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RR
COMPLICATIONS
DE L’IMMOBILITÉ
ET DU DÉCUBITUS
Prévention et prise en charge
Dr Dominique Manière
Centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, pôle de gérontologie clinique, 71100 Chalon sur Saône, France
dominique.maniere@ch-chalon71.fr
Compressions nerveuses
Constipation
Infections
Ostéoporose
Rétractions capsulo-musculo-tendineuses
Troubles psychologiques
Une incontinence par instabilité vésicale peut être favorisée par Prévention
une escarre, par le principe d’épine irritative (stimulation médul- C’est évidemment l’élément clé au vu de la gravité de telles
laire parasympathique). plaies et de la simplicité des gestes permettant d’éviter leur sur-
L’escarre elle-même, en plus du décubitus se prolongeant et venue. Ces manœuvres, véritable obsession pour les équipes,
de sa cause, fait le lit de troubles psychologiques divers et parfois doivent être aussi systématiques qu’un simple lavage des mains.
graves, notamment chez le sujet âgé : dégradation de l’image du Différentes échelles permettent d’évaluer le risque de survenue
corps, conduites régressives, hospitalisme, confusion mentale et de prendre des mesures en conséquence. Elles sont simples
ou dépression. et rapides d’utilisation et considèrent, pour une majeure partie
Parmi les conséquences des escarres, il convient encore de pren- d’entre elles, des items communs. L’échelle de Norton, la plus
dre en compte, pour le patient, les fréquentes douleurs en lien avec ancienne, comporte 5 critères d’évaluation. Elle est plus particu-
la plaie et enfin, pour le service, l’établissement et l’Assurance mala- lièrement adaptée aux sujets âgés (tableau 2) ; l’échelle de Waterlow,
die, un coût financier global majeur (allongement des durées de plus précise, est aussi plus longue à renseigner (tableau 3). Elles
séjour, morbidité accrue, alourdissement de la charge en soins…). permettent, entre autres, de choisir le support adéquat.
TABLEAU 2
Échelle de Norton*
Risque selon le score : score > 14 = sans risque ; score < 14 = risque.
* D’après Norton D. Decubitus. 1989;2:24-31.
TABLEAU 3
Échelle de Waterlow*
Risque selon le score : 20 et plus = très haut risque. De 15 à 19 = haut risque. De 10 à 14 = risque moyen. Moins de 10 = risque faible.
* D’après Edwards M.J. Wound Cire. 1995;4:373-8.
TABLEAU 5
une évaluation la plus objective possible du pronostic vital du Durée de traitement préventif de la maladie
patient (connaissance de l’évolution naturelle de la maladie en thromboembolique en fonction de l’indication
cours, évaluation de l’état général par le biais d’indicateurs tels
que Karnofsky et phases de l’OMS, palliative, terminale, et ago- Prévention Chirurgie 6 à 10 jours,
d’une thrombose générale sauf risque particulier
nique, évaluation biologique de l’état nutritionnel) et du pronostic
veineuse lié au patient
de la ou des plaies.
profonde
L’apparition d’escarres, le plus souvent multiples, traduit une
(1 injection Chirurgie Jusqu’à
dégradation de l’état général du patient. Plusieurs objectifs sont par jour) orthopédique déambulation
poursuivis dans ce contexte où priment les approches globale et
de hanche active du patient
individualisée du patient : prévenir la survenue de nouvelles
plaies, limiter l’extension de l’escarre et éviter les complications
Situations 6 à 14 jours
et les symptômes inconfortables (douleur, infection, saignements, médicales
écoulements, odeurs), traiter localement l’escarre en étant attentif à risque
au confort du patient. La cicatrisation est alors rarement un
objectif. Les nécroses sèches sont respectées (abstention de Au-delà, si le risque persiste,
toute détersion) et les pansements espacés. On utilise un support l’intérêt d’un relais par les antivitamines K
d’aide à la prévention ou au traitement de l’escarre, s’il est estimé doit être évalué
qu’il améliorera le confort.
Complications cardiovasculaires
Contrairement au traitement curatif de la maladie thromboem-
Physiopathologie bolique veineuse, les héparines de bas poids moléculaire ne sont
Différentes modifications myocardiques, vasculaires et neuro- pas contre-indiquées en cas d’insuffisance rénale avec clairance
hormonales s’installent au fur et à mesure que l’immobilité et le de la créatinine < 30 mL/min. L’âge avancé et l’insuffisance rénale
décubitus persistent. Elles bouleversent profondément les doivent cependant y faire recourir avec précaution. En cas de
grands équilibres, tant du contenant (cœur et vaisseaux) que du contre-indication à dose préventive (saignement actif ou récent,
contenu (hémorhéologiques) : hypersensibilité, antécédent de thrombopénie à l’héparine,
– diminution progressive du volume sanguin total, prédominant risque hémorragique…), le traitement peut comporter soit une
au niveau périphérique ; héparine non fractionnée, le plus souvent sous-cutanée (2 à
– immobilité, donc absence de contractions musculaires, qui 3 injections par jour), soit un traitement par antivitamines K.
entraîne une stase veineuse (favorisant la thrombose) ; La date d’arrêt des traitements en cas de persistance de l’im-
– plus grande perméabilité des parois capillaires avec augmenta- mobilité ou du déficit n’est pas consensuelle. On a longtemps
tion du passage extravasculaire des protéines sanguines ; pensé que les personnes victimes de syndrome d’immobilisation
– vasoplégie, d’autant plus prononcée en cas de lésions neuro- chronique ne développaient que rarement des thromboses vei-
logiques végétatives ; neuses comme si, après une certaine période, une nouvelle
– atrophie myocardique avec diminution de la taille et du nombre homéostasie hémorhéologique s’installait. Selon des travaux
des myocytes et infiltration graisseuse, à l’origine de troubles de plus récents, des thromboses veineuses asymptomatiques sont
conduction, d’une diminution du volume d’éjection ou encore retrouvées au doppler pour 15 à 60 % des cas, sans que l’on
d’une diminution importante des capacités d’endurance. sache toutefois si elles s’accompagnent d’un risque accru de
complications emboliques, voire de décès. Il n’existe pas de pré-
Thrombose veineuse profonde conisations concernant le traitement anticoagulant au long cours
Il s’agit d’une complication aussi fréquente que grave lors de en cas de syndrome d’immobilisation chronique, et il appartient
l’immobilisation récente, a fortiori dans certains contextes bien donc au prescripteur de mettre en balance risque de maladie vei-
connus : après chirurgie orthopédique, dans les suites d’un accident neuse thromboembolique et risques, désagrément et coût de
neurologique déficitaire, dans les situations néoplasiques ou tels traitements au long cours.
inflammatoires. Les mesures préventives sont : la contention vei-
neuse des membres inférieurs 24 h/24 (bas ou bandes) ; la verti- Œdèmes de stase
calisation précoce ; les contractions musculaires régulières des Ils sont principalement le fait d’une plus grande perméabilité des
membres inférieurs ; le traitement antithrombotique par les hépa- parois capillaires avec extravasation protéique. Leur prévention
rines de bas poids moléculaire, dont la durée dépend du contexte consiste en une contention veineuse permanente des membres
médicochirugical (tableau 5). inférieurs et une mobilisation régulière des membres.
Hypotension orthostatique et diminution La prévention passe par un lever aussi précoce que possible,
des capacités d’endurance ne serait-ce qu’en position assise ou semi-assise lorsque le pro-
Après quelques semaines (et d’autant plus rapidement que le nostic de réadaptation à l’orthostatisme est compromis sur le
malade est âgé ou présente des atteintes neurovégétatives), le long terme.
système cardiovasculaire ne parvient plus à s’adapter à l’effort La contention élastique de grade élevé est indispensable pour
ou même au lever. C’est le fait d’une atteinte fonctionnelle de l’arc limiter l’afflux de sang veineux aux membres inférieurs.
baroréflexe végétatif dont le but est, à l’état normal, de détecter Le recours à une table de verticalisation, qui permet des posi-
la baisse tensionnelle et d’y répondre par une stimulation du tonus tionnements progressifs vers la position debout, est très utile.
sympathique. Il s’ensuit une augmentation de la fréquence cardiaque, La midodrine (agoniste α1 adrénergique) ou la fludrocortisone,
une vasoconstriction des artères systémiques et des vaisseaux qui sont très utiles dans l’hypotension, sont cependant des
splanchniques et une diminution de l’irrigation de véno-artério- médicaments non dénués d’effets indésirables sur la fonction
laire de la peau, de la musculature et du tissu adipeux. cardiaque.
CAS CLINIQUE
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Un homme de 72 ans est porteur d’une maladie de Parkinson depuis 8 ans.
et les commentaires sur
Celle-ci est évoluée au point qu’il se déplace avec de grandes difficultés, www.larevuedupraticien.fr
a déjà fait plusieurs chutes et est très amaigri. Lors d’une nouvelle chute, onglet ECN
il est victime d’une fracture de la diaphyse fémorale (en dessous d’un matériel OK
prothétique de hanche) pour laquelle le chirurgien a réalisé une ostéosynthèse
par vis-plaque. Le patient n’a pas droit à l’appui pendant 30 jours.
Autre exemple
Mêmes questions, mais dans
QUESTION N° 1 QUESTION N° 2 la situation d’un jeune patient
Quels sont les mécanismes Quels sont les facteurs polytraumatisé ou d’un adulte d’âge
possibles de l’amaigrissement probablement impliqués dans moyen souffrant d’une sclérose
chez ce patient ? cette dernière chute ? en plaques évoluée.
Infections urinaires
Elles sont la conséquence directe de la stase urinaire, avec les FIGURE 4 Rétraction musculo-capsulo-tendineuse. Pied en équin, flexion fixée
plus rares lithiases urinaires. Une vidange incomplète de la vessie de la jambe sur la cuisse et de la cuisse sur le tronc. Les 3 premiers doigts de
en position couchée laisse un résidu postmictionnel à haut risque la main droite sont eux aussi rétractés en flexion.
infectieux, a fortiori chez la femme, en présence d’incontinence
rectale, de malnutrition, de diabète ou de terrain débilité.
La prévention repose sur le maintien d’une bonne diurèse et la Complications musculaires et articulaires
prise en charge des facteurs favorisants. Les muscles antigravitaires ainsi que ceux participant à la
L’incontinence ne devrait pas être une conséquence du syn- marche, qui cessent d’être sollicités, sont le siège d’une amyo-
drome d’immobilisation sous réserve que l’on parvienne à aider trophie et d’une redistribution de ses constituants au profit de la
très régulièrement et rapidement le patient lorsqu’il ressent le masse grasse et du collagène. Il s’ensuit une diminution nette :
besoin d’uriner. Elle est fréquemment, en revanche, la consé- de leur force maximale, de leur endurance et de leurs élasticité,
quence de la pathologie à l’origine de l’immobilisation (lésions viscosité et extensibilité.
médullaires, pathologies neurodégénératives…). La récupération, toujours possible, est d’autant plus longue
De la même manière, la rétention d’urines ne saurait avoir pour que l’immobilisation est prolongée.
seule cause l’immobilité (en dehors de lésions médullaires) et Ces phénomènes concernent aussi d’autres masses muscu-
impose donc une recherche étiologique, principalement d’une laires de territoires déficitaires en cas de lésion neurologique cen-
pathologie prostatique, d’une infection ou d’un fécalome. trale (paraplégie, hémiplégie) ou périphérique (neuropathie).
Tandis que les raideurs articulaires font craindre une mauvaise
Complications neuromusculaires récupération fonctionnelle, les rétractions articulaires, une fois
et ostéoarticulaires installées, sont redoutables car douloureuses (notamment en
cas de mobilisation lors des soins d’hygiène), augmentant la
Compression des nerfs périphériques charge en soins et parfois à l’origine de complications locorégio-
Les lésions nerveuses par compression peuvent survenir dès nales (mycoses des plis, infections, voire escarres).
les premières heures de l’immobilité. Elles concernent tout parti- On parle plus volontiers de rétractions capsulo-musculo-
culièrement : tendineuses (fig. 4), tous les constituants articulaires et abarticu-
– le nerf fibulaire commun (ou sciatique poplité externe) au col de laires étant concernés : muscles, tendons et ligaments, capsule,
la fibula (du péroné) ; cartilages et liquide synovial, ces trois entités étant concernées
– le nerf sciatique derrière l’extrémité supérieure du fémur ; par le phénomène.
– le nerf ulnaire (ou cubital) dans la gouttière épitrochléo-olé- La physiopathologie demeure mal connue et l’on ne sait expli-
crânienne ; quer, par exemple, pourquoi certains malades en sont victimes
– le nerf radial dans la gouttière humérale. rapidement et de manière diffuse tandis que d’autres gardent
La prévention passe par un positionnement correct des mem- des articulations souples durant parfois des années.
bres. Le pronostic de ces atteintes est variable selon qu’il s’agit Il convient de bien différencier ces rétractions capsulo-mus-
de neuropraxie (bloc de conduction secondaire à l’atteinte des culo-tendineuses d’une spasticité d’origine pyramidale. Dans
gaines de myéline, dans la majorité des cas régressif en quelques cette dernière, il demeure possible de lutter contre la position
semaines) ou d’une lésion axonale avec dégénérescence wallé- anormale de l’articulation, tandis que l’on note une augmentation
rienne, dont le pronostic de récupération est plus sombre. L’ex- vitesse-dépendante du réflexe tonique d’étirement. La spasticité
ploration neurophysiologique permet de faire la distinction entre est le seul symptôme pyramidal accessible à la thérapeutique
ces deux types lésionnels. (étirements musculaires, stimulations électriques, médicaments