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Glucksmann André. Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision. In: Communications, 7, 1966. pp. 74-119.
doi : 10.3406/comm.1966.1097
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1966_num_7_1_1097
ANALYSE
André Glucksmann
INTRODUCTION
1. Nous remercions le Ministère de la Jeunesse et des Sports d'avoir bien voulu nous
autoriser à publier ce rapport. N. D. L. R.
_ 2. U. N. E. S. C. 0., a L'influence du cinéma sur les enfants et les adolescents, »
bibliographie internationale annotée, Étude* et documents, 31, 1963.
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Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
« Tout ce que nous savons en toute certitude sur le cinéma, c'est que nous ne savons
pas grand-chose de certain. »
De quelle manière sélectionner alors les ouvrages importants dans cet amas
de recherches désorganisées, où le savoir et l'opinion se mêlent confusément?
Il faut faire de nécessité vertu et multiplier les critères de sélection. Un certain
nombre d'enquêtes et de recherches font autorité même si elles n'apportent pas
de solutions définitives : on ne peut plus discuter des effets de la violence sans
tenir compte des données qu'apportent Himmelweit, Schramm, Bogart, Steiner,
Keilhacker et bien d'autres. Il y a des avis qui paraissent plus fondés que d'autres
par l'expérience à laquelle ils se réfèrent, qu'elle soit psychologique, sociologique
juridique, pédagogique, médicale etc.. 2. C'est donc moins les thèses proposées
que la manière de les illustrer, voire de les démontrer qui a permis la sélection
que nous proposons.
L'ensemble des études ainsi déterminé fait apparaître un certain nombre de
directions majeures ; à les suivre, le champ de la recherche se laisse découper
en six grands secteurs qui sont les six perspectives prises jusqu'à maintenant
sur notre problème.
1) Les opinions générales: toute recherche part de thèses simples sur l'effet
du cinéma et de la télévision, ou espère y parvenir. De plus chacune de ces thèses
est affirmée pour elle-même par une partie de l'opinion. Il est donc possible à
la fois de les recenser et d'étudier leur distribution dans les différentes couches de
la population.
2) L'impact du cinéma et de la télévision. Les opinions ont toutes leur origine
dans certains faits que le public ressent et que les chercheurs ont analysés :
l'importance du cinéma et de la télévision, qui s'illustre par l'ampleur de leur
public, et l'importance quantitative des scènes de violence dans les films et les
émissions télévisées.
3) L'étude sociologique des effets. Les scènes de violence ne sont pas seulement
« émises » par le cinéma et la télévision, elles sont aussi « reçues » par un public
hétérogène — la sociologie, par ses méthodes statistiques et ses considérations
globales, permet : a) de préciser la nature de cet effet en comparant le compor-
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Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
I. PANORAMA DE L'OPINION
Consacrer une bibliographie aux effets des scènes de violence filmées ou télévisées
suppose que ces effets dépendent pour une part des qualités propres aux deux
media employés. Les auteurs s'accordent en effet pour noter que par le truche
mentdu film ou de la télévision ces scènes de violence prennent une importance
particulière :
a) parce qu'elles sont transmises par des moyens de communication de masse
à un public beaucoup plus ample (tant par le nombre que par les couches sociales
et les classes d'âge qui s'y mêlent) que ne l'est le public des spectacles tradition
nels : c'est par ce caractère massif de l'effet que les juristes justifient le régime
spécial de la censure cinématographique, si différent par exemple de la légis
lation en matière de théâtre x.
b) parce que les qualités propres à l'animation de l'image font supposer que
son influence sera spécifique : la plupart des études conviennent que pour un
contenu analogue le cinéma influencera plus le comportement des jeunes spec
tateurs que, par exemple, les bandes illustrées.
Ce deuxième point impliquerait un examen de toutes les théories faites à propos
du cinéma en général 2. Pour ne pas alourdir infiniment cette bibliographie
nous avons choisi de restreindre les références théoriques aux seuls travaux
consacrés aux effets des scènes de violence.
Mais on ne peut négliger de dresser un rapide bilan des opinions professées
sur l'influence du cinéma et de la télévision, ni aborder les études des spécialistes
avant d'avoir interrogé l'opinion publique et ses représentants qualifiés :
a) parce que ces opinions ont valeur de témoignage dans le procès instruit
contre la violence au cinéma et à la télévision ;
b) parce que c'est l'inquiétude de l'opinion publique qui a motivé les travaux
des chercheurs : en particulier les premières grandes enquêtes des Payne Fund
Studies (1930) ;
« C'est le souci de réformer la société qui s'exprimait dans l'intérêt porté par les
sciences humaines à des symptômes de désorganisation sociale tels que les maladies
mentales, les conflits familiaux, la délinquance juvénile ou le crime. Les chercheurs
qui étudiaient l'influence des mass media sur les jeunes avaient tendance à poser le
problème en ce contexte : le cinéma et la radio étaient considérés — au même titre
que les taudis — comme la source du désordre social *. »
II convient donc d'examiner si l'opinion met toujours sur le même plan taudis
et communications de masse : que reproche-t-on au cinéma et à la télévision,
qui s'accorde à faire ces reproches?
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« Lorsque les jeunes voient de la danse, ils ont envie de danser, s'ils voient des
friandises, des boissons alléchantes ou des desserts ils veulent les acheter. On ne peut
pas affirmer d'une façon sensée que les enfants qui voient la violence sur l'écran n'en
acquièrent pas un certain goût, même s'ils n'en sont pas tout à fait conscients *. »
S'y joignent des sociologues qui estiment que l'existence d'un effet présumé
dangereux du cinéma n'a pas du tout été démontrée :
c II n'est du reste nullement dans notre ligne de promouvoir une interdiction quelle
qu'elle soit. L'examen du problème de l'influence pernicieuse du cinéma nous conduit
à rejeter toute justification à la censure dans ce domaine. Les véritables fondements
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sociologiques de la censure plongent bien plus profond que toutes les justifications
secondaires et les prétextes avancés. Son royaume est celui des tabous politiques de
l'ordre établi et des tabous magiques qui rejettent dans la nuit sacrée l'horreur de
la décomposition des cadavres et la frénésie de l'acte amoureux, la nudité de la mort
et de la sexualité » (Edgar Morin *).
soit : la société rationalise ses angoisses lorsqu'elle prétend agir pour la sauve
garde de l'enfance et de la jeunesse : elle ne veut pas comprendre que le cinéma
est un facteur positif de « l'initiation de l'adolescent à la vie adulte ».
Entre ces thèses « extrêmes, une série d'opinions « moyennes » ont pu être
développées. Certaines introduisent des nuances en distinguant différents types
de violences plus ou moins néfastes, neutres ou bénéfiques. Ainsi le professeur
Heuyer, parle, à propos du cinéma policier, d' « intoxication psychologique
impunément entretenue 2 ». Cependant il reconnaît l'influence positive et « cathar-
tique » des films d'aventure sur les adolescents. D'autres auteurs remettent en
cause l'importance accordée aux communications de masse, ainsi S. et E. Gluek
dans leur étude consacrée à la jeunesse délinquante :
« Ce n'est pas en les privant de toute expérience des fléaux de la vie moderne que
les enfants seront rendus meilleurs. Ce n'est pas ainsi que se forge le caractère. Ce
n'est pas en le privant de cinéma, de cirque et d'autres spectacles amusants que l'on
résoudra les problèmes fondamentaux... Si un gaillard ressent le besoin de telles
distractions il les trouvera d'une manière ou d'une autre. L'en priver n'est pas une
thérapeutique • ».
On peut tirer deux conclusions de ce rapide survol de toutes les thèses en pré
sence :
1) que toutes les opinions imaginables à partir des deux problèmes que nous
avons circonscrits ont trouvé des défenseurs ;
2) que toutes ces thèses s'appuient sur des postulats que nous aurons à exa
miner séparément et qui concernent soit des corrélations sociologiques, soit des
mécanismes psychologiques.
Il nous reste à examiner comment l'opinion publique se partage devant des
avis si divers.
c. l'opinion divisée
Des sondages ont été opérés dans différentes couches de la population et les
experts ont été invités à soumettre leur avis à différentes commissions. Les
questionnaires étaient plus ou moins nuancés selon les cas et nous n'en faisons
qu'un relevé indicatif.
Une commission officielle a présenté un rapport au Parlement britannique en
e ... a été incapable d'établir un lien de causalité directe entre les spectacles d'actes
criminels et l'accomplissement effectif de tels actes. Mais il n'a pas non plus décou
vertla preuve irréfutable que les jeunes ne sont pas influencés négativement dans
leur comportement du fait d'être exposés à des films et à des épisodes fondés sur des
thèmes sous-jacents d'illégalité et de crime et se complaisant dans la peinture de la
violence humaine *. »
Les familles ne sont pas moins partagées. Priés de dire s'ils considéraient que
la télévision était bonne ou non pour les enfants, 65 % des hommes et 58 % des
femmes ont répondu par l'affirmative (1963) 8. Par contre un Gallup plus an
cien (1954) signale que 70 % des adultes considèrent que les films policiers sont
un facteur de délinquance *. Connaissant la forte part des films violents dans les
programmes américains (Partie II) il faut conclure ici aussi à une incertitude de
l'opinion publique. La tendance semble pourtant être celle d'une diminution de
l'inquiétude : une enquête américaine montre que 76 % des parents estiment
simplement éphémères les effets de la télévision (1962, Steiner) tandis qu'une
enquête française (1961) montre que 80 % des familles aisées et 50 % des familles
de travailleurs manuels estiment que la télévision est un bienfait (pour, dans le
deuxième cas, 40 % d'indécis). Et si 90 % des parents jugent certaines émissions
mauvaises pour les enfants, 70 % n'interdisent pas à leurs enfants de les regarder 5.
Des interprétations différentes peuvent être données de ces contradictions,
soit que les parents ne croient pas sérieusement au danger qu'ils dénoncent,
soit qu'ils perdent leur autorité. Il reste qu'ici aussi l'indécision est
manifeste.
Signalons que les enfants dans leur grande majorité (2/3) ne croient pas aux
dangers de la télévision et du cinéma 6. Ce qui prouve soit qu'ils sont trop intoxi-
1. Report of the departmental Commitee on Children and the Cinema (May 1950
London, H. M. Stationery Office, 1951.
2. U. S. Senate Commitee on the Judiciary, Television and Juvenile Deliquency, Interim
Report of the Subcommitee to Investigate Juvenile Deliquency, Government Printing
Office, Washington, 1955.
3. G. A. Steiner, ouvr. cité, p. 82.
4. L. Bogart, ouvr. cité, p. 273.
5. H. Gratiot-Alphandery, S. Rousselet, La télévision et la famille, École des
Parents, 3, Janvier 1961, p. 29-35.
6. L. Bogart, ouvr. cité, p. 274. — W. Schramm, ouvr. cité, p. 54. — H. Himmel-
weit, ouvr. cité, p. 353.
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qués pour s'apercevoir du danger, soit qu'ils se sont découvert une immunité,
que les adultes conçoivent avec peine 1.
Les pédagogues se montrent plus sévères. Au congrès international de la Presse
du Cinéma et de la Radio pour enfants qui s'est tenu à Milan en 1952 :
D. CONCLUSIONS
1) Les chiffres les plus précis concernent la télévision, ils expliquent que l'ac
cent soit mis dans les pays anglo-saxons sur le danger de la télévision plutôt
que sur celui du cinéma. En effet, aux États-Unis, et à un degré moindre en
Pour l'Angleterre, Himmelweit donne une moyenne de deux heures par jour ;
de même T. Furu pour le Japon. Les chiffres sont semblables pour tous les pays
économiquement développés qui ont un réseau suffisamment dense. Les varia
tions semblent dépendre du nombre de programmes susceptibles d'être captés.
Les grands adolescents semblent plus détachés du spectacle télévisuel que leurs
parents. Lors de l'installation d'un premier poste de télévision,
« contrairement à ce qui a été dit ou écrit, ce sont les adolescents, puis les enfants,
qui commencent à faire des efforts pour échapper à l'envoûtement ; les adultes,
quoiqu'ils s'en défendent, paraissent beaucoup plus longs à réagir *. »
1. P. Witty, « Children and T. V., a Fifth Report », Elementary English, Oct. 1954, p.9.
2. L. Bogart, ouvr. cité, p. 245 s.
3. W. Schramm, ouvr. cité, p. 30.
4. H. Gratiot-Alphandery, J. Rousselet, art. cité.
5. G. Maletzke, Fernsehen im Leben der Jugend, Hans Bredow Verlag, 1959, 298 p.
F. Zôchbauer, Jugend und Film, Emsdetten, Verlag Lechte, 1960, 203 p.
6. W. A. Belson, « Measuring the Effects of Television », Public Opinion Quarterly,
22 (1), 1958, pp. 11-18.
7. L. Lunders, L'attitude actuelle des jeunes devant le cinéma, Paris, Office Général du
Livre, 1963, 190 p.
8. Centre National de la Cinematographic, Cinéma français, Perspectives 1970,
Février 1965.
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Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
Ces chiffres concordent dans l'ensemble avec les données des autres pays éc
onomiquement développés : les jeunes représentent environ 45 % des acheteurs
de billets de cinéma et les enfants de 8 - 14 ans : 9 %. La même enquête statis
tique indique que dans l'ensemble de la jeunesse urbaine et rurale, 6,7 % des
jeunes vont au cinéma deux fois et plus par semaine, 24,5 % y vont une fois,
21 % deux fois par mois.
Si les jeunes sont de grands spectateurs de la télévision et du cinéma il faut
maintenant analyser ce qu'ils voient.
B. ANALYSE DE CONTENU :
LA PROPORTION QUANTITATIVE DE SCÈNES DE VIOLENCE
II faut remarquer d'abord que les jeunes ne sont pas seulement de grands
spectateurs, mais qu'ils voient souvent les spectacles pour adultes. Les chiffres
ici varient selon ce qu'on intitule spectacle adulte, pourtant l'accord se fait pour
considérer que la moitié du temps de télévision des enfants est consacré à
des spectacles destinés aux adultes 1.
Les données les plus anciennes sont fournies par E. Dale (1935). Elles comptent
la « quantité » de violence : dans 115 films policiers, 406 crimes étaient commis
et 45 de ces films mettaient en scène un meurtre. Un relevé fait en 1951 par Mi-
rams 2 compte 659 crimes ou actes de violence pour 100 longs métrages soit une
moyenne de 6,6 par films. La télévision aux États-Unis transmet un acte de
violence ou une menace violente toutes les dix minutes en moyenne 8. Étudiant
les moyens métrages réalisés spécialement pour la télévision, Head y découvre 4
3,7 actes « d'agression ou de transgression morale » par émission, il en
découvre plus dans les films destinés aux enfants (7,6) que dans les films poli
ciers (5,1). Himmelweit note que 20 % des programmes diffusés aux heures
où les enfants regardent le plus sont consacrées à la violence et à l'agres
sion 8.
Des enquêtes semblables ont été consacrées aux personnages. Elles montrent
toutes que la violence est un des thèmes préférés de l'écran : un
personnage sur cinq dans les films télévisés observés par Smythe est un
criminel. L'inquiétude des observateurs trouve ici ses motifs les plus
évidents :
« L'image du monde adulte, aux heures où les jeunes regardent la télévision est
lourde de violences physiques, légère en échanges intellectuels et profondément
envahie par les crimes. Il est hors de doute que cette image inclut une proportion
anormalement élevée de femmes a sexy », d'actes violents et de solutions extra-légales
aux problèmes posés par la loi *. »
Peut-on conclure que cette grande violence dans la fiction entraîne un com
portement effectivement violent du jeune spectateur lorsqu'il retourne à la
réalité?
À/ De nombreux auteurs pensent qu'en effet la quantité de violence seule
compte et qu'elle ne peut pas être sans effets, Mirams par exemple pense que :
« la réitération des actes violents doit créer un modèle de comportement qui peut
en certaines circonstances (par exemple lorsqu'on a trop bu) devenir une sorte de
réflexe conditionné chez certains individus. »
Cette théorie très largement répandue suppose (1) que la violence présentée
par les mass media compte plus par sa quantité que par ses différentes valeurs
contextuelles (ses qualités), (2) que de l'écran à la réalité, du personnage imagi
naire au spectateur, il y ait un lien (imitation, réflexe conditionné) qui entraîne
la répétition et la réalisation des actes de violence. Bloch et Flynn 1 notent qu'un
nombre considérable de spécialistes partagent cette opinion qui permet de dé
finir ainsi un « effet brut » de la télévision et du cinéma.
B/ Mais peut-être faut-il tenir compte de la qualité de la violence, non de la
quantité, le principe d'une pure comptabilité des actes de violence a lui-même
été critiqué. Les psychologues et les sociologues s'accordent souvent à dégager
chez l'enfant une perception « qualitative ». Les enfants interrogés par
Himmelweit ne se montrent pas du tout effrayés par la violence du western, un
peu plus par celle du film policier, beaucoup par celle des films d'épouvanté.
Cela montre au minimum que l'« impact » des scènes de violence varie selon
le contexte. D'autres variables ont été introduites qui permettent au moins de
suggérer que l'effet des scènes de violence n'est pas homogène : il faut tenir
compte de la présentation matérielle de l'acte violent :
« L'usage des armes à feu, la lutte sur le sol ne troublent pas beaucoup le spectateur
mais le combat au couteau ou au poignard est plus impressionnant ; les épées et les
autres armes occupent une place intermédiaire *. »
« En général, la violence dans les westerns est abstraite, stylisée et rendue très accep
table parce que le héros n'hésite jamais à l'utiliser et parce que ses suites morales ne
sont jamais soulignées. En dehors des moments de tension, la violence est déguisée, elle
parait lointaine et sans conséquences : en fait c'est un jeu *. »
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André Glucksmann
Himmelweit aussi bien que Mirams et Dale jugent cette violence avec les cri
tères employés par les tribunaux pour juger la violence réelle. Au contraire,
selon ce dernier groupe d'auteurs il faut juger la violence fictive en fonction :
(1) de la vie psychologique profonde des adolescents, de leurs besoins, de leurs
crises et de leurs problèmes intimes.
(2) de la signification cachée qu'ont pour eux les différents types de fiction ;
ainsi pour Wasem, l'influence du western peut en certains cas non seulement
être neutre en tant que sa violence est stéréotypée (Himmelweit), mais même
positive en tant qu'à travers une histoire apparemment banale elle exprime « la
destruction du destructeur » et permet la sublimation des tendances agressives
des adolescents (cf. partie VI).
Il faut noter que si tous ceux qui postulent l'influence positive et cathartique
au cinéma font partie de ce troisième groupe, la réciproque n'est pas vraie : on
peut critiquer l'influence du cinéma à partir de considérations qui relèvent de la
psychologie « profonde » de l'adolescent.
D. CONCLUSION
II ne suffit pas de souligner le contenu violent des mass media pour en déter
miner l'effet sur le public : Shakespeare aussi est violent. Il faut retrouver dans
le comportement du public la preuve objective que cette violence fait effet : ici
l'analyse de contenu cède le pas à l'étude comparative des audiences. Il ne suffit
pas de recenser ce que voit l'adolescent, il faut savoir ce qu'il en fait 1.
Une preuve souvent avancée de l'effet néfaste du cinéma et de la
télévision se satisfait d'une simple corrélation statistique. Ainsi F. Wertham *
compare la courbe (croissante) de la délinquance juvénile avec celle (non moins
croissante) des techniques de diffusion massive. De même Mrs Bower se déso
lidarise du rapport prudent de la commission anglaise sur le cinéma et la déli
nquance juvénile :
« En Angleterre environ 70 000 jeunes furent reconnus coupables d'atteinte à la loi.
Cela représente, 2,15 % des trois millions d'enfants spectateurs réguliers. En Ecosse où
contrairement à l'Angleterre aucune loi n'interdit la vision des films de catégorie A
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André Glucksmann
Plus précisément on peut affirmer qu'il n'y a pas de relations directes entre le
comportement des acteurs à l'écran et celui des spectateurs dans la réalité.
Les résultats des enquêtes menées selon un principe analogue au Japon sont
identiques *. De même au Canada où Schramm a comparé les enfants d'une
ville sans télévision ( oc Radiotown » )et ceux d'une ville où il y a la télévision
( « Télétown » ) :
a Nous avons observé que contrairement à notre attente ce n'est pas l'enfant soli
taire ou l'enfant dont la mère part au travail qui est un spectateur plus assidu que la
moyenne, mais c'est l'enfant qui n'est pas en sécurité, celui qui éprouve des difficultés
à se faire des amis. * »
Ainsi les enfants qui regardent le plus longtemps la télévision sont ceux qui
ont les parents les plus autoritaires et les plus frustrants 4. De même l'usage de la
télévision dépend des relations que les enfants ont avec leurs « pairs » 5 : l'enfant
qui vit plus dans sa famille et moins avec des camarades d'âge regarde plus
la télévision :
Les auteurs mentionnés ne pensent pas trouver ici la preuve d'une influence
néfaste de la télévision, ils indiqueraient plutôt inversement que si les enfants
s'attachent à la télévision c'est pour échapper aux difficultés, en particulier aux
conflits familiaux : Maccoby a étudié le cas particulier des familles ouvrières
qui regardent beaucoup la télévision : ici l'enfant en conflit regarde très peu la
télévision tandis que l'enfant des classes moyennes, dans la même situation
conflictuelle, a tendance à exagérer le temps passé avec une télévision que sa
famille regarde beaucoup moins. La situation conflictuelle est la cause (constante),
l'amour de la télévision est l'effet (variable, qui dépend des circonstances sociales).
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Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
« Les grands lecteurs sont aussi de grands consommateurs de cinéma, alors que les
jeunes qui fréquentent peu le cinéma sont en même temps de petits lecteurs *. »
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Des enquêtes plus récentes décrivent des phénomènes analogues tant pour
le cinéma que pour la télévision. Les études anglaises montrent que la télévision
semble produire chez l'ensemble des spectateurs,
« L'idée de courage a été particulièrement soulignée dans les jugements de valeur des
jeunes spectateurs *. »
« La télévision est la plus accessible des portes d'entrée dans le monde adulte *. >
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« II va sans dire que ces chiffres ne permettent aucune conclusion en ce qui concerne
l'influence du cinéma sur la délinquance juvénile. Même si l'on peut établir une relation
entre la délinquance et la haute fréquentation cinématographique, il ne s'ensuit pas
nécessairement qu'elle soit une relation de causalité *. »
La plupart des auteurs pensent que c'est parce qu'il est plus détaché du milieu
familial que le jeune délinquant use plus fréquemment d'une des seules distrac
tionsque lui offre la rue. L'enquête de Chevilly-Larue confirme en effet que
seulement 30% des délinquantes (contre 60% des « normales ») manifestent pour
le cinéma un « vif intérêt » et A. Sicker 8 remarque que les affirmations des jeunes
délinquants qui invoquent l'influence du cinéma pour trouver des excuses
sont à prendre avec beaucoup de réserves j il conclut en affirmant que le taux de
fréquentation cinématographique est un phénomène qui accompagne parfois
la délinquance juvénile mais ne la cause pas. Les auteurs américains (Bogart et
Klapper) et anglais * concluent dans le même sens.
2. La corrélation statistique.
Les statistiques montrent en général une augmentation de la délinquance
juvénile. Pour la France 6 :
L'étude porte ici non plus sur les jeunes délinquants pris dans leur ensemble
mais sur l'examen de chaque cas pris individuellement. Sur 20 000 cas de délits,
une enquête officielle anglaise 2 a relevé, en 1948, 141 cas de délinquance et 112 cas
de « relâchement moral » (moral laxity) où une relation apparaît avec
un épisode de film. Ce rapport conclut que la corrélation n'est absolument pas
probante. Clostermann 3 sur 342 délinquants en trouve seize qui vont très souvent
au cinéma : ils sont condamnés pour des infractions bénignes et dans tous ces
cas la délinquance dépendait de facteurs étrangers à la fréquentation du cinéma.
La majorité des auteurs conviennent avec le juge français Chazal que :
«.. nous n'avons constaté qu'exceptionnellement qu'un enfant ait prolongé dans la
réalité le film qu'il venait de voir *. »
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André Glucksmann
La conclusion semble être que le cinéma et la télévision ne sont pas d'un point
de vue statistique les causes profondes de la délinquance, tout au plus, en de
rares cas, des causes occasionnelles ou « circonstancielles » 1. Il faut recouper ces
données d'autres plus générales qui groupent les réponses de 400 psychiatres et
200 pédiatres hollandais affirmant que le cinéma en général n'est pas responsable
des névroses ou des psychoses de la jeunesse 2.
D. CONCLUSION
« Toute relation entre les mass media et le comportement concret sera indirecte, méd
iatisée.. par une variété considérable de facteurs 8. »
« Aucune relation objective n'a pu être établie entre la quantité de ces stimuli
et les effets qu'ils sont supposés produire dans le public *. »
Et Schramm de souligner que même dans ce cas la cause véritable est ailleurs.
3) L'effet du cinéma et de la télévision sur les valeurs de l'adolescent est plus
marqué : ils accélèrent la socialisation du jeune, ses aînés perdent plus rapidement
leur prestige, la camaraderie et l'intégration dans les « groupes de pairs » aug-
II ne s'agit plus ici de constater des faits quantitatifs mais de comprendre des
mécanismes qualifitatifs qui assurent la traduction du contenu des mass media
dans le comportement des spectateurs. Les auteurs tiendront donc compte de la
façon dont la psychologie théorique et clinique explore ces « voies obscures du
subconscient ». Il ne s'agit plus de décrire ce que le jeune voit mais comment il
voit et « assimile » ce qu'il voit.
C'est en effet sur une puissance spécifique attribuée à l'image animée que se
fondent de nombreux auteurs, ainsi que le professeur J. Faure :
« Le geste, le mobile en action et le projectile ont une puissance évocatrice et stimu-
latrice qui doit être retenue. Elle induit chez tous les spectateurs une impulsion à
l'action qui pourra être un jour pernicieuse si elle revit à un mauvais moment. Chez
l'adolescent et chez le déséquilibré il y a là une possibilité d'ouvrir la voie à la délin
quance. »
Retenons de ce texte et de celui de J. Chazal un certain nombre de thèses
souvent reprises par d'autres théoriciens :
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a. l'effet écranique
« Nous osons dire que, quels que soit les changements qui ont pu se produire dans
l'emphase ou la tonalité des différents contenus des mass media, ils sont tous de loin
dépassés par une seule transformation que la télévision a apportée aux media dont
dispose l'enfant : la télévision a donné à ce monde des mass media une dimension vi
suelle qu'il n'avait jamais eue auparavant 1. »
« Depuis que le monde vient à nous en images il est mi-présent et mi-absent, il est
comme fantomatique, et nous aussi, nous devenons fantômes. »
« La confusion entre le réel et l'imaginaire existe toujours dans une certaine mesure
chez l'enfant, et aussi longtemps que la violence sera tellement prééminente dans le
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Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
monde imaginaire de la télévision, du cinéma et des illustrés, il y aura toujours possi
bilité de confondre la violence imaginaire avec la violence dans le monde réel *. »
« II n'y a aucune évidence qui permette d'affirmer que la vision est nécessairement
passive. L'enfant n'est pas plus passif (lorsqu'il regarde la T. V.) que quand il voit une
pièce au théâtre ou qu'il lit un livre facile *. »
De même Wallon et Zazzo ont insisté sur le fait que la perception n'est null
ement passive : elle est une forme active de l'attention. Les études sociologiques
déjà citées, en soulignant que l'effet de la télévision dépend de la nature socio-
psychologique de l'assistance confirment à leur tour que :
« ..ce sont les enfants qui, en réalité sont les plus actifs dans cette relation (entre eux
et la T. V.). Ce sont eux qui se servent de la télévision, bien plus que la télévison ne se
sert d'eux 8. »
On ne saurait donc soutenir que les jeunes spectateurs sont rendus « passive
ment» violents par la violence des mass media^
« Un grand nombre d'observateurs ont noté que le contenu des mass media a un
impact plus grand sur les enfants quand ils croient que « ça s'est réellement passé ».
Dans la tendre enfance il y a tout au plus une frontière fantomatique entre le monde ra-
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André Glucksmann
conté et le inonde réel. Les événements de l'écran et les histoires de veillées leur parais
sent souvent terriblement réelles... Les jeunes enfants, nous le savons, se donnent
tout entiers à la télévision 1. »
Les auteurs qui partagent cette opinion en tirent des conséquences contra
dictoires : a) Pour Schramm comme pour M. Keilhacker, le danger de la violence
au cinéma et à la télévision est le plus grand pour les enfants d'âge prépuber-
taire qui n'en saisiraient pas le caractère fictif, b) Pour Glogauer 2, l'adoles
cent serait dans le même cas ; l'émotion que suscite en lui le spectacle ne lui
permettant plus de distinguer radicalement la réalité du film et la réalité quoti
dienne, c) A. Gemelli 3, enfin,' renverse complètement l'importance des effets :
de 6 à 10 ans, voire jusqu'à 12 ans, l'influence du film serait rare : le film est du
domaine de la fantaisie et l'enfant saisit l'action comme un jeu ; si le film est
trop « sérieux », c'est-à-dire fait trop référence à la réalité, l'enfant ne s'y inté
resse pas. En somme pour Gemelli, et contrairement à ce que pense Keilhacker,
l'enfant confond le réel et l'imaginaire au niveau même du jeu réel ; le film est
moins dangereux comme jeu d'enfant que comme imaginaire d'adulte.
De toutes façons l'idée que l'enfant « oublie » purement et simplement devant
l'écran la distinction du réel et de l'imaginaire semble infirmée par des enquêtes
sérieuses. Ainsi Sicker remarque que l'imagination de l'enfant « en proie aux
images » ne semble pas plus fiévreuse que celle de l'enfant qui lit ou qui écoute
une histoire : lorsqu'on lui demande de décrire, de dessiner ou de raconter ce qu'il
a vu, il le fait objectivement et ses phantasmes n'interviennent pas d'une façon
particulièrement remarquable. Il y a un paradoxe à exiger du jeune enfant qu'il
distingue le réel et l'imaginaire à propos de la télévision alors qu'il serait bien en
peine d'énoncer cette même distinction en ce qui concerne tant d'autres domaines.
Interrogeant des enfants plus âgés particulièrement fanatiques de la télévision,
Himmelweit a constaté que celle-là :
« .. n'émousse pas la captivité de distinguer le réel et la fiction. Les enfants ne de»
viennent pas plus crédules, bien au contraire, certains deviennent plus sophistiqués *. »
Loin de maintenir ses adorateurs dans les verts paradis de la confusion du réel
et de l'imaginaire, la télévision les mûrit (Cf. Partie III).
3. La vision et la lecture.
La question qui fait le fond du débat sur « la prégnance de l'image » consiste à
se demander s'il faut radicalement séparer les effets de la vision et ceux de l'écoute
ou de la lecture. Sans vouloir résoudre ce problème aussi ancien que la Bible,
on peut préciser les thèses en présence.
La puissance originale de l'image est affirmée par de nombreux auteurs 6.
c Malgré toute l'apparence de réalité que prend l'émission, le spectateur est toujours
assuré de ce que les événements qui se passent devant lui ne sont que des images.
L« spectateur (le) sait d'une façon consciente ou pré-consciente... *. »
b) La vision est non seulement une activité mais c'est une activité de
déchiffrement, une lecture :
< Les intellectuels oublient trop souvent tout ce que le public consomme sous forme
de littérature à quatre sous. » (Maletzke).
L'image est-elle « lue » ou est-elle « crue » ? Ou les deux à la fois ? Mais dans ce
dernier cas il faudrait montrer qu'il n'en est pas de même des contes de fée et
des livres d'enfants. La question de l'existence d'un effet spécifique de l'image,
l'effet « écranique » reste ouverte, à tel point qu'on peut voir deux auteurs se réfé
rerà une même théorie pour en tirer des conséquences opposées : pour J. Faure
nous sommes facilement « conditionnés » par l'image, au sens pavlovien du terme,
tandis que pour M. Soriano l'image s'intègre dans la lecture symbolique d'un
a deuxième système de signalisation », au sens non moins pavlovien du terme.
Si la question de l'effet écranique reste ouverte, celle de l'effet de la violence
fictive reste pendante.
Les arts de l'écran créeraient ainsi une « habitude » qui entraînerait une «faci
litéà la débauche ». On cite souvent pour souligner cette « participation affecs
(3) si on limite ainsi la portée du culte des idoles il n'y a peut être aucune ra-
son d'en faire un effet spécifique du cinéma et de la télévision.
1. La catharsis
Les penseurs cités à l'appui de cette thèse sont Aristote et Freud. On se réfère
à Aristote pour justifier d'un effet rassérénant du spectacle en lui-même vio
lent : le film « purgerait les couches profondes de la psyché » (A. Sicker) et la pro
jection permettrait une satisfaction indirecte des passions (E. Morin). Ceux
qui font référence à Freud affirment que l'écran, comme le rêve, offre une satis
faction sublimée des besoins que la réalité laisse insatisfaits :
«.. il est débarrassé de tous les tracas et angoisses qui hantent souvent les rêves indi
viduels. »
2. La « psychosis».
Certains auteurs insistent sur la tonalité angoissante que peuvent prendre
les rêves ; le cinéma violent se rapprocherait du cauchemar. E. Morin admet que
le cinéma peut engendrer des émotions désagréables (qu'il nomme « psychosis »)
mais estime que cela ne dépend pas tant du film que du spectateur. D'autres
auteurs (MacKinnon repris par Thomson 3) pensent qu'en plus de l'imaginaire
J03
André Gîucksmann
heureux et résolutif qui engendre la catharsis, il faut tenir compte d'un imagi
naire qui angoisse : l't irréalité négative » de la peur et de l'épouvante est « di
amétralement opposée » à l'« irréalité positive » où le désir trouve une satisfaction
sublimée. En ce cas le cinéma peut être cathartique mais tout aussi bien traumat
isantet néfaste : la purge cède à l'intoxication.
< Dans une grande proportion de cas, le fait de goûter la vie imaginaire de l'écran
peut avoir pour résultat de changer simplement de monde et non pas de réduire les
tensions subies dans le monde réel... L'enfant goûte la violence imaginaire comme un
jeu passionnant plutôt que, comme un moyen de drainer son agressivité... mais quand
il reviendra au monde des problèmes réels, si ces problèmes sont graves, ils n'auront
pas cessé de le frustrer. »
« Nous n'avons pas trouvé que les spectateurs étaient plus agressifs ou moins bien
adaptés que le groupe de contrôle; la télévision est incapable d'engendrer des conduites
agressives bien qu'elle puisse les précipiter chez les enfants peu nombreux qui sont affec-
tivement dérangés (disturbed). D'un autre côté, peu de choses permettent d'affirmer
que les programmes violents sont bénéfiques : nous avons trouvé qu'ils excitent l'agres
sivitéaussi souvent qu'ils la déchargent *. »
d. l'effet cumulatif
Ceux qui concluent de la quantité de violence montrée sur l'écran à son effet
dangereux supposent que la répétition des violences a par soi un effet spéci
fique :
« Plus un enfant va au cinéma, plus il y a de chances pour que celui-ci exerce une in
fluence sur lui *. »
L'influence du cinéma s'exerce moins par une expérience isolée que dans une
accumulation d'expériences identiques, c'est la « répétition des scènes de vio
lence » qui créé « une sorte de réflexe conditionné » déclare Mirams 5. Qu'on l'inter
prète en termes de conditionnement mécanique ou d'habitude psychologique, on
E. CONCLUSIONS
« Souvent la peur et une excitation presque hystérique se peignent sur leur visages 1.»
On peut montrer aussi que des films différents entraînent des réactions dis
tinctes ; les mêmes enfants qui « restent comme pétrifiés d'horreur » devant cer
tains épisodes violents, conservent « une parfaite sérénité » si on leur présente
des petits documentaires sur la vie des animaux. E. Siersted comme M. Field con
cluent en prônant le film pour enfants, spécialement conçu pour ne pas créer de
tensions trop vives.
Avec un appareil beaucoup plus scientifique, les psycho-physiologues pensent
pouvoir parvenir aux mêmes conclusions. La projection d'un film, et particuli
èrement d'un film dramatique et intense entraîne des modifications des rythmes
cardiaques et respiratoires, de l'activité du système nerveux etc...2 La violence
de l'image (éclairage, montage etc..) et la violence dans l'image (moments dra
matiques) accélèrent ces modifications physiologiques et augmentent la tension
nerveuse ; J. Faure pense qu'on isole ici
Les conclusions qu'on veut tirer de l'observation directe aussi bien que de
l'observation médicale postulent toutes l'équation : tension du spectateur
= effet nocif du film. Or c'est précisément l'équation inverse que proposent
des études non moins objectives qui comparent aux réactions pendant la séance,
les réponses faites, après la séance, à des tests mesurant l'agressivité :
106
Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
« L'augmentation de l'indice d'agressivité se trouve être inversement proportionn
elle au degré d'excitation des muscles striés, relevé chez les sujets pendant la
projection du film *. »
B. LA MESURE DE L'AGRESSIVITÉ
Une série d'études ont montré que la présentation de films ou d'épisodes vio
lents à un groupe de spectateurs pouvait augmenter l'agressivité de son compor
tement après la projection. Une partie de ces expériences furent faites sur un
public d'enfants2. Mais les expériences les plus révélatrices ont été conduites par
Berkowitz sur un public d'étudiants. Elles tendent à montrer qu'un film violent
augmente l'agressivité des comportements si l'on frustre auparavant les sujets,
c'est-à-dire s'ils ont déjà auparavant une prédisposition à la colère et à l'host
ilité.
Berkowitz pense ainsi vérifier le schéma : Frustration -j- Film violent -*■ Comport
ementagressif ; le comportement résultant étant plus agressif que lorsque l'on
projette un film neutre ou pas de film, ou lorsque les sujets ne sont pas préalable
ment frustrés. La psychologie expérimentale confirmerait ici la thèse de la « mi
mesis » contre les partisans de la « catharsis 3 » :
t Notre recherche suggérera que la violence des mass media incitera les enfants à
manifester leur agressivité par des actes plus probablement qu'elle ne les « purgera »
de leurs énergies hostiles. »
Corollaire intéressant : des auteurs * ont modifié des films de façon à pouvoir
en présenter deux versions : dans l'une le héros qui triomphe est sympathique,
dans l'autre il est antipathique. L'agressivité augmente lorsque le bon triomphe,
elle est plus inhibée lorsque le méchant gagne — le paradoxe est ici qu'une fin
« morale » et socialement valorisée libère l'agressivité du spectateur (préalable-
G. LA MESURE DE LA CATHARSIS
Une expérience déjà ancienne2 montrait que des sujets fortement frustrés
qu'on invitait à passer des tests de projection (T. A. T.) étaient, après les tests,
beaucoup plus calmes que ceux qui avaient été frustrés en même temps mais qui
n'avaient pu projeter leur colère dans ces tests.
Ancona a remplacé ces tests par des films. Il a montré :
1) que si, l'on projette un film très dynamique à des sujets frustrés, ces sujets
sont moins agressifs que le groupe témoin (qui n'a pas vu le film) ; et que ceux
qui ont affectivement le plus participé au film sont les moins agressifs.
2) que moins le film est violent et dynamique, plus l'agressivité à la sortie
est grande.
Ces expériences vérifient la thèse de la catharsis :
Frustration -f- Film violent -> agressivité diminuée.
2) au lieu d'identifier tous les films violents, ils ont étudié séparément les
réactions devant un western, devant un film policier et devant un film de « sus
pense », comme ceux d'Hitchcock1.
L'analyse plus subtile du stimulus (film violent) et des réponses (tests), per
met de distinguer des effets spécifiques différents selon les genres de films. Les
études furent conduites sur plusieurs films, et les résultats obtenus par compar
aison (Avant/Après, groupe-témoin). Ils montrent que l'effet delà violence des
films joue ici à plusieurs niveaux et dépend du genre du film. En général les films
proposent l'image d'un monde plus redoutable et difficile que ne l'imagine au
départ la philosophie enfantine, ce que Himmelweit avait aussi remarqué (matur
ation). Le western a un effet à la fois dynamique et socialisant, il correspond
pour ces auteurs à une heureuse résolution du « complexe d'Œdipe » et son impér
atif serait « not take care but take action » (agis sans hésiter, sans délibérer)
tandis que celui des deux autres catégories serait plutôt a take care much more
than take action » (il faut débattre intérieurement plus que se battre à l'exté
rieur). Ces deux dernières catégories correspondent ainsi aux problèmes qui se
posent à l'adolescent plus âgé.
Les enquêtes confirmeraient une version plus subtile de la catharsis : l'enfant
et l'adolescent projettent leurs problèmes intimes, voire inconscients, dans le
film. L'effet ne provoque ni ne supprime « l'activisme », la « culpabilité » etc..
mais il fournit au spectateur le moyen d'exprimer et de traduire ses conflits. La
catharsis est donc ici un phénomène plus complexe que dans les hypothèses
précédentes, elle résulte de la conjonction de plusieurs « mécanismes », les uns
poussant à l'action (dynamisme) les autres freinant cette même action (inhibition)
(cf. partie VI)
II est frappant de constater que ces expériences conduiraient à renverser l'opi
nion courante : les films policiers et les films noirs sont généralement considérés
comme plus « dangereux » que les westerns, pourtant, bien loin d'entraîner le
spectateur à imiter un gangster ils le forceraient plutôt à rentrer en lui-même.
Si les résultats obtenus s'opposent aussi radicalement, il faut conclure que ces
expériences ne doivent pas avoir maîtrisé toutes les variables. En effet, la com
paraison des deux procédures expérimentales montre que 1' « agressivité » qu'elles
prétendent cerner n'est pas définie de la même façon dans les deux cas : Berko-
witz définit le niveau d'agressivité des sujets par le degré d'hostilité qu'ils mont
rent a V égard de Vopérateur qui les a frustrés. Ancona au contraire définit l'agres
sivitépar la réponse à des tests d'utilisation courante. Le premier établit un
lien très étroit entre le caractère de la frustration et la nature de la réponse tandis
que le second insiste au contraire sur la liaison entre le sujet du film (Ivan le
Terrible) et la nature de la réponse ( a need for power »). Berkowitz insiste plus
sur la réponse à la frustration; Ancona, sur la réponse au flm.
Seules de nouvelles expériences pourraient révéler si c'est là l'unique raison de
109
André Glucksmann
F. CONCLUSIONS
A. LE SENS DE LA VIOLENCE
La plupart des auteurs dont nous avons rendu compte considéraient les scènes
de violence comme une donnée « brute » dont il n'y aurait pas à examiner le
sens : il suffit d'en retenir la dose quantitative pour en chercher l'effet. H. Him-
melweit avait bien remarqué que la violence des westerns était neutralisée parce
que stéréotypée; il ne reste pas moins vrai pour elle, comme pour l'ensemble des
chercheurs,que la violence ne peut avoir à l'écran que la signification qu'elle
possède dans le réel : un acte violent est un acte violent ; l'écran peut avoir un
effet neutralisant (catharsis), le spectateur peut l'investir d'interprétations subject
ives,mais neutralisée ou pas, pure ou impure, la seule signification d'un acte
de violence est celle que lui confère la morale sociale, voire les tribunaux. Sinon la
violence est pur jeu (divertissement, entertainment) et elle n'a pas de signification
en elle-même(cas des dessins animés, quelquefois des westerns).
Est-il pourtant certain que la violence ne puisse avoir une autre signification ?
Les études d'Émery et de Thomson ont déjà montré qu'elle avait une autre
signification pour le spectateur. Les auteurs dont nous rendons compte main
tenant pensent que les scènes de violence imaginaire ont pour et par elles-mêmes
une signification autre que celle de leurs analogues dans là réalité.
« De nombreux critiques s'alarment des épisodes violents si fréquents dans les formes
contemporaines de la culture de masse, mais le simple décompte horrifié et fasciné des
batailles et des meurtres apporte peu de lumières.
Imaginez ce qu'un critique alarmiste pourrait dire d'un programme de télévision
qui commence par un meurtre, continue avec des suicides, des empoisonnements
et la suggestion d'un inceste pour terminer en remplissant l'écran de cadavres. Ce serait
assez terrible et témoignerait nettement de l'aliénation, du sadisme et du nihi
lisme qui domine la culture populaire actuelle... n'était que ces événements ne provien
nent pas d'un western pour la télévision mais du Hamlet de Shakespeare K »
ill
André Glucksmann
b. l'effet de forme
1. R. Warshow, The Immediate Expérience : Movies, Comics, Theatre, and other Aspects
of Popular Culture, New York, Doubleday, 1962, p. 146.
112
Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
« L'importance du film de gangster, la nature et l'intensité de son effet affectif et
esthétique ne peuvent être mesurées en se référant à la situation (illégale) du gangster
péel, ou à l'importance de la criminalité aux États-Unis 1. »
Vi formae, par la structure des genres, le cinéma évacue le sens réaliste des
scènes de violence qu'il dépeint. C'est pour faire place à un sens caché.
Dire que la violence dans le film n'a pas la signification que possède son homol
ogue dans la réalité, ne conduit pas à penser que le western, par exemple, est un
pur jeu sans esprit. Au contraire, on retrouve en général, derrière le contenu
manifeste (telle histoire), trois grands types de significations cachées. Ainsi le
western peut receler :
— une signification psychologique : il « exprime la situation prépubertaire
du développement de la personne 2. » ou bien il traduit dans ses scènes a le
drame de la maîtrise de soi » (Warshow).
— une signification sociale : le héros de western est défini par le sens de l'hon
neur, c'est « le dernier gentilhomme » qui échappe aux limites actuelles de la
société américaine, il n'a pas besoin d'être propriétaire pour être indépendant
ni d'être citadin : il maintient dit Warshow des valeurs qui sont rarement réalisées.
— une signification historico-politique : comme le proclame pompeusement
le Time (30/3/59), « l'épopée de l'Ouest a son origine dans la liberté des grandes
plaines, elle doit trouver sa fin dans la liberté de nos cœurs. Dans ses meilleures
expressions, c'est une allégorie de la liberté... » ou encore Life : « L'Ouest est notre
grande aventure spirituelle. »
Les interprétations proposées ici sont plus ou moins discutables, elles illustrent
pourtant le projet et le sens d'une méthode critique dont on ne peut aujourd'hui
trouver que quelques ébauches plus suggestives que rigoureuses. Ainsi Warshow
propose de percevoir dans l'héroïsation du gangster :
« Le «no» opposé au gigantesque « yes» américain qui est inscrit sur tous les articles de
notre culture officielle et qui cependant exprime si peu le réel sentiment que nous avons
de notre vie 8. »
Le monde du film noir (la grande ville), avec son itinéraire classique (la recherche
à tous prix de la réussite) et ses moyens (l'agression dans la concurrence) n'est
que le revers du monde réel, « l'autre face de la médaille » — Sociologiquement,
la dynamique des affaires est semblable dans le monde du businessman et dans
le syndicat du crime ; psychologiquement, l'échec objectif du gangster corres
pondrait à l'échec subjectif et à la culpabilité latente de l'Américain honnête :
« Le gangster parle à notre place, pour cette part de l'âme américaine qui rejette les
déterminations et les exigences de la vie moderne, qui rejette l'américanisme lui-même *. »
1. Ibid., p. 130.
2. E. Wasem, « Der Erzieher und der Wildwestfilm », Jugend Film Fernaehen, 6, 1962,
1, p. 27-31.
3. R. Warshow, ouvr. cité, p. 136.
4. R. Warshow, ouvr. cité, p. 130.
113
André Glucksmann
d. l'effet symbolique
« Pour le garçon d'avant la puberté le western n'est pas qu'un moyen de libérer de
l'énergie accumulée. C'est là une conception beaucoup trop mécaniste de l'être humain.
La mythologie de l'histoire du western ne l'aide pas seulement à mener à bien des
conflits instinctuels, mais ses images initiatrices lui font saisir un sens de la vie 1.
positive par les symboles culturels qu'elle fournit aux adolescents, il se pourrait
alors, a-t-on remarqué, qu'une censure sévère augmente l'agressivité réelle des
jeunes au lieu de la réduire :
E. CONCLUSIONS
VIL BILAN
Nous n'avons pas, en considérant l'effet des scènes de violence, dressé un réper
toire exhaustif de toutes les opinions énoncées. En un sens le tour peut en être
rapidement fait : l'effet est selon les auteurs :
— négatif (mimésis ; danger de reproduire dans le comportement réel la vio
lence vue sur l'écran) ;
— positif (catharsis ; l'agressivité réelle se libère dans l'imaginaire) ;
— neutre (sans rapports précis avec l'agressivité réelle, le cinéma et la télé
vision sont alors compris comme un jeu et un divertissement ou comme une
expérience esthétique et culturelle).
Le détail des opinions est infini, elles se multiplient en s'appuyant sur
diverses conceptions religieuses, morales, philosophiques ou encore sociologiques,
politiques etc.. L'étude, si elle était possible, de l'ensemble de ces opinions
contradictoires révélerait peu de choses sur l'effet réel des scènes de violence,
beaucoup par contre sur l'univers mental des sociétés contemporaines.
Mais si une opinion prétend par elle-même atteindre l'objectivité, s'il ne lui
suffit pas d'être déduite d'un dogme ou d'une théorie préétablis, les modes de
115
André Glucksmann
démonstration dont elle pourra user pour convaincre seront en nombre limité.
C'est au recensement de ces modi demonstrandi que nous nous sommes attachés,
en résumant les résultats qu'ils permettent d'obtenir et les limites qu'ils rencon«
trent. Une opinion en cette matière peut se fonder :
— sur des faits : l'analyse quantitative du contenu violent (partie II) et les
réactions du public (partie III)
— en raison : aperçus et hypothèses de la théorie psychologique (partie IV)
— par l'expérience : étude « in vitro » des effets (partie V)
— par l'interprétation quelitative : étude des significations culturelles (partie
L'ordre que nous avons choisi conduit des données les plus indiscutables (quant
itatives) à celles qui paraissent plus sujettes à caution (interprétations qual
itatives). Ce n'est donc pas un ordre progressif où la dernière thèse met un point
final à la discussion. En fait, tous ces types de raisonnement et de démonstration
furent employés ensemble par les chercheurs car aucun ne permet une conclu
sion complète, rigoureuse et exclusive. Lorsque les auteurs pensent avoir atteint
une telle conclusion ils assurent avoir déterminé objectivement une des trois
formes suivantes de la relation stimulus-réponse :
violence globale — effet global sur le public en général (cf. I, II, III, et IV).
telle violence particulière — tel effet particulier (cf. V et VI).
tel public particulier — tel effet particulier (cf. III).
Les discussions dont nous avons rendu compte ont montré qu'aucune de ces
relations ne permettait d'établir définitivement un effet univoque des scènes de
violence car trop de variables interviennent, soit au niveau du stimulus, soit au
niveau de la réponse. La multiplicité des variables demeure la croix de toute
démonstration et leur interférence ne peut être maîtrisée. Si les méthodes de plus
en plus subtiles n'y parviennent pas, elles ont du moins contribué à faire appar
aître les multiples facettes d'un « effet » non isolable.
La complexité de l'effet des scènes de violence tient à la pluralité des points
de vue que l'on peut prendre, sur la nature de la violence filmique sur l'effet et
sur leur relation :
A. LA NATURE DE L'EFFET
1) L'effet d'une scène de violence sur un public peut être étudié à des niveaux et
à des moments divers. On a distingué dans la vie psychologique du spectateur :
— Veffet émotif : les scènes de violence provoquent immédiatement une « ten
sion nerveuse » manifestée par les réactions immédiates (cf. partie V)
— Veffet affectif : moins directement observable ; les théories qui s'y rappor
tent utilisent les catégories de l'identification, de la projection, de la croy
ance, de l'inhibition (cf. parties IV et V).
— Veffet moral : l'action du cinéma et de la télévision sur la vision du monde
et les valeurs du jeune spectateur assidu est indiquée statistiquement (partie
III) mais semble limitée en ce que les valeurs transmises ne sont pas différentes
de celles que l'enfant trouve ailleurs ( « effet de déplacement »). C'est un effet
d'accélération de la maturation plus qu'une conversion radicale.
— Veffet intellectuel : cinéma et télévision apportent des « informations » sur
le monde adulte, y compris sur ses aspects négatifs, voire sur les techniques de
la violence. C'est, dans ce cas aussi, la diffusion amplifiée qui est caractéristiqus
116
Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision
car les mêmes informations peuvent parvenir à l'adolescent par d'autres sources.
2) L'effet est-il un ou multiple ? Il semble que ces différents aspects ne s'addi
tionnent pas pour produire un effet unique ; ainsi l'effet émotif et l'effet affectif
paraissent inversement proportionnels (partie V) et l'effet affectif est souvent
opposé par les auteurs à l'effet intellectuel (Schramm, Himmelweit).
3) U effet est-il bon ou mauvais? Les auteurs attribuent souvent une valeur
positive ou négative à ces effets (la tension nerveuse est, par exemple, générale
ment considérée comme mauvaise en soi), mais ils ne s'accordent pas : l'effet de
maturation peut être condamné (maturation prématurée) ou considéré comme
positif (un peu : Himmelweit, beaucoup : Morin).
4) Cet effet est-il provisoire ou durable ? Par nécessité technique la plupart des
études portent sur des effets à court terme et de nombreux auteurs se
demandent si l'on peut conclure à des effets durables à partir de ces observations.
5) Cet effet est-il un effet spécifique du cinéma et de la télévision ? On peut répon
dre non si on insiste sur l'effet de déplacement, oui si l'on croit qu'il existe un
« effet écranique » qui se manifesterait dans le pouvoir « hypnotique » de l'image
(cf. partie IV).
117
André Glucksmann
1) Le critère légal : définit l'effet dangereux comme violation des normes léga
lement admises ; il est utilisé particulièrement dans l'étude de la corrélation entre
la fréquentation des spectacles cinématographiques et télévisés d'une part et
la délinquance juvénile de l'autre (partie III).
2) Les critères psychologiques et moraux: définissent avec beaucoup d'impréc
isionl'effet dangereux comme violation des normes propres au groupe social
ou à l'auteur en personne ; ainsi la « tension nerveuse » du spectateur se trouve
opposée à la contemplation calme qui serait meilleure ; ainsi la « participation
affective » peut-être rachetée par la « réflexion post-filmique ».
3) Les mesures de V agressivité du comportement: un certain nombre de tests
sont utilisés à cet effet et toute précision dans cet usage amène à différencier
des types d'agressivité sans qu'on puisse ensuite les réunir dans la définition
d'un « danger » unique (partie V).
La définition du « danger », autant que celle de « conduite délinquante », dépend
de l'histoire et de la société considérées, bien que les auteurs s'en préoccupent
rarement. Les normes se transforment, et avec elles l'évaluation de « l'effet
dangereux » :
« Par exemple, pendant les années 30, on découvrit que les filles étaient plus
négativement affectées par le cinéma que les garçons. En fait, la conduite « agressive »
des jeunes filles, particulièrement en ce qui concerne la recherche et la possession d'un
homme était déjà définie préalablement comme plus éloignée des normes sociales éta
blies que la même conduite chez des garçons. Mais le code de la communauté détermi
nant la conduite « normale » des jeunes filles a changé, et précisément dans le sens qu'ant
icipait le cinéma, par conséquent on n'entend plus les mêmes reproches ni les mêmes
cris à ce sujet *. »
Les études ont permis de distinguer différents types de relation et d'en rejeter
certains :
A. Il n'y a pas d'effet direct : le cinéma n'agit pas directement sur le compor
tement, l'effet des scènes de violence doit toujours se diffuser en fonction d'un
certain nombre de relais (variables sociologiques ou psychologiques ; partie III).
B. Il n'y a pas d'effet autonome: il dépend des valeurs que « déplacent » le
cinéma et la télévision et qui ne leur sont pas spécifiques (parties III et IV).
C. Il peut être inversé, la violence imaginaire pacifiant le comportement en
provoquant une catharsis (partie IV), des inhibitions (partie V) ou une maîtrise
« symbolique » (partie VI).
D. Il peut être mimétique, la violence filmique induit alors un comportement
réel violent par le biais affectif de la « participation » ou par le truchement
de l'information qu'elle transmet (parties IV, V).
L'ensemble des études conduit à insister sur le caractère complexe de l'effet
considéré et sur les difficultés méthodologiques qu'on rencontre à le vouloir
isoler dans sa pureté. Les projets de recherche actuels 2 semblent' vouloir
dissoudre la notion d'un effet spécifique des scènes de violence dans des enquêtes
plus larges portant sur les normes et les goûts des adolescents. Certaines enquêtes
mettent l'accent sur l'évolution des goûts des spectateurs observés pendant
des décades (I. de Sola-Pool). D'autres auteurs proposent d'intégrer les recherches
sur l'effet des mass media aux recherches globales portant sur l'évolution des
enfants (Lazarsfeld). D'autres encore les joignent à l'étude des normes sociales en
général (Brodbeck) ou des normes de la censure en particulier ( enquête du
C. E. C. M. A. S. Paris).
Tous ces projets semblent indiquer que de nombreux chercheurs ont renoncé
à déterminer un effet « pur » des scènes de violence et à cataloguer ses compos
antes et ses variables. Ils recherchent moins une multitude de relations de cause
à effet (tel aspect des scènes de violence — tel effet dangereux ou anodin), ils
s'attachent plutôt aux coordonnées sociologiques et psychologiques générales
qui gouverneraient l'utilisation, par le spectateur, de la violence présentée par
l'écran. Au législateur ils ne proposeraient pas des recettes qui permettraient
d'évaluer telle scène dans tel film mais bien plus l'inventaire des angles sous
lesquels on peut juger de l'effet d'un film si tant est que l'effet existe et qu'on
puisse en juger :
a Les législateurs ont moins besoin d'une enumeration infinie de petites relations de
cause à effet que d'une méthode pour concevoir comment fonctionne le processus qui
agit sous ces relations l.»
L'étude objective — les auteurs disent souvent scientifique — des' effets des
scènes de violence ouvre ainsi sur une propédeutique du jugement mais elle
s'interdit le jugement dernier.
André Glucksmann
Centre National de la Recherche Scientifique.