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Les troubles
obsessionnels-compulsifs夽
A. Pelissolo

Les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) constituent désormais une catégorie diag-


nostique à part entière, indépendante des troubles anxieux et phobiques. Il s’agit
de troubles caractérisés par la présence d’idées intrusives récurrentes insupportables
(obsessions) généralement associés à des actes répétés en excès car irrépressibles
(compulsions). Les thématiques les plus fréquentes concernent l’intolérance à la souillure,
qui s’accompagne de compulsions ou rituels de lavage, et les obsessions de doute et
d’erreur, à l’origine de compulsions de vérification et de répétition. La gravité du trouble
est variable, mais certaines formes génèrent un handicap fonctionnel très important. La
prévalence des TOC, dans la population générale, est estimée à 2 ou 3 % à un moment
donné ou dans les antécédents. Les traitements recommandés en première intention sont
les thérapies comportementales et cognitives, ou certains médicaments antidépresseurs
agissant sur la sérotonine, les deux stratégies pouvant être associées dans les formes
sévères.
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Mots-clés : Compulsions ; Doutes ; Obsessions ; Lavage ; Rituels ; Vérifications

Plan est devenu désormais une entité à part entière et indépen-


dante, reconnue à la fois pour ses nombreuses spécificités
■ Introduction 1 et pour sa prévalence élevée dans toutes les populations.

L’acronyme lui-même est d’ailleurs largement utilisé dans
Aspects historiques et nosographiques 2
le langage courant, pour des comportements divers et n’en
■ Sémiologie 2 relevant pas forcément, ce qui témoigne de son appro-
Symptômes principaux 2 priation par le public. Mais il reste beaucoup à faire pour
Symptômes associés et autres caractéristiques 3 un bon dépistage de toutes les personnes souffrant réel-
■ Approche étiopathogénique 4 lement de TOC et rarement prises en charge de manière
■ Démarche diagnostique 4 adéquate.
Formes cliniques 4 L’accès à un diagnostic du TOC est en effet relative-
Diagnostics différentiels psychiatriques 5 ment difficile. Tout d’abord, la prise de conscience par
Diagnostics différentiels non psychiatriques 5 les personnes qui en souffrent n’est pas immédiate et peut
même prendre quelques années, ce qui retarde d’autant la
■ Épidémiologie 5 demande de soins. Celle-ci est par ailleurs souvent évitée
■ Traitements 6 ou différée en raison d’un vécu de honte par les per-
Traitements médicamenteux 6 sonnes touchées, qui redoutent de devoir révéler leurs
Thérapies cognitivo-comportementales 6 symptômes à des tiers, même professionnels. Enfin, en
Formes résistantes 7 dehors des symptômes très typiques liés aux craintes de
■ Conclusion 7 contamination et aux rituels de vérification effectivement
faciles à décrypter, beaucoup de formes cliniques de TOC
sont plus complexes, difficiles à exprimer et à analyser
sans une exploration fine.
Pourtant, il existe désormais des traitements bien
 Introduction codifiés et souvent efficaces, médicamenteux ou non,
qui peuvent améliorer nettement la qualité de vie et
Le statut médical du trouble obsessionnel-compulsif l’adaptation des patients souffrant de TOC. En revanche,
(TOC) a grandement évolué au cours des dernières décen- non traité, ce trouble évolue fréquemment de manière
nies, aussi bien en ce qui concerne sa place dans la chronique, générant un handicap parfois très important
nosographie psychiatrique que les représentations des et des complications psychiatriques notables.
professionnels et du grand public. D’une pathologie ini- Nous allons donc aborder successivement les aspects
tialement un peu anecdotique car considérée comme très historiques de cette pathologie, les éléments sémiolo-
rare, réservée aux spécialistes et sans particularité au sein giques et diagnostiques s’y rapportant, l’épidémiologie,
des diverses névroses puis des troubles anxieux, le TOC la physiopathologie et enfin la thérapeutique.

EMC - Savoirs et soins infirmiers 1


Volume 14 > n◦ 3 > août 2019
http://dx.doi.org/10.1016/S1877-7848(19)42841-4
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60-726-F-10  Les troubles obsessionnels-compulsifs

 Aspects historiques doute, de besoin de contrôle, de prise de décision et de


répétition, alors que les signes émotionnels classiques
et nosographiques d’anxiété et d’angoisse, même s’ils peuvent être très
présents chez certains patients, ne sont pas considérés
Revenir sur l’histoire du TOC en médecine est impor- comme primaires.
tant car la conception de ce trouble et sa compréhension
ont beaucoup évolué au cours des deux derniers siècles,
et les approches successives témoignent des différentes  Sémiologie
lectures psychologiques et biologiques que l’on peut en
avoir [1] . Dès le XVIIIe siècle, des psychiatres s’attachent à Les symptômes d’un TOC peuvent être très divers, mais
décrire ce syndrome si particulier, au sein des « manies ils ont plusieurs points communs : il s’agit de contraintes
raisonnantes » (Pinel puis Esquirol en 1838), puis comme que le sujet subit ou s’impose à lui-même pour, théori-
« délire émotif » (Morel en 1866), « folie du doute » quement, réduire un risque de dommage grave dont il
(Falret en 1866), « délire du toucher » (Legrand du pourrait être responsable. Ces contraintes peuvent concer-
Saulle en 1875). Ces dénominations variées illustrent ner aussi bien l’activité mentale (pensées, raisonnements,
bien la perplexité des cliniciens de l’époque qui tentent représentations diverses) que les actes produits (gestes,
de rendre compte à la fois du caractère démesuré et de rituels, propos verbalisés, etc.). Elles peuvent être facile-
la grande absurdité de certaines obsessions et de cer- ment compréhensibles quand elles poursuivent un but
tains comportements, mais aussi de la préservation de logique par rapport au dommage redouté, vérifier une
l’intelligence des patients touchés et de l’absence de symp- action par exemple quand on craint d’avoir fait une erreur,
tômes psychotiques. Magnan (1882) insiste d’ailleurs sur mais peuvent aussi paraître très irrationnelles quand elles
le continuum entre les obsessions normales et celles qui consistent en des rituels ou des « actes conjuratoires » sans
deviennent pathologiques, en repérant la constance et conséquence évidente sur la situation. Pour qu’il s’agisse
l’échappement au contrôle de ces dernières. Mais on doit réellement de symptômes d’un TOC et non de réactions
à Pierre Janet, en 1903, une description plus approfondie banales de doute, il faut qu’ils soient présents très fré-
de la sémiologie du syndrome, distinguant finement les quemment (en continu ou de manière répétitive) et sur
obsessions, les comportements compulsifs et les traits de une durée longue, d’au moins plusieurs semaines ou mois,
personnalité psychasthénique qui préfigurent en partie la et qu’ils soient intenses au point de provoquer une réelle
définition de la personnalité obsessionnelle-compulsive. gêne dans la vie de la personne.
Sur la base d’une série d’environ 300 observations,
Janet enrichit cette sémiologie d’une approche psy-
chopathologique originale, basée sur les notions de
Symptômes principaux
tension psychique et d’incomplétude, sous-tendant la Comme son nom l’indique, le TOC comprend deux
psychasthénie. Le début du XXe siècle fut surtout mar- types de symptômes, les obsessions et les compulsions. Il
qué par l’avènement du modèle psychanalytique des s’agit là d’une première approche un peu simplifiée de la
névroses sous l’influence de Freud imposant le concept de sémiologie du trouble, même si elle reste assez théorique
« névrose obsessionnelle » qui restera prévalent pendant et difficile à appliquer telle quelle dans nombre de situa-
de nombreuses décennies [1] . Cette approche, qui conçoit tions cliniques. Les deux catégories de symptômes sont
cette pathologie comme entièrement déterminée par des en effet souvent très liées et parfois indissociables l’une
facteurs psychologiques, a prévalu ensuite pendant plu- de l’autre.
sieurs décennies dans les nosographies et les pratiques Les « obsessions » sont des intrusions au sein de la pen-
psychiatriques. sée, automatiques et involontaires, qui se répètent et/ou se
L’étape essentielle suivante ne survient qu’en 1980 prolongent de manière injustifiée et surtout dérangeante.
avec la publication du Diagnostic and statistical manual Les intrusions simples, que nous connaissons tous, sont
of mental disorders III (DSM-III), première classification des idées ou d’autres représentations mentales comme des
psychiatrique moderne et proposant des critères diagnos- questions ou des images, qui surgissent dans le champ de
tiques précis, nourrie notamment par les travaux psycho- la conscience de manière inopinée, utiles ou sans inté-
pharmacologiques et cognitivo-comportementaux des rêt particulier. Une fois « traitées » par la conscience,
années précédentes. L’appellation obsessive-compulsive elles s’éteignent le plus souvent d’elles-mêmes et l’esprit
disorder, traduite par « trouble obsessionnel-compulsif » poursuit ses activités. Dans le cas d’une obsession patho-
en français, est apparue dans cette classification, et logique, cette intrusion se prolonge ou se répète au point
cette formalisation a ouvert la voie à une information de devenir envahissante et de parasiter l’esprit de manière
beaucoup plus large auprès des professionnels puis du durable et pénible. Cela d’autant plus que le contenu de
grand public, ainsi qu’à une structuration des straté- l’obsession est, dans le cas d’un TOC, toujours négatif
gies thérapeutiques et des travaux de recherche consacrés voire intolérable pour le sujet : elle porte sur un risque
à cette pathologie. Ceux-ci ont été croissants depuis grave pouvant survenir, un malheur, ou une situation
cette période, stimulés par les données épidémiolo- angoissante quelle qu’elle soit. La réaction du patient est,
giques et par la mise en évidence de particularités logiquement, soit de tenir compte de ce message d’alerte
diverses (phénoménologiques, neurobiologiques, etc.) en se protégeant du risque évoqué, soit d’essayer de le
distinguant le TOC des autres troubles émotionnels et neutraliser en chassant la pensée intrusive de son esprit
anxieux. ou par tout autre moyen lui permettant de ne plus y être
Ce corpus de connaissances a abouti en 2013, dans soumis.
le DSM-5, à un changement nosographique impor- Ces diverses réponses correspondent à des
tant : le TOC n’est plus intégré à la catégorie des « compulsions » s’il s’agit d’actes, de pensées ou
troubles anxieux et phobiques mais appartient désor- d’attitudes répétitives, non réellement justifiées par
mais à une catégorie nouvellement créée de « troubles une nécessité immédiate, donc inutiles voire délétères.
obsessionnels-compulsifs et apparentés » qui comprend Le sujet les met en œuvre de manière contrainte ou
d’autres syndromes comme l’accumulation pathologique irrépressible, le plus souvent à cause d’une obsession
(thésaurisation), la dysmorphophobie (trouble dysmor- pathologique insupportable. Quand les compulsions
phie corporelle), ou encore le grattage (dermatillomanie) sont exécutées de manière très inflexible, suivant une
ou l’arrachage des cheveux (trichotillomanie) compul- séquence et une méthode immuable, on parle souvent de
sifs [2] . Cette évolution permet d’insister sur l’existence « rituels » ou de ritualisations. Les compulsions peuvent
de mécanismes neurocognitifs probablement spécifiques être mentales : répétitions de phrases ou de mots,
à cette pathologie, autour notamment des notions de recherche de souvenirs ou d’images, etc. On les distingue

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alors des obsessions par leur caractère volontaire, dans un d’évitement », le sujet préférant de ne pas s’exposer à des
but de soulagement ou pour obéir à la règle fixée, alors situations « contaminantes » pour réduire la survenue des
que les obsessions sont des pensées subies malgré soi. obsessions et le besoin de laver ensuite. Cela se traduit
Les thématiques et mécanismes obsessionnels sont très par des stratégies de retrait, éloignant souvent le patient
nombreux mais on les regroupe classiquement en trois des autres personnes ou l’obligeant à avoir recours à des
types : protections diverses (gants, vêtements excessifs, autres
• les « obsessions idéatives », basées sur la crainte de intermédiaires).
provoquer un dommage, à soi-même ou aux autres, à De même, les stratégies d’évitement sont très présentes
cause d’une erreur, d’un oubli, d’une négligence ou de en réponse aux phobies d’impulsion, qui poussent les
tout acte mal réalisé, que ce soit dans un passé plus patients à s’éloigner des lieux considérés comme dan-
ou moins proche ou dans la situation en cours (ferme- gereux (lieux en hauteur, transports en commun, etc.),
ture d’une porte, d’un robinet, envoi d’un e-mail, etc.) ; des objets à risque (couteaux et autres outils pointus ou
l’intolérance au doute est au cœur de cette thématique, dangereux), ou tout simplement des personnes, adultes
le sujet ne supportant pas l’idée d’être possiblement et/ou enfants, qu’ils redoutent d’agresser sous le coup
responsable d’une catastrophe ; d’une impulsion. En plus des évitements, les compul-
• les « obsessions phobiques », qui sont centrées essen- sions conjuratoires sont également fréquentes dans ces
tiellement sur le rejet, par peur ou dégoût, de toute situations, consistant à se protéger des risques par des
souillure, saleté, contamination microbienne ou autre, rituels de type symbolique, religieux ou superstitieux, qui
pouvant le toucher physiquement de manière directe peuvent être aussi bien mentaux (répétitions de phrases
ou indirecte ; cette réaction peut être sous-tendue par la ou pensées protectrices) que gestuels. Ces compulsions
crainte d’attraper une maladie (nosophobie), mais dans conjuratoires, que l’on peut aussi observer dans les autres
d’autres cas on ne retrouve pas de pensée concrète de ce types d’obsessions, sont généralement analysées comme
type et seulement une intolérance massive au contact absurdes par le sujet lui-même, mais effectuées de manière
avec tout objet ou surface susceptible d’avoir été sali irrépressible pour réduire une tension interne intolérable.
par de la poussière, des déchets, du sang, de l’urine ou
toute autre substance considérée comme nocive ;
• les « obsessions impulsives », appelées aussi phobies Symptômes associés et autres
d’impulsion, définies par la peur irraisonnée de pro- caractéristiques
voquer un accident ou tout autre acte inconvenant
sous l’influence d’une impulsion incontrôlable ; les À côté de ces deux éléments principaux, obsessions et
peurs de ce type sont centrées en général sur les risques compulsions, les patients souffrant de TOC présentent
d’agressivité envers les autres (insulter, pousser, blesser, fréquemment des symptômes qui peuvent être intenses
agresser sexuellement, etc.) ou soi-même (se blesser, se mais plus individuels et moins spécifiques. L’anxiété reste
jeter dans le vide, etc.), ou de passage à l’acte morale- très présente, avec le schéma général suivant : l’obsession
ment répréhensible. provoque de l’angoisse, qui est calmée transitoirement
On peut rattacher aux obsessions idéatives la notion par la compulsion, mais qui réapparaît à la prochaine
de « pensées interdites », définies par une intolérance à obsession. Certains patients ressentent moins d’anxiété
certaines pensées ou images répétitives, de nature le plus que d’autres, notamment ceux qui ont pris l’habitude
souvent sexuelle ou morbide et violente. d’effectuer les compulsions (lavages, vérifications, rituels,
Il existe également des obsessions de rangement, etc.) de manière « préventive » et un peu mécanique,
d’ordre et de symétrie portant généralement sur c’est-à-dire presque en continu sans chercher à résister à
l’environnement ou les objets appartenant au patient qui l’obsession sous-jacente. Mais, dans tous les cas, l’angoisse
ressent le besoin impérieux d’un positionnement précis, est très accentuée quand le patient n’est pas en situation
sans justification rationnelle particulière. d’effectuer la compulsion, soit par les circonstances, soit
En arrière-plan de la plupart de ces obsessions, les car il prend de lui-même la décision de se retenir (notion
idées de responsabilité et même de culpabilité angois- de « lutte interne »). L’anxiété peut également apparaître
sante sont très présentes, débouchant sur un besoin de lors de l’accomplissement des rituels ou des compul-
contrôle absolu, de ses propres pensées ou actes, ou de sions, liée par exemple au besoin impérieux d’effectuer
l’environnement, dont découlent les compulsions. Celles- les choses de manière parfaite, ou à la difficulté même des
ci sont généralement congruentes avec le type d’obsession actions, mentales ou gestuelles, à réaliser.
en cause. Aux obsessions idéatives d’erreur répondent des Il faut également signaler d’autres symptômes
compulsions de vérification, de retour en arrière, de répé- d’accompagnement, en général secondaire à la gra-
titions d’acte ou de lenteur d’exécution, pouvant aller vité du trouble et à ses répercussions émotionnelles et
jusqu’à une inhibition forte voire totale. La notion de physiques : fatigabilité, insomnie (délais de coucher
« vérification » peut se décliner sous différentes formes, le puis d’endormissement à cause de rituels présents le
plus souvent pour des actes concrets comme la fermeture soir ou avant l’endormissement), irritabilité voire colères
d’une serrure ou le rangement de documents importants, fréquentes chez les enfants en rapport avec le besoin
mais parfois aussi pour des contenus moins palpables d’accomplir les rituels, isolement social, démoralisation,
comme des souvenirs, des propos échangés ou même le etc.
besoin de vérifier que les choses sont bien telles qu’on les Les patients souffrant de TOC ont pour la plu-
perçoit. part une bonne conscience du caractère exagéré voire
En réponse aux obsessions phobiques de souillure et totalement injustifié de leurs obsessions et donc de
de contamination surviennent logiquement des compul- leurs comportements, en tout cas quand on les inter-
sions de lavage et de « décontamination », qu’il s’agisse roge « à froid », c’est-à-dire à distance d’une situation
des choses que l’on doit toucher (ménage du logement, angoissante. On parle classiquement de symptômes « égo-
nettoyage des habits et des objets divers) ou de son dystoniques », c’est-à-dire reconnus comme anormaux et
propre corps ayant été en contact avec un environnement dérangeants par les patients. Ceux-ci peuvent d’ailleurs
considéré comme à risque (lavage des mains, douche cor- souffrir d’autant plus de cette dimension absurde voire
porelle, shampoing, etc.). Tout ceci de manière excessive « ridicule » de leurs préoccupations, sans pouvoir lut-
et injustifiée, à la fois en durée, en nombre et en procédés, ter efficacement. Mais cette prise de conscience est en
basés sur une grande ritualisation avec souvent utilisation fait variable : elle peut être tardive quand les symptômes
de produits de lavage et de toilette en excès voire dange- apparaissent progressivement et qu’ils passent par étapes
reux. En plus des compulsions, les obsessions phobiques du normal au pathologique (par exemple un temps de
entraînent aussi très fréquemment des « comportements lavage qui s’accentue au fil du temps), et elle peut être

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seulement partielle quand certaines croyances ne sont pas TOC, en tout cas au niveau statistique en comparaison
considérées complètement comme inadaptées. La crainte à des groupes de sujets indemnes [3] . Il s’agit prin-
de certaines contaminations infectieuses ou alimentaires cipalement de l’hyperactivité de structures à la fois
peut par exemple s’appuyer sur une conviction assez forte corticales (cortex orbito-frontal, régions limbiques) et
de danger réel, facilitée par certains éléments de la réa- sous-corticales (ganglions de la base), constituant un
lité. Enfin, d’autres types d’obsessions en lien avec des réseau fronto-striato-pallido-thalamo-cortical qui pour-
croyances religieuses ou superstitieuses ne peuvent pas rait sous-tendre les mécanismes cognitivo-moteurs de
être abordés sous l’angle d’une simple réalité objective, doutes, répétitions et vérifications. Certaines études
du fait des valeurs culturelles ou sociales. À l’extrême, montrent même quelques anomalies cérébrales anato-
la « pensée magique » est fréquente dans le TOC. Elle miques, touchant ces structures, mais leurs résultats sont
repose sur l’intuition que la pensée peut influer sur la réa- souvent contradictoires d’une étude à l’autre. Au plan
lité, et en général qu’une « mauvaise pensée » pourrait pharmacologique, l’implication des circuits sérotoniner-
provoquer des catastrophes ou des malheurs, l’accident giques et dopaminergiques est probable, mais la nature
ou la maladie d’une personne par exemple. Ces formes des dysfonctionnements en cause reste à préciser. D’autres
d’obsessions peuvent être très angoissantes, poussant les facteurs, notamment auto-immuns et inflammatoires,
patients à tenter de s’interdire toute pensée ou image ou sont suspectés mais sans précision suffisante à ce jour.
à essayer d’annuler symboliquement leurs conséquences Enfin, si une certaine agrégation familiale du TOC se
redoutées. Ce type de raisonnement, fréquent chez les retrouve chez beaucoup de patients, elle n’est pas systé-
enfants mais aussi présent chez certains adultes, est plus matique et l’existence d’une transmission génétique forte
ou moins critiqué par le patient lui-même. n’a jamais été complètement établie.
La thématique des chiffres et du comptage, l’« arithmo-
manie », peut être centrale chez certains patients, qui ont
soit un attachement obsessionnel et symbolique, positif  Démarche diagnostique
ou négatif, à certains chiffres ou nombres (éviter à tout
prix par exemple les multiples de trois), soit des compul- Le diagnostic positif du TOC est basé essentiellement
sions autour du calcul et de la répétition (aboutir à tel sur l’évaluation clinique, et surtout sur un entretien
résultat, ou répéter les actions en suivant un nombre pré- approfondi avec le patient, associé éventuellement à une
cis). L’équivalent peut s’observer aussi avec les lettres ou observation comportementale (réactions du sujet dans
les mots. diverses situations sensibles) et à un interrogatoire des
proches. En dehors des formes typiques, pour lesquelles
les patients ont souvent eux-mêmes déjà pensé au diag-
nostic, il existe de nombreux tableaux cliniques plus
 Approche complexes pour lesquels une évaluation fine est néces-
étiopathogénique saire, notamment quand les symptômes sont surtout
mentaux. L’objectif est de rechercher les symptômes prin-
Comme pour la plupart des troubles psychiatriques, cipaux du TOC, par exemple en se basant sur les critères
les hypothèses physiopathologiques actuelles du TOC diagnostiques du DSM-5 [2] , en les différenciant de symp-
sont multifactorielles, associant une vulnérabilité psycho- tômes isolés non pathologiques d’une part et d’autres
logique à des facteurs neurobiologiques qui ont donné diagnostics psychiatriques ressemblant (voir plus loin)
lieu à beaucoup de recherches au cours des dernières d’autre part.
décennies [2, 3] . Au plan psychologique, les modèles psy- La différence entre un TOC confirmé et de simples
chanalytiques historiques, basés sur les observations symptômes isolés se fait en général sur le niveau de souf-
initiales de Freud et la théorie des conflits névrotiques france et de gêne induite, qui doit être « significatif »
(formations réactionnelles aux pulsions anales, méca- pour poser un diagnostic. Concrètement, on peut se baser
nismes d’isolation, intériorisation des tendances sado- sur le temps de présence des symptômes dans une jour-
masochiques, etc.) n’ont plus vraiment cours aujourd’hui née moyenne, en s’aidant de questions comme : « En
malgré leur intérêt théorique chez certains patients qui ne général, combien de temps au total êtes-vous parasité par
débouche pas sur des applications thérapeutiques effec- vos craintes de saleté ou votre besoin d’ordre, ou par les
tives. Les modèles cognitivo-comportementaux sont plus doutes sur ce que vous avez fait ? », ou encore « Combien
pragmatiques et compatibles avec les recherches expéri- de temps passez-vous en excès à vous laver les mains,
mentales, les neurosciences et les thérapies. Ils permettent à prendre une douche ou à vérifier la fermeture de vos
de comprendre certains mécanismes de pérennisation et serrures ? ». On considère que les symptômes sont patho-
de conditionnement, et surtout de renforcement. Il est logiques à partir d’une heure par jour.
bien établi notamment que la réalisation des compul-
sions participe à un cercle vicieux aggravant le trouble Formes cliniques
en renforçant l’intensité des obsessions. Ces modèles sont
utiles aux prises en charge, même s’ils ne proposent Les termes courants de « TOC de vérification » ou de
pas d’explication claire sur l’origine profonde du trouble « TOC de lavage » ne sont pas très appropriés car ils
lui-même. Des profils tempéramentaux à risque sont rela- décrivent des types de symptômes mais pas des formes
tivement bien décrits, comme les personnalités anxieuses distinctes du trouble. Il est vrai que certains patients ne
et obsessionnelles-compulsives, ou d’autres plutôt impul- présentent qu’une seule catégorie de symptômes, mais
sives, même si les TOC peuvent toucher tous les types la plupart en ont plusieurs, en même temps ou à des
de personnalités, normales ou pathologiques, de tous périodes différentes de leur vie. Beaucoup de modèles
niveaux socio-culturels et intellectuels. Des événements présentent cependant le TOC comme un trouble multi-
de vie stressants, de tous genres mais en particulier la dimensionnel, en définissant quatre ou cinq catégories de
maternité ou des changements de vie importants (démé- symptômes qui auraient un déterminisme propre, mais il
nagement, mariage, promotion professionnelle, etc.), n’existe pas encore de consensus à ce sujet. Les catégories
ainsi que de véritables psychotraumatismes sont fré- le plus souvent retrouvées sont :
quemment retrouvés dans les antécédents plus ou moins • erreurs/vérification ;
récents. Ils ne sont cependant pas systématiques. • souillure/lavage ;
Au plan neurobiologique, beaucoup de travaux sur • ordre et symétrie ;
l’animal et en imagerie cérébrale chez l’homme ont • agressivité et thématiques sexuelles ;
permis de mettre en évidence des profils d’activité • accumulation (quand ces comportements sont liés à des
neuronale anormaux chez les patients souffrant de obsessions).

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On peut par ailleurs distinguer plusieurs formes cli- Dans les troubles de stress post-traumatique, les revivis-
niques de TOC, dont les limites ne sont pas toujours cences ont également un caractère intrusif et récurrent,
parfaitement définies mais qui peuvent avoir un impact mais elles ne portent que sur les événements et souvenirs
assez important sur l’évolution, le choix des traitements traumatiques vécus, ce qui est très différent des obsessions
et le pronostic global : du TOC.
• les formes uniquement obsessionnelles (sans compul- Dans la dépression, certains patients développent des
sion) ou uniquement compulsives (en majorité des idées obsédantes, notamment autour des idées de mort
rituels « moteurs » de rangement ou d’alignement, pour ou de culpabilité, s’accompagnant parfois de rituels ou
lesquels on ne retrouve pas d’obsessions associées) ; de compulsions. Si la thématique de ces symptômes est
• les formes à « faible insight » (conscience du caractère spécialement en rapport avec l’humeur ou la pensée
anormal des symptômes ou des croyances) qui est évo- dépressive, et surtout si le patient ne les connaissait pas
qué dans la prochaine section ; avant l’apparition de l’épisode dépressif, on peut penser
• les formes associées à des tics voire au syndrome de qu’il s’agit de symptômes faisant partie de cet épisode et
Gilles de la Tourette, chez le patient lui-même ou dans qu’ils devraient disparaître avec sa guérison.
des antécédents familiaux. Les troubles du contrôle des impulsions, comme la
kleptomanie, ou les troubles apparentés au TOC comme
la trichotillomanie ou la thésaurisation pathologique,
Diagnostics différentiels psychiatriques présentent des caractéristiques comportementales assez
C’est souvent l’étape délicate du diagnostic, car les proches (actes irrépressibles), mais ne sont pas associés à
symptômes obsessionnels ou les compulsions peuvent se une intention spécifique et sont moins contrôlables, avec
retrouver dans d’autres pathologies mentales, ou ressem- une recherche de satisfaction plus élémentaire.
bler à d’autres types de symptômes. Par ailleurs, il ne Enfin, la question des frontières et de la distinction
faut pas oublier que le TOC peut co-exister avec un autre entre le TOC et la personnalité obsessionnelle-compulsive
trouble, et que ces diagnostics ne sont donc pas exclusifs est complexe, en sachant que les deux diagnostics peuvent
les uns des autres. être portés chez le même patient. A priori, les patients
Pour distinguer le TOC des pathologies délirantes et souffrant d’un trouble de la personnalité n’ont pas de
psychotiques, il faut s’assurer que les obsessions décrites symptômes clairement obsessionnels ni de compulsions
ne correspondent pas en fait à des hallucinations intra- ou de rituels. Cependant, ils peuvent avoir des traits les
psychiques, à des pensées imposées ou à d’autres formes poussant à l’économie, à la rigidité ou au perfectionnisme,
d’automatisme mental. De même, certains actes répétitifs comportements susceptibles de s’expliquer dans certains
peuvent ressembler à des compulsions mais correspondre cas par un TOC. Une analyse minutieuse de la sémiologie
plutôt à des stéréotypies telles qu’on les observe dans les est donc nécessaire pour faire la part des deux entités, avec
psychoses ou les troubles du spectre autistique. Pour que le repère important de l’égodystonie, en général absent
le diagnostic de TOC puisse être porté, il est important dans le trouble de la personnalité (pas de plainte du sujet
que le patient ait conscience de l’origine « interne » de sur son propre fonctionnement et ses justifications).
ses symptômes, qu’il les attribue donc bien à son propre
esprit et non à une influence extérieure comme ce peut Diagnostics différentiels
être le cas dans la schizophrénie.
Cette absence de mécanismes psychotiques n’empêche non psychiatriques
pas que de nombreux patients puissent avoir un rap- Les principaux diagnostics différentiels du TOC sont
port particulier avec leurs croyances, dont certaines sont neurologiques et peuvent justifier, dans les formes aty-
considérées comme « sur-évaluées », avec une prise de piques (début tardif, ou après un événement d’allure
conscience seulement partielle de ce caractère excessif. Par neurologique, etc.) et graves, un avis spécialisé et éven-
exemple, la nécessité de nettoyer de manière très répétée tuellement la réalisation d’examens complémentaires
certains objets n’est pas toujours complètement critiquée comme un scanner, une imagerie par résonance magné-
par les patients souffrant d’obsessions de souillure. On tique (IRM) cérébrale ou un électroencéphalogramme
parle là de TOC avec des niveaux d’insight faible, et parfois (EEG).
très faible. Cette particularité se rapproche des tableaux De nombreuses atteintes intracérébrales (vasculaires,
marqués par une forte pensée magique déjà évoqués. tumorales, toxiques, infectieuses, inflammatoires)
Les troubles anxieux peuvent ressembler parfois à des peuvent en effet être à l’origine de symptômes obsession-
TOC. C’est surtout vrai pour le trouble anxieux géné- nels ou compulsifs, dans le cadre d’un TOC accompagné
ralisé (TAG), qui est caractérisé par des inquiétudes ou ou non d’autres symptômes cognitifs ou sensori-moteurs.
des soucis pouvant avoir un caractère intrusif et répétitif. Les régions le plus souvent en cause sont le cortex frontal
La principale différence entre les deux troubles, en plus et préfrontal, le cortex cingulaire, le système limbique et
de l’absence de compulsions dans le TAG, repose sur la les ganglions de la base.
notion de responsabilité : un patient souffrant de TAG Il faut distinguer enfin les TOC des tics, notam-
peut s’inquiéter de la survenue de nombreux événements ment complexes, même si les deux pathologies peuvent
(maladies, accidents de proches, licenciement, etc.), mais co-exister. Les tics sont des actes involontaires, mais par-
pas spécialement en raison d’un mauvais contrôle ou tiellement contrôlables, plus ou moins élaborés, qui ne
comportement de sa part. Il ne craint pas, comme dans sont pas réalisés en réponse à une obsession ni avec un
le TOC, de générer lui-même les catastrophes auxquelles objectif précis.
qu’il redoute.
De même, on confond parfois les phobies avec les TOC,
le terme de phobie d’impulsion pouvant en effet prêter à  Épidémiologie
confusion. En fait, les patients souffrant de phobie spé-
cifique ressentent une frayeur intense devant un objet Le TOC est désormais connu comme un trouble fré-
ou une situation qui est perçue comme menaçante en quent au sein de toutes les populations. Dans la plupart
elle-même, sans qu’ils ne soient en cause du fait d’une des études en population générale, les taux de prévalence
erreur de comportement ou d’un mauvais contrôle d’eux- se situent entre 2 et 3 % pour un diagnostic actuel ou
mêmes. On peut observer des réactions de peur phobique passé, et entre 1 et 2 % sur la dernière année [4] . Les thé-
très vives devant une photo de l’objet ou de la situation, matiques de vérification sont les plus fréquentes. Il s’agit
ce qui est très rarement le cas chez des patients souffrant bien là de diagnostics de TOC confirmés selon les critères
de TOC car ils ne se sentent alors pas exposés directement diagnostiques des classifications, les symptômes obses-
à un risque de dommage induit par leur comportement. sionnels isolés étant nettement plus fréquents, environ

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28 %. Parmi les patients consultant en psychiatrie pour quelques points distinctifs : l’effet est souvent plus lent
un TOC, la proportion d’hommes et de femmes est géné- à apparaître et peut n’être total qu’à partir de la hui-
ralement similaire, mais les études en population générale tième voire de la 12e semaine, et les doses nécessaires sont
tendent à montrer une prévalence doublée chez la femme. généralement plus élevées. Le début du traitement peut
Par ailleurs, le trouble apparaît en général plus tôt chez suivre les mêmes principes, avec la possibilité de doubler
l’homme que chez la femme. Il peut cependant débuter la dose en cas de réponse insuffisante après 6 à 8 semaines.
à tous les âges, avec deux pics d’apparition principaux : Les posologies peuvent encore être augmentées dans les
l’un autour de 10 ans et l’autre un peu après 20 ans. formes résistantes, mais de préférence après une évalua-
L’évolution du TOC est le plus souvent chronique, tion spécialisée et une surveillance rapprochée. Les doses
soit d’un seul tenant, soit avec des fluctuations de sévé- utiles peuvent donc être les suivantes :
rité dans le temps. En moyenne, la durée d’évolution • fluoxétine : 20 à 60 mg/j ;
est d’environ dix ans, mais certains patients voient leurs • paroxétine : 20 à 60 mg/j ;
symptômes persister durant toute leur vie. • sertraline : 50 à 200 mg/j ;
Beaucoup de données montrent que le TOC est asso- • escitalopram : 10 à 40 mg/j.
cié à un niveau élevé de souffrance personnelle et à un Comme dans la dépression, les effets secondaires à sur-
retentissement fonctionnel significatif, avec chez certains veiller sont principalement les virages de l’humeur, les
un handicap très important dans la vie sociale et profes- risques suicidaires, la prise de poids, les troubles sexuels,
sionnelle notamment. L’étude de Ruscio et al. [4] retrouve la sédation et l’hyponatrémie.
en moyenne 45 jours d’incapacité par an chez les per- En cas d’échec d’un premier ISRS, un autre peut être
sonnes touchées. Les conséquences sont également très efficace. L’alternative, surtout dans les formes sévères,
lourdes pour l’entourage dans les formes sévères, avec une est constituée par la clomipramine, dont plusieurs méta-
grande pénibilité au quotidien et l’apparition fréquente de analyses ont confirmé la supériorité, mais au prix d’une
conflits avec le conjoint ou le reste de la famille à cause moins bonne tolérance en moyenne (effets anticholiner-
des symptômes. giques, hypotension orthostatique, sédation, etc.). Les
D’autres troubles psychiatriques sont le plus souvent posologies sont là aussi les mêmes que pour la dépression
(environ 90 % des cas) retrouvés associés au TOC, de au départ, 75 à 150 mg/j, avec une augmentation possible
manière concomitante ou à une autre période de la vie. Il jusqu’à environ 250 mg/j si nécessaire et si possible.
s’agit le plus souvent de troubles anxieux (environ 75 %), La durée du traitement est à fixer individuellement
de troubles de l’humeur (64 %), de troubles impulsifs en fonction de l’ancienneté du trouble, de la qualité de
(50 %) ou d’addictions (38 %). Moins fréquents, mais la rémission obtenue, des stratégies thérapeutiques asso-
très importants au plan clinique, il faut également citer ciées, et de la tolérance [5–7] . Un minimum d’un an est
les comorbidités avec les troubles de la personnalité, les nécessaire généralement, avec ensuite des essais d’arrêts
troubles du comportement alimentaire et la schizophré- progressifs, mais il est fréquent de constater des rechutes
nie. justifiant la prolongation du traitement sur plusieurs
années.
Les autres psychotropes n’ont pas d’indication dans les
 Traitements TOC en pratique courante (certains peuvent être prescrits
par des spécialistes dans des formes résistantes), notam-
Les stratégies thérapeutiques validées dans le TOC sont ment les benzodiazépines et les antipsychotiques.
essentiellement de deux types : pharmacologiques et
psychothérapiques [5–7] . Seules ou en association, elles per-
mettent de traiter de manière satisfaisante au moins la
Thérapies cognitivo-comportementales
moitié des patients souffrant de TOC. Pour ceux dont Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont
la pathologie s’avère résistante, d’autres stratégies sont les psychothérapies les mieux étudiées dans les TOC, elles
possibles, pour l’instant surtout testées dans le cadre de sont très bien codifiées et leur efficacité est démontrée par
protocoles de recherche. des études contrôlées [5, 6] . Il s’agit donc de la stratégie thé-
rapeutique recommandée en première intention, avec ou
sans traitement médicamenteux associé.
Traitements médicamenteux Après une première phase d’analyse fonctionnelle et
L’indication d’un traitement médicamenteux doit être d’information du patient, la thérapie intègre en général
posée après une évaluation clinique approfondie et en deux approches : un volet comportemental basé surtout
concertation avec le patient, car il s’agit d’un traite- sur la technique d’« exposition avec prévention de la
ment au long cours qui ne s’impose pas toujours en réponse » (EPR), et un volet cognitif visant à modifier des
première ligne. Les éléments en faveur d’une prescrip- schémas de pensée et des croyances sous-jacents au TOC.
tion sont la sévérité des symptômes et l’importance de Un programme complet de TCC peut s’étendre sur plu-
leur retentissement, l’ancienneté du TOC, la présence de sieurs mois, à raison d’une séance par semaine, la durée
complications notamment dépressives, la réponse anté- étant généralement proportionnelle à l’ancienneté et à
rieure à un médicament, et l’impossibilité d’avoir recours la sévérité du trouble. Beaucoup des techniques mises
à une psychothérapie ou sa non-efficacité. en œuvre utilisent l’auto-observation et l’auto-évaluation
Une famille particulière de psychotropes est recomman- dans la vie quotidienne.
dée dans le traitement de fond des TOC : les antidé- L’EPR consiste à confronter progressivement le patient
presseurs sérotoninergiques, et en première intention les aux stimuli anxiogènes (idée ou représentation obsé-
inhibiteurs électifs de recapture de la sérotonine (ISRS), dante) sans qu’il ne puisse recourir aux rituels habi-
comme la sertraline, la fluoxétine ou l’escitalopram [6, 7] . tuels, conçus comme des stratégies d’évitement de
Ces molécules ont en effet démontré leur efficacité, l’angoisse. Selon ce modèle, les rituels sont renforcés
contrairement aux autres familles d’antidépresseurs. Cette et maintenus par l’évitement de la stimulation aversive
efficacité existe même en l’absence de dépression associée. qu’ils entraînent (renforcement négatif), et l’objectif de
L’objectif peut être de supprimer totalement les symp- l’exposition est donc d’obtenir une désensibilisation de la
tômes du TOC, mais ce résultat est rarement obtenu et réponse anxieuse. Cette habituation est rendue possible
le plus souvent une réduction d’environ la moitié de leur par la confrontation prolongée à une situation faible-
intensité est déjà un bon résultat, permettant une amélio- ment anxiogène, permettant au patient de constater que
ration notable de la qualité de vie et du fonctionnement. son anxiété finit par diminuer d’elle-même. La répétition
Le schéma d’utilisation des ISRS dans les TOC est proche de cette exposition permet de réduire progressivement
de celui du traitement des états dépressifs, mais avec l’intensité et la durée de la réponse émotionnelle. Un

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Les troubles obsessionnels-compulsifs  60-726-F-10

programme d’exposition graduée, du faiblement au plus d’une meilleure sécurité mais sans démonstration suffi-
fortement angoissant, est établi en début de thérapie. Des sante d’efficacité à ce jour.
exercices sont effectués en séance avec le thérapeute, et
reproduits quotidiennement par le patient à l’extérieur.
Les stratégies d’exposition sont essentielles dans le trai-  Conclusion
tement des TOC, mais une approche cognitive est souvent
également indispensable, surtout lorsque les patients se La définition « moderne » du TOC puis son individua-
montrent réticents à se confronter aux stimulus anxio- lisation au sein des troubles psychiatriques ont permis de
gènes. Certains ont en effet des niveaux de conviction grands progrès dans le dépistage clinique, les stratégies
en leurs schémas anxieux très élevés et rigides, proche thérapeutiques et les travaux de recherche sur cette patho-
d’idées délirantes, et ne reconnaissent que partiellement logie au cours des dernières décennies. Les délais de prise
le caractère absurde et irrationnel de leur peur obsédante, en charge et la part des patients non suivis restent cepen-
notamment en cas de pensée magique. La thérapie vise dant importants, ce qui justifie un effort particulier de
alors à aider le patient à remettre en cause ces croyances diagnostic et d’information pour améliorer le quotidien
surévaluées. parfois très altéré de ces personnes. Comme pour tous les
troubles psychiques chroniques, une bonne coordination
entre médecins généralistes et psychiatres est essentielle
Formes résistantes pour optimiser le dépistage, le plus précocement possible,
Si les solutions de première intention permettent et le traitement au long cours sous toutes ses facettes.
d’obtenir de bons résultats chez environ un patient sur
deux, elles peuvent être plus ou moins inefficaces chez
les autres, ou très difficiles à appliquer. Des stratégies Déclaration de liens d’intérêts : l’auteur déclare avoir eu, au cours
plus spécialisées peuvent alors être mises en œuvre : des trois dernières années, des collaborations scientifiques avec les
laboratoires pharmaceutiques Biocodex, Otsuka et Janssen-Cilag.
combinaison d’une TCC et du traitement médicamen-
teux, intensification des séances ou intégration d’autres
outils psychothérapeutiques, augmentation de la poso-
logie des antidépresseurs en s’appuyant sur des dosages  Références
plasmatiques, association d’antidépresseurs (notamment
clomipramine associée à un ISRS), ou encore associa- [1] Berrios GE. Obsessive-compulsive disorder: its conceptual
tion d’un antidépresseur à un antipsychotique de seconde history in France during the 19th century. Compr Psychiatry
génération (aripiprazole notamment) [6] . 1989;30:283–95.
Malgré ces traitements renforcés, il reste une part des [2] American Psychiatric Association, DSM-5 Task Force. Diag-
patients dont les troubles sont résistants et parfois très nostic and statistical manual of mental disorders: DSM-5.
fortement handicapants. Pour les situations extrêmes, des 2013. Paris: Elsevier Masson; 2015.
approches neurochirurgicales ont été utilisées au cas par [3] Goodman WK, Grice DE, Lapidus KA, Coffey BJ.
cas à partir des années 1950, dans le but de provoquer des Obsessive-compulsive disorder. Psychiatr Clin North Am
lésions de certaines structures ou voies impliquées dans 2014;37:257–67.
les symptômes du TOC (cingulotomie, capsulotomie, [4] Ruscio AM, Stein DJ, Chiu WT, Kessler RC. The
etc.). Les résultats thérapeutiques étaient généralement epidemiology of obsessive-compulsive disorder in the
National Comorbidity Survey Replication. Mol Psychiatry
modestes, avec des effets secondaires cognitifs irréver-
2010;15:53–63.
sibles. Depuis 15 ans, des solutions de modulation
[5] Quintilla Y, Pelissolo A. Thérapeutiques en psychiatrie. Issy-
cérébrale moins invasives et réversibles sont explorées les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2015.
dans des recherches thérapeutiques prometteuses. Les [6] Skapinakis P, Caldwell DM, Hollingworth W, Bryden
techniques d’électrostimulation intracérébrale (stimula- P, Fineberg NA, Salkovskis P, et al. Pharmacological
tion cérébrale profonde), visant notamment les noyaux and psychotherapeutic interventions for management of
sous-thalamiques ou le striatum ventral, semblent consti- obsessive-compulsive disorder in adults: a systematic review
tuer des recours très utiles pour les formes les plus sévères. and network meta-analysis. Lancet Psychiatry 2016;3:730–9.
Les méthodes de stimulation magnétique transcranienne, [7] Yadak J, Pelissolo A. Antidépresseurs et traitement des
par exemple la rTMS visant le cortex orbito-frontal, font troubles anxieux. In: Médicaments antidépresseurs. Paris:
l’objet également de travaux de recherche avec l’avantage Flammarion Médecine-Sciences; 2012.

A. Pelissolo (antoine.pelissolo@inserm.fr).
Service de psychiatrie, Hôpitaux universitaires Henri-Mondor, AP–HP, Créteil, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Pelissolo A. Les troubles obsessionnels-compulsifs. EMC - Savoirs et soins infirmiers
2019;14(3):1-7 [Article 60-726-F-10].


Pour citation, ne pas utiliser la référence ci-dessus de cet article, mais la référence de la version originale publiée dans EMC – Traité de
Médecine Akos 2019;14(2):1-7 [7-0155].
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(18)90372-8

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