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Le sang amer de la déchirure

Catherine Matha
Dans Psychologie clinique et projective 2006/1 (n° 12), pages 155 à 189
Éditions Érès
ISSN 1265-5449
DOI 10.3917/pcp.012.0155
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Le sang amer de la déchirure

Catherine Matha1

Résumé – La scarification est un recours en acte qui condense la problématique du


couple activité/passivité dans sa double dimension sadique et masochiste qui nous
renvoie à la question de la bisexualité. A travers les projectifs (Rorschach et TAT)
d’un garçon scarificateur âgé de 16 ans, cet article se propose de réfléchir à la valeur
de ce type de recours au moment de l’adolescence. L’hypothèse posée est que le
recours aux scarifications chez le garçon adolescent serait significatif d’un certain
maintien de la bisexualité infantile, destiné à conjurer l’angoisse de castration, en
même temps que recherche d’élaboration conflictuelle par la « mise au travail » du
féminin à travers le témoignage d’une inscription corporelle qui favoriserait les
processus d’intériorisation et de symbolisation.
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Mots clés : Scarification – Adolescence – Bisexualité – Masochisme. © Érès | Téléchargé le 17/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 88.160.12.141)

Abstract in English at the end of the text


Resumen en español al final del texto

1. Psychologue Clinicienne, Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent du


Professeur Marcelli, Centre Hospitalier Henri Laborit, Poitiers.

Psychologie clinique et projective, volume 12 – 2006, pp. 155-189 – 1265-5449/02/08


Catherine Matha

« Elle est dans ma voix, la criarde !


C’est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau !


Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau ! »

« L’héautontimorouménos »
Baudelaire, Les fleurs du mal.

Le terme de scarification dérive étymologiquement de différents verbes,


notamment de sacrificare (sacrifier) et de scribere (écrire). Son recours
fréquent autrefois dans le domaine médical avait une valeur curative attachée
à une croyance purificatrice. Ces différentes inspirations étymologiques ne
sont pas sans intérêt pour la clinique qui nous intéresse ici : épreuve
d’inscription sur la surface corporelle, le recours aux scarifications par
l’adolescent pourrait comporter une dimension auto-thérapeutique.
Quand on parle de scarifications actuellement, il s’agit de blessures
provoquées par l’incision de la peau avec un objet contendant qui crée un
saignement. Ces « lacérations », comme les nomment certains adolescents, ne
menacent pas le pronostic vital et ne sont jamais associées à une intention
consciente de se suicider. Le discours qui les accompagne rend davantage
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compte d’une tentative de se sentir vivant, ce dont atteste le sang qui coule, qui
prend valeur de réassurance : « De voir le sang couler, ça m’apaise. Je veux
pas me foutre en l’air ! Je veux seulement vivre ma vie !» nous dit Julien.

LA SCARIFICATION COMME RÉVÉLATRICE D’ENJEUX


AUTOUR DE LA BISEXUALITÉ À L’ADOLESCENCE
Les recherches actuelles s’accordent pour dire que son recours, très faible
chez l’enfant, s’élève considérablement dès le début de l’adolescence2, avec

2. Selon une étude américaine (S. Ross, N. Heath, 2002), elles commencent dans 59% des cas vers 12-
13 ans.

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Le sang amer de la déchirure

l’avènement de la puberté. Ce constat interroge très directement le sens du


recours aux scarifications à l’adolescence.
Temps de transformations tant corporelles que psychiques, l’adolescence
contraint à des remaniements notamment des identifications sexuelles.
L’éclosion de la puberté et son cortège de transformations est une butée de
la sexualité infantile : le développement des caractères sexuels secondaires
et la possibilité nouvelle de la réalisation du fantasme incestueux modifient
l’équilibre antérieur. L’adolescent se voit soumis à des turbulences internes
et corporelles qui échappent à sa maîtrise. En compensation, le corps se
trouve fréquemment utilisé à cet âge comme espace d’expériences diverses,
parfois abusives. Lieu d’étrangeté et de familiarité mélangées, il devient à
cette période un « objet relais privilégié » (D. Marcelli, A. Braconnier,
1986). L’enjeu essentiel consiste à renoncer à l’omnipotence infantile qui
permettra de nouvelles relations amoureuses et l’exercice d’une sexualité
génitale. L’adolescence appelle à un changement dans l’objet du désir
sexuel. Le sentiment de toute-puissance y compris au niveau de la position
bisexuelle infantile est rompu. La question du jeu des identifications est ici
centrale.
Les identifications masculines et féminines, la scène primitive et le
complexe de castration établissent des liens fonctionnels interactifs
permanents avec la bisexualité psychique et concourent avec elle à
l’édification de l’identité sexuelle du sujet. La dialectique de la bisexualité et
des oscillations entre homo et hétérosexualité, sur le plan des relations d’objet
comme sur celui des identifications, se pose alors dans une interaction
complexe entre les identifications primaires et secondaires.
De nombreux travaux montrent que la difficulté d’en passer par une
position passive à l’adolescence traduit les achoppements des identifications
féminines, dans les deux sexes, et ce, à deux niveaux :
– au niveau de la passivité première, dans les expériences précoces de
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dépendance à la relation à la mère, notamment dans les expériences de
satisfaction et de frustration. Temps des identifications narcissiques
primitives ;
– au niveau des identifications secondaires, liées à la problématique
œdipienne, dans le cadre des relations objectales et de la complémentarité
des sexes.
Ainsi, P. Blos (1962) considère que le recours fréquent à l’agir à
l’adolescence est une façon de nier sa faiblesse et d’affirmer son
indépendance à l’égard de la mère archaïque active. L’adolescent exerce
ainsi une action qui s’oppose à la poussée régressive vers la passivité, et nie

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Catherine Matha

par ailleurs sa position de dépendance, comme il repousse en les niant les


limites imposées par la réalité. C’est cette « poussée régressive vers la mère
phallique, préœdipienne, et l’identification avec elle qui va donner au
mouvement d’organisation du garçon et de la fille son contenu spécial ».
D’autre part, dans la population adolescente que nous recevons à l’unité
d’hospitalisation, ainsi que dans le cadre de mon activité en CMP, la clinique
montre que le recours aux scarifications concerne essentiellement les jeunes
filles. Ces éléments questionnent spécifiquement les enjeux de la bisexualité
dans ce type de recours en acte articulé à une problématique du féminin.
D’ailleurs, chez les quelques garçons qui se scarifient et que nous avons
rencontrés, les difficultés d’identification sexuelle s’expriment avec force.
Elles se manifestent à travers des préoccupations corporelles exhibées,
relevant d’un registre essentiellement narcissique, comme la pilosité souvent
mal acceptée (ils se rasent, s’arrachent les poils), le poids, la recherche d’une
singularité… Elle s’exprime également autour d’interrogations souvent
douloureuses concernant l’accès à la sexualité génitale, même si celles-ci
peuvent prendre les allures d’une revendication (homosexuelle ou
bisexuelle). L’image identificatoire de Marylin Manson – chanteur gothique
qui se scarifie, chante en se caressant le ventre et joue d’une ambiguïté
sexuelle affichée, dans une mise en scène sadomasochiste – est apparue à
plusieurs reprises.
Un autre aspect doit être ici souligné : tous les adolescent(e)s que j’ai
rencontré(e)s énoncent une forme de jouissance à se faire du mal (un
adolescent : « Ça fait du bien de se faire du mal. Une bonne saignée, pour
évacuer » ; une autre, dans l’après-coup :« C’est glauque hein ? J’ai honte,
mais j’y prenais tant de plaisir »). Ainsi, la scarification, épreuve corporelle
qui mêle la jouissance à la souffrance – dans ce contexte d’un recours
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transitoire à l’adolescence – est un acte de nature masochiste. Et le corps est
placé au centre de cette expérience masochiste.
Cet acte de maltraitance du corps allie donc deux dimensions : celle d’une
forme de passage à l’acte avec celle du masochisme. Cette « alliance » peut
paraître paradoxale : l’une se situe du côté de l’activité et est fréquemment
associée à la déliaison pulsionnelle quand l’autre nous renvoie à la passivité
et se situe par essence du côté de l’intrication pulsionnelle. Cependant, des
problématiques communes relient les motivations du passage à l’acte aux
différents masochismes décrits par Freud. Le passage à l’acte entretient des
liens indéniables avec les risques de désintrication pulsionnelle, la lutte

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Le sang amer de la déchirure

contre la passivité et la problématique dépressive. En contrepoint, on y retrouve


associées les trois figures du masochisme décrites par Freud : le masochisme
érogène ou primaire, le masochisme féminin et le masochisme moral.
On peut alors envisager ces conduites masochistes de scarification sous
l’angle d’une complémentarité mise à l’épreuve, la problématique du couple
activité/passivité s’y trouvant condensée, faisant écho au travail spécifique
de l’adolescence concernant la bisexualité.
D’autre part, l’appariement du couple actif/passif avec le couple
masculin/féminin apparaît chez Freud dans une note ajoutée en 1915 dans le
texte des Trois essais sur la sexualité3 . Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de
noter que c’est dans ce même texte que la référence à la peau apparaît,
notamment quand Freud évoque le couple sadisme/masochisme. Alliance
d’une peau réceptive, dont les qualités relèvent de la passivité, et d’une force
motrice, active.
Or la peau est l’organe du corps particulièrement sollicité dans les
scarifications. Ainsi, la peau – espace unitaire de rassemblement d’éléments
complémentaires – pourrait être considérée comme surface médiatrice de
symbolisation, notamment des enjeux de sexuation propres à l’adolescence.
De nombreuses références anthropologiques illustrent d’ailleurs cette
fonction. Un exemple intéressant est celui d’un rite initiatique pratiqué en
Australie centrale que rapporte Géza Roheim (1945, p. 213). C’est la
pratique de subincision du pénis appartenant à un rituel nommé Ngallunga,
qui signifie : « nous deux ensemble ». Ce rituel d’initiation, qui
représenterait la scène primitive, met en scène une incorporation féminine
associée à l’angoisse de castration. Le passage de ce rituel atteste de
l’aptitude des jeunes pubères à passer dans le monde des hommes. La
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victoire sur la douleur constitue une puissance de métamorphose
(D. Lebreton, 2003, p. 41). Les liens avec ce que Freud (1924) a décrit du
côté du masochisme féminin (être castré, être coïté, enfanter) y sont par
ailleurs évidents.
Dans ces sociétés, les procédures de symbolisation passent par des
inscriptions sur le corps, souvent par la pratique de scarification, qui sont en
3. Freud (1915) : « Il faut bien se rendre compte que les concepts masculin et féminin, qui pour l’opinion
courante ne semblent présenter aucune équivoque, envisagés du point de vue scientifique sont des plus
complexes. Masculin et féminin peuvent être l’équivalent d’activité ou de passivité ; ou bien ils peuvent
être pris dans le sens biologique ou enfin dans le sens sociologique : la psychanalyse tient compte
essentiellement de la première de ces significations ».

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Catherine Matha

rapport étroit avec la bisexualité : « La marque sur le corps, égale sur tous
les corps, énonce : tu n’auras pas le désir de pouvoir, tu n’auras pas le désir
de soumission. Et cette loi non séparée ne peut trouver pour s’inscrire qu’un
espace non séparé : le corps lui-même » (P. Clastres, 1974, p. 160). Enoncé
qui nous rappelle le sens que porte le recours ritualisé à la circoncision ou à
l’excision : séparer ce qui est confondu.
Nous voyons là combien la scarification, acte à la fois sadique et
masochiste, de pouvoir et de soumission, est support de symbolisation dans
ces sociétés. Elle porte en héritage cette problématique de l’unité et du
séparé, et nous renvoie à la question de la bisexualité et des enjeux
identificatoires.
On peut ainsi se demander dans quelle mesure l’acte de scarification chez
l’adolescent ne traduit pas l’impossible recours à d’autres formes de
symbolisation proposées par notre société, pour sortir de l’indifférenciation
primaire. Par le recours à un scénario teinté d’archaïsme, il tenterait de
réinventer une forme de rituel de passage, au service du travail symbolique,
mais dans une mise en scène intimiste qui signe la dimension paradoxale4.
Le recours au corps dans un scénario sadomasochiste viserait cependant un
objectif intégratif.

LA PEAU À L’ÉPREUVE : PENSER L’IMPANSÉ


La thèse d’un corps comme constituant le support essentiel des processus
d’intégration psychique a été défendue dès 1896 par Freud qui introduisait
alors la notion de « zone érogène » pour affirmer plus tard, dans l’Abrégé de
psychanalyse, que « le corps est conçu tout entier comme érogène ». Le
corps est dès lors considéré comme une surface de projection des conflits qui
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met en visibilité ce qui se joue sur la scène psychique interne. Il est la scène
sur laquelle les fantasmes du patient viennent se jouer. Ainsi, au-delà des
pratiques masochistes qui exposent un corps lacéré, tailladé, quel corps
s’agit-il pour l’adolescent de révéler, mais également quel corps s’agit-il de
protéger ?
Freud affirmait déjà dans « l’Esquisse », et plus tard en 1923 dans « Le moi
et le ça », que le psychisme dérive par étayage de l’enveloppe corporelle,
prend source dans le corps : « le Moi conscient est avant tout un Moi-corps ».
4. Ce recours en acte – dans l’interpellation de l’objet qu’il recèle dans l’après-coup de l’acte – n’est pas
sans susciter l’effroi, l’adolescent soumettant l’autre par son geste automutilateur à un vécu
d’impuissance.

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Le sang amer de la déchirure

Puis, dans une note ajoutée en 1927, il expliquait que : « Le Moi dérive en
dernier ressort des sensations corporelles, principalement de celles qui ont
leur source dans la surface du corps5. On peut le considérer comme la
projection mentale de la surface du corps, en plus de le considérer comme
représentant de la superficie de l’appareil psychique » (1923, p. 270).
Les travaux de P. Aulagnier (1985)6 témoignent, depuis, de l’importance
du rôle tenu par les fonctions sensorielles sur « l’activité naissante de
représentation ». La pensée s’enracine dans la sensorialité qui offre un socle,
éprouvé corporel qui permet la construction de représentations mentales.
Cette activité naissante de représentation persiste toute la vie et donne un
« fond représentatif » à partir duquel peuvent se développer les sentiments
narcissiques comme « se sentir bien dans sa peau ». Les diverses formes
d’identification corporelle ne sont cependant jamais acquises définitivement
et sont en interdépendance avec nos expériences de vie. Nos expériences
sensorielles s’ancrent dans nos rencontres avec les objets extérieurs, même
si elles relèvent d’une grande subjectivité attachée au plus intime de ce qui
nous constitue.
La peau occupe une place essentielle dans l’organisation psychique.
Surface cutanée de réceptivité, notamment des empreintes de l’objet par
ailleurs source des sensations, elle se présente comme le contenant de la
sensorialité, reliant tous les autres organes des sens. C’est Esther Bick (1968)
qui a, la première, utilisé l’expression de « peau psychique », désignant par
là une structure psychique destinée à contenir les parties de la personnalité
du nourrisson qui tendraient sans elle à se disperser. L’observation
psychanalytique a montré que l’image du corps constituait une sorte de
scène sur laquelle s’inscrivent les scénarios des relations les plus primitives
de l’enfant avec son entourage. Ce que Geneviève Haag nomme les
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« identifications intracorporelles » : « Les liens identificatoires établis dans
l’en deçà et dans le jeu des relations d’objets partiels sont constitutifs, de
façon sine qua non, de cette image du « corps de relation ». (1997, p. 104).
Ces identifications narcissiques primaires constituent les bases de
l’intégration psychique et permettent la construction et l’utilisation de
« l’appareil à penser ».

5. Souligné par moi.


6. « La mise en forme du pictogramme s’étaye sur le modèle du fonctionnement sensoriel : c’est pourquoi
toute expérience de plaisir reproduit la coalescence organe sensible/phénomène perçu, toute expérience
de déplaisir implique le désir d’automutilation de l’organe et de destruction des objets d’excitation
correspondants » P. Castoriadis-Aulagnier (1985, p. 54).

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Catherine Matha

Ce concept de « peau psychique » a été repris par Didier Anzieu (1974)


sous le terme de « Moi-peau ». Il insiste sur la proximité métaphorique entre
la peau et la représentation d’une enveloppe maternelle originaire à partir de
laquelle se délimiterait une identité archaïque. Pour l’auteur, comme toute
activité psychique qui s’étaie sur une fonction biologique, le Moi-peau
trouve son étayage sur les diverses fonctions de la peau.
C’est un concept incontournable dans le cadre de la problématique qui
nous intéresse ici. En effet, le recours aux scarifications met en jeu, à travers
l’image d’un corps lacéré, les questions de la différenciation des espaces
interne/externe (fonction de frontière), des modalités d’échange à travers la
médiation du corps liées au travail de pare-excitation, de la contenance
possible grâce à la limite et à la possibilité d’inscription-figuration trouvées
sur les lieux de la surface corporelle.
D’autre part, les deux types de contact originaire relèvent de l’excitation et
de l’information : leurs destins concernent respectivement le masochisme et
le narcissisme. D. Anzieu pose l’hypothèse que « la constitution du Moi-
peau est une des conditions du double passage du narcissisme primaire au
narcissisme secondaire et du masochisme primaire au masochisme
secondaire » (1985, p. 40). Par rapport au Moi-peau, le narcissisme primaire
correspondrait à l’expérience de la satisfaction ; le masochisme primaire, à
l’épreuve de la souffrance.
Le fantasme originaire du masochisme serait ainsi constitué par la
représentation qu’une même peau appartient à l’enfant et à sa mère. Cette
peau figurerait leur union symbiotique. Le processus de défusion et d’accès
de l’enfant à l’autonomie entraînerait une rupture et une déchirure de cette
peau commune.
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En lien avec les travaux de D. Anzieu, P. Roman (2001) affirme que « le
corps est convoqué dans ses effets de rupture et de continuité, dans les
modalités effractrices et contenantes de ses investissements, support des
processus de symbolisation et d’auto-symbolisation de ces processus ».
La scarification est une déchirure inscrite dans le réel de la surface
cutanée. Peut-on y voir une représentation symbolique incarnée de cette
déchirure précédemment évoquée ? L’acte de scarification serait une mise en
forme pré-symbolique qui pourrait être reprise secondairement à un niveau
symboliquement « supérieur », grâce au double étayage sensoriel (celui
d’une réceptivité sensorielle à travers la douleur ressentie et celui du regard

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Le sang amer de la déchirure

par la visualisation des entames sur la peau), au service de l’intériorisation


et de l’élaboration psychique.
De ces différentes réflexions se dégage une hypothèse : dans ce temps de
passage que représente l’adolescence, le recours au masochisme, agi sur la
surface du corps (espace unitaire, non séparé), notamment à travers les
scarifications (acte de se couper, d’inciser la peau pour faire saigner),
pourrait être un moyen d’éprouver sa sexuation. Nous nous rappelons ici que
l’origine étymologique du mot « sexe » est rapprochée de secare, « couper,
diviser », le sexus étant le partage d’une espèce en mâles et femelles.
L’utilisation de son corps comme objet d’emprise possible sur un mode
sado-masochiste serait une façon de figurer sur son corps les signes d’une
bisexualité psychique infantile conservée en même temps qu’elle signifierait
la douleur d’une séparation dont la nécessité serait reconnue mais se
donnerait à voir sur un mode radical : se couper de l’autre. L’autre se référant
au premier objet d’attachement mais aussi au sexe différent.
Ainsi, le recours aux scarifications chez le garçon adolescent serait une
conduite active symptomatique significative d’un certain maintien de la
bisexualité infantile, destiné à conjurer l’angoisse de castration, en même
temps que recherche d’élaboration conflictuelle par la « mise au travail » du
féminin à travers le témoignage d’une inscription corporelle qui favoriserait
les processus d’intériorisation et de symbolisation.

ILLUSTRATION CLINIQUE7
À l’appui du recueil des données d’un bilan psychologique effectué avec
un garçon âgé de 16 ans 6 mois qui se scarifie, nous souhaitons mettre à
l’épreuve ces réflexions.
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Les épreuves projectives sont exploitées en référence à la théorie


psychanalytique dans la ligne des recherches essentielles effectuées par
M. Emmanuelli et C. Azoulay (2001) autour de l’adolescence. Ce choix des
épreuves projectives comme support clinique à ce travail de recherche sur
les scarifications se justifie d’autre part à notre sens par l’importance des
travaux réalisés par D. Anzieu avec cet outil, en particulier pour soutenir
l’élaboration de son concept du « Moi-peau », notamment à l’appui des
variables « enveloppe » et « pénétration » établies par Fisher et Cleveland
(1958), pour le test du Rorschach.
7. Les protocoles de Rorschach et du TAT de Julien sont donnés en annexe.

163
Catherine Matha

Des réflexions qui ont précédé concernant les enjeux mobilisés par les
scarifications, peuvent être retenus deux axes de travail pour aborder la
clinique projective ici présentée :
– l’axe des limites dedans/dehors interrogées très directement par le choix
d’un recours en acte effectué sur les lieux du corps. Au Rorschach, la qualité
de l’ancrage dans la réalité, l’utilisation du blanc dans les réponses, ainsi que
la nature des réponses « peau », traduiront la qualité des enveloppes
corporelles. Au TAT, nous serons particulièrement attentifs aux procédés du
discours utilisés et à leur fonction dans les récits proposés.
– celui des enjeux de la bisexualité, à la fois dans le registre narcissique et
le registre objectal où la question des identifications, on l’a vu, est centrale.
Le concept de « passivité » s’offre comme concept éclaireur et
d’articulation entre ces deux axes.
Eléments d’anamnèse
Quand Julien (16 ans 6 mois) est reçu en évaluation psychologique suite à
une consultation médicale, les troubles du comportement avec scarifications
sont mis au premier plan, associés à d’autres conduites addictives
(alcoolisation et prise de toxiques). Julien évoque ces passages à l’acte
comme des moments où il « disjoncte », selon ses propres termes. Il les
associe cependant à un vécu dépressif important, fait de tristesse, d’idées
suicidaires, voire d’envie de tuer culpabilisée. Il confie ne pas parvenir à
pleurer et trouver dans les scarifications le seul moyen de diminuer ses
tensions internes. Les disputes avec sa mère, qu’il décrit comme impulsive,
sont fréquentes. C’est souvent à la suite d’altercations avec elle qu’il
éprouve la nécessité de se scarifier. Il se décrit beaucoup plus proche de son
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père ; père absent une partie de la semaine puisque exerçant son activité
professionnelle dans une autre ville.
De sa toute petite enfance, il est dit que la mère s’en occupait beaucoup. À
l’âge des 3 ans de Julien, elle fait une grave dépression (liée à la séparation
due à la scolarisation de Julien ? Rien du côté de Julien n’est relevé par les
parents), le père prenant alors une position de suppléance. Un second garçon
est conçu, époque associée à la sortie de dépression de Madame. Monsieur
énonce la fonction consolatrice de ce deuxième bébé dont la maman se serait
alors beaucoup occupée « pour se consoler d’avoir perdu Julien ». Madame
décrit un sentiment de destitution de sa position maternelle auprès de Julien.

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Le sang amer de la déchirure

Elle semble en fait avoir peu d’estime pour ses capacités maternelles et
chercher dans son activité professionnelle très investie une source
compensatoire de valorisation narcissique.
Le père fait quant à lui référence à une histoire paternelle conflictuelle, où
il vivait sous la terreur d’un père violent et alcoolique. Les deux parents ont
été suivis antérieurement chacun pour dépression.
Pendant la passation, Julien se montre désireux de bien faire, mais exprime
la difficulté à s’approprier pour lui-même cette démarche évaluative, peu
convaincu de son utilité.
Les limites dedans/dehors
Rorschach
Au Rorschach, la qualité du facteur formel, les banalités, le TRI et le
contenu des réponses forment avec les réponses « peau » des éléments
d’information essentiels sur la qualité du narcissisme et de la représentation
de soi, fortement intriquée à la qualité de la relation à l’objet primaire.
Dans le protocole de Julien, si la production du nombre de réponses est
moyenne, la réactivité fantasmatique au matériel s’exprime à travers la
palette relativement large des déterminants utilisés, illustrant une certaine
vitalité du fonctionnement psychique. Le recours au déterminant purement
formel est peu important (52%) et de médiocre qualité (39%) quand il n’est
pas porté par un mouvement pulsionnel. L’élargissement de ce facteur
(F%él.= 92%) montre un travail de liaison de meilleure qualité
(F+%él.=53%), mais certaines planches réveillent des charges
fantasmatiques difficiles à canaliser (pl. I et pl. pastel). L’ancrage dans la
réalité est fragile.
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Le TRI marque un pôle introversif privilégié (4K/1∑C et 3k/1∑E),


confirmant l’attitude projective active. La passivité se révèle en négatif,
notamment dans la difficulté à intégrer la couleur (y compris aux planches II
et III), alors même que la réactivité aux planches pastel montre la
perméabilité de cet adolescent à l’environnement. Une certaine retenue
anxieuse semble s’exprimer, ce que corrobore l’indice d’angoisse
relativement important (24%).
La couleur, associée généralement à une composante affective et
émotionnelle, renvoie à une qualité relationnelle de nature passive vis-à-vis

165
Catherine Matha

du monde extérieur. La difficulté pour Julien d’intégrer la couleur aux


représentations est manifeste.
Aux planches rouges, la seule réponse qui intègre la perception de la
couleur montre la fragilisation de la représentation de soi et le mouvement
de régression induit, exprimé par une réponse anatomique qui vise un
rassemblement identitaire (pl. II : « On pourrait dire deux personnes, ce sont les
mains, les têtes rouges, même si un peu bizarre […] v On dirait le bassin, départ des
jambes, de la colonne vertébrale, c’est tout ». Enquête : « Têtes déformées, les plats
des mains, les jambes, en tailleur. On voit la symétrie. »). La qualité de la
représentation à la planche III sera quant à elle préservée au prix de
l’isolation des tâches rouges (Enquête : « Pas les tâches rouges, elles me disent
rien »).
Ce rejet de la couleur s’exprime très explicitement au temps des choix de
planches. Les planches de II et IX sont d’emblée retenues comme les moins
aimées : « Les couleurs, je ne les aime pas […] Je la trouve très laide (IX). Les
couleurs ne sont pas belles. Les grosses tâches rouges, les formes ne sont pas belles.
C’est vilain. Les tâches rouges sont vraiment laides. ». Les commentaires
montrent là encore le glissement du ressenti affectif sur des composantes
perceptives de nature esthétique. Mouvement défensif qui privilégie
l’investissement perceptif (externe) au détriment de l’affect (interne).
Les réponses « peau » apparaissent régulièrement dans le protocole. Les
indices « barrière » et « pénétration » soulignent la valeur différentielle de
ces réponses dont la qualité relève par ailleurs soit d’une valeur protectrice,
soit met à nu les failles d’une enveloppe qui se présente comme trouée ou
abîmée (C. Chabert, 1998, p 98). Dans le protocole de Julien, elles
remplissent une fonction défensive des limites dedans/dehors du fait de la
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fragilité de ces dernières. Fonction de protection narcissique dont l’efficacité
est fluctuante.
L’effraction pulsionnelle est lisible, on l’a vu, dès la planche II. Elle se
répète à la planche VI (« un chat mort, il s’est fait écraser ») et à la planche X
(« des gens qui jettent des choses qui font des tâches »), générant des réponses
« peau » à valeur d’enveloppe, de renforcement narcissique protecteur, pas
toujours opérant. Les planches pastel suscitent particulièrement ces réponses
(réponses « vêtements » aux pl. VIII et X : « casque », « épaulières »,
« manteau », « écharpe »…), leur mauvaise qualité formelle attestant de leur
manque d’efficience.

166
Le sang amer de la déchirure

Cette question des limites dedans/dehors se révèle également à travers un


langage topographique singulier qui paradoxalement semble niveler les
éléments décrits (Ex. :pl. I : « la bouche avec le fond de la gorge » ; pl. II : « les
plats des mains » ; pl. IV : « les plats des pieds, le fond de la tête »).
L’utilisation particulière du blanc va dans le même sens. Elle se
caractérise par son intégration dans une délimitation plus large (pl.I), ou sert
de fond unificateur de la représentation au même titre que la peau (Ex : pl.
VIII : « Ça fait, le blanc, le visage », et X : « une femme »).
Les travaux de P. Roman (op. cit.) autour de la fonction du blanc comme
pouvant concourir au soutien du travail de la symbolisation apportent pour
la problématique de scarification un éclairage fort intéressant. Sa proposition
du blanc comme actualisation de « l’enveloppe maternelle primitive »,
support des mouvements pulsionnels en direction de l’objet primaire, me
paraît ici illustrée.
Les réponses de Julien, intégrant le blanc, semblent révéler des
interrogations identificatoires primaires douloureuses car elles sont
associées soit à un contenu humain (pl.VIII et X) soit à une tête monstrueuse
(pl.I) et sont de mauvaise qualité formelle.
Ainsi, la difficulté d’intégrer la couleur et la perte relative des limites aux
planches pastel traduisent une certaine menace que fait courir
l’investissement de la réceptivité, de la passivité, signe d’une problématique
prégénitale agissante. La qualité de contenance de l’enveloppe maternelle
primitive se révèle par ailleurs dans ses défaillances, témoignant d’une
certaine fragilité de sa constitution.
TAT
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Au TAT, le protocole est relativement fourni, caractérisé par le recours à
des procédés de toutes les séries, confirmant une certaine souplesse
psychique. Cependant, si la mobilisation face au matériel est importante, la
conflictualité sollicitée rencontre une certaine difficulté à l’élaboration : les
procédés de la série C sont fortement représentés et viennent le plus souvent
ponctuer la fin du récit. On observe ainsi un certain contraste entre la variété
des procédés utilisés dans les séries A mais surtout B, et l’importance des
facteurs d’évitement du conflit qui viennent régulièrement verrouiller
l’expression pulsionnelle et affective8.

8. Cf. en annexe la fiche de dépouillement concernant le TAT de Julien.

167
Catherine Matha

Les procédés les plus représentés du registre rigide sont : l’investissement


descriptif (A1-1), ayant valeur tant de contrôle que d’ancrage, en contrepoint
de la fragilité des limites illustrée par la fréquence des CN (Investissement
narcissique) et CL (Instabilité des limites) ; l’intellectualisation (A2-2), au
service de la mise à distance de l’impact fantasmatique ; et les précautions
verbales, doute ou remâchage (A3-1), illustratives du maintien de la
conscience d’interpréter mais aussi du poids des défenses sollicitées pour
contenir la charge fantasmatique et préserver Julien d’un engagement trop
important, au risque que la pensée piétine parfois.
Le recours aux procédés de type labile est plus fortement et plus largement
représenté. Ces procédés apparaissent plus dégageant car ils permettent
l’expression pulsionnelle mais ils sont souvent débordés par la massivité
projective (E2-3) conduisant parfois à l’altération du discours. L’érotisation
des relations est fréquente (B3-2), mais les personnages sont le plus souvent
anonymes, les conflits se trouvent banalisés et glissent très fréquemment
vers une polarité déconflictualisée, montrant la force des sollicitations
œdipiennes.
Les modes de fonctionnement portant sur « l’investissement narcissique »
et sur « l’instabilité des limites » sont les plus représentés. L’accent est
particulièrement mis sur les qualités perceptives et sensorielles et le repérage
des limites (CN4 et CL2). Les références personnelles (CN1) montrent par
ailleurs l’importance de la mobilisation identificatoire à certaines planches.
Ces éléments ajoutés à l’utilisation ponctuelle des postures signifiantes
d’affects (CN3) attestent de la tentative de repousser les affects au niveau
corporel, de l’enveloppe externe, comme pour se protéger de l’impact
émotionnel, en maintenant l’éprouvé à la périphérie de la psyché.
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La vulnérabilité du monde interne, qui engage la nécessité de ces recours
aux défenses narcissiques et aux limites, laisse émerger une expression plus
massive, l’expression de l’agressivité étant la plus prégnante. Les repères
identitaires peuvent être alors fragilisés (E3-1) et la pensée se désorganise a
minima, ce qui est lisible dans les troubles syntaxiques.
L’intensité sous-jacente des problématiques œdipienne et dépressive est
manifeste. On y retrouve, comme au Rorschach, l’importance des charges
pulsionnelles qui induisent une fragilisation des assises narcissiques.
L’expression affective peut ici cependant se faire, même si le plus souvent
elle s’effectue sur un mode massif induisant un mouvement de repli

168
Le sang amer de la déchirure

narcissique à visée contenante. Le maintien d’une polarité objectale est


évident, illustré par un investissement relationnel important sur le mode
d’une érotisation des relations, qui passe cependant davantage par des
représentations contrastées que par l’expression affective. S’ensuit par
ailleurs fréquemment la nécessité d’un renforcement des limites.
Ainsi, l’investissement du sensoriel semble remplir une fonction de
contention de l’expression pulsionnelle et d’inhibition des possibilités de
résolution conflictuelle. L’espace des perceptions, notamment sensorielles,
paraît utilisé comme forme de contenant de la réalité interne, faisant office
de « pare-excitation », en même temps qu’il en traduit la fragilité. Fragilité
des enveloppes que peuvent illustrer certains des propos d’adolescents qui se
scarifient : « Quand je m’ouvre, je m’ouvre trop » ; « Je suis trop à
découvert ».
La bisexualité à l’épreuve
Rorschach
Au Rorschach, les réponses humaines sont bien représentées ; dans
l’ensemble, pulsionnellement investies et plutôt de bonne qualité formelle.
Les représentations humaines sont soit féminines, soit indifférenciées
sexuellement ou anonymes, ou bien font référence à des figures de l’enfance
où l’immaturité sexuelle est préservée.
La planche V (« Chauve-souris. Fait penser à Batman. Oui, une chauve-souris
avec le petit corps, deux grandes ailes de chaque côté.») est porteuse d’un
mouvement – vraisemblablement défensif – d’idéalisation de soi, dans la
référence à un personnage tout-puissant du monde de l’enfance.
Les représentations partielles (Hd) qui apparaissent sont associées à un
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visage ou une tête. Sous l’impact du pulsionnel, à la planche II, émergent des
réponses anatomiques qui se réfèrent au corps interne osseux (« bassin »,
« colonne vertébrale »), vectrices de représentations phalliques corporelles à
visée de réification narcissique.
Du côté de l’image maternelle, les planches I, VII, IX et X attirent plus
particulièrement notre attention.
Les planches I et IX réactivent toutes deux d’intenses mouvements
projectifs de nature persécutrice, illustratifs d’un versant paranoïde de la
relation à cette image maternelle.

169
Catherine Matha

Pl. I : « Alors là, ça c’est un monstre. Les oreilles, les yeux, la bouche avec le fond
de la gorge, ressemble à un lapin, un lapin monstre. Sinon, la petite tâche c’est le
nez ». Enquête : « Citrouille d’Halloween. La truffe du lapin, sourire macabre ».
On note ici l’immédiateté de la réponse « monstre » et la centration sur le
« sourire macabre », qui lui confère une intentionnalité mortifère. Les
associations condensent ici : des éléments de l’intériorité (« la bouche avec le
fond de la gorge ») qui peut être représentative d’angoisses primaires de
dévoration orale, mais aussi d’une interrogation sexuelle à l’endroit de
l’image maternelle, évoquant une représentation vaginale déplacée vers le
haut ; et des éléments phalliques (« les oreilles », « le nez », « la truffe »).
Représentation bisexuée non sans résonance avec l’angoisse de castration, le
Ddbl étant interprété comme un nez ou une truffe.
À la planche IX, aux fortes sollicitations régressives, après un temps de
sidération important, l’expression d’un vécu d’impuissance et le passage par
la motricité, Julien propose une figure défensive sympathique du monde
infantile (« Mickey »), porteuse d’attributs phalliques. L’étayage de l’enquête
ouvre sur l’expression d’une hostilité, cependant préservée d’anonymat
(« Quelqu’un »).
Pl. IX : « Oh là là !!! C’est plus dur ! Je ne saurais pas du tout quoi dire ! (il tourne
la feuille) C’est Mickey, les deux yeux, les bras, les grandes oreilles. Oui, c’est
Mickey ». Enquête : « C’est Mickey. Quelqu’un qui n’a pas l’air content…Il a ses
bras comme ça (montre) ».
Planche X, on retrouve la valorisation des attributs sexuels phalliques de
valence narcissique liés à l’image féminine :
Pl. X : « Oh là !! Ça j’ai jamais vu…+++ 20”Ça pourrait être…ah oui, une femme.
Un grand manteau rouge, une écharpe, une tête de poisson. C’est ça, mi-femme, mi-
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poisson. Tête dessinée aplatie. Soutien gorge. Le vert, début des jambes. Elle est en
projection, en train de parler, des gens qui jettent des choses qui font des tâches.
Mais elle reste de marbre ». Enquête : « Une femme … deux yeux, l’écharpe, des
bijoux, le bas du pantalon ».
Représentation d’une femme-sirène inversée (« tête de poisson », « corps de
femme ») prise dans une scène sexuelle sadomasochiste. L’image de la Vénus
à la fourrure nous apparaît : statue de marbre recouverte d’un manteau de
fourrure qui se transforme en une femme phallique dominatrice et sadique…
Quant à la planche VII, elle offre une représentation de relations
narcissiques fusionnelles – corps attachés, indifférenciés, en miroir –

170
Le sang amer de la déchirure

investies de libido, érotisées. L’association sur la représentation d’un phallus


féminin actif (« les cheveux qui montent ») entraîne un mouvement de
réfrènement libidinal (« assises »). Problématique phallique qui induit un
léger trouble dans l’identité sexuée : on passe du genre masculin (siamois)
au genre féminin (assises).
Planche VII : « Des siamois qui seraient face à face en train de danser. Ça fait penser
à une tête de profil. Les cheveux qui montent, assises en tailleur, face à face. C’est
tout ».
Cette représentation symbiotique et la scène masochiste de la planche X
nous font associer à la proposition de D. Anzieu selon laquelle le fantasme
originaire du masochisme serait constitué par la représentation d’une peau
commune à l’enfant et à sa mère.
Ainsi, dans ce protocole, l’image maternelle apparaît comme une figure
inquiétante et bisexuée. D’autre part, les identifications féminines
prédominent, illustrant la force des interrogations autour de la bisexualité
chez ce garçon. C’est toujours une identification féminine phallicisée qui
porte la polarité pulsionnelle active.
Dans ce questionnement autour des positions sexuées chez Julien, l’oralité
semble occuper une place particulièrement importante. Par ailleurs, la
symptomatologie mise en évidence chez cet adolescent met l’accent sur des
conduites orales addictives, interrogeant d’emblée le lien entre les
scarifications et la problématique orale.
La planche VI propose une représentation de peau d’animal dépecé dont
on a coupé la tête :
Pl. VI : 14” « Le haut, c’est un félin, un chat. Les moustaches, le museau. Le bas, ça
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fait pas penser du tout à ça. Un chat mort, il s’est fait écraser par une voiture. Des
traces de sang. Non, une peau de renard, de loup. Ils ont gardé la tête, tendu la peau
pour faire des habits, des fourrures ».
Dans cette séquence, la centration sur le détail phallique de la planche, par
un mécanisme d’isolation, permet une représentation adéquate de contenu
actif phallique. Mais l’isolation ne tient pas et le contenu « chat » se trouve
associé à une scène sexuelle mortifère. L’enveloppe effractée (« s’est fait
écraser ») et les traces de sang soulignées montrent la sensibilité à
l’estompage du dessin. Sa reconnaissance, puis l’appui sur une dénégation,
ouvre sur une réponse « peau » : représentation de l’alliance d’une enveloppe

171
Catherine Matha

contenante réceptive avec un contenu phallique chargé d’une valeur d’oralité


agressive. On trouve ici une représentation bisexuelle où l’implication d’un
tiers (« ils ont gardé la tête… ») laisse poindre un fantasme sadomasochiste
d’arrachage de la peau. Cette séquence associative montre le travail de
liaison pulsionnelle de la destructivité, effectué par le recours à la
fantasmatique sadomasochiste.
La planche IV illustre une sexualité orale où la question de l’incorporation,
prototype corporel de l’introjection et de l’identification, se trouve
problématisée. Le terme d’incorporation, introduit par Freud en 1915 en
référence à la notion de stade oral alors que s’élabore la théorie des pulsions,
intrique les activités sexuelles et alimentaires. Cette sexualité orale est
constitutive pour M. Klein (1957, Envie et gratitude), à la suite de Freud, de
la constitution des premières limites soi/hors soi.
Planche IV : « On dirait quelqu’un couché. Ce sont les plats des pieds, le fond de la
tête, les bras cachés dans l’ombre. Il tousse. C’est du vomi qui coulera, tête relevée,
tousserait, vomirait, recracherait quelque chose ».
Julien propose la représentation d’un personnage anonyme indifférencié
dans le sexe, dans une position de passivité (« couché »). La description de sa
perception est particulière : elle insiste sur ce qui constitue les limites de
notre verticalité (« plat des pieds » et « fond de la tête »).
« Les bras cachés dans l’ombre » évoquent une culpabilité masturbatoire. La
scène qui suit rend compte du passage à une position active et propose une
représentation orgasmique d’éjaculation orale par déplacement du bas vers
le haut. Réponse qui illustre une confusion des zones sexuelles orale et
génitale.
Le contenu « vomi », localisé sur l’élément phallique de la planche, retient
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notre attention : il renvoie à une transformation-destruction de quelque chose
d’avalé mais qui reste indigeste : représentation d’un objet introjecté non
satisfaisant, voire mauvais, et dont il s’agirait de se débarrasser sur un mode
pulsionnel. Ceci nous rappelle les propos des adolescents qui associent les
scarifications, recours en acte pulsionnel, au besoin de se décharger du
mauvais en soi : « Quand je me coupe, c’est comme si tout le mauvais en
moi sortait ».
Freud a insisté sur la complexité et la multiplicité des relations qui existent
entre les fantasmes et les symptômes. Un symptôme ne correspond jamais à
un fantasme inconscient unique ; la signification bisexuelle des symptômes

172
Le sang amer de la déchirure

hystériques étant notamment soulignée. « La solution du symptôme exige


deux fantasmes sexuels dont l’un a un caractère masculin et l’autre un
caractère féminin, de sorte que l’un de ces fantasmes prend sa source dans
une motion homosexuelle », dit Freud (1908) qui prend l’exemple d’une
patiente hystérique vomisseuse qui réalise alors deux désirs contradictoires :
elles mime une grossesse désirée et en même temps maigrit, perdant ses
rondeurs féminines.
Dans cette perspective, nos propres associations, liées à notre
questionnement concernant les enjeux de bisexualité dans le recours aux
scarifications, nous conduisent à penser que la représentation donnée à cette
planche pourrait condenser à la fois une problématique de castration
(l’introjection du phallus qui induit la confrontation à la castration serait
défaillante) et un fantasme de naissance. Ceci en association à la figure
mythique de Kronos, qui avale ses enfants pour éviter la castration dont ils
le menacent, comme lui l’avait réalisé sur son propre père Ouranos. Il les
vomit quelques années plus tard, de façon à les remettre lui-même au monde.
C’est finalement par un subterfuge maternel que Zeus, échangé par sa mère
avec une pierre phallique, échappe à son destin d’engloutissement, châtre
son père, et réintroduit la femme, c'est-à-dire la différence sexuelle.
Ainsi, pourraient se trouver condensés ici : scène sexuelle, problématique
de castration et fantasme de naissance ; représentations qui nous rappellent
les positions féminines décrites comme masochistes par Freud (être coïté,
être castré, enfanter), dans un contexte qui interroge cependant la dynamique
objectale puisqu’il s’agit plutôt de se coïter, se castrer, s’enfanter ; verbes
dont la forme transitive souligne la difficile tolérance à la passivité.
TAT
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Au TAT, les impasses identificatoires œdipiennes sont importantes.
L’élaboration du conflit œdipien paraît difficile. Les positions
identificatoires privilégiées interrogent le rapport à la castration de Julien,
notamment dans ses liens avec la problématique dépressive de perte.
K. Abraham et M. Torok (1972) ont montré, après les travaux de Freud sur
le cannibalisme (Totem et Tabou, 19xx ; Deuil et Mélancolie, 1915), les liens
électifs que celui-ci entretient avec la perte d’objet. La planche 3BM du TAT,
en écho à la planche IV du Rorschach, rend compte de la difficulté
d’élaborer la position dépressive et des défenses coûteuses qui doivent être
mobilisées.

173
Catherine Matha

Pl. 3BM 7” : « Alors là, ça pourrait, c’est très simple. Quelqu’un qui aurait pas mal
bu, écrasé sur ce banc qui reste comme ça, sans bouger parce qu’il a trop bu ».
Le scénario, restrictif, met en scène un personnage anonyme et non sexué
dans une posture signifiante d’affect (« écrasé ») qui renvoie à l’attaque de
l’enveloppe narcissique, à une représentation narcissique de soi dans un
registre de défaillance, voire de déchéance. Il n’y a pas de représentation de
relation de perte : l’autre est ici balayé de la scène interne. C’est une scène
d’avidité orale insatiable, ressentie en termes de blessure narcissique par un
retournement pulsionnel qui contraint à la passivité.
Cette planche est-elle l’illustration de l’insuffisance du lien à la mère
symbiotique, comme semble en attester le Rorschach et la pl. 13B ? Est-elle
l’illustration d’une attente insatiable à l’endroit du père préœdipien, ce qu’il
nous faut chercher ? Ces deux versants allient-ils leurs effets, favorisant une
relation identificatoire particulière ?
P. Blos (1962) a souligné l’importance de la qualité des éléments
préœdipiens dans la construction psychique du jeune garçon. La figure
paternelle y occupe une place essentielle pour permettre au garçon de sortir
de l’unité symbiotique qu’il partage avec sa mère. Dans le processus de
séparation/individuation, cette figure constitue un arrimage essentiel pour
sortir de la passivité primaire et surmonter le travail de la perte.
L’idéalisation de cette image paternelle sur un mode d’abord dyadique
permet au garçon de consolider son identité générique, sa masculinité, à
travers la concrétude de son pénis.
Le travail d’adolescence doit permettre ensuite la progressive extinction de
ce lien privilégié, ce que F. Pasche (1965) nomme « le sevrage du père ».
Dans ce mouvement, la désidéalisation du père est indispensable, mais
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entraîne une dépression secondaire portée par cette conscience nouvelle de
la mortalité du père.
Chez Julien, la déception phallique narcissique s’exprime avec force à la
planche 1 à l’appui d’affects forts (« triste », « terriblement déçu »). Le
« cadeau » lié à la sexuation ne peut pas être investi comme objet de
satisfaction narcissique et confronte à un vécu d’impuissance qui souligne la
sensibilité dépressive à l’angoisse de castration. Julien s’en extrait par une
pirouette où l’idéal du moi se trouve fortement mobilisé. Peut apparaître
alors une problématique dépressive de perte d’objet.

174
Le sang amer de la déchirure

Pl. 1 2” : « Là déjà, on voit un enfant qui paraît triste, il contemple un violon ou un


violoncelle. On va dire un violon. Peut-être un enfant qui a reçu ça en cadeau qui est
terriblement déçu. L’enfant s’attendait à avoir un jouet sympathique, il sait pas à
quoi ça sert, il ne sait pas s’en servir. Mais peut-être un jour, il deviendra un grand
musicien. Après sinon, on peut imaginer que c’est son frère ou quelqu’un de la
famille qui avait le violon et qui est mort. C’est la seule chose qui reste de cette
personne, ça fait penser à cette personne, c’est pour ça qu’il est triste. Voilà ».
La mise en avant de cette problématique dépressive de perte recouvre des
liens indéniables avec la problématique de castration. L’appartenance de
l’objet violon, équivalent pénien, n’est pas celle du protagoniste principal
mais est rapportée à une autre figure masculine (« un frère ou quelqu’un de la
famille ») morte ou castrée, déplacement vraisemblable de la figure
paternelle. La mise en avant d’une appropriation impossible de l’instrument
viserait à épargner le père et à le restaurer, en même temps qu’elle
protègerait Julien des menaces de castration, le préservant du même sort. Il
s’agirait de renoncer à l’héritage phallique paternel plutôt que d’en assumer
la possession qui soumettrait inévitablement à la castration.
La séquence associative des quatre planches (6BM, 7BM, 8BM, 10) qui
interrogent plus spécifiquement la relation à l’image paternelle est
intéressante :
Pl. 6BM 10” : « J’ai une idée. Un fonctionnaire qui annonce pendant la première ou
la seconde guerre mondiale que son fils est mort. C’est après la guerre, en fait un
ancien camarade, un ancien ami de fac annonce à sa mère que son fils est mort à la
guerre. Voilà…Il a son chapeau dans les mains « je viens vous annoncer que votre
fils est mort à la guerre honorablement » (très théâtral) Ensuite, la grand mère
regarde, le regard perdu dans le vide par la fenêtre. Oui, c’est tout ».
La force de l’impact fantasmatique d’un rapproché mère/fils dans le cadre
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d’une problématique œdipienne se manifeste par les dérapages syntaxiques,
la confusion identitaire, le remâchage qui induit une certaine confusion dans
l’histoire, et par l’impossibilité à exprimer des affects liés à la représentation
de la perte. L’étayage sur le descriptif ouvre sur un mouvement de
dramatisation qui permet de mieux exprimer et contenir le fantasme de mort
et vise à dégager Julien de l’angoisse dépressive. Les mécanismes de défense
pour maintenir l’image maternelle à distance sont fortement mobilisés : on
observe le déplacement sur une image grand-maternelle, moins excitante. Le
récit s’achève par une posture signifiante d’affect dans un trouble syntaxique
qui marque la fragilité des espaces interne/externe.

175
Catherine Matha

À noter : le fantasme parricide, fréquemment évoqué à cette planche, se


transforme en mort du fils, en infanticide. L’« honorablement » peut signifier
que le fils a assumé ici sa fonction phallique, qu’il a pu occuper la place du
père, mais qu’il le paye de sa mort. On l’a vu : la mort est très présente tout
au long du protocole.
À la planche suivante, à l’abri d’une précaution verbale, et en s’étayant sur
une description détaillée, Julien propose une représentation contrastée où les
protagonistes bénéficient d’un statut social particulièrement valorisé. Statuts
leur conférant des fonctions liées respectivement à la loi et à la transgression.
Cependant, malgré l’évocation d’« horreurs », la relation se noue sur un
mode de complicité, l’affrontement conflictuel attendu glissant sur la toute-
puissance suggérée de la transgression (« la mafia »).
Pl. 7BM 11” : « On dirait, lui, fait penser au commissaire de police : moustache, âgé,
il a une tête qui a vu pas mal d’horreurs. A côté, ça pourrait être un envoyé, un
politicien, un envoyé de la mafia pour négocier avec le commissaire. Voilà, c’est tout ».

Pl. 8BM 3” : « Oh là ! » 10” « Alors là, ça pourrait être lui, un enfant, assez jeune,
de mon âge, sûr, responsable de la mort de cet individu qui semble, on ne sait même
pas s’il est mort. Bref, pour une raison ou pour une autre l’a envoyé dans les mains
de ce tortionnaire, pour une histoire d’argent. Les deux tortionnaires ont donné
l’argent pour ce garçon, pour qu’il ramène, pour qu’il subisse un mauvais quart
d’heure, un mauvais traitement. Il a la tête, le regard complice ».
Si l’identification au jeune garçon est immédiate et forte (exclamation,
référence personnelle), la figure paternelle reste anonyme, évoquée sur un
mode un peu péjoratif (« individu ») au service de la mise à distance. La force
de l’agressivité laisse s’exprimer un désir parricide dont le protagoniste
central, qui occupe une position active, porte la responsabilité. L’ouverture
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sur un fantasme pervers sadomasochiste (scène de torture) dans un contexte
d’analité permet la relance d’une réintrication pulsionnelle.
La confusion des identités dans la deuxième partie du récit montre la force
de l’identification à l’objet sadisé : Julien devient ainsi à la fois le sadique et
le masochiste. Scène évocatrice du fantasme de fustigation « Un enfant est
battu » pour lequel Freud (1919) affirmait qu’il dérivait de la liaison
incestueuse au père. Le renversement du fantasme où le père est battu par le
fils – mise en scène de la castration du père par le fils – manifeste une
possibilité identificatoire dans un contexte de masochisme féminin qui
permet de lier la destructivité.

176
Le sang amer de la déchirure

La planche suivante confirme la force de la problématique homosexuelle


active :
Pl. 10 9” (regard étonné) « Ça pourrait être un curé qui donne sa bénédiction, il est
habillé tout en noir. Comme c’est un baiser sur le front, c’est un baiser de protection.
L’autre a l’air d’un homme aussi, deux homosexuels… un prêtre ou un curé donne
une bénédiction, ça pourrait être ça aussi. Voilà ».
Récit plutôt restrictif mais qui propose une scène interpersonnelle avec
érotisation des relations. La représentation d’une scène de tendresse
protectrice, dans un mouvement de formation réactionnelle où l’accent est
mis sur la nature chaste de la relation entre deux hommes, laisse brutalement
émerger un fantasme homosexuel.
Cette séquence associative montre la force du lien érotisé à la figure
paternelle par l’adolescent à une période qui se caractérise généralement par
la désexualisation et le désinvestissement du rival œdipien.
Ainsi, le cas de Julien montre la difficulté à renoncer à un père idéal ainsi
que l’arrimage à une mère phallique, renoncements nécessaires qui ouvrent
l’accès aux identifications secondaires.
Le féminin se révèle donc à deux « niveaux »:
– par la préservation d’une identification primitive au féminin maternel
phallique ;
– en lien avec une position psychique de nature homosexuelle avec le père
dont l’idéal est préservé, rendant périlleuses les « négociations » autour de
la castration.
Les éléments des projectifs attestent de la difficulté pour Julien d’en passer
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par une position passive. Doit-on y voir les effets de l’identification féminine
maternelle primaire qui entraînerait des fantasmes de fusion et de
passivation terrifiants conduisant à la recherche défensive d’une position
homosexuelle active ?
Un autre écueil se profile pour cet adolescent : les défenses psychiques
paraissent fortement mobilisées pour la préservation d’un père incastrable,
garant de l’incastrabilité du fils et constituant du même coup un obstacle aux
identifications œdipiennes.

177
Catherine Matha

LE SANG AMER DE LA DÉCHIRURE


Le titre choisi pour aborder la clinique des scarifications, « Le sang
amer de la déchirure », se voulait donc polysémique et métaphorique. La
« déchirure » évoque, au-delà de la lacération effective de la peau, la
symbolique de castration et des différents niveaux que celle-ci comporte. Le
terme « amer » évoque la figure maternelle (la mère) ; mais aussi l’amer (de
l’amertume), comme saveur caractérisée par l’âpreté, la rancœur, le chagrin
et la douleur ; et encore l’amer, celui d’une référence fixe (objet phallique
côtier) pour le navigateur adolescent qui peut lui servir de repère dans cette
traversée de la mer(e) qui le conduira des terres infantiles aux terres adultes.
Les enjeux de bisexualité apparaissent centraux dans la clinique des
scarifications, ce que confirme ici notre clinique masculine singulière. La
problématique de castration s’exprime dans toute sa complexité à différents
niveaux, notamment primaire et œdipien :
– Au niveau de la castration primaire, en référence avec la séparation
d’avec l’objet primaire maternel. Les éléments cliniques des projectifs
illustrent la préservation d’une imago maternelle archaïque menaçante. La
fragilité des limites et des fonctions de pare-excitation a été soulignée, en
écho avec la précarité du symbolisme maternel dans ses fonctions de
contenance, d’enveloppe, ainsi qu’avec un vécu de passivation face à
l’effraction pulsionnelle qui induit un contre-investissement de la passivité.
Ces différents aspects semblent confirmer que le recours aux scarifications
révèle la permanence d’une certaine adhésivité préœdipienne au corps
maternel, en même temps qu’il en souligne la tentative de s’en défaire, de
s’en couper, d’une façon dont la radicalité du geste trahit la force d’emprise
du lien. À ce niveau, la scarification relèverait de la mise en scène d’une
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séparation, liée à l’expression d’un désir de s’extraire d’une identification
originaire. Le corps écorché, entaillé activement, serait la manifestation de
cette douleur du lien d’attachement vécu sur le mode de la passivation et de
la tentative de s’en déprendre.
– Au niveau de la castration phallique ensuite, dans le difficile
renoncement à la bisexualité infantile. Les tests illustrent l’arrimage à une
mère phallique et la prédominance des identifications féminines phallicisées
porteuses de la polarité pulsionnelle active. Cette revendication d’une
position féminine par l’adolescent maintiendrait un fantasme de bisexualité
car l’adolescent ne renonce toutefois pas à une position active : dans cette

178
Le sang amer de la déchirure

mise en acte, il est à la fois le sadique et le masochiste, celui qui coupe et


celui qui est coupé. Seul acteur d’une scène sexuelle de défloration
(pénétration de la peau par un objet contendant qui déchire, créant le
saignement) qu’il serait sans doute intéressant de mettre en rapport avec le
fantasme d’autoengendrement. De même, si la scarification comporte
l’acceptation d’une certaine castration, c’est encore sous le signe du
paradoxe. Mise en scène de la castration féminine, le sang qui coule peut
s’apparenter au sang des règles, assimilable à la perte de la virginité
infantile, mais aussi à la potentialité d’enfantement, en même temps qu’il en
signale l’avortement.
Dans cette tentative de se départir de l’identification maternelle phallique
par castration, la place du père se trouve questionnée. Occupant une place
essentielle dans le sevrage de la mère archaïque, il en permet la séparation
par sa protection et l’incarnation d’un idéal narcissique dont l’enfant peut
s’emparer par identification. Or ce que nous montre le cas de Julien est que
le difficile et douloureux renoncement à la bisexualité se double de
l’insuffisance du père différenciateur. L’étayage sur une représentation
paternelle n’est pas suffisamment fiable pour sortir de la relation maternelle
symbiotique. Il semble que la relation au père interne soit dominée par des
angoisses de castration et la difficulté d’assumer une position virile.
Ce que cet exemple clinique laisse penser est que la scarification
comporterait une fonction défensive dont l’objectif serait d’épargner le père
de la castration. La scarification serait une façon de prendre les devants
d’une menace de castration du père et par le père : le sujet s’identifiant à lui,
par les scarifications, se castrerait symboliquement.
La composante masochiste des scarifications a été régulièrement
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soulignée. Elle semble constituer un élément positif pouvant soutenir un
mouvement trophique à l’adolescence.
Du côté du masochisme érogène, la recherche de réintrication pulsionnelle
est manifeste. Aventure érotisée du corps, la scarification met à l’épreuve
l’enveloppe du moi dans sa fonction de pare-excitation pour en confirmer sa
contenance tout en en révélant sa fragilité. Ainsi, la coupure comme
inscription sur le corps témoignerait de la réceptivité des excitations, dans
une forme de mise en mémoire superficielle. La douleur qui l’accompagne
permettrait l’intériorisation de la trace dans la mémoire. Elle permettrait
également l’identification pulsionnelle, l’intériorité se donnant à voir sur la

179
Catherine Matha

surface externe du corps dans un processus similaire à la configuration de


l’anneau décrit par le mathématicien Moebius : déplacement de l’interne
vers l’externe dans une continuité de surface.
Du côté du masochisme féminin, composante passive et castrée selon
Freud (1924), il se révèle ici dans la paradoxalité. On a constaté la difficulté
d’accepter tant la castration qu’une position passive. En contrepoint, le choix
d’une identification féminine est privilégié par cet adolescent. Cependant,
cette identification reste inscrite dans un registre d’exhibition phallique qui
nuance l’accession à une position passive.
Quant au masochisme moral, il se révèle par l’importance d’un vécu de
honte – exprimé plus aisément dans l’après-coup de l’acte – lié à la force des
sollicitations œdipiennes. Le mouvement de recentration narcissique, de
retournement pulsionnel contre soi, vise un objectif tant punitif que dévoué à
épargner l’objet promoteur de haine. En effet, dans cette attaque du corps, il y
a toujours un tiers interpellé, dans une forme de jeu de cache-cache où cacher
procure beaucoup de plaisir, mais où « n’être pas trouvé est une catastrophe »
comme le souligne D.W. Winnicott (1969, p. 160). L’objet n’est jamais « perdu
de vue », le geste lui reste adressé. Ainsi, plutôt qu’un désinvestissement des
relations d’objet, la scarification a valeur d’interpellation de l’objet. En
témoigne l’expérience clinique, qui montre que quand il y a un investissement
objectal dans le cadre d’entretiens proposés pendant l’hospitalisation, les
scarifications cessent assez rapidement.
Ainsi, nous pensons que le recours aux scarifications est une façon de faire
« sortir » la douleur morale, d’en tenter la figuration et la contenance dans un
acte qui en permet la circonscription. La scarification marque une séparation,
une limite à la force de l’engagement narcissique, dans son inscription sur le
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corps propre et dans l’interpellation de l’objet qu’elle recèle.
Les adolescents qui se scarifient mettent en acte pour éprouver et mettre en
scène. Ce qu’ils ne peuvent se figurer se traduit par un acte qui permet de
faire apparaître quelque chose qui ne peut se reconnaître et s’exprimer par la
parole dans une adresse à l’objet ; qui doit pouvoir d’abord s’éprouver dans
la sensation, puis dans le regard de l’autre. Cette externalisation objectivable
des enjeux de la bisexualité sur la surface corporelle permet secondairement
leur appropriation psychique.

180
Le sang amer de la déchirure

RÉFÉRENCES

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181
Catherine Matha

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in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, pp. 150-168.

Catherine Matha
SUPEA
Service du Pr. Marcelli
Centre Hospitalier Henri Laborit
Boite Postale 587
86021 Poitiers
e-mail : Mathacatherine@aol.com

182
Le sang amer de la déchirure

Abstract – The bitter blood of the wound. Scarification is a type of acting out
which condenses the problem configuration of the activity/passivity binome in its
double sadistic and masochistic dimension and which orients our thought toward
bisexuality. Through the study of Rorschach and TAT protocols of a 16-year-old
male scarificator, this article proposes to consider the value of this type of act during
adolescence. Our hypothesis is that recourse to scarifications in adolescent boys
might indicate a certain maintenance of infantile bisexuality whose aim is to defuse
castration anxiety and at the same time, to search for a conflictual elaboration by
« putting the feminine to work » through the presentation of a body inscription
which promotes the interiorisation process and symbolization.

Key words : Scarification – Adolescence – Bisexuality – Masochism.

Resumen – La sangre amarga del desgarro. La escarificación es un recurso en


acto que condensa la problemática del binomio actividad/pasividad en su doble
dimensión sádica y masoquista, remitiéndonos a la cuestión de la bisexualidad. A
través de los tests proyectivos (Rorschach y TAT) de un jóven escarificador de 16
años, este artículo pretende reflexionar sobre el valor de este tipo de recursos
durante la adolescencia. La hipótesis planteada es que el recurso a la escarificación
en el adolescente significaría una cierta mantención de la bisexualidad infantil
destinada a conjurar la angustia de castración, así como la búsqueda de una
elaboración conflictual por la « puesta en trabajo » de lo femenino a través del
testimonio de una inscripción corporal que favorecería los procesos de
interiorización y simbolización.

Palabras clave: Escarificación – Adolescencia – Bisexualidad – Masoquismo.


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Catherine Matha
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Le sang amer de la déchirure

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Catherine Matha

Protocole de TAT de JULIEN, 16 ans 6 mois

1 – 2” Là déjà, on voit un enfant qui paraît triste, il contemple un violon ou un


violoncelle. On va dire un violon. Peut-être un enfant qui a reçu ça en cadeau, qui
est terriblement déçu. L’enfant s’attendait à avoir un jouet sympathique, il sait pas à
quoi ça sert, il ne sait pas s’en servir. Mais peut-être un jour, il deviendra un grand
musicien.
Après sinon, on peut imaginer que c’est son frère ou quelqu’un de la famille qui
avait le violon et qui est mort. C’est la seule chose qui reste de cette personne, ça
fait penser à cette personne, c’est pour ça qu’il est triste. Voilà.

2 – 3” Ça fait penser à une affiche propagandrice. Ou alors ça pourrait symboliser,


elle a des livres, symbolise, la femme représente la culture, la littérature, toutes les
matières intellectuelles. En arrière-plan, là, un paysan fait labourer son champ avec
son cheval. On voit que la femme est un peu tourmentée. Elle a un regard de pitié
mélangé avec dégoût dans son regard. Alors que les deux personnes derrière ont l’air
occupé. Elle est habillée pour être une fille coincée. Alors les paysans sont torses
nus. Sinon elle est issue de la bourgeoisie. On voit du coup la classe paysan, alors
elle s’accroche aux livres. Rappelle fortement les positions de classe de Karl Marx.
Ça fait penser. Donc voilà.

3BM – 7” Alors là, ça pourrait, c’est très simple. Quelqu’un qui aurait pas mal bu,
écrasé sur ce banc, qui reste comme ça, sans bouger parce qu’il a trop bu.

4 – 11” Wahou !! Déjà, derrière, on voit l’image d’une femme nue ou très peu vêtue.
Ça pourrait faire penser à un bordel. La femme fait penser aux années 1930. Le
dessin fait penser à l’univers américain 1930. Et l’histoire : on voit que c’est la
femme qui s’agrippe. Elle voudrait l’empêcher d’aller quelque part et lui, avec son
regard fou, il part pour l’aventure. Il s’en va quoi, voilà, c’est tout.
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5 – 8” Alors là, déjà, c’est un intérieur, un salon. Il fait nuit, la lampe est allumée, ça
se voit avec l’éclairage. Je ne sais pas. On pourrait penser la femme de ménage ou
la femme de chambre a entendu un bruit bizarre. Elle va regarder qu’est-ce qui se
passe. Voilà. Elle inspecte un peu la maison. On peut imaginer des bruits. Voilà, c’est
tout.

6BM – 10” J’ai une idée. Un fonctionnaire qui annonce pendant la première ou la
seconde guerre mondiale que son fils est mort. C’est après la guerre, en fait un
ancien camarade, un ancien ami de fac annonce à sa mère que son fils est mort à la
guerre. Voilà…Il a son chapeau dans les mains « je viens vous annoncer que votre
fils est mort à la guerre honorablement » (très théâtral) Ensuite, la grand mère
regarde, le regard perdu dans le vide par la fenêtre. Oui, c’est tout.

186
Le sang amer de la déchirure

7BM – 11” On dirait, lui, fait penser au commissaire de police : moustache, âgé, il
a une tête qui a vu pas mal d’horreurs. A côté, ça pourrait être un envoyé, un
politicien, un envoyé de la mafia pour négocier avec le commissaire. Voilà, c’est
tout.

8BM – 3” Oh là ! 10” Alors là, ça pourrait être lui, un enfant, assez jeune, de mon
âge, sûr, responsable de la mort de cet individu qui semble, on ne sait même pas s’il
est mort. Bref, pour une raison ou pour une autre l’a envoyé dans les mains de ce
tortionnaire, pour une histoire d’argent. Les deux tortionnaires ont donné l’argent
pour ce garçon, pour qu’il ramène, pour qu’il subisse un mauvais quart d’heure, un
mauvais traitement. Il a la tête, le regard complice.

10 – 9” (regard étonné) Ça pourrait être un curé qui donne sa bénédiction, il est


habillé tout en noir. Comme c’est un baiser sur le front, c’est un baiser de protection.
L’autre a l’air d’un homme aussi, deux homosexuels, un prêtre ou un curé donne une
bénédiction, ça pourrait être ça aussi. Voilà.

11 – 10” C’est quoi ? Ah OK ! Alors il y a une route, un pont gothique, une arche
gothique, une falaise, une immense tour. Il y a des briques qui sont tombées. On
dirait qu’il y a du feu, des formes qui courent, des animaux ou des hommes. Ils ont
l’air pressé, rapide. La forme qui sort dans l’air fait penser à un dragon qui crache
du feu, qui serait poursuivi, en tout cas, très médiéval, le pont gothique, les arches,
c’est très médiéval. Voilà.

12BG – 11” Une barque et un arbre. Apparemment un lac, un ruisseau, non, une
rivière. Le repère amoureux sous cet arbre. Oui, c’est un lieu de rendez-vous, un
repère en tout cas.

13B – 3” On voit un petit enfant assis sous une grande porte, il a l’air triste, pieds
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nus, mains nues. Il a perdu sa famille. A l’entrée, on voit des briques tombées.
L’immeuble est une ruine. Un enfant est assis là, perdu. Il ne sait pas quoi faire. Il
prie que tout ira mieux. La maison est abîmée, il n’y a plus la porte. Des briques
tombées.

13MF – 5” Alors, la femme est allongée on ne sait pas qu’elle est morte ou pas, il
détourne, cache son regard, horrible à voir. Sa femme qui est morte. On peut penser
que c’est un tueur. Pas forcément quelqu’un de normal. Il s’est disputé très
violemment. Il a eu une impulsion violente. Peut-être je vais trop vite ? Il se
détourne, il n’ose même pas regarder. Il a eu une pulsion violente. Elle a dû dire
quelque chose, lui a dû réagir violemment, c’est maintenant qu’il se rend compte. Il
ne peut même pas regarder l’acte. Il a honte et peur, peut-être des regrets. S’il l’a

187
Catherine Matha

tuée, ça veut dire qu’il a dû l’aimer. Il doit être quelqu’un pas très stable
psychologiquement. Voilà. La femme est morte, le bras est tombé. C’est sûr elle est
morte. Un autre : ce sont les seins de la femme qui l’ont choqué mais ça m’étonnerait
(il rit) sauf s’il n’est pas très moral, pas au point de détourner le regard (il rit).

19 – Wahou ! 20” Ça fait penser à plusieurs choses. On dirait tout ça c’est une
maison, fenêtre, la cheminée, vent violent et froid dehors. Ou une locomotive, la
cheminée, deux roues au milieu du vent, des nuages. Oui et voilà, une locomotive,
oui. Sinon, je n’ai pas d’histoire à raconter (il rit embarrassé). Voilà.

16 – Ah d’accord (il retourne la planche). Elle est vide. Ben… la page


blanche…qu’est-ce qu’elle pourrait symboliser la tache blanche comme ça. Oui,
pourrait symboliser le vide, le drapeau royaliste (il rit). Ce serait une chose. Non, je
ne sais pas. Une histoire à raconter, un drapeau blanc, la capitulation avec le drapeau
blanc. La feuille blanche, ça pourrait représenter le vide, le rien. D’une certaine
manière, c’est la seule manière de voir le vide non toucher. C’est tout. En général, il
y a toujours quelque chose ? Ça c’est pur. On pourrait imaginer une feuille noire, la
feuille blanche est identique à la feuille noire.
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Le sang amer de la déchirure

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