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Traumatismes du rachis cervical


supérieur
F. de Peretti, M. Challali

Les fractures, luxations, entorses du rachis cervical supérieur ont la particularité, soit d’entraîner le décès
immédiat du patient, soit d’être rencontrées chez des patients en général indemnes de troubles neurolo-
giques. Ces lésions se rencontrent essentiellement chez les sujets âgés et la plus fréquente est la fracture de
l’odontoïde. Ces lésions engagent le pronostic vital à cause du risque neurologique, des complications de
décubitus chez les sujets âgés et des complications du traitement, qu’il soit orthopédique ou chirurgical.
Il n’y a pas de consensus concernant la prise en charge de ces patients. Les fractures des arcs antérieur
et postérieur de C1, des masses latérales de C1, les fractures isolées de l’arc postérieur de C1 et C2, les
fractures verticales du corps de C2 sont en général traitées orthopédiquement. Les entorses du ligament
transverse de C1, les rarissimes luxations occipitocervicales sur blessé vivant sont en général opérées. Les
autres lésions, en particulier les fractures de l’odontoïde et des isthmes de C2, peuvent bénéficier d’un
traitement chirurgical ou orthopédique. L’indication chirurgicale est en général retenue si la lésion paraît
instable et que le sujet peut supporter l’intervention, si l’on veut instaurer un nursing précoce chez un
polytraumatisé, etc. Chez les sujets âgés qui sont les plus fréquents, le dilemme est : doit-on opérer le
patient pour éviter un traitement orthopédique contraignant ? Doit-on traiter orthopédiquement pour
éviter le risque opératoire ? Le bon sens, l’expérience et les conditions locales vont orienter soit vers le
traitement chirurgical, soit vers le traitement orthopédique. Pour ces raisons, il est nécessaire d’adresser
ces patients dans un centre spécialisé.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Fracture ; Luxation ; Axis ; Atlas ; Odontoïde

Plan que soient l’âge et l’étage, il faut faire la différence entre les lésions
osseuses dont l’instabilité est temporaire jusqu’à consolidation, les
■ Définition 1 lésions ligamentaires dont l’instabilité est définitive et les lésions
mixtes. Le traitement ne peut être conduit qu’après interpréta-
■ Différentes lésions du rachis cervical supérieur 1 tion du type de lésion. Nous étudierons dans un premier temps
Lésions ligamentaires : entorse et luxation du rachis cervical les différentes lésions rencontrées, puis les modalités de la prise
supérieur 1 en charge et les différents traitements.
Fractures du rachis cervical supérieur 2
Lésions et traumatismes associés du rachis cervical supérieur 5
■ Prise en charge du blessé
Blessés conscients
6
6
Différentes lésions du rachis
Blessés confus 7 cervical supérieur
Imagerie par résonance magnétique 7
■ Données générales sur le traitement orthopédique 7 Lésions ligamentaires : entorse et luxation
■ Conclusion 7 du rachis cervical supérieur
Luxation occipitoatloïdienne
C’est une lésion rare, en général rapidement létale, et pour
Définition cette raison sous-estimée. Elle fut retrouvée neuf fois par Bucholz
et al. [1] en examinant 112 blessés décédés. On individualise :
Le rachis cervical supérieur est étendu de l’articulation occi- • la luxation par distraction pure, véritable décapitation sous-
pitoatloïdienne au disque C2-C3. Les traumatismes du rachis cutanée et vraisemblablement mortelle, que nous n’avons
cervical supérieur mettent en jeu le pronostic vital, soit en entraî- retrouvée qu’une seule fois sur une blessée arrivée vivante à
nant immédiatement des troubles neurologiques mortels, soit par l’hôpital et décédée en salle de radiologie ;
déplacement secondaire. Ils sont très fréquents chez les sujets âgés • les luxations et subluxations antérieures que l’on rencontre
et présentent alors une double morbidité : les troubles de décu- chez les rares survivants ;
bitus et les risques d’apparition de troubles neurologiques. Quels • les luxations postérieures, qui sont rarissimes.

EMC - Appareil locomoteur 1


Volume 7 > n◦ 4 > octobre 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-0521(12)51072-7

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des ligaments alaires. Les travaux de section ligamentaire [2, 3] ont


montré que l’écart normal radiologique entre l’odontoïde et l’arc
antérieur de l’atlas est inférieur à 3 mm chez l’adulte ; la section
isolée du ligament transverse entraîne un écart de 5 mm ; si on
sectionne en plus les deux ligaments alaires, l’écart est d’au moins
8 mm ; la section de l’ensemble ligamentaire entraîne un écart de
8 à 15 mm.
Le diagnostic est radiologique et densitométrique, la lésion
initialement invisible peut être dévoilée sur les radiographies
dynamiques et/ou les radiographies tardives. Deux diagnostics
différentiels sont classiques : chez l’enfant, un écart de 5 mm est
normal, chez l’adulte les lésions rhumatoïdes du rachis cervical
supérieur donnent les mêmes images. Les signes cliniques sont
banals et les signes neurologiques, s’ils sont présents, sont en
général peu intenses car dans le cas contraire le patient serait
vraisemblablement décédé avant son arrivée à l’hôpital.

Instabilités rotatoires C1-C2


Il ne faut pas les confondre avec les subluxations de l’enfant qui
ne sont que des torticolis. Elles peuvent être unilatérales ou bila-
térales, elles sont vraisemblablement de fréquence sous-estimée,
car souvent létales. Elles peuvent être associées à une rupture du
ligament transverse. Des cas de luxation bilatérale rotatoire sans
Figure 1. Repères radiologiques de profil utilisables pour apprécier les trouble neurologique sont décrits [4] . Le diagnostic suspecté sur la
rapports de l’occiput et du rachis cervical supérieur. ab : ligne de Cham- radiographie est confirmé par le scanner (Fig. 3). L’imagerie par
berlain prolongeant le palais osseux et passant au-dessus de l’odontoïde résonance magnétique (IRM) recherche une lésion du ligament
à proximité ou jouxtant son sommet. cd : ligne basilaire, prolongeant le transverse. Dans notre expérience, les luxations rotatoires sont
clivus et passant juste en arrière du sommet de l’odontoïde. efg : cintre chez des sujets féminins hyperlaxes.
occipito-odontoïdien régulier et visible sur une bonne radiographie de
profil.
Fractures du rachis cervical supérieur
Fractures de C1
Elles sont de quatre types :
• la fracture isolée de l’arc postérieur, souvent due à un trau-
matisme en extension rompant l’arc postérieur de C1 entre
l’écaille de l’occipital et l’arc postérieur de C2. Le déplacement
est souvent nul et la fracture est une découverte de la tomo-
densitométrie (TDM) ;
• la fracture isolée de l’arc antérieur, rare, due à un traumatisme
en extension, l’odontoïde venant buter sur l’arc. C’est aussi
souvent une découverte de la TDM ;
• la fracture isolée et parcellaire d’une masse latérale. Elle est
due à une compression latéralisée et est souvent affirmée sur
le scanner ;
• la fracture des arcs antérieur et postérieur de l’atlas ou frac-
ture de Jefferson (Fig. 4). C’est une fracture des arcs de
l’atlas avec déplacement latéral divergent des masses latérales.
L’orientation inverse des condyles occipitaux et des apophyses
articulaires supérieures de C2 entraîne une expulsion latérale
des masses latérales de C1 lors d’une compression axiale sur le
vertex. La lésion a la réputation d’être stable mais Roy-Camille
et al. [2] considèrent que si l’écartement des masses latérales
est supérieur à 5 mm, il y a rupture du ligament transverse et
instabilité. Le cliché bouche ouverte recherche la fracture de
Figure 2. Instabilité C1-C2 après rupture du ligament transverse. l’arc antérieur parfois visible et le débord latéral des masses
latérales. Sur un cliché bouche ouverte normal, les masses laté-
rales sont strictement à l’aplomb des condyles occipitaux et
Le scanner corps entier avec reconstruction permet de faire plus des apophyses articulaires supérieures de C2. Néanmoins, si la
sûrement le diagnostic que les mauvaises radiographies faites en tête est inclinée d’un côté, une masse latérale peut déborder
urgence. La Figure 1 montre les différents repères radiologiques latéralement du côté de l’inclinaison sans qu’il y ait une frac-
qui peuvent être utilisés pour apprécier la reconstruction scanner ture. La TDM précisant la localisation des traits et l’importance
2D. Le cintre odontoïdien de Roy-Camille et al. [2] nous semble du déplacement est l’exploration idéale selon Dosch [5, 6] . Elle
très utile pour diagnostiquer les déplacements antérieurs. permet en plus de suivre la consolidation.

Lésions ligamentaires C1-C2


Fractures de C2
Elles peuvent être subdivisées en instabilité sagittale et instabi-
lité rotatoire. Elles représentent 20 % de l’ensemble des fractures du rachis
cervical [7] avec 8,5 % de troubles neurologiques et 2,4 % de décès
Instabilités sagittales brutaux immédiatement après réception. On les retrouverait de
Ce sont les entorses graves du ligament transverse (Fig. 2). Les façon fréquente chez les patients décédés lors d’un accident de la
lésions du ligament cruciforme peuvent être associées à des lésions voie publique.

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Figure 3. Instabilité rota-


toire de C1.
A. Radiographie de profil.
B. Tomdensitométrie 3D.

A B

Figure 4.
A. Mécanisme par choc sur le vertex de la fracture de Jefferson.
B. Schéma montrant la perte d’alignement d’un côté d’une masse latérale avec le condyle occipital correspondant.
C. Fracture de Jefferson en vue supérieure.

Fractures du pédicule ou isthme de C2 les fractures de l’isthme pouvant entraîner un élargissement du


Elles correspondent à un ensemble de fractures siégeant entre canal. Les patients que nous soignons présentent soit une fracture
les processus articulaires supérieurs de C2 et les processus arti- non déplacée, soit une fracture associée à une lésion du disque C2-
culaires inférieurs de C2. Elles sont regroupées sous le vocable C3 avec ou sans arrachement osseux en goutte (tear drop) du coin
de Hangman’s fracture par les auteurs anglo-saxons [8] ou de frac- antérieur de C2. Un vecteur traumatique de compression ou de
ture du pendu par les francophones par analogie avec les lésions flexion secondaire peut être associé. La classification la plus utili-
retrouvées sur les victimes de pendaison judiciaire avec chute sée précisant l’instabilité croissante des lésions est celle d’Effendi
du patient dans une trappe. On prétend que certains bourreaux et Laurin [9] (Fig. 6). Ce sont les lésions du type I ou II (Fig. 7)
avaient remarqué que la mort était immédiate par « brisure de qui sont le plus souvent retrouvées. Nous n’avons jamais vu de
la nuque » si le nœud de la corde était contre la face de la vic- lésion du type III, c’est-à-dire associée à une luxation des proces-
time, favorisant une hyperextension brutale du rachis cervical. sus articulaires C2-C3. Roy-Camille et al. [2] y ajoutent un type IV
Le trait est situé de façon variable entre la partie postérieure des lorsque la fracture de C2 est associée à une fracture de l’odontoïde.
processus articulaires supérieurs et la partie antérieure des proces- La localisation exacte du trait a moins d’importance. Quoi qu’il
sus articulaires inférieurs. Les patients présentant tous, dans notre en soit, la caractéristique essentielle des lésions de type II est
expérience, un impact antérieur facial, le vecteur principal vulné- qu’elles surviennent pour un traumatisme en extension, qu’elles
rant est donc l’extension (Fig. 5) ; soit la force est conséquente et la peuvent se déplacer en flexion, mais se réduisent par traction en
mort est subite, soit la force est plus faible sans lésion médullaire, extension.

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Figure 7. Fracture du pendu type II d’Effendi et Laurin. Pas de trouble


neurologique.

Figure 5. Mécanisme des fractures du pendu.


Le porte-à-faux occipito-atloïdo-axoïdien [12] entraîne sur
l’odontoïde une contrainte verticale légèrement oblique en
Fractures de l’apophyse odontoïde bas et en arrière. D’après Maestro et Argenson [12] , ceci est dû au
Elles sont connues depuis longtemps pour le risque de décès et fait qu’une partie du poids de la tête s’exerce sur l’odontoïde par
de pseudarthrose. Ce sont les plus fréquentes du rachis cervical l’arc antérieur de C1 et que, d’autre part, l’odontoïde est oblique
supérieur et elles représentent de 9 à 15 % de l’ensemble des frac- en haut et très légèrement en arrière (Fig. 9).
tures du rachis cervical [10] . Ce sont les fractures du rachis cervical Les difficultés de réduction et de contention, les sollicitations
les plus fréquentes chez les patients de plus de 80 ans. Elles sont mécaniques sur la dent, sont à l’origine des pseudarthroses. Avant
dues à un mécanisme de cisaillement antérieur ou postérieur 50 ans, les rares fractures diagnostiquées sont dues à un trauma-
associé à une compression axiale. Le cisaillement seul ne permet tisme violent. Les fractures surviennent plus fréquemment chez
pas expérimentalement de reproduire la facture. La vascularisa- les sujets âgés et sont dues à un traumatisme à basse énergie.
tion de l’odontoïde est riche, provenant des artères vertébrales, Les patients hospitalisés présentent rarement des troubles neuro-
pharyngiennes et occipitales [11] , elle n’est pas du type épiphysaire logiques, mais lorsqu’ils sont présents ils sont gravissimes, avec
comme le col du fémur et les apports extraosseux sont difficile- risque d’arrêt cardiorespiratoire. Nous avons observé quelques
ment interrompus (Fig. 8). Il ne faut pas rechercher une cause tétraplégies incomplètes régressives. Nous avons constaté très
vasculaire pour expliquer la fréquence des pseudarthroses. souvent un syndrome confusionnel, associé à un dérèglement

Figure 6. Classification d’Effendi et Laurin montrant les trois types de fracture des isthmes de C2.
A. Type I.
B. Type II.
C. Type III.

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Figure 10. Classification


d’Anderson et d’Alonzo.
A. Fracture de la pointe.
B. Fracture du col.
C. Fracture de la jonction avec le
corps de C2.
Figure 8. Vascularisation de l’odontoïde.

en rajoutant un type II A. Les fractures OBAV sont plus stables


que les autres car le porte-à-faux de la charnière occipitoverté-
brale met le trait en compression. Les fractures OBAR déplacées
sont instables car les attaches postérieures ligamentaires sont
rompues.
Chez les sujets jeunes, traités correctement, les fractures de
l’odontoïde sont moins graves que ne le pensaient les auteurs
anciens qui n’utilisaient pas le traitement chirurgical. Chez les
sujets âgés, le problème est différent. À la gravité neurologique de
la fracture s’ajoutent les complications de décubitus et les difficul-
tés du traitement chirurgical. Ainsi, la mortalité après réception du
patient varie entre 4 [16, 17] et 35 % [10] , avec une moyenne de l’ordre
de 10 % [16–18] . La morbidité est majeure et les complications après
traitement sont de l’ordre de 16 à 17 % [16, 17] quels que soient les
traitements, avec un taux de pseudarthrose pouvant aller jusqu’à
Figure 9. L’obliquité en haut et en arrière de l’odontoïde transforme 54 % [19] .
une partie des contraintes verticales en contraintes de cisaillement dirigées Une fois la période post-traumatique passée succède parfois la
vers l’arrière. période de prise en charge d’une pseudarthrose. La radiographie
dynamique par mouvement actif (les mouvements passifs ou for-
cés sont évidemment proscrits) permet de faire la différence entre
neurovégétatif, nécessitant une prise en charge en milieu surveillé les pseudarthroses serrées et figées, et les pseudarthroses lâches et
et spécialisé. Cet état peut être régressif après stabilisation et n’est mobiles qui sont une véritable épée de Damoclès.
pas, à lui seul, une contre-indication chirurgicale.
Le diagnostic est souvent porté grâce à la radiographie de face Fractures du corps de C2
bouche ouverte et de profil. L’interprétation de ces clichés est déli- Elles sont rares en tant que lésions isolées et souvent mal visibles
cate. La TDM hélicoïdale avec reconstruction 2D et 3D donne une sur les radiographies standards. La TDM avec reconstruction aide
image parfaite de la fracture et est l’examen-clé. Les coupes axiales au diagnostic. Benzel et al. [20] proposent la classification suivante
ont peu d’intérêt. (Fig. 13) :
La classification communément utilisée est celle d’Anderson et • fracture du type I, à trait frontal, due à un traumatisme en exten-
D’Alonzo [13] (Fig. 10). sion. Lorsque le trait est postérieur, ce sont en fait des fractures
Le type I correspond aux fractures de la pointe. Ce sont des arra- du pendu. Une forme particulière est l’arrachement du coin
chements des ligaments occipito-odontoïdiens, elles sont stables inférieur de C2 [21] ou fracture en tear drop. Dans l’immense
et rarissimes. majorité des cas, elle est due à un traumatisme en extension
Le type II comprend les fractures à la jonction de la dent et du et mérite le nom de tear drop inversé de C2 (Fig. 14). La lésion
corps de C2. Elles représentent [7] de 54 à 60 % des fractures de est en général stable, mais il faut suspecter une lésion du disque
l’odontoïde. Les fractures associées à des débris osseux antérieurs C2-C3 même si la lésion n’est pas déplacée et demander une
ou postérieurs sont considérées comme les plus instables. radiographie dynamique ;
Le type III correspond aux fractures propagées dans l’os spon- • fracture du type II, à trait sagittal, et vraisemblablement due à
gieux du corps de l’axis. Elles représentent [7] de 39 à 42 % des une compression axiale ;
séries. Roy-Camille et al. [2, 14] introduisent la notion de déplace- • fracture du type III, qui est en fait une fracture transcorporéale
ment et d’instabilité en fonction du trait. Ils isolent trois types de l’odontoïde.
de trait (Fig. 11) : oblique en bas et en avant (OBAV), oblique en
bas et en arrière (OBAR) et horizontal (HTAL). En cas de dépla-
cement, les OBAV glissent en avant, les OBAR en arrière, et les Lésions et traumatismes associés du rachis
HTAL en avant et en arrière. La variété horizontale (Fig. 12) avec cervical supérieur
comminution de la fracture présente l’aspect radiologique d’un
« chapeau de bobby londonien », son instabilité est maximale et le L’association lésionnelle avec une autre lésion vertébrale est
risque de pseudarthrose est majeur. Pour ce type de fracture, Had- aussi fréquente à ce niveau qu’aux autres niveaux de la colonne
ley et al. [15] ont modifié la classification d’Anderson et D’Alonzo vertébrale, et est de l’ordre de 20 % dans notre expérience et dans

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Figure 11. Les trois types d’obliquité du


trait selon Roy-Camille (A à C).

Figure 12. Reconstruction 2D d’une fracture horizontale de


l’odontoïde avec aspect en « chapeau de bobby londonien ».

Figure 14. Fracture en tear drop inversé de C2. Radiographie de


contrôle après mise en traction montrant la décoaptation entre C2 et
C3.

cervical. Le segment céphalique doit être manipulé en monobloc


avec le tronc et le transport doit se faire le rachis cervical contenu.
Au centre de réception, il convient de faire la différence entre
d’une part les blessés souffrant de la région crâniocervicale parfai-
tement conscients, non choqués, sans perte de connaissance, et
Figure 13. Fractures du corps de C2.
d’autre part les blessés confus, ou polytraumatisés, ou intoxiqués.
A. Les trois flèches indiquent les trois traits frontaux.
B. Trait vertical. Blessés conscients
Pour les blessés parfaitement conscients souffrant de la région
celle d’autres auteurs. La fracture de l’odontoïde est souvent asso- crâniocervicale, l’examen neurologique est noté, le rachis cervi-
ciée à une autre lésion du rachis cervical supérieur [2, 22, 23] . Ces cal est immobilisé par un collier et les radiographies du rachis
associations sont diagnostiquées grâce à la TDM avec recons- cervical sont réalisées. Classiquement, cinq incidences sont effec-
truction. Leur méconnaissance risque d’entraîner un traitement tuées : face, profil, face bouche ouverte et obliques. Mal réalisées,
incomplet. Les lésions du rachis cervical supérieur peuvent être les incidences obliques sont dangereuses et un protocole compre-
associées à toute autre lésion traumatique extrarachidienne, mais nant face, profil, face bouche ouverte est considéré comme
sont surtout fréquentes en association avec un traumatisme suffisant [25, 26] . Il n’y a pas lieu de réaliser systématiquement des
crânien, même bénin [24] . Seules la modestie, la répétition de radiographies du rachis cervical qui peuvent être inutiles ou mal
l’iconographie et sa lecture attentive permettent de déjouer les interprétées par un médecin insuffisamment entraîné chez un
pièges quotidiens. blessé monotraumatisé ne souffrant pas de la région crâniocer-
vicale.
L’étude américaine Nexus [27] précise qu’il n’est pas nécessaire
de faire de radiographie en l’absence de douleur à la pression
 Prise en charge du blessé des épineuses, de déficit neurologique, de trouble de la vigilance,
d’intoxication, d’une autre lésion douloureuse pouvant occulter
Sur les lieux du traumatisme, tout blessé souffrant du cou, une fracture du rachis. Ces cinq critères auraient une valeur pré-
ou confus, ou polytraumatisé, est suspect de lésions du rachis dictive négative de 99,8 %.

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L’étude canadienne [28] sur les patients sans trouble de la l’alimentation et en position assise si possible car une minerve
vigilance précise qu’en l’absence de critère en faveur d’un trau- moulée en position allongée a peu de chance d’être adaptée lors
matisme même bénin du rachis cervical, les radiographies sont de la verticalisation. Dans les lésions instables et réduites, elle est
indiquées s’il existe un risque lié au terrain, aux circonstances de moulée avec contrôle scopique bouche ouverte, et sangle man-
l’accident, à l’examen clinique initial, ou si le patient est inca- dibulaire de traction verticale ou étrier de traction en place pour
pable d’effectuer une rotation cervicale de 45◦ vers la droite et la maintenir la réduction. Une fenêtre antérieure permet les mou-
gauche. vements du larynx. La surveillance clinique est fondamentale.
Si les radiographies mettent en évidence ou suspectent une L’immobilisation par minerve expose aux escarres chez les sujets
lésion du rachis cervical supérieur, la TDM est demandée car elle dont la peau est fine à cause de l’âge ou d’une corticothérapie au
est inégalée pour explorer le rachis cervical supérieur [29] . long cours. La mise en place d’une minerve est contre-indiquée
chez les patients dont la conscience n’est pas parfaite, présentant
des troubles respiratoires ou risquant de nécessiter des manœuvres
Blessés confus urgentes de réanimation, ou présentant un traumatisme facial
associé. Le déplacement secondaire des lésions est fréquent. Pour
Pour les blessés confus, polytraumatisés, intoxiqués, la TDM
cela, le contrôle radiologique est nécessaire tant que les lésions ne
est plus sensible que les radiographies [26] et est rarement prise en
sont pas solides.
défaut face à l’IRM. Le scanner multicoupes millimétriques permet
Le halo crânien ou halo plâtré (halo vest ou halo cast des
d’explorer en quelques secondes le rachis cervical et peut être asso-
Anglo-Saxons) est formé de trois parties : une couronne fixée au
cié à l’exploration d’autres régions. Son irradiation est compensée
moins par quatre pointeaux dans le crâne, un gilet thoracos-
par son bénéfice.
capulaire, et des barres d’union entre le halo et le gilet. C’est
un traitement classique pour les lésions du rachis cervical supé-
Imagerie par résonance magnétique rieur, et ce d’autant plus que les barres d’union sont réglables,
permettant une modification du montage. Il doit être autant sur-
Elle n’est pas performante pour explorer l’arc postérieur [26] veillé qu’une minerve et présente les mêmes contre-indications.
mais serait performante pour explorer les lésions ligamentaires. Il expose [31] au démontage du système, à l’arrachement des
Nous pensons qu’elle nécessite des radiologues entraînés et des pointeaux, à l’infection locale et aux escarres, au déplacement
machines performantes, car dans notre centre elle n’a pas fait secondaire de la lésion. Comme pour la minerve, le contrôle
la preuve de son efficacité. L’IRM reste inégalée pour l’étude radiologique régulier des lésions est nécessaire en attendant la
du contenu du canal rachidien. Les indications en traumato- consolidation. Le halo plâtré, très utilisé dans le monde occiden-
logie du rachis [26] sont limitées par les difficultés d’accès, la tal, est peu utilisé en France et les publications françaises sont
durée de l’examen, la compatibilité du matériel de réanimation rares.
et d’orthopédie, la difficulté de surveillance du patient. Elle est en La traction par étrier crânien se fait sur un sujet alité en position
fait indiquée dans les cas où la TDM ne permet pas de faire par- semi-assise, le tronc faisant 30 à 45◦ avec les membres inférieurs.
faitement le diagnostic des lésions ou en cas de discordance entre Il ne faut pas dépasser 3 kg de traction pour le rachis cervical
les lésions constatées et l’examen clinique. supérieur, sauf si l’on veut réduire une lésion ancienne. Les radio-
graphies de contrôle sont au moins quotidiennes au début car
le risque de distraction des lésions est majeur, pouvant réaliser

“ Point important une « décapitation sous-cutanée ». La traction est le traitement


orthopédique le plus contraignant et expose à tous les risques
précédemment décrits du traitement orthopédique. Elle est utili-
sée comme traitement d’attente d’une lésion instable, ou comme
Le premier traitement médical réalisé en fonction de l’état manœuvre de réduction et de contention d’une lésion instable
du patient et après avoir fait ou suspecté un diagnos- que l’on ne veut pas opérer. Dans ce cas, elle peut être préalable à
tic, l’équipe médicale doit se poser la question suivante : un traitement par minerve ou halo.
suis-je compétente pour prendre en charge le patient ? En L’étude du traitement orthopédique des lésions du rachis cer-
l’absence d’expérience ou de moyen, il convient d’adresser vical supérieur montre que ce traitement n’est pas sans danger
le patient dans un centre de référence. et impose une surveillance clinique. Il est souvent utilisé chez
les vieillards que l’on ne veut pas ou que l’on ne peut pas opé-
rer, et l’expérience montre qu’il est mal supporté. Il faut donc
savoir faire une désescalade, commencer par le traitement ortho-
pédique le plus indiqué et en cas d’intolérance opter vers des
traitements de moins en moins contraignants ; un simple collier
 Données générales mousse est parfois déjà trop pour un grand vieillard confus qui
respire mal... Dans ce cas extrême, l’abstention de contention est
sur le traitement orthopédique une option tout à fait envisageable.

Le collier mousse et le collier rigide type « philadelphia » peu


contraignants sont essentiellement une méthode d’attente avant
que le diagnostic définitif soit établi. Ils peuvent être le trai-  Conclusion
tement définitif chez un grand vieillard inapte à supporter un
traitement plus contraignant. L’habitude de mettre un collier type Les lésions du rachis cervical supérieur sont rarement associées
« philadelphia » chez les patients polytraumatisés pendant la réa- à des troubles neurologiques chez les blessés que nous recevons.
lisation du bilan ou « en attendant des jours meilleurs » présente Elles engagent le pronostic vital à cause du risque de déplacement
des risques [30] qui augmentent avec le temps de pose, la présence secondaire et de l’âge avancé de la majorité des patients.
du patient en soins intensifs, les troubles respiratoires et l’attente Certaines lésions comme les fractures isolées des arcs posté-
parfois longue pour obtenir une IRM. rieurs sont bénignes et guériront sans problème. D’autres, et en
La minerve amovible faite sur mesure ou inamovible moulée particulier les lésions ligamentaires telle la rupture du ligament
en position de réduction est nettement plus contraignante. Elle transverse, sont de diagnostic non évident parfois étayées par
comporte pour le rachis cervical supérieur un bandeau frontal l’IRM, et sont de préférence traitées chirurgicalement. Les fractures
pour bloquer les mouvements du rachis cervical supérieur et trois les plus fréquentes sont les fractures de Jefferson, les fractures du
autres points d’appui : mentonnier, occipital, sternal. Un capi- pendu, les fractures de l’odontoïde. Leur prise en charge néces-
tonnage est nécessaire pour minimiser les risques d’escarre du site une compréhension parfaite de la lésion et de l’instabilité
menton, de l’angle de la mandibule et de la région occipitale. potentielle. Les fractures de l’odontoïde chez le sujet âgé sont de
Elle est moulée bouche ouverte de 2 cm au moins pour permettre loin les plus fréquentes. Leur gravité tient du risque potentiel de

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déplacement, de pseudarthrose et de l’âge du sujet. Leur traite- [17] Platzer P, Thalhammer G, Oberleitner G, Schuster R, Vécsei V, Gaebler
ment n’est pas univoque. Si elle est possible, la chirurgie n’est pas C. Surgical treatment of dens fractures in elderly patients. J Bone Joint
contre-indiquée chez le vieillard. Ainsi, chaque lésion doit être Surg [Am] 2007;89:1716–22.
analysée pour proposer au patient la balance bénéfice/risque la [18] White AP, Hashimoto R, Norvell DC, Vaccaro AR. Morbi-
plus juste. Et tout compte fait, l’expérience du thérapeute est un dity and mortality related to odontoid fracture. Spine 2010;35:
élément décisionnel majeur. 146–57.
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F. de Peretti (deperetti.f@chu-nice.fr).
M. Challali.
Service de traumatologie-orthopédie, Hôpital Saint-Roch, Centre hospitalo-universitaire de Nice, 5, rue Pierre-Dévoluy, 06006 Nice cedex 1, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : de Peretti F, Challali M. Traumatismes du rachis cervical supérieur. EMC - Appareil locomoteur 2012;7(4):1-8
[Article 15-825-A-10].

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