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Méthodologie

Pharmacocinétique, choix
et adaptation de posologie
Chantal Le Guellec1, Hélène Bourgoin1, Nicolas Simon2
1
Université François Rabelais, EA3853 Immuno-pharmaco-génétique des anticorps
thérapeutiques, Service de pharmacologie, Laboratoire de pharmacologie et toxicologie,
Hôpital Bretonneau, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 9
2
Université d’Aix-Marseille II, EA3784 Variabilité pharmacologique liée aux facteurs
environnementaux et pathologiques, Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, 27
Bd Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5

L’administration d’un médicament s’accompagne d’un effet pharmacologique qui dépend le


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plus souvent des concentrations en principe actif au niveau du site d’action. Celles-ci sont
difficiles à appréhender mais sont généralement en lien avec les concentrations sanguines qui
dépendent des processus d’absorption, de distribution et d’élimination du médicament,
c’est-à-dire de sa pharmacocinétique. Les caractéristiques pharmacocinétiques d’un médica-
ment déterminent ses modalités d’administration « standard » (posologie usuelle, voies
d’administration) mais permettent aussi d’identifier les circonstances au cours desquelles une
modification de ces modalités d’administration devra être envisagée. En effet, un certain
nombre de facteurs individuels, dont l’origine peut être physiologique, pathologique ou
environnementale (interactions médicamenteuses, tabac...), sont à l’origine de modifications
de la pharmacocinétique du médicament qui imposent de réévaluer ses modalités d’adminis-
tration, au risque d’obtenir un sous- ou un surdosage. Lors de la prescription, la prise en compte
des données pharmacocinétiques du médicament en rapport avec les caractéristiques indivi-
duelles du patient est donc indispensable.

Mots clés : pharmacocinétique, adaptation de posologie, suivi thérapeutique


pharmacologique

L’ administration d’un médica-


ment s’accompagne d’un effet
pharmacologique dont l’intensité
concentrations thérapeutiques chez la
majorité des sujets. D’autre part,
connaissant les étapes du devenir du
et/ou la durée dépendent générale- principe actif dans l’organisme, elle
ment des concentrations en principe permet d’identifier les sources de
actif au niveau du site d’action. variabilité interindividuelle dont l’ori-
L’étude de la relation « dose- gine peut être physiologique (âge, fac-
concentration » est l’objet de la phar- teurs génétiques...), pathologique
macocinétique. Elle a pour but d’étu- (insuffisance rénale...) ou environne-
dier les processus d’absorption, de mentale (interactions médicamenteu-
distribution et d’élimination des prin- ses, tabac...) et ainsi de proposer des
cipes actifs et de les quantifier par mesures d’adaptation de posologie
l’intermédiaire des paramètres phar- dans des circonstances particulières.
macocinétiques. Le schéma posologique choisi
L’intérêt de la pharmacocinétique pour un médicament a généralement
mt pour le praticien est double. D’une
part, elle débouche sur l’établisse-
pour but de maintenir les concentra-
tions sanguines dans l’intervalle théra-
ment des modalités d’administration peutique, c’est-à-dire dans la zone de
des médicaments (voie d’administra- concentrations assurant l’effet théra-
Tirés à part : C. Le Guellec
tion, forme galénique, schéma poso- peutique optimal tout en minimisant
logique) permettant d’obtenir les le risque d’effets indésirables. Les

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paramètres pharmacocinétiques sont déterminés lors du orale mais la vitesse de résorption n’est pas toujours plus
développement clinique des médicaments, principale- rapide. La voie cutanée est utilisée lorsqu’un effet local est
ment au cours des études de phase I et II, dans des groupes recherché mais il faut cependant toujours considérer
homogènes de sujets sains ou présentant la maladie pour qu’une fraction du principe actif peut être résorbée et
laquelle est développé le médicament. Ils doivent égale- provoquer des effets systémiques. Cette voie est d’ailleurs
ment être définis dans des groupes de sujets ayant des parfois utilisée en thérapeutique dans le but d’obtenir un
caractéristiques physiopathologiques variables (sujets effet général à action retardée (œstrogènes ou dérivés
âgés, patients insuffisants rénaux, enfants, association nitrés en patch ou gels).
médicamenteuse à risque d’interaction...) afin de quanti- La résorption par voie orale peut être modifiée par des
fier l’impact de ces facteurs individuels sur les valeurs des facteurs tels que l’âge, les altérations du transit gastro-
paramètres et donc sur l’évolution des concentrations. Ces intestinal ou les interactions médicamenteuses, par exem-
études sont généralement menées pendant les essais de ple avec les pansements gastriques. Le repas a également
phase III et en post-AMM [1]. souvent une influence qu’il n’est pas toujours facile de
Lors de la prescription, il est parfois nécessaire de prévoir en l’absence d’études spécifiques. Il n’y a donc pas
proposer une adaptation individuelle de posologie, qui de règle fixe concernant la prise à jeun ou non des
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reposera sur la prise en compte des modifications atten- médicaments, et ceci doit être envisagé au cas par cas
dues de la pharmacocinétique du médicament chez le selon les informations disponibles. De même, le jus de
patient traité, si celles-ci s’accompagnent d’un risque de pamplemousse augmente (bêtabloquants, inhibiteurs cal-
modification de l’effet thérapeutique ou des effets indési- ciques, inhibiteurs de la protéase du VIH) ou diminue
rables. (ciclosporine, digoxine, etc.) la biodisponibilité des médi-
caments, mais avec une intensité variable selon les sujets,
et doit donc être évité. Enfin, certaines pathologies comme
Étapes du devenir des médicaments l’insuffisance cardiaque, en diminuant le débit sanguin
dans l’organisme intestinal, peuvent modifier la biodisponibilité de certains
et sources de variabilité médicaments.

À partir de son site d’administration, le médicament va La distribution


subir différentes étapes de résorption, de distribution dans Le médicament se distribue plus ou moins intensément
les tissus et de métabolisme avant d’être finalement éli- dans les tissus, et notamment dans le tissu cible, en fonc-
miné [2]. Pour chacune de ces étapes, la nature des tion de leur vascularisation et de leur composition confé-
mécanismes mis en jeu et leur intensité diffèrent selon le rant un tropisme particulier, mais aussi selon la fixation du
médicament, principalement en fonction de ses caracté- médicament aux protéines plasmatiques. Les caractéristi-
ristiques physico-chimiques (lipophilie, degré d’ionisa- ques physico-chimiques des principes actifs (lipophilie,
tion...). Enfin, chacun de ces processus peut être modifié degré d’ionisation, etc.) et des tissus (teneur en eau, pH,
sous l’influence de facteurs liés à l’individu ou à son etc.) sont à l’origine de différences de répartition dans les
environnement et la pharmacocinétique d’un même divers tissus.
médicament varie selon les sujets. La distribution tissulaire des principes actifs peut être
modifiée en cas d’altération de la fixation protéique
La résorption (hypoalbuminémie, compétition entre deux médicaments
La résorption correspond au passage du principe actif pour les mêmes sites de fixation...) ou de modifications de
de son site d’administration vers la circulation générale. composition corporelle (sujets obèses, « troisième sec-
Par commodité, les médicaments sont généralement teur ») ou tissulaire (présence de protéines inflammatoires,
administrés par voie orale, ce qui peut entraîner une perte collections purulentes...).
en principe actif. La molécule peut être éliminée telle La liaison aux protéines plasmatiques n’est générale-
quelle dans les selles, être dégradée par les sucs digestifs ment pas limitante pour les effets (un médicament forte-
ou être métabolisée lors de la traversée des entérocytes ou ment lié n’est pas forcément moins actif qu’un médica-
du foie (effet de premier passage intestinal ou hépatique). ment peu lié) ni pour le devenir du médicament. Il existe
Au total, seule une fraction de la dose administrée parvient bien des phénomènes de compétition entre certaines
dans la circulation générale : c’est la fraction biodisponi- substances ayant les mêmes sites de fixation, avec risque
ble. Les médicaments non résorbés par voie orale sont de déplacement de l’un des médicaments, mais cette
destinés à un usage local (antiseptiques intestinaux, anti- compétition ne s’exprime cliniquement que pour un très
acides, vancomycine dans le traitement de la colite faible nombre de médicaments, et lorsque les phénomè-
pseudo-membraneuse) ou sont administrés par voie nes compensateurs (élimination hépatique et rénale
parentérale (aminosides, insuline). La voie intramuscu- notamment) ne permettent pas de rééquilibrer rapidement
laire permet une résorption plus complète que la voie la concentration. Ainsi, parmi les rares interactions impli-

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quant la fixation protéique, on peut citer l’ictère nucléaire enzymatique et diminution des concentrations d’inhibi-
avec les sulfamides chez le prématuré, résultant en fait de teurs de protéase du VIH, d’œstroprogestatifs, etc.).
l’immaturité métabolique surajoutée et l’augmentation de
l’effet anticoagulant des AVK avec les AINS par diminution L’élimination rénale
simultanée de leur métabolisme hépatique. L’élimination des médicaments est souvent secondaire
aux biotransformations qui permettent au métabolite
Le métabolisme d’être éliminable par voie rénale mais certains le sont
directement sous forme inchangée s’ils sont suffisamment
Au cours de leur passage dans l’organisme, les médi-
hydrosolubles. Le principal facteur de variation de l’élimi-
caments subissent diverses transformations métaboliques
nation rénale des médicaments est la modification de la
permettant de les rendre davantage hydrosolubles, donc
filtration glomérulaire, bien que les processus de réab-
plus facilement éliminables. Le lieu habituel de ces bio-
sorption et de sécrétion tubulaire puissent parfois interve-
transformations est le foie dans lequel les médicaments
nir. Certains médicaments subissent une excrétion biliaire
sont transformés en métabolites actifs ou le plus souvent
avec ou sans cycle entérohépatique et une élimination par
inactifs. Les biotransformations sont catalysées par des
les fècès.
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enzymes cellulaires, pouvant intervenir de manière


Les facteurs pouvant modifier l’élimination rénale des
séquentielle dans le processus métabolique. Les principa-
médicaments sont principalement l’âge (prématurité et
les réactions mises en jeu sont les réactions d’oxydation,
sujets âgés) et l’insuffisance rénale aiguë ou chronique, qui
catalysées par les cytochromes P450 (CYP) dont il existe
conduisent à une accumulation du médicament et à un
plusieurs isoformes (CYP3A4, CYP2D6, CYP1A2...) et les
surdosage. Les interactions médicamenteuses par compé-
réactions de conjugaison, catalysées notamment par les
tition pour la sécrétion tubulaire rénale ne doivent pas être
UDP-glucuronyltransférases ou les N-acetyltransférases.
méconnues (méthotrexate, pénicillines).
Les causes de variation du métabolisme des médica-
ments sont très nombreuses et ont des conséquences
souvent importantes sur les concentrations sanguines des
médicaments, donc sur leurs effets. Les principaux fac-
Les paramètres pharmacocinétiques
teurs de variabilité interindividuelle du métabolisme des Le devenir du médicament dans l’organisme, et parti-
médicaments sont d’origine physiologique, pathologique culièrement chacune des étapes décrites, peuvent être
et environnementale. On peut citer par exemple l’imma- quantifiés par des paramètres pharmacocinétiques dont
turité enzymatique du nouveau-né qui, si elle n’est pas certains ont un intérêt direct pour le praticien.
prise en compte, expose à un risque de surdosage, les
altérations de la fonction hépatique et notamment l’insuf-
La biodisponibilité
fisance hépatocellulaire pouvant conduire à un défaut
d’élimination ou encore les polymorphismes génétiques Elle est définie par la fraction de la dose qui atteint la
de biotransformation, dont le plus connu concerne l’acé- circulation générale à partir de son site d’administration et
tylation (isoniazide, etc.) mais qui concernent également la vitesse de ce processus. Le facteur de biodisponibilité
l’oxydation dépendant du CYP2D6 (codéine, antidépres- absolue (F (%)) est apprécié par rapport à la voie intravei-
seurs tricycliques, etc.) ou du CYP2C19 (oméprazole, etc.) neuse pour laquelle la totalité de la dose est disponible. La
ou d’autres réactions de conjugaison (azathioprine et vitesse de résorption est appréciée par la concentration
Thio-Purine Methyl Transférase, TPMT) et qui se traduisent maximale (Cmax) et par le temps correspondant à l’obten-
par des concentrations différentes, et donc des effets phar- tion de cette concentration (Tmax). La biodisponibilité
macologiques différents, selon le statut génétique du sujet. d’un principe actif est propre à une voie d’administration
Une attention particulière doit être portée aux interac- et à une forme galénique données. Elle permet de déter-
tions médicamenteuses, le métabolisme étant le processus miner les rapports de doses pour un même médicament
pharmacocinétique le plus fréquemment concerné par ce administré selon des modalités différentes. En pratique, si
risque. Il peut s’agir d’inhibition ou d’induction enzyma- la biodisponibilité absolue par voie orale est de 50 %, il
tique avec risque de sur- ou de sous-dosage. Les interac- faut administrer le double de la voie IV pour avoir la même
tions peuvent être anticipées si les voies métaboliques des quantité de médicament dans l’organisme.
médicaments en présence sont connues ; le plus souvent,
s’il existe un risque potentiel, elles auront été évaluées par L’aire sous la courbe (ASC)
des études cliniques ad hoc. On note, parmi les plus Également appelée AUC (de l’anglais Area Under the
connues, des interactions médicamenteuses médiées par Curve) ou SSC (surface sous la courbe), l’aire sous la
le CYP3A4, responsables d’effets indésirables par surdo- courbe est un paramètre pharmacocinétique calculé à
sage (inhibition du métabolisme des statines, de la ciclos- partir des données expérimentales de concentrations d’un
porine, etc.) ou d’inefficacité par sous-dosage (induction médicament au cours du temps. L’ASC est un reflet de

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Méthodologie

L’ASC est à la base du calcul d’autres paramètres


5 pharmacocinétiques. Le facteur de biodisponibilité (F %)
est égal au rapport de l’ASC obtenue avec la forme médi-
4 camenteuse considérée sur l’ASC obtenue avec la même
Concentration (mg/L)

dose par voie intraveineuse. De même, le rapport des ASC


3
tissulaires à l’ASC plasmatique sur un intervalle d’admi-
nistration permet d’apprécier l’intensité de la diffusion
tissulaire d’un médicament. Enfin, l’ASC est à la base du
2 calcul de la clairance d’un médicament (CL), selon l’équa-
tion CL = F.Dose / ASC.
1 L’ASC a également des applications thérapeutiques
directes. L’effet des médicaments n’est pas toujours bien
0 corrélé à la dose mais dépend fortement de l’exposition de
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 l’organisme au médicament, donc de l’ASC. Des relations
Temps (h) entre l’ASC et l’efficacité ou la toxicité sont bien établies
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pour divers médicaments (anticancéreux, immunosup-


Figure 1. Calcul de l’ASC par la méthode des trapèzes. Les presseurs, antibiotiques...) et, comme nous le verrons plus
points expérimentaux délimitent des trapèzes dont la surface est loin, ce paramètre peut être utilisé pour guider l’ajuste-
calculée par l’application de formules simples. L’ASC correspond à
la somme de chacun des trapèzes. L’estimation de l’exposition ment posologique individuel.
totale nécessite d’évaluer l’aire entre le dernier point expérimental
et le temps (infini) où la concentration devient nulle ; ceci n’est
possible que si l’on parvient à déterminer la demi-vie terminale La demi-vie
d’élimination. Le temps de demi-vie est l’intervalle de temps néces-
saire pour qu’une concentration C d’un médicament dans
l’exposition de l’organisme au médicament dans l’inter-
un liquide biologique ou un tissu atteigne la concentration
valle de temps considéré. Elle est exprimée en unité de
C/2. La demi-vie est exprimée en unité de temps (min, h ou
concentration × unité de temps (ex : mg.L–1.h). La déter-
j). Le comportement d’une substance dans l’organisme
mination de l’ASC passe par une mesure précise des
peut suivre un processus pluriexponentiel et il existe
concentrations à des temps variables (cinétique plasmati-
autant de temps de demi-vie que d’exponentielles. On
que ou tissulaire) et l’application de méthodes de calcul
distingue ainsi la demi-vie de distribution et la demi-vie
adaptées. On peut procéder par la méthode des trapèzes
d’élimination pour une décroissance biexponentielle.
(analyse non compartimentale), où l’ASC est la somme des
Le temps de demi-vie est très important pour définir la
trapèzes délimités par les points expérimentaux (figure 1).
périodicité des administrations des médicaments. À
On peut également déterminer l’équation exponentielle
l’échelle individuelle, la demi-vie d’un médicament peut
décrivant l’évolution des concentrations en fonction du
varier considérablement sous l’influence des facteurs
temps et l’ASC est obtenue par l’intégrale de cette équa-
modifiant le métabolisme ou l’élimination (figure 2).
tion (analyse compartimentale). La qualité d’estimation de
L’ajustement des intervalles d’administration sera alors
l’ASC dépend étroitement du protocole expérimental
nécessaire pour maintenir le niveau de concentrations
(nombre de points, fréquence et durée des prélève- souhaité si ces modifications ont des répercussions clini-
ments...). ques significatives.

1 1
0,9 0,9
0,8 0,8
Concentration

0,7
Concentration

0,7
t1/2 = 12 h t1/2 = 36 h
0,6 0,6
0,5 0,5
0,4 0,4
0,3 0,3
0,2 0,2
0,1 0,1
0 0
0 10 20 30 40 50 60 0 10 20 30 40 50 60
Temps Temps

Figure 2. Comparaison de deux demi-vies (t1/2). Évolution moyenne des concentrations suite à l’administration orale d’une même dose
à un groupe de sujets normaux (A) et à un groupe de sujets insuffisants rénaux (B) chez qui la demi-vie est trois fois plus longue. La
réadministration du médicament, selon un intervalle identique aux sujets du groupe A et du groupe B, conduirait à des concentrations
beaucoup plus élevées dans le groupe B.

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3

Sujet 70 kg - Vd = 17,5 L soit 0,25 L/kg Risque accru de toxicité

Concentration
2

Sujet 130 kg - Vd = 17,5 L soit 0,13 L/kg


Zone
1 thérapeutique
Figure 3. Impact de l’obésité sur le volume de distribution
Risque d'inefficacité
d’un médicament hydrosoluble, se distribuant dans l’eau
extracellulaire (bleu foncé). Pour un médicament hydrosoluble, 0
le Vd absolu n’est pas différent de celui d’un sujet non obèse et la 0 24 48 72 96 120 144
Temps (h)
dose à administrer doit être la même, au risque de conduire à un
surdosage. Si le calcul de dose est fait en mg/kg, le poids
considéré doit donc être le poids idéal corporel. Figure 4. Intervalle thérapeutique d’un médicament dont la Cmin
doit rester entre 0,8 et 1,5 mg/L.

Le volume de distribution du médicament et notamment de son degré d’hydrophilie


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ou de lipophilie. Ainsi, dans le cas de l’obésité, le Vd des


Le volume de distribution (Vd) correspond à l’espace médicaments liposolubles est augmenté. En revanche, le
de dilution du médicament ; il est exprimé en unité de Vd (absolu) des médicaments hydrosolubles n’est pas
volume, rapporté ou non à une unité de poids (L, L/kg...). modifié (alors que le Vd relatif au poids total est diminué)
Le volume de distribution ne correspond pas à un volume et l’adaptation posologique doit être faite sur la base du
anatomique ; c’est le volume fictif dans lequel devrait se poids idéal corporel et non sur la base du poids réel, au
diluer le médicament pour être à la même concentration risque d’aboutir à un surdosage (figure 3) [3].
que dans le plasma. Le volume de distribution permet
d’apprécier la distribution tissulaire d’un médicament.
Ainsi, un volume de distribution élevé signifie que le
médicament est fortement concentré dans les tissus, donc Le Cmax et le Cmin
que sa diffusion est importante. À l’état d’équilibre, c’est-à-dire après administration
En pratique clinique, il est important de connaître les répétée du médicament pendant au moins 5 demi-vies, les
causes de modification du volume de distribution (obésité, concentrations du médicament fluctuent entre une
grands brûlés, mucoviscidose, grossesse, ascite...) qui concentration maximale (Cmax) et une concentration
influent sur les concentrations du médicament. Cepen- minimale (Cmin). Ces paramètres sont importants à déter-
dant, le sens de variation du Vd (augmentation ou dimi- miner en pratique clinique lorsqu’une relation a été éta-
nution) dépend des caractéristiques physico-chimiques blie entre l’un d’eux et la réponse clinique. Le Cmax est,

1 2 2 3
3,0 3,0

2,4 2,4

1,8 1,8 1,8 1,8

Cp (ng/mL) Cp (ng/mL)

1,2 1,2

0,8 0,8
0,6 0,6

0,0 0,0
10/01 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 10/01 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Temps (Date) Temps (Date)

Figure 5. Évolution des concentrations sanguines de digoxine prescrite à posologie standard et à posologie adaptée aux
caractéristiques pharmacocinétiques individuelles. La posologie permettant d’obtenir des concentrations résiduelles (Cmin) compa-
rables est de 300 lg/24 h chez un sujet à fonction rénale normale (2) et de 125 lg/24 h chez un sujet insuffisant rénal (3). À noter que
le délai d’obtention de l’état d’équilibre est beaucoup plus long chez le sujet insuffisant rénal, conséquence de l’augmentation de la
demi-vie.

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Méthodologie

par exemple, couramment utilisé pour s’assurer de l’effi- Adaptation individuelle de posologie
cacité des traitements par aminosides car il a été démontré
que l’efficacité bactéricide était optimale lorsque le quo- La posologie d’un médicament peut être fixe et identi-
tient inhibiteur (QI = Cmax/CMI du germe) était supérieur que chez tous les patients. Le plus souvent, elle est adap-
à 8. L’adaptation individuelle de posologie s’attachera tée sur la base d’un facteur individuel comme le poids, la
alors à maximiser le Cmax en adaptant la dose injectée de surface corporelle ou la fonction rénale. Il existe cepen-
façon à compenser les éventuelles modifications du dant, pour certains médicaments, une zone de concentra-
volume de distribution. La Cmin est le paramètre généra- tion appelée intervalle thérapeutique ou zone thérapeuti-
lement utilisé pour le suivi thérapeutique des médica- que, dans laquelle il est souhaitable de maintenir les
ments à marge thérapeutique étroite comme la théophyl- concentrations du médicament afin d’obtenir l’effet théra-
line, les digitaliques, les antiépileptiques ou les peutique recherché avec un minimum d’effets indésira-
immunosuppresseurs. Elle peut varier sous l’influence des bles (figure 4).
facteurs modifiant la demi-vie d’élimination du médica- Ce concept de zone thérapeutique est basé sur l’exis-
ment et l’adaptation de posologie reposera sur un ajuste- tence d’une relation entre les concentrations d’un médi-
ment de l’espacement des prises. cament et ses effets thérapeutiques ou toxiques. La marge
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Tableau 1. Médicaments pour lesquels un STP est proposé

Classe médicamenteuse DCI Spécialité Indicateur utilisé pour le STP


SNC
Anti-épileptiques Acide valproïque Dépakine® Cmin
Carbamazépine Tégretol® Cmin
Clonazépam Rivotril® Cmin
Ethosuximide Zarontin® Cmin
Phénobarbital Gardénal® Cmin
Phénytoïne Dihydan®, Dilantin® Cmin
Antidépresseurs imipraminiques Amitriptyline Laroxyl® Cmin
Clomipramine Anafranil® Cmin
Désipramine Pertofran® Cmin
Imipramine Tofranil® Cmin
Thymorégulateurs Lithium Téralithe® Cmin
Neuroleptiques Clozapine Léponex® Cmin
Anti-infectieux
Aminosides Amikacine Amiklin® Pic (efficacité)
Gentamicine Gentalline® Cmin (toxicité)
Tobramycine Nebcine®
Antituberculeux Isoniazide Rimifon® C2h
Rifampicine Rifadine® Cmin ou C2h
Glycopeptides Teicoplanine Targocid® Cmin
Vancomycine Vancocine® Cmin ou Css (en perfusion continue)
Antifongiques Itraconazole Sporanox® Cmin
Antiparasitaires Quinine Quinimax® Cmin
Antirétroviraux Indinavir Crixivan® Cmin
Nelfinavir Viracept® Cmin
Ritonavir Norvir® Cmin
Saquinavir Invirase®, Fortovase® Cmin
Système cardiovasculaire
Anti-arythmiques Flécaïnide Flécaïne® Cmin
Tonicardiaques Digoxine Hemigoxine®, Digoxine® Cmin
Anti-inflammatoires
Immunosuppresseurs Ciclosporine Néoral® Cmin, C2h ou ASC
Tacrolimus Prograf® Cmin
Mycophénolate Cellcept® Cmin ou ASC
Pneumologie Théophylline Euphylline®,Théolair®, Dilatrane®, Cmin
Théostat®...
Caféine Cmin
Anticancéreux Méthotrexate C48h, C72h

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thérapeutique d’un médicament est dite étroite si les difficile à mettre en œuvre en routine et reste réservé à des
concentrations toxiques sont proches des concentrations cas exceptionnels. Des méthodes d’estimation de l’ASC à
efficaces. Les médicaments possédant une marge théra- partir d’un faible nombre de prélèvements existent et
peutique large tels que certains antibiotiques (bêtalacta- reposent, soit sur des équations simples de régression
mines, macrolides) ne nécessitent pas, par conséquent, de linéaire multiple, soit sur les méthodes bayésiennes qui
surveillance des concentrations. Lorsque la marge théra- combinent les informations pharmacocinétiques de popu-
peutique d’un médicament est étroite, toute variation de lation aux observations individuelles.
concentration expose le patient à un risque d’inefficacité
thérapeutique ou de surdosage. Ceci peut amener le pres-
cripteur à décider de modifier la posologie en établissant Conclusion
un schéma adapté au patient en adaptant soit la dose, soit
l’intervalle d’administration (figure 5). Ceci correspond à La prise en compte des données pharmacocinétiques
ce que l’on nomme le suivi thérapeutique pharmacologi- est indispensable pour l’utilisation optimale des médica-
que (STP), qui repose sur le dosage sanguin du médica- ments. Elle guide le choix des molécules, des voies
ment et nécessite une bonne maîtrise des concepts de d’administrations et des posologies ainsi que des adapta-
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pharmacocinétique. Le suivi thérapeutique pharmacolo- tions nécessaires chez les patients à risque. Les études
gique n’est utile que si le médicament répond à différents pharmacocinétiques sont conduites tout au long du déve-
critères : loppement du médicament et sont poursuivies après sa
– une relation concentration-effet a été démontrée mise sur le marché. Elles sont le plus souvent couplées à
pour le médicament à doser ; des mesures de l’effet du médicament afin d’améliorer la
– le médicament présente une marge thérapeutique connaissance des relations concentration-effets. La modé-
étroite ; lisation pharmacocinétique-pharmacodynamique qui en
résulte permet de rationaliser encore davantage l’établis-
– il s’agit d’un médicament à importante variabilité
sement des posologies.
pharmacocinétique interindividuelle ;
– le médicament est administré chez un sujet présen-
tant un facteur de variabilité pharmacocinétique. Références
Pour la majorité des médicaments, le STP se fait par la
mesure d’une seule concentration, généralement obtenue
1. International Conference Harmonization (ICH) regulatory guideli-
à l’état d’équilibre ; le plus souvent il s’agit de la concen- nes relevant to pharmacokinetic studies in man :
tration résiduelle ou Cmin, qui représente la concentration http ://www.emea.eu.in/sitemap.htm.
mesurée juste avant la prise du médicament. Cependant 2. Cours de pharmacocinétique en ligne : http ://www.boomer.org/c/p1/.
l’ASC représente parfois un meilleur reflet de l’exposition
3. Green B, Dufull SB. What is the best size descriptor to use for
à un médicament (tableau 1) mais nécessite la réalisation pharmacokinetic studies int the obese? Br J Clin Pharmacol 2004 ;
de six à huit prélèvements sanguins, ce qui est donc 58(2) : 119-33.

mt, vol. 11, n° 3, mai-juin 2005


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