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I-4 Q 50

RR

COMPLICATIONS
DE L’IMMOBILITÉ
ET DU DÉCUBITUS
Prévention et prise en charge
Dr Dominique Manière
Centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, pôle de gérontologie clinique, 71100 Chalon sur Saône, France
dominique.maniere@ch-chalon71.fr

L’importance de connaître et maîtriser les complications de


OBJECTIFS

EXPLIQUER les principales complications


l’immobilité prolongée réside dans le fait qu’elles peuvent être
de l’immobilité et du décubitus. prévenues de manière efficace, alors que leur prise en charge,
ARGUMENTER l’attitude thérapeutique une fois installées, devient complexe et longue.
Certains de ces états pathologiques apparaissent précoce-
et PLANIFIER le suivi du patient. ment (dans les premiers jours, voire dès les premières heures)
tandis que d’autres sont plus tardifs (après quelques semaines,
voire mois) [tableau 1].

immobilité prolongée est à l’origine de nombre d’états

L’ pathologiques liés à la pathologie elle-même à l’origine de


cette immobilité, à la perte de l’orthostatisme et au stress
lié à la pathologie initiale comme à la perte de mobilité.
Plaies de pression (ou escarres)
Une escarre est une nécrose ischémique des tissus secondaire
à une compression des parties molles entre deux plans (le plus
Dans les situations de décubitus durable, il se produit une désadap- souvent un lit ou fauteuil et un relief osseux sous-jacent). Plus
tation du système cardiovasculaire à tout effort et même à l’orthosta- que toute autre complication, il est très important d’en connaître
tisme, des organes sensoriels, qui ne reçoivent plus les informations les facteurs favorisants et d’en maîtriser la physiopathologie,
impliquées pour l’équilibre et des masses musculaires gravitaires et assez simple, pour offrir au patient une prise en charge préventive
antigravitaires qui n’ont plus à assurer l’équilibre debout et la marche. adéquate et efficace.
TABLEAU 1

Chronologie d’apparition des différentes complications de l’immobilité et du décubitus

Heures – Jours Jours – Semaines Semaines – Mois Mois – Années


Escarres Escarres
Thromboses veineuses
États pathologiques

Compressions nerveuses
Constipation
Infections
Ostéoporose
Rétractions capsulo-musculo-tendineuses
Troubles psychologiques

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Physiopathologie Hypoxie : les nécroses tissulaires apparaissent d’autant plus


L’escarre est toujours le fait de facteurs mécaniques locaux et rapidement que le sang est moins chargé en oxygène. Cela s’ob-
de facteurs favorisants généraux. serve lors de troubles de l’hématose aigus (toutes pathologies
1. Facteurs locaux broncho-pulmonaires hypoxémiantes), chroniques (insuffisance
Pression : lésion ischémique, l’escarre répond nécessairement à respiratoire, cardiopathie…), ou encore en cas d’altération de
une anoxie au niveau des tissus concernés. Celle-ci est secon- perfusion distale (artériopathie sévère, compression vasculaire).
daire à un écrasement des capillaires entre le plan d’appui et l’os Bas débit : l’hypotension vasculaire, quelle qu’en soit la cause
sous-jacent. La pression capillaire (estimée selon les régions cor- (collapsus, voire choc hémodynamique, insuffisance cardiaque,
porelles de 10 à 70 mmHg) étant immédiatement dépassée lors hémorragie, déshydratation…), est à l’origine d’une baisse des
de tout appui sur une quelconque surface corporelle, la durée de pressions capillaires, ce qui entraînera d’autant plus rapidement
la pression est l’autre facteur clé du phénomène ischémique. des escarres.
Ainsi les tissus peuvent-ils commencer à se nécroser lors d’une Anémie : par ses propriétés de transport et distribution de l’oxy-
pression forte mais brève (quelques dizaines de minutes) ou gène dans l’organisme, le taux d’hémoglobine est un élément
moindre mais plus prolongée. En position assise, la pression capital de l’oxygénation tissulaire distale. L’anémie, qu’elle soit
varie de 100 à 200 mmHg au niveau ischiatique, ce qui est à l’ori- aiguë ou chronique et quel que soit son mécanisme, favorise la
gine d’une escarre en 2 à 3 heures en l’absence de mouvement. constitution d’escarres.
Allongé sur le dos, le malade offre une surface de portance plus Malnutrition protéino-énergétique : fréquente dans la population
étendue, les pressions sont moindres et les plaies de pression âgée, notamment polypathologique et fragile, on la rencontre
plus tardives. encore fréquemment, après quelques semaines, en cas d’immo-
Naturellement, tout individu change régulièrement et incons- bilité se prolongeant (troubles de la déglutition, coma…). Le
ciemment de position plusieurs fois par heure. L’escarre est risque d’escarre est d’autant plus marqué que la dénutrition est
donc une pathologie de l’immobilité, survenant en milieu de réa- profonde. Sa mise en évidence se fait aisément en évaluant la
nimation ou en péri-opératoire, lors de maladies neurologiques perte de poids par rapport à un poids antérieur stable, par le cal-
(accident vasculaire cérébral, coma, para- ou tétraplégie) ou cul de l’indice de masse corporelle (IMC, poids en kg divisé par la
encore lors d’affections aiguës rendant le patient particulière- taille en m2), les dosages sanguins d’albumine et de transthyré-
ment asthénique. tine (ou préalbumine). Cette dernière ayant une demi-vie bien
Lors de l’alitement prolongé (syndrome d’immobilisation chro- plus courte que l’albumine (2 vs 21 jours), sa variation à albumi-
nique ou « état grabataire »), les plaies de pression deviennent némie stable est un bon signe de malnutrition récente ou de
plus rares sans que l’on connaisse précisément les raisons : renutrition en cours.
nouvelle « homéostasie » rhéologique, métabolique, tissulaire ? À noter que la correction de tous ces facteurs est capitale si on
Elles réapparaissent volontiers en fin de vie (pathologies neuro- veut guérir une escarre.
dégénératives très évoluées, états cancéreux à un stade termi- 3. Risques spécifiques
nal…), lorsque les facteurs favorisants généraux sont très Des risques sont propres à certaines situations :
intenses. – maladies neurologiques à l’origine de troubles de la vigilance,
Cisaillement et friction : ils constituent deux autres mécanismes de déficits sensitifs ou moteurs (coma, paraplégie, maladies
locaux favorisant les escarres, quoique d’importance moindre neurodégénératives évoluées…) ;
que la pression. Le cisaillement est lui aussi à l’origine d’ischémie
en étirant les plans cutané et sous-cutané en sens contraires, ce
qui écrase tangentiellement les capillaires. Cela s’observe, par
exemple, quand le malade est en position semi-assise au lit, que
sa peau adhère aux draps tandis que le poids du corps tire le
buste vers le bas. La friction ne concerne que la peau qui s’altère
lors de son frottement sur les draps, ce qui la fragilise en épaisseur
et texture ou est à l’origine de phlyctène (telle une « ampoule »
dans une chaussure neuve).
2. Facteurs généraux favorisants
Ils illustrent le fait qu’une escarre, lésion cutanée a priori très
localisée, traduit en réalité un état général très altéré du malade.
Tous les tissus ayant besoin pour leur fonctionnement et leur
renouvellement d’oxygène, de substrats énergétiques et pro-
téiques, on en déduit aisément les situations générales favorisant
la souffrance de ces tissus. FIGURE 1 Talon: escarre sèche, probable stade 4.

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– certains traitements, par leurs effets sédatifs (psychotropes),
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altérant la circulation capillaire et l’hémodynamique (ergotamine,
bêtabloquants, antihypertenseurs…) entravant les processus
inflammatoires ou altérant la trophicité cutanée (corticoïdes…) ;
– des causes iatrogènes non médicamenteuses : supports ina-
daptés, mauvaise installation et/ou une attitude vicieuse, cisail-
lements, soins locaux agressifs (massages traumatiques au
lieu d’effleurages préventifs)…

Description clinique et signes de gravité


1. Différents stades de l’escarre (National Pressure Ulcer
Advisory Panel, NPUAP, 1989)
Une escarre évolue selon 4 stades successifs. Un stade 0 est
parfois décrit, de « préescarre », où l’on peut observer un érythème
simple, qui disparaît à la pression (sans extravasation sanguine).
Stade 1 : érythème cutané sur une peau apparemment intacte FIGURE 2 Escarre talonnière: pansement colloïde recouvert d’un film semi-

ne disparaissant pas après la levée de la pression. En cas de peau perméable.


plus pigmentée : modification de couleur, œdème, induration.
Stade 2 : perte de substance impliquant l’épiderme et en partie
(mais pas sur toute son épaisseur) le derme, se présentant comme Lorsqu’une escarre est infectée, elle adopte un caractère
une phlyctène, une abrasion ou une ulcération superficielle. inflammatoire (rougeur, œdème, douleur … des berges) tandis
Stade 3 : perte de substance impliquant le tissu sous-cutané, que le prélèvement bactériologique alors réalisé montre une
avec ou sans décollement périphérique, mais ne dépassant pas le nette prédominance d’un germe. Un écoulement puriforme et
fascia des muscles sous-jacents. malodorant n’est pas nécessairement un bon critère de distinc-
Stade 4 : perte de substance atteignant et dépassant le fascia et tion entre colonisation et infection, celui-ci étant assez classique
pouvant impliquer os, articulations, muscles ou tendons (fig. 1). avec certains pansements (hydrocolloïdes notamment, fig. 2).
2. Localisations préférentielles des escarres Au-delà de l’infection de la plaie elle-même, on peut observer
Elles dépendent de la zone d’appui, elles-mêmes fonction de la une diffusion septique locorégionale (cellulite, ostéite, érysipèle),
position du patient : voire générale (septicémie, exceptionnelle).
– décubitus dorsal : sacrum et talons (90-95 % des escarres), D’autres complications locales peuvent apparaître, telles qu’un
plus rarement rachis dorsal, occiput, coudes… ; défaut de cicatrisation de la plaie, par insuffisance des mesures
– décubitus latéral : trochanters, faces internes des genoux si un de prise en charge ou, dans certains cas, impossibilité de juguler
membre repose sur l’autre, malléoles externes, bords externes les facteurs de risque généraux (évolution terminale d’une affec-
des pieds et talon, coudes, oreilles ; tion incurable) : décollements sous-cutanés majeurs, fistulisa-
– position assise : ischions et fesses surtout et (selon le position- tions, extension du processus de nécrose aux tendons, os… et,
nement et l’inclinaison du corps) des localisations proches du dans ces cas-là, fréquentes infections…
décubitus dorsal ; Lors de la cicatrisation, il est possible que des éléments sous-
– d’autres localisations ne sont pas rares, correspondant à une cutanés croissent plus rapidement que ne progresse le recouvre-
mauvaise installation vis-à-vis du support, d’une orthèse ou de ment cutané (bourgeonnement exubérant). Cela conduit à la sail-
matériels divers : pieds ou tiers inférieurs des jambes par appui lie de ces tissus entravant la repousse superficielle, voire à une
prolongé sur cale-pieds d’un fauteuil, tête ou membres repo- véritable tuméfaction très localisée (bourgeon charnu). Il convient
sant sur des barrières de lit… alors de juguler la prolifération pour permettre la cicatrisation
(corticoïdes locaux, nitrate d’argent…).
Complications En cas de chronicisation (plus volontiers observée dans les
Les complications infectieuses sont rares rapportées à la fréquence plaies artérielles ou veineuses), il peut être observé une transfor-
importante des plaies de pression. L’escarre est une plaie natu- mation cancéreuse tardive (au bout de 20 ans).
rellement septique, contaminée par de nombreux germes en lien Toute plaie est naturellement à l’origine d’une inflammation,
avec le site et le stade de la plaie (staphylocoques aux membres, plus ou moins intense et prolongée. Une escarre favorise ainsi
bacilles à Gram négatif à proximité du siège). Il est inutile de réali- l’apparition ou la pérennisation d’une dénutrition (endogène) ou
ser des prélèvements systématiques au niveau de cette flore très d’une anémie. Il s’agit là de conséquences non négligeables,
riche et dangereux de procéder à des manœuvres aseptiques celles-ci entravant à leur tour l’évolution favorable de la plaie (cer-
lors des pansements. cle vicieux).

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Une incontinence par instabilité vésicale peut être favorisée par Prévention
une escarre, par le principe d’épine irritative (stimulation médul- C’est évidemment l’élément clé au vu de la gravité de telles
laire parasympathique). plaies et de la simplicité des gestes permettant d’éviter leur sur-
L’escarre elle-même, en plus du décubitus se prolongeant et venue. Ces manœuvres, véritable obsession pour les équipes,
de sa cause, fait le lit de troubles psychologiques divers et parfois doivent être aussi systématiques qu’un simple lavage des mains.
graves, notamment chez le sujet âgé : dégradation de l’image du Différentes échelles permettent d’évaluer le risque de survenue
corps, conduites régressives, hospitalisme, confusion mentale et de prendre des mesures en conséquence. Elles sont simples
ou dépression. et rapides d’utilisation et considèrent, pour une majeure partie
Parmi les conséquences des escarres, il convient encore de pren- d’entre elles, des items communs. L’échelle de Norton, la plus
dre en compte, pour le patient, les fréquentes douleurs en lien avec ancienne, comporte 5 critères d’évaluation. Elle est plus particu-
la plaie et enfin, pour le service, l’établissement et l’Assurance mala- lièrement adaptée aux sujets âgés (tableau 2) ; l’échelle de Waterlow,
die, un coût financier global majeur (allongement des durées de plus précise, est aussi plus longue à renseigner (tableau 3). Elles
séjour, morbidité accrue, alourdissement de la charge en soins…). permettent, entre autres, de choisir le support adéquat.
TABLEAU 2

Échelle de Norton*

État général État mental Activité / Autonomie Mobilité Incontinence

❚ Bon . . . . . . . . . . . . . 4 ❚ Bon . . . . . . . . . . . . . 4 ❚ Sans aide . . . . . . . . . 4 ❚ Totale . . . . . . . . . . . . 4 ❚ Aucune . . . . . . . . . . . 4


❚ Moyen . . . . . . . . . . . 3 ❚ Apathique . . . . . . . . . 3 ❚ Marche avec aide . . . 3 ❚ Diminuée . . . . . . . . . 3 ❚ Occasionnelle . . . . . . 3
❚ Mauvais . . . . . . . . . . 2 ❚ Confus . . . . . . . . . . . 2 ❚ Assis au fauteuil . . . . 2 ❚ Très limitée . . . . . . . . 2 ❚ Urinaire ou fécale . . . 2
❚ Très mauvais . . . . . . 1 ❚ Inconscient . . . . . . . . 1 ❚ Totalement alité . . . . . 1 ❚ Immobile . . . . . . . . . 1 ❚ Urinaire et fécale . . . . 1

Risque selon le score : score > 14 = sans risque ; score < 14 = risque.
* D’après Norton D. Decubitus. 1989;2:24-31.
TABLEAU 3

Échelle de Waterlow*

Sexe et âge Continence Mobilité Facteurs vasculaires Peau

❚ Masculin . . . . . . . . . . 1 ❚ Bonne continence. ❚ Normale . . . . . . . . . . 0 ❚ Déficience ❚ Saine . . . . . . . . . . . . .0


❚ Féminin . . . . . . . . . . 2 Patient sondé . . . . . . . . 0 ❚ Agilité . . . . . . . . . . . . 1 cardiaque . . . . . . . . . . 5 ❚ Fine . . . . . . . . . . . . . .1
❚ 14-49 ans . . . . . . . . 1 ❚ Occasionnel. ❚ Apathique . . . . . . . . . 2 ❚ Insuffisance ❚ Sèche, déshydratée . .1
❚ 50-64 ans . . . . . . . . 2 Incontinent . . . . . . . . . . 1 ❚ Restreinte . . . . . . . . . 3 vasculaire . . . . . . . . . . 5 ❚ Œdémateuse . . . . . . .1
❚ 65-74 ans . . . . . . . . 3 ❚ Incontinence ❚ Immobile (traction) . . 4 ❚ Anémie . . . . . . . . . . . 2 ❚ État inflammatoire . . .1
❚ 75-80 ans . . . . . . . . 4 fécale. Sonde . . . . . . . . 2 ❚ Patient mis ❚ Tabagisme . . . . . . . . 1 ❚ Décolorée . . . . . . . . .2
❚ 81 ans et + . . . . . . . 5 ❚ Incontinence double . 3 au fauteuil . . . . . . . . . . 5 ❚ Irritation cutanée . . . .3

Appétit Poids Déficience neurologique Chirurgie/traumatisme Médicaments

❚ Moyen . . . . . . . . . . . 0 ❚ Normal . . . . . . . . . . . 0 ❚ Sclérose en plaques, ❚ Orthopédie, partie ❚ Cytotoxiques


❚ Faible . . . . . . . . . . . . 1 ❚ Surpoids . . . . . . . . . . 1 diabète, accident inférieure, colonne, Anti-inflammatoires
❚ Alimention ❚ Obésité . . . . . . . . . . . 2 vasculaire cérébral, intervention > 2 h . . . . 5 Corticoïdes
par sonde . . . . . . . . . . 2 Malnutrition . . . . . . . . . 3 déficit sensoriel . . . . . . 4 à haute dose . . . . . . . . 4
❚ À jeun, anorexique . . 3 ❚ Cachexie . . . . . . . . . 3 ❚ Paraplégie . . . . . . . . 6

Risque selon le score : 20 et plus = très haut risque. De 15 à 19 = haut risque. De 10 à 14 = risque moyen. Moins de 10 = risque faible.
* D’après Edwards M.J. Wound Cire. 1995;4:373-8.

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La physiopathologie des plaies de pression explique la base
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même des manœuvres de prévention locales, comme les principes
de fonctionnement des supports : diminuer l’intensité comme la
durée de la pression du corps sur le support sous-jacent.
L’unique moyen de diminuer le temps de pression est de chan-
ger le patient de position quand il ne peut le faire lui-même, la
pression qui s’exerçait sur certaines zones se faisant alors sentir
sur d’autres points. On a coutume de dire qu’il conviendrait que
ces changements de position surviennent toutes les 4 heures ;
en réalité, plus ils sont fréquents mieux c’est, l’anoxie tissulaire
pouvant survenir, dans certaines situations, en quelques dizaines
de minutes. À chacune de ces manœuvres, le personnel soi-
gnant surveille systématiquement les points d’appui à la FIGURE 3 Talon : escarre stade 4 en cours de détersion mécanique.
recherche de lésions débutantes. Le lever, les mobilisations des
membres et la verticalisation précoces et régulières obéissent
aux mêmes objectifs. 1. Détersion de la nécrose (fig. 3)
Diminuer le temps de pression est encore le principe des mate- À la phase de nécrose, l’objectif thérapeutique est de favoriser
las à gonflement d’air alterné. Des compartiments du matelas le décollement de la zone nécrotique par excision éventuellement
sont successivement gonflés et vidés par pompage, le corps en précédée d’un ramollissement grâce à un hydrogel. Cette déter-
appui subissant en alternance une pression intense suivie d’une sion (réalisée au bistouri, à la pince, à la curette…) doit être la plus
mise en décharge quasi complète. complète possible, sur les tissus nécrosés (souvent noirs)
L’intensité de la pression est principalement atténuée par des comme sur la fibrine. Elle ne doit être limitée que par la douleur du
matelas qui, en augmentant la surface de portance du corps, geste qui impose de le réitérer éventuellement sur plusieurs jours
diminuent la contrainte exercée par unité de surface : matelas dans un contexte d’antalgie efficace. À ce stade, la détersion doit
mousse, notamment « à mémoire de forme »… être aussi fréquente que possible, avec pansements quotidiens,
Le recours à des coussins de posture en mousse ou à micro- jusqu’à la mise à nu des tissus sains.
billes, voire à des oreillers, permet de limiter l’appui prolongé 2. Phase exsudative
d’une zone corporelle (mise en décharge) comme les talons ou Elle est variable, avec des écoulements importants ou non,
les faces latérales des pieds ou des membres. Il convient de faire concomitante au bourgeonnement ou le précédant. Comme à
très attention à ces systèmes qui, pour être efficaces, sont tous les stades, il existe une colonisation bactérienne sans signi-
nécessairement à l’origine de zones de pression en revanche fication pathologique, voire utile. Les prélèvements bactériolo-
accrues. giques, gestes antiseptiques sur la plaie ou traitements antibio-
Le décubitus latéral strict doit être évité (appui trochantérien) au tiques, sont inutiles, voire dangereux, hors signes infectieux bien sûr.
profit d’un appui sur le flanc de la fesse. La plaie est nettoyée à l’eau non stérile ou au sérum physiologique
Les macérations doivent être évitées ou limitées, plus encore et traitée avec des pansements qui permettent une absorption
en matière de transpiration (chez le patient obèse surtout) ou de de l’exsudat séreux et fibrineux. Il en existe différents types, plus ou
diarrhée que pour ce qui concerne l’incontinence urinaire. moins absorbants, en fonction de la quantité de l’exsudat (tableau 4).
Il n’est pas prouvé que les gestes d’effleurage et massage La technique de cicatrisation par pression négative (ou Vacuum
doux soient utiles. Les massages intenses et autres pétrissages, Assisted Closure, VAC), semble présenter de réels avantages
qui favorisent le clivage des couches cutanées, sont eux à pros- lors des phases exsudatives et de bourgeonnement. Elle consiste
crire. à mettre en place dans la plaie un bloc de mousse réticulée rendue
La prévention concerne encore les facteurs généraux : apports étanche par un film adhésif transparent et d’appliquer une force
nutritionnels et hydriques suffisants, maintien d’une oxygénation d’aspiration (pression négative) grâce à une tubulure placée sur
sanguine et d’une hémodynamique satisfaisantes, correction la mousse. Le vide ainsi créé :
d’une anémie… – mobilise les liquides interstitiels, draine les sérosités et élimine
les exsudats ;
Soins locaux en fonction de l’évolution – favorise un environnement humide propice à la cicatrisation ;
Toute apparition d’escarre malgré la prévention doit faire – stimule la néoangiogenèse et améliore la perfusion dermique ;
reconsidérer les facteurs de risque locaux et généraux. – diminue la taille de la plaie en rapprochant les berges, par la sti-
Le principe de la cicatrisation en milieu humide est acquis à tous mulation du tissu de granulation et la contrainte mécanique
les stades (à partir du moment où il y a une plaie, c’est-à-dire au (expansion tissulaire centripète) ;
stade 2 et plus), car elle améliore les processus de cicatrisation. – stimule les facteurs de croissance et de défense.

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3. Bourgeonnement 5. Traitement chirurgical


Le bourgeonnement ne peut survenir que lorsqu’il n’y a plus ni Il est principalement indiqué chez le sujet jeune (en général para-
nécrose ni débris fibrineux. Il ne s’opère que si les facteurs géné- ou tétraplégique) : mise à plat suivie de greffe cutanée ou lambeaux.
raux (état nutritionnel…) et locaux (durée et intensité de la pres- Mais il peut encore s’agir, en toutes circonstances, d’une mise à plat
sion) sont redevenus satisfaisants, les soins locaux et les diffé- sous anesthésie d’une plaie dont la détersion mécanique serait
rents pansements ne faisant que favoriser un milieu humide complexe et longue « au lit du malade » : nécrose tissulaire impor-
propice à la cicatrisation. tante, ostéite ou atteinte des tendons, muscles ou autres organes
À ce stade, tous les types de pansements sont efficaces, leur profonds, infection…
important bénéfice par rapport aux anciennes méthodes étant Dans tous les cas, il n’est utile que si le pronostic évolutif est
de les changer le moins souvent possible (tous les 2 à 5 jours). Ils favorable et les facteurs généraux bons (reprise de l’appétit, de la
sont à adapter en fonction de la fréquence où ils apparaissent mobilisation, correction de l’anémie et de l’hypoxie…).
saturés par l’exsudat. 6. En situation de fin de vie
4. Phase d’épidermisation et de maturation de la cicatrice La démarche palliative est caractérisée par une attention portée
Dernière phase, elle correspond au recouvrement de la plaie davantage à la personne qui souffre qu’à sa maladie. Dans ces
par l’épiderme. Il suffit, en plus des mesures préventives persis- circonstances, les mesures préventives, les détections et prises
tantes, de surveiller l’apparition d’un éventuel hyperbourgeonne- en charge de la douleur et de toutes autres complications sont
ment puis l’aspect cutané local, la peau demeurant particulière- identiques et tout aussi assidues que dans une optique curative.
ment fragile du fait d’une atrophie persistante de la couche En revanche, l’excès de soin ou le soin inadapté est un autre
sous-épidermique. risque potentiel.
TABLEAU 4

Différents pansements de l’escarre

Principaux produits, propriétés et indications

Hydrocolloïdes ❚ Polymères riches en eau (80 %) ❚ Faible coût


Duoderm, Comfeel, Algoplaque, Urgosorb → Fort pouvoir d’humidification ❚ Stades : détersion, bourgeonnement +++
❚ Hydrophiles : absorbent l’eau de la plaie ❚ Nécessité d’un pansement secondaire
→ substance « pus-like » Interfaces
(pour recouvrir le gel)
❚ Presque tous stades, sauf si infection, ❚ Stade : nécroses sèches à liquéfier +++
Jelonet, Adaptic, Mepitel, Cuticerin Urgotul
saignement ou exsudat important ❚ Même principe mais avec substance non
Pansements au charbon grasse (paraffine, silicone…)
Alginates (de calcium)
Actisorb, Carbonet, Carboflex ❚ Plus petit maillage, moins adhérents
Algosteril, Urgosorb, Askina Sorb et moins douloureux au retrait
❚ Hémostatiques et absorbants ++
(avec hydrofibre)
❚ Absorbent les odeurs - Antibactériens ❚ Stades : détersion, bourgeonnement +++,
❚ Tous stades, notamment quand le colloïde
❚ À utiliser avec pansement secondaire brûlures…
est trop rapidement saturé
(colloïde, alginate, film) Pansements à l’argent
Hydrocellulaires (ou hydromousses) ou à humecter
et hydrofibres Acticoat, Urgotul S Ag, Biatain Ag,
❚ Indications : plaies infectées, malodorantes, Aquacel Ag
Biatain, Allevyn, Cellosorb, Lyomousse, cancéreuses ; soins palliatifs
Combiderm, Aquacel ❚ Propriétés anti-infectieuses de l’argent
❚ Très hydrophile +++ = très absorbant Pansements gras Films semi-perméables
❚ Changement le + espacé possible (4-5 jours) Tulle gras, Vaselitulle, Corticotulle, Antibiotulle, Opsite, Epiview, Tegaderm
❚ Stades : idem, surtout si forte exsudation -
Betadine tulle ❚ Feuille mince, transparente, souple de
pansement vite saturé
❚ Gaze ou tulle imprégnés d’un produit polyuréthane
Hydrogels lipidique ± principe actif ❚ En pansement secondaire (sur hydrogel,
Intrasite gel, Nu-Gel, Hydrogel Duoderm, Urgo ❚ Souvent allergisants (baume du Pérou, divers colloïde…), si désépidermisation (érosion
Hydrogel, Purilon principes actifs…) superficielle) ou en fin de réépithélialisation)

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La prise en charge des escarres en soins palliatifs nécessite
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TABLEAU 5
une évaluation la plus objective possible du pronostic vital du Durée de traitement préventif de la maladie
patient (connaissance de l’évolution naturelle de la maladie en thromboembolique en fonction de l’indication
cours, évaluation de l’état général par le biais d’indicateurs tels
que Karnofsky et phases de l’OMS, palliative, terminale, et ago- Prévention Chirurgie 6 à 10 jours,
d’une thrombose générale sauf risque particulier
nique, évaluation biologique de l’état nutritionnel) et du pronostic
veineuse lié au patient
de la ou des plaies.
profonde
L’apparition d’escarres, le plus souvent multiples, traduit une
(1 injection Chirurgie Jusqu’à
dégradation de l’état général du patient. Plusieurs objectifs sont par jour) orthopédique déambulation
poursuivis dans ce contexte où priment les approches globale et
de hanche active du patient
individualisée du patient : prévenir la survenue de nouvelles
plaies, limiter l’extension de l’escarre et éviter les complications
Situations 6 à 14 jours
et les symptômes inconfortables (douleur, infection, saignements, médicales
écoulements, odeurs), traiter localement l’escarre en étant attentif à risque
au confort du patient. La cicatrisation est alors rarement un
objectif. Les nécroses sèches sont respectées (abstention de Au-delà, si le risque persiste,
toute détersion) et les pansements espacés. On utilise un support l’intérêt d’un relais par les antivitamines K
d’aide à la prévention ou au traitement de l’escarre, s’il est estimé doit être évalué
qu’il améliorera le confort.

Complications cardiovasculaires
Contrairement au traitement curatif de la maladie thromboem-
Physiopathologie bolique veineuse, les héparines de bas poids moléculaire ne sont
Différentes modifications myocardiques, vasculaires et neuro- pas contre-indiquées en cas d’insuffisance rénale avec clairance
hormonales s’installent au fur et à mesure que l’immobilité et le de la créatinine < 30 mL/min. L’âge avancé et l’insuffisance rénale
décubitus persistent. Elles bouleversent profondément les doivent cependant y faire recourir avec précaution. En cas de
grands équilibres, tant du contenant (cœur et vaisseaux) que du contre-indication à dose préventive (saignement actif ou récent,
contenu (hémorhéologiques) : hypersensibilité, antécédent de thrombopénie à l’héparine,
– diminution progressive du volume sanguin total, prédominant risque hémorragique…), le traitement peut comporter soit une
au niveau périphérique ; héparine non fractionnée, le plus souvent sous-cutanée (2 à
– immobilité, donc absence de contractions musculaires, qui 3 injections par jour), soit un traitement par antivitamines K.
entraîne une stase veineuse (favorisant la thrombose) ; La date d’arrêt des traitements en cas de persistance de l’im-
– plus grande perméabilité des parois capillaires avec augmenta- mobilité ou du déficit n’est pas consensuelle. On a longtemps
tion du passage extravasculaire des protéines sanguines ; pensé que les personnes victimes de syndrome d’immobilisation
– vasoplégie, d’autant plus prononcée en cas de lésions neuro- chronique ne développaient que rarement des thromboses vei-
logiques végétatives ; neuses comme si, après une certaine période, une nouvelle
– atrophie myocardique avec diminution de la taille et du nombre homéostasie hémorhéologique s’installait. Selon des travaux
des myocytes et infiltration graisseuse, à l’origine de troubles de plus récents, des thromboses veineuses asymptomatiques sont
conduction, d’une diminution du volume d’éjection ou encore retrouvées au doppler pour 15 à 60 % des cas, sans que l’on
d’une diminution importante des capacités d’endurance. sache toutefois si elles s’accompagnent d’un risque accru de
complications emboliques, voire de décès. Il n’existe pas de pré-
Thrombose veineuse profonde conisations concernant le traitement anticoagulant au long cours
Il s’agit d’une complication aussi fréquente que grave lors de en cas de syndrome d’immobilisation chronique, et il appartient
l’immobilisation récente, a fortiori dans certains contextes bien donc au prescripteur de mettre en balance risque de maladie vei-
connus : après chirurgie orthopédique, dans les suites d’un accident neuse thromboembolique et risques, désagrément et coût de
neurologique déficitaire, dans les situations néoplasiques ou tels traitements au long cours.
inflammatoires. Les mesures préventives sont : la contention vei-
neuse des membres inférieurs 24 h/24 (bas ou bandes) ; la verti- Œdèmes de stase
calisation précoce ; les contractions musculaires régulières des Ils sont principalement le fait d’une plus grande perméabilité des
membres inférieurs ; le traitement antithrombotique par les hépa- parois capillaires avec extravasation protéique. Leur prévention
rines de bas poids moléculaire, dont la durée dépend du contexte consiste en une contention veineuse permanente des membres
médicochirugical (tableau 5). inférieurs et une mobilisation régulière des membres.

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RR Q 50 I-4 COMPLICATIONS DE L’ IMMOBILITÉ ET DU DÉCUBITUS

Hypotension orthostatique et diminution La prévention passe par un lever aussi précoce que possible,
des capacités d’endurance ne serait-ce qu’en position assise ou semi-assise lorsque le pro-
Après quelques semaines (et d’autant plus rapidement que le nostic de réadaptation à l’orthostatisme est compromis sur le
malade est âgé ou présente des atteintes neurovégétatives), le long terme.
système cardiovasculaire ne parvient plus à s’adapter à l’effort La contention élastique de grade élevé est indispensable pour
ou même au lever. C’est le fait d’une atteinte fonctionnelle de l’arc limiter l’afflux de sang veineux aux membres inférieurs.
baroréflexe végétatif dont le but est, à l’état normal, de détecter Le recours à une table de verticalisation, qui permet des posi-
la baisse tensionnelle et d’y répondre par une stimulation du tonus tionnements progressifs vers la position debout, est très utile.
sympathique. Il s’ensuit une augmentation de la fréquence cardiaque, La midodrine (agoniste α1 adrénergique) ou la fludrocortisone,
une vasoconstriction des artères systémiques et des vaisseaux qui sont très utiles dans l’hypotension, sont cependant des
splanchniques et une diminution de l’irrigation de véno-artério- médicaments non dénués d’effets indésirables sur la fonction
laire de la peau, de la musculature et du tissu adipeux. cardiaque.

Qu’est-ce qui peut tomber à l’examen ?


Parmi les nombreux problèmes cliniques abordés dans cette question, QUESTION N° 3
il est indispensable de maîtriser parfaitement tout ce qui concerne les plaies Quelle est la complication de son
de pression (ou escarres), les complications cardiovasculaires (au premier rang alitement à redouter dès les tout
desquelles la pathologie thromboembolique et la désadaptation à l’orthostatisme) premiers jours ?
et, à un moindre degré, les conséquences musculo-squelettiques.
La physiopathologie des escarres, d’où découlent naturellement les techniques QUESTION N° 4
de prévention et le traitement curatif, est à bien connaître.
Quelles sont les complications
Aucune des conséquences de l’immobilisation ne doit être négligée, de l’alitement à redouter durant
car il peut être demandé de les lister sans nécessairement les détailler. ce mois d’immobilisation ?
Cette question peut être abordée au sein de plusieurs modules, l’alitement
prolongé pouvant compliquer nombre de pathologies très diverses. QUESTION N° 5
Les recommandations incitent en effet fortement les auteurs de dossiers
Citez dix grandes mesures que vous
à élaborer des questions « transversales » et multidisciplinaires, en abordant
allez mettre en œuvre rapidement
des aspects physiopathologiques ou thérapeutiques, ou bien les complications pour limiter leur survenue.
d’une affection à laquelle le dossier est consacré.

CAS CLINIQUE
Retrouvez toutes les réponses
Un homme de 72 ans est porteur d’une maladie de Parkinson depuis 8 ans.
et les commentaires sur
Celle-ci est évoluée au point qu’il se déplace avec de grandes difficultés, www.larevuedupraticien.fr
a déjà fait plusieurs chutes et est très amaigri. Lors d’une nouvelle chute, onglet ECN
il est victime d’une fracture de la diaphyse fémorale (en dessous d’un matériel OK
prothétique de hanche) pour laquelle le chirurgien a réalisé une ostéosynthèse
par vis-plaque. Le patient n’a pas droit à l’appui pendant 30 jours.

Autre exemple
Mêmes questions, mais dans
QUESTION N° 1 QUESTION N° 2 la situation d’un jeune patient
Quels sont les mécanismes Quels sont les facteurs polytraumatisé ou d’un adulte d’âge
possibles de l’amaigrissement probablement impliqués dans moyen souffrant d’une sclérose
chez ce patient ? cette dernière chute ? en plaques évoluée.

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Q RR 50
bien fraîche, puis avec des aliments tendres avec recherche de
Complications de l’immobilité et du décubitus signe direct (toux) ou indirect (vocalisation gargouillante après
déglutition traduisant une stase laryngée) de fausse route.
POINTS FORTS À RETENIR
Les troubles de déglutition sont prévenus par l’aménagement
Il convient de bien différencier l’immobilisation récente, des textures alimentaires (repas haché, fondant, mixé, liquides
survenant au cours d’une pathologie aiguë, de l’immobilisation gélifiés…), la recherche d’une ambiance calme, d’une position
chronique ou « état grabataire ». Les complications potentielles assise avec tête en antéflexion maximum à chaque déglutition,
ne sont pas les mêmes et, notamment pour la personne âgée l’inspection d’une bouche bien vidée entre chacune des bou-
polypathologique, le premier risque est que l’alitement chées… L’usage du verre doit faire remplir celui-ci totalement
se prolonge jusqu’au syndrome d’immobilisation chronique. pour favoriser l’antéflexion. Le verre à bec peut être utilisé, mais
en obstruant la prise d’air, ce qui permet au malade d’aspirer des
Les escarres concernent l’immobilisation récente
gorgées petit à petit. Une bonne hygiène dentaire limite le risque
et non l’état grabataire prolongé, sauf en toute fin d’évolution.
d’inhalations septiques, source de pneumopathie.
Une fois la pression locale levée, une escarre guérit
spontanément dès lors que l’état nutritionnel, l’hémoglobine Constipation
et l’oxygénation sanguine seront satisfaisants. Elle est malheureusement le corollaire systématique de l’alite-
La prévention de la maladie thromboembolique ment, le transit étant, en grande partie, réglé sur la locomotion et
est obligatoire lors de tout alitement. Ses modalités l’activité physique. Plus fréquente au grand âge, elle est encore
au-delà de quelques mois restent mal définies. favorisée dans certaines circonstances pathologiques (déshy-
dratation, diabète, atteintes du système neurovégétatif,
La constipation est systématique lors de toute
démence et dépression…) ou avec nombre de médicaments
immobilisation. Elle sera donc systématiquement prévenue.
(psychotropes, antalgiques centraux…).
Les infections bronchopulmonaires sont la principale Elle est source de météorisme, par modification de la flore
cause de mortalité du malade alité. fécale, de sensation d’inconfort, voire de douleurs abdominales.
Les douleurs doivent toujours être suspectées Au maximum se crée une impaction fécale, constituée de selles
chez la personne immobilisée, a fortiori chez le malade dures car déshydratées au niveau de l’ampoule rectale : c’est le
mal ou non communicant. fécalome, source de douleurs, de fausses diarrhées (fuites
aqueuses par irritation rectale), d’incontinence ou de rétention
urinaire, de confusion, plus particulièrement chez le sujet âgé.
Elle est prévenue par des apports hydriques importants, la
mobilisation et la verticalisation du malade, la surveillance rigou-
Complications digestives reuse des exonérations fécales, l’utilisation de laxatifs osmotiques
ou lubrifiants, la stimulation du réflexe de défécation (suppositoire
Reflux gastro-œsophagien libérant du gaz carbonique), le recours à des suppositoires lubri-
En dehors de l’inconfort qu’il peut occasionner, il est responsable fiants, à des microlavements. L’extraction d’un fécalome au doigt
d’éventuelles lésions d’œsophagite et surtout de complications par toucher rectal est parfois nécessaire.
pulmonaires parfois graves telles que les pneumopathies d’inha-
lation. Complications infectieuses
Le positionnement assis ou semi-assis pendant le repas et une
heure après en limite les fréquences et importance. Il est encore En dehors des éventuelles infections cutanées et sous-cutanées
possible de recourir à des médicaments prokinétiques (accéléra- à partir d’escarres, elles sont essentiellement bronchopulmo-
teur de la vidange gastrique), surnageants, voire des inhibiteurs naires et urinaires.
de la pompe à protons en cas de lésions œsophagiennes acides.
Infections respiratoires
Fausses routes 1. Facteurs favorisants
En plus de l’alitement qui les favorise mécaniquement, elles L’immobilité elle-même est à l’origine d’une stase bronchique
doivent être systématiquement recherchées chez les sujets à et d’une baisse de l’ampliation thoracique par diminution de la
risque, c’est-à-dire victimes d’affections neurologiques dégéné- course diaphragmatique. L’altération de l’appareil mucociliaire
ratives (sclérose en plaques, démences, maladie de Parkinson…), augmente encore les probabilités d’atélectasies ou d’infections
vasculaires (accident vasculaire cérébral) ou post-traumatiques localisées, notamment aux bases du poumon. Les pathologies à
qui altèrent la commande centrale du réflexe de déglutition. Les l’origine de l’immobilisation sont volontiers, elles-mêmes, sources
premières déglutitions doivent être tentées avec de l’eau pure de troubles de déglutition, de reflux gastro-œsophagien ou

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RR Q 50 I-4 COMPLICATIONS DE L’ IMMOBILITÉ ET DU DÉCUBITUS

encore d’embolies pulmonaires. La déshydratation (en rendant le


mucus moins fluide) ou la dénutrition (par son retentissement
immunitaire) accroissent encore le risque infectieux.
2. Prévention
En dehors des changements de position et, au mieux, du lever
au fauteuil, il s’agit essentiellement d’améliorer le drainage bron-
chique et les capacités ventilatoires grâce à la kinésithérapie :
techniques de modulation du flux expiratoire pour les petites
bronches et bronchioles, toux contrôlée pour les plus grosses
divisions bronchiques, éventuellement doublées d’aérosolothé-
rapie et aspirations trachéales.

Infections urinaires
Elles sont la conséquence directe de la stase urinaire, avec les FIGURE 4 Rétraction musculo-capsulo-tendineuse. Pied en équin, flexion fixée
plus rares lithiases urinaires. Une vidange incomplète de la vessie de la jambe sur la cuisse et de la cuisse sur le tronc. Les 3 premiers doigts de
en position couchée laisse un résidu postmictionnel à haut risque la main droite sont eux aussi rétractés en flexion.
infectieux, a fortiori chez la femme, en présence d’incontinence
rectale, de malnutrition, de diabète ou de terrain débilité.
La prévention repose sur le maintien d’une bonne diurèse et la Complications musculaires et articulaires
prise en charge des facteurs favorisants. Les muscles antigravitaires ainsi que ceux participant à la
L’incontinence ne devrait pas être une conséquence du syn- marche, qui cessent d’être sollicités, sont le siège d’une amyo-
drome d’immobilisation sous réserve que l’on parvienne à aider trophie et d’une redistribution de ses constituants au profit de la
très régulièrement et rapidement le patient lorsqu’il ressent le masse grasse et du collagène. Il s’ensuit une diminution nette :
besoin d’uriner. Elle est fréquemment, en revanche, la consé- de leur force maximale, de leur endurance et de leurs élasticité,
quence de la pathologie à l’origine de l’immobilisation (lésions viscosité et extensibilité.
médullaires, pathologies neurodégénératives…). La récupération, toujours possible, est d’autant plus longue
De la même manière, la rétention d’urines ne saurait avoir pour que l’immobilisation est prolongée.
seule cause l’immobilité (en dehors de lésions médullaires) et Ces phénomènes concernent aussi d’autres masses muscu-
impose donc une recherche étiologique, principalement d’une laires de territoires déficitaires en cas de lésion neurologique cen-
pathologie prostatique, d’une infection ou d’un fécalome. trale (paraplégie, hémiplégie) ou périphérique (neuropathie).
Tandis que les raideurs articulaires font craindre une mauvaise
Complications neuromusculaires récupération fonctionnelle, les rétractions articulaires, une fois
et ostéoarticulaires installées, sont redoutables car douloureuses (notamment en
cas de mobilisation lors des soins d’hygiène), augmentant la
Compression des nerfs périphériques charge en soins et parfois à l’origine de complications locorégio-
Les lésions nerveuses par compression peuvent survenir dès nales (mycoses des plis, infections, voire escarres).
les premières heures de l’immobilité. Elles concernent tout parti- On parle plus volontiers de rétractions capsulo-musculo-
culièrement : tendineuses (fig. 4), tous les constituants articulaires et abarticu-
– le nerf fibulaire commun (ou sciatique poplité externe) au col de laires étant concernés : muscles, tendons et ligaments, capsule,
la fibula (du péroné) ; cartilages et liquide synovial, ces trois entités étant concernées
– le nerf sciatique derrière l’extrémité supérieure du fémur ; par le phénomène.
– le nerf ulnaire (ou cubital) dans la gouttière épitrochléo-olé- La physiopathologie demeure mal connue et l’on ne sait expli-
crânienne ; quer, par exemple, pourquoi certains malades en sont victimes
– le nerf radial dans la gouttière humérale. rapidement et de manière diffuse tandis que d’autres gardent
La prévention passe par un positionnement correct des mem- des articulations souples durant parfois des années.
bres. Le pronostic de ces atteintes est variable selon qu’il s’agit Il convient de bien différencier ces rétractions capsulo-mus-
de neuropraxie (bloc de conduction secondaire à l’atteinte des culo-tendineuses d’une spasticité d’origine pyramidale. Dans
gaines de myéline, dans la majorité des cas régressif en quelques cette dernière, il demeure possible de lutter contre la position
semaines) ou d’une lésion axonale avec dégénérescence wallé- anormale de l’articulation, tandis que l’on note une augmentation
rienne, dont le pronostic de récupération est plus sombre. L’ex- vitesse-dépendante du réflexe tonique d’étirement. La spasticité
ploration neurophysiologique permet de faire la distinction entre est le seul symptôme pyramidal accessible à la thérapeutique
ces deux types lésionnels. (étirements musculaires, stimulations électriques, médicaments

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antispastiques). Les rétractions capsulo-musculo-tendineuses
Q RR 50
La prévention de la perte osseuse repose sur un travail muscu-
peuvent s’installer progressivement après une période de spasti- laire actif guidé par le rééducateur et la remise en charge précoce
cité pyramidale, comme elles peuvent apparaître en dehors de (lorsqu’elle est possible), tandis que les apports calcique ou en
tout contexte neurologique. Elles sont précédées d’une phase vitamine D, de même que les bisphosphonates, n’ont pas fait, en
d’enraidissement articulaire que l’on peut vaincre, souvent avec la circonstance, la preuve d’une efficacité préventive.
douleur, mais sans réflexe opposé comme dans la spasticité.
L’enraidissement articulaire se fait dans le sens du muscle le Douleurs
moins déficitaire en cas de paralysie ou selon les positions prises
par le patient. Il est souvent stéréotypé : flessum de hanche, de Elles doivent toujours être suspectées chez la personne immo-
genou, équin au pied, limitation des rotations et de l’abduction bilisée, a fortiori chez le malade mal ou non communicant (affec-
d’épaule, flessum de coude… tions neurodégénéralives, patient comateux…). Pour autant, elles
Au stade du simple enraidissement et si le pronostic fonctionnel ne sont jamais liées à l’immobilisation elle-même, mais à ses causes
est encore préservé (bon espoir d’une récupération à quelques (neuropathies secondaires à un accident vasculaire, lésions
semaines ou mois), des mobilisations articulaires et des étirements- ostéo-articulaires dégénératives, néoplasique ou fracturaires… )
renforcement musculaires permettent d’améliorer le pronostic. Ils ou à d’éventuelles complications (escarres, rétraction capsulo-
doivent s’accompagner d’apports protidiques alimentaires majorés. musculo-tendineuse…).
Très peu de techniques ont fait la preuve d’un intérêt préventif Elles nécessitent un traitement étiologique, spécifique (selon le
en matière de rétractions capsulo-musculo-tendineuses dans le type de la douleur) et graduel, sans limite de doses en dehors de
cas de déficit chronicisé (affections neurodégénératives…). L’ob- l’apparition d’effets iatrogènes.
jectif est essentiellement de limiter les positions dites vicieuses, S’agissant le plus souvent d’un état de dépendance chronique,
c’est-à-dire exposant aux douleurs, macérations, voire plaies ou les situations algogènes, et notamment les soins, font l’objet
entravant l’installation confortable du patient. On essaie donc de d’une antalgie préventive.
préserver des amplitudes articulaires compatibles, au mieux avec
la fonction, au minimum avec un certain confort (possibilité d’ins- Conséquences neuropsychiques
tallation au fauteuil….). On s’aide pour cela d’objets divers, le plus
souvent en mousse, soit commercialisés à la forme adéquate, soit Elles sont nombreuses et variées, dépendant de la maladie
adaptés par un ergothérapeute. Les mobilisations articulaires ne causale et des éventuelles pathologies associées, de la durée de
sont probablement pas bénéfiques et toujours douloureuses. l’immobilisation, de sa potentielle réversibilité ou non, du degré
de dépendance, de la personnalité prémorbide du malade et de
Complications osseuses la qualité de l’accompagnement.
Il s’agit principalement d’une perte osseuse, donc d’une fragili- Il peut s’agir de troubles anxieux, de signes dépressifs, voire de
sation du squelette, la résorption ostéoclastique devenant plus réel syndrome dépressif. La qualité de l’environnement familial,
intense que la construction ostéoblastique. Sont avant tout de l’accompagnement des professionnels et le trop rare soutien
concernés les secteurs corticaux et trabéculaires de l’os, notam- psychologique sont autant de possibilités d’étayage affectif et
ment les zones du squelette habituellement en charge, comme si communicationnel qui permettent au malade de faire face. Mais,
le phénomène était en lien avec une levée des contraintes phy- à l’excès, une prise en charge trop maternante favorise les
siologiques imposées par l’orthostatisme. démotivations, régression et déconditionnement intellectuel,
S’y associe une négativation de la balance calcique avec aug- conduisant le patient à trouver refuge dans la dépendance. L’im-
mentation (en général modérée) de la calcémie, une élévation de mobilisation prolongée crée encore un déconditionnement sen-
la calciurie ainsi qu’une diminution de la parathormonémie et du soriel (désafférentation sensorielle) lié à la réduction d’utilisation
taux sérique de 1,25-OHD3, qui témoignent d’une réponse des informations vestibulaires, visuelles ou somesthésiques.
adaptée à l’hypercalcémie. Cela favorise la survenue de delirium (confusion mentale) ou de
Radiologiquement, la perte osseuse devient visible après 3 à 4 manifestations psychotiques (délires, hallucinations, troubles de
semaines, plus tardivement chez le sujet âgé et/ou préalable- l’interprétation), surtout lorsqu’il existe une fragilité intellectuelle
ment ostéoporotique. L’absorptiométrie confirme bien sûr, elle sous-jacente.
aussi, cette raréfaction de la trame osseuse. Les psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, antipsycho-
Alors que l’hypercalciurie peut, après un temps mal défini, favori- tiques) sont souvent utiles un temps, mais ne sauraient être utili-
ser les lithiases urinaires, le risque principal demeure fracturaire sés sans tenir compte de leur rapport bénéfices/risques ou sans
« par insuffisance osseuse », à la remise en charge lorsqu’elle reconsidérer leur opportunité régulièrement.•
devient possible, lors de chutes, mais encore lors de simple
manœuvres de mobilisation pour des personnes victimes de
syndrome d’immobilisation chronique. D. Manière déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts.

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