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Olivier Burgelin

La naissance du « pouvoir étudiant »


In: Communications, 12, 1968. pp. 17-37.

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Burgelin Olivier. La naissance du « pouvoir étudiant ». In: Communications, 12, 1968. pp. 17-37.

doi : 10.3406/comm.1968.1169

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1968_num_12_1_1169
Olivier Burgelin

La naissance du « pouvoir étudiant »

le Le
Premier
li maiministre
dernier,Georges
après une
Pompidou,
semaine de
se faisant
violentes
apparemment
émeutes au Quartier
l'interprète
Latin,
de
la volonté générale, décidait de satisfaire les revendications immédiates des
étudiants révoltés, et en particulier de retirer les forces de police du Quartier
Latin. Personne ne pouvait alors ignorer que ce geste aurait pour première consé
quence l'occupation des facultés par les étudiants et donc une sorte de consécra
tion du « pouvoir étudiant ». Par ailleurs, on le sait, ce geste devait avoir un reten
tissement et des conséquences dépassant toutes les prévisions.
Nous tenterons de saisir ici la portée de cette consécration du «pouvoir étudiant»
au travers de l'enchaînement de faits dont elle était l'aboutissement. Et pour
comprendre ces faits eux-mêmes, nous essaierons tout d'abord d'analyser le
contexte universitaire dans lequel ils se sont produits.

l'étudiant dans l'ordre universitaire français

Dans la société française, le seul statut qui fonde pleinement une dignité
d'homme adulte est celui de « travailleur » professionnel et rémunéré. Rien d'éton
nant si, dès 1946, l'U. N. E. F. dans la «Charte de Grenoble «définit l'étudiant com
meun « jeune travailleur intellectuel », puis revendique le présalaire ou allocation
d'études. Mais, en 1968, l'étudiant n'a pas atteint ce statut et reste, à bien des
égards, un individu marginal. Certes, il vit, se nourrit, se loge, travaille, parfois
se marie, parfois vote, mais toujours dans des conditions qui restent, précisément,
marginales. Il jouit d'un certain prestige, mais fondamentalement ambigu :
celui d'un individu qui échappe aux catégorisations « normales », celui d'un mi
neur par vocation, peu responsable et installé dans le provisoire.
La seule manière réelle qu'ait l'étudiant d'échapper à sa douteuse disponibil
ité de dilettante c'est évidemment de se consacrer à ses études, vers lesquelles
il est poussé par une contrainte du même ordre que celle qui, en dernier recours,
pousse l'ouvrier vers l'usine et, en général, le travailleur vers son travail : c'est-
à-dire non pas la contrainte alimentaire, mais la contrainte à s'engager dans un
travail professionnel. Mais, dans le cas de l'étudiant, la contrainte est moins immé
diatement rationalisée en « nécessité ». Elle doit, dans une certaine mesure, s'af-

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firmer comme pur engagement. Bref, non seulement l'étudiant est contraint de
s'engager dans ses études, mais il est contraint de le faire a librement ». De ce
fait il est amené à intérioriser très profondément les valeurs du système univers
itaire auquel il participe, mais sans que cette intériorisation soit adossée sol
idement à d'autres relations telles que la relation salariale.
Quant à l'Université française antérieure à mai 68, elle forme un système social
que l'expression de « pouvoir étudiant » décrit par antiphrase.
A l'intérieur de l'Université, les professeurs et les étudiants sont fondamentale
ment impliqués dans trois types de relation correspondant à trois systèmes
sociaux :
1) L'unité pédagogique de base : c'est le système composé d'un professeur et
de ses élèves : classe, amphi, séminaire, cours, etc.
2) L'établissement universitaire : c'est un système plus vaste d'implantation
strictement définie, correspondant à une entité administrative strictement
définie également, et comprenant un certain nombre d'enseignants et d'étudiants :
lycée *, faculté, école, université, etc. Il faut rattacher à l'établissement univers
itaire la cité ou résidence universitaire, unité d'habitation où ne vit qu'une minor
itéd'étudiants, mais dont le rôle est important dans les périodes de troubles.
3) L'Université dans son ensemble en tant que système national d'orientation
et de sélection des étudiants, en fonction de divers critères plus ou moins dominés
par la prise en considération des rôles professionnels auxquels les étudiants sont
dévolus. Les examens et concours sont, on le sait, la pièce maîtresse de ce système.

L'unité pédagogique de base.

L'unité pédagogique de base est, en France, relativement peu différenciée.


Les relations y sont caractérisées par un certain nombre de traits :
a) Le primat du cours. Malgré l'introduction, plus ou moins récente selon les
facultés, de certaines distinctions entre divers types d'enseignement (cours magis
traux, travaux pratiques, travaux dirigés, etc.), c'est le cours qui demeure la
forme privilégiée et parfois unique de l'enseignement. Le cours est fondamenta
lement un monologue de l'enseignant qui parle devant les étudiants. Beaucoup
d'assistants font des cours que rien ne distingue dans leur forme de ceux des
professeurs. Lorsqu'ils ont lieu, les exposés d'étudiants ont eux-mêmes le caractère
de cours, suivi d'un corrigé professoral et parfois d'une discussion entre le pro
fesseur et un étudiant.
b) Une communication apparemment à sens unique. Le professeur n'est pas
tenu de se renseigner sur les expectations, le niveau, le degré de compréhension
de son auditoire, sur lequel en fait il ne possède souvent que des indices généraux
(degré apparent d'attention, assiduité) ou des renseignements indirects (disser
tations, exposés, conversations privées) auxquels il est seul juge d'attribuer ou
non de l'importance. Quant à l'étudiant, son lot est le silence. A quel point ce
silence pouvait lui peser, il a fallu l'extraordinaire explosion de paroles de mai 68
pour qu'on le sache.

1. Nous pensons ici uniquement à l'enseignement supérieur et donc ne citons les


lycées que parce que certains de leurs élèves (les classes de préparation aux grandes
écoles) sont en fait des étudiants. Cela dit, les points de similitude entre le secondaire et
le supérieur sont extrêmement nombreux comme l'a montré, à sa façon, la crise de mai.

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c) L'unification charismatique de toutes les fonctions pédagogiques en la


personne de l'enseignant. A vrai dire, le professeur n'est nullement chargé de
remplir auprès des étudiants un certain nombre de « fonctions » pédagogiques,
clairement définies. Il « enseigne » : un message d'un caractère global et diffus
est censé émaner à la fois de sa personne et de son enseignement. Ce serait presque
trop peu dire que de parler de « paternalisme » en ce sens que le professeur est le
substitut du père au travers d'une chaîne continue qui commence avec la maîtresse
d'école pour aller jusqu'au « grand patron » médical, censé assumer vis-à-vis de
ses élèves ou de ses subordonnés quadragénaires la même responsabilité civile
et morale qu'un père vis-à-vis de ses enfants.
d) Une extrême valorisation de l'enseignant. Ce point découle évidemment
du précédent. Modèle d'identification, héros positif, porteur et interprète des
valeurs et du savoir de la collectivité, le professeur offre en même temps aux étu
diants le spectacle d'une liberté. Liberté d'ailleurs tout à fait réelle : dans certaines
limites, un professeur titulaire enseigne ce qu'il veut, d'une manière dont il est
seul juge, sans être soumis à aucune autorité ni à aucun contrôle. Il est destiné
à être admiré par ses étudiants (et d'ailleurs est admiré par eux) en tant que
personnalité s'ébattant dans sa liberté. Mais il est aussi l'incarnation de la respons
abilité : le système repose sur le postulat que le professeur est toujours à la fois
capable et consciencieux — comme en témoigne l'absence de contrôle. Statu
tairement il est inamovible. Personnellement il est infaillible. Ce modèle régit
également l'enseignement des assistants, bien que le degré de leur liberté
réelle soit infiniment plus limité.
e) L'étudiant est toujours en situation infantile. Le seul contact institution
nalisé entre l'étudiant et le professeur est, en dehors du cours lui-même, du
moment où le silence étudiant répond à la parole professorale, le moment où
l'étudiant présente son travail au jugement ou à la critique du professeur : le
moment de la culpabilité. Par ailleurs, l'étudiant est censé « apprendre », être
pleinement disponible à l'égard du savoir et du savoir-faire dont l'activité pro
fessorale témoigne à ses yeux.

L'établissement universitaire.

Au niveau de l'établissement universitaire la variété apparente des situations


repose sur des données communes.
a) L'administration est normalement assurée par des professeurs ou d'anciens
professeurs élus par leurs pairs (les doyens des facultés) ou nommés (les directeurs
et proviseurs des lycées, les directeurs de la plupart des grandes écoles, les rec
teurs). Même les cités universitaires sont le plus souvent dirigées par des profes
seursou d'anciens professeurs.
b) Parfois réputée à tort libérale, cette administration relève d'un autorita
risme pur et simple, encore que tempéré, dans une mesure variable, par une
certaine anarchie. Il n'y a en particulier de libertés individuelles et politiques
que dans le cadre de cette anarchie, c'est-à-dire de la non-application institution
nalisée des règlements. Ainsi la règle selon laquelle il est interdit d'introduire des
journaux dans les locaux universitaires n'est plus observée depuis longtemps.
Les distributions de tracts, les réunions politiques ne sont pas autorisées, mais
ont parfois lieu quand même, au moins dans les couloirs ou dans les cours. De
même, c'est avec une détermination inégale et un succès variable que l'adminis-

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tration des cités universitaires s'efforce de maintenir les étudiants à l'écart des
pavillons d'étudiantes. A un tout autre étiage, c'est un équilibre du même type
qui s'établit dans les établissements d'enseignement secondaire : à l'autorita
risme rigoureux de l'administration répond la règle morale qui sous-tend l'équi
libreentre discipline et chahut, celle du « pas vu, pas pris », renforcée par la répro
bation des dénonciations. Diverses expériences plus libérales se déroulent d'ail
leurs ici ou là — nous y reviendrons. Mais en aucun cas les étudiants ne sont
associés à la gestion des établissements universitaires. De fait, les autorités
universitaires ne peuvent pas grand-chose contre la volonté expresse des étu
diants; mais cette situation n'est jamais reconnue en droit. L'administration
universitaire n'est jamais censée détenir une partie de son pouvoir des étudiants,
mais toujours exclusivement des professeurs ou de l'État.
c) Cet autoritarisme est paternaliste en ce qu'il s'accompagne d'une notion,
parfois explicite, de l'irresponsabilité juvénile des étudiants. Il se veut général
ement « bienveillant » et, dans une certaine mesure, parvient à conserver un ton
« paternel ». Le fait que l'administration soit assurée par des professeurs joue ici
un rôle décisif, tant il règne entre professeurs et étudiants, malgré l'unilatéralité
de la communication au sein de l'Université, des rapports étroits de classe, de
style, de tradition, parfois de filiation. Le comble de l'autoritarisme paternaliste
est atteint, bien entendu, dans les lycées et collèges ; mais ici le « père menaçant »
l'emporte et de loin sur le « père bienveillant » *.
d) Les assistants et maîtres-assistants sont pratiquement exclus des assem
blées délibératives placées à la tête des facultés. Sur le plan du pouvoir, ils se
trouvent vis-à-vis des professeurs et des autorités universitaires dans une situa
tionà certains égards analogue à celle des étudiants.
e) Le pouvoir universitaire est pratiquement restreint à tout ce qui concourt
à assurer la pérennité de l'ordre universitaire (discipline intérieure, cooptation
des professeurs, recrutement des assistants, répartition des enseignements, ges
tion du budget des facultés). Mais modifier l'ordre universitaire lui-même est affaire
de gouvernement. L'intervention de l'État s'exerce, comme dans toute l'Admi
nistration française, non seulement par la voie hiérarchique, éventuellement
chargée de l'exécution de lois ou de règlements, mais également par un contrôle
financier a priori très strict. Mais, tant que l'intervention de l'État reste faible,
l'ordre universitaire apparaît aux yeux de tous ceux qui y participent, comme un
ordre à peu près immuable.

Le système national de sélection.


Le système de sélection est diversifié en concours et en examens. Les concours
sont généralement nationaux; lorsqu'ils sont régionaux, une hiérarchie de fait

1. Le 10 mai dernier, alors que le ministre de l'Éducation nationale multipliait les


appels à la « raison » des étudiants, voici un extrait de la circulaire qu'il faisait par
venir aux recteurs concernant le maintien de la discipline au sein de l'enseignement
secondaire : « Vous demanderez (aux chefs d'établissement) d'user de toute leur autorité
pour préserver les élèves, qui sont des mineurs confiés par leurs parents, contre des
agitateurs ou des provocateurs qui cherchent à les entraîner dans des mouvements de
rue ou même dans des manifestations de violence. En particulier, ils ne doivent en
aucun cas reconnaître les comités d'élèves qui pourraient se constituer. Il leur appar
tient de prévenir et éventuellement de réprimer avec vigueur toute tentative de trouble
de la vie scolaire. »

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La naissance du a pouvoir étudiant »
tend à s'établir entre eux et ainsi l'ensemble du système tend à garder un carac
tèrenational. Les diplômes sont normalement décernés par les établissements
universitaires, sauf le baccalauréat qui est pratiquement national. En fait, le
système des diplômes reste presque entièrement soumis à celui des concours
(externat, internat, agrégation, École Nationale d'Administration, grandes écoles,
prix de Rome, etc.). De ce fait on peut considérer l'ensemble des examens et des
concours comme formant un vaste système national de sélection dont la fonction
essentielle est la répartition des « places ». A l'intérieur de ce système, les profes
seursqui font passer examens et concours, exceptionnellement en association avec
des personnalités extérieures à l'Université, sont les agents directs de l'autorité.
a) Le système revêt une importance décisive à l'égard de l'existence profes
sionnelle future de l'étudiant et il ne l'ignore pas. Les concours donnent direct
ementaccès aux statuts professionnels les plus élevés et aux salaires, au prestige,
au pouvoir qui leurs sont liés. Dans la plupart des cas le sort de chaque étudiant
est en grande partie réglé, et pour sa vie entière, par les examens et les concours.
Les voies de rattrapage, les possibilités d'ascension sociale par d'autres voies
sont marginales ou d'un prestige incertain. Au moins dans certaines couches
sociales, l'individu qui fait une carrière politique après avoir été collé à un grand
concours sera considéré comme une vivante illustration du fait que la politique
est le domaine de la promotion des médiocres, bien plus qu'admiré pour son
« rétablissement ». Il n'y a guère que les professions artistiques, extrêmement
concurrentielles, où la hiérarchie socialement et économiquement reconnue soit
absolument sans rapport avec la hiérarchie des « places » ouverte par concours ;
ce qui, par contrecoup, fait de l'enseignement des Beaux- Arts le secteur le plus
misérable et le moins prestigieux de l'Université française. A l'extrême opposé,
dans le domaine de la Médecine, le système universitaire épouse rigoureusement
la hiérarchie sociale dont il contrôle tous les accès. L'échec aux concours ferme
absolument et définitivement l'accès à la chirurgie et aux sommets de la pro
fession.
b) Une forte marge d'arbitraire apparent (qui selon certains dissimulerait
une fonction fondamentale de l'examen : celle d'être un frein à la mobilité sociale)
règne dans de nombreuses disciplines. En Lettres en particulier, les critères
docimologiques ne sont ni explicités ni exploitables : c'est d'intuition certaine
que le correcteur de Lettres ou de Philosophie croit savoir que telle dissertation
vaut 8 1/2 et telle autre 12 1/4, dans un domaine où les facteurs idéologiques sont
décisifs et d'ailleurs affichés. Le système n'est donc acceptable que pour ceux qui
intériorisent totalement l'ineffable critère sur quoi il se fonde — et qui se ramène
en fait à l'infaillibilité professorale. Le fait que le système soit traditionnellement
accepté par les étudiants montre qu'ils participent effectivement à cette idéologie.
c) C'est un système qui ne peut être ressenti que comme fortement « répressif ».
Certes, dans son principe, le système des examens et des concours est un système
à sanction positive dans lequel les bons sont récompensés (tant moralement que
matériellement) sans que les autres soient punis. Mais, à partir du moment où
l'élimination atteint des proportions telles que 60, 70 ou 80 %, il est clair que le
système ne peut pas ne pas être ressenti par ceux qui en sont potentiellement les
victimes autrement que comme un système a répressif », c'est-à-dire un système
à sanctions négatives ; sanctions matérielles (et nous sommes alors dans l'ordre
du pouvoir : tu seras puni si tu ne fais pas ce que tu dois faire) ou sanctions symb
oliques (et nous sommes alors dans l'ordre de la censure et de la culpabilité :
tu seras mauvais si tu ne fais pas ce que tu dois faire).

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d) Enfin tout système d'examen ou de contrôle, même s'il est dans son prin
cipe évaluation des connaissances, implique nécessairement un certain degré
d'évaluation des personnes (c'est d'ailleurs un point tout à fait explicite dans
l'idéologie de certains concours comme le concours d'entrée à l'École Nationale
d'Administration). Dans un système à la fois si important et si « répressif » aux
yeux des étudiants, ce caractère prend une importance démesurée et est profon
dément intériorisé par tous ceux qui participent au système, professeurs et étu
diants. Chacun est conscient du fait que, pour une part au moins, lui-même et les
autres « valent » en proportion de leurs résultats aux examens et aux concours.

Tel est, sommairement décrit dans ses articulations essentielles, l'ordre univers
itaire au sein duquel va se produire l'explosion de mai 68. Considéré dans son
ensemble, nous constatons qu'il obéit en particulier aux caractères suivants :
1) C'est un système autoritaire à tous les niveaux; c'est-à-dire, très précisé
ment, que le pouvoir n'est jamais censé y émaner des usagers, mais toujours de
la hiérarchie. Et en particulier, il n'y a pas d'instances légitimes de contestation
efficaces auxquelles les étudiants auraient directement ou indirectement accès.
2) Des relations infantilisantes et culpabilisantes y jouent un rôle fondamental,
en particulier aux deux niveaux dont l'ancrage anthropologique est le plus pro
fond : celui de la relation pédagogique et celui des examens.
3) L'ensemble du système constitue une société très hiérarchisée, dans laquelle
les relations entre catégories sont figées et inégalitaires. Par ailleurs, cette
société est individualiste et compartimentée.
4) Enfin, tant que le système universitaire reste stable, la société y apparaît
comme un univers purement « extérieur ». Tant que l'Université ne se réforme
pas, le pouvoir dont elle dépend est invisible ou peu visible : pas de transformat
ions institutionnelles, pas de révocations, nominations pratiquement assurées
par cooptation, etc. Bref, ce qui traditionnellement régit l'Université c'est le
statu quo, la « tradition », ce n'est pas la « politique ». La société n'est que ce à quoi
on accède par examen ou par concours, ou ce dans quoi on est rejeté par l'échec.

l'ébranlement du consensus

Tel qu'il est, l'ordre universitaire est stable ou l'a été. Le système a longtemps
fonctionné. Ce serait prendre les choses à l'envers que de s'en étonner en consta
tant qu'il est « objectivement » très oppressif. Une autre description non moins
« objective », mais entreprise dans une autre perspective, pourrait par exemple
montrer qu'il sert des « privilèges » auxquels beaucoup d'étudiants participent
ou aspirent à participer. Peu importe d'ailleurs : les régimes autoritaires comme
les autres ne se maintiennent que tant qu'ils reposent sur un consensus suffisa
mment large, y compris parmi ceux auxquels ils n'accordent aucun privilège.
Posons sommairement qu'un ordre tel que celui que nous venons de décrire
ne peut se maintenir que s'il est intériorisé par les participants, que si les valeurs
sur lesquelles il repose sont plus ou moins en accord avec celles qui dominent
non seulement chez les détenteurs de l'autorité, mais également chez ceux qui
acceptent d'être régis par elle; il faut donc qu'au «pouvoir temporel «corresponde

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étroitement le « pouvoir spirituel », ce qui suppose, à côté de l'encadrement hié


rarchique assuré par l'Administration elle-même, un encadrement parallèle
puissant ; il faut enfin que l'ensemble de l'ordre établi apparaisse comme stable
tant sur le plan des valeurs ou des normes institutionnalisées, que sur le plan des
institutions elles-mêmes.
Or toutes ces conditions ont progressivement cessé d'être remplies au cours
des dernières années. Sur des axes perceptibles dès l'origine du système ou en tout
cas dans sa description en état idéal de fonctionnement, la tension s'est progressive
ment accrue, sous l'effet d'un certain nombre de changements sociaux et culturels.

1. Changements dans la structure de la masse étudiante.

a) L'afflux massif des étudiants au cours de ces dernières années a provoqué


un changement qualitatif perceptible à toutes sortes de niveaux. Celui d'abord
des institutions universitaires, en exaspérant la dureté de la sélection, en rendant
plus difficile encore la communication, en provoquant en général un phénomène
de « sous-administration », comme l'a souligné François Bourricaud 1.
b) D'autre part, si peu ouvert soit l'accès de l'Université aux classes populaires,
il est hors de doute que l'extension du recrutement des étudiants hors de la bourg
eoisie « cultivée » provoque une certaine rupture dans la solidarité de classe qui
unit traditionnellement les étudiants, l'Université et la bourgeoisie française a.
Le système des examens, en particulier, devient plus traumatisant pour la masse
des étudiants dont les parents n'ont jamais passé d'examens.
c) La sous-administration trouve un exact pendant dans la décadence des
associations d'étudiants, et en premier lieu des associations corporatives ou
syndicales. L'U.N.E.F. en particulier, très vigoureuse et très active durant les
années 50 et jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie (elle rassemblait alors plus de
100 000 adhérents réels), est en pleine décomposition 3.
d) L'une après l'autre, des organisations d'étudiants socialistes, catholiques,
protestantes et enfin communistes ont été dissoutes ou sont entrées massivement
en dissidence par rapport à leurs tuteurs « adultes », contribuant ainsi à couper
le milieu étudiant des grandes organisations politiques ou religieuses nationales.

1. « Le grand dérapage », Preuves, n° 208, juin-juillet 1968, pp. 51-58.


2. Les conséquences de cette rupture sur le plan de la discipline dans l'enseignement
secondaire ont été très clairement mises en lumière par Jacques Testanière, a Chahut
traditionnel et chahut anomique dans l'enseignement du second degré », Revue fran
çaise de Sociologie, VIII, n° spécial 1967, pp. 17-33.
3. Les raisons de ce dépérissement sont de deux ordres. En premier lieu un syndicat,
étudiant ou non, ne peut se développer que s'il sert ses adhérents sur le plan matériel
ou s'il les défend efficacement sur le plan revendicatif, que cette défense débouche' ou
non sur le plan « politique ». Or ces deux voies se sont trouvées progressivement fermées
devant l'U.N.E.F. La première par le développement même des activités corporatives,
exigeant des méthodes de gestion moins artisanales que celles des étudiants, et tendant de
ce fait à leur échapper, dans une structure administrative et politique qui excluait la
« cogestion ». La seconde du fait de la politique de la Ve République se refusant à tout
dialogue et à toute négociation avec l'U.N.E.F., lui coupant efficacement les vivres et
encourageant une association rivale dont la prise sur la « base » est toujours demeurée
très faible. Mais les événements de mai ont mis en lumière une autre raison : une orga
nisation a responsable » était incapable de formuler et de mettre en œuvre les types
d'action « sauvages » et violents qui se sont finalement révélés les seuls efficaces pour
que soit mise sur le tapis la seule revendication vraiment fondamentale des étudiants :
la refonte totale du système universitaire.

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La rupture progressivement complète entre la minorité révolutionnaire et le parti


communiste français est la plus lourde de conséquences. Si la présence, en 1968,
d'une minorité révolutionnaire en milieu étudiant n'est pas un fait nouveau,
c'est pour la première fois que cette minorité est totalement coupée du P.C.F. et
n'a de compte à rendre à personne de son action.

2. Changements dans la structure universitaire.

,
a) Un certain nombre de réformes reçoivent un commencement d'application
au cours des dernières années sous l'égide des Pouvoirs publics, et parfois sous
l'impulsion d'universitaires réformateurs, comme le doyen Zamansky. Partielles
dans leur conception et plus encore dans leur réalisation, ces réformes font appar
aître que l'ordre universitaire n'est plus immuable, sans pour autant réussir
à lui donner les moyens de faire réellement face aux problèmes qui se posent.
Elles dressent contre elles une grande partie du corps professoral, dont elles
heurtent les traditions; elles ne sont pas mieux reçues par les étudiants dont
elles paraissent parfois aggraver les difficultés immédiates ; bref, elles introduisent
une scission dans l'ordre universitaire et dans le consensus sous-jacent.
b) Les réformes tendent à développer au sein de l'Université une couche d'assis
tants et de moniteurs, qui ne jouit ni du pouvoir ni des garanties de statut des
professeurs titulaires, dont par ailleurs elle dépend étroitement. Même lorsqu'elle ne
remet pas en cause les valeurs du système universitaire, cette couche manifeste une
« conscience d'opprimés » qui est un facteur de tension et de rupture du consensus.

3. Changements idéologiques.

a) Bien avant les réformes entreprises par la Ve République, des « idées nouvelles »
en matière de pédagogie et de réforme de l'Université se sont fait jour et ont été
diffusées parmi les enseignants et parmi les étudiants. Pendant plus de vingt
ans, du plan « Langevin- Wallon » jusqu'au « colloque d'Amiens », on n'a cessé de
parler de « réforme » au sein de l'Université. Les discussions tendent à perdre
leur caractère académique avec les réalisations, si modestes soient-elles, de ces
dernières années. Toutefois la tension entre les « idées » et la « réalité » devient de
plus en plus forte : la critique de la pédagogie, celle des examens, reçues il y a
vingt ans comme des nouveautés, ne rencontrent plus guère d'objections, sans
pour autant que le rythme de modification des structures et des comportements
suive celui du changement idéologique.
b) Chaque projet de réforme implique ou contient la critique de l'ordre uni
versitaire régnant. Mais certaines analyses, parfois assez répandues parmi les
étudiants, vont plus loin, en ce sens qu'elles s'en prennent non seulement aux
institutions mais également au consensus qui les sous-tend et dont elles font
ressortir le caractère d'obstacle décisif au changement *.

1. C'est ainsi qu'on peut lire Les Héritiers de P. Bourdieu et J.-C. Passeron (Paris,
Éd. de Minuit, 1964). Sur un tout autre registre, citons le pamphlet situationniste : De
la misère en milieu étudiant, considérée sous ses aspects économique, politique, psycholo
gique,sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, par des
membres de l'Internationale situationniste et des étudiants de Strasbourg, A.F.G.E.S.,
Strasbourg, 4966.

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La naissance du « pouvoir étudiant »

c) Le contenu même de l'enseignement évolue dans de nombreuses disciplines,


probablement dans le sens d'un fonctionnalisme scientifique difficilement compat
ible avec certaines valeurs de l'ordre traditionnel. Dans les disciplines littéraires
et juridiques, les dix dernières années ont été marquées par une entrée massive
des sciences sociales au sein de l'Université, en particulier avec la création de la
licence de Sociologie au sein de la faculté des lettres devenue « des Lettres et
Sciences humaines » peu après que la faculté de Droit soit devenue « de Droit et
des Sciences économiques ». Il est difficile d'apprécier exactement la portée de
ces changements. Leur simple énoncé donne à penser que, dans certains secteurs
de l'Université tout au moins, l'ordre universitaire traditionnel ne peut pas ne
pas être mis en question par les étudiants en fonction du contenu même de leurs
études.
d) On a souvent mentionné parmi les « causes » de la révolte de mai le dévelop
pement, dans l'ensemble de la société française, de l'idéologie de la « jeunesse ».
Invités hors de l'Université à admirer la celeritas (le « dynamisme ») juvénile de
modernes héros de culture, les étudiants sont censés cultiver dans l'Université
la gravitas mandarinale. Cette situation peut effectivement devenir génératrice
de tension si le modèle juvénile tend à pénétrer l'Université elle-même, comme il
semble bien que ce soit le cas depuis quelques années.
L'événement a en tout cas montré que les étudiants, et singulièrement ceux
qui y ont joué un rôle actif, se mouvaient fréquemment dans une symbolique
« juvénile » moderne, extérieure à l'Université et même à la bourgeoisie, et donc
en rupture complète .avec la symbolique « estudiantine » traditionnelle, elle-même
parfaitement intégrée à l'ordre universitaire et bourgeois.
e) Mais l'ébranlement du consensus peut être plus évidemment relié à certaines
transformations idéologiques diffuses, qui sont sous-jacentes à la fois à l'idée de
a réformer » l'Université et à certains des changements qu'on a tenté d'y intro
duire. La place insigne que détiendront dans l'idéologie du mouvement de mai
des thèmes comme celui de la « participation » et du « dialogue » d'une part, de
1' « adaptation » d'autre part, montre bien que cette terminologie apparemment
anodine (après tout c'est également celle du régime) pouvait avoir, dans V Univers
ité, valeur révolutionnaire. En fait des idées telles que celles d'une « pédagogie
de participation » ou d'une « adaptation de l'Université aux débouchés » ont
cessé d'être combattues depuis dix ans. Elles ne gouvernent nullement, certes,
la pratique de l'Université française, mais pourtant vont de soi pour beaucoup
d'enseignants et pour tous les étudiants 1.

1. Y compris, bien sûr, les étudiants en Sociologie de Nanterre. On a parfois opposé


à l'anxiété de beaucoup d'étudiants devant le manque de débouchés ou la difficulté
d'y accéder, l'attitude de certains étudiants en Sciences humaines, de Nanterre en
particulier, refusant en quelque sorte tout débouché, et proclamant haut leur refus
de devenir les « cadres-flics » de la société bourgeoise. Ainsi Jacques Chirac, secrétaire
d'État aux Affaires sociales, allait jusqu'à affirmer le 10 mai : « Je ne pense pas que
l'insécurité de l'emploi soit à l'origine du malaise étudiant. D'ailleurs les leaders du
mouvement paraissent nourrir à l'égard de leurs diplômes et de leurs débouchés un
certain détachement. » II faudrait tenir compte du fait que ce « détachement » s'est
d'abord et surtout marqué chez les étudiants en Sciences humaines, ceux qui ont le
moins de débouchés, autrement dit ceux pour qui le problème est le plus grave. Ici
comme ailleurs, une indifférence affichée et hostile n'est nullement le signe d'une ab
sence d'intérêt, mais le signe que les enjeux sont trop élevés. C'est d'ailleurs, on le sait,
une attitude caractéristique de cette classe d'âge qui, dans notre société, doit résoudre
des problèmes « insolubles » : l'adolescence.

25
Olivier Burgelin

LA VIOLENCE ET SA FONCTION

En mai 1968, l'ordre universitaire français est malgré tout encore en place.
Ici et là des phénomènes « inquiétants » se produisent. Mais Strasbourg, Nanterre
font encore figure d'exceptions ; ce qui n'est pas visible et que seul l'événement
va pouvoir mettre en lumière c'est à quel point, le consensus est partout pro
fondément affaibli. Si profondément affaibli qu'une, fois les premiers coups
portés, l'ordre universitaire va se révéler n'être plus qu'une façade branlante
dont un pan s'écroule chaque fois qu'on agit sur elle.
Tout est parti, on le sait, de Nanterre. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a
déjà été dit par d'autres à ce sujet, sinon pour mentionner deux points, particu
lièrement importants de notre point de vue.
En premier lieu, Nanterre est une faculté, un établissement universitaire.
C'est, parmi les trois niveaux que nous distinguons plus haut, le maillon le plus
faible. Contrairement à l'ordre pédagogique d'une part, au système des concours
d'autre part, il ne repose pas, dans sa définition même, sur des valeurs très pro
fondément intériorisées par les étudiants, pour qui l'idée même d'une « faculté
des Lettres et Sciences humaines » reste extrêmement vague. L'établissement
universitaire, c'est le niveau de 1' « organisation », de 1' « administration », de la
« discipline », bref le plus « superficiel » et, de ce fait, celui dont les relations cons
titutives sont les plus faciles à mettre en question. D'autant plus que dans l'ordre
universitaire, autoritaire et « répressif », c'est le seul niveau où les étudiants se
trouvent en face d'un pouvoir qui s'avoue comme tel. Et ce pouvoir est faible.
Il est faible déjà parce qu'il est autoritaire. Mais, de plus, il ne s'accompagne pas
d'une batterie de sanctions suffisamment diversifiées pour être efficaces. L'autor
ité n'y dispose guère, en cas de troubles, que de l'arme absolue : l'appel à la
police. On sait avec quelle facilité l'arme absolue se résout parfois en tigre de
papier. Pratiquement l'autorité universitaire est condamnée à l'impuissance dès
qu'elle est contestée par une minorité résolue et active d'étudiants.
D'autre part, Nanterre vérifie le principe bien connu selon lequel une expérience
libérale menée dans un cadre mental et institutionnel autoritaire ne peut mener
qu'à la ruine de tout consensus et donc à la révolution (ou à la répression). Laisser
une libre discussion s'instaurer parmi les étudiants dans un cadre à la définition
et à la gestion duquel ils ne sont nullement associés devait logiquement aboutir
à une remise en question radicale de ce cadre. Et c'est ce à quoi les étudiants
ont abouti en passant à l'acte.
Ce qui est redécouvert par les étudiants de Nanterre, c'est d'ailleurs à la fois
l'acte et la parole. Jusqu'alors il n'y a de parole étudiante qu'en dehors des struc
tures universitaires proprement dites : conversations de couloir ou discours dans
les réunions politiques. Ces discours peuvent être violents : ils sont parfaitement
admis, parce qu'ils ne gênent personne. Ils sont avec l'action dans un rapport
purement mimétique. Mais l'idéalisme universitaire français accrédite la confusion :
il fait passer pour des actes ce qu'il maintient dans l'ordre déclaratif pur. La cr
itique de l'Université — comme d'ailleurs celle de la politique américaine au
Viêt-nam — reste un inoffensif passe-temps (parfois un utile alibi), tant qu'elle
n'implique de contrainte pour personne. Au contraire lorsque, profitant d'une

26
La naissance du « pouvoir étudiant »

porte entrouverte, les étudiants de Nanterre introduisent la parole étudiante


dans toutes les structures de l'Université, ils accomplissent une « provocation »,
une a grossièreté » ; bref ils introduisent la contrainte : ils agissent.
En temps normal une telle transgression ne serait pas concevable. A la censure
des actes « illégitimes » participe en effet nécessairement tout l'ordre social. Mais
les étudiants, nous l'avons vu, y sont incomplètement intégrés : ils sont « sous-
administrés », « sous-encadrés ». L'apparition des « groupuscules » au sein de la
minorité révolutionnaire, et plus encore celui de groupes informels aux doctrines
vagues, instaure un nouveau type de structures qui, à quelque degré, autorisent
le passage à l'acte. Ce qu'entreprenaient autrefois les minorités révolutionnaires
étudiantes était contrôlé en amont, « récupéré » en aval, par les organisations et
les idéologies dominantes auxquelles elles se référaient — en particulier par le
parti communiste. Les événements de Nanterre sont le fait d'individus et de
groupes suffisamment coupés de l'ordre social et idéologique pour être en mesure
d'entreprendre une action « irrécupérable ».
On a noté le caractère de « provocation » des actes de certains étudiants de
Nanterre, et en particulier de Daniel Cohn-Bendit. De fait, ce que découvrent ces
étudiants c'est qu'à côté de la logique idéologique des paroles, selon laquelle on
est contre lorsqu'on dit qu'on est contre, il y a une autre logique possible, qu'on
pourrait appeler la logique de la provocation, selon laquelle ce qui doit être pris
en considération, c'est ce que l'autre est obligé de faire en réponse à ce que j'ai
fait moi-même K
Ce changement de cadre de référence est à l'origine d'un malentendu, qui se
prolongera [quelque temps, concernant la responsabilité de la violence. Pour les
partenaires des étudiants, et d'abord pour les autorités universitaires, le simple
passage de la déclaration à la provocation est par lui-même, sans l'ombre d'un
doute, une violence. Passer de la contestation académique de l'Université à des
actes qui « objectivement » entravent son fonctionnement, c'est déjà sortir du
dialogue, c'est déjà la violence. Pour les étudiants, au contraire, ces actes ne sont
que la condition d'un dialogue réel, c'est-à-dire qui mette véritablement en ques
tion ce qui est censé être son objet. La violence ne commence donc, dans cette
perspective, qu'avec la répression, avec le refus du dialogue dont ils tentent de
.jeter les bases.
Quoi qu'il en soit, le dialogue va s'établir. Mais, puisque les uns demandent que
ce dialogue mette en cause ce que les autres ne veulent à aucun prix mettre en
cause, il ne peut s'agir que du dialogue du « terrorisme » et de la « répression ».
On sait avec quelle foudroyante rapidité ce dialogue va s'étendre de Nanterre
à Paris puis à toute l'Université française.
Or, dans ce dialogue, il apparaît que les étudiants ne cessent de marquer des
points aux dépens des autorités universitaires. Les « provocations », au départ
le fait d'individus isolés ou de groupes très minoritaires, loin de provoquer le
rejet ironique ou indigné de la majorité (ce qui aurait dû « normalement » se pro
duire), sont reçues avec bienveillance ou au moins avec neutralité : l'acte qui met
en cause l'ordre établi n'apparaît pas forcément comme illégitime. Mais au con-

1. Durant les événements, les dirigeants politiques du mouvement étudiant n'ont


cessé de se référer à cette logique, encore que d'une manière inégalement claire ; et ce
au grand ahurissement d'une opinion publique qui, de par son éducation politique,
n'était prête ni à les suivre ni même à les comprendre, mais à qui l'événement venait
de révéler — en toute ambiguïté — qu'il fallait prendre ces gens au sérieux. C'est d'ail
leurs ce qu'elle a fait fin juin en votant massivement contre eux.

27
Olivier Burgelin

traire, et ce sera là le fait décisif aux yeux de beaucoup d'acteurs ou de témoins,,


l'acte qui tend à restaurer l'ordre universitaire apparaît chaque fois comme
illégitime.
En fait il se révèle, à Nanterre d'abord, puis en mai à Paris, que les autorités
universitaires ne disposent que de deux armes pour restaurer l'ordre menacé :
la fermeture des locaux universitaires et l'appel à la police. Or, tant sur le plan
de leurs conséquences pratiques immédiates que sur le plan symbolique, ces
deux actes concourent à faire disparaître l'ordre universitaire derrière un ordre
social identifié avec sa direction politique (le gouvernement) et son bras séculier
(la police). La fermeture, qui signifie clairement la « fin » de l'ordre universitaire,,
jette les étudiants dans la rue et les y jette tous, leur signifiant ainsi clairement
qu'ils sont tous concernés. Quant à l'appel de la police, ses conséquences sont
énormes : en faisant passer la tâche du maintien de l'ordre des mains des autori
tés universitaires dans celles du gouvernement, il rend manifeste ce qui jusqu'alors
était latent ou « refoulé » — maintenu en tout cas hors de la conscience tant des
étudiants que des professeurs. En premier lieu, l'appel à la police réalise une
brutale déflation de tout ce sur quoi reposait l'autorité universitaire : prestige,
autorité morale, consensus, sont considérés ouvertement comme nuls ; il apparaît
qu'il n'y a en face des étudiants qu'un pouvoir et un pouvoir contesté, c'est-à-dire
un pouvoir qui doit rendre raison par la force de son fondement même, de ce
sur quoi s'épanouissait la « chaîne de métaphores » en quoi consistait son exercice
normal. En même temps, l'appel à la police tend à démontrer que l'ordre univers
itaire et l'ordre social ne sont qu'une seule et même chose, et que ce par quoi ils-
s'identifient, c'est précisément leur commun recours, cet élément refoulé,
honteux, sur lequel ils reposent l'un et l'autre.
Et, de fait, c'est le recours à la force publique qui, au cours de la semaine du
3 au 10 mai 1968, va entraîner la ruine définitive d'un certain ordre universitaire
français. Le 10 mai, il n'y a plus d'ordre universitaire, il n'y a plus de consensus,
il n'y a plus de minorités, il n'y a plus que « les étudiants » en face non plus même
du gouvernement mais du régime. L'Université a disparu et la légitimité est
passée tout entière dans le camp des rebelles. La violence a accompli sa fonction.
On aurait tort d'attribuer une importance décisive à ce qu'on a fréquemment
appelé la « stupidité » des autorités universitaires (ou encore leur « erreur d'appré
ciation », leur « manque de sang-froid »). L'imputation n'est certes pas absolu
ment gratuite, puisque les autorités universitaires ont à plusieurs reprises
choisi une tactique de maintien de l'ordre qui n'était pas la seule possible et qui,
en particulier, n'était pas celle que préconisaient les spécialistes l. Mais, lorsque
les conséquences d'une erreur tactique sont irrattrapables, on peut supposer
que les considérations tactiques n'ont plus tellement d'importance. En fait, la
« stupidité » de l'autorité universitaire ne paraît pas relever de l'anecdote : c'est
le signe que la structure ne peut plus faire face à l'événement, la marque d'une
disruption annonciatrice du changement structurel. En 1968, la seule alternative
à la « stupidité » de l'ordre universitaire, c'est comme l'ont parfaitement compris
un certain nombre d'universitaires, de quitter le navire. Entendons par là non
pas d'abandonner l'Université à son lamentable destin, mais d'abandonner

1. Durant la semaine du 3 au 10 mai en particulier, le préfet de Police et le ministre


de l'Intérieur ont, semble-t-il, soutenu une tactique plus souple que celle qui a été
effectivement adoptée d'abord sur la demande des autorités universitaires, puis sur
l'ordre de l'Elysée.

28
La naissance du « pouvoir étudiant »

le problème désormais insoluble du retour à l'ordre universitaire traditionnel.


A partir du moment où le consensus est rompu, il n'y a pas d'alternative à la
violence, si ce n'est la fin de l'ordre universitaire. Mais lorsqu'il apparaît que le
consensus ne peut pas se reconstituer à l'abri de la force x, la violence elle-même
cesse d'être une alternative. Le 10 mai il ne reste plus qu'à en explorer l'autre
terme.

LA NOUVELLE LÉGITIMITÉ : LE POUVOIR ÉTUDIANT

L'intervention gouvernementale ne doit pas faire oublier que, vers le 11 mai,


l'affaire reste essentiellement universitaire. Aucun groupe social extérieur à
l'Université n'est en effet conduit à y prendre part de façon directe et immédiate.
De ce fait le premier problème posé, et celui qui va orienter l'action gouverne
mentaleelle-même, est celui de l'équilibre des forces à l'intérieur^ de l'Université,
autrement dit de l'attitude des étudiants et des professeurs en face des événe
ments.

Les étudiants.

Bien que le stade des « groupuscules » soit largement dépassé, seule une minorité
d'étudiants parisiens a participé aux combats et aux barricades, lors de la semaine
du 3 au 10 mai. Toutefois il n'y a plus, vers le 11 mai, d'autres étudiants visibles
que ceux-là, et, en particulier, il n'y a pas d'opposition étudiante au mouvement.
L'U.N.E.F. se trouve, au moins nominalement, placée à la tête de ce qu'elle
n'avait ni prévu, ni organisé. Il est très révélateur que l'organisation concurrente,
la F.N.E.F., qui n'a pas de place au sein du mouvement (elle est classée trop à
droite et, de plus, touche du gouvernement les subventions naguère dévolues à
l'U.N.E.F.), publie des communiqués violemment hostiles à la répression.
Quant au mouvement lui-même, il est apparemment aligné sur les positions
« révolutionnaires » de ses animateurs. Alignement qu'implique la situation :
à partir du moment où les autorités universitaires ont fait appel à la police, les
étudiants n'ont plus eu qu'un ennemi : le conservatisme professoral, la brutalité
policière, la politique gaulliste, voire le capitalisme ou la société de consommation,
leur paraissent s'emboîter l'un dans l'autre, faire partie d'un même ensemble
qu'une terminologie marxisante permet de décrire comme cohérent.
En fait, il est clair que cet alignement ne tient qu'à la situation de lutte vio
lente. Dès que le mouvement va entrer dans une nouvelle phase, la scission tradi
tionnelle va se réintroduire entre les points de vue de la minorité révolution
naire et de ceux, beaucoup plus nombreux, dont les seuls objectifs réels
clairement définis sont d'ordre universitaire 2. Toutefois la conjoncture va mettre

1. A moins peut-être d'aller beaucoup plus loin encore dans la répression. Mais cela
même exigerait que subsistent au moins certains éléments de consensus en faveur de
l'ordre que cette répression tendrait à rétablir.
2. Edgar Morin faisait état dès les 19-20 mai (dans le Monde) du dédoublement de
la « Commune étudiante » en une « commune universitaire » et une « commune politique ».

29
Olivier Burgelin

un certain temps à se clarifier : les grèves, l'apparente relance du mouvement en


milieu ouvrier, vont faire en particulier que la tendance « réformiste » va garder
une certaine ouverture politique.
C'est pourquoi le mouvement va, dans son ensemble, conserver un seul et même
langage. Mais c'est un langage dans lequel un certain nombre de concepts fond
amentaux sont ambigus ; ils seront d'ailleurs interprétés de | deux manières
différentes au sein du mouvement. Ainsi du concept de pouvoir étudiant, dont les
deux interprétations, évidemment différentes, apparaissent comme solidaires
dans la dynamique du mouvement.
Selon la première interprétation, le « pouvoir étudiant » est une phase du proces
sus révolutionnaire qui vient de se déclencher en France. Si l'ordre établi doit
se maintenir encore quelque temps à l'extérieur de l'Université, l'Université,
elle, est maintenant « libérée ». C'est de ce bastion que vont, dans les périodes
favorables, partir de nouvelles offensives contre le régime. C'est en lui que,
pendant l'été, ou durant les périodes les moins favorables, les étudiants vont se
retrancher comme dans un isolât révolutionnaire au sein de l'ordre bourgeois.
Le mythe de 1' « Université sud-américaine » vient se répandre pour étayer cette vue.
Mais il est une autre interprétation selon laquelle le « pouvoir étudiant » est la
force nouvelle, dont l'apparition implique la définition d'un nouvel équilibre au
sein de l'Université. A la dictature «mandarinale », au régime « féodal» doit main
tenant succéder une Université démocratique, au fonctionnement de laquelle
tous les intéressés participeront : au niveau de la pédagogie, au niveau de la
gestion, au niveau du contrôle des connaissances, les étudiants seront désormais
associés aux enseignants. Cette Université de participation sera, à la différence
de l'ancienne, adaptée aux besoins et à l'esprit du monde moderne.
Peu nous importe qu'on puisse tenir ces deux interprétations pour contradict
oires, en tant qu'elles tracent des perspectives d'action pratiquement incompat
ibles ; leur coexistence au sein du mouvement témoigne à sa façon de ce que la
redéfinition d'un nouvel équilibre au sein de l'Université passait nécessairement
par la médiation de la phase « révolutionnaire » des barricades.
En fait l'apparition du concept de « pouvoir étudiant », quel que soit le sort que
l'avenir réserve tant au terme lui-même qu'à la réforme « démocratique » de
l'Université, est le reflet de la progression de la violence à la légitimité. Progres
sion en quelque sorte inévitable : les étudiants font d'abord une constatation :
ils détiennent effectivement la force, ou du moins une certaine force ; il devient
donc tout à fait vain de leur contester ce qu'ils détiennent. Mais, en même temps,
le « pouvoir étudiant » reste une revendication : celle de la création d'un ordre
nouveau qui mette fin non seulement à 1' « ancien régime » et à ses abus, mais
également à l'instabilité de la violence, en consacrant le nouveau pouvoir x ;
c'est la revendication d'une légalité.

Les enseignants.

Bien avant mai 68, nombreux sont les professeurs qui ont pris position contre
tel ou tel aspect de l'ordre universitaire français. Prise de position qui n'empêche

1. De plus, le recours à la force a une valeur de démonstration morale, dont les étudiants
eux-mêmes ont souvent pris conscience. Il témoigne tout à la fois de la gravité de leurs
problèmes et de leur détermination à les résoudre, bref, de l'authenticité de leur révolte.

30
La naissance du « pouvoir étudiant »

pas par ailleurs la grande majorité d'entre eux de s'identifier profondément avec
cet ordre universitaire, pris sous l'ensemble de ses aspects. Les deux choses ne
se situent pas sur le même plan. Au demeurant, le seul modèle actif qui
inspire une minorité de réformateurs est celui de 1' « Université américaine »
(nord-américaine cette fois-ci, bien entendu), modèle qui n'est guère « vendable »
ni à des fonctionnaires français, peu portés à échanger leurs garanties de statut
contre les aléas d'un système concurrentiel, ni évidemment à la gauche, ni en
général dans le contexte idéologique universitaire français. Malgré certaines
réussites partielles, les « réformateurs » sont restés en marge d'un système au sein
duquel leurs projets rencontrent beaucoup de suspicion et plus encore d'opposi
tion 1.
Mais, en mai 68, l'ordre n'existe plus que sous la forme armée et casquée du
« maintien de l'ordre ». Les enseignants ne reconnaissent plus ce à quoi ils s'iden
tifiaient et sont alors conduits à accuser de bonne foi les diverses « autorités »
d'être responsables de tout ; ou bien, s'ils perçoivent la filiation entre l'ordre
universitaire auquel ils s'identifiaient et l'ordre armé qui lui a succédé, ils sont
amené à une véritable conversion : si le maintien de l'ordre auquel nous étions
attachés passe par le matraquage de nos étudiants, alors que périsse cet ordre,
mais que cesse le matraquage. Dans un cas comme dans l'autre, beaucoup d'entre
eux changent de camp, ou en tout cas se trouvent portés dans le camp des étu
diants.
Dès avant les violences, bien sûr, certains professeurs avaient pris résolument
position en faveur des étudiants, contre tout recours à la force pour ramener le
calme. Mais les événements vont donner à cette position « paternelle » un sens
radical tout à fait imprévu : prendre position en faveur des étudiants, c'est bientôt
prendre position à la fois contre le gouvernement (ce qui, il est vrai, ne soulève
pas beaucoup de difficultés, dans le contexte universitaire français) et contre
l'ordre universitaire (ce qui est plus difficile et plus grave). De fait, beaucoup
hésitent d'abord à franchir le pas. Mais, vers le 10 mai, il devient clair que l'ordre
ne peut plus être rétabli sur la base du statu quo ante à moins peut-être d'instau
rer une véritable terreur sur l'Université (ce à quoi au demeurant le gouvernement
ne paraît guère disposé).
C'est alors que tout craque : en quelques jours, du fait de l'accord des uns et
du silence des autres, les minoritaires vont, ici aussi, devenir les porte-parole du
corps tout entier.
Sans doute, toutes sortes de solidarité de classe, de tradition, de famille, de
relations diverses entre professeurs et étudiants ont-elles joué un rôle décisif a.
Toutes solidarités qui, jouant traditionnellement dans un certain sens, étaient le

1. D'où le drame de ces réformateurs qui, souvent, loin de voir dans le mouvement
de mai la possibilité d'obtenir enfin la réalisation de ce pourquoi qu'ils s'exténuaient à
lutter depuis des années, seront complètement obnubilés par ses apparences révolu
tionnaires ou gauchistes, et, perdant tout sang-froid, prendront une attitude d'oppos
itionacharnée, bien plus véhémente que celle de certains professeurs beaucoup plus
conservateurs qui se contenteront de lâcher un peu de lest sans perdre leur calme, sans
prendre des vessies pour des lanternes ni croire que de petits bourgeois français s'ébrouant
en liberté sont en train d'instaurer le régime de Mao.
2. En général on peut supposer que de telles relations ont lourdement pesé sur l'att
itude de tous les milieux dirigents, et en particulier des milieux gouvernementaux. Il n'a
jamais été question, par exemple, d'utiliser des armes à feu contre les étudiants. Peut-on
imaginer ce qui se serait passé si d'autres que les étudiants — des ouvriers par exemple —
avaient édifié des barricades en plein centre de Paris?

31
Olivier Burgelin

plus sûr garant de l'ordre universitaire, et qui, jouant en sens inverse, ont assuré
sa chute.
Quoi qu'il en soit, tout craque : en quelques jours, doyens et conseils de facul
tés — à des degrés certes divers — accordent aux étudiants tout ce qu'ils leur
refusaient depuis des années — et bien au-delà — en fait de représentation et de
participations aux décisions. Mais le plus remarquable c'est que, comme les
étudiants, professeurs et doyens s'accordent pour remettre en cause non seul
ement le niveau de la « gestion », mais l'ensemble de l'ordre universitaire, depuis
la relation pédagogique jusqu'au système des examens x. Il paraît désormais
évident à tous — et sans qu'on puisse citer les faits précis sur lesquels cette
évidence se fonde — qu'il est impossible de maintenir la crise sur le plan de la
discipline et du maintien de l'ordre, le seul pourtant sur lequel elle se soit déroulée
depuis qu'elle s'est transportée de Nanterre à Paris. Ce fait semble démontrer
que, chez les professeurs aussi, malgré leur évident attachement aux traditions
universitaires, le consensus à l'égard de l'ensemble de l'ordre universitaire était
profondément miné, dès avant les événements.
Le terme de « pouvoir étudiant » n'est guère repris par les professeurs. En de
hors de certains dirigeants du S.N.E. Sup. 2, les professeurs n'épousent pas les
positions des étudiants : ils leur cèdent ; et, aux alentours du 10 mai, on assiste
à une cascade de prises de position, de décisions et de motions qui, comme celle
que nous venons de citer, équivalent à la reconnaissance de fait du « pouvoir
étudiant » ; et à la répudiation de l'ancien ordre universitaire. Dès le mois de
juin, sans doute, l'attentisme d'un grand nombre va se réveiller et éventuellement
se transformer en une opposition acharnée. Un phénomène analogue va commenc
er à se produire chez les étudiants. Mais cette reprise normale du jeu politique
s'effectue sur de nouvelles bases ; et, pour commencer, sur le plan de ce que nous
avons appelé ici consensus.
Tant parmi les enseignants que parmi les étudiants un nouveau consensus
se dessine en faveur d'un nouvel ordre encore mal défini, mais dans lequel il

1. Un des textes les plus révélateurs est l'extraordinaire déclaration adoptée à l'una
nimité par les doyens des facultés des Lettres, réunis à Paris le 13 mai : « Les enseignants
des facultés... ne se déchargent pas sur d'autres des responsabilités encourues ou à en
courir ; ils ne veulent pas davantage se voir imputer les fautes d'autrui (...). Ils soulignent
l'incurie criminelle (du ministère de l'Éducation nationale...). Ils rappellent la lourde
responsabilité (du ministère des Finances...). Les doyens estiment qu'il est vain de
parler encore d'une réforme de l'Université, édifice napoléonien depuis longtemps
ruiné (...). Sur le plan des réformes, les doyens reconnaissent d'abord la nécessité d'une
révision profonde des principes pédagogiques de l'enseignement universitaire. Cette
révision doit remettre en cause tant le contenu des programmes que les méthodes d'en
seignement et la structure des examens (...). Ils estiment en outre que l'administration
générale, la gestion financière et l'organisation de l'enseignement doivent être dévolues,
sous la responsabilité d'un conseil de direction, à des organismes où seront représentés
tous les ordres d'enseignants et leurs étudiants, en la personne de leurs délégués démo
cratiquement élus. »
2. En s'alignant à la fois politiquement et stylistiquement sur le mouvement étudiant,
le S.N.E. Sup. a pris une position qui reflétait sans doute l'extrême sentiment d'oppres
sion de la majorité de ses mandants — appartenant pour la plupart, on le sait, à la
« classe » des assistants — mais qui de ce fait était sans rapport avec l'attitude réelle
des professeurs titulaires, y compris de ceux qui, suivant en cela leurs convictions mor
ales ou leurs principes politiques, sont restés fidèles à ce syndicat ou même à sa majorité.
Toutefois que l'attitude du S.N.E. Sup. ait seulement été possible montre bien à quel
point, chez les professeurs comme chez les étudiants, toute opposition au mouvement
s'est trouvée, au moins un moment, radicalement désarmée.
32
La naissance du « pouvoir étudiant »

apparaît déjà que toutes les normes constitutives de l'ancien ordre universitaire
seront fondamentalement modifiées.

LA « DÉVALUATION POMPIDOU »

Le 11 mai, la légitimité se trouve, à l'intérieur de l'Université, tout entière du


côté des étudiants. Toutefois le problème d'un changement dans la légalité reste
entièrement à résoudre et sa solution passe nécessairement par la reconnaissance
à l'extérieur de l'Université, et en particulier par le gouvernement, de la légit
imité du « pouvoir étudiant ».
Certes le « pouvoir étudiant » ne peut acquérir une légalité dans l'instant — ne
serait-ce que parce que, le 11 mai, personne ne sait exactement ce qu'il est, ni
donc ce que pourrait signifier sa légalisation. Les étudiants refusent d'ailleurs
de préciser tout de suite leurs revendications à cet égard. Pourtant les violences ne
peuvent cesser sans que soit ébauché le passage de la légitimité à la légalité et
cela de la seule manière concevable à cette date : par le retrait des forces de
police, la satisfaction des revendications immédiates des étudiants, et ce que ces
mesures impliquent : la reconnaissance de fait du « pouvoir étudiant ». On sait
que, sous l'impulsion du Premier ministre, c'est ce à quoi se résout le gouverne
ment dans la journée du 11 mai.
Que cesse la violence est en effet pour le gouvernement une nécessité absolue
car, à cette date, il est tout à fait certain que le constant recours à la force risque
d'aboutir à une crise politique majeure.
Dans la société policée où nous vivons, les transactions politiques supposent
certes la force, mais s'exercent normalement sans recours explicite à la force
— de même que les transactions financières s'exercent normalement sans recours
à l'or. Les événements des premiers jours de mai ont, dans le domaine politique,
des effets comparables à ceux qu'auraient, dans le domaine économique et financ
ier, un très fort déplacement d'or. En faisant matraquer jour après jour les
étudiants sans obtenir de résultats concrets, c'est-à-dire sans réussir à rétablir
l'ordre, le gouvernement se trouve dans une situation comparable à celle d'une
banque centrale débloquant jour après jour des quantités importantes d'or sans
réussir à consolider sa monnaie. Dans ce cas, en effet, la force entre les mains
du gouvernement apparaît, comme l'or dans les caves d'une banque centrale,
une quantité finie. La seule mesure radicalement efficace dans la situation
financière à laquelle nous nous référons est, on le sait, la dévaluation de la
monnaie. C'est une mesure comparable que va prendre Georges Pompidou en
cédant aux revendications immédiates des étudiants, ce qui revient en fait à
procéder à une véritable « dévaluation du pouvoir ». Dévaluer la monnaie
revient à réévaluer tout ce qu'on peut acquérir avec, et en premier lieu l'or.
En laissant les étudiants occuper les facultés, le gouvernement Pompidou
réévalue tout ce qui avait fait l'objet d'une semaine de « transactions »
à coups de matraques et de grenades lacrymogènes, et en premier lieu la
force.
La dévaluation est une opération en théorie parfaitement saine et raisonnable
dans certaines conjonctures, mais c'est une thérapeutique économique de choc,
dont les conséquences peuvent être particulièrement difficiles à maîtriser. En fait,

33
Olivier Burgelin

le choc provoqué par la « dévaluation Pompidou » du pouvoir va se révéler inf


iniment plus brutal que prévu.
Pourtant, en ce qui concerne le mouvement étudiant lui-même, le résultat
paraît avoir été très exactement celui que le gouvernement Pompidou pouvait
espérer. Le 11 mai et les jours suivants, le gouvernement satisfait en totalité
les objectifs à courts termes du mouvement. Celui-ci ne sera plus jamais en mesure,
au cours des deux mois qui vont suivre, d'en définir d'autres avec clarté et de
mobiliser l'ensemble des étudiants pour leur réalisation. L'occupation des facul
tésva, malgré certaines apparences, accomplir très rapidement cette dé-radica-
isation du mouvement souhaitée depuis le tout début de mai par le gouverne
ment. Très rapidement la majorité « réformiste » des étudiants va, au sein même
des facultés occupées, submerger sans heurts la minorité « révolutionnaire » qui
va, peu à peu, se trouver mise comme en marge du mouvement. Le rebondisse
ment de la crise politique d'une part, l'emploi quasi uniforme d'une phraséologie
« gauchiste » à l'intérieur des facultés d'autre part x, vont dissimuler le fait à la
plupart des observateurs. Il n'empêche qu'après deux mois de péripéties polit
iques et de discussions sur la réforme de l'Université, les occupants des facultés
se révéleront totalement démobilisés lorsque le gouvernement fera procéder
progressivement à la fermeture des facultés sans rencontrer la moindre résistance.
Est-ce dire que les étudiants se sont faits purement et simplement « rouler »
par le gouvernement, comme certains d'entre eux ont aujourd'hui tendance à
le croire devant un dénouement, au moins provisoire, qu'ils n'avaient ni souhaité
ni prévu? C'est, à notre sens, une vue tout à fait superficielle de la situation.
En fait les étudiants sont les premiers bénéficiaires de ce que nous avons appelé
la « dévaluation ». En premier lieu, dans une dévaluation, tous les détenteurs de
monnaie dévaluée perdent quelque chose ; les étudiants qui n'avaient pratique
ment aucun pouvoir reconnu ne perdent absolument rien à la « dévaluation
Pompidou ». Mais, par contre, les événements de mai ont montré que les étudiants
étaient de gros détenteurs de ce qu'on peut acquérir avec du pouvoir : de capacité
d'exécution. L'émergence du « pouvoir étudiant », la « dévaluation Pompidou »
qui a suivi, réalisent une hausse brutale de la valeur en pouvoir de cette capacité
d'exécution. Que cette hausse brutale ait été suivie d'une baisse relative, c'est
là une fluctuation normale et qui, dans certaines limites, ne remet pas en cause
le bénéfice de la « dévaluation ». Bref tout permet de penser qu'avec la même
quantité de pouvoir on pourra désormais moins exiger des étudiants, ce qui, dans
la pratique, impliquera la mise en place d'un nouveau système de pouvoir au
sein duquel les étudiants auront une place reconnue.
Mais l'inconvénient des dévaluations, c'est qu'on ne peut limiter strictement
leurs effets à ce qui les avait rendues nécessaires. De même que toute dévaluation
atteint l'ensemble des détenteurs de monnaie, la « dévaluation Pompidou » a
atteint l'ensemble des détenteurs de pouvoir et d'une façon qui s'est révélée extr
êmement sévère puisque, on le sait, la France a vécu presque un mois sans adminis
tration ni autorité véritables. A l'extérieur de l'Université aussi, la « dévalua
tion » a profité à ceux qui avaient relativement peu de pouvoir et beaucoup de

1. L'illusion suscitée par l'emploi de cette phraséologie ne peut tenir un instant à la


lecture des textes votés dans les facultés qui témoignent massivement d'une soif d' « in
tégration » et d' « adaptation » se situant exactement aux antipodes du nihilisme révo
lutionnaire ou même du « maoïsme » imprudemment prêtés par beaucoup à l'ensemble
du mouvement.

34
La naissance du « pouvoir étudiant »

ce qu'on peut acquérir avec du pouvoir, et en premier lieu aux ouvriers et petits
salariés. Toutefois le cas des ouvriers est bien différent à cet égard de celui des
étudiants. Car si les ouvriers participent individuellement beaucoup moins que
les étudiants aux « privilèges » existant dans notre société, ils sont collectivement
beaucoup mieux intégrés au système de pouvoir qui la régit. Sans être associés
à la gestion des entreprises, ils détiennent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des
entreprises, un pouvoir de fait considérable consécutif à toutes les a conquêtes »
du mouvement ouvrier depuis un siècle, et qui se traduit, sur le plan des salaires,
des conditions de travail, des droits syndicaux, des indemnités de chômage, de
la sécurité sociale, etc.. Dans une dévaluation générale du pouvoir, les ouvriers
français sont très loin de n'avoir rien à perdre ce qui, à notre avis, rend suffisa
mment compte de l'attitude de leurs dirigeants syndicaux pendant la crise. Certes
ils avaient plus à gagner qu'à perdre et l'entendaient ainsi — sans quoi il n'y
aurait pas eu de grèves. Mais l'opération se présentait pour eux en de tous autres
termes que pour les étudiants.
Toutefois les plus atteints par la « dévaluation Pompidou » ont évidemment
été les gros détenteurs de pouvoir et, en premier lieu, bien sûr, le gouvernement
et l'administration. En ce qui concerne le gouvernement sa perte de pouvoir a
été si considérable qu'elle a entraîné une nouvelle mesure radicale : les élections,
mesure qui consiste à aller chercher le pouvoir où il est, encore que selon une pro
cédure qui n'est efficace que lorsqu'elle repose sur un plein consensus 1. Mais il
est un secteur de l'administration qui, en ce qui le concerne, a effectué avec la
« dévaluation Pompidou » une perte de pouvoir qui paraît aussi irréparable que
la perte financière subie par de gros détenteurs de monnaie non productifs dans
une dévaluation monétaire : il s'agit évidemment des détenteurs traditionnels
du pouvoir au sein de l'Université : des professeurs et de l'administration univers
itaire. Les sources du pouvoir universitaire étaient manifestement la délégation
du pouvoir central (de l'État), l'autorité morale et l'influence des professeurs,
et leur reconnaissance (tacite) par les étudiants. Or ces deux sources de pouvoir
sont compromises, encore qu'inégalement.

1. Que la majorité ait été reconduite ne signifie nullement que ces élections soient
une mesure pour rien. Non seulement parce que cette majorité est élargie, non seulement
parce que son axe politique a changé, mais surtout parce que les élections
elles-mêmes sont une opération efficace de transfert du pouvoir des électeurs vers les
élus. D'une façon générale, un gouvernement peut prendre le risque de « perdre » ou de
« dépenser » beaucoup de pouvoir parce qu'il dispose pour reconstituer son a capital »
en ce domaine d'une batterie de moyens, dont les élections ne sont que le plus manif
este — dans les démocraties. C'est pourquoi nous ne pensons pas, contrairement à
Raymond Aron, que la décisionde G. Pompidou ait été une erreur politique ou un pari
perdu [La révolution introuvable, Fayard, pp. 42-43). Ce n'était pas un pari parce que
le 11 mai il n'y avait pas d'alternative réelle (« Sur le moment », reconnaît d'ailleurs
Raymond Aron, e j'ai été enclin à lui donner raison » — en témoigne le Figaro du 15 mai.
C'est précisément parce que « sur le moment » tout le monde — y compris les éditorialistes
du Figaro — était « enclin » à approuver cette mesure qu'elle était inévitable.) D'autre
part et surtout ce pseudo-pari n'a pas été finalement perdu : le régime a tenu. Malgré
tout ce qui a suivi le 11 mai, il a pu reconstituer peu à peu son pouvoir ; mais cette
reconstitution s'est opérée sur le « nouveau standard t> défini le 11 mai, c'est-à-dire
sur la base de reconnaissance du « pouvoir étudiant ». Sans la définition de ce « nouveau
standard », on ne voit pas comment une telle reconstitution aurait été possible, ni com
ment le régime aurait évité de finir comme ceux de Charles X et de Louis-Philippe. Ceci
dit la « dévaluation Pompidou » aurait été plus immédiatement efficace et moins oné
reuse si elle avait été décidée avant d'être devenue inéluctable.
Olivier Burgelin

La reconnaissance du « pouvoir étudiant » a, de plus, une signification quasi


mécanique dans la redéfinition du système de pouvoir à l'intérieur de l'Univers
ité. Bien que le pouvoir ne puisse être considéré comme une quantité absolu
mentlimitée à l'intérieur d'un système politique, il est clair que nous nous trou
vons ici en présence d'un cas où ce qui est conquis par les uns l'est au moins
partiellement aux dépens des autres.
Ce n'est d'ailleurs pas le seul « pouvoir » qui est atteint dans l'ordre universi
taire traditionnel. De même qu'une dévaluation financière a des incidences consi
dérables en dehors du domaine économique (et en particulier dans le domaine
politique), de même la dévaluation du pouvoir a nécessairement des conséquenc
es sur d'autres plans, en particulier celui de l'influence et de l'autorité morale.
Le comportement des étudiants pendant la crise a suffisamment montré à quel
point les systèmes d'influence et d' « autorité morale » étaient eux-mêmes ébranlés
à l'intérieur de l'Université. Sur ces plans également, une redéfinition des rap
ports internes à l'Université, comme d'ailleurs des rapports entre l'Université
et le reste de la société est nécessairement en cours. Ici encore la ruine de l'ordre
universitaire traditionnel s'est accompagnée de phénomènes de « dévaluation »,
encore que les mécanismes en soient, sinon moins manifestes, du moins sans doute
plus difficiles à expliciter que ceux de la « dévaluation Pompidou » dans l'ordre
du pouvoir proprement dit.

CONCLUSION

Selon une thèse extrêmement répandue, la révolte universitaire de mai serait


à la fois le symptôme et le résultat d'une remise en question radicale par la jeu
nesse universitaire de l'ensemble des valeurs de la société industrielle moderne,
certains observateurs ayant en vue la société capitaliste occidentale, d'autres
l'ensemble des sociétés industrielles. Bref la crise universitaire française ne serait
que l'aspect superficiel d'un phénomène plus profond.
Nous ne nous sommes pas donné ici les moyens de « réfuter » de telles vues, qui
d'ailleurs sans doute ne sont entièrement réfutables ni en fait, ni en droit. Sans
donc les contredire absolument, disons qu'elles nous paraissent en général trop
rapides, dans la mesure où elles prêtent insuffisamment attention à l'aspect le
plus immédiat et le plus évident de la crise : au fait qu'elle est née dans l'Univers
ité française.
Peut-être faut-il faire ici intervenir les liens affectifs qui unissent à cette Uni
versité l'immense majorité de ceux qui, dans notre pays, sont en position d'en
parler — et qui se traduisent jusque dans l'exagération de certaines imprécations
proférées contre elle. Il y a sans doute en chacun de nous un obstacle intérieur
à admettre que notre aima mater était quelque chose contre quoi il fallait se
révolter. Et pourtant...
Pourtant il nous paraît manifeste que la crise universitaire de mai a trouvé
dans l'Université un sens et une fonction. Cela n'implique évidemment pas
qu'elle n'ait rien mis en cause en dehors de l'Université. Cela n'implique pas non
plus que les modèles idéologiques ou de comportement auxquels ont obéi ses
acteurs aient été élaborés dans la seule Université. Il est parfaitement clair que
l'Université n'est pas une totalité autonome et que ses rapports internes sont
en grande partie déterminés par ses rapports externes. On voit mal, par exemple,
comment, dans une société inégalitaire et hiérarchisée, l'Université pourrait

36
La naissance du « pouvoir étudiant »

échapper au problème de la sélection. Dans un autre ordre de choses, on voit mal


comment des étudiants pourraient se révolter contre un ordre universitaire, si
cet ordre universitaire était en situation de limiter étroitement leur imagination.
Il n'empêche qu'une certaine crise s'est déroulée au sein de l'Université — même
si de cette crise devait en naître une seconde, bien différente d'ailleurs, et qui
concernait, elle, toute la société française. Il n'empêche que cette première crise
s'est traduite par une redistribution des forces et a manifestement donné le coup
d'envoi à une réorganisation complète des rôles, des fonctions, des structures
à l'intérieur de l'Université. Il nous a semblé impossible de comprendre le mou
vement de mai en oubliant ce phénomène majeur, et en mettant directement au
premier plan des phénomènes d'écho et de résonance par définition non pas, certes,
secondaires, mais néanmoins seconds.
Ajoutons que c'est autour d'un examen des textes du mouvement
que s'est cristallisé notre point de vue. Il apparaît en effet que ces textes
proposent, dans leur ensemble, une critique de l'Université qui implique, si on
la prend à la lettre, une refonte au moins partielle de ses traditions, de ses
structures et surtout des rapports qui y régnent ; au contraire, malgré
les phénomènes de « radicalisation » qui se sont de toute évidence produits
début mai, non seulement l'idéologie « révolutionnaire » n'a 'à peu
près pas eu de prise sur la masse du mouvement, mais même celui-ci n'a pas eu
de pensée politique véritablement distincte : l'idéologie élaborée dans les facultés
occupées ne se distingue sur le plan politique de l'idéologie dominante (disons
même gaulliste) que par l'utopie d'une société sans pouvoir ni contrainte — pro
jection manifeste d'une situation violemment ressentie à l'intérieur de l'Univers
ité. Peut-être faudrait-il tout simplement admettre que la critique de l'Univers
ité française ne peut déboucher directement sur une critique révolutionnaire
de la société *. Et qu'à cet égard comme à bien d'autres, l'inlassable référence à
la situation de la classe ouvrière n'est pas pertinente.
Bref, quel que soit le rôle qu'y aient joué des éléments « politisés », quel qu'ait
été le débouché « politique » a de la crise de mai, son caractère fondamentalement
universitaire nous paraît solidement étayé du côté des faits sociaux comme du
côté de l'idéologie. Nous renvoyons ceux qui nous reprocheraient d'enfoncer une
porte ouverte aux nombreuses analyses qui ont dit expressément le contraire.
Cela dit, ce serait tourner le dos à l'évidence que de nier que la crise de mai,
du fait de son immense retentissement, présente une grande complexité et des
difficultés majeures d'interprétation. En suivant notre propre fil, nous ne pensons
pas les avoir fait disparaître par une sorte de réduction, mais, au mieux, avoir
contribué à ce qui nous paraît être l'un des deux préalables à l'abord de ces diff
icultés : la description des rapports qui s'y sont instaurés ou détruits ; l'autre préa
lable étant l'analyse des idéologies qui s'y sont manifestées.
Olivier Burgelin
École Pratique des Hautes Études, Paris,

1. A moins bien entendu de faire intervenir des données qui sont manifestes au sein
de la société, mais non au sein de la seule université, et dont le mouvement a en fait peu
pris conscience. L'article de Noëlle Bisseret en donne la démonstration sur un point
particulier.
2. Ces guillemets parce qu'il ne nous paraît pas pertinent d'opposer politique et
universitaire : ce que nous avons étudié ici c'est principalement la transformation des
rapports politiques au sein de l'Université.

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