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Le BSC est un magnifique outil qui peut être utile à trois

niveaux : indicateurs fondamentaux de suivi d'activité


(niveau 1), indicateurs fondamentaux et indicateurs de
progrès (niveau 2), et indicateurs fondamentaux,
indicateurs de progrès et objectifs stratégiques partagés
(niveau 3). Dans la pratique, il n'est pas facile d'atteindre
le niveau 3, celui qui permet à chacun de trouver un
sens à son action. La fonction finance gestion a son rôle
à jouer dans la réussite du processus.

Balanced Scorecard et conduite de la stratégie

Laurent Ravignon, gérant, Alpha Cen – Performance, pilotage, stratégie

Plus d’un an de recul sur le Balanced Scorecard (BSC) en ayant accompagné


plusieurs projets m’a convaincu qu’il est impossible de parler d’un outil sans parler de
la diversité des ses applications.

En voici trois exemples :


• J’ai vu un Balanced Scorecard mis en place et comme un outil de plus du
pilotage de l’entreprise. Celle-ci avait plutôt sacrifié à la mode : après une
reformalisation des objectifs stratégiques et une conception de maquette
intelligente, certains objectifs (des mots affichés au fronton de l’entreprise)
n’ont pas remis en cause les plans d’action et encore moins le management.
Une recherche collective et subtile des objectifs opérationnels et des
indicateurs associés met un certain temps à aller au-delà de l’utilisation de
l’outil tableau de bord du fait d’un management plutôt autoritaire : travailler en
surface, montrer une modernité étaient en fait les vrais ressorts des dirigeants.
Même si la maquette apparaît belle, sa conception a révélé le style de
management, le Balanced Scorecard est plus un outil de mise sous pilotage
qu’un outil au service de la stratégie, malgré les discours affichés. Néanmoins,
la manière dont cette conception limitée a été révélée est un message
important pour l’entreprise à condition qu’elle veuille bien l’écouter.
• Deuxième exemple : j’ai aussi vu un Balanced Scorecard où le contrôle de
gestion a hésité avant de prendre en charge son animation, car ce
département était orienté essentiellement finance et budget. Le fait de l’avoir
en charge sans moyens supplémentaires était une difficulté apparemment
insurmontable.
• Troisième exemple : j’ai également vu un Balanced Scorecard conçu et animé
par les responsables qualité. D’ailleurs, le Balanced Scorecard fait partie du
référentiel EFQM1, comme si ce modèle était la voie unique et comme si
l’entreprise n’avait pas les compétences suffisantes pour se créer son propre

1
European Foundation for Quality Management;
tableau de bord stratégique. Il s’agit d’une PME dans le secteur de la
distribution, filiale d’un groupe international, dans lequel le BSC a ensuite été
repris par une assistante commerciale. Après un an de maquette et de
paramétrage simple avec des outils bureautiques, le BSC est maintenant
présenté à l’ensemble des dirigeants et, surtout, le président utilise les quatre
perspectives du BSC pour communiquer toutes les impulsions opérationnelles
ou stratégiques données à ses équipes.

Ces trois exemples appellent plusieurs commentaires :


• Que faire de l'outil ? Le Balanced Scorecard est certes un superbe outil, mais
il peut soit servir à construire un tableau de bord plus orienté stratégie, soit
devenir un outil dans une vraie conduite de la stratégie.
• Quelle réflexion mène les entreprises ? Elles doivent apprendre à réfléchir sur
elles-mêmes (faire un peu d’introspection): l’important n’est pas l’outil, mais ce
que l’entreprise souhaite en faire.
• Comment l’entreprise se comporte-t-elle vis-à-vis de l’information ?
Confidentialité, focalisation sur le court terme, traitement identique de toute
l’information produite ou hiérarchisation, volonté de se concentrer sur la route
à parcourir à long terme ?
• Comment se comportent les managers ? Le traitement et l’utilisation des
indicateurs produits peuvent être très concentrés sur quelques managers ou
déconcentrés afin de développer l’autonomie.

Tout cela nous amène à réfléchir non seulement au tableau de bord, à son contenu
mais aussi à sa conception, à sa diffusion et à son utilisation. Ces éléments font bien
passer la discussion dans l’entreprise de la question de l’outil à l'utilisation qu'elle
veut en faire. Ainsi, à partir du même outil, il est possible de dégager trois niveaux
d’utilité du Balanced Scorecard. Le chef de projet, avec la direction générale, doit
préciser le niveau à mettre en place.

Le tableau de bord orienté stratégie : première étape indispensable vers la


conduite de la stratégie

Un tel tableau de bord doit permettre de bien mesurer le chemin à parcourir pour
atteindre des objectifs stratégiques. Son rôle est indiscutable. Le budget, les
tableaux de bord mensuels sont, eux, orientés court terme ; ils mesurent plus un suivi
de l’activité, des écarts par rapport aux budgets, mais sont inaptes à mesurer des
progrès, des marges portant sur des avantages concurrentiels. La pratique française
des tableaux de bord est très importante sur la première catégorie des indicateurs de
suivi d’activité, elle l'est beaucoup moins sur les indicateurs de progrès, de marges
de progression, sur les endroits d’excellence où l’entreprise cherche à se créer des
avantages concurrentiels.

Par exemple, la capacité de construire des projets correctement dimensionnés dès


leur lancement, la capacité de développer des logiciels simples, les comportements
managériaux, la réduction du coût de non-qualité dans les services administratifs, les
baromètres d’image et de notoriété, la qualité des lancements des nouveaux
produits, peuvent constituer des indicateurs stratégiques qui mesurent bien le
progrès de l’entreprise.
Mais ils posent deux problèmes :
• leur fréquence de mesures et leurs évolutions sont souvent plurimensuelles,
voire pluriannuelles ;
• lorsqu’ils existent, ces indicateurs peuvent ne pas être considérés comme
importants car ils sont déconnectés du suivi d’activité. Ils sont aussi plus
difficiles à interpréter et doivent être mis en perspective avec les indicateurs
de suivi (chiffre d’affaires ou autre). Cet exercice nécessite d’introduire des
moments de réflexion, auxquels nombre de dirigeants rechignent car la
pression du marché et la charge de travail ramènent les priorités vers la
gestion du court terme.

Dans tous les cas, le Balanced Scorecard, tableau de bord des managers ou tableau
de bord stratégique… peut être présenté à deux niveaux :
• le tableau de bord qui recense les dix à vingt indicateurs fondamentaux de
l’entreprise : son apport est la synthèse des informations que l’entreprise
produit mais il ne passe pas nécessairement au deuxième niveau ;
• le deuxième niveau consiste à intégrer dans une même synthèse des
indicateurs fondamentaux de suivi d’activité et de nouveaux indicateurs
susceptibles de mesurer le progrès nécessaire pour atteindre des objectifs
stratégiques.

Cela nous conduit au troisième niveau, qui est d’insérer le Balanced Scorecard dans
un plan d’actions beaucoup plus large, que l’on peut appeler conduite de la stratégie.

Passer du tableau de bord stratégique à la conduite de la stratégie

La définition de la conduite de la stratégie est particulière à chaque entreprise. La


conception la plus étriquée rencontrée consiste à informer sur les grandes
orientations stratégiques et à ne divulguer au sein de l’entreprise que quelques
chiffres significatifs. Ces entreprises communiquent en pensant qu’informer est
suffisant pour que les opérationnels prennent en compte les objectifs stratégiques
dans leurs décisions quotidiennes.

L’expérience montre que les opérationnels sont "positionnés" dans l’entreprise dans
une direction où les missions sont assez clairement définies. En revanche, ces
opérationnels perçoivent assez difficilement les objectifs stratégiques. Autrement dit,
en posant la question : "Quelles sont les missions de votre service ?", on obtient des
réponses relativement précises et homogènes. Mais à la deuxième question : "Quelle
est votre contribution à la réalisation des objectifs de l’entreprise ?", les réponses
sont beaucoup plus difficiles à obtenir, car la formalisation de ces objectifs est
générale et les actions de communication réalisées dans l’entreprise ne permettent
pas de relier les axes stratégiques aux préoccupations quotidiennes des
opérationnels.

Nous approchons ainsi de la véritable définition de la "conduite de la stratégie" :


permettre à chacun de connaître sa contribution, son utilité dans cette conduite. Là
encore, il n'est pas facile de sortir du cliché selon lequel l’ensemble du personnel
contribuerait à la stratégie - ce qui est complètement faux - pour aller vers une
organisation dans laquelle les processus stratégiques sont reliés aux actions des
collaborateurs : selon les plans d’action ou les projets auxquels je participe, je suis
un contributeur à un ou plusieurs objectifs stratégiques.

Donner du sens au travail

Pourquoi est-il difficile de sortir de ce schéma trop simple ? L’entreprise doit pouvoir
surmonter des tabous sur le secret professionnel qui font qu’elle limite la diffusion
des informations de nature stratégique ou sur la capacité de ses ressources
humaines à comprendre des informations complexes mais vulgarisées. En théorie,
tout le monde est d'accord sur la nécessité de donner du sens au travail et à la
stratégie. Conduire la stratégie, c’est donc la partager dans des proportions bien plus
importantes que ce que l’on voit généralement, en incluant aussi la vision des
marchés sur lesquels l’entreprise veut gagner, leurs évolutions probables, les
menaces, les opportunités et les risques. Toutes ces informations sont
indispensables pour faire comprendre les plans d’action, donner du sens aux
décisions, les justifier et obtenir plus d’autonomie et d’initiatives des personnes. Je
n’ai jamais vu d’expérience dans laquelle l’entreprise qui a surmonté ces
interrogations n’ait pas gagné en autonomie et initiatives des hommes. Il faut de plus
penser au déséquilibre qui peut exister dans la perception de l’environnement entre
les personnes en front office, pour lesquelles le contact avec les clients alimente les
évolutions, le sens, la motivation et les autres, pour lesquelles les impulsions
viennent de la communication, mais aussi de ce que les managers acceptent de
partager.

Balanced scorecard et conduite de la stratégie

Dans l’entreprise qui a compris la nécessité de surmonter ces mauvais réflexes, la


conduite de la stratégie par le Balanced Scorecard progresse à un troisième niveau.
Le BSC est accompagné d’ateliers de réflexion, de séminaires ou de toute forme de
réflexion ou d'action qui vont permettre à chacun de bien situer les missions au sein
de sa direction ou de son département, mais aussi dans la poursuite des objectifs
stratégiques. Ainsi, chaque décision à chaque niveau peut être clairement comprise,
les arbitrages quotidiens (par exemple, entre qualité et coût, délai et qualité,
productivité et qualité, etc.) que les opérationnels ont du mal à régler seuls sans
poser la question aux dirigeants peuvent être réalisés plus facilement : conduite et
partage de la stratégie débouchent nécessairement sur plus d’autonomie.
Les trois niveaux du Balanced Scorecard
Niveau Avantages Inconvénients
d’utilité
1 Indicateurs Exercice de synthèse Vision encore trop court
fondamentaux terme
de suivi d’activité
2 Indicateurs Idem niveau 1 + Pilotage par objectifs
fondamentaux + bon arbitrage insuffisant à défaut
indicateurs de progrès entre horizons court d’adhésion
et long terme
3 Indicateurs Idem niveau 2 +
fondamentaux + pilotage de la
indicateurs de progrès + stratégie par
objectifs stratégiques adhésion
partagés Développement de
l’autonomie

Les conditions pour passer d’un niveau à l’autre sont clairement identifiées. Pour
passer au niveau 2, les dirigeants doivent rééquilibrer le long terme et le court terme.
Pour passer au niveau 3, il faut revoir la conception du management.

Le rôle de la fonction finance - contrôle de gestion dans la conduite de la


stratégie

Ce rôle est bien entendu fondamental et cela dans les trois niveaux, mais passer du
premier au deuxième peut être réglé par l’acquisition de connaissances de la
fonction finance en termes de stratégie. Les chefs de projet Balanced Scorecard
peuvent ainsi découvrir que la formalisation de la stratégie mérite d’être précisée ou
qu’elle est limitée par un horizon trop court.

Le passage du deuxième au troisième niveau est plus difficile car changer la


conception des relations entre managers et managés repose sur les dirigeants et sur
les responsables de la fonction ressources humaines. Une collaboration fructueuse
entre les équipes peut favoriser des réflexions ou actions sur la stratégie. Certains
secteurs d’activité peuvent être mieux préparés, mais les dirigeants de la fonction
finance et contrôle de gestion ne doivent pas être timides dans cette mission : la
stratégie est décidée par les dirigeants, mais elle est alimentée et conduite par
l’ensemble du personnel. Donner du sens est primordial. Les atouts de la fonction
finance gestion dans ce rôle sont considérables et peuvent contribuer à rendre
l’entreprise plus efficace, plus libre.

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