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Pharmacocinétique, choix
et adaptation de posologie
Chantal Le Guellec1, Hélène Bourgoin1, Nicolas Simon2
1
Université François Rabelais, EA3853 Immuno-pharmaco-génétique des anticorps
thérapeutiques, Service de pharmacologie, Laboratoire de pharmacologie et toxicologie,
Hôpital Bretonneau, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 9
2
Université d’Aix-Marseille II, EA3784 Variabilité pharmacologique liée aux facteurs
environnementaux et pathologiques, Laboratoire de pharmacologie médicale et clinique, 27
Bd Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5
plus souvent des concentrations en principe actif au niveau du site d’action. Celles-ci sont
difficiles à appréhender mais sont généralement en lien avec les concentrations sanguines qui
dépendent des processus d’absorption, de distribution et d’élimination du médicament,
c’est-à-dire de sa pharmacocinétique. Les caractéristiques pharmacocinétiques d’un médica-
ment déterminent ses modalités d’administration « standard » (posologie usuelle, voies
d’administration) mais permettent aussi d’identifier les circonstances au cours desquelles une
modification de ces modalités d’administration devra être envisagée. En effet, un certain
nombre de facteurs individuels, dont l’origine peut être physiologique, pathologique ou
environnementale (interactions médicamenteuses, tabac...), sont à l’origine de modifications
de la pharmacocinétique du médicament qui imposent de réévaluer ses modalités d’adminis-
tration, au risque d’obtenir un sous- ou un surdosage. Lors de la prescription, la prise en compte
des données pharmacocinétiques du médicament en rapport avec les caractéristiques indivi-
duelles du patient est donc indispensable.
paramètres pharmacocinétiques sont déterminés lors du orale mais la vitesse de résorption n’est pas toujours plus
développement clinique des médicaments, principale- rapide. La voie cutanée est utilisée lorsqu’un effet local est
ment au cours des études de phase I et II, dans des groupes recherché mais il faut cependant toujours considérer
homogènes de sujets sains ou présentant la maladie pour qu’une fraction du principe actif peut être résorbée et
laquelle est développé le médicament. Ils doivent égale- provoquer des effets systémiques. Cette voie est d’ailleurs
ment être définis dans des groupes de sujets ayant des parfois utilisée en thérapeutique dans le but d’obtenir un
caractéristiques physiopathologiques variables (sujets effet général à action retardée (œstrogènes ou dérivés
âgés, patients insuffisants rénaux, enfants, association nitrés en patch ou gels).
médicamenteuse à risque d’interaction...) afin de quanti- La résorption par voie orale peut être modifiée par des
fier l’impact de ces facteurs individuels sur les valeurs des facteurs tels que l’âge, les altérations du transit gastro-
paramètres et donc sur l’évolution des concentrations. Ces intestinal ou les interactions médicamenteuses, par exem-
études sont généralement menées pendant les essais de ple avec les pansements gastriques. Le repas a également
phase III et en post-AMM [1]. souvent une influence qu’il n’est pas toujours facile de
Lors de la prescription, il est parfois nécessaire de prévoir en l’absence d’études spécifiques. Il n’y a donc pas
proposer une adaptation individuelle de posologie, qui de règle fixe concernant la prise à jeun ou non des
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reposera sur la prise en compte des modifications atten- médicaments, et ceci doit être envisagé au cas par cas
dues de la pharmacocinétique du médicament chez le selon les informations disponibles. De même, le jus de
patient traité, si celles-ci s’accompagnent d’un risque de pamplemousse augmente (bêtabloquants, inhibiteurs cal-
modification de l’effet thérapeutique ou des effets indési- ciques, inhibiteurs de la protéase du VIH) ou diminue
rables. (ciclosporine, digoxine, etc.) la biodisponibilité des médi-
caments, mais avec une intensité variable selon les sujets,
et doit donc être évité. Enfin, certaines pathologies comme
Étapes du devenir des médicaments l’insuffisance cardiaque, en diminuant le débit sanguin
dans l’organisme intestinal, peuvent modifier la biodisponibilité de certains
et sources de variabilité médicaments.
1 1
0,9 0,9
0,8 0,8
Concentration
0,7
Concentration
0,7
t1/2 = 12 h t1/2 = 36 h
0,6 0,6
0,5 0,5
0,4 0,4
0,3 0,3
0,2 0,2
0,1 0,1
0 0
0 10 20 30 40 50 60 0 10 20 30 40 50 60
Temps Temps
Figure 2. Comparaison de deux demi-vies (t1/2). Évolution moyenne des concentrations suite à l’administration orale d’une même dose
à un groupe de sujets normaux (A) et à un groupe de sujets insuffisants rénaux (B) chez qui la demi-vie est trois fois plus longue. La
réadministration du médicament, selon un intervalle identique aux sujets du groupe A et du groupe B, conduirait à des concentrations
beaucoup plus élevées dans le groupe B.
Concentration
2
1 2 2 3
3,0 3,0
2,4 2,4
Cp (ng/mL) Cp (ng/mL)
1,2 1,2
0,8 0,8
0,6 0,6
0,0 0,0
10/01 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 10/01 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Temps (Date) Temps (Date)
Figure 5. Évolution des concentrations sanguines de digoxine prescrite à posologie standard et à posologie adaptée aux
caractéristiques pharmacocinétiques individuelles. La posologie permettant d’obtenir des concentrations résiduelles (Cmin) compa-
rables est de 300 lg/24 h chez un sujet à fonction rénale normale (2) et de 125 lg/24 h chez un sujet insuffisant rénal (3). À noter que
le délai d’obtention de l’état d’équilibre est beaucoup plus long chez le sujet insuffisant rénal, conséquence de l’augmentation de la
demi-vie.
par exemple, couramment utilisé pour s’assurer de l’effi- Adaptation individuelle de posologie
cacité des traitements par aminosides car il a été démontré
que l’efficacité bactéricide était optimale lorsque le quo- La posologie d’un médicament peut être fixe et identi-
tient inhibiteur (QI = Cmax/CMI du germe) était supérieur que chez tous les patients. Le plus souvent, elle est adap-
à 8. L’adaptation individuelle de posologie s’attachera tée sur la base d’un facteur individuel comme le poids, la
alors à maximiser le Cmax en adaptant la dose injectée de surface corporelle ou la fonction rénale. Il existe cepen-
façon à compenser les éventuelles modifications du dant, pour certains médicaments, une zone de concentra-
volume de distribution. La Cmin est le paramètre généra- tion appelée intervalle thérapeutique ou zone thérapeuti-
lement utilisé pour le suivi thérapeutique des médica- que, dans laquelle il est souhaitable de maintenir les
ments à marge thérapeutique étroite comme la théophyl- concentrations du médicament afin d’obtenir l’effet théra-
line, les digitaliques, les antiépileptiques ou les peutique recherché avec un minimum d’effets indésira-
immunosuppresseurs. Elle peut varier sous l’influence des bles (figure 4).
facteurs modifiant la demi-vie d’élimination du médica- Ce concept de zone thérapeutique est basé sur l’exis-
ment et l’adaptation de posologie reposera sur un ajuste- tence d’une relation entre les concentrations d’un médi-
ment de l’espacement des prises. cament et ses effets thérapeutiques ou toxiques. La marge
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pharmacocinétique. Le suivi thérapeutique pharmacolo- tions nécessaires chez les patients à risque. Les études
gique n’est utile que si le médicament répond à différents pharmacocinétiques sont conduites tout au long du déve-
critères : loppement du médicament et sont poursuivies après sa
– une relation concentration-effet a été démontrée mise sur le marché. Elles sont le plus souvent couplées à
pour le médicament à doser ; des mesures de l’effet du médicament afin d’améliorer la
– le médicament présente une marge thérapeutique connaissance des relations concentration-effets. La modé-
étroite ; lisation pharmacocinétique-pharmacodynamique qui en
résulte permet de rationaliser encore davantage l’établis-
– il s’agit d’un médicament à importante variabilité
sement des posologies.
pharmacocinétique interindividuelle ;
– le médicament est administré chez un sujet présen-
tant un facteur de variabilité pharmacocinétique. Références
Pour la majorité des médicaments, le STP se fait par la
mesure d’une seule concentration, généralement obtenue
1. International Conference Harmonization (ICH) regulatory guideli-
à l’état d’équilibre ; le plus souvent il s’agit de la concen- nes relevant to pharmacokinetic studies in man :
tration résiduelle ou Cmin, qui représente la concentration http ://www.emea.eu.in/sitemap.htm.
mesurée juste avant la prise du médicament. Cependant 2. Cours de pharmacocinétique en ligne : http ://www.boomer.org/c/p1/.
l’ASC représente parfois un meilleur reflet de l’exposition
3. Green B, Dufull SB. What is the best size descriptor to use for
à un médicament (tableau 1) mais nécessite la réalisation pharmacokinetic studies int the obese? Br J Clin Pharmacol 2004 ;
de six à huit prélèvements sanguins, ce qui est donc 58(2) : 119-33.