité entraîne des sanctions indirectes
liées à l’absence de tenue de comptabilité, en l’occurrence, la perte des avantages
fiscaux subordonnés à la tenue d’une comptabilité conformément au système
comptable des entreprises et la non déduction du crédit de TVA dû sur les
acquisitions locales.

En effet, le contribuable ayant la comptabilité rejetée lors d’une vérification


fiscale, perd tout avantage ou dégrèvement fiscal dont l’octroi est subordonné à la
tenue d’une comptabilité conformément au système comptable des entreprises. C’est
ainsi que l’administration fiscale considère, dans une prise de position, que la société
peut continuer à bénéficier du dégrèvement fiscal qui lui est accordé même en cas
d'une taxation forfaitaire et ce dans la mesure où l'octroi dudit dégrèvement n'est pas
subordonné à la condition de tenue d'une comptabilité régulière conformément aux
dispositions des articles 8, 9 et 10 du code de commerce213.

Toutefois, dans une prise de position plus récente, la DGELF a précisé que le
bénéfice de la déduction au titre de l'exportation nécessite la tenue de comptabilité
pour une entreprise partiellement exportatrice sans que le rejet de comptabilité ne soit
un motif suffisant pour retirer l'avantage de la déduction au titre de l'export214.

En matière de taxe sur la valeur ajoutée, le rejet de la comptabilité lors des


vérifications fiscales entraine la perte de la déductibilité de la TVA due sur les
acquisitions locales. C’est ainsi que dans une prise de position en date du 23 avril

213 prise de position N° 997 année 1996 (source : Fiscavision).


214 DGELF (508) du 15 mars 2007 :

"
"

110
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2001, la DGELF a précisé que le rejet ou le défaut de présentation de comptabilité


entraîne la non déduction du crédit de TVA due au titre des acquisitions locales.
Toutefois, cette non déduction n’est pas applicable à la TVA due sur les importations
et la retenue à la source de TVA215.

Conclusion du premier chapitre

Le recours de l’administration fiscale aux éléments extracomptables demeure


justifié pour faire face aux défaillances du contribuable à ses obligations comptables
et fiscales. Cette démarche est également justifiée en cas de rejet de la comptabilité
jugée irrégulière et non probante.

Cependant, le recours de l’administration aux éléments extracomptables en


présence d’une comptabilité régulière demeure non justifié et met en échec le principe
de la force probante de la comptabilité.

Dès lors, une intervention législative est souhaitable pour interdire clairement un
tel cumul, afin de préserver les droits du contribuable vérifié surtout lorsqu’on
constate un déséquilibre entre les droits de l’administration et les garanties du
contribuable vérifié.

215 DGELF n°749 du 23 avril 2001 :


"

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I-

9 (2

.
.

«.

111
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Chapitre II : Les techniques et les moyens extracomptables de


redressement

Introduction

Les techniques et les moyens de redressement représentent le deuxième volet de


motivation des notifications de redressement. C’est ainsi qu’une notification est
suffisamment motivée si elle précise les méthodes suivies par l’administration pour
déterminer les nouvelles bases d’imposition.

A travers le CDPF le législateur fiscal a prévu au profit de l’administration des


règles et des techniques de redressement sans même fixer un ordre de priorité qui
s’impose à ses agents lors de leur usage. Ces règles donnent une place prépondérante
aux techniques extracomptables de redressement et aux présomptions.

Il n’existe pas de liste exhaustive des méthodes et des moyens de redressement


utilisés par l’administration. Cependant, leur utilisation poursuit un objectif commun :
déterminer une base de redressement qui reflète la réalité économique du
contribuable vérifié.

« Le choix d’une méthode d’évaluation résulte d’un savant compromis, d’un fragile équilibre
entre les droits et intérêts respectifs de l’administration et des contribuables »216. Les techniques et
les moyens extracomptables de reconstitution des bases imposables pouvant être
utilisés par les agents de l’administration fiscale ont été prévus par le législateur à
travers les articles 6 et 38 du CDPF (section 1). Toutefois, les vérificateurs peuvent
recourir à tous autres éléments en leur possession pour déterminer les bases
imposables du contribuable vérifié (section 2).

216 J-B GEFFROY, « grands problèmes fiscaux contemporains », p.607, (R. HABLANI, « la vérification de la comptabilité », mémoire pour
l’obtention du mastère en droit des affaires, p.74.

112
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Section 1 : les techniques extracomptables de redressement prévues par le


CDPF et par le code de l’IRPP et de l’IS

Pour mener à bien sa mission de vérification, le législateur fiscal a prévu au


profit de l’administration une panoplie de techniques extracomptables et de moyens
de redressements et ce, à travers le CDPF et à travers le code de l’IRPP et de l’IS.

Tout d’abord, l’article 6 du CDPF prévoit que « L'Administration fiscale peut, dans
le cadre du contrôle ou de la vérification (…) établir l'impôt et rectifier les déclarations sur la base
de présomptions de droit ou de présomptions de fait ». Lesquelles présomptions
de droit ont été évoquées par les dispositions du code de l’IRPP et de l’IS.

Par la suite, l’article 38 de ce code, vient confirmer la possibilité du recours aux


éléments extracomptables pour vérifier la situation fiscale du contribuable en
stipulant que : « la vérification approfondie de la situation fiscale (…) s'effectue sur la base de la
comptabilité pour le contribuable soumis à l'obligation de tenue de comptabilité et dans tous les
cas sur la base de renseignements, de documents ou de présomptions de fait
ou de droit ».

Ainsi, nous pouvons déduire que le CDPF prévoit trois techniques


extracomptables de reconstitution des bases imposables pouvant être utilisées par les
agents de l’administration fiscale, à savoir :

- Les présomptions de droit et de fait (&1) ;


- Les renseignements (&2) ;
- Les documents (&3).

113
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

1. Les présomptions de droit et de fait

Dans le but de faciliter la tâche des vérificateurs, le législateur a institué à leur


profit, des présomptions à travers lesquelles les vérificateurs vont déduire de faits
connus l’existence d’un fait inconnu.

Une définition législative des présomptions a été avancée par l’article 479 du
code des obligations et des contrats qui stipule que : « les présomptions sont des indices au
moyen desquels la loi ou le juge établit l’existence de certains faits inconnus ». À partir de ces
dispositions on peut distinguer deux sortes de présomptions : les présomptions
légales ou de droit et les présomptions de fait.

En matière fiscale, le législateur a donné une place assez importante aux


présomptions et a accordé, en conséquence, à l’administration un large pouvoir
d’appréciation dans l’usage de ces présomptions. Profitant de ce soutien, les agents de
l’administration fiscale ont tendance à recourir d’une manière abusive aux
présomptions217. Or, l’usage de ces présomptions de manière libre et arbitraire n’est
pas de nature à sécuriser le contribuable.

Enfin, ce recours abusif s’explique par la richesse des présomptions de droit


(1.1) et de fait (1.2) pouvant être utilisées pour renforcer la reconstitution des bases
imposables.

1.1 Les présomptions de droit

Les présomptions de droit, obligatoirement prévues par la loi, englobent des


situations hypothétiques objectives, qualifiées d’avance par la loi218. Dans cette

217 H. AYADI, « Droit fiscal », édition C.E.R.P, Tunis 1989, p.264.


218 Y. BEN ACHOUR, « le système de la preuve en droit fiscal tunisien, au regard de la théorie générale de la preuve », RTF n°3, p.37.

114
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

optique, le législateur a défini la présomption légale comme : « celle qui est attachée
par la loi à certains actes ou à certains faits »219.

En matière fiscale, le législateur institue les présomptions légales dans le but de


protéger les intérêts du trésor et notamment dans le cas où il considère qu’il y a une
forte probabilité que le fait contesté soit réel toutes les fois que l’indice légal existe 220.

Le CDPF n’a pas fixé les présomptions de droits pouvant être utilisées par
l’administration. Toutefois, en se référant aux débats parlementaires relatifs au projet
de promulgation de ce code, on constate que les présomptions légales visées par
l’article 6 de ce code sont :

- En matière de droit d’enregistrement, les présomptions de mutation (Article 81 du


code des droits d’enregistrement et de timbre) et de possession (Article 40, 44 et
50 du code des droits d’enregistrement et de timbre).

- En matière d’impôt sur les revenus, l’évaluation des bases imposables basée sur les
éléments de train de vie prévue par l’article 42 du code de l’IRPP et de l’IS et la
détermination du revenu global imposable sur la base d’une évaluation selon les
dépenses personnelles, ostensibles et notoires et selon l’accroissement du
patrimoine prévue par l’article 43 du code de l’IRPP et de l’IS).

a) L’évaluation basée sur les éléments de train de vie

La méthode de détermination de l’assiette de l’impôt sur le revenu sur la base


des éléments de train de vie est prévu par l’article 42 du code de l’IRPP et de l’IS 221,
elle permet aux vérificateurs de substituer un régime particulier d’imposition au

219 Article 480 du COC.


220 A. ABOUDA, « Le code des droits et des procédures fiscaux contrôle, contentieux et sanctions », OP. CIT, p.153.
221 En France c’est l’article 168 du CGI.

115
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

régime de droit commun et ce en cas de disproportion marquée entre le train de vie


d’un contribuable et ses revenus déclarés.

Cette méthode consiste donc à présumer un revenu et à l’évaluer de manière


forfaitaire sans même qu’il ait présomption de fraude222. Toutefois, elle est utilisée
lorsque les revenus déclarés par un contribuable sont manifestement inférieurs à ceux
qui lui sont nécessaires pour assurer son train de vie.

Dans ce régime d’imposition, le revenu imposable est déterminé en faisant


application d’un barème forfaitaire à certains éléments du train de vie.

Ces éléments sont d’après l’annexe I du CIRPP : la valeur locative de résidence


principale, la valeur locative des résidences secondaires, les employés de maison, les
voitures automobiles destinées au transport des personnes, yachts ou bateaux de
plaisance, l’avion de tourisme, le ou les voyages d’agrément et de tourisme à l’étranger
et la piscine.

De même sont pris en considération, lors de l’utilisation de cette méthode, les


éléments de train de vie dont dispose le contribuable et toute autre personne à sa
charge lorsqu’elle ne déclare pas de revenu propre223.

Il apparait à partir de cette liste que le législateur vise à déterminer le revenu


imposable du contribuable vérifié en fonction de son niveau de vie déterminé à partir
des moyens dont il dispose. En fait, l’administration vise à déterminer le revenu
imposable du contribuable par l’évaluation des dépenses effectuées par ce dernier
pour mener sa vie normale et ce, en prenant en considération certains éléments
définis au préalable par le législateur.

222 P. COLIN, La vérification fiscale, op.cit, p.85.


223 Article 42, paragraphe II du code de l’IRPP et de l’IS.

116
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Cependant, la liste de ces éléments ne supporte aucune extension dans son


application. Ceci est contraire à la jurisprudence française qui tend vers une approche
plutôt réaliste par le fait d’inciter l’administration fiscale à ne pas se contenter des
signes extérieurs prévus par le barème mais de prendre en considération la profession
et le milieu social du contribuable224.

Pour chaque élément de train de vie retenu, le barème fixe un revenu forfaitaire
correspondant, calculé sur la base de la valeur de l’élément. Cette valeur peut être soit
une valeur réelle soit une valeur forfaitaire. En effet, certains éléments de train de vie
comme la valeur locative de la résidence principale 225, les voyages d’agrément et de
tourisme à l’étranger sont pris selon leurs valeurs réelles. Toutefois, le législateur a
permis à l’administration d’évaluer forfaitairement la valeur de certains éléments, le
cas des voitures dont la valeur est calculée sur la base de leur puissance fiscale, des
avions de tourisme évalués selon le nombre de chevaux-vapeur et des bateaux de
plaisances et des yachts jaugeant au moins trois tonnes de jauge internationale selon le
nombre de jauges. Cette évaluation forfaitaire vise aussi à prendre en considération la
vétusté de certains éléments de train de vie en appliquant des abattements pour
certains éléments susceptibles de se déprécier226, et ce afin que cette évaluation
corresponde aux mieux à la réalité de la valeur de l’élément retenu.

Cette méthode d’évaluation au forfait trouve son application, en tant que


méthode de reconstitution du revenu imposable, en cas de disproportion marquée

224 CE requête n°86355 et 90238 du 1er juillet 1974, Y. El Hafi, les présomptions et la taxation d’office en droit fiscal, mémoire pour
l’obtention du diplôme des études approfondies en droit fiscal p.52.
225 En vertu du paragraphe I alinéa 3 de l’article 42 de l’IRPP et de l’IS : « la valeur locative réelle est déterminée soit au moyen des baux
écrits ou des déclarations de locations verbales dûment enregistrées, soit par comparaison avec d'autres locaux dont le loyer aura été
régulièrement constaté ou sera notoirement connu ».
226 L’annexe I du code de l’IRPP et de l’IS prévoit des abattements d’un 1/3 pour les voitures âgées de 5 à 10 ans et de 2/3 pour celles âgées
de 10 à 20 ans.

117
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

entre le train de vie du contribuable et ses revenus déclarés. En effet, l’importance de


la disproportion est définie par le législateur, elle est établie dans le cas où la somme
forfaitaire, établie à partir du train de vie, excède d’au moins 40%, le montant du
revenu net global déclaré et ce aussi bien pour l’année d’imposition que pour l’année
précédente.

Dans ce cas, et sauf justification contraire du contribuable, le revenu global


imposable ne peut pas être inférieur à une somme forfaitaire déterminée en
appliquant, à des éléments de train de vie du contribuable, le barème figurant à
l’annexe I du code de l’IRPP et de l’IS.

Par ailleurs, il est à noter que les revenus calculés à partir des éléments de train
de vie sont soumis à des majorations. En effet, l’article 42 du code de l’IRPP et de
l’IS prévoit que lorsque le contribuable dispose simultanément d'au moins trois
éléments caractéristiques de train de vie, le revenu forfaitaire correspondant à la
possession de ces éléments est majoré de 25%. Ce revenu est majoré de 40% lorsque
le nombre de ces éléments est de 4 ou plus.

b) L’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires et selon


l’accroissement du patrimoine

L’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires et selon


l’accroissement du patrimoine, prévue par l’article 43 du code de l’IRPP et de l’IS,
représente le deuxième moyen mis à la disposition de l’administration par le
législateur fiscal pour déterminer forfaitairement les revenus imposables des
personnes physiques.

L’évaluation des revenus imposables est déterminée dans ce cas d’une manière
forfaitaire, basée sur les dépenses personnelles que le législateur qualifie d’ostensibles
et notoires. Cette évaluation est basée uniquement et exclusivement sur les dépenses

118
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

personnelles, donc en rapport avec la vie de la personne. En conséquence, les


dépenses se rattachant à l’activité quelle qu’elle soit ne sont pas concernées.

Cependant, pour bien comprendre l’évaluation des revenus selon les dépenses
personnelles ostensibles et notoires et selon l’accroissement du patrimoine, il semble
de prime abord nécessaire de définir quelques notions. En effet, on entend par
dépenses personnelles, ostensibles227 et notoires228, « les dépenses connues
généralement du public »229. Ces dépenses peuvent être constituées des dépenses
consacrées au logement, des dépenses consacrées à la nourriture, des dépenses
consacrées à l’habillement ou aux voyages, ainsi que les dépenses consacrées à l’achat
de bijoux, de meuble de style, de fourrures, et de tableaux d’art. Ainsi, l’accroissement
du patrimoine ou l’enrichissement désigne « toute acquisition des biens immobiliers
et de valeurs mobilières évaluées au prix de revient ainsi que les prêts à autrui et les
dépôts en banque »230.

Cette procédure est utilisée lorsque le montant de cette évaluation, augmenté


des frais de subsistance et compte tenu du train de vie de l'intéressé dépasse son
revenu déclaré231. Ainsi, devons-nous comprendre que le revenu forfaitairement
évalué selon les dépenses ostensibles et notoires ou selon l’accroissement du
patrimoine doit excéder au moins de 40% le revenu déclaré et ce pour l’année
d’imposition et l’année précédente similairement à l’évaluation basée sur les éléments
de train de vie ?

227 Le terme ostensible, d’après le dictionnaire LAROUSSE vient du latin ostendere qui veut dire montrer, l’ostensible est ce qu’on ne cache
pas, ce qu’on cherche à montrer.
228 Le terme notoire, d’après le dictionnaire LAROUSSE vient du latin notorius et veut dire qui fait connaître. Ce qui est notoire est ce qui
est connu de tous.
229 H. AYEDI, op cit, p.277.
230 Ibid
231 Article 43 du code de l’IRPP et de l’IS.

119
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En présence d’une rédaction non précise de l’article 43, la doctrine232 considère


que le recours à cette méthode d’évaluation a lieu lorsque le montant de
l’enrichissement, c'est-à-dire, le montant de l’acquisition d’un bien majoré des frais
d’acte, d’honoraire, des droits d’enregistrement et autres frais, augmenté du revenu
forfaitaire basé sur les éléments caractéristiques du train de vie du contribuable
dépasse son revenu net global déclaré d’au moins 40 % pour l’année d’imposition et
pour l’année précédente. Telle n’est pas la positon du tribunal de première instance de
Sfax qui considère que « l’application de l’article 43 exige simplement l’existence d’une
proportion abstraction faite de son pourcentage »233.

Dans la pratique et par mesure d’assouplissement tenant à atténuer l’effet de la


progressivité, l’administration admet l’étalement de ce revenu sur les années non
prescrites mais uniquement en cas d’acquiescement. Dans ce cas, l’étalement ne peut
concerner que la partie de l’acquiescement234. Cette position trouve sa justification
dans une position administrative très ancienne qui date probablement de l’année 1955
ou 1956, et en vertu de laquelle l’administration fiscale considère que le revenu
reconstitué ou évalué forfaitairement doit correspondre à l’année d’acquisition du
bien en cas de taxation d’office, mais, en cas d’acquiescement, le revenu reconstitué
est partagé sur les quatre années non couvertes par la prescription235.

232 M. M. MASTOURI, « Droit fiscal de l’entreprise », éditions CLE, 2005 p.241.


233 TPI sfax du 12 janvier 2005, req n°176, Ben Brik, cité par M.BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du
mastère en sciences juridiques fondamentales, 2007, p.78 :
43 "
40
" 43
234 M. M. MASTOURI, « Droit fiscal de l’entreprise », op.cit p.242.
235 M. MTIR, « L’évaluation forfaitaire du revenu imposable : réflexion sur les dispositions des articles 42 et 43 du code de l’IRPP et de l’IS »,
RCF n°65, p.38.

120
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La différence essentielle entre les deux techniques, c'est-à-dire, entre l’évaluation


des revenus basée sur les éléments de train de vie et l’évaluation selon les dépenses
personnelles ostensibles et notoires et selon l’accroissement du patrimoine est que la
première est limitativement définie et encadrée par la loi fiscale alors que la deuxième
est discrétionnaire, elle laisse à l’administration fiscale une redoutable liberté de
manœuvre236. En effet, cette dernière voit son pouvoir s’élargir lorsqu’elle appliquerait
la méthode d’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires et
selon l’accroissement du patrimoine.

Dans ce cadre, l’administration jouit d’une liberté totale dans le choix


d’utilisation de la méthode d’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et
notoires et selon l’accroissement du patrimoine et dans la sélection des dépenses à
prendre en considération pour la reconstitution forfaitaire de la matière imposable.

De même, à la différence de la méthode d’évaluation basée sur les éléments de


train de vie, l’évaluation forfaitaire selon les dépenses personnelles ostensibles et
notoires et selon l’accroissement du patrimoine adopte une notion très extensive de
dépenses qui englobe aussi bien les dépenses de consommation (dépenses ostensibles
et notoires), que les dépenses d’investissement (accroissement du patrimoine).

c) Limites des méthodes d’évaluation des revenus prévues par les articles 42 et
43 du Code de l’IRPP et de l’IS.

De prime abord, ce régime d’imposition a été conçu, avant tout, pour que
l’administration puisse taxer le contribuable qui déclare des revenus manifestement
inférieurs à ceux qui sont nécessaires pour assurer son train de vie. Il constitue peu à

236 On consultera avec profit P. AMSELEK, « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu ou sur un Janus du droit fiscal », Dalloz Sirey 1980,
p.34. (F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté
de droit de Sfax, 2001-2002 p.81).

121
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

peu un régime particulier que l’administration est souvent tentée de substituer au


régime de droit commun et ce, en dehors de toute considération de dissimulation.
« Ce qui implique que la marge de contestation du contribuable est réduite. Il ne peut remettre ce
procédé en question ni par référence à son revenu réel, ni par référence à son revenu déterminé selon les
règles classiques. Les seules contestations accordées devraient découler du régime lui-même ».237 Alors
qu’il n’est pas évident que le train de vie du contribuable implique nécessairement la
perception de revenus238 et « le risque de payer l’impôt non pas parce que cet impôt est dû, mais
parce qu’il n’arrive pas à prouver qu’il ne l’est pas »239.

Deuxièmement, les deux articles 42 et 43 ne donnent aucune précision quant à


l’utilisation de ses méthodes d’évaluation du revenu. Ainsi, on comprend de cette
imprécision que le législateur donne la liberté à l’administration fiscale pour redresser
d’une manière discrétionnaire les revenus des contribuables. En France, le recours à
ce régime d’imposition est subordonné à l’accord de l’inspecteur principal, supérieur
immédiat du vérificateur 240.

Troisièmement, l’article 42 du code le l’IRPP et de l’IS prévoit des majorations


de 25% lorsque le contribuable dispose d’au moins trois éléments de train de vie et de
40% lorsque le nombre des éléments de trains de vie est de 4 ou plus. Nous pouvons
constater à cet égard que cette majoration est exorbitante en raison du caractère
ordinaire de certains éléments retenus, d’une part, et du nombre réduit des éléments

237 S. AKROUT MEZGHANI, « la reconstitution des bases d’imposition par l’administration fiscale », RTF n°7, p.300.
238 A titre d’exemple, la possession d’une voiture ou d’un immeuble avec piscine par un simple fonctionnel au titre de son héritage montrent
que le train de vie apparent ne coïncide pas avec le train de vie réel.
239 BALTUS, morale fiscale et présomption du fardeau de la preuve, in réflexions offertes à PAUL SELULE, établissement EMILE
BRUYLANT, Bruxelles 1981, p 130
240 P. Colin, « la vérification fiscale », Op.cit, P.87 : dans une réponse ministérielle du 30 avril 1976, le ministre à décidé « pour assurer toute
garantie dans le recours à cette disposition inscrite à l’article 168 du C.G.I, d’en subordonner l’utilisation à l’accord de l’inspecteur principal,
supérieur immédiat du vérificateur.

122
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

possédés, d’autre part, et ce contrairement à la législation française qui conditionne la


majoration par la possession de plus de 6 éléments de train de vie241.

Enfin, les articles 42 et 43 manquent beaucoup de précision et laissent une


liberté énorme aux agents de l’administration fiscale, laquelle liberté peut être
génératrice d’abus. Nous pouvons, ainsi, constater que :

- Le barème prévoit parmi les éléments pouvant être tenus en compte dans la
détermination du revenu, la résidence principale autre que celle utilisée à usage
professionnel. Le problème qui se pose est celui des résidences à usage mixte, c’est le
cas d’un contribuable qui exploite sa résidence pour l’habitation et l’exercice de son
activité.

Pour résoudre ce problème, le législateur français a avancé la solution de la règle de


prorata242, de même cette solution a été appliquée pour les habitations dont disposent
conjointement plusieurs personnes243.

- Outre la résidence principale, Aucune exclusion n’est prévue pour les biens
affectés à l’usage professionnel tel que les voitures à usage professionnel.

- Les voitures automobiles destinées au transport des personnes représentent un


élément de train de vie. Cependant, aucune précision quant à la possession de
plusieurs voitures n’a été prévue244.

241 Article 168 du CGI : « La somme forfaitaire déterminée en application du barème est majorée de 50 % lorsqu'elle est supérieure ou égale
à deux fois la limite mentionnée au 1 et lorsque le contribuable a disposé de plus de six éléments du train de vie figurant au barème.
242 CE requête n°93766 du 11 juin 1975 (Y. El Hafi, les présomptions et la taxation d’office en droit fiscal, mémoire pour l’obtention du
diplôme des études approfondies en droit fiscal p.53).
243 Article 168 du C.G.I français.
244 Dans ce cadre, le juge fiscal vient préciser que la propriété de trois voitures constitue un seul élément de train de vie et ne peut s’analyser
en trois éléments. Tribunal de Sfax, (chambre fiscale) requête n°36 du 9 octobre 2002 (chronique de jurisprudence fiscale tunisienne, RTF,
p.149):

123
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

En conclusion, l’évaluation selon les éléments de train de vie et l’évaluation


selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires et selon l’accroissement du
patrimoine constituent des alternatives de reconstitution des bases d’imposition qui
souffrent de leur inadaptation, de leur archaïsme et de leur atteinte aux principes
constitutionnels d’équité et d’égalité fiscale. En effet, elles fonctionnent selon une
mécanique qui est une source d’imposition discriminatoire et aléatoire. Les barèmes
établis à cet effet manquent d’exhaustivité et de réalisme245.

A notre avis, les articles 42 et 43 sont des textes dépassés par les événements, ils
ne peuvent plus faire partie d’un système fiscal moderne. C’est pourquoi certains
pays, comme la France ne retiennent plus la présomption basée sur les dépenses
ostensibles et notoire246, considérant qu’il s’agit de méthodes de détermination
approximatives et parfois arbitraires mettant en échec la présomption d’exactitude de
la déclaration du contribuable247.

Pour conclure, il est à préciser que les présomptions de droit sont limitativement
définies et encadrées par la loi fiscale, ce qui met l’administration dans une situation
de compétence liée. Ceci est contraire aux présomptions de fait qui se caractérisent
par leurs diversité et abondance et qui laissent une marge d’intervention assez large à
l’administration fiscale.

42 "

"
245 S. AKROUT MEZGHANI, « la reconstitution des bases d’imposition par l’administration fiscale », RTF n°7, p.299.
246 La taxation d’office en fonction des dépenses personnelles, ostensibles et notoires telle que prévue par l’article L.71 du LPF (livre des
procédures fiscales français) est abrogée par l’article 81 de la loi de finances pour l’anné 1987.
247 F. DERBEL, « Rejet de comptabilité et recours aux éléments extra-comptables », RCF n°72, printemps 2006, p.62.

124
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

1.2 Les présomptions de fait

a) Définition et caractéristiques des présomptions de fait

Les présomptions de fait sont définies par le code des obligations et des contrats
comme étant « les présomptions qui ne sont pas établies par la loi mais qui sont remises à la
prudence du tribunal »248. En matière fiscale, les présomptions de fait sont des indices
matériels, des comportements ou des agissements, qui laissent présumer ou
soupçonner l’existence d’une dissimulation ou d’une fraude fiscale249.

Cependant, il ne faudrait pas oublier le rôle dévolu au juge fiscal en exerçant son
contrôle sur le caractère concret et concordant des présomptions250. Ainsi, la force
probante des présomptions de fait dépend entièrement de la conviction personnelle
du juge.251 Pour ce faire, les vérificateurs doivent avancer et retenir, pour l’application
des présomptions de fait, des faits et des indices certains pouvant emporter la
conviction personnelle du juge. Ils ne doivent pas se suffire de simples affirmations
non motivées et non étayées par des éléments précis et concordants.

Le juge fiscal, tout en respectant l’esprit de l’article 486 du COC, considère la


présomption de fait comme étant celle qui s’établit sur une donnée réelle, précise et
concordante252 et dégagée à partir des éléments de fait et non des hypothèses tirées
des intuitions ou suppositions et des connaissances personnelles des vérificateurs 253.

248 Article 486 du COC


249 Y. BEN ACHOUR, « le système de la preuve en droit fiscal tunisien, au regard de la théorie générale de la preuve », RTG n°3, p.37.
250 M. H. L’TIFI, « le contrôle fiscal et les garanties administratives du contribuable vérifié », édition l’expert 2006. p.350
251 A. ABOUDA, « Code des droits et procédures fiscaux : contrôle, contentieux et sanctions », Op.cit, p.160.
252 TA du 18 février 1982, req n158 :

58 "

".
253 TA du 11/11/1994, req n°1214. Cité par M.H. L’tifi, op, cit . p.350 :

125
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Ces présomptions ne doivent jamais découler d’une simple fiction ou d’une


déduction mais elles doivent reposer sur des faits concrets établis sur l’analogie
d’éléments matériels et non sur une analogie supposée ou imaginaire254.

Par conséquent, le juge fiscal a rejeté à plusieurs reprises, des présomptions


basées sur des suppositions ou des hypothèses non confirmées par des éléments ou
des faits réels et précis, afin d’éviter tout abus de l’administration.

b) Le recours aux présomptions de fait dans les vérifications fiscales

Les présomptions de fait jouent un double rôle dans le processus de vérification


fiscale. Elles constituent aussi bien des moyens de contrôle que des méthodes de
reconstitution de la base imposable255.

De part leur diversité et leur nécessité de s’adapter aux conditions spécifiques de


chaque activité, les procédés de détermination de la base d'imposition basées sur les
présomptions de fait ne sont pas régis par des dispositions légales. Seul l’article 6 du
CDPF qui permet à l’administration d’établir l’impôt et rectifier les déclarations des
contribuables vérifiés sur la base des « comparaisons avec des données relatives à
des exploitations, des sources de revenu ou des opérations similaires ».

Par ailleurs, dans le cadre du débat parlementaire ayant précédé l’adoption du


CDPF, il a été considéré que les présomptions de fait peuvent consister en l’adoption
de critères sectoriels basés sur des études adoptées par l’administration fiscale dans le

" "
254 TA. Cass. Req.n°31455 du 2 juillet 2003, Mohamed jaziri/direction générale du contrôle fiscal, cité par S. JAMMOUSSI AZAIZE,
«CHRONIQUE DE LA JURISPRUDENCE FISCALE TUNISIENNE», RTF n°4 p.258 :
"
"
255 CASIMIR, « Les signes extérieurs de revenus : le contrôle et la reconstitution du revenu global par l’administration fiscale », Paris, LGDJ
1979, p.33.

126
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

cadre de l’établissement des impositions ou adoptées par jugement ou autre


décision256.

Dans la pratique, les présomptions de fait utilisées comme des procédés


d’évaluation de la base imposable sont fort diverses. L’administration peut
notamment utiliser la reconstitution du bénéfice imposable basée sur les éléments
d’exploitation de la société, les techniques de reconstitution des flux physiques de
matières, etc.

En conclusion, le recours aux présomptions de fait par l’administration fiscale


en tant que technique de redressement est fréquent. Toutefois, Il faut tout de même
avouer que le rôle joué par le juge fiscal en matière de contrôle du recours aux
présomptions de fait a toujours été un facteur équilibrant257.

2. Les renseignements (le droit de communication)

Obtenues grâce au droit de communication, les renseignements constituent un


moyen redoutable permettant à l’administration de collecter et de réunir des éléments
extracomptables pouvant être utilisés pour redresser les bases imposables des
contribuables vérifiés.

Cependant, le CDPF n’a pas défini la nature des renseignements pouvant être
demandés par l’administration. C’est à l’occasion des discussions parlementaires que
le ministre des finances a précisé que la demande de renseignement peut porter sur
« la réalisation d’une opération ou d’un marché non déclaré ou sur le patrimoine du

256 V. JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 1999-2000, N° 39, p.1899.
257 F. CHOYAKH, « le recours aux éléments extracomptables dans le cadre d’une vérification fiscale approfondie », mémoire précité, p.36.

127
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

contribuable ou sur les éléments de son train de vie ou encore sur la concordance des
informations et des éléments portés sur une ou plusieurs déclarations ».258

Jeans LAMARQUE définit le droit de communication comme : « le droit reconnu


à l’administration fiscale de recueillir des informations auprès de certaines personnes ou
administrations, en vue d’effectuer le contrôle des déclarations des contribuables »259. Dans ce
cadre, les agents du fisc peuvent adresser des demandes de renseignement,
d’éclaircissement ou de justification aux contribuables (2.1). Ils peuvent également
solliciter certaines informations auprès des tiers (2.2).

2.1 Le droit de communication à l’égard du contribuable

Le droit de communication à l’égard du contribuable est prévu par les articles 7,


8 et 9 du CDPF.

La diversité des types des demandes de renseignement auprès du contribuable


offre à l’administration une multitude de moyens permettant d’évaluer la situation
réelle du contribuable. Ce pouvoir large n’est pas toutefois limité par le CDPF qui ne
prévoit aucune restriction quant aux renseignements pouvant être demandés par
l’administration.

De prime abord, au terme de l’article 7 du CDPF l’administration fiscale peut


demander aux personnes physiques, dans le cadre de la vérification de leur situation
fiscale, des états détaillés de leur patrimoine et des éléments de leur train de vie visés
aux articles 42 et 43 du code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de
l'impôt sur les sociétés.

258 La réponse ministérielle du ministre des finances lors des débats de la chambre des députés du 26 juillet 2000, JORT n°39 du 26 juillet
2000, p.1899.
259 J. Lamarque, « droit fiscal général », Paris, Litec, 1998, p.626.

128
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Aussi, l’article 8 du CDPF met à l’obligation du contribuable de remettre, à


toute réquisition des agents de l'administration fiscale à ce habilités, ses quittances,
documents et factures relatifs au paiement des impôts dont il est redevable ou
justifiant l'accomplissement de ses obligations fiscales.

En d’autres termes, l’article 9 du CDPF oblige les personnes soumises à


l'obligation de tenir une comptabilité, conformément aux dispositions de l'article 62
du code de l’IRPP et de l’IS, de communiquer aux agents de l'administration fiscale,
tous registres, titres, documents, programmes, logiciels et applications informatiques
utilisés pour l'arrêté de leurs comptes et pour l'établissement de leurs déclarations
fiscales ainsi que les informations et données nécessaires à l'exploitation de ces
programmes, logiciels et applications enregistrées sur supports informatiques que ces
agents leur requièrent dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions.

Toutefois, il y a lieu de préciser que le droit de communication s’exerce sans que


l’administration soit obligée de prévenir le contribuable. En effet, la loi n’exige
aucune formalité d’information préalable. Ce droit est « unilatéral » et il est limité à un
relevé passif des écritures comptables ou la copie des documents sans examen
critique de la comptabilité.260

2.2 Le droit de communication à l’égard des tiers

Dans la recherche des moyens de redressement des situations des contribuables


« c’est surtout les renseignements émanant des tiers que l’administration attend le
plus »261. Dans ce cadre, le législateur a consacré au profit de l’administration le droit

260 F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de
droit de Sfax, 2001-2002, p.70.
261 Y. LHERMET : « Le face à face des contribuables et du fisc : réflexions sur l’état des relations administratives et juridiques fiscales »,
R.F.F.P, 1984 n°6, p.149.

129
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

et la possibilité de recourir aux tiers pour recueillir toutes informations utiles pouvant
aider les agents du fisc dans la détermination des bases imposables.

A travers les articles 16 à 18 du CDPF nous pouvons établir une liste des tiers
que le législateur soumet au droit de communication, ainsi qu’il suit :

- les tiers ayant une relation d’affaires avec le contribuable ;

- les services de l’Etat et des collectivités locales, les entreprises et établissements


publics, les sociétés et organismes contrôlés par l'Etat ou par les collectivités
locales ;

- les établissements, les entreprises et autres personnes morales du secteur privé ;

- le ministère public.

Le Droit de communication incombant aux tiers peut être subdivisé en quatre


catégories :

Premièrement, la communication à l’administration fiscale dans un délai ne


dépassant pas trente jours à partir de la date de la notification de la demande, des
listes nominatives des clients et fournisseurs comportant les montants des achats et
des ventes effectués avec chacun d’eux. Cette demande incombe à toutes les
personnes auxquelles s’applique l’obligation de communication (les services de l’Etat
et des collectivités locales, les établissements et entreprises publics, les sociétés et
organismes contrôlés par l’Etat ou par les collectivités locales ainsi que les
établissements, entreprises et autres personnes morales du secteur privé et les
personnes physiques).

Deuxièmement, la communication par les services de l’Etat et des collectivités


locales, les établissements et entreprises publics ainsi que les sociétés dans le capital

130
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

desquelles l’Etat détient directement ou indirectement une participation, dans un délai


ne dépassant pas trente jours à compter de la date de leur passation, de tous les
renseignements relatifs aux marchés pour construction, réparation, entretien,
fourniture, services et autres objets mobiliers qu’ils passent avec les tiers ;

Troisièmement, la communication par les établissements bancaires et postaux


aux services compétents de l'administration fiscale, sur demande écrite, des numéros
des comptes qui se trouvent ouverts auprès d'eux durant la période non prescrite, de
l'identité de leurs titulaires ainsi que la date d'ouverture de ces comptes lorsque
l'ouverture a eu lieu durant la période susvisée et la date de leur clôture lorsque celle-
ci a eu lieu au cours de la même période. Et ce dans un délai ne dépassant pas trente
jours à compter de la date de la notification de la demande. Toutefois, cette
procédure ne concerne que les contribuables qui se trouvent en vérification
approfondie de leur situation fiscale à la date de la présentation de la demande.

Devant cette prérogative accordée à l’administration, le secret bancaire se voit


dévoilé. Toutefois, hors les renseignements susvisés, les établissements bancaires ne
sont pas tenus de communiquer à l’administration des renseignements touchant le
fonctionnement des comptes. Cette position a été confirmée par la doctrine
administrative262.

Dans ce cadre, il est à préciser que la portée de la prérogative du droit de


communication a été réduite en ce qui concerne les établissements bancaires et
postaux. En effet, cette prérogative était de communiquer mensuellement par ces
établissements une liste comportant les nouveaux numéros des comptes ouverts au
cours du mois ainsi que l’identité de leurs titulaires. Une prérogative qui pesait lourd
pour ces établissements lors de la divulgation du secret bancaire. Ceci a amené le

262 V. note commune n° 2002/44.

131
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

législateur à limiter cette prérogative aux contribuables se trouvant en vérification


approfondie de leur situation fiscale à la date de la présentation de la demande et ce,
pour la période non prescrite seulement263.

D’autre part, le législateur a exclu de ce droit de communication les comptes


ouverts auprès des intermédiaires en bourses. Il s’agit d’une limitation substantielle au
droit de communication dont on ne pourrait lui associer aucune justification264.

Finalement, la communication aux services de l'administration fiscale


compétents, par le Ministère Public de tous les renseignements et documents
présumant une fraude fiscale ou tout autre agissement ayant pour but de frauder
l'impôt ou de compromettre son paiement qu'il s'agisse d'une instance civile,
commerciale ou d'une instruction pénale même terminée par un non-lieu.

Il est à noter dans ce cas, que la communication des renseignements et des


documents présumant une fraude fiscale par le ministère public ne semble pas retenir
à cet égard le caractère obligatoire. En effet, cette communication est facultative et
elle est soumise à sa discrétion, surtout qu’il lui revient d’apprécier si les documents
ou renseignements sont de nature à présumer une fraude fiscale265.

C’est à l’occasion des discussions parlementaires que le ministre des finances a


précisé que les objectifs estimés des dispositions de l’article 18 du CDPF est de créer

263 Dans ce cadre l’ancien article 17 du CDPF a été abrogé et remplacé en vertu des dispositions de l’article premier de la loi n° 2002-1 du 8
janvier 2002 portant assouplissement des procédures fiscales (Jort n° 3 du 8 janvier 2002).
264 F. CHOYAKH, « le recours aux éléments extracomptables dans le cadre d’une vérification fiscale approfondie », mémoire pour
l’obtention du master spécialisé en droit fiscal, 2003-2004, p.36.
265 A. ABOUDA, code des doits et procédures fiscaux contrôle, contentieux et sanctions, p.51.

132
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

une coopération entre l’administration fiscale et le ministère public permettant de


détecter les fraudes fiscales266.

3. Les documents

La communication de tous les documents détenus par la société s’inscrit parmi


un ensemble de moyens extracomptables que le CDPF met à la disposition de
l’administration comme le droit aux renseignements et aux présomptions de fait et de
droit.

Ce moyen de contrôle et de détermination des bases imposables est prévu par


l’article 38 du CDPF qui prévoit que : « elle (la vérification approfondie) s'effectue sur la base
de la comptabilité pour le contribuable soumis à l'obligation de tenue de comptabilité et dans tous les
cas sur la base de renseignements, de documents ou de présomptions de fait ou de droit ».

Il s’agit ainsi d’un droit de communication interne qui n’est assorti d’aucune
formalité. En effet, le législateur ne limite pas les documents que l’administration a le
droit de se faire communiquer. Toutefois, en plaçant les documents à la suite de la
comptabilité, l’article 38 du ce code semble considérer que la nature desdits
documents n’est pas comptable, ce qui exclut notamment les états financiers, les
livres obligatoires voir même les pièces justificatives de la comptabilité à l’instar des
factures, relevés bancaires etc267.

A titre d’exemple, le recours à la méthode de reconstitution analytique des bases


d’imposition dans une société industrielle, exige l’utilisation des documents

266 La réponse ministérielle du ministre des finances lors des débats de la chambre des députés du 26 juillet 2000, JORT n°39 du 26 juillet
2000, p.1908.
267 F. CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments extra-comptables dans le cas d’une
comptabilité régulière », RCF n°71, Hiver 2006 p.50.

133
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

techniques de production pour analyser la relation entre les achats et la production de


la société.

Un tel recours a été rejeté par la jurisprudence française qui considère que le
droit de communication ne s’exerce que sur les documents faisant partie des pièces
comptables de la société268.

En conclusion, la diversité des types des demandes de l’administration


(renseignements, éclaircissements et tous documents) permettant aux vérificateurs de
multiplier les moyens de collecte des éléments de preuve afin de déterminer les bases
imposables des contribuables, représente un pouvoir large et discrétionnaire reconnu
à l’administration et non limité par le CDPF qui ne prévoit aucune limite à l’égard de
cette dernière.

Section 2 : les méthodes de reconstitution des bases d’imposition


utilisées par l’administration

Les moyens et les méthodes de reconstitution des bases d'imposition ne sont


pas tous définis par le législateur fiscal vu leurs variété et doivent, dans les faits,
s'adapter nécessairement aux conditions spécifiques propres à chaque activité.

Ainsi, l'option à une méthode ou l'autre ressort du libre choix du vérificateur.


Toutefois, la méthode choisie doit être justifiée et bien fondée faute de quoi elle peut
être écartée par le juge fiscal dans le cas ou elle est viciée269.

268 Le CE du 26 novembre 1984 req. n° 35104 considère que le fichier correspondant aux propriétés mises en vente ne présentait pas le
caractère d’une pièce comptable. De même, le droit de communication ne porte que sur les livres tenus par le contribuable et non sur les
livres tenus par les tiers et qui se trouvent en sa possession.
269 T.A du 19 février 1982 n°158 cité par H. AYADI.

134
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans la pratique, le vérificateur peut recourir soit à des éléments internes (&1)
soit à des éléments externes (&2) à l’activité de l’entreprise pour reconstituer les
bases imposables du contribuable.

Dans cette section, les méthodes de reconstitution les plus fréquemment


utilisées seront décrites tant au niveau de leur principe et leurs règles d’application
que de leurs limites d'utilisation.

1. L’évaluation extracomptable des bases d’imposition à partir des


éléments internes à l’activité de l’entreprise.

En se basant sur les éléments internes à l’activité de l’entreprise, les vérificateurs


peuvent soit recourir aux méthodes de reconstitution fondées sur l’application d’un
coefficient de bénéfice brut (1.1) soit utiliser des données significatives de l’activité
(1.2) soit à partir des flux physiques de matière (1.3).

1.1 Reconstitutions fondées sur l'application d'un coefficient de bénéfice brut

a) Principe :

Cette technique de reconstitution consiste en la reconstitution des chiffres


d'affaires du contribuable par la détermination d'un coefficient théorique de bénéfice
brut déterminé à partir des matières premières nécessaires à la fabrication des
produits270.

Le calcul du bénéfice brut de l'entreprise est effectué à partir de deux


techniques : la mesure par échantillonnage et l'extrapolation.

270 T.A du 24 mars 1983 n°194 A.J.T.A CERA 1992 p.213, Y. ELHAFI « les présomptions et la taxation d’office en droit fiscal » mémoire
pour l’obtention du diplôme des études approfondies en droit fiscal. p.79.

135
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

La mesure par échantillonnage est fondée sur l'utilisation de sondages destinés à


constituer un échantillon représentatif de l'activité exercée. La technique
d’extrapolation consiste à dégager le pourcentage de dissimulation constatée sur la
masse contrôlée, à étendre ce pourcentage sur l’ensemble des opérations déclarées par
l’entreprise271.

La méthode de reconstitution consiste pour le vérificateur :

- À rectifier les achats comptabilisés, afin de tenir compte des différents achats
n’ayant pas fait l’objet d’utilisation directe dans le processus de production ou des
achats non enregistrés repérés par les vérificateurs à travers des recoupements avec les
fournisseurs du contribuable ;

- À procéder ensuite à une étude des marges bénéficiaires pratiquées par l’entreprise
en rapprochant les prix de vente au coût de revient des articles correspondants (prix
d'achat ou coût de production) ;

- À déterminer par la suite un pourcentage moyen pondéré de bénéfice brut sur


achats. Ce taux théorique doit prendre en considération les différents taux de marge
ou taux de marque pratiqués par l'entreprise et les diverses catégories de ventes
effectuées à chacun de ces taux ;

- Finalement, à appliquer au total des achats rectifiés ce pourcentage moyen de


bénéfice brut pour obtenir le chiffre d'affaires reconstitué.

La détermination des prix d'achat doit parfois prendre en compte certaines


considérations particulières :

- Certaines matières premières, par leur nature, sont soumises à des diminutions lors
de leur magasinage ou pendant la phase de transformation. Dans ce cas, l’estimation

271 TH. LAMBERT, contrôle fiscal : droit et pratique, PUF 1ère éd, 1991, p.263.

136
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

de la quantité vendue ou fabriquée doit tenir compte de l’application d’un abattement


sur la quantité achetée.

- Pour les activités de fabrication, certains achats sont utilisés pour la production de
plus d’un seul produit fini. Il convient, dans ce cas, de tenir compte de la répartition
des achats incorporés dans chaque produit final selon des clés de répartition définies
par les vérificateurs à travers leur connaissance de l’activité de l’exploitation.

b) Limites :

La difficulté majeure de cette méthode réside dans la pondération du taux de


bénéfice brut. Certains paramètres peuvent en effet introduire des distorsions dans
l'analyse et le calcul du bénéfice brut, comme par exemple, les rabais accordés à la
clientèle ou les opérations exceptionnelles de promotion.

L'administration doit utiliser un coefficient adapté au fonctionnement même de


l'entreprise vérifiée272. Il est donc exclu en principe que le vérificateur se réfère aux
coefficients tirés d'une monographie professionnelle ou d'une synthèse
professionnelle (moyenne constatée pour des entreprises similaires), sauf si
l'administration se trouve dans l'impossibilité de se référer aux données propres de
l'entreprise273.

L'étude effectuée doit être suffisamment représentative pour que le ou les


coefficients moyens déterminés reflètent effectivement les conditions d'activité de
l'entreprise. Certes, l’application de cette méthode est plus difficile dans les
entreprises qui vendent de nombreux produits avec des marges différentes ou les

272 CE 25/07/80 n° 19 609 RJF 1980 GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de la cour
administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.27.
273 CE 14/10/1985 n° 41 596/41 597 RJF 12/85, P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de la
cour administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.27.

137
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

entreprises qui n’appliquent pas les mêmes marges à tous les clients. Dans ce cas il
274
sera nécessaire que l’échantillon retenu soit suffisamment représentatif afin de se
rapprocher au mieux du taux moyen qui résulterait d’un examen exhaustif.

L'analyse des coefficients, doit être effectuée exercice par exercice. Le


vérificateur ne peut appliquer, sans autre analyse, à deux exercices, la moyenne des
coefficients constatée pour deux autres275.

1.2 Reconstitutions fondées sur des données significatives de l’activité

a) Principe :

Cette technique de reconstitution consiste à utiliser les moyens d’exploitation


déployés par l’entreprise pour reconstituer le chiffre d’affaire imposable. En effet, il
s'agit d'examiner certains rapports de production et d’identifier des éléments précis
qui sont incorporés directement dans le produit fini sans aucune transformation. Le
nombre utilisé de ces articles permet de reconstituer les quantités de produits finis
pendant la période vérifiée.

Les éléments nécessaires à la reconstitution peuvent être tirés soit de documents


présentés par le contribuable, soit résulter de recherches extérieures effectuées par
l'administration dans le cadre de l’exercice de son droit de communication.

Deux techniques peuvent être mises en œuvre pour y parvenir, en l’occurrence


les moyens de production et les techniques des extrapolations.

274 CE 04/11/1985 n° 47 512 RJF 01/86 CAA Lyon 17/04/1996 RJF 07/96 n°914.
275 CE 25/04/1984 n° 33 915 RJF 06/84, P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de la cour
administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.27.

138
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Afin d'illustrer ces méthodes nous pouvons citer quelques exemples relevés à
travers la jurisprudence tunisienne et celle du Conseil d’État français.

En Tunisie, cette technique est largement usitée par l’administration et a été


approuvée par le tribunal administratif tunisien dans plusieurs arrêts. En effet, le juge
fiscal a accepté la reconstitution du chiffre d’affaires d’une boulangerie en se basant
sur le nombre de pains vendu par jour et ce en se référant à la recette d’une journée
enregistrée sur le livre des ventes 276. Dans ce même ordre d’idées, l’administration a
retenu la consommation d’électricité pour fixer la base imposable d’un menuisier277 et
elle a procédé à la reconstitution du chiffre d’affaires d’une carrière en estimant le
nombre de voyages par jour et en les multipliant par le nombre des journées de travail
estimé par an278 et celui d’une usine de yaourt sur la base du nombre de couvercles279.

Dans ce cadre, et à titre d’exemple, le Conseil d’État français a autorisé :

- la reconstitution du chiffre d’affaires d’un salon de coiffure sur la base de la


280
consommation annuelle d’électricité des séchoirs à cheveux ou sur la base de la
consommation moyenne d’eau par client281 ;

276 T.A du 14 juillet 1983 n°237 A.J.T.A CERA 1992 p.287 , cité par Y. ELHAFI « les présomptions et la taxation d’office en droit fiscal »,
mémoire précité. p.79).
277 TA du 6 décembre 1993, req n°1136, cité par M. H. L’TIFI, « le contrôle fiscal et les garanties administratives du contribuable vérifié »,
p.352, édition l’expert 2006 :
"
"
278 T.A du 22 décembre 1983 n° 365 A.J.T.A CERA 1992 p.287 cité par: Y. ELHAFI « les présomptions et la taxation d’office en droit
fiscal » mémoire précité p.79.
279 TPI de l’ariana, affaire n°55 du 19 avril 2003 F.CHOYAKH, « L’article 38 du CDPF et la possibilité de recours simultané aux éléments
extra-comptables dans le cas d’une comptabilité régulière », la RCF n°71, Hiver 2006 p.50.
280 CE 25/07/1986 n° 50 497 RJF 11/86 n°1 012 P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de
,
la cour administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.29.
281 CAA 09/06/1992 n° 140, Bordeaux (lere chambre) RJF 11/92 n°1549.

139
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- la reconstitution du chiffre d’affaires d’un hôtel sur la base du nombre annuel de


journées de location des chambres en appliquant au nombre de paires de draps lavés
annuellement un coefficient de durée moyenne d'occupation d'une chambre282 ;

- et la reconstitution du chiffre d’affaires d’un restaurant soit par la méthode des


liquides283 ou la méthode des vins284, soit par le nombre de pains (1 pain pour 3
repas)285 ou soit par le nombre des serviettes blanchies286.

Cette liste n'est pas exhaustive mais démontre l'ingéniosité mise en œuvre par les
vérificateurs afin de permettre une détermination fiable des bases imposables.

A partir de tous ces exemples, nous pouvons relever que le contrôle exercé par
le juge sur le caractère sérieux et probant des méthodes suivies est une garantie
indispensable pour le contribuable. Ainsi, le juge fiscal a rejeté la reconstitution du
chiffre d'affaires d'un restaurant à partir des achats de fromage287, la reconstitution du
chiffre d’affaires d’un bateau de pêche sur la base du nombre de sorties multiplié par
un revenu moyen estimé par sortie288.

b) Limites :

Premièrement, Cette technique de reconstitution se caractérise par la facilité


dans sa mise en œuvre289. Toutefois, elle peut avoir des effets dommageables sur le

282 CE 18/03/1992 n° 82 301 RJF 05/92 n° 719, Ibid.


283 CE 29/11/1991 n° 67 075 DF92n°15 Comm. 793, Ibid.
284 CE 05/11/84 RJF 01/85, Ibid.
285 CAA Bordeaux 25/04/1989 n° 89 117 DF 89 n° 45 Comm. 2 116, Ibid.
286 CE 02/02/1987 n° 48 253 RJF 03/87 n° 334.
287 CE 24/11/1986 n° 46 011/46 012 RJF 01/87, P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de la
cour administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.31.
288 TPI de Sfax, req. n° 228 du 29 juin 2005 ; MTH/centre régional de contrôle de sfax, cité par T.DRIRA, « CHRONIQUE DE LA
JURISPRUDENCE FISCALE TUNISIENNE », RTF n°8, p.323.
289 M. BOUZID AJROUD, « la taxation d’office en droit fiscal tunisien », thèse pour le doctorat en droit, 2009, p.249.

140
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

contribuable vérifié notamment lorsque l’échantillon dégagé par les vérificateurs


concerne une période où l’activité connait une importante évolution. Dans ce cas, les
résultats dégagés par cette méthode ne reflètent pas forcément la situation réelle du
contribuable.

La seconde limite réside dans le fait que ces méthodes n’appréhendent en


général qu’une partie de l’activité de l’entreprise : Il s’agit, le plus souvent, du chiffre
d’affaires. Or, le contribuable qui a dissimulé des recettes peut avoir également
minoré ses achats ou ses frais. C’est même un principe bien connu par ceux qui
veulent effectuer des « ventes sans factures » car ils savent que le contrôle de
l’administration porte en priorité sur la cohérence entre les achats et les ventes.

1.3 Reconstitutions des bases imposables à partir des flux physiques de


matière (comptabilité matière)

a) Principe :

Cette méthode, malgré le fait qu’elle soit basée en partie sur des données
comptables à savoir des inventaires, des factures d’achat et de vente, etc…, reste une
technique extracomptable de redressement290.

Cette technique de redressement assimile tout déséquilibre dans l’équation :


« stock initial+achats de l’année (factures d’achat)-ventes de l’année (factures de
vente) = stock final » à une insuffisance de chiffre d’affaires non déclaré par la
société.

La méthode de reconstitution des bases imposables à partir des flux physiques


de matière consiste pour le vérificateur :

290 S. BORGI, « L’opposabilité de la comptabilité », la RCF N°75, Hiver 2007 p.55.

141
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- de procéder, tout d’abord, à un inventaire physique des stocks. Cet inventaire est
généralement effectué d’une manière inopinée au cours de l’intervention du
vérificateur et ce, en présence du contribuable ou de son représentant ;

- de déterminer, ensuite, sur la base des livres d’inventaire le stock initial (date de
début des exercices contrôlés) ;

- de déterminer, par la suite, sur la base des factures d’achat fournisseurs et de vente
clients, les mouvements théoriques des stocks jusqu’à la date de l’inventaire physique
effectué ;

- de confronter, ensuite, le stock théorique calculé avec les quantités dégagées à


partir de l’inventaire physique ;

- d’appliquer, finalement, au manquement dégagé un prix de cession, afin de


déterminer l’insuffisance du chiffre d’affaires déclaré.

Généralement, le prix appliqué est celui pratiqué par l'entreprise ou le prix


moyen pondéré dans le cas où le prix de vente s'avère non uniforme tout au long de
l’exercice concerné.

b) Limites :

Cette approche nécessite une grande rigueur au niveau de sa mise en œuvre. En


effet, le vérificateur doit prendre en considération toutes les particularités de
l'entreprise pour aboutir à un résultat pouvant refléter la réalité économique de la
société. Ainsi, pour affiner les résultats dégagés, les vérificateurs doivent prendre en
considération une multitude de mouvements de stocks dont notamment les avoirs et
les retours des marchandises, les offres et les promotions sur achat ainsi que les
casses et les pertes.

142
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2. L’évaluation extracomptable des bases d’imposition à partir des


éléments externes à l’activité de l’entreprise

L’administration fiscale peut lors de la reconstitution des revenus, recourir à


l’environnement extérieur de l’entreprise et ce, à travers plusieurs méthodes de
reconstitution se basant soit sur la comparaison de la situation du contribuable avec
des entreprises similaires (2.1) soit sur le recours aux monographies sectorielles (2.2)
soit sur une vision plus large qui dépasse la personnalité juridique de l’entité contrôlée
pour vérifier l’enrichissement inexpliqué des dirigeants de l’entreprise (2.3).

2.1 La présomption de revenus similaires (la comparaison)

a) Principe :

Cette présomption de fait, prévue par l’article 6 du CDPF291, permet à


l’administration d’établir un fait inconnu, le montant des revenus du contribuable
contrôlé, à partir d’un fait connu, les revenus d’un ou de plusieurs autres redevables,
présentant avec lui une certaine similitude.

Cette présomption trouve son fondement économique selon C.L. LOUVEAUX


« dans une économie régie par la libre concurrence, les prix des produits industriels et agricoles ainsi
que les objets du commerce ont sous l’action de celle-ci, une tendance à s’unifier dans chaque secteur et
que la marge bénéficiaire a, dans une certaine mesure, la même tendance »292.

La présomption de fait découle, dans cette hypothèse, d’une comparaison entre


la situation du contribuable concerné par le contrôle ou la vérification et celle d’un
commerçant d’une entreprise ou d’un établissement similaire. Toutefois, cette

291 L’article 6 du CDPF dispose que : « Elle (l’administration) peut établir l'impôt et rectifier les déclarations sur la base de présomptions de
droit ou de présomptions de fait formées notamment de comparaison avec des exploitations, des sources de revues ou des
opérations similaires ».
292 C-L. LOUVEAUX, « la preuve en matière d’impôts directs », Bruylant, Bruxelles 1970, p.59.

143
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

comparaison pourrait révéler un décalage inexpliqué entre les deux contribuables,


décalage qui laisserait croire que les revenus déclarés par le contribuable concerné par
le contrôle ou la vérification se situent en deçà de ce qu’ils devraient raisonnablement
être, par comparaison avec le modèle de référence 293.

Néanmoins, le TPI de Tunis a considéré dans un jugement de 2006 que la


similarité exigée pour la prise en compte de la comparaison ne signifie pas identité
mais rapprochement294.

b) Limites :

L’application systématique de la présomption de revenus similaires pourrait


générer l’arbitraire. L’administration fiscale pourrait choisir quelques contribuables
particulièrement productifs ou chanceux , pour invoquer leurs revenus comme faits
connus justifiant le recours à la présomption295.

Cette présomption est discutable dans son principe. La comparaison est


assurément approximative. Deux contribuables de même état ou en situation similaire
ne sont pas obligatoirement en situation identique et ne réalisent pas forcément le
même chiffre d’affaires ou le même résultat. Plusieurs considérations tenant à
l’emplacement de l’exploitation, aux règles de gestion et de marketing suivies par le
personnel sont déterminantes pour mesurer le degré de performance d’une
entreprise296.

293 Y. BEN ACHOUR, « le système de la preuve en droit fiscal tunisien, au regard de la théorie générale de la preuve », RTF n°3, p.39.
294 TPI Tunis du 8 décembre 2006, req. n°1112, cité par M. BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire précité, 2007, p.50.
295 T. ASCHFRIT, « traité de la preuve en droit fiscal », lancier, 1998, p.214.
296 J. AJROUD, le principe du contradictoire dans la procédure d’imposition, op.cit, p.277 ; T. AFSCHRIFT, traité de la preuve en droit
fiscal, Bruxelles, LARCIER, 1998, p.213.

144
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Il est regrettable que le législateur tunisien n’ait pas fixé les conditions de la
taxation par comparaison. Celle-ci n’est pas précise et elle n’est pas entourée de
garanties au profit du contribuable. La loi s’est contentée d’une seule condition
297
générale et vague, « opérations similaires » . Ce qui permet, en conséquence, à
l’administration de recourir à cette méthode d’une manière excessive et
discrétionnaire.

A travers le droit comparé, nous pouvons conclure que le recours à la


comparaison est minutieusement réglementé par le législateur298.

Pour pallier aux insuffisances de la législation fiscale quant au recours à la


comparaison lors de la reconstitution de la base imposable du contribuable, le juge
fiscal impose à l’administration de démontrer et de préciser les circonstances et les
éléments sur lesquels elle s’est basée pour conclure à la similitude entre la situation du
contribuable et la situation du tiers prise en compte pour les besoins de la
comparaison. A défaut, le recours à la comparaison est considéré comme vicié dans
son principe.

2.3 Le recours aux monographies professionnelles

a) Principe :

Lors de la vérification, l’administration fiscale peut recourir aux monographies


professionnelles. En effet, pour chaque secteur d’activité sont établies des listes

297 F. KAMMOUN, « la preuve en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, 2001-
2002, p.81.
298 En droit belge, Art. 342 § 1er du CIR. A défaut d'éléments probants fournis soit par les intéressés, soit par l'administration, les bénéfices
ou profits visés à l'article 23, § 1er, 1° et 2, sont déterminés, pour chaque contribuable, eu égard aux bénéfices ou profits normaux d'au moins
trois contribuables similaires et en tenant compte, suivant le cas, du capital investi, du chiffre d'affaires, du nombre d'ouvriers, de la force
motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées, ainsi que de tous autres renseignements utiles.

145
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

renfermant des données et des indices concernant l’activité, les taux de bénéfices
appliqués, et les taux de productivité dans ce secteur et indiquant les méthodes de
reconstitution de chiffres d’affaire et de bénéfices299.

Ces monographies sont établies par les ordres professionnels de chaque activité
industrielle, commerciale, artisanale ou de prestation de service.

Lors de la reconstitution du bénéfice imposable, l’administration peut faire


recours à ces monographies pour fixer le coefficient de bénéfice brut normal que
l'entreprise est susceptible de réaliser300. A défaut, elle peut recourir à des statistiques
établies par l’institut national des statistiques301.

b) Limites :

C'est seulement dans l'hypothèse de déficiences graves de la comptabilité, et en


l'absence d'éléments propres à l'entreprise que l'administration peut s'appuyer sur une
monographie pour reconstituer un chiffre d'affaires.302

2.2 L’enrichissement des dirigeants de l’entreprise

a) Principe :

La première partie de ce mémoire a permis d'examiner dans quelles


circonstances l'enrichissement inexpliqué du contribuable pouvait mettre en cause la
sincérité de la comptabilité. Toutefois, l'enrichissement des dirigeants sans

299 F. LE FEBVRE, « la pratique de la vérification de comptabilité : préparation, déroulement du contrôle, garantie du contribuable », p.98
300 Note commune n°16/1967.
301 T.A requête n°513 du 29 janvier 1987, cité par Y. ELHAFI « les présomptions et la taxation d’office en droit fiscal » mémoire précité.
p.87).
302 Note commune n° 16/1967 (en Tunisie) et CE du 21 mars 1986n°51683 RJF 05/86 n° 545, CE 09/10/1992 n° 75 814 RJF 12/92 n°
1711, CAA Nantes 6 octobre 1994 n° 92-986 et n° 92-928 (en France).

146
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

justification peut être utilisé par l’administration pour reconstituer les résultats de
l'exploitant ou de la société.

Prévue au début pour le contrôle des personnes physiques, cette méthode a


prouvé une très grande efficacité au niveau de la vérification des entreprises. Par
application de cette méthode, l'administration est en droit de rattacher aux recettes de
l'entreprise les sommes d'origine injustifiées qui sont inscrites au crédit des comptes
bancaires personnels lorsqu'il y a confusion entre les comptes personnels de
l'exploitant et les comptes de son entreprise individuelle et en l'absence de
comptabilité probante303.

Pour ce faire, l'administration utilise la technique des balances. Ainsi, deux


méthodes sont envisageables, à savoir la méthode de la trésorerie privée et la
méthode de la caisse globale.

La méthode de la "trésorerie privée"

Lorsque la trésorerie privée du contribuable peut être séparée de celle de son


activité commerciale, cette technique permet de dégager tout enrichissement anormal
en isolant, sur la période vérifiée, les disponibilités dégagées et les disponibilités
employées.

La méthode de la "caisse globale"

Lorsqu'il est impossible de distinguer entre la trésorerie privée et la trésorerie de


la société, le vérificateur peut employer une balance qui recense l'ensemble des
mouvements de trésorerie, qu'ils résultent de l'activité personnelle ou professionnelle.

303 CE 31/07/1992 n° 83 800 Plén. RJF 10/92 n° 1415, P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat
et de la cour administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p28.

147
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Par conséquent, la fraude est présumée lorsque l’examen de la trésorerie aboutit


à la mise en évidence d’une insuffisance des ressources dégagées par rapport aux
dépenses engagées, qualifiées de déséquilibre de la balance d’enrichissement 304.

b) Limites :

L'administration ne peut pas se baser sur l’existence de l'enrichissement


inexpliqué d'un associé, révélé par un contrôle de sa situation propre, mais elle doit
démontrer l'existence des recettes occultes dont le profit a été exclusivement perçu
par les dirigeants305.

De même, lors de l’application de cette méthode, il faut être très vigilent car les
disponibilités dégagées peuvent correspondre à un revenu non imposable tel qu’un
revenu exonéré.

Dans le cadre des sociétés de capitaux, l’administration ne peut se baser sur


l’enrichissement inexpliqué des dirigeants ou de l’associé principal que si deux
conditions sont réunies. Premièrement, la comptabilité doit être préalablement
rejetée306. Deuxièmement, l’administration doit prouver l’existence de liens privilégiés
entre la société et son dirigeant, tel que la détention de la totalité du capital social soit
à titre personnel, soit par le biais de personnes interposées307.

304 P. FERNOUX, la contestation par l’administration fiscale du revenu déclaré par le contribuable vérifié fondé sur un enrichissement,
Dollaz 1982, chronique, IV p.27.
305 CE Plén. 13/07/1979 n° 13 374 SARL Castel DF 80 n° 4 Comm. 191 Conclusions MARTIN-LAPRADE CE 25/02/187 n° 49 990 RJF
05/87 CE 26 mars 1990 n°9899 - 64715 RJF 05/90 n° 596 CE 01/06/1990 n° 52 553-52 555 RJF 08/09/90 n° 941 CAA 26/03/1992 n° 384
(Paris) RJF 06/92 n° 877.
306 CE du 7 juin 1978 affaire n°6766, Dupont 1978, n°9, p.248, DF 1978, n°42 comm.1618.
307 CE du 13 juillet 1979, n°13374, Dupont 1979, n°9, p.293.

148
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Section 3 : La contestation par le contribuable des méthodes de


reconstitution

La détermination des bases d’imposition est intimement liée au problème de la


preuve fiscale. En effet, le recours aux éléments extracomptables constitue le moyen
le plus tenté par l’administration fiscale pour renverser la charge de la preuve. Du
coup, le fardeau qui pèse sur l’administration est sensiblement allégé 308.
L’administration doit présenter seulement la preuve de l’existence du fait qui a servi
de point de départ à l’induction légale309. Il appartient désormais au contribuable de
supporter le risque de la preuve du fait contraire.

Ainsi, afin de minimiser les effets néfastes découlant de l’exagération des bases
d’imposition, il convient de donner au contribuable la possibilité de contester les
méthodes de reconstitutions utilisées par l’administration. Ce droit de défense a été
prévu par l’article 65 du CDPF qui prévoit que : « le contribuable taxé d’office ne peut
obtenir la décharge ou la réduction de l’impôt porté à sa charge qu’en apportant la preuve de sincérité
de ses déclarations, de ses ressources réelles ou du caractère exagéré de son imposition ».

Par application de ces dispositions, nous pouvons conclure que dans la


contestation des méthodes de reconstitution des bases d’impositions, le contribuable
peut utiliser deux modes de preuves fondés, dans la plus part des cas, sur des moyens
extracomptables.

Premièrement, il apporte la preuve de sincérité de ses déclarations et de ses


ressources de revenu. La position du contribuable dans cette situation est délicate et
fragile au niveau de l’administration de la preuve. Le dilemme est, d’autant plus
sensible, que le seul moyen de preuve tangible et direct dont le contribuable peut se

308 M. BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire précité, p.92.


309 M-C. BERGERS, quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal, Gaz.pal, 1983, n°1, p.150.

149
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

prévaloir pour renverser les présomptions de l’administration, est sa comptabilité310.


Or l’administration conteste souvent la présentation de cette même comptabilité par
le contribuable pour se défendre.

La situation est alors pour le moins illogique car la comptabilité qui a été écartée
par l’administration elle-même ne peut être présentée pour combattre l’évaluation
administrative311.

Deuxièmement, le contribuable peut démontrer que la méthode de


reconstitution usitée par l’administration pour déterminer son revenu est
inappropriée. Dans ce cas, le contribuable conteste la méthode de reconstitution pour
démontrer, soit qu’elle est partiellement inadéquate, soit qu’elle est radicalement
viciée.

En se référant à la jurisprudence française, nous pouvons constater quelle


s'articule autour de deux arrêts rendus par le Conseil d'État :

Le premier est celui du 19 décembre 1973312 qui autorise le contribuable, qui


n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur une
comptabilité régulière et probante, soit de critiquer la méthode d'évaluation que
l'administration a suivie et ce en vue de démontrer qu’elle aboutit, au moins sur
certains points et pour un certain montant, à une exagération des bases d'imposition ;
soit de soumettre à l'appréciation du juge de l'impôt une nouvelle méthode
d'évaluation permettant de déterminer les bases d'imposition avec une précision
meilleure que celle qui pouvait être atteinte par la méthode initialement utilisée par
l'administration.

310 Conclusion sur CE du 25 mars 1983, req n°34, DF 1984, n°14, comm. 694.
311 M-C. BERGERS, Quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal, op.cit, p.153.
312 CE du 19 décembre 1973, plénière fiscale n°87649, DF 1974 n°11, comm 314 concl . Madame LA TOURNERIE.

150
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Le deuxième est celui du 13 juillet 1979313 qui autorise au contribuable de


démontrer que l'administration a fait une erreur dans le choix de sa méthode et que
cette dernière est radicalement viciée dans son principe ou de prouver que la méthode
utilisée par l’administration est trop sommaire.

De sa part, en s’inspirant de la jurisprudence française, le juge fiscal tunisien,


semble adopter la même position que celle de la jurisprudence française314.

Toutefois, il convient de préciser que la critique des méthodes de reconstitution


suppose des justifications suffisantes et non simplement des constatations partielles
des éléments fragmentaires et falsifiés315 ou des éléments hypothétiques316 ou sur des
allégations non appuyées par un commencement de preuve317.

Conclusion de la deuxième partie

Le législateur n’a pas établi des règles spécifiques de reconstitution des bases
d’imposition selon que le contribuable ait déposé ses déclarations ou non, ni selon
que la comptabilité soit exigée ou non. Outre le fait qu’il a autorisé, dans tous les cas,
le recours aux présomptions de fait et de droit, le législateur n’a soumis l’agent

313 CE n°13374 du 13 juillet 1979, chronique VERNY, RJF n° 500


314 TPI de Sfax, req. n°228 du 29 juin 2005, HAKMOUNI, cité par M.BOUZID, « les présomptions en droit fiscal », mémoire précité,
p.103 :
... 87649 1973 19 "

"
315 CE 13/04/1983 n° 31 840 RJF 06/83, P. GUARINOS, mémoire précité, ANNEXE III « Jurisprudence du conseil d’Etat et de la cour
administrative d’appel sur les méthodes de reconstitution », p.32.
316 CE 23/03/1984 n° 36 436 RJF 05/84, Ibid.
317 CE 11/07/1984 n° 19 541 RJF 10/84, Ibid.

151
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

vérificateur qu’à une exigence générale : éviter d’établir une taxation excessive ou
arbitraire.

L’objectif du vérificateur est d’établir le plus exactement possible la charge


fiscale telle qu’elle est prévue par le législateur. Le redressement ne devrait pas se
convertir en une sanction et les méthodes utilisées ne devraient pas chercher à
pénaliser le contribuable.

152
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Troisième partie :

Étude pratique de l’étendue du recours de l’administration


fiscale aux présomptions et aux méthodes
extracomptables

153
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Cette partie sera consacrée à une vérification empirique de l’étendue du recours


de l’administration fiscale aux présomptions et aux méthodes extracomptables. Cette
analyse empirique sera faite à travers l’examen des arrêts du tribunal administratif et
des arrêtés de taxation d’office couvrant la période allant de l’année 2002 à l’année
2008.

Nous présentons dans un premier lieu l’échantillon des décisions du tribunal


administratif et des taxations d’office avant de passer à l’analyse de ces décisions.

Section 1 : Présentation de l’étude.

En premier lieu, nous allons présenter, à partir des arrêtés de taxation d’office,
les motifs les plus évoqués par l’administration fiscale lui permettant de rejeter la
comptabilité du contribuable contrôlé et nous allons essayer de déceler les méthodes
fréquemment utilisées afin de déterminer les bases d’imposition.

En deuxième lieu, nous allons essayer de présenter, à partir des arrêts du


tribunal administratif, la position du juge fiscal lors du contentieux fiscal, chaque fois
que l’administration fiscale se fonde sur des éléments extracomptables pour taxer un
contribuable.

Avant de passer à l’analyse des arrêtés de taxation d’office et des arrêts du


tribunal administratif, nous commençons par la présentation de l’échantillon étudié.

154
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Nous avons apprécié l’étendue et l’ampleur du recours de l’administration aux


éléments extracomptables lors des vérifications fiscales à travers l’examen de 26
arrêtés de taxation d’office, communiquées par des cabinets de conseil fiscal tout en
gardant l’anonymat des contribuables contrôlés, et de 20 arrêts du tribunal
administratif qui soulèvent des cas pouvant être utiles pour atteindre l’objectif de ce
mémoire.

1- Présentation des arrêtés de taxation d’office

Notre travail s’est basé sur 26 arrêtés de taxation d’office relatifs à des
redressements concernant des personnes physiques ou des personnes morales. Ces
arrêtés ont été rendus suite à des vérifications approfondies ayant pour objet
l’ensemble des impôts et taxes auxquels ces personnes sont soumises et couvre les
secteurs suivants :

Secteurs d’activité Nombre de dossiers

Industriel 4 dossiers

Commercial 6 dossiers

Service 3 dossiers

Agricole 1 dossier

Santé 2 dossiers

Travaux public 1 dossier

Autres activités et services 9 dossiers

TOTAL 26 dossiers

155
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

2- Présentation des arrêts du tribunal administratif

Notre étude s’est basée sur 20 arrêts du tribunal administratif rendus au cours
des années 2006, 2007 et 2008. Ces arrêts ont été rendus suite à des vérifications
fiscales approfondies établies à l’encontre des personnes physiques et morales et
ayant pour objet l’ensemble des impôts et taxes auxquels ces personnes sont
soumises. Ces arrêts se répartissent par secteur comme suit :

Secteurs d’activité Nombre d’affaire

Industriel 2 dossiers

Commercial 11 dossiers

Service 2 dossiers

Agricole 1 dossier

Santé 1 dossier

Travaux public 1 dossier

Autres activités et services 2 dossiers

TOTAL 20 dossiers

Section 2 : Synthèse des constatations relevées.

1- Analyse des arrêtés de taxation d’office

Nous nous intéressons, dans cette phase, à l’analyse des taxations d’office
émises par l’administration fiscale afin de comprendre le comportement des
vérificateurs face à l’utilisation de la comptabilité dans les vérifications fiscales et
l’étendue de son recours aux éléments extracomptables pour redresser les
contribuables contrôlés.

156
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Sur les 26 arrêtés de taxation d’office, l’administration a rejeté la comptabilité


dans 22 d’entre eux, soit 84% des cas étudiés. Parmi ces dossiers, 20 cas concernent
des personnes physiques, soit 91% des cas de rejet.

Le pourcentage important des cas de rejet chez les personnes physiques par
rapport aux personnes morales pourrait s’expliquer par l’aptitude de ces dernières à
mettre en œuvre les moyens nécessaires pour se conformer aux obligations
comptables. Cette situation ne semble pas être celle des personnes physiques qui
continuent à négliger l’importance d’une comptabilité probante.

Cette constatation est encore corroborée par le nombre important des cas où les
contribuables n’ont pas communiqué leur comptabilité dans un délai de 30 jours à
partir de la date de notification. Le nombre de ces dossiers s’élève à 10 cas sur 26
étudiés soit 38% et ne concerne que des personnes physiques. Cette situation montre
l’inefficacité des sanctions prévues par l’article 97 du CDPF318, rarement appliquées
par l’administration fiscale.

Dans les autres cas des arrêtés de taxation d’office qui n’ont pas fait l’objet de
rejet de comptabilité, soit 16% du total de l’échantillon, l’administration s’est basée sur
la comptabilité pour déterminer les bases imposables avec des redressements apportés
sur les revenus estimés sur la base des éléments extracomptables.

Le nombre réduit de cas dans lesquels la comptabilité a été considérée comme


base de recours, permet de justifier la préférence de l’administration d’utiliser des
moyens extracomptables mis à sa disposition hors la comptabilité.

318 L’article 97 du CDPF prévoit une amande de 100 D à 10.000 D pour toute personne qui ne tient pas de comptabilité, registres ou
répertoires prescrits par la législation fiscale ou qui refuse de les communiquer aux agents de l'administration fiscale ou qui les détruit avant
l'expiration de la durée légale impartie pour leur conservation).

157
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Parmi les 22 arrêtés de taxation d’office ayant fait l’objet de rejet de


comptabilité, 8 cas de rejet n’ont pas été motivés par l’administration, soit 36% du
total des cas de rejet. Un pourcentage qui parait important dans une législation et
doctrine qui se proclament tenues au respect des droits du contribuable.

Pour les autres cas, les arrêtés de taxation d’office soulèvent le plus souvent plus d’une
irrégularité, lesquelles pour 5 arrêtés examinés nous avons pu recenser 19 irrégularités,
réparties entre des irrégularités de formes et celles de fonds.

Les irrégularités de formes peuvent être détaillées comme suit :

Nature de l’irrégularité Nombre

Absence des livres légaux 2

Défaut de paraphe des livres légaux 2

Paraphe des livres légaux postérieurement à la date de notification du 1


contrôle

Livres légaux non mis à jour 1

Non dépôt, contre accusé de réception, au bureau de contrôle des


impôts d’un exemplaire du programme informatique 1

Total 7

158
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les irrégularités de fonds peuvent être détaillées comme suit :

Nature de l’irrégularité Nombre

Absence de pièces justificatives (relevés bancaires, pièces de dépenses) 3

Comptabilisation incomplète des ventes 4

Comptabilisation incomplète des autres opérations 1

Enregistrement global des recettes et absence de détail des ventes 1

Insuffisance du taux de bénéfice brut 1

Suite numérique des factures de vente non respectée 1

Discordances importantes entre les éléments de la comptabilité


(discordance entre les soldes d’ouverture et de clôture de la balance) 1
Total 12

A travers cette étude, nous avons pu constater que l’administration se base au


moins l’existence de deux irrégularités pour fonder le rejet de la comptabilité. Ceci est
de nature à inciter les contribuables à fournir plus d’effort dans la tenue de la
comptabilité afin d’éviter tout risque de rejet.

Les méthodes de reconstitution utilisées par l’administration

A partir de l’échantillon des arrêts de taxation d’office étudié, nous avons


constaté que les méthodes d’évaluation des bases d’imposition suivies par
l’administration sont relevées soit à partir des éléments internes, soit à partir des
éléments externes à l’activité de l’entreprise.

159
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les méthodes d’évaluation des bases d’imposition tirées à partir des éléments
internes à l’activité de l’entreprise peuvent être présentées à travers le tableau
suivant :

Méthode de reconstitution Nombre

Reconstitutions fondées sur l'application d'un coefficient de bénéfice brut 7

Reconstitutions fondées sur des données significatives de l’activité :

1. Pâtisserie (consommation de beurre)


2. Fast food (consommation de farine)
3. Menuisier (consommation d’électricité)
4. Salon de thé (consommation de sucre et de thé, le nombre de
narguilés utilisé avec une rotation de 2 fois par jour) 7
5. Salon de thé (sur la base du nombre de chaises et de tables en
estimant la consommation moyenne par chaise en eau, soda et
boissons chaudes)
6. Multiple de loyer des locaux d’exploitation (2 cas)

Reconstitutions des bases imposables à partir des flux physiques de


matière (comptabilité matière) 2
L’utilisation de la balance de trésorerie (sur la base de la balance des 1
encaissements)

Estimation des composantes des revenus (nombre d’heures de conduite


par candidat pour une auto-école, nombre de patients par jour pour un 3
médecin et chiffre d’affaires quotidien forfaitaire pour une buvette)

TOTAL 20

160
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les méthodes d’évaluation des bases d’imposition tirées à partir des éléments
externes à l’activité de l’entreprise peuvent être présentées à travers le tableau
suivant :

Méthode de reconstitution Nombre

L’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires 6


et selon l’accroissement du patrimoine

Recours à la comparaison avec des cas similaires pour déterminer 1


le taux de marge à appliquer

Ajustement des revenus sur la base des informations 3


communiquées par les tiers (clients, fournisseurs et autres)

TOTAL 10

A partir de notre échantillon, nous pouvons constater que sur 26 arrêtés de


taxation d’office, l’administration a fait 30 fois recours à des méthodes de
reconstitution. Ceci montre que l’administration peut recourir à plus d’une méthode
de reconstitution dans un même dossier.

Nous avons aussi constaté que sur les 26 arrêtés de taxation d’office objets de
notre échantillon, l’administration a fait recours 6 fois à la méthode de reconstitution
selon les dépenses ostensibles et notoires et selon l’accroissement du patrimoine, soit
23% du total de l’échantillon étudié. Ce pourcentage parait excessif et montre la
préférence de l’administration de recourir aux méthodes d’évaluation forfaitaire au
détriment des méthodes d’évaluation réelles, mettant ainsi le contribuable dans des
situations difficiles pour justifier la réalité de ses revenus.

161
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

L’analyse des méthodes de reconstitution suivies par l’administration nous a


permis de constater que les méthodes les plus utilisées sont la reconstitution fondée
sur l’application d’un coefficient de bénéfice brut et sur des éléments significatifs de
l’activité. En effet, sur les 26 dossiers étudiés ces deux méthodes ont été utilisées 14
fois, soit plus de 50% des dossiers.

Ces techniques se caractérisent par la facilité dans leur mise en œuvre. Toutefois,
elles peuvent avoir des effets néfastes sur la situation du contribuable, si
l’administration ne corrobore pas les résultats dégagés par d’autres éléments pouvant
justifier ces résultats.

2- Analyse des arrêts du tribunal administratif

La synthèse des constatations relevées peut être scindée en deux parties. La


première partie montre l’évaluation du juge des motifs de rejet de comptabilité
évoqués par l’administration et la deuxième partie concerne l’appréciation du juge des
méthodes de reconstitution suivies par l’administration.

A- Les motifs de rejet évoqués par l’administration fiscale

Dans cette partie, nous allons présenter les motifs de rejets évoqués par
l’administration dans deux tableaux selon l’appréciation du juge, c'est-à-dire selon que
le juge accepte ou rejette les motifs évoquées.

Motifs non acceptés par le juge fiscal :

N° Aff Date Motif de rejet

35777 et 19-06-06 Absence de désignation d’un commissaire aux comptes dans une
35770 société anonyme.

162
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

35777 et 19-06-06 Non dépôt, contre accusé de réception, au bureau de contrôle des
35770 impôts d’un exemplaire du programme informatique.

35777 et 19-06-06 Non tenue d'un livre des factures de vente prévu par l'article 18 du
35770 code de la TVA

Motifs acceptés par le juge fiscal :

N° Aff Date Motif de rejet

36765 01-12-08 comptabilisation regroupée des factures de vente sans pour autant
tenir un détail des ventes.

36765 01-12-08 les factures de vente ne suivent pas une numérotation successive.

36765 01-12-08 Certaines factures de vente n’ont pas été comptabilisées.

36765 01-12-08 Insuffisance du chiffre d’affaires par application de la méthode de


flux physiques des produits finis.

36441 03-12-07 Marge commerciale déclarée faible associée à un report de TVA


chronique.

De ces tableaux nous pouvons faire les constatations suivantes :

Au vue des cas présentés, nous pouvons conclure que les causes de rejet de
comptabilité jugées significatives sont principalement des causes de défaut de respect
des conditions de fond tel que la comptabilisation regroupée des factures de vente,
l’absence d’une numérotation successive des factures de vente ou la minoration du
chiffre d’affaires.

163
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

A travers des cas étudiés, nous avons remarqué l’incertitude des tribunaux quant
à la possibilité de recours simultanément à la méthode comptable et aux
présomptions en cas de tenue d’une comptabilité probante. En effet, dans deux
jugements différents, le CSTO de Tunis s’est prononcé, dans un premier cas, en
faveur de l’administration fiscale (affaire 36441 du 03 décembre 2007) et dans l’autre cas
en faveur du contribuable (affaire 36152 du 31décembre 2007). Ce qui amène à toute
l’insécurité que peut éprouver le contribuable face à l’administration et au juge en
raison de l’absence d’une définition plus ou moins précise de la possibilité du recours
simultané à la comptabilité et aux éléments extracomptables.

Cette situation peut être aggravée par la position casuistique du tribunal


administratif concernant la possibilité du recours aux présomptions même en
présence d’une comptabilité régulière. Ainsi, il a affirmé dans un jugement que
l’administration fiscale ne peut recourir aux présomptions si la comptabilité du
contribuable a été jugée régulière (Affaire n°35775-35785 du 08/05/2006).
Paradoxalement, il n’a pas maintenu dans toutes les affaires, objet de notre
échantillon, le refus systématique de toute sorte de cumul entre la méthode
comptable et extracomptable. Ainsi, il a affirmé, en premier temps, qu’une
comptabilité régulière en la forme n’empêche pas l’administration de recourir aux
éléments extracomptables pour déterminer les bases imposables (Affaire n°36575 du
28 mai 2007 et affaire n°36441 du 03/12/2007). Il a autorisé, en deuxième temps,
l’exploitation des données comptables relevant d’une comptabilité rejetée (Affaire
n°35971 et 35994 du 03 mai 2007) et enfin il a privé le contribuable de se contenter de
sa comptabilité pour contester les méthodes de reconstitution employées par
l’administration (Affaire n°36575 du 28 mai 2007).

Le tribunal administratif considère que le rejet de comptabilité ne fait pas


obstacle au recours de l’administration aux éléments jugés réguliers de cette

164
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

comptabilité lors de la reconstitution de la base imposable. Il ajoute ainsi, que les


mentions régulières d’une comptabilité écartée constituent des présomptions de fait
qui peuvent être utilisées par l’administration pour déterminer la base extracomptable
de reconstitution (Affaire n°35971 et 35994 du 03 mai 2007).

L’interdiction faite au contribuable de présenter sa comptabilité pourrait


conduire à écarter toute possibilité de preuve, car c’est essentiellement par sa
comptabilité que le contribuable va tenter de prouver la sincérité de ses déclarations.

Pour conclure, nous pouvons dire que la situation actuelle, en matière de


recours aux présomptions même en présence d’une comptabilité régulière, n’est pas
de nature à rassurer le contribuable.

B- Les méthodes de reconstitution utilisées par l’administration

Dans ce qui suit, nous allons présenter les méthodes de reconstitution utilisées
par l’administration dans deux tableaux selon l’appréciation du juge, c'est-à-dire selon
que le juge approuve ou rejette les méthodes utilisées par l’administration.

Méthodes approuvées par le juge fiscal :

N° Aff Date Méthodes de reconstitution

36330 25-12-06 Reconstitution des revenus sur la base de la rotation des stocks.
35621 17-04-06

35775 08-05-06 Estimation du chiffre d’affaires d’une société de distribution des


et bouteilles de GAZ sur la base des renseignements obtenus auprès de
35785
la société nationale de distribution des pétroles (SNDP) qui
représente un client du contribuable.

165
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

36330 25-12-06 Estimation du chiffre d’affaires d’un HAMMAM sur la base du


nombre des employés.

38154 05-11-07 Estimation des revenus d’une pharmacie par application des taux de
marges prévus par l’arrêté des ministres de la santé et de commerce
du 29 février 1996 sur les achats des médicaments.
36441 03-12-07 Estimation des chiffres d’affaires et des revenus d’un vendeur de
pièces de rechange, respectivement, par application d’un taux de
marge de 35% sur les achats de marchandises et de 15% du chiffre
d’affaires calculés.

36152 31-12-07 Estimation du chiffre d’affaires d’une société de transformation et de


conservation de poissons, de crustacés et de mollusques sur la base
des achats des emballages.

36765 01-12-08 Estimation du chiffre d’affaires d’une société de production des


boissons gazeuses sur la base de la consommation de la société des
bouchons de bouteilles.

36766 30-05-08 Estimation de la marge moyenne sur les ventes d’un commerçant de
matériaux de construction sur la base des informations obtenues
auprès de l’UTICA et par recours à des cas similaires. (*)

(*) : Notons que, la cour d’appel du Kef a rejeté, dans une autre affaire, le recours du
contribuable à une attestation délivrée par l’UTICA pour justifier l’exagération de la
taxation d’office en considérant que « les certificats délivrés par l'UTICA ne peuvent

166
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

être tenus pour moyen de preuve irréfutable du fait que cet organisme n'est pas une
partie neutre »319.

Méthodes rejetées par le juge fiscal :

N° Date Méthodes de reconstitution

36160 17-04-06 Application de la méthode de l’évaluation forfaitaire des revenus


prévue par l’article 22 du code de l’IRPP et de l’IS (forfait d’assiette)
pour une activité jugée commerciale (musicien)

35621 17-04-06 Application d’une marge brute exagérée et non fondée par
l’administration.

35668 30-10-06 Estimation basée sur des hypothèses non fondées par l’administration
(considérer que l’agriculteur loue ses tracteurs sans justification de
location)

35994 03-05-07 Estimation des revenus d’un architecte selon l’évaluation forfaitaire des
revenus prévue par l’article 22 du code de l’IRPP et de l’IS sans qu’il
opte expressément à ce régime.

38154 05-11-07 Application des taux de marge sur les achats d’une pharmacie autres
que les taux prévus par l’arrêté des ministres de la santé et de
commerce du 29 février 1996 et sans justification de la part de
l’administration des taux utilisés.

319 Cour d'appel de Kef, req. n°15498 du 17/02/2005.

167
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

37216 08-02-08 Le recours de l’administration à la comparaison avec un cas similaire


pour déterminer le chiffre d’affaires d’un vendeur de matériaux de
construction sans préciser les critères de similitude entre les deux cas
tels que le volume d'activité et les moyens humains et financiers alloués
à l'activité.

37437 25-02-08 Détermination du chiffre d’affaires d’un avocat sur la base des états
établis par l’administration à partir des registres tenus par les tribunaux
sans justifier que les états préparés sont conformes à ces registres.

L’examen des jugements ayant fait l’objet de notre recherche, nous a permis de
faire les constatations suivantes :

La première remarque qui ressort de l’étude des décisions du tribunal


administratif est l’importance des annulations par le juge fiscal des décisions de
taxation d’office faisant recours aux éléments extracomptables pour déterminer les
bases d’imposition. En effet, sur les 20 cas étudiés, le tribunal administratif a
confirmé la position de l’administration fiscale dans 10 cas seulement, soit un taux de
rejet de 50%.

Par ailleurs, sur les 10 jugements objets d’annulation, 3 cas ont pour motif la
mise en cause de l’application ou l’interprétation des textes fiscaux par
l’administration fiscale et 5 cas d’annulation ont pour motif le défaut de motivation
des présomptions et des méthodes utilisées par l’administration pour l’évaluation des
revenus ou pour l’estimation des marges réalisées par le contribuable. Pour les autres
cas, soit 2 jugements, le contribuable a pu contester les méthodes de reconstitution
utilisées par l’administration.

168
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Les cas où le contribuable a pu contester le bien fondé des présomptions et des


méthodes de reconstitution sont au nombre de 2, soit 10% seulement de l’échantillon
étudié, ce qui montre les difficultés rencontrées par le contribuable d’apporter la
preuve contraire.

Toutefois, nous pouvons relever les efforts faits par le juge fiscal pour garantir
les droits des contribuables contrôlés. Nous pouvons constater à travers les cas
étudiés que dés la mise en cause des présomptions administratives par le
contribuable, même sans preuve irréfragables, le juge fiscal examine les moyens et les
méthodes utilisés par l’administration fiscale afin de se prononcer sur la fiabilité des
méthodes utilisées et la réalité des revenus estimés par cette dernière. C’est ce qui
explique le nombre important de jugements mettant en cause ces méthodes.

Dans ce cadre, le juge impose à l’administration qui se réfère à une présomption,


d’apporter la preuve des faits qui ont servi de base à cette dernière. Ainsi, il considère
le recours de l’administration fiscale à des présomptions afin de reconstituer la
matière imposable sans pour autant présenter les preuves matérielles qui ont fondé
son arrêté de taxation d’office, comme constituant un motif d’annulation de ce
dernier.

Dans ce même cadre, nous avons relevé des jugements où le tribunal corrige lui-
même la méthode utilisée par l’administration ou fixe même une nouvelle méthode. A
titre d’exemple, dans l’affaire n° 35668 du 30/10/2006, qui porte sur le redressement
d’un agriculteur, le tribunal a demandé à l’administration de refaire l’estimation des
revenus du contribuable en fixant lui-même la méthode à utiliser, sans que cette
méthode ne soit demandée par le contribuable.

De ce qui précède, nous pouvons confirmer l’importance du rôle dévoilé au juge


fiscal dans l’appréhension des présomptions utilisées par l’administration et la

169
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

rationalisation du recours aux éléments extracomptables pour rectifier les bases


imposables des contribuables. En effet, le juge fiscal attenue les positions exagérées
ou démesurées auxquelles s’est habituée l’administration fiscale. Il apparait comme le
garant d’un équilibre délicat et fragile entre les pouvoirs de l’administration et les
droits des administrés.

Enfin, espérons qu’une révolution s’opère au niveau de l’administration fiscale


et que le rôle, joué actuellement par le juge, devient ainsi une attitude pratiquée par
l’administration même avant la phase judicaire et que ses effets se font sentir sur les
rapports « administration fiscale-contribuables » en favorisant les solutions non
contentieuses de règlement des conflits par l’amélioration des conditions du dialogue
entre le contribuable et l’administration fiscale.

Section 3 : Recommandations et remèdes proposés.

Les insuffisances relevées dans la section précédente permettent d’affirmer


qu’en dépit de toutes les réformes engagées par le CDPF, le contrôle fiscal en Tunisie
basé sur la comptabilité demeure encore loin des caractéristiques d’équité, d’efficacité
et d’équilibre entre le contribuable administré et l’administration fiscale.

Sans prétendre présenter un diagnostic exhaustif et complet des insuffisances du


système de contrôle fiscal en Tunisie et des solutions qui doivent lui être apportées,
nous nous proposons d’exposer les principales limites relevées à travers l’étude que
nous avons effectuée avec des propositions d’amélioration que nous jugeons utiles.

A travers notre étude des arrêtés de taxation d’office et des arrêts du tribunal
administratif se retrace les pouvoirs et prérogatives excessifs dont l’administration
fiscale est dotée dans les vérifications fiscales. Des pouvoirs apparaissent, en premier
lieu au niveau de la possibilité du recours simultané aux méthodes comptables et

170
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

extracomptables même en présence d'une comptabilité probante et en deuxième lieu,


au niveau de la reconstitution des bases imposables du contribuable vérifié, là où le
législateur fiscal a autorisé l’administration d’utiliser plusieurs méthodes d’évaluation
sans fixer un ordre de priorité qui s’impose à l’administration lors de leur usage.

Ainsi, l’analyse du système de contrôle fiscal tunisien nous amène au constat de


la primauté des présomptions sur le recours à la comptabilité. En effet, le recours aux
présomptions intervient tout au long du processus de la vérification, commençant par
la vérification du respect du contribuable de ses obligations fiscales et suivi par la
reconstitution des bases d’imposition au stade de la détermination de la matière
imposable pour arriver, enfin, à la phase contentieuse où le contribuable se trouve
dans l’obligation de les utiliser pour prouver la sincérité de ses déclarations ou du
caractère exagéré de son imposition. Ceci est contraire à la comptabilité qui ne permet
même au contribuable de l’utiliser pour contester ultérieurement les présomptions de
l’administration et pour se défendre pendant la phase précontentieuse et contentieuse.

Les dispositions trop générales et imprécises des textes fiscaux inhérents au


pouvoir de contrôle et de reconstitution, notamment les articles 6 et 38 du CDPF, ne
font que conférer à l’administration un pouvoir discrétionnaire trop large dicté par le
souci d’assurer l’efficacité de l’action administrative, objectif qui ne doit pas nous faire
oublier l’autre impératif majeur, celui de la sécurité juridique du contribuable. Et
Comme l’a dit monsieur Abderraouf YAICHE « Un texte ambigu implique, en pratique,
une délégation de fait à l’administration pour l’interpréter, voir même le remodeler »320.

Nous pensons dans ce sens que l’octroi des prérogatives exorbitantes à


l’administration fiscale ne constitue pas la meilleure solution pour lutter contre la
fraude fiscale. En effet, ce régime peut pousser le contribuable à s’enfoncer dans la

320 A. YAICH, « les sources et règles d’interprétation en droit fiscal », RCF n°49 année 2000.

171
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

fraude pour y faire face. L’octroi des garanties réelles au contribuable et l’instauration
d’un régime d’imposition modéré sont les véritables solutions durables au problème
de fraude du contribuable.

En effet, la mise en place de garanties légales pour sécuriser le contribuable


contre toute décision arbitraire de l’administration fiscale ainsi que contre tout
traitement discriminatoire de la part de celle-ci est de nature, non seulement à
améliorer l’attractivité de l’environnement économique d’un pays, mais aussi à
diminuer les fraudes fiscales et à amener le contribuable à s’acquitter de ses devoirs
envers l’État.

C’est pourquoi nous pensons que notre système de contrôle fiscal nécessite une
mise à niveau touchant à ses aspects juridique et administratif ainsi qu’aux garanties
des contribuables.

Dans ce sens Monsieur Fayçal DERBEL suggère qu’ « une réforme de l’article 38 du
CDPF et un texte de loi précisant les cas de rejet de la comptabilité et la possibilité du recours aux
éléments extra-comptables, auront certainement pour effet de sécuriser les contribuables et de
consolider leurs garanties »321.

Une réforme de l’article 38 du CDPF est dictée par sa rédaction maladroite et


ambigüe et ce, en considérant que la vérification approfondie s’effectue sur la base de
la comptabilité pour le contribuable soumis à l’obligation de tenue de la comptabilité
et dans tous les cas sur la base de renseignements, de documents ou de
présomptions de fait ou de droit.

321 F. DERBEL, « rejet de la comptabilité et recours aux éléments extra-comptables », RCF n° 72 année 2006.

172
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dans ce sens, Une lecture de l’article 38 du CDPF qui légitime le cumul entre la
méthode comptable et celle extracomptable pourrait aboutir à de graves
conséquences tant sur le plan juridique, par la marginalisation de la force probante de
la comptabilité et l’absence des garanties procédurales réglementant le contrôle des
contribuables astreints à la tenue d’une comptabilité, que sur le plan pratique en
conduisant à des taxations excessives.

La plupart des législations comparées refusent fermement le recours aux


éléments extracomptables en présence d’une comptabilité régulièrement tenue, à
l’instar des législations française et marocaine qui exigent à l’administration de se
baser sur la comptabilité tant qu’elle ne comporte pas d’irrégularités graves mettant
en cause sa valeur probante.

En Tunisie, avant la promulgation du CDPF, la charte du contribuable, qui


régissait les relations entre l’administration fiscale et les contribuables, considérait que
« l’administration est tenue de prendre en considération les données de la
comptabilité au cas où cette dernière remplit les conditions légales de fond et de
forme », imposant ainsi aux vérificateurs de suivre une démarche bien précise
commençant par apprécier le bien fondé de la comptabilité avant de recourir à des
éléments extracomptables.

Devant cette situation, on ne peut que regretter cette maladresse législative dans
un code qui se proclame code des droits des contribuables et qui constitue une
régression par rapport à la charte du contribuable.

Ainsi nous proposons de consacrer, à travers une rédaction plus précise des
articles 6 et 38 du CDPF, un traitement différencié des contribuables ayant accompli
toutes leurs obligations comptables par rapport à ceux qui ont manqué à leurs
obligations comptables ou qui ne sont pas tenus d’avoir une comptabilité.

173
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Nous rejoindrons, dans ce sens, l’avis du conseil économique et social322 qui a


proposé une autre formulation de l’article 6 du CDPF, comme suit : « L'administration
fiscale peut, dans le cadre du contrôle ou de la vérification prévus par l'Article 5 du présent code
(CDPF), demander tous renseignements, éclaircissements ou justifications concernant la situation
fiscale du contribuable. L’administration peut établir l'impôt et rectifier les déclarations sur la base
de présomptions de droit ou de présomptions de fait concernant les contribuables qui ne tiennent pas
une comptabilité. En revanche, concernant les contribuables qui tiennent une comptabilité,
l’administration peut recourir à la taxation d’office sur la base de présomptions après rejet motivé de
la comptabilité »323.

Cette proposition consacre la prééminence d’une comptabilité probante sur les


présomptions de fait et de droit et accorde à la comptabilité une certaine puissance
juridique et fiscale et une efficacité qui constituent une preuve suffisante de la
sincérité des revenus enregistrés.

Toutefois, la primauté de la méthode comptable ne peut être garantie que si les


critères de rejet de comptabilité sont minutieusement identifiés et délimités ; une
mesure que les experts comptables ne cessent de réclamer et de la considérer comme
importante et urgente324.

Contrairement aux réglementations française et marocaine qui ont


minutieusement défini les critères de rejet de la comptabilité, le législateur tunisien est

322 Le Conseil économique et social (CES) est une institution consultative tunisienne prévue par l'article 70 de la constitution et
administrativement rattachée au Premier ministère. (Source: wikipedia.org)
323 L’avis du conseil économique et social concernant le projet de loi relatif à la promulgation du C.D.P.F., p.8. (F. KAMMOUN, « la preuve
en droit fiscal », mémoire pour l’obtention du diplôme d’études approfondies en droit des affaires, faculté de droit de Sfax, 2001-2002, p.50).
324 Voir dans ce sens les articles de Mr Fayçal derbel, « Comptabilité et vérification fiscale » RCF 2000 et « rejet de la comptabilité et
recours aux éléments extra-comptables » RCF 2006, de Mr F. CHOYAKH « l’article 38 du CDPF et la possibilité de recours
simultané aux éléments extra-comptables dans le cas d’une comptabilité régulière » RCF 2006, de Mr S. BORJI « l’opposabilité de
la comptabilité », RCF 2007, etc.

174
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

resté muet sur ce point, favorisant ainsi, le risque des abus de l’administration qui
n’hésite pas à opérer des rejets de comptabilité abusifs et parfois infondés.

Ainsi, une intervention législative est nécessaire pour définir les cas susceptibles
d’altérer la force probante de la comptabilité et conduire par conséquence à son rejet
par l’administration.

Pour conclure, de ce qui a été ci-avant précise, nous pouvons récapituler nos
recommandations à ce sujet comme suit :

- Réformer les textes fiscaux ambigus afin de définir clairement le recours à la


comptabilité et aux présomptions dans les vérifications fiscales ;

- Délimiter dans un texte de loi les critères de rejet de la comptabilité ;

- Renforcer les sanctions prévues par le CDPF concernant le défaut de tenue de


comptabilité ou le refus de sa communication par des sanctions pénales.

175
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

CONCLUSION

Le rôle de la comptabilité n'est ni à établir, ni à démontrer. Elle est, tout d'abord,


destinée à répondre aux besoins internes de l'entreprise comme aux demandes
externes émanant des investisseurs ou des tiers en relation avec elle, dont notamment
l’administration fiscale.

Une comptabilité régulière possède une force probante qui suffit, en principe, à
elle seule de prouver l’exactitude des déclarations fiscales du contribuable et de
protéger par conséquence le contribuable de tous recours de la part de
l’administration à d’autres éléments hors cette comptabilité lors de l’évaluation des
bases d’imposition.

A partir de ce constat, nous avons engagé la réflexion sur la possibilité de


recours aux éléments extracomptables même en présence d’une comptabilité
probante.

Nous avons, à cet effet, identifié dans la première partie les sources législatives,
jurisprudentielles et doctrinales de la force probante de la comptabilité et nous avons
examiné les conditions et les caractéristiques qu’une comptabilité doit remplir pour
assurer son caractère sincère et probant. Ainsi, nous avons constaté qu'il existe des
motifs décisifs pouvant altérer la sincérité et la valeur probante de la comptabilité,
résultant aussi bien des irrégularités graves de forme et de fond que des indices
d'insuffisance des chiffres déclarés.

Le rejet de comptabilité confère à l'administration fiscale le droit de procéder à


la reconstitution de la base imposable du contribuable sur la base des éléments
extracomptables avec toutes les conséquences qui en résultent pour le contribuable

176
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

vérifié. Ce recours est justifiable en cas de défaillance du contribuable à ses


obligations déclaratives et comptables.

Cependant, les agents du fisc, profitant du soutien législatif, ont tendance à


recourir d’une manière abusive aux présomptions325, même en présence d’une
comptabilité régulière.

Soucieux d’assurer l’efficacité de l’opération de contrôle fiscal et de lutter


d’avantage contre la fraude fiscale, le législateur a accordé à l’administration fiscale
une panoplie de pouvoirs et de prérogatives importants et parfois exorbitants.

L’étude de ces prérogatives, dans la deuxième partie, a démontré qu’elle


dissimule un pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale. En effet, le recours
aux présomptions de fait et de droit, aux documents, aux renseignements et au droit
de communication sont autant des prérogatives qui permettent à l’administration
fiscale de mener à bien sa mission de contrôle. Toutefois, ces prérogatives, moyen
nécessaire pour lutter contre la fraude fiscale, n’ont pas reçu un encadrement
juridique suffisant pour sécuriser le contribuable qui s’acquitte de ses obligations
fiscales.

Dans ce cadre, le législateur a reconnu à l’administration la possibilité du recours


aux méthodes extracomptables, même en présence d’une comptabilité probante,
associée d’une grande liberté au niveau de choix de la méthode de reconstitution des
bases d’imposition, constituant ainsi une arme redoutable entre les mains de
l’administration et des pouvoirs et marges de manœuvres excessivement larges. De ce
fait, nous pouvons affirmer que « la consécration législative par l’article 38 du CDPF de la
possibilité de recours simultané aux éléments extracomptables sans que la comptabilité ne soit rejetée

325 H.AYADI, Op.cit, p.264

177
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

est sans doute l’une des prérogatives les plus exorbitantes qui puisse être donnée aux services de
contrôle fiscal »326.

En effet, l’administration fiscale peut, en se basant sur cet article procéder à la


reconstitution des bases imposables d’un contribuable sur la base des éléments
extracomptables, sans même évoquer le rejet de la comptabilité. Ceci incite les agents
de l’administration à donner la priorité de la méthode extracomptable caractérisée par
sa commodité.

L’engagement du législateur dans une optique basée essentiellement sur la


recherche de la rentabilité de l’impôt, risque en pratique de produire des effets
inverses. La concurrence entre la méthode comptable et la méthode extracomptable
de reconstitution, qui découle de l’ambigüité des formules utilisées par le législateur
dans les textes organisant le pouvoir de reconstitution, peut inciter le vérificateur à
recourir fréquemment à la méthode indiciaire327.

Le recours abusif aux présomptions pourrait être lourd de conséquence pour les
contribuables redressés en les mettant dans des situations grave de conséquence tant
sur la situation juridique et fiscale que sur la situation financière. En effet, avec la
possibilité d’un tel recours, la situation du contribuable est affaiblie au profit de
l’administration fiscale et ce, par la marginalisation de la force probante de la
comptabilité tenue, le renversement de la charge de la preuve et l’absence d’un
traitement préférentiel pour les contribuables tenant une comptabilité régulière.

326 F. CHOUAKH, « Le recours aux éléments extracomptables dans le cadre d’une vérification fiscale approfondie », mémoire précité p.65.
327 M. BOUZID-AJROUD, « la taxation d’office en droit tunisien », thèse pour le doctorat en droit, p.305.

178
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

Dès lors, la fraude et la dissimulation apparaissent au contribuable comme des


moyens de légitime défense328 en présence d’un réel déséquilibre entre
l’administration toute puissante et le contribuable affaibli.

Dans ce cadre, nous avons étudié, dans la troisième partie de ce mémoire,


l’étendue du recours de l’administration fiscale aux présomptions et aux méthodes
extracomptables et ce, à travers l’étude et l’analyse des arrêts du tribunal administratif
et des arrêtés de taxation d’office. Ainsi, nous avons constaté que la situation actuelle
en matière de recours aux présomptions, en présence d’une comptabilité régulière,
n’est pas de nature à assurer le contribuable et ce, malgré les efforts du juge fiscal
pour atténuer les positions parfois exagérées et démesurées de l’administration fiscale.

Conscients de la gravité du rejet de la comptabilité et du recours aux éléments


extracomptables, les législateurs des pays voisins à l’instar des législateurs français,
algérien et marocain ont soumis le recours aux présomptions à une démarche bien
précise commençant par apprécier le bien fondé de la comptabilité avant de recourir à
des éléments extracomptables et ont bien défini et énuméré les irrégularités et les
situations pouvant entraîner le rejet de la comptabilité.

Devant cette situation, le législateur tunisien ne pourrait pas rester pour


longtemps insensible aux changements subis par le droit fiscal à l’échelle
internationale et il finira, un jour, par rendre aux recours aux éléments
extracomptables son caractère exceptionnel à l’image des pays voisins. En effet, la
nécessité de réaménager le régime juridique des présomptions s’impose non
seulement pour conserver la sécurité juridique du contribuable mais également pour
garantir l’efficacité du contrôle fiscal et pour faire face à une concurrence entre les

328 M. BALTUS, « morale fiscale et renversement du fardeau de la preuve », in réflexion offertes à Paul Sibille, (étude de fiscalité),
établissement Emile Bruylant, 1981.

179
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

États et ce, en mettant en place un environnement stable et attractif pour les


investisseurs et les bailleurs de fonds.

Pour conclure, une reformulation de l’article 38 du CDPF et un texte de loi


précisant les cas de rejet de la comptabilité et la possibilité eu recours aux éléments
extra comptables, auront certainement pour effet d’attendre ces objectifs.

180
Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Articles, chroniques et actes de colloques

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Codes et textes réglementaires

- Code de l'Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques et de l'Impôt sur les
Sociétés.

- Code des Droits et procédures Fiscaux.

- Code de la TVA.

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Le recours aux éléments extracomptables dans les opérations de vérifications fiscales : Quel impact sur la valeur probante de la comptabilité ?

- Code des Droits d'Enregistrement et de Timbre.

- Code d’incitation aux invitations.

- JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 1999-2000, N° 39 du 26


juillet 2000.

Sites internet

- www.memoireonline.com

- www.bibliotique.com

- www.légifrance.gouv.fr

- www.profiscal.com

- www.wikipedia.org

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