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Sétif le23/01/2024

Conférences d'enseignement
© Expansion Scientifique Française
40, pp. 177-188

Les pseudarthroses infectées de jambe


A. MASQUELET*
* Service de Chirurgie orthopédique. Hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93009 BOBIGNY

I. Introduction
La pseudarthrose infectée de jambe est l'une des complications les plus redoutées en traumatologie.
Son traitement soulève de difficiles problèmes conceptuels, techniques et relationnels.
La prise en charge mais aussi la coopération du patient sont des notions cardinales pour mener à terme un parcours chirurgical qui nécessite d'autant
plus d'énergie que la pseudarthrose infectée est la suite aggravée d'une histoire déjà douloureuse.
L'adulte jeune socialement actif, victime d'un accident, refuse à juste titre toute solution radicale.
La gravité de la pseudarthrose infectée de jambe est spécifique. Il s'agit de la non-consolidation compliquée d'infection d'un segment osseux
fracturé que sa situation superficielle rend particulièrement vulnérable. Les phénomènes inflammatoires retentissent rapidement sur les parties
molles peu enveloppantes.
De là ce triple front d'attaque, pour reprendre une métaphore assez répandue, que le chirurgien doit négocier : lutte contre l'infection, lutte
pour rétablir une couverture saine de l'os, lutte enfin pour obtenir la consolidation. La rudesse de la tâche explique les ruses auxquelles se livrent les
chirurgiens en élaborant de véritables stratégies. L'expérience de la Seconde Guerre mondiale et de l'immédiate aprèsguerre avait montré la
faiblesse du traitement qui consistait à combattre et avec des moyens techniques limités les trois éléments de la pseudarthrose infectée [5, 25].
- L'assèchement des foyers était obtenu par un temps opératoire plus ou moins important selon les cas, allant du simple curetage à la «
saucérisation » associée à une stricte immobilisation plâtrée.
- Le recouvrement cutané toujours laborieux et difficile était obtenu par un tissu cicatriciel d'épidermisation après bourgeonnement auquel
on préférait en raison de sa meilleure qualité, le lambeau hétérojambier dont le ratio était à l'époque 1/l.
- Enfin lorsque la menace de la reprise de l'infection semblait écartée, la consolidation était tentée par de multiples procédés associant des
greffes et du matériel interne.
La cause principale d'échec était la reprise de la suppuration dont le risque était majoré par le fait que l'intervention visant à obtenir la consolidation
traversait les tissus cicatriciels et faisait appel à des matériels métalliques.
Un grand progrès fut réalisé lorsque Merle d'Aubigné tirant la leçon des causes d'échecs apporta la notion que la consolidation pouvait être acquise,
même en présence d'une fistule, à condition de mettre en place la greffe osseuse en passant en tissu sain, à distance du foyer, en l'occurrence par
voie postéroexterne [7, 15, 17]. Dès lors la consolidation fut le premier objectif à atteindre car on avait constaté en outre que la reprise de l'appui
permettait dans un nombre important de cas de guérir l'infection. Au début des années 70, une nouvelle stratégie vit le jour à la suite des travaux de
Burri repris par Papineau [20] et diffusés en France par Roy-Camille [21, 22]. La greffe spongieuse à ciel ouvert permettait de lutter simultanément
in situ sur les deux fronts de l'ostéite et de la pseudarthrose, reportant le difficile problème de la couverture cutanée après la consolidation osseuse.
Les années 80 virent la rapide propagation d'une stratégie complexe et originale que son auteur, Ilizarov, avait mise en application dès 1950 [23].
Dans cette stratégie aucune des trois difficultés n'est abordée de façon frontale. Une approche biologique globale fondée sur le gain en trophicité du
membre et l'absence d'abord chirurgical du foyer permettent par une espèce de diversion d'obtenir simultanément l'éradication de l'infection, la
consolidation du foyer et la fermeture des fistules.
Enfin, de récents travaux issus en particulier des possibilités de transfert tissulaire [14, 29] ont permis de remettre à l'honneur 40 ans après,
l'archaïque et néanmoins logique stratégie qui consiste à affronter dans l'ordre l'infection, l'altération du revêtement cutané et le défaut de
consolidation.
La question essentielle à l'heure actuelle est de savoir quelle technique choisir devant une pseudarthrose septique de jambe. La réponse n'est pas
simple et cela pour plusieurs raisons.
En premier lieu il n'y a pas une mais des pseudarthroses septiques car les diffficultés sont variables d'un cas à l'autre [16]. Nous y reviendrons dans
la partie de l'exposé consacrée aux bilans. En second lieu parce que chacune des grandes options thérapeutiques que nous avons présentées comme
des stratégies s'appuie sur des principes différents et requiert un maniement technique spécifique. Mais, notion capitale, ces options thérapeutiques
ne s'excluent pas mutuellement et peuvent dans certains cas être combinées. On ne saurait donc être un partisan aveugle d'un seul mode de
traitement des pseudarthroses infectées de jambe.
Enfin, dernière raison, la confrontation des résultats reste incertaine et ne peut servir de critère à un choix objectif en raison de l'expérience
univoque de la plupart des auteurs.
Nous nous abstiendrons donc de présenter de longues comparaisons chiffrées pour tenter de saisir au mieux la structure conceptuelle de chacune des
grandes stratégies en sachant que leur mise en oeuvre peut obéir à des schémas d'adaptation aux circonstances, définissant par là-même des
tactiques. Un bref essai de synthèse des indications complètera l'exposé.
BILAN D'UNE PSEUDARTHROSE INFECTEE DE JAMBE
Selon la définition classique, une pseudarthrose n'a d'existence réelle qu'à partir du 6e mois postfracturaire et sous réserve que la
consolidation ne semble pas pouvoir se faire par la seule immobilisation stricte pendant trois mois supplémentaires.
En réalité, la présence d'une infection rend très improbable la consolidation même si la fracture a été parfaitement immobilisée et la plupart
des auteurs s'accordent pour parler de pseudarthrose infectée après trois mois révolus. Certaines évolutions précoces et dramatiques laissent même
pressentir la survenue inéluctable d'une pseudarthrose au sens exprimé plus haut si précisément le traitement s'appliquant à une pseudarthrose
infectée n'est pas rapidement mis en oeuvre. Dans quel cadre en effet faut-il ranger les exérèses osseuses réalisées aux environs du 2e mois post-
fracturaire pour des infections étendues consécutives à des fractures ouvertes stade III ? La concomitance des problèmes cutanés, infectieux et
osseux suffit alors semble-t-il pour parler de pseudarthrose infectée [11] en rappelant que ces pseudarthroses avant l'heure ne sont pas parmi les plus
faciles à traiter.
L'enjeu du traitement et le choix d'une stratégie bien définie font du bilan de la pseudarthrose infectée une étape essentielle. Un nombre
important de facteurs sont à considérer et le triple bilan clinique, biologique et radiologique, permet une évaluation précise des trois ennemis à
combattre : l'infection, l'altération des parties molles et le délabrement osseux qui font de la pseudarthrose suppurée une véritable maladie loco-
régionale.
1 Dr N. Maarcha
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L'infection
Son mode d'expression est polymorphe et exerce habituellement une double action néfaste sur l'os et les parties molles. La traduction de
l'infection est clinique, radiologique et biologique. Son extériorisation est fréquente : elle peut se manifester par un écoulement permanent ou
intermittent dont il faut préciser le rythme, l'abondance et la nature ou par un bourgeon charnu refusant de cicatriser. L'infection retentit
régulièrement sur les parties molles périphériques entraînant des épisodes inflammatoires localisés qui peuvent évoluer vers des abcès, des
lymphangites ou même de véritables septicémies. L'existence de signes généraux révèle son caractère pregnant ; sur un fond de fébricule, de
brusques poussées thermiques témoignent d'une rétention purulente ou d'une diffusion hématogène. Radiologiquement l'infection osseuse s'exprime
par des appositions périostées et des zones d'ostéolyse. La condensation des extrémités ou de certains segments osseux révèle une vitalité douteuse
et des phénomènes de séquestration.
Dans des cas extrêmes, l'aspect de l'os peut être celui d'une pandiaphysite dans laquelle médullaire et corticale se confondent en de larges
plages inhomogènes.
Les paramètres biologiques établissent la réalité quantifiée de l'infection. La vitesse de sédimentation, la numération formule sanguine et le
dosage de la CRP sont les critères principaux permettant de suivre les progrès de la lutte anti-infectieuse.
L'atteinte des parties molles
Il est capital de distinguer le revêtement cutané et les parties molles sous-jacentes. L'altération du revêtement cutané est immédiatement
visible. Fistules, adhérences localisées, cicatrices sont soigneusement notées. Peuvent exister également de véritables pertes de substance allant de
la brèche cutanée à la grande avulsion qui expose largement les segments osseux.
L'état trophique des parties molles à proximité du foyer est évalué par la palpation. On apprécie la souplesse des tissus ou on juge au
contraire du degré de sclérose et de rétraction des muscles de chaque loge, antérieure, externe et postérieure. De cette évaluation dépend en effet
l'importance de l'excision et les indications de reconstruction fondées sur la mobilisation de lambeaux ou sur les transferts de segments osseux.
L'évaluation fonctionnelle du membre est un facteur décisif dans la mesure où il peut influer directement sur la décision d'entreprendre ou non le
traitement de la pseudarthrose suppurée. La violence du traumatisme initial, l'ancienneté et la perdurance de l'infection, la multiplicité des
opérations antérieures, ont en général de graves répercussions sur la trophicité globale de la jambe.
Doivent être pris en considération les lésions cutanées à distance, l'état du réseau veineux superficiel, la présence d'un oedème important,
l'amplitude des articulations du genou, de la cheville et du pied. En réalité c'est le bilan neurovasculaire qui constitue l'étape décisive de cet examen
car un pied complètement insensible au niveau de sa zone portante est une contre-indication quasi absolue à entreprendre le traitement d'une
pseudarthrose suppurée.
L'examen artériel doit faire l'objet d'une attention spéciale en ayant présentes à l'esprit les notions suivantes : le pouls tibial postérieur est
souvent difficile à repérer en raison de l'oedème ; la présence d'un pouls pédieux ne garantit pas la perméabilité de l'axe tibial antérieur et l'existence
d'un pouls en avant de la malléole externe est en faveur d'une artère péronière prédominante.
L'artériographie est systématique. Elle doit comprendre le segment crural car l'existence d'une oblitération de l'artère fémorale ou de l'artère
poplitée peut justifier la réalisation d'un pontage avant le traitement de la pseudarthrose [101. L'artériographie renseigne par ailleurs sur la
perméabilité des axes de la jambe, éléments décisifs dans la perspective de plusieurs techniques fgreffe intertibio-péronière, lambeau local ou
lambeau libre). Il faut s'attacher à identifier chacun des trois axes et à suivre son parcours jusqu'au pied. En outre, les variations anatomiques ne
sont pas rares.
Le foyer de pseudarthrose
L'atteinte osseuse est évaluée par un bilan radiologique qui comprend des radiographies standard de face, de profil et de 3/4 et des
tomographies centrées sur le foyer.
Le scanner et l'IRM ont un intérêt en dehors de tout matériel métallique pour juger de l'extension de la sclérose osseuse et peut-être de la
vitalité de l'os.
Cette notion est surtout valable pour l'IRM. Ces deux examens ne sont toutefois pas nécessaires dans le bilan habituel d'une pseudarthrose
infectée de jambe.
La radiographie standard permet de noter la présence ou non de matériel, l'état du péroné et les caractéristiques de la pseudarthrose du
tibia : son siège, son caractère atrophique habituel ou hypertrophique plus rarement observé, l'aspect scléreux des extrémités ou au contraire leur
aspect ostéoporotique. On recherche également les signes d'infection osseuse déjà évoqués : apposition périostée, zone d'ostéolyse ou séquestre. On
mesure enfin le diastasis séparant les deux extrémités en rappelant que le défect tibial est égal à la somme du diastasis et du raccourcissement.
Il est impératif de mesurer la longueur totale du tibia en la comparant au côté opposé, les deux jambes étant radiographiées de face sur une
même plaque.
Les clichés en stress permettent d'apprécier le degré de laxité de la pseudarthrose ou le degré de réductibilité en cas de déformation
angulaire permanente.
On peut au terme de ce bilan, dresser un tableau de l'ampleur des difficultés que l'on devra affronter en caractérisant le degré d'atteinte du
revêtement cutané et des parties molles, la virulence du processus infectieux et l'importance prévisible de la perte de substance osseuse.
Plusieurs profils types de pseudarthrose infectée peuvent être ainsi évoqués depuis celle qui associe une fistule intermittente, des téguments
peu altérés et des extrémités osseuses au contact, jusqu'à l'atteinte sévère regroupant une large exposition d'un segment osseux en voie de
séquestration, une sclérose de la loge postérieure et la présence d'un seul axe vasculaire.
TRAITEMENT DE LA PSEUDARTHROSE SUPPUR ‫ة‬E :
LES PROC‫ة‬D‫ة‬S CHIRURGICAUX
L'anatomo-pathologie de la pseudarthrose suppurée indique clairement les actions à entreprendre pour atteindre l'objectif global d'une
jambe solide et eutrophique. Ces actions sont au nombre de 4 :
- l'immobilisation correcte du foyer de pseudarthrose
- la guérison de l'infection
- la réparation des parties molles et du revêtement cutané
- la consolidation osseuse.
Immobilisation du foyer de fracture
L'immobilisation du foyer de fracture est une nécessité absolue. Aux immobilisations strictes par plâtre de jadis, se sont substituées les
techniques de fixation externe rigide ou dynamique dont les progrès depuis 20 ans constituent une véritable révolution.
Les fixations dans un seul plan doivent être actuellement préférées à la fixation en cadre d'Hoffmann qui avait pour inconvénient de
transfixier les masses musculaires. Le plan du fixateur doit être conçu de façon à ne pas compromettre un geste ultérieur. On doit veiller en
particulier à libérer les faces latérales de jambe, les fiches étant placées sur la face antéromédiale du tibia dans un plan pratiquement sagittal, à
distance du foyer de pseudarthrose. Le fixateur externe Orthofix représente actuellement la meilleure formule, malgré les combinaisons de montage
limitées qu'il peut offrir au niveau des épiphyses. Les fixateurs ALJ* et FESSA** permettent également des montages stables et peu vulnérants.
2 Dr N. Maarcha
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L'appareil d'Ilizarov, quant à lui, introduit un compromis entre la stabilité et l'élasticité. Ses principaux inconvénients sont la complexité et
l'encombrement spatial du matériel qui rend difficile l'accès aux faces latérales de jambe. L'idéal est un appareil monoplan, dynamisable,
susceptible d'être utilisé pour les allongements ou les transferts osseux segmentaires [18, 19].
* ALJ : Alain Lortat-Jacob. ** FESSA : Fixateur externe du Service de Santé des Armées.
Guérison de l'infection
La guérison de l'infection est obtenue par une excision chirurgicale qui est sans doute la partie du traitement la plus difficile à codifier.
L'excision doit concerner l'os et les parties molles. Les traitements adjuvants comme l'antibiothérapie sont à discuter en fonction de chaque cas.
L'excision osseuse
Les limites de l'excision osseuse sont malaisées à définir. Les séquestres sont enlevés ainsi que l'os de consistance friable résultant d'une
apposition aux extrémités. L'ampleur de la résection dépend en grande partie de l'expérience de l'opérateur. Certains auteurs résèquent jusqu'en os
saignant pour être sûr d'éviter une reprise infectieuse. L'inconvénient d'une résection très large est le sacrifice d'os probablement dévitalisé mais non
infecté et donc susceptible d'être réhabité dans une atmosphère tissulaire bien vascularisée. L'utilisation de certains produits comme le bleu de
disulfine censé indiquer la démarcation biologique entre os vivant et os mort s'est révélée décevante en raison de l'imprécision des renseignements
et de la toxicité des produits. En réalité, il faut être prêt à renouveler l'excision en cas de poursuite des phénomènes infectieux.
L'exérèse des parties molles
Elle concerne le revêtement cutané en regard du foyer et les parties molles périphériques. Les trajets fîstuleux, les zones d'adhérence
cicatricielle et le tissu scléreux sous-jacent sont systématiquement excisés.
L'exérèse est d'autant plus large qu'on dispose actuellement de procédés de réparation des parties molles qui peuvent faire face à n'importe
quelle perte de substance. L'exérèse doit permettre de retrouver des berges cutanées souples et saines.
Les traitements adjuvants de lutte contre l'infection
Nous ne ferons que citer l'oxygénothérapie hyperbare et l'irrigation continue aux antibiotiques dont il reste peu d'indications à la jambe.
L'antibiothérapie par voie générale fait l'objet de nombreuses controverses dans le traitement des pseudarthroses suppurées mais quelques notions
semblent néanmoins bien établies.
- la mise en oeuvre d'une antibiothérapie requiert la collaboration d'un infectiologue car le problème est compliqué par l'ancienneté de
l'infection, la présence de plusieurs germes et le nombre sans cesse croissant de thérapies nouvelles présentées comme toujours plus efficaces.
- l'antibiothérapie paraît peu efficace sur l'infection osseuse, mais semble, en revanche, exercer une action bénéfique sur les parties molles
quand celles-ci sont inflammatoires.
- Toute intervention chirurgicale doit être encadrée par une antibiothérapie générale pour éviter une dissémination.
Recouvrement cutané et réparation des parties molles
Les techniques actuelles autorisent à parler de deuxième révolution dans le traitement des pseudarthroses suppurées. Il faut distinguer les
procédés de resurfaçage cutané et les procédés de réparation des parties molles. En effet les procédés de resurfaçage cutané sont utilisés après la
consolidation osseuse lorsqu'il s'agit de guérir définitivement une ulcération persistante ou une cicatrice fragile et instable. Ils font appel à des
lambeaux cutanéo-aponévrotiques dont le prototype est le lambeau hétéro-jambier saphène interne.
En revanche, la réparation des parties molles après une excision large exige la mise en place de lambeaux musculaires qui par leur ostéo-
tactisme sont plus efficaces dans la prévention de la récidive infectieuse que les lambeaux cutanéo-aponévrotiques [2, 3].
En pratique les petites pertes de substance du tiers supérieur ou du tiers moyen de jambe sont couvertes par le jumeau interne ou le soléaire.
Il faut toutefois se méfier de la limitation de l'arc de rotation des lambeaux musculaires pédiculés qui sont difficilement mobilisables en atmosphère
cicatricielle ou inflammatoire. Lorsque la perte de substance est importante on doit recourir à la mise en place d'un lambeau libre, en pratique le
muscle grand dorsal, dont la revascularisation peut justifier la mise en place d'un double pontage artériel et veineux lorsqu'il n'existe qu'un seul axe
vasculaire à la jambe. Le pontage est alors branché sur la portion basse de l'artère fémorale (fig. 1).
La finalité du lambeau musculaire, outre la couverture antérieure de jambe, est de restaurer un espace souple et un lit bien vascularisé qui
favorise ultérieurement la consolidation osseuse.
Consolidation osseuse
La consolidation osseuse représente l'étape ultime du traitement. Elle est régulièrement obtenue lorsque les précédentes étapes ont été
franchies avec succès et que l'on se retrouve, en définitive, dans les conditions d'une pseudarthrose aseptique. Les procédés de réparation osseuse
sont multiples et les indications sont fonction de la perte de substance du tibia et de l'état du péroné. Notion essentielle, la consolidation peut
requérir des apports itératifs [27].
- Les greffes intrafocales de comblement ou périfocales par simple apposition d'os à la face postérieure du tibia sont justifiées en l'absence
de solution de continuité vraie du tibia.
- La greffe intertibio-péronière peut être réalisée de plusieurs façons. La voie d'abord habituelle rétropéronière peut être remplacée par une
voie prépéronière lorsque l'axe vasculaire péronier est seul perméable. La greffe peut être bicorticale, monobloc, encastrée en force entre tibia et
péroné, la condition préalable étant l'intégrité de ce dernier. Ce type de greffe qui assure une certaine stabilité à la pseudarthrose était justifié
lorsque l'on ne disposait pas des moyens modernes de fixation externe. Nous préférons la greffe spongieuse ou cortico-spongieuse qui s'intègre plus
vite qu'une greffe monobloc, se défend mieux devant une récidive infectieuse éventuelle et peut s'appuyer sur un péroné non consolidé.
- La reconstruction tibiale par greffe spongieuse ou cortico-spongieuse massive appuyée sur le péroné, après recouvrement par lambeau. La
mise en place d'une greffe massive sous le lambeau nécessite un espace important et pour répondre à cette condition, l'utilisation d'un « spacer»
(ciment ou billes aux antibiotiques) tend, pour nous, à devenir systématique. Le risque de récidive infectieuse représenté par l'inclusion d'un tel
corps étranger est minime dans la mesure où l'exérèse large des tissus et la réparation par lambeau permettent une véritable éradication de la
maladie. Le spacer présente un intérêt à facettes multiples [6] (fig. 1) : il évite l'accolement du lambeau au plan musculaire postérieur, protège les
axes vasculo-nerveux, ménage un plan de dissection aisé lors des interventions de greffe osseuse et permet une expansion importante du volume de
la greffe.
- La voie d'abord de l'apport osseux est atypique et emprunte une hémicirconférence du lambeau. Le spongieux doit manchonner les
extrémités du tibia et s'appuyer en dehors sur le péroné. De grandes reconstructions du tibia (supérieures à 10 cm) peuvent être obtenues, le délai de
consolidation n'excédant pas 9 mois. On peut associer à l'os spongieux de longues baguettes de crête iliaque qui rétablissent la continuité du tibia.
- La tibialisation du péroné pour reconstruire de grandes pertes de substance du tibia est une technique classique dont il existe plusieurs
variantes. Le péroné peut être pédiculé sur son axe vasculaire et transféré comme une greffe vascularisée sans anastomose microchirurgicale. Cette
technique ne peut pas être utilisée lorsque l'artère péronière est le seul axe vasculaire de la jambe. En réalité tous les procédés fibula protibia tendent
à l'heure actuelle à être délaissés car ils déstabilisent davantage le segment jambier et rendent difficiles les opérations secondaires en cas de non-
consolidation.
- De grandes reconstructions du tibia peuvent être réalisées par d'autres techniques de mise au point récente [18, 19, 23, 26] :
- les transferts osseux segmentaires ont été systématisés par Ilizarov. Le principe repose sur la mobilisation progressive et dirigée d'un
3 Dr N. Maarcha
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segment osseux sus-ou sous-jacent au défect tibial après corticotomie sous-périostée métaphyso-diaphysaire. Le fragment est lentement amené au
contact de l'autre extrémité et le vide laissé par la progression du fragment est comblé par un régénérat qui se densifie rapidement.
On observe ainsi une phase de transfert, une phase de maturation du régénérat et une phase de consolidation [Il (fig. 2). Dans le cadre de la
stratégie d'Ilizarov qui préconise l'absence d'abord direct du foyer de pseudarthrose, cette technique est soumise à un risque élevé de complications ;
non-consolidation du foyer lorsque le transfert est au contact, maturation insuffisante du régénérat, désaxation progressive du segment osseux
transféré ou nécrose des parties molles atrophiques ;
- la médialisation progressive du péroné est une technique utilisée dans les défects diaphysaires complets du tibia. Après corticomie
bifocale, le péroné est progressivement médialisé par le moyen de broches de traction montées sur l'appareil d'Ilizarov. Une variante de cette
technique est la médialisation de l'hémipéroné qui permettrait d'obtenir un régénérat intertibio-péronier [23].
- Les transferts osseux libres vascularisés (TOLV) offrent l'avantage d'une consolidation rapide aux extrémités [28]. Les plus fréquemment
utilisés sont la crête iliaque pédiculée sur l'artère iliaque circonflexe profonde, et le péroné controlatéral. On assiste après consolidation et reprise de
l'appui à un épaississement progressif du transfert. L'avantage du péroné sur la crête iliaque est de constituer un os tubulaire semblable au tibia. Une
variante possible est l'utilisation de transferts composites (palette cutanée + crête iliaque ou péroné + portion musculaire du soléaire) dont la
prétention est d'assurer en un temps la reconstruction osseuse et la réparation des parties molles. Séduisants dans leurs principes, les TOLV
présentent cependant de nombreux inconvénients. Le transfert osseux pur est difficile à inclure dans une atmosphère de rétraction cicatricielle qui
ne permet pas, en outre, l'association d'un apport osseux conventionnel. Le TOLV peut succéder à la mise en place première d'un lambeau libre
destiné à réparer les parties molles périphériques, mais se pose alors le problème de la disponibilité des vaisseaux receveurs.
La surveillance d'un transfert osseux vascularisé est difficile et la thrombose du pédicule conduit à un échec par reprise de l'infection due à
la présence d'un os cortical dévitalisé.
Enfin la menace toujours présente d'une éventuelle amputation peut faire récuser tout prélèvement sur le membre controlatéral surtout
lorsqu'il s'agit d'un transfert composite car le préjudice fonctionnel représenté par une diminution de la force musculaire et des douleurs n'est pas
négligeable [9].
DISCUSSION
Face à une pseudarthrose suppurée, trois grandes stratégies peuvent donc être discutées avec leurs avantages et leurs inconvénients : ce sont
la stratégie d'Ilizarov, la stratégie de Papineau et la stratégie dite séquentielle utilisant systématiquement le recouvrement par lambeau.
Stratégie d'Ilizarov
La conception d'Ilizarov repose sur la stabilisation dynamique du foyer de pseudarthrose et la distraction osseuse qui entraînent selon
l'auteur une simulation du processus de réparation, suffisant à guérir l'infection et à assurer la consolidation sans abord du foye. Cette technique
offre théoriquement de larges possibilités de reconstruction du tibia. En réalité, appliquée selon les principes stricts d'Ilizarov, elle réalise l'impasse
sur le traitement vrai de l'infection en ne comportant aucun geste sur l'os infecté et les parties molles. S'il est vrai que la reprise fonctionnelle et la
distraction osseuse améliorent globalement la trophicité du membre, la technique n'en reste pas moins difficile à mettre en oeuvre et impose au
patient et au chirurgien des contraintes qui justifient une sélection très rigoureuse des indications. La consolidation n'est pas toujours facile à obtenir
en cas de pseudarthrose atrophique (fig. 3) et lorsqu'elle survient elle se fait souvent au prix d'une ostéite résiduelle. Les délais de consolidation ont
été de l'ordre de 4 à 5 mois en l'absence de perte de substance osseuse, dans les séries de Cattaneo et coll. [4] et de Terver et coll. [24].
Stratégie de Papineau
Le principe de la stratégie de Papineau est la lutte simultanée sur les deux fronts de l'infection et de la consolidation en réalisant une greffe
d'os spongieux à ciel ouvert. La greffe osseuse est progressivement envahie par le tissu de granulation et la couverture est obtenue par
épithélialisation dirigée ou par une greffe de peau mince. Le succès de cette technique repose sur de fréquents débridements qui doivent toutefois
ménager une forre de réceptacle destiné à acccueillir la greffe. La stratégie de Papineau fait donc l'impasse sur la maîtrise complète de l'infection,
sur le revêtement cutané et sur la réparation des parties molles. Elle peut conduire à l'échec si la vascularisation locale n'est pas suffisante pour
entraîner la formation d'un tissu de granulation. Ses principaux inconvénients sont la durée de l'hospitalisation, les ostéites résiduelles, les
ulcérations cutanées et la médiocre qualité mécanique de l'os néoformé à partir de la greffe, responsable de fractures itératives. L'opération de
Papineau peut s'appliquer à des pertes de substance qui ne dépassent pas 4 cm, une des corticales du tibia au moins restant intacte.
La modification apportée par Lortat-Jacob consistant à appuyer la greffe sur le péroné permet d'obtenir des reconstructions plus solides. Le
délai de consolidation dans la série de Lortat-Jacob et coll. [11] est égal ou supérieur à un an lorsque la perte de substance est supérieure à 3 cm, et
de l'ordre de 7 mois quand la perte de substance est inférieure à 3 cm.
Stratégie séquentielle
La stratégie dite séquentielle combat les trois problèmes que pose toute pseudarthrose suppurée de jambe : l'infection par l'assèchement
(A), l'altération du revêtement cutané des parties molles par le recouvrement (R) et la consolidation du foyer par une greffe osseuse massive (C). La
réparation des parties molles et du revêtement cutané est confiée à un lambeau qui n'est pas considéré comme une technique d'appoint, mais comme
le pivot central de la stratégie.
Les combinaisons de séquences opératoires définissent autant de tactiques. En voici trois exemples :
- séquences séparées. L'intervention d'excision,
qui peut être renouvelée, est suivie de la mise en place du lambeau dans un délai qui n'excède pas quelques jours. Le lambeau est ensuite
recouvert d'une greffe de peau mince et la greffe osseuse est réalisée après un délai de 6 à 8 semaines (séquences A + R + C) ;
- dans la majorité des cas, les séquences d'assèchement et de recouvrement par le lambeau sont réalisées dans le même temps opératoire et
la greffe osseuse est apportée secondairement (séquences AR+C) ;
- lorsque l'infection est limitée et peu agressive, les trois séquences peuvent être réalisées durant la même intervention (séquences ARC).
Sur une série de 17 pseudarthroses suppurées [13], trois ont dû être reprises pour une récidive de l'infection avant la greffe osseuse dont 2
après la mise en place du lambeau. Aucune récidive infectieuse n'a été notée à distance. Dans 16 cas la consolidation après apport osseux a été
obtenue dans un délai variant entre 3 et 8 mois, le délai maximal correspondant à des pertes de substances supérieures à 10 cm. Dans 1 cas l'échec
du lambeau a conduit à une reprise par le procédé de Papineau.
Sur la série de 14 patients de Gordon et Chiu [8], la consolidation a été acquise sans apport osseux pour 6 pseudarthroses qui se
présentaient sans perte de substance du tibia. Dans les autres cas, la reconstruction osseuse a été réalisée dans un délai variant entre 3 et 12 mois
après la mise en place du lambeau. Dans 2 cas, la reconstruction du tibia par un transfert libre de péroné vascularisé a été suivie d'une récidive
infectieuse sanctionnée d'une amputation secondaire. L'expérience de Gordon et Chiu est analogue à la nôtre sur le principe de l'éradication
complète de l'infection par un large débridement et une réparation par lambeau. Cependant l'utilisation d'un spacer n'est pas évoquée par les auteurs
et le délai séparant le recouvrement de la reconstruction osseuse est nettement plus long.
Le principal avantage de la stratégie séquentielle est le raccourcissement des délais d'hospitalisation nécessaire pour chaque temps
opératoire. Le principal inconvénient réside dans l'échec du lambeau de recouvrement qui peut justifier dans certains cas une amputation et dans
d'autres cas un repli sur une greffe osseuse à ciel ouvert ou une cicatrisation dirigée suivie d'une GITP (fig. 3).
4 Dr N. Maarcha
Sétif le23/01/2024

INDICATIONS
La grande variété de lésions cliniques que peuvent offrir les pseudarthroses infectées de jambe et la disparité actuelle des conceptions qui
sont à la base des différents traitements, rendent difficile une clarification des indications thérapeutiques qui prendraient en compte tous les facteurs
et toutes les possibilités. Cependant une notion semble désormais bien établie : la guérison de l'infection et la restauration d'une couverture de
bonne qualité sont assurées au mieux par la mise en oeuvre d'un lambeau. Chaque fois que possible, c'est semble-t-il la technique qui doit être
choisie. La consolidation représente alors la partie la moins ardue du problème, et peut être obtenue en effet de diverses façons par greffe simple,
par greffe intertibio-péronière, par greffe massive d'os spongieux ou même par transfert segmentaire selon la conception d'Ilizarov.
La technique de Papineau ne vit actuellement que des contre-indications ou des échecs des procédés de recouvrement en sachant que dans
de pareils cas la situation vasculaire du membre, souvent précaire, rend le succès du Papineau incertain. Quant à la technique d'Ilizarov, il est
sûrement intéressant d'en retenir les principes (stabilisation dynamique, distraction, transferts osseux segmentaires) pour les intégrer dans une
stratégie séquentielle fondée sur une exérèse large et la réparation des parties molles par un lambeau.
Dès lors nos indications actuelles sont relativement simples. La fixation et l'excision large sont des gestes obligatoires et la technique de
recouvrement est fonction de la perte de substance des parties molles.
Dans certains cas, à vrai dire exceptionnels, qui concernent des pseudarthroses sans perte de sustance osseuse et sans altération importante
des parties molles, le recouvrement peut être acquis par simple bourgeonnement complété ou non par une greffe de peau mince. La consolidation
est obtenue secondairement par une greffe intertibio-péronière. En réalité, en matière de pseudarthrose suppurée de jambe, le recouvrement
secondaire à une exérèse large est systématiquement assuré par un lambeau musculaire et le mode de reconstruction osseuse dépend de la perte de
substance du tibia et de l'état du péroné.
- pour les pertes de substances osseuses inférieures à 4 cm avec un péroné intact, le lambeau peut être placé en regard du défect tibial ; la
greffe intertibiopéronière secondaire s'appuiera sur les deux extrémités du tibia, la reconstruction de ce dernier n'étant pas une nécessité absolue
(fig. 4).
- pour les pertes de substance supérieures à 4 cm avec un péroné intact, il est préférable de reconstruire le tibia ce qui nécessite la mise en
place d'un spacer pour maintenir l'espace de logement de la greffe qui s'appuiera de toute façon sur le péroné. Dans ces conditions on peut
reconstruire de grandes portions de tibia (> 10 cm) sans recourir à un transfert vascularisé de péroné.
- Les grandes pertes de substance associées du tibia et du péroné constituent des situations extrêmes pour lesquelles il faut probablement
associer une technique de réparation des parties molles par lambeau et une reconstruction osseuse par transfert osseux segmentaire selon la
technique d'Ilizarov ou un transfert de péroné controlatéral vascularisé si l'on veut absolument conserver la jambe.
Un des éléments les plus importants de la discussion de l'indication est l'engagement du patient lui même. Les procédés de reconstruction
permettent actuellement de repousser au maximum les limites de l'amputation, intervention dont les résultats sont d'autant meilleurs qu'elle est
réalisée précocement.
Dans cette notion réside un dilemme difficile à contourner. Faut-il dans certains cas amputer en sachant qu'on n'offre pas au patient toutes
les possibilités techniques aujourd'hui à notre disposition avec l'assurance toutefois d'avoir un bon résultat fonctionnel avec une prothèse ou faut-il à
tout prix obtenir l'assèchement et la consolidation d'un membre qui constituera une gêne permanente par l'existence d'une dystrophie majeure ?
L'éventualité d'une amputation doit susciter une véritable stratégie psychologique qui s'intègre d'ailleurs bien à la stratégie séquentielle dans la
mesure où l'on peut expliquer au patient que l'échec d'une des étapes de reconstruction (récidive de l'infection, échec du lambeau) peut justifier
l'amputation. Dans d'autres stratégies comme celle de Papineau ou d'Ilizarov, l'absence de séquences du traitement chirurgical entretient l'incertitude
jusqu'au résultat final.
Certaines situations peuvent faire récuser d'emblée le traitement de la pseudarthrose suppurée : une anesthésie de la plante du pied associée
à une pseudarthrose suppurée dont le traitement s'annonce difficile en raison de l'étendue de la perte de substance osseuse chez un patient dont la
situation exige une réinsertion sociale rapide, peut légitimer une amputation précoce.
Néanmoins on doit à l'heure actuelle introduire la notion de chirurgie des séquelles sur des jambes dont l'assèchement et la consolidation
ont été acquis : une dystrophie cutanée majeure associée à des troubles vasculaires distaux peuvent être améliorés par un lambeau libre ayant une
double fonction de resurfaçage et d'aide vasculaire, une anesthésie de la plante peut faire entreprendre des interventions de neurolyses, de greffes
nerveuses ou de neurotisations à visée sensitive, un avant-pied raide peut être traité par une amputation transmétatarsienne qui facilite le passage du
pas.
En dernière instance, le traitement d'une pseudarthrose suppurée de jambe doit être personnalisé en tenant compte certes des possibilités
techniques mais aussi en respectant l'autonomie du patient suivant le principe moral de Kant selon lequel «tout être humain doit être traité non
comme un moyen mais comme une fin ».

5 Dr N. Maarcha

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