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Section 3 - Le choix de la forme juridique


de l'entreprise
Auteurs :
Par Jean-Bernard Blaise, Richard Desgorces

Issu de Droit des affaires


Date de publication : 29/08/2023
Réf : Blaise J.-B., Desgorces R., Droit des affaires, août 2023, Lextenso, 9782275139302

Section 3

Le choix de la forme juridique de l’entreprise


429. Celui qui crée une entreprise commerciale ou qui veut la développer est placé devant un choix : doit-il
donner à son entreprise la forme de l’entreprise individuelle ou doit-il la mettre en société ? Dans le cas des
entreprises grandes ou moyennes, il n’y a pas d’hésitation possible. La forme sociale s’impose. La question se pose
essentiellement pour les petites et très petites entreprises. Quels sont les avantages et les inconvénients
respectifs des deux formes ? Il faut distinguer entre les conséquences du choix, selon qu’elles sont d’ordre
juridique (§ 1) ou économique (§ 2).

§ 1. Les conséquences juridiques du passage en société


430. Avant la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, lorsque l’entreprise individuelle n’était pas mise en société, les
biens qui étaient affectés à l’exploitation restaient la propriété personnelle de l’entrepreneur, personne physique.
De même, les dettes qui naissaient de l’exploitation étaient des dettes personnelles de l’entrepreneur personne
physique.

L’unité du patrimoine pouvait avoir des effets désastreux pour le commerçant personne physique. Si, à la suite de
difficultés financières graves, son entreprise était mise en liquidation judiciaire, c’était l’ensemble de ses biens qui
était liquidé pour payer les créanciers.

En revanche, lorsqu’une entreprise est exercée dans le cadre d’une société commerciale, les avantages de la
société se rattachent à une idée simple : la société disposant de l’autonomie patrimoniale, elle est une personne
distincte de la personne des associés et son patrimoine est distinct de ceux des associés. Donc, les créanciers
sociaux ont pour gage général les biens de la société. Ils ne peuvent pas saisir les biens personnels des associés –
ou de l’associé unique lorsque la société est unipersonnelle.
Dans les années 70, les petits commerçants ont demandé que soit abandonné le principe de l’unité du
patrimoine et que soit reconnue la séparation des biens personnels du patrimoine de l’entreprise. Mais le
législateur demeurait réticent, sans doute par crainte de nuire au crédit des petites entreprises. Après quelques
avancées prudentes, la loi a fini par admettre, en 2010, sous certaines conditions, la séparation du patrimoine de
l’entreprise du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. La loi du 15 juin 2010 a créé l’entreprise
individuelle à responsabilité limitée ou EIRL. Mais, le système mis en place n’a pas bien fonctionné, probablement
en raison de sa lourdeur et de sa complexité. Aussi, le législateur a-t-il décidé par la loi n° 2022-172 du 14 février
2022, d’une part, de mettre en extinction le statut de l’EIRL et, d’autre part, de séparer automatiquement le

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patrimoine personnel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur.

Il convient d’examiner les conséquences juridiques qui découlent de ces formes d’organisation de l’entreprise :
l’entreprise individuelle et la société pourvue de la personnalité morale.

A L’entreprise individuelle

1 - Avant la réforme du 14 février 2022


431. Dans l’entreprise individuelle classique antérieure aux réformes de 2010 et 2022, l’entrepreneur répondait sur
l’ensemble de son patrimoine des dettes qui étaient nées de l’exploitation de son entreprise. On appliquait le
principe de l’unité du patrimoine exposé par Aubry et Rau au xixe siècle dans leur Cours de droit civil : toute
personne a un patrimoine et une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine. Mais, les conséquences de l’unité
du patrimoine étaient désastreuses pour le commerçant personne physique, lorsque, à la suite de difficultés
financières graves, son entreprise était insolvable. C’était l’ensemble de ses biens qui étaient liquidé pour payer
les créanciers professionnels.

432. Au cours des trente dernières années, le législateur est intervenu à plusieurs reprises en vue de protéger les
biens personnels de l’entrepreneur individuel.
433. La loi du 11 février 1994, relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, diteloi Madelin, a tenté de soustraire
les biens personnels de l’entrepreneur à l’action des créanciers dont la créance est née à l’occasion de
l’exploitation de l’entreprise. Les dispositions de cette loi n’ont pas toutes totalement disparues. On retrouve par
exemple l’une d’entre elles dans l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier. Ce texte envisage le cas d’un
banquier qui accorde un crédit à l’entrepreneur individuel mais en exigeant la constitution d’une sûreté réelle sur
un bien non nécessaire à l’exploitation ou personnelle. La banque doit, par écrit, informer l’entrepreneur de la
possibilité qui lui est offerte de proposer une garantie sur les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise ou
de solliciter une garantie auprès d’un autre établissement de crédit. Cependant, le banquier n’est pas tenu
d’accepter la proposition. S’il l’estime insuffisante, il a la faculté de refuser le crédit.

La loi du 11 février 1994 n’a eu qu’une portée pratique très limitée. Le législateur n’est pas allé jusqu’au bout de
l’idée initiale qui était d’encourager la création d’entreprises individuelles en mettant à l’écart des poursuites des
créanciers les biens personnels de l’entrepreneur. La loi n’a fait qu’esquisser de façon maladroite le patrimoine de
l’entreprise.

434. La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique a marqué une étape supplémentaire dans la
protection des biens personnels de l’entrepreneur individuel. Elle a créé dans le Code de commerce un chapitre
nouveau, intitulé « De la protection de l’entrepreneur individuel » et comportant les articles L. 526-1 et suivants. À
l’origine, la protection n’avait qu’un objet limité, puisqu’elle ne concernait que l’immeuble où était fixée la
résidence principale d’un professionnel, personne physique. Mais elle était plus efficace que la loi Madelin en ce
qu’elle déclarait cet immeuble insaisissable.
435. La loi LME du 4 août 2008 a étendu l’insaisissabilité à « tout bien foncier bâti ou non bâti » que le titulaire des
droits n’a pas affecté à son usage professionnel (art. L. 526-1, al. 2, C. com.). Cette mesure perdure en droit positif.
Elle figure dans l’articles L. 526-1, alinéa 2, Code de commerce. Elle conserve toute son utilité même après l’entrée
en vigueur de la loi du 14 février 2022.

En cas de cession des droits, la loi a également prévu l’insaisissabilité du prix de cession et des biens acquis en
remploi, dans le délai d’un an, du bien cédé (art. L. 526-3 C. com.).

L’insaisissabilité résulte d’une déclaration notariée du professionnel titulaire des droits sur l’immeuble. Il faut une
manifestation de volonté de l’entrepreneur. Bien souvent, son souhait de rendre ses biens fonciers insaisissables
intervient trop tard, une fois que les difficultés financières ont commencé.
Pour être opposable aux tiers, la déclaration d’insaisissabilité doit être publiée au fichier immobilier. Elle n’a
d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication. La déclaration faite

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par un commerçant est en outre publiée au RCS (art. L. 526-2 C. com.).

L’insaisissabilité ne protège pas seulement les commerçants, mais, d’une façon plus générale, toute personne
physique « immatriculée à un registre national des entreprises » (art. 526-1, al. 1er, C. com.). La cessation d’activité
d’un entrepreneur ne met pas fin à l’insaisissabilité de son logement 397.
En 2015, le législateur a rendu la résidence principale de l’entrepreneur individuel de droit 398 insaisissable à
l’égard des créanciers professionnels (art. L. 526-1, al. 1 er, C. com.) 399. Le législateur a précisé que lorsque la
résidence principale est utilisée en partie pour un usage familial et en partie pour un usage professionnel, la
partie familiale est de droit insaisissable, « sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire ». Même remarque
que pour l’article L. 526-1, al. 2, C. com., cette disposition continue d’exister en droit positif où elle conserve tout
son intérêt, malgré l’adoption de la loi du 14 février 2022.
436. La véritable dérogation à l’unicité du patrimoine est venue de la loi n° 2010-568 du 15 juin 2010 qui a créé le
statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). La réforme est entrée en vigueur le 1er janvier
2011 et a été plusieurs fois modifié, notamment par les lois n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (loi Sapin 2) et
n° 2019-486 du 22 mai 2019 (loi PACTE) qui ont essayé de rendre le régime de l’EIRL un peu plus attractif. On y
reviendra : la loi du 14 février 2022 n’a pas fait disparaître l’EIRL de l’ordonnancement juridique. Le statut prévu
par la loi de 2010 continuera à régir les EIRL existants. Mais il n’est plus possible de créer de nouveaux EIRL 400.
Le texte de référence sur les EIRL est l’article L. 526-6 du Code de commerce. Il dispose : « Pour l’exercice de son
activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité
professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans
les conditions prévues à l’article L. 526-7. / Ce patrimoine est composé de l’ensemble des biens, droits, obligations
ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle. Il
peut comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire,
utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle, qu’il décide d’y affecter et qu’il peut ensuite décider de
retirer du patrimoine affecté. Un même bien, droit, obligation ou sûreté ne peut entrer dans la composition que
d’un seul patrimoine affecté ».

437. Le statut de l’EIRL fut ouvert à toutes les entreprises individuelles, non seulement aux commerçants, mais
encore aux artisans, aux agriculteurs et aux membres des professions libérales. La condition impérative était que
l’entrepreneur soit une personne physique. Le statut n’était pas applicable aux personnes morales.
L’entrepreneur devait déclarer s’il choisissait d’exercer son activité sous le statut d’entrepreneur individuel (donc
avec un seul patrimoine) ou sous celui d’EIRL (donc avec deux patrimoines, l’un personnel et l’autre
professionnel) (art. L. 526-5-1, al. 1er, C. com.).
La constitution de l’EIRL obéissait à deux conditions.

1) L’entrepreneur devait d’abord affecter certains biens au patrimoine de l’EIRL : d’une part les biens, droits et
obligations qui sont nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle ; d’autre part, les biens, droits et
obligations qui, sans être nécessaires à l’exploitation, sont utilisés à cette fin et dont l’affectation est décidée par
l’entrepreneur. Chaque élément d’actif affecté au patrimoine de l’EIRL devait être évalué. L’entrepreneur évaluait
lui-même les biens, en se référant à leur valeur vénale ou, en l’absence de marché, à leur valeur d’utilité (art.
L. 526-8, I, C. com.).

2) L’entrepreneur devait ensuite déposer une déclaration d’affectation auprès d’un registre spécial des
EIRL. L’affectation des biens au patrimoine de l’EIRL n’est opposable qu’aux créanciers dont les droits sont nés
postérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation (art. L. 526-12, I, C. com.).
438. L’EIRL n’a pas reçu un bon accueil, en dépit de toutes les améliorations que le législateur a imaginées depuis
la loi de 2010. La complexité des règles de création et de fonctionnement de l’EIRL y a été pour beaucoup. À
peine 100 000 entrepreneurs ont, de 2010 à 2022, opté pour ce statut, ce qui est peu au regard des deux millions
d’entreprises individuelles qui existent en France en 2022. En comparaison, le statut de microentreprise a connu,
dans le même temps, une grande réussite, sans doute à cause de la grande simplicité des formalités d’adoption.

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2 - Depuis la réforme du 14 février 2022
439. La réforme précitée du 14 février 2022 se veut simple et efficace 401. Les entrepreneurs individuels, c’est-à-
dire les personnes physiques qui exercent personnellement une activité professionnelle indépendante (art.
L. 526-22, al. 1er, C. com.), ont désormais automatiquement deux patrimoines, l’un personnel et l’autre
professionnel, comprenant chacun son actif et son passif 402. Les personnes concernées n’ont aucune formalité
ou déclaration à accomplir. Cela permet d’éviter le risque que l’entrepreneur ne réalise que trop tard que ses
biens personnels ne sont pas protégés.

En conséquence, le droit de poursuite des créanciers professionnels est cantonné aux biens (l’actif)
professionnels. L’article L. 526-22, al. 4, C. com. dispose en ce sens : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du
Code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens (...) l’entrepreneur
individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion
de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel ». Parallèlement, le droit de poursuite
des créanciers personnels est limité aux biens (l’actif) personnels. L’article L. 536-22, al. 6, C. com. le dit en ces
termes : « Seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont
les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

440. La séparation des deux patrimoines prend effet à partir de l’immatriculation au registre national des
entreprises ou au registre du commerce et des sociétés lorsque l’entrepreneur est un commerçant (art. L. 526-23
C. com.). Donc, seules les créances nées postérieurement sont concernées par la séparation des patrimoines.

441. L’actif du patrimoine professionnel est composé, selon l’article L. 526-22, al. 2, C. com. des « biens droits,
obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité ». Le même texte
ajoute logiquement que « les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le
patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ». On notera l’importance du critère de l’utilité.

L’article R. 526-26, I, du Code de commerce donne une liste non exhaustive de biens utiles : le fonds de
commerce 403, le fonds artisanal, le fonds agricole et tous les biens corporels et incorporels qui les constituent,
les marchandises, le matériel et l’outillage, les moyens de mobilité pour les activités itinérantes et les immeubles
servant à l’activité. Par ailleurs, l’article R. 526-26, I, 5° présume que les sommes inscrites sur les comptes bancaires
dédiés à l’activité professionnelle font partie de l’actif professionnel.

En cas de contestation, la preuve de l’utilité d’un bien, autrement dit de son appartenance au patrimoine
professionnel, incombe à l’entrepreneur individuel. Cette règle, qui est inscrite dans l’article L. 526-22, al. 7,
C. com., est favorable aux créanciers professionnels.
442. Du fait même de l’exercice d’une activité professionnelle, la composition du patrimoine professionnel est
amenée à évoluer régulièrement. Les biens utiles à l’activité de l’entrepreneur entreront, sans formalité ni
déclaration, dans le patrimoine professionnel. Le recours à la technique de la subrogation réelle ne devrait pas
être nécessaire. C’est l’entrepreneur qui gère son entreprise ; c’est donc logiquement lui le maître de la
composition de son patrimoine. Mais c’est aussi un risque pour les créanciers qui se verront opposer une masse
de biens (l’actif professionnel). Ils pourront toutefois agir en invoquant la fraude paulienne.

443. Dans des cas exceptionnels, les droits des créanciers sont étendus sur l’autre patrimoine ou sur une partie de
celui-ci.
1° Les créanciers personnels peuvent saisir les éléments d’actif du patrimoine professionnel lorsque le patrimoine
personnel est insuffisant et seulement dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos
(art. L. 526-22, al. 6, C. com.). Cela suppose que l’activité du patrimoine professionnel soit bénéficiaire. De plus, il
convient de souligner que seuls les bénéfices peuvent être saisis. Les autres biens professionnels ne peuvent l’être.
Et, il sera peut-être parfois difficile d’identifier le bénéfice du dernier exercice clos pour les entrepreneurs, en
particulier les microentrepreneurs, bénéficiant d’un allégement des obligations comptables.
2° L’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale peuvent saisir les biens personnels et les biens
professionnels en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée par l’entrepreneur de ses
obligations fiscales et du paiement des cotisations et contributions sociales (art. L. 526-24 C. com.)

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444. Pour les entrepreneurs qui ont commencé leur activité professionnelle avant l’entrée en vigueur de la loi du
14 février 2022 (i.e. le 15 mai 2022) et qui avaient antérieurement adopté le statut de l’EIRL, il n’y a pas de
changement. Le régime de l’EIRL continuera de s’appliquer 404. Pour les entrepreneurs qui ont commencé leur
activité avant l’entrée en vigueur de la loi (id.) mais sans adopter le statut d’EIRL, il faut distinguer :

—si la créance est née avant l’entrée en vigueur de la loi, le droit de gage comprend les biens personnels et
professionnels, à l’exclusion de la résidence individuelle et des biens que l’entrepreneur aura protégés grâce à
une déclaration d’insaisissabilité ;

—si la créance est née après l’entrée en vigueur de la loi, le droit de gage ne comprend, pour les créanciers
professionnels que l’actif du patrimoine professionnel et, pour les créanciers personnes, que l’actif du patrimoine
personnel.

445. L’entrepreneur individuel a la faculté de renoncer au bénéfice de division des patrimoines. Le plus souvent il
le fera sous la pression de créanciers estimant que leur droit de gage est insuffisant ou bien envisageant de
mettre fin à leur crédit ou de ne pas en accorder un. Aussi le législateur a-t-il pris quelques précautions. Le
créancier qui demande à l’entrepreneur de renoncer doit le faire par écrit. Sa demande ne peut valoir que pour
un « engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou
déterminable » (art. L. 526-25, al. 1er, C. com.). Corrélativement, l’entrepreneur qui souhaite obtenir un crédit
auprès d’un de ses créanciers a la possibilité de consentir une sûreté réelle. En revanche, il lui est interdit de se
porter caution en garantie d’une dette dont il est le débiteur principal (art. L. 526-22, al. 3, C. com.). Le législateur
s’est inspiré d’un arrêt de la Cour de cassation de 1964 dans lequel la Haute juridiction estimait que « celui qui est
débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » 405. Certes,
à l’époque et dans cette espèce, il n’y avait qu’un seul patrimoine en cause. Toute personne n’avait qu’un seul
patrimoine. C’est l’idée que l’on ne peut s’auto-cautionner qui est à retenir de cette décision et qui a, semble-t-il,
été reprise par les rédacteurs de la loi du 14 février 2022 406.

446. L’entrepreneur a la possibilité de céder à titre onéreux (ex. une vente), de transmettre à titre gratuit (ex. une
donation) ou d’apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel (art. L. 526-27 C. com.) 407. Si le
patrimoine cédé comprend un fonds de commerce, les conditions spécifiques à la cession d’un fonds (art. L. 141-
12 à L. 141-22 C. com.) n’ont pas besoin d’être accomplies (art. L. 526-29, 3°, C. com.). C’est une simplification très
importante qui est ainsi opérée par le législateur. Les créanciers de l’entrepreneur ont la possibilité de former
opposition. Le juge ne peut interdire la cession ; il peut soit rejeter l’opposition, soit l’accepter et, dans ce cas, il
ordonne à l’entrepreneur de rembourser le montant de l’obligation due au créancier opposant (art. L. 526-28
C. com.). L’entrepreneur est alors tenu sur l’ensemble de ses biens de ce remboursement (art. L. 526-28, al. 4,
C. com.).

B La société pourvue de la personnalité morale

1 - Le principe
447. Si l’entreprise est exploitée en société, c’est uniquement la société personne morale qui, en cas de difficultés,
sera mise en liquidation judiciaire et c’est uniquement le patrimoine de la société qui sera liquidé. Les créanciers
de la société ne pourront pas saisir les biens personnels de l’associé. Il y a donc un avantage évident à adopter la
forme d’une société.

Exemple 1. Le commerçant A, propriétaire de son entreprise, fonde avec deux amis consentants une SARL à
laquelle il apporte son entreprise. En contrepartie, il reçoit 98 % des parts sociales. Les deux autres associés ne
font que des apports symboliques. A est nommé gérant de la SARL et il reste en fait le seul maître de l’entreprise.
Désormais la SARL, personne morale, sera seule tenue, sur ses biens, des dettes nées de l’exploitation : ce seront
des dettes de la SARL. Le patrimoine de A, associé-gérant, sera à l’abri des poursuites des créanciers sociaux.

Exemple 2. Plus simplement encore, le commerçant A va instituer une EURL, par déclaration unilatérale. Il

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apportera son entreprise à l’EURL dont il sera l’associé unique et le gérant. Ici encore, les dettes de l’exploitation
seront des dettes de l’EURL et le patrimoine de l’associé unique sera à l’abri des poursuites des créanciers de
l’EURL.

2 - Les tempéraments
448. Il existe des formes de sociétés qui n’assurent pas de façon absolue la séparation des patrimoines. Ainsi en
est-il de la société en nom collectif. Dans ce type de société, les associés sont personnellement, indéfiniment
et solidairement tenus du passif social. Les créanciers sociaux peuvent donc saisir, en cas de besoin, les biens
personnels de l’associé. Il en est de même dans la société en commandite, lorsque l’associé est commandité.
Pour assurer la séparation des patrimoines, il faut donc choisir la forme d’une SARL ou d’une société par actions.

Et, quelle que soit la forme de la société, si celle-ci rencontre des difficultés financières et se trouve en état de
cessation des paiements parce qu’elle ne dispose plus des liquidités nécessaires pour payer ses dettes, et si le
tribunal de commerce la déclare en redressement ou en liquidation judiciaires, le tribunal peut décider, à la
demande d’un créancier, que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, par les
dirigeants, de droit ou de fait, qui ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif 408.
Dans ce cas, le dirigeant de l’entreprise en société répondra des dettes de la société sur son patrimoine
personnel.

L’existence de cette action, dite en comblement du passif, ne suffit cependant pas à priver d’intérêt l’adoption de
la forme de la société de capitaux. L’action en comblement suppose en effet la réunion de deux conditions
particulières : l’ouverture d’une procédure collective et la preuve d’une faute de gestion commise par le dirigeant.
449. Lorsque la SARL ou la SA dispose d’un capital relativement limité, les établissements de crédit demandent,
avant d’accorder un crédit à la société, un engagement personnel du dirigeant. La banque fait davantage crédit à
la personne du dirigeant qu’à la société elle-même. En pratique, le crédit sera subordonné à un cautionnement
consenti par le dirigeant. Celui-ci sera tenu sur son patrimoine personnel de la dette de la société. L’opération
sera particulièrement dangereuse.

La banque peut également demander à une personne physique, généralement un proche, de cautionner la dette
de l’entrepreneur individuel. Mais dans ce cas, la loi prévoit des règles spéciales pour la protection de la
caution 409.

§ 2. Les conséquences économiques du passage en société

A Le coût de l’opération
450. Le passage en société nécessite un certain investissement. Les frais de l’opération sont de deux sortes.

Toute société doit se constituer avec un capital social. L’entrepreneur individuel qui met son entreprise en société
pourra faire un apport en nature consistant dans son fonds de commerce ou dans les immeubles affectés à
l’exploitation.
Les frais de constitution. Il s’agit tout d’abord des honoraires du conseil juridique qui aide à la constitution de la
société (conseils et rédaction des actes). Il s’agit ensuite des charges fiscales, qui consistent en droits d’apport.

Les apports faits à une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet
impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des
droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou une promesse de bail 410.

Enfin il faut compter avec les frais d’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés.

Finalement les frais de constitution, même s’ils ont été allégés dans la période récente, ne sont pas totalement
négligeables et leur charge peut faire hésiter un petit commerçant à changer la forme juridique de son
entreprise.
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D’une façon plus générale, le fonctionnement d’une société est toujours plus contraignant que l’exercice à titre
individuel. Il faut tenir le registre des assemblées, parfois nommer un commissaire aux comptes et déposer les
comptes annuels au RCS.

B L’avantage : la capacité d’endettement


451. Si la société est constituée avec un capital relativement important, elle obtiendra plus facilement des crédits
bancaires et des taux généralement moins élevés.
Le crédit d’une société, à condition que son capital et ses fonds propres ne soient pas symboliques, est
généralement supérieur à celui d’une entreprise individuelle. Cela s’explique par la règle de la fixité du capital
social qui rend difficile les opérations de désinvestissement de la part de la société. Dans l’entreprise individuelle
de type classique, l’exploitant peut à tout moment effectuer des prélèvements d’espèces ou vendre des biens qui
étaient affectés à l’entreprise. Aucune disposition légale ne lui interdit de désinvestir. Le gage des créanciers est
donc fragile. Au contraire, dans le cas des sociétés, les règles légales rendent très difficiles le désinvestissement.
Le capital minimum doit être conservé. Les détournements au profit du dirigeant sont constitutifs d’une
infraction pénale, le délit d’abus des biens sociaux, qui est sévèrement réprimé. Tout prélèvement sur le
patrimoine de la société qui excéderait le montant des bénéfices distribuables serait considéré comme un
dividende fictif, constitutif d’une infraction pénale.

Il faut ajouter que seules les SA sont autorisées à faire des offres publiques en plaçant des actions dans le public
ou en lançant un emprunt obligataire. Pratiquement, la réunion de capitaux importants nécessite le recours à
cette forme de société.

NOTES DE BAS DE PAGE

397 Cass. com., 17 nov. 2021, n° 20-20821.


-
398 Cass. com., 13 avr. 2022, n° 20-23165.
-
399 D. Bert et S. Kherbouche, « L’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur
-individuel : une réforme insaisissable ? », RTD com. 2016, p. 241.

400 Art. 6, II, loi du 14 févr. 2022.


-
401 J.-F. Hamelin et N. Jullian (dir.), La réforme du statut de l’entrepreneur individuel, LGDJ, 2022.- J.-D. Pellier,
-« Regard sur le nouveau statut de l’entrepreneur individuel », JCP 2022, 345.- B. Saintourens, « Le statut de
l’entrepreneur individuel après la loi du 14 février 2022 », RTD com. 2022, p. 447.- C. Favre-Rochex, « Le nouveau
patrimoine professionnel », JCP E 2022, 1136.

402 En cas de pluriactivité, l’entrepreneur n’a qu’un seul patrimoine professionnel. Celui-ci ne peut être
-scindé en plusieurs parties (art. L. 526-30 C. com.).

403 J.-J. Daigre, « Le fonds de commerce va-t-il se diluer dans l’entreprise individuelle ? », BRDA 17/22, n° 24.
-
404 Art. 6, II, loi du 14 févr. 2022.
-
405 Cass. com., 28 avr. 1964, Bull. civ. IV, n° 215.
-
406 J.-F. Hamelin et N. Jullian (dir.), La réforme du statut de l’entrepreneur individuel, LGDJ, 2022, spéc. p. 103.
-
407 J.-P. Mattei et M. Menjucq, « Le transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel », BRDA
-10/22, n° 24.- N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service
des entrepreneurs individuels », JCP E 2022, 1137.

Art. L. 651-1 et s. C. com. 7/8


Art.
408 L. 651-1 et s. C. com.
-
409 Art. 2302 et s. C. civ.
-
410 Art. 809, I, 3°, CGI.
-

Auteurs :
Par Jean-Bernard Blaise, Richard Desgorces

Issu de Droit des affaires


Date de publication : 29/08/2023
Réf : Blaise J.-B., Desgorces R., Droit des affaires, août 2023, Lextenso, 9782275139302

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