Dimanche 17 - Lundi 18 janvier 2016 ­ 72e année ­ No 22085 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.

fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Pourquoi les Bourses mondiales dévissent

▶ Les indices boursiers ont ▶ Le CAC 40 est en recul de ▶ La situation est aussi ▶ Le cours du pétrole est
encore chuté, vendredi 9,2 % depuis le 1 janvier, er dégradée aux Etats­Unis, passé sous les 30 dollars,
15 janvier, accentuant un contre une hausse de 8,5 % où le Dow Jones a baissé fragilisant un peu plus en­ LE RETOUR
début d’année très difficile en 2015. Le DAX allemand de 8,25 % et le Nasdaq core les pays producteurs DES TEMPÊTES
pour les marchés, plonge de 11,15 % et le Foot­ de 10,36 %, et où la et la filière pétrolière FINANCIÈRES
sous extrême tension sie britannique de 7,02 % consommation s’essouffle → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE S 2 E T 6 → LIR E P A GE 2 4

SANTÉ
Le Burkina Faso frappé à son tour UN ESSAI CLINIQUE
SUR UNE NOUVELLE
par une attaque djihadiste MOLÉCULE TOURNE
AU DRAME À RENNES

U n homme est en état de

mort cérébrale et cinq
autres sont hospitalisés
au CHU de Rennes depuis le
10 janvier, après qu’ils eurent in­
géré un nouveau médicament
antalgique, en phase d’expéri­
mentation. Cet essai clinique, dé­
sormais arrêté, était destiné à tes­
ter sur l’homme une molécule de
▶ Al-Qaida au Maghreb islamique synthèse fabriquée par le labora­
toire portugais Bial et destinée à
a revendiqué les attentats commis soigner les maladies neurodégé­
vendredi à Ouagadougou nératives (Alzheimer, Parkin­
son…). Cet accident est d’une « ex-
▶ Les militaires ont donné l’assaut ceptionnelle gravité », a jugé, le
15 janvier, la ministre de la santé,
dans la nuit de vendredi à samedi Marisol Touraine. Plusieurs en­
quêtes administratives et judi­
→ LI R E PAGE 2 ciaires ont été ouvertes.
LIR E PAGE 5

PROCÈS
À BOBIGNY,
« LA POLICE TUE,
A Ouagadougou,
LA JUSTICE
le 16 janvier. ACQUITTE »
AHMED OUOBA/AFP
→ LIR E PAGE 7

« El Chapo », seigneur de la drogue

▶ Depuis son fief mexicain, le narcotrafiquant a bâti un empire planétaire
POLITIQUE
QUE SONT LES
VALEURS DE GAUCHE
Canapés tissus
La qualité
italienne en soldes
-20-30%... %

Joaquin Guzman,
après son arrestation,
DEVENUES ? 50 coloris de tissus, design & fabrication italiens
le 8 janvier. → LIR E PAGE 6
OMAR TORRES/AFP

ÉCONOMIE
« LE DIFFICILE PARI
INDIEN », PAR
THOMAS PIKETTY
LIR E PAGE 2 4

TÉLÉVISIONS
DANS L’ANTICHAMBRE
DES TUDORS
→ LIR E PAGE 1 9

R
emis sous les verrous dans une prison
mexicaine le 8 janvier, après une évasion
spectaculaire il y a six mois, Joaquin Guz­
man, dit « El Chapo », reste l’un des plus puissants
narcotrafiquants de la planète. Depuis la région de
Sinaloa, la « Sicile du Mexique », il a créé, en un
quart de siècle, la troisième puissance mondiale
de la drogue, derrière les yakuzas japonais et la
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
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→ LIR E PAGE S 1 0 - 1 2 → LIR E PAGE S 1 6 - 1 7
2 | international
Sanglant raid djihadiste à Ouagadougou
AQMI a revendiqué l’attaque d’un restaurant puis d’un hôtel international, dans la soirée de vendredi
E
pargné jusque­là par les
djihadistes qui semaient
la terreur au Mali et au Ni-
ger voisins, le Burkina
Faso vient de subir sa première at-
taque meurtrière, au cœur de sa ca-
pitale Ouagadougou. Dans la soi-
rée du vendredi 15 janvier, un com-
mando armé d’hommes « entur-
bannés », selon plusieurs témoins,
disant agir au nom d’Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) a pris
d’assaut un hôtel de luxe, le Splen-
did, et mitraillé la terrasse d’un bar
voisin très fréquenté.
Samedi matin, le ministre de l’in-
térieur Simon Compaoré, affir-
mant que des combats, impli-
quant les forces de sécurité burki-
nabé appuyée par des forces spé-
ciales françaises, étaient toujours
en cours dans un hôtel voisin, an-
nonçait que « 126 personnes, dont
au moins 33 blessées, ont été libé-
rées. Trois djihadistes, un Arabe et
deux Négro-africains, ont été tués ».
Aucune estimation précise n’était
disponible, mais le bilan définitif
s’annonce très lourd avec déjà
« une vingtaine de morts et de très
nombreux blessés », selon le direc-
teur du principal hôpital de la ville.
Les assaillants – au nombre de
trois ou quatre selon les pre-
miers témoignages – ont fait ir-
ruption sur l’une des principales
artères de la capitale burkinabée
aux alentours de 19 h 30. Un té-
moin interrogé par Le Monde a
raconté que trois hommes enca-
goulés se sont introduits en dé-
but de soirée dans l’enceinte de
l’hôtel Splendid. Le nombre
exact de personnes présentes
lors de l’attaque n’a pas été com-
muniqué, mais, selon nos infor-
mations, le lieu devait être
bondé : une réception de
l’Agence pour la sécurité de la na-
vigation aérienne en Afrique et à
Madagascar (ASECNA) s’y dérou-
lait. Le ministre de la fonction
publique se trouvait dans l’éta-
blissement. Il a pu être libéré.
Avant d’entrer dans l’hôtel Splen-
did situé sur l’avenue commer-
çante Kwame-Nkrumah, le com-
mando a tiré à l’arme automatique
sur la terrasse du bar Cappuccino,
très fréquenté par des expatriés.
Selon le ministre de l’intérieur, Si-
mon Compaoré, « les sapeurs pom-
piers ont vu une dizaine de cadavres
sur la terrasse du Cappuccino ».
« C’est horrible, les gens étaient cou-
chés et il y avait du sang partout. Ils
tiraient sur les gens à bout por-
tant », a expliqué à l’AFP Yannick
Sawadogo, un des rescapés. « On les
entendait parler et ils marchaient
autour des gens et tiraient encore
sur des personnes qui n’étaient pas
mortes. Et quand ils sont sortis, ils
ont mis le feu », a-t-il ajouté.
Le Splendid, qui compte
147 chambres, est fréquemment
utilisé par des Occidentaux et par
du personnel des agences onu-
siennes. Des contrôles de sécurité
étaient en place à l’entrée, mais ils
n’ont pu empêcher l’irruption des
assaillants, quand des tirs nourris
et des détonations ont éclaté.
AQMI a revendiqué la responsa-
bilité de cette attaque menée par
l’une de ses « filiales », le groupe
djihadiste Al-Mourabitoune, di-
rigé par l’Algérien Mokhtar Bel-
mokhtar qui, en novembre 2015,
avait mené une attaque similaire
Le communiqué
d’AQMI présente
l’attaque
comme « un acte
de vengeance
contre la France
et l’Occident
infidèles »
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Des soldats
burkinabés
évacuent
un blessé
de l’Hôtel Splendid,
à Ouagadougou,
dans la nuit
du 15 au 16 janvier.
AHMED OUOBA/AFP
« C’est horrible, trente « saines et sauves » et 33 bles- Mandat d’arrêt contre Guillaume Soro
sées, avaient pu s’échapper de l’hô- La justice du Burkina Faso a lancé, le 15 janvier, un mandat d’arrêt
les gens étaient tel, selon le ministre de la commu- contre Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale de
nication, Rémis Dandjinou. Côte d’Ivoire, dans le cadre de l’enquête sur les putschistes burki-
couchés nabés qui avaient tenté, le 17 septembre 2015, de faire dérailler les
et il y avait Soutien militaire français élections dans leur pays. Depuis la mi-novembre, M. Soro est ac-
Le communiqué diffusé durant la cusé de les avoir soutenus. Ces soupçons sont nés après la publica-
du sang partout. nuit par AQMI justifiait cette atta- tion sur Internet d’« écoutes téléphoniques » où le n° 2 ivoirien
Ils tiraient que comme « un acte de ven- s’entretiendrait avec l’ex-ministre Djibrill Bassolé et avec le général
geance contre la France et l’Occi- Gilbert Diendéré, qui avait pris la tête du coup d’Etat. Tous deux
à bout portant » dent infidèles et pour mobiliser la étaient des proches de l’ex-président burkinabé Blaise Compaoré.
YANNICK SAWADOGO jeunesse de l’Oumma [la commu-
rescapé de l’attaque nauté musulmane] pour le dji-
du restaurant Cappuccino had ». Le président François Hol-
lande a condamné une attaque « lancé par [des] forces burkina- Un QG a été établi à proximité
« odieuse et lâche » et confirmé la bées et [des] forces spéciales fran- de l’établissement afin de coor-
contre un autre établissement hô- participation de forces françaises çaises venues de Gao au Mali ». Se- donner les opérations. L’électri-
telier de luxe, dans la capitale du pour déloger les assaillants de lon l’agence Associated Press ci- cité aux abords du lieu a été cou-
Mali, Bamako. Vingt et une per- l’hôtel. Des militaires français tant une source anonyme au Pen- pée. Aux premières heures de sa-
sonnes avaient été tuées dans sont en effet stationnés dans la tagone, des militaires américains medi, plusieurs personnes ont af-
cette prise d’otages. banlieue de Ouagadougou dans le participeraient également à l’opé- firmé que le hall de l’hôtel était en
Dans un message audio diffusé cadre de l’opération Barkhane ration – 75 militaires américains feu et que des cris pouvaient être
par Al-Qaida via l’application de destinée à lutter contre le terro- stationnent actuellement dans le entendus. L’origine des flammes
messagerie sécurisée Telegram, un risme dans le Sahel. pays. « La France a réclamé un sou- n’était pas connue à ce stade. Le
homme s’exprimant en arabe et se Sur son compte Twitter, le tout tien immédiat ISR [surveillance couvre-feu, mis en place dans le
présentant comme l’un des as- nouveau ministre burkinabé des aérienne, souvent assurée par des pays à la mi-septembre à la suite
saillants affirmait avoir tué « de affaires étrangères Alpha Barry drones] et nous sommes en train d’un coup d’Etat, a été étendu de
nombreux croisés ». Dans le cou- avait également annoncé durant de le mettre en œuvre », a détaillé 23 heures à 6 heures du matin. p
rant de la nuit, 63 personnes, la nuit que l’assaut avait été ce responsable de la défense. christophe châtelot
Le Burkina Faso visé à son tour
l’attaque menée dans la nuit de ven- de nombreuses crises régionales et notam- si ces violences sont liées. Mais AQMI ne
dredi 15 au samedi 16 janvier, revendiquée ment pour le règlement de prises d’otages peut considérer le Burkina Faso que comme
par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) d’Occidentaux au Sahel, le pays était épar- un ennemi. Ce petit pays enclavé d’Afrique
dans la capitale burkinabé, Ouagadougou, gné. Mais depuis quelques mois, plusieurs de l’Ouest est en effet un « point d’appui
constitue un défi pour le pouvoir du prési- événements laissaient penser qu’on appro- permanent » de l’opération militaire fran-
dent Roch Marc Christian Kaboré. Elu le chait de la fin de cette exception régionale. çaise Barkhane destinée à combattre les ac-
29 novembre 2015, le chef de l’Etat espérait tions des djihadistes au Sahel.
sans aucun doute un climat plus serein pour Une autre attaque vendredi dans le nord Des militaires burkinabés ont également
faire oublier une transition souvent chaoti- En avril 2015, le chef de la sécurité roumain été déployés au Mali – à Tombouctou,
que ouverte après la chute de Blaise Compa- de la mine de manganèse de Tambao (nord) notamment – dans le cadre de la Mission in-
oré, un an plus tôt, contraint de fuir le pays a été enlevé, une action revendiquée, déjà, ternationale de soutien au Mali (Misma).
devant des manifestations populaires con- par Al-Mourabitoune, une filiale d’AQMI. On Cette opération a été lancée en 2011, dans le
testant sa volonté de prolonger son « rè- est sans nouvelles de lui depuis. Vendredi, sillage de l’intervention française Serval,
gne » déjà long de vingt-sept années. soit quelques heures avant les événements pour sécuriser ce pays alors contrôlé en par-
Beaucoup d’observateurs s’attendaient à de Ouagadougou, une autre attaque avait eu tie par des indépendantistes touaregs et des
ce que le Burkina, après le Niger et le Mali lieu dans le nord du pays, près de la frontière groupes djihadistes affiliés pour certains à
voisins, soit la cible des djihadistes. Au malienne, au cours de laquelle un gendarme Al-Qaida. p
temps de Blaise Compaoré, médiateur dans et un civil avaient été tués, sans qu’on sache ch. ct.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Des bancs de l’université aux rangs de l’EI
Nabil Fadli, auteur de l’attentat à Istanbul le 12 janvier, s’est radicalisé au sein de groupes rebelles syriens
PROFIL
istanbul - correspondante
N
abil Fadli, 28 ans, ci­
toyen syrien né en Ara­
bie saoudite, est bien
l’auteur de l’attentat­
suicide qui a ôté la vie à dix touris-
tes allemands non loin de la Mos-
quée bleue, au cœur de la pénin-
sule historique d’Istanbul, mardi
12 janvier.
La police turque a pu l’identifier
sans peine car, le 5 janvier,
l’homme s’était fait enregistrer en
tant que réfugié au bureau de l’im-
migration du quartier de
Zeytinburnu, à Istanbul. « Nous
avons ses empreintes digitales, c’est
vrai, mais il ne faisait pas l’objet
d’un signalement individuel, il ne fi-
gurait pas parmi les listes de sus-
pects transmises par nos partenai-
res », a indiqué le ministre turc de
l’intérieur, Efkan Ala, lors de la vi-
site en Turquie de son homologue
allemand, Thomas de Maizière,
mercredi.
Lors de son entretien avec les
agents turcs de l’immigration, le
futur kamikaze a expliqué vouloir
se rendre à terme en Europe pour
fuir la guerre et les persécutions de
l’organisation Etat islamique (EI).
Lui et les quatre hommes qui l’ac-
compagnaient se sont vu délivrer
des cartes attestant de leur place-
ment sous « la protection tempo-
raire » des autorités de Turquie, où
le statut de réfugié n’existe pas.
Tous ont été filmés par les caméras
du bureau d’immigration.
L’enquête menée par les services
turcs indique qu’avant de venir à
Istanbul, Nabil Fadli, de son vrai
nom Nabil Abdullatif Al-Fadli, a sé-
journé à Sanliurfa, ville située non
loin de la frontière syrienne, puis à
Ankara, où l’EI possède, semble-
t-il, de nombreux relais. C’est à
Ankara qu’il aurait reçu les consi-
gnes et la logistique nécessaire à
l’accomplissement de son crime.
Ankara sévit contre des intellectuels pacifistes
Des signataires d’un appel à la paix avec le PKK ont été arrêtés pour« propagande terroriste »
istanbul - correspondante
U ne vaste offensive poli-
cière a frappé, vendredi
15 janvier, des universitai-
res signataires d’un « appel pour la
paix » dans les régions kurdes en
proie à la violence depuis que les
hostilités ont repris, à l’été 2015,
entre les rebelles du Parti des tra-
vailleurs des Kurdistan (PKK, inter-
dit en Turquie) et les forces spécia-
les turques.
Vendredi à l’aube, la police a in-
terpellé une vingtaine de profes-
seurs et de lecteurs après avoir per-
quisitionné leurs domiciles.
Quinze d’entre eux ont été relâ-
chés au bout de plusieurs heures
d’interrogatoire. Mis en examen
pour « propagande terroriste », « in-
sulte aux institutions et à la Répu-
blique turque », ils risquent de un à
cinq ans de prison.
LES DATES
2015
20 juillet
Un attentat à Suruç attribué à l’EI
par les autorités, tue 33 Kurdes et
militants de gauche. Un cycle de
violence s’enclenche entre la
police et le PKK.
10 octobre
Un attentat attribué à l’EI contre
une manifestation kurde à An-
kara fait 102 morts. C’est le plus
meurtrier de l’histoire turque.
Le kamikaze
avait expliqué
vouloir se rendre
en Europe pour
fuir la guerre et
les persécutions
de l’EI
Ce djihadiste était originaire de
Manbij, un gros bourg agricole
situé à 50 kilomètres à l’est d’Alep
où il s’est établi quand son père,
qui comme beaucoup d’hommes
de cette région rurale avait immi-
gré en Arabie saoudite pour tra-
vailler, est rentré au pays. Sa mère
est une Arménienne d’Alep con-
vertie à l’islam.
Nomadisme militaire
Diplômé de la faculté médicale
d’Alep, Nabil Fadli n’aurait jamais
manifesté de signe de radicalité
religieuse durant ses études, se-
lon Mohamed Bakir Hussein, un
ancien camarade d’université
joint par Le Monde.
Son parcours politico-militaire
est caractéristique de la radicalisa-
tion de nombreux jeunes Syriens
au fur et à mesure de l’intensifica-
tion de la répression puis de la
guerre civile depuis 2011, souvent
après avoir pratiqué une sorte de
« nomadisme » militaire, de
groupe armé en groupe armé.
Intégrés au départ à des unités
formées sur une base territoriale,
familiale, voire tribale, de nom-
breux combattants ont été aspi-
rés par les groupes djihadistes, ri-
ches, mieux armés et expérimen-
tés quand les groupes rebelles fai-
saient face aux forces du régime
avec un manque de moyens et de
coordination criants.
Nabil Fadli aurait ainsi com-
battu en 2012 dans une brigade
En sortant de la mosquée Sulta-
nahmet où il était venu pour la
prière du vendredi ainsi que pour
rendre hommage aux dix tou-
ristes allemands assassinés trois
jours plus tôt à quelques mètres
de là, lors d’un attentat attribué à
l’organisation Etat islamique (EI),
le président Recep Tayyip
Erdogan a blâmé les signataires,
« des ignorants », « des gens cruels
qui ont choisi le camp de la
malfaisance ».
Publié dès lundi, l’« Appel des
universitaires pour la paix », signé
par 2 000 intellectuels aussi bien
turcs qu’étrangers, dont le philoso-
phe américain Noam Chomsky,
dénonce les couvre-feux imposés
par l’armée turque dans les villes
du Sud en proie à la rébellion.
Regain de violence
« Nous exigeons que l’Etat cesse son
massacre délibéré », mentionne la
déclaration. « Nous ne serons pas
complices des crimes que l’Etat
commet contre tous ses citoyens, et
en particulier contre les Kurdes, à
Cizre, Dargeçit, Silvan, Silopi, Sur.
(…) Nous exhortons le gouverne-
ment à entamer des négociations
dès que possible. »
L’armée et les forces spéciales en-
cerclent depuis des mois plusieurs
villes du sud-est du pays – Cizre,
Silopi et le quartier de Sur à Diyar-
bakir – où la jeunesse du PKK a
érigé des barricades, creusé des
tranchées, et installé des charges
explosives pour tenir les forces de
l’ordre à distance. Ces jeunes
Kurdes veulent conquérir « l’auto-
nomie » par les armes.
Photographie de Nabil Fadli fournie par les autorités turques le 13 janvier. AP
locale affiliée à l’Armée syrienne
libre (ASL) qu’il quitta pour re-
joindre un petit groupe isla-
miste : les brigades Abou Bakr As-
Siddiq. Dès 2012, des membres de
l’opposition s’inquiétaient de la
montée en puissance des idées et
comportements extrémistes
dans la région d’Alep, en citant
notamment ce groupe, au sein
duquel Nabil Fadli ne s’attarde
pas. Il intègre ensuite Ahrar Al-
Cham (« Les hommes libres du
Levant »), l’un des plus puissants
Le pouvoir
reproche aux
universitaires
de ne rien dire
des exactions
commises
par les rebelles
Inspirée de l’expérience de gué-
rilla urbaine acquise à Kobane, la
ville kurde syrienne reprise aux
djihadistes de l’EI au début de 2015,
cette nouvelle tactique du PKK vise
à transformer le Sud-Est en une
« mini-Syrie ». La consigne est ve-
nue de Qandil, la branche militaire
du PKK en Irak du Nord, en guerre
ouverte contre l’Etat turc.
A chaque fois, les municipalités
tenues par le Parti démocratique
des régions (affilié au Parti de la dé-
mocratie des peuples, qui a 59 dé-
putés au Parlement) ont dû fournir
les engins municipaux (excava-
teurs, pelleteuses) pour creuser les
tranchées. A Batman, les responsa-
bles municipaux qui avaient refusé
de prêter les engins se sont vu me-
nacés d’éviction par l’organisation.
Le retour des hostilités entre les
rebelles kurdes armés et les forces
d’Ankara est le résultat du rejet des
pourparlers de paix par le prési-
dent Erdogan qui les avait pour-
tant lancés en 2012, conscient du
fait que la question kurde est une
sérieuse épine dans le pied de la
Turquie. A l’époque, les deux par-
ties étaient d’accord pour garantir
groupes armés syriens, d’obé-
dience salafiste. C’est en 2014,
qu’il s’enrôlera finalement dans
l’EI après la prise de contrôle par
l’organisation djihadiste de la ré-
gion de Manbij. Selon les confi-
dences qu’il a faites à son ancien
compagnon de faculté, il aurait
séjourné à Rakka, intégrant no-
tamment l’administration de l’EI
en travaillant au « ministère » qui
gère les institutions religieuses,
l’un des principaux canaux de la
propagande de l’organisation.
les droits des Kurdes (15 % de la po-
pulation) dans le cadre d’une nou-
velle Constitution.
Mais de pourparlers, il n’est plus
question, et la population fait les
frais du regain de violence. Depuis
le début des opérations, 162 civils
ont été tués. Les couvre-feux im-
posés par le gouvernement plon-
gent les habitants dans un grand
dénuement – manque de nourri-
ture, d’électricité, de soins. Des di-
zaines de milliers de personnes
ont pris le chemin de l’exode,
comme à l’époque de la « sale
guerre » des années 1990 et 2000.
Le PKK n’est pas en reste. Dans la
nuit du 13 au 14 janvier, les rebelles
ont lancé une attaque à la voiture
piégée (1 tonne d’explosifs) contre
une direction de la sûreté et un im-
meuble affecté aux familles des
policiers à Çinar (un quartier de
Diyarbakir), causant la mort de six
personnes dont trois jeunes en-
fants. D’où la colère des autorités
turques qui reprochent aux uni-
versitaires de ne rien dire des exac-
tions du PKK dans leur pétition.
L’affaire nourrit les divisions
dans le pays. Les signataires sont
devenus des cibles. Des croix rou-
ges sont apparues sur les portes
des bureaux de certains universi-
taires, les appels à la rétorsion sont
le lot commun. « Nous allons nous
doucher avec votre sang ! », a lancé
à l’endroit des signataires Sedat Pe-
ker, un chef mafieux qui incarne
« l’Etat profond », cette alliance in-
formelle en vigueur jadis entre les
services de sécurité, certains politi-
ciens et le crime organisé. p
m. jé.
international | 3
En mars 2015, il reprend contact deux des bombes humaines du
sur Facebook avec son ancien Stade de France, à Saint-Denis,
condisciple Mohamed Bakir Hus- étaient porteurs de passeports sy-
sein. Lequel, effaré par son dog- riens, pose un grave problème de
matisme lors de cet ultime sécurité pour les Etats qui ac-
échange, dénonce le « lavage de cueillent les réfugiés, tant les pays
cerveau complet » qu’aurait subi limitrophes de la Syrie que les pays
Nabil Fadli chez les djihadistes. européens, l’Allemagne au premier
Le fait que de jeunes Syriens en- chef. Le choix de ce canal d’infiltra-
doctrinés pour devenir des kami- tion est aussi, pour l’EI, un moyen
kazes s’infiltrent parmi le flot des de nourrir la défiance envers les
réfugiés du conflit n’est pas ano- réfugiés arrivant en Europe. p
din. Ce mode opératoire, utilisé marie jégo
aussi lors des attentats de Paris où avec madjid zerrouky (à paris)
L’HISTOIRE DU JOUR
« Immunité complète »
pour les soldats russes en Syrie
moscou - correspondante
P endant plus d’un mois, alors même que les preuves
d’une intense activité militaire russe en Syrie s’accumu-
laient, Vladimir Poutine a nié toute intervention sur le
sol syrien, se contentant d’évoquer l’envoi d’« experts ». Officiel-
lement, l’entrée en action des forces armées russes n’est inter-
venue que le 30 septembre 2015, à la demande de Damas. Prévu
pour entrer en vigueur sur-le-champ, l’accord avec le régime de
Bachar Al-Assad avait pourtant été signé plusieurs semaines
auparavant, le 26 août 2015.
Rendu public jeudi 14 janvier sur un site du gouvernement
russe, le document de sept pages ne précise pas le nombre des ef-
fectifs militaires dépêchés sur la base de Hmeimim, dans la ré-
gion de Lattaquié contrôlée par le président syrien, ni même l’im-
portance de leur équipement, en se contenant d’une vague for-
mulation autour de l’envoi « d’un groupe aérien ». Conformé-
ment au décret n° 355 qui a autorisé, le 30 septembre 2015, le chef
de l’Etat russe à employer les forces armées en dehors des frontiè-
res de la Fédération, il ne fixe aucune li-
mite de temps. « Le présent accord est
L’ACCORD SIGNÉ AVEC établi pour une période illimitée », pré-
cise le 11e et dernier article du texte.
DAMAS SE CONTENTE En s’appuyant sur un vieux traité
D’ÉVOQUER VAGUEMENT d’amitié et de coopération du 8 octo-
bre 1980 entre l’URSS et la République
UN « GROUPE AÉRIEN » syrienne, et sur un autre accord de coo-
pération militaire daté du 7 juillet 1994,
le texte, qui met en avant « le but com-
mun de la défense de la souveraineté, de l’unité territoriale et de
la sécurité » des deux parties, ainsi que « le but commun de la
lutte contre le terrorisme et l’extrémisme », donne tous les droits
à la partie russe. Il octroie une « complète immunité » aux mili-
taires russes, « comparable à l’immunité diplomatique ». Ces
derniers, qui devront être « informés » des lois et des traditions,
ne peuvent en aucune façon être contrôlés par les autorités lo-
cales, y compris lors de leur entrée ou de leur sortie du terri-
toire. Le document donne aussi au terrain de Hmeimim le sta-
tut d’une « base intouchable ». Aucun Syrien n’a le droit d’y pé-
nétrer sans permission. C’est en revanche à la Syrie qu’il revien-
dra, comme le précise l’article 7, de régler tous les problèmes en
cas de « dommages » causés par l’activité militaire russe, même
avec une tierce partie. p
isabelle mandraud
4 | international
Pacs à l’italienne:
l’offensive
feutrée
des catholiques
Face aux réserves de son camp,
le président du conseil cherche
une majorité pour faire voter la loi
rome - correspondant
C’
était à prévoir.
Même si l’Eglise et le
Vatican se tiennent
plus éloignés que
par le passé des questions qui con-
cernent la vie quotidienne des Ita-
liens, les réserves exprimées par
Mgr Nunzio Galantino, le secré-
taire général de la Conférence
épiscopale italienne (CEI), à pro-
pos de la proposition de loi
d’union civile pour les couples
homosexuels, ont fouetté les ar-
deurs des parlementaires ouver-
tement catholiques. Le texte de-
vrait être discuté au Sénat à partir
du 28 janvier.
Reconnaissant la prérogative de
l’Etat de légiférer « sur les unions
de types variés », le prélat s’alarme,
dans un entretien au Corriere della
Sera le 13 janvier, des conséquen-
ces potentielles de la disposition
permettant à un des membres du
couple d’adopter l’enfant de son
conjoint. Pour l’Eglise, selon la-
quelle la future loi présentée par la
députée de gauche Monica Ci-
rinnà est un « brouillon juridique »,
cette possibilité offerte aux cou-
ples hétérosexuels mariés ouvre
la voie à une surenchère pouvant
conduire à des demandes d’adop-
tion simple ou au recours à des
mères porteuses.
SOMALI E
Attaque des Chabab
contre une base militaire
Les islamistes chabab ont pris
d’assaut, vendredi 15 janvier,
un camp du sud de la Soma-
lie, à la frontière du Kenya, qui
héberge des soldats kényans
de l’Amisom, la force de
l’Union africaine dans le pays,
et somaliens. Aucun bilan
n’avait été communiqué sa-
medi matin. Un combattant
s’est fait exploser avant que
les islamistes lancent l’assaut
et « il semble qu’ils aient péné-
tré dans la base », a expliqué le
colonel Idris Ahmed, un res-
ponsable militaire somalien.
Les Chabab, affiliés à Al-Qaida,
ont affirmé en avoir pris le
contrôle. Hussein Adam, chef
traditionnel d’un village pro-
che, a déclaré que « de nom-
Dans la foulée de l’intervention
de Mgr Galantino, une trentaine
de parlementaires du Parti démo-
crate ont envoyé une lettre
ouverte au premier ministre et se-
crétaire de la formation de centre
gauche, Matteo Renzi, afin qu’il
fasse retirer du texte de loi l’arti-
cle concernant l’adoption.
D’autres élus tentent de rédiger
un amendement de substitution
baptisée « garde renforcée », per-
mettant à l’un des conjoints
d’exercer une forme d’autorité
sur l’enfant, lequel choisira à sa
majorité d’être ou non adopté.
Signal politique
Le temps est compté. L’Italie est
l’un des derniers pays d’Europe oc-
cidentale à n’avoir aucune législa-
tion concernant les couples ho-
mosexuels et leurs droits. La Cour
européenne des droits de
l’homme a pressé la Péninsule, en
juillet 2015, d’offrir « un cadre juri-
dique spécifique pour reconnaître
et protéger l’union entre personnes
du même sexe ». En l’absence de loi,
le tribunal des mineurs de Rome a
permis, en 2014, à un membre
d’un couple homosexuel d’adop-
ter l’enfant de son partenaire.
Pour Matteo Renzi, l’affaire est
délicate. Même si le président du
Conseil n’est pas à l’origine de la
loi, il ne peut s’en désintéresser. Il
breux cadavres » avaient été
vus sur les lieux. C’est la troi-
sième attaque d’ampleur des
Chabab contre une base de
l’Amisom dans le sud soma-
lien en six mois. – (AFP.)
MAL AI SI E
Quatre militants
soupçonnés de liens
avec l’EI arrêtés
Quatre militants soupçonnés
d’avoir des liens avec l’organi-
sation Etat islamique ont été
arrêtés en Malaisie, dont l’un
C rise économique et ten-
envisageait de commettre un
attentat suicide, a indiqué, sa-
medi 16 janvier, le chef de la
police du pays. Les forces de
sécurité sont en état d’alerte
depuis les attentats meur-
triers jeudi à Jakarta, en Indo-
nésie, archipel voisin de la
Malaisie. – (AFP.)
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La Milano Pride, une manifestation pour les droits des homosexuels, à Milan, le 27 juin 2015. ROBERTO FINIZIO/BRAZIL PHOTO PRESS
l’a promise aux Italiens dans son
discours d’investiture. Et la gauche
attend de lui un signal politique,
après avoir encaissé deux défaites
sur la réforme du marché du tra-
vail et de l’école. M. Renzi refuse de
céder pour l’instant aux préten-
tions de l’aile catholique de son
parti. Position d’autant plus loua-
ble qu’il vient de cette tradition.
En 2007, il avait participé à
Rome, aux côtés de la droite ber-
lusconienne et traditionaliste, à
une manifestation monstre con-
tre un précédent projet d’union
civile, le Dico (droits et devoirs des
personnes vivant de manière sta-
ble en concubinage), obligeant le
gouvernement de gauche de Ro-
mano Prodi à le retirer. D’autres
projets ont connu le même sort,
victimes d’oppositions transver-
sales et de calculs politiques : ni le
CUS (contrat d’union solidaire) ni
« Etat d’urgence économique » au Venezuela
Le président Maduro a reconnu une situation catastrophique devant une Assemblée hostile
bogota - correspondante
sions institutionnelles se
disputent la préséance. Le
président vénézuélien, Nicolas
Maduro, a décrété vendredi 15 jan-
vier, l’« état d’urgence économi-
que » pour soixante jours, quel-
ques heures avant son message
annuel à la nation devant un Parle-
ment acquis à l’opposition. Depuis
le 5 janvier, les antichavistes réunis
au sein de la Table de l’unité démo-
cratique (MUD) y sont largement
majoritaires. M. Maduro a centré
pour les couples homosexuels. De
L’Italie est plus, avertis par les précédents
l’un des derniers échecs, les législateurs ont pris
toutes les précautions pour mé-
pays d’Europe nager les susceptibilités des « tra-
occidentale à ne dis », afin que rien ne puisse per-
mettre de rapprocher le contrat
pas avoir légiféré liant des personnes de même
sur les droits sexe à un mariage qui reste pour
eux le fondement de la famille. Ce
des couples pacs qui ne dit pas son nom s’inti-
homosexuels tule très officiellement « forma-
tion sociale spécifique ».
M. Renzi espère que le scrutin à
le DiDoRe (droits et devoirs de ré- bulletin secret permettra à cha-
ciprocité entre concubins), pro- que parlementaire de voter en
posé par Silvio Berlusconi son âme et conscience. Sachant
en 2008, n’ont pu voir le jour. que toutes les formations politi-
Toutefois, tout comme le chef ques sont divisées sur ce sujet, il
du gouvernement, la société a espère faire naître une majorité
évolué sur cette question. 55 % des bariolée allant de la Ligue du Nord
personnes interrogées se disent au Mouvement 5 étoiles. Son allié
désormais favorables à la recon- au gouvernement, le très catholi-
naissance de droits juridiques que parti du Nouveau Centre-
ses propos sur la « tourmente éco- de l’insécurité. Il a proposé « plus
nomique » que traverse le pays, en de socialisme » pour éviter le re-
reconnaissant que la situation est
« catastrophique ». Principale res-
source du pays, le pétrole est
tombé ce vendredi à 24,2 dollars
(22,17 euros) le baril.
tour de la droite. Et il a, une fois
encore, appelé de ses vœux « un
grand dialogue national » pour ti-
rer le Venezuela de la crise.
Nicolas Maduro a une fois en- Une inflation de 108 %
core dénoncé « la guerre écono- La Banque centrale en a confirmé
mique » orchestrée par les opéra- la gravité. L’inflation a atteint
teurs privés et étrangers contre 108 % au cours des neuf premiers
son gouvernement. Et les « mille mois de 2015. La contraction du
démons » en provenance de Co- PIB a été de 4,5 % pour la même pé-
lombie, à savoir « la contrebande, riode. Depuis un an, la Banque cen-
le paramilitarisme et le narcotra- trale ne publiait plus de données,
fic », responsables des pénuries et sous prétexte de ne pas contribuer
à ladite guerre économique.
L’intervention du président Ma-
duro était très attendue. Depuis la
victoire de l’opposition aux légis-
latives, chavistes et antichavistes
Christie’s France SNC - N° d’agrément 2001-003. Principal commissaire-priseur habilité : François de Ricqlès
sont contraints à une difficile co-
habitation. La MUD s’est ouverte-
ment fixé pour objectif d’écourter
le mandat de M. Maduro « dans le
respect de la Constitution ». « Nous
sommes persuadés que la crise éco-
nomique ne peut pas être surmon-
tée avec ce gouvernement », a ré-
sumé le président de l’Assemblée
nationale, Henry Ramos Allup.
M. Maduro dénonce, lui, les am-
bitions putschistes de l’opposi-
tion. Le climat est d’autant plus
tendu que le Tribunal supérieur
de justice (TSJ), acquis au cha-
visme, ne joue pas son rôle d’arbi-
tre impartial. La haute cour a con-
traint la majorité parlementaire à
accepter, mercredi, la suspension
de trois députés dont l’élection
avait été contestée en justice. Ce
retrait a permis de calmer le jeu.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
droit, a promis de ne pas faire de
cette affaire un casus belli. « Il est
clair que le gouvernement n’inter-
viendra pas sur cette matière,
aurait-il dit à ses proches, mais
une loi est nécessaire. »
Toutefois, il redoute que des cal-
culs politiques l’emportent sur les
convictions. Déjà, Silvio Berlus-
coni, converti aux droits des ho-
mosexuels, appelle son parti à vo-
ter contre le texte pour sanction-
ner l’exécutif. Quant à l’Eglise, elle
joue l’ambiguïté. Alors qu’une ma-
nifestation en faveur de la famille
traditionnelle est prévue le 30 jan-
vier, à Rome, Mgr Galantino af-
firme que « les chrétiens conscients
n’ont pas besoin d’un évêque qui les
guide » tout en espérant que « des
parlementaires et des secteurs de la
société civile fassent tout pour em-
pêcher une fuite en avant ». p
philippe ridet
M. Ramos Allup a fait savoir au
président Maduro qu’il serait reçu
à l’Assemblée et écouté « avec res-
pect ». Il l’a été.
La poignée de main entre les
deux hommes a même été cor-
diale. M. Maduro s’est exprimé
pendant trois heures, devant une
Assemblée attentive et des tribu-
nes pleines à craquer. Après en
avoir été exclus pendant plusieurs
années, les médias ont retrouvé
leur droit d’accès à l’Assemblée.
M. Ramos Allup s’est félicité du
dialogue proposé. « Comptez sur
nous », a-t-il répondu à M. Maduro.
Mais, pour l’opposition, la crise
économique est celle du modèle
chaviste. « Comment croire la pro-
position de dialogue si le président
continue de refuser ses responsabi-
lités et ses erreurs ?, résume le dé-
puté de la MUD Jose Guerra. Le dé-
cret d’urgence économique con-
firme que le gouvernement n’a pas
idée de l’ampleur de la crise. »
L’état d’exception renforce les
pouvoirs de l’exécutif. Le gouver-
nement est ainsi autorisé à saisir
les biens des entreprises privées
pour « garantir l’accès aux ali-
ments, médicaments et biens de
première nécessité » et à contrôler
la monnaie en circulation. Il peut
aussi contraindre les entreprises
« à augmenter leur niveau de pro-
duction », mettre en place des me-
sures spéciales pour lutter contre
l’évasion fiscale, décider de dépen-
ses exceptionnelles ou prendre
toute mesure jugée nécessaire,
sans l’accord du Parlement. p
marie delcas
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Drame rarissime après un essai clinique
Un homme est en état de mort cérébrale et cinq autres hospitalisés à Rennes, après avoir testé un médicament
L’
accident est d’une am-
pleur inédite dans l’his-
toire des essais cliniques
en France. Six hommes,
âgés de 28 à 49 ans, sont hospitali-
sés depuis dimanche 10 janvier au
centre hospitalier de Rennes après
avoir ingéré pendant trois à cinq
jours un nouvel antalgique en
phase de test. Vendredi 15 janvier,
l’un d’eux se trouvait dans un état
de « mort cérébrale », et deux
autres dans une situation neuro-
logique jugée « sérieuse ». Un
« handicap irréversible » est re-
douté pour trois d’entre eux, indi-
que Gilles Edan, le chef du pôle
neurosciences du CHU de Rennes.
« On essaye de contrôler la réaction
inflammatoire, mais l’antidote de
ce médicament n’est aujourd’hui
pas connu. »
Cet événement est d’une « ex-
ceptionnelle gravité » a jugé ven-
dredi la ministre de la santé, Mari-
sol Touraine, lors d’une confé-
rence de presse au CHU de Ren-
nes, à l’issue d’une rencontre avec
les familles des victimes. Plu-
sieurs enquêtes administratives
et judiciaires ont d’ores et déjà été
lancées. L’Inspection générale des
affaires sociales (IGAS), l’Agence
nationale de sécurité du médica-
ment (ANSM) et le pôle de santé
publique du parquet de Paris ont
été saisis pour déterminer l’ori-
gine du drame. « Toutes les ques-
tions seront posées », a promis
Mme Touraine. S’engageant à une
« transparence absolue », la minis-
tre a cependant passé sous silence
le fait que les autorités n’ont été
prévenues que quatre jours après
l’arrêt de l’essai.
Un programme de treize jours
Celui-ci était conduit par le labo-
ratoire Biotrial, un prestataire de
service pour l’industrie pharma-
ceutique. Il portait sur une molé-
cule connue sous le nom de BIA
10-2474 et avait débuté en
juillet 2015 après avoir reçu en
juin le feu vert de l’ANSM. Il s’était
déroulé jusque-là sans encombre.
Le protocole prévoyait que la
substance soit testée sur 128 per-
sonnes en bonne santé, afin d’éva-
Des tests en trois étapes
pour les médicaments
L’ essai clinique à l’origine de
l’accident survenu à Ren-
nes, entraînant la mort cé-
rébrale d’une personne et l’hospi-
talisation de cinq autres, est un es-
sai de médicament de phase 1,
mené chez des volontaires sains.
« C’est la première fois qu’un tel ac-
cident survient. Je ne connais pas
de précédent en France », indique
le docteur Yves Donazzolo, prési-
dent d’Eurofins Optimed, mem-
bre de l’Association des prestatai-
res de services en recherche clini-
que et épidémiologique et du Club
phase 1, qui suit les essais clini-
ques depuis vingt-cinq ans.
La phase 1 est la première étape
du processus qui conduit à la com-
mercialisation d’un médicament.
Après avoir été testée sur des ani-
maux, la molécule est adminis-
trée chez l’homme, pour étudier
son métabolisme dans l’orga-
nisme, sa tolérance, et vérifier l’ab-
sence de toxicité. Plus de la moitié
des essais de phase 1 sont effectués
sur des volontaires sains. D’autres
essais de médicaments plus agres-
sifs, en cancérologie par exemple,
sont, eux, réalisés sur des patients
en échec thérapeutique.
Suit la phase 2, qui vise à mesu-
rer l’efficacité du produit, sa tolé-
rance à court terme et déterminer
la dose la plus adaptée. La phase 3
compare l’efficacité à un traite-
ment existant ou à un placebo.
Elle doit aussi permettre d’affiner
le dosage du produit, son mode
france | 5
toire a fait le lien avec le drame de gés : une toxicité aiguë de la molé- Au moment où l’essai avait été la même dose dans un essai de
Les autorités la veille. Les hospitalisations des cule, une réaction immunologi- autorisé, la molécule n’avait pas phase 1, et qu’il faille attendre l’éli-
ont été étonnées cinq autres membres du groupe – que imprévisible ou une contami- été considérée comme dange- mination du produit par le sujet
qui ont reçu les mêmes doses – se nation au cours de la fabrication reuse, ayant fait l’objet de tests ap- précédent avant l’inclusion du sui-
de ne pas avoir sont échelonnées de mardi à jeudi, ou du transport. Le principe actif profondis chez l’animal. Le proto- vant », estime cependant Cathe-
été prévenues date à laquelle les autorités ont en- provient d’une usine hongroise, et cole permettait qu’elle soit admi- rine Hill, épidémiologiste à l’Insti-
fin été averties. Un calendrier qui le médicament a été fabriqué en nistrée à plusieurs personnes tut Gustave-Roussy.
plus tôt compte pose question. Pourquoi l’ANSM a- Italie. Dans un communiqué, Bial sans respecter un intervalle de sé- La molécule BIA 10-2474 n’a été
tenu de l’ampleur t-elle été alertée aussi tard ? Sauf assure avoir respecté « les bonnes curité entre elles. « La prudence testée qu’en France. Mais par me-
accord avec le prestataire de ser- pratiques internationales » et « la voudrait qu’il soit interdit de trai- sure de précaution l’ANSM a
du phénomène vice, c’est le promoteur de l’essai, législation en vigueur ». ter plusieurs sujets le même jour à averti les autres agences de sécu-
Bial, qui est tenu d’avertir les auto- rité sanitaire en Europe, les appe-
rités. Il avait juridiquement sept lant à la vigilance sur d’éventuels
luer son innocuité – ce qu’on ap- jours pour le faire, mais compte Un antalgique de synthèse essais menés avec des molécules
pelle un essai de « phase 1 » dans le tenu de l’ampleur du problème, les comparables.
jargon. Quatre-vingt-dix person- autorités ont été pour le moins La molécule BIA 10-2474 a été sélectionnée par le fabricant Bial, De son côté l’Agence régionale
nes avaient déjà reçu la molécule étonnées de ne pas avoir été préve- car elle agit sur les récepteurs cannabinoïdes impliqués dans la de santé de Bretagne va rappeler
« sans aucune notification d’une nues plus tôt. modulation de la douleur. Il ne s’agit pas d’un dérivé du cannabis les volontaires, tous originaires
quelconque réaction adverse mo- mais d’une substance de synthèse. Différents essais thérapeuti- de la région, ayant participé à l’es-
dérée ou grave », indique Bial, le fa- Plusieurs scénarios envisagés ques explorent les possibilités d’utiliser ce type de molécule dans sai depuis l’été. La ministre de la
bricant. Ce laboratoire familial Envoyés sur place, deux inspec- des maladies neurodégénératives : Alzheimer, Parkinson, sclérose santé a demandé à l’IGAS de lui re-
portugais, fondé en 1924, est spé- teurs de l’ANSM ont réuni des élé- en plaques… Avant d’être testée chez l’homme, la molécule a été mettre une « note d’étape » avant
cialisé dans les maladies neurolo- ments (registres, données clini- administrée à des animaux (rats, chiens et chimpanzés), mais la fin du mois de janvier et le rap-
giques et neurodégénératives ques, échantillons microbiologi- aucun effet indésirable grave n’a été observé. Chez l’homme, ces port final fin mars. p
Les premiers volontaires, répar- ques) qui serviront à l’enquête. tests ont été réalisés de façon classique en délivrant des doses de françois béguin
tis en plusieurs groupes, avaient Plusieurs scénarios sont envisa- plus en plus importantes à des groupes de patients successifs. et chloé hecketsweiler
reçu soit le médicament – à des do-
ses variables – soit un placebo.
Leur participation à ce pro-
gramme, d’une durée de
treize jours, était indemnisée
1 900 euros, selon un descriptif dé-
voilé vendredi par le site Breizh
Info. Les personnes victimes des
effets indésirables graves, qui
inauguraient la cinquième phase
de l’essai (sur six), ont ingéré
50 mg de produit une fois par jour
pendant trois à cinq jours (soit
150 mg à 250 mg en cumulé).
« Auparavant des doses uniques de
100 mg avaient été administrées
sans problème », assure au Monde
un proche du dossier.
Selon Mme Touraine, qui s’expri-
mait au conditionnel sur ce point,
les six volontaires « auraient com-
mencé à prendre le médicament le
jeudi 7 janvier et des premiers
symptômes seraient apparus le di-
manche 10 janvier sur une première
personne ». Les médecins avaient
d’abord pensé à un accident vascu-
laire cérébral, a expliqué vendredi
le neurologue Gilles Edan.
Selon les informations du
Monde, la dernière dose a été reçue
par un patient lundi matin. L’essai
a été interrompu lorsque le labora-
d’administration… C’est à l’issue
de ces trois phases que les autori-
tés sanitaires peuvent délivrer
une autorisation de mise sur le
marché au laboratoire. Au total, le
développement d’un médica-
ment prend dix à quinze ans.
« Préjudiciable »
Côté réglementaire, le promoteur
de l’essai (qui peut être un indus-
triel, un organisme de recherche,
un hôpital…) doit obtenir le feu
vert de l’Agence nationale de sécu-
rité du médicament (ANSM) et un
avis favorable d’un comité de pro-
tection des personnes. « Tous les
effets indésirables graves et inat-
tendus sont déclarés à l’ANSM et
l’essai est arrêté en cas de pro-
blème », explique le docteur Yves
Donazzolo. Ces essais doivent se
dérouler dans des lieux autorisés
après inspection par les autorités
régionales de santé. Outre la tren-
taine de centres d’investigation
clinique, publics, une dizaine de
centres privés sont autorisés à me-
ner des essais dits de phase 1.
Les accidents sont rares. Parmi
les précédents, six hommes ont
été hospitalisés en soins intensifs
à Londres en 2006 après un essai
clinique. Pour autant, note Gilles
Petitot, spécialiste du secteur, « il
ne faudrait pas que cet accident
soit préjudiciable au recrutement
de volontaires, indispensables pour
l’avancée de la médecine ». p
pascale santi
6 | france
Que sont
les valeurs
de gauche
devenues ?
La forte demande de sécurité
collective pousse les dirigeants
politiques à choisir des chemins
inédits, au risque de se perdre
N
otre « paysage politi-
que » est recouvert
d’un épais brouillard.
Sur la route qui mè-
nera à l’élection présidentielle de
2017, on ne distingue plus grand-
chose. Entre droite et extrême
droite, la barrière de sécurité s’est
depuis longtemps estompée. A
gauche, des conducteurs se dépor-
tent dangereusement. Ainsi de
François Hollande, lorsqu’il pro-
pose d’inscrire dans la Constitu-
tion la déchéance de nationalité.
A circonstances exceptionnelles
(les attentats), décisions excep-
tionnelles, plaide l’exécutif, en
soulignant que cette mesure ne
viserait que les personnes con-
damnées pour terrorisme. Pour
autant, cette « transgression » a
fait resurgir avec acuité une ques-
tion restée lancinante depuis près
de trois ans, après que le rapport
Gallois a fait poindre les prémices
du pacte de responsabilité destiné
aux entreprises, marqueur d’une
politique économique plus libé-
rale : que reste-t-il des valeurs de
gauche au sommet de l’Etat ? Et
dans l’opinion ?
L’articulation des deux fait elle-
même débat, tant le tandem Hol-
lande-Valls semble surtout dési-
reux de suivre – ou de devancer –
les avis majoritaires dans les son-
dages. « On pourrait demander aux
Français s’il faut torturer les terro-
ristes, ils diraient oui, ils ont peur,
c’est normal. Mais ça ne veut pas
dire que le politique doit le faire », a
vertement déclaré Martine Aubry,
la maire de Lille, jeudi 14 janvier,
lors de ses vœux à la presse, en
s’appuyant sur un adage de
François Mitterrand : « Ne pas gou-
verner avec les sondages, c’est la
différence entre un homme politi-
que et un homme d’Etat. »
L’ancien président n’avait certes
pas les enquêtes d’opinion pour
ÉTAT D ’ U R GEN C E
Le Conseil constitutionnel
va examiner
les perquisitions
Après les assignations à rési-
dence, qu’il avait validées, le
Conseil constitutionnel devra
se pencher sur deux autres
dispositions de l’état d’ur-
gence, les perquisitions admi-
nistratives et les interdictions
de réunion, a décidé, ven-
dredi 15 janvier, le Conseil
d’Etat. La haute juridiction
administrative, qui avait été
saisie par la Ligue des droits
de l’homme, a transmis
à la Rue de Montpensier
deux questions prioritaires
de constitutionnalité sur ces
sujets. – (AFP.)
SAN T É
IVG : l’intégralité des
actes remboursée à
100 % à partir du 1er avril
L’intégralité des actes autour
de l’interruption volontaire
de grossesse (consultations,
analyses, échographies…) sera
remboursée à 100 % à partir
du 1er avril, a annoncé la mi-
nistre de la santé, Marisol
Touraine, vendredi 15 janvier.
La prise en charge à 100 % de
seule boussole. Mais il lui est par-
fois arrivé de bousculer son camp
et-ou d’en déplacer les frontières,
comme en 1988, avec la nomina-
tion de plusieurs ministres cen-
tristes dans le gouvernement de
Michel Rocard. Brouiller les pis-
tes, effacer les repères, est devenu
depuis un sport politique natio-
nal, dénommé « triangulation ».
Nicolas Sarkozy l’a pratiqué,
Marine Le Pen s’y est adonnée,
Manuel Valls s’y est entraîné.
Jeux tactiques
« Les Français, qui restent un peu-
ple très politisé, savent très bien se
placer sur un axe gauche/droite »,
assure Martial Foucault, le direc-
teur du Centre de recherches poli-
tiques de Sciences Po (Cevipof).
Pas sûr qu’ils parviennent aussi
bien, aujourd’hui, à situer leurs
représentants sur ce même axe.
Les jeux tactiques des « lea-
ders » politiques ne sont pas les
seules causes du brouillard dans
lequel on navigue. Certaines sont
anciennes, comme l’affaisse-
ment des idéologies, la conver-
sion de la gauche gouvernemen-
tale à l’économie de marché et de
la droite ex-gaulliste à la cons-
truction européenne. D’autres
sont récentes : le choc des atten-
tats, la crise des réfugiés. Ces
deux derniers « événements »,
Brouiller
les pistes, effacer
les repères,
est devenu
un sport politique
national,
dénommé
« triangulation »
l’acte lui-même était en vi-
gueur depuis 2013.
J UST I C E
Avalanche : l’enseignant
avait fait un séjour en
hôpital psychiatrique
Le professeur qui encadrait
les dix lycéens pris dans une
avalanche mortelle aux
Deux-Alpes (Isère), mercredi
13 janvier, était sorti en no-
vembre 2015 d’un séjour en
hôpital psychiatrique et pre-
nait un lourd traitement, se-
lon des sources proches de
l’enquête. L’enseignant était
toujours en garde à vue sa-
medi matin. – (AFP.)
EN VI R ON N EMEN T
Près de 9 000 ovins tués
par des loups en 2015
En 2015, 8 935 bêtes, essentiel-
lement des ovins, ont été
tuées par des loups, une lé-
gère augmentation par rap-
port à 2014, selon des chiffres
de la direction régionale de
l’environnement de Rhône-
Alpes, chargée du suivi natio-
nal, publiés vendredi 15 jan-
vier. L’Etat a indemnisé les
éleveurs à hauteur d’environ
2,5 millions d’euros. – (AFP.)
qui risquent fort d’être durables,
pèsent lourd. Partout en Europe,
et quelle que soit leur couleur po-
litique, les gouvernements en
place font les frais d’un contexte
dont seuls les partis populistes
savent profiter.
En France, les lignes ont bougé.
Pas seulement au sommet de
l’Etat, même si le virage (très)
sécuritaire de l’exécutif socialiste
a marqué les esprits, en particu-
lier chez les élus et les militants
du PS. Cela fait longtemps que
toutes les enquêtes d’opinion tra-
duisent une emprise croissante, y
compris parmi les sympathisants
de gauche, de valeurs tradition-
nellement portées par la droite.
En particulier l’ordre, l’autorité,
dont « la demande n’a cessé de se
renforcer », comme le rappelle
Brice Teinturier, le directeur géné-
ral délégué de l’institut de son-
dage Ipsos. Les attentats du 13 no-
vembre n’ont fait qu’accentuer
cette tendance.
M. Teinturier dresse la longue
liste des indicateurs qui en témoi-
gnent. Les avis favorables à tout
ce qui a trait à la répression sont
en hausse. Y compris des mesures
(non envisagées) qui remet-
traient en cause les libertés fon-
damentales ; jusqu’au rétablisse-
ment de la peine de mort. « Le dé-
sir de fermeture, de rejet des étran-
gers, est extrêmement puissant »,
indique également M. Teinturier.
Quand deux premiers ministres se rencontrent
A Bassens, en Gironde, M. Valls et M. Juppé ont joué entre piques et sous-entendus politiques
bassens (gironde) - envoyé spécial
M anuel Valls et Alain
Juppé côte à côte lors
d’un déplacement offi-
ciel, l’affiche politique est forcé-
ment alléchante. Le premier
heurte sa gauche au nom de la dé-
chéance de nationalité, quand le
second affole sa droite en vue de
la présidentielle de 2017. Le chef
du gouvernement inaugurait,
vendredi 15 janvier, la nouvelle
usine Lesieur, propriété du géant
français des huiles alimentaires
Avril, à Bassens (Gironde).
Le maire de Bordeaux, voisin de
quelques kilomètres, ne pouvait
sécher le rendez-vous. Surtout
quand le PDG d’Avril s’appelle
Xavier Beulin, patron de la FNSEA,
le puissant syndicat d’agriculteurs.
Aucun électorat ne doit être né-
gligé d’ici novembre par le favori
de la primaire des Républicains.
Pendant toute une matinée,
M. Valls et M. Juppé ont joué en-
S’ajoute une « nostalgie » égale-
ment croissante : l’attachement
aux « traditions », l’idée que
« c’était mieux avant » se portent
bien et s’affichent davantage. « Ce
sont plutôt la famille, le travail, la
responsabilité et l’ordre qui sont
plébiscités », résume le respon-
sable d’Ipsos.
Sur le terrain économique et
social, la gauche traditionnelle-
ment « redistributrice » a fait les
frais – si l’on peut dire – de la crise
économique qui a considérable-
ment réduit les marges de
manœuvre financières de l’Etat.
Selon plusieurs responsables
d’instituts de sondage, cette
donne serait désormais intégrée
dans l’opinion.
Succès garanti
En substance, les Français se se-
raient résignés à ne plus attendre
grand-chose de l’Etat sur ce ter-
rain. Si ce n’est qu’il déverrouille
des mécanismes, comme le pré-
conise le (populaire) ministre de
l’économie, Emmanuel Macron.
« Les valeurs libérales, au plan éco-
nomique, ont progressé. Mais il
n’est pas sûr qu’elles soient domi-
nantes », pondère toutefois l’uni-
versitaire et politologue Gérard
Grunberg.
Très favorables à la préservation
des services publics et du modèle
français de protection sociale, ils
sont encore très nombreux, note
semble à mi-distance, tout en pi-
ques humoristiques et sous-en-
tendus politiques. Avec, bien sûr
présent à l’esprit de tous, l’élec-
tion présidentielle dans seize
mois. « Bonjour, monsieur le pre-
mier ministre, tout va bien ? »,
lance à son arrivée Manuel Valls à
son prédécesseur à Matignon.
Poignée de main rapide, sourires
légers, les deux hommes n’en font
pas trop. Pendant la visite de
l’usine, ils font même mine de
s’ignorer tout en se surveillant du
coin de l’œil.
Entre l’exposé sur « l’estérifica-
tion » des huiles alimentaires et
la présentation de la nouvelle
bouteille « qui ne goutte pas », le
maire de Bordeaux prend soin de
toujours rester quelques pas der-
rière Manuel Valls. Une bien-
séance républicaine, mais aussi
un bon moyen de ne pas apparaî-
tre sur les photos, affublé d’une
charlotte sanitaire en papier sur
la tête et d’imposantes lunettes
de protection.
Dépossédé
de l’arme
budgétaire,
l’exécutif se sent
également
contraint
de répondre
dans l’urgence
M. Teinturier, à se dire attachés à
« l’égalité des chances ». Un thème
de gauche, certes, mais qui, en pé-
riode de disette budgétaire, a ten-
dance à se transformer.
Si les attentes restent fortes en
termes d’égal accès à l’emploi, à
l’éducation et au logement, on
jauge plus qu’avant ce qu’il y a
dans l’assiette du voisin. En ima-
ginant – à tort ou à raison – qu’il y
a là une source d’injustice ; a for-
tiori si le voisin fait figure
d’« étranger », compte tenu de
l’emprise des thématiques identi-
taires. En dénonçant de manière
récurrente l’« assistanat », nom-
bre de politiques rencontrent un
succès garanti.
Dépossédé de l’arme budgé-
taire, l’exécutif se sent également
contraint de répondre dans l’ur-
gence. Et c’est un autre levier
théoriquement essentiel en poli-
tique, le temps, dont il se prive.
« A tous ceux qui
s’inquiètent de
votre âge, je dirai
que vous êtes en
pleine forme ! »
MANUEL VALLS
« Je vais les garder ces lunettes, je
les trouve très vintage, très arrière-
grand-père », s’amuse le premier
ministre en s’adressant à Mat-
thias Fekl, le secrétaire d’Etat au
commerce extérieur, également
du voyage. L’allusion à l’âge de
Alain Juppé (70 ans) est évidente :
Manuel Valls reprend même l’ex-
pression employée jeudi contre
ce dernier par le premier secré-
taire du PS, Jean-Christophe
Cambadélis, qui s’est mollement
excusé depuis.
Plus tard, devant un parterre de
jeunes apprentis, le premier mi-
nistre récidive. Au directeur des
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Sur ce point aussi, les causes sont
multiples : structurelles, comme
le quinquennat ou l’information
en continu ; conjoncturelles,
comme les attentats et cette peur,
qui n’attend pas. « L’impatience de
l’électorat empêche les responsa-
bles politiques de se projeter dans
un temps long », relève Martial
Foucault. Le politologue déplore
ainsi, au sujet de la déchéance de
nationalité, que « les effets d’une
telle politique semblent faible-
ment anticipés ».
Dans ce maelström politique,
où le clivage gauche/droite conti-
nue de perdre de sa force tout en
changeant de nature, un double
mouvement s’opérerait dans
l’opinion.
D’un côté, une forte demande
de sécurité collective, qui a re-
doublé de vigueur avec les atten-
tats de janvier et de novem-
bre 2015 et la permanence de la
menace terroriste : la « gauche »
va sur ce terrain.
De l’autre, une aspiration à la li-
berté individuelle, en particulier
dans le domaine privé, où la so-
ciété accepte volontiers la plura-
lité des modèles familiaux : la
« droite » doit en tenir compte.
Gérard Grunberg synthétise ces
deux aspirations en ces termes :
« Pour être libre individuellement,
il faut qu’il y ait de l’ordre général
dans la société. » p
jean-baptiste de montvalon
ressources humaines d’Avril qui
insiste sur l’âge d’un salarié tu-
teur d’un apprenti, M. Valls ré-
pond : « Mais ce n’est pas bien de
donner comme ça l’âge des gens ! »,
provoquant les rires de l’assem-
blée. M. Juppé, debout derrière lui,
encaisse, mais ne dit mot.
Il se rattrape quelques minutes
après, au détour de son discours,
prononcé dans un hangar trans-
formé l’espace d’un instant en
salle de meeting politique. « J’ai
entendu tout à l’heure ce remar-
quable DRH qui a dit que la rela-
tion entre l’apprenti et le tuteur
n’était pas une question d’âge. J’ai
trouvé ce propos intéressant, et j’ai
pensé qu’on pouvait le transposer
dans d’autres secteurs d’activités »,
lâche-t-il, renvoyant les rires. « A
tous ceux qui s’inquiètent de votre
âge, je dirai que vous êtes en pleine
forme ! », lui répond M. Valls. Un
message qu’il adresse au fond
autant à Nicolas Sarkozy qu’à ses
camarades socialistes. p
bastien bonnefous
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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016 france | 7

A Bobigny, « la police tue et la justice acquitte ! »

Le policier qui a abattu Amine Bentounsi d’une balle dans le dos le 21 avril 2012 a été jugé en légitime défense

E
lle a paru longue, très avec sursis contre Damien
longue, cette minute Saboundjian, assortie d’une in-
pendant laquelle le pu- terdiction définitive d’exercer le
blic, massé dans la salle métier de policier. Il avait af-
de la cour d’assises du palais de fronté un à un les éléments qui
justice de Bobigny, n’a pas com- rendaient ce dossier empoi-
pris le verdict qu’énonçait le prési- sonné pour un représentant de
dent Jean-Marc Heller. Il venait de l’accusation. La qualité profes-
dire qu’aux trois premières ques- sionnelle de l’accusé, un gardien
tions, qui portaient sur la culpabi- de la paix bien noté par sa hiérar-
lité du gardien de la paix Damien chie. La personnalité de la vic-
Saboundjian pour les faits de time, un délinquant multirécidi-
« violences volontaires ayant en- viste armé et en fuite. La date des
traîné la mort » d’Amine Ben- faits, le 21 avril 2012, entre les
tounsi, la cour et les jurés avaient deux tours d’une élection prési-
répondu « oui ». dentielle opposant le candidat
Mais tout l’enjeu du procès François Hollande au président
tenait dans la quatrième et der- sortant Nicolas Sarkozy, qui avait
nière question : les actes commis donné lieu à une nouvelle polé-
par l’accusé étaient-ils comman- mique sur la sécurité.
dés « par la nécessité de sa dé- L’enquête elle-même, caviardée
fense » et susceptibles de le faire par la trop bonne volonté des syn-
bénéficier de la cause d’irrespon- dicats policiers de protéger leur
sabilité pénale, comme l’avait collègue et les pressions exercées
plaidé son avocat, Me Daniel sur l’Inspection générale de la po-
Merchat ? « La réponse est oui », a lice (IGS), avec le soutien du préfet
indiqué le président. Un temps. de police du département de
Un lourd silence. Des visages ten- l’époque, Christian Lambert, pour
dus, interrogatifs. « Ce qui signifie accréditer la thèse de la légitime
que la cour et les jurés prononcent défense. « Ce procès, a-t-il dit, n’est
l’acquittement de Damien pas celui de la victime, Amine
Saboundjian. » Bentounsi, il n’est pas celui de la
A la stupeur ont succédé les hur- police, il est seulement le procès de Amal Bentounsi, après
lements de colère. Les CRS posi- Damien Saboundjian et la ques- l’acquittement du policier
tionnés le long des travées ont tion qui se pose est de savoir s’il a ayant tué son frère,
aussitôt dressé un cordon de sé- eu une réaction appropriée à la à Bobigny, le 15 janvier.
curité entre le groupe compact situation. » OLIVIER LEJEUNE/PHOTOPQR/« LE PARISIEN »
des collègues de l’accusé et celui,
plus nombreux, des amis et de la « Manque de discernement »
famille de la victime, tandis que Reprenant les différentes étapes
des policiers en civil, le bras ceint de la course-poursuite qui s’est celui-ci avait dû admettre devant leur collègue, et où Nicolas Comte, dans un métier qui exige sang-froid
d’un brassard orange, exfiltraient engagée ce soir du 21 avril entre l’Inspection générale de la police
L’avocat général secrétaire général adjoint du syn- et discernement. » Deux qualités
en urgence Damien Saboundjian l’équipage de police et l’homme nationale (IGPN), puis à la barre avait exhorté dicat Unité SGP Police-FO, était qui, selon lui, ont manqué à l’ac-
par une porte arrière. en fuite dont une dénonciation de la cour d’assises, qu’il avait venu dire à la barre : « On aurait cusé, homme aux nerfs fragiles
Les cris « la police tue et la justice anonyme leur avait signalé la pré- menti. « Pression par la voie syn-
les jurés à ne pas tous pu être à la place de Damien dans un corps de colosse, qui avait
acquitte ! » résonnaient encore sence dans les rues de Noisy-le- dicale. Pression sur les témoins rendre une Saboundjian. » L’avocat général confié être entré dans la police
lorsque la sœur de la victime, Sec (Seine-Saint-Denis), l’avocat pour qu’ils ne viennent pas dépo- avait répondu : « Les policiers méri- parce qu’il « en aimait l’uniforme »,
Amal Bentounsi, s’est approchée général s’était livré à une décons- ser. Mensonges d’un policier. Ça
décision pouvant tent notre respect et notre soutien après s’être essayé à la pâtisserie
du pupitre de l’avocat général qui truction méthodique de la thèse fait beaucoup ! », s’était exclamé « être interprétée mais leur travail, qui est d’interpel- parce qu’il était « gourmand » et
observait la scène d’un air grave. soutenue par l’accusé, selon la- Loïc Pageot avant d’observer : « Je ler les délinquants, ne peut s’exercer avoir « raté l’épreuve de choco-
« Merci pour ce que vous avez dit », quelle il avait tiré alors qu’il était vous laisse imaginer ce qui se se-
comme un que sous le contrôle de la loi et pas à laterie ». « Aujourd’hui, Damien
a-t-elle murmuré en lui tendant la braqué par Amine Bentounsi. rait passé s’il n’y avait pas eu une permis de tuer » n’importe quelles conditions. » Saboundjian est opérateur au 17.
main. « J’ai essayé mais je n’ai pas D’une voix ferme, il avait dé- enquête de l’IGS [Inspection gé- Mais demain, il pourrait revenir sur
été suivi », lui a répondu Loïc noncé les « mensonges » énoncés nérale des services, fusionnée « Une victime est une victime » le terrain. Il faut prévenir les risques
Pageot en ajoutant qu’il allait au début de l’enquête par le coé- depuis avec l’IGPN]. Sans IGS, pas stimé que ces conditions n’étaient Aux jurés de ce département, d’un nouveau dérapage, il n’est pas
demander au parquet général de quipier du brigadier, qui avait af- d’instruction, pas de procès, et Da- pas réunies : « L’impact de la balle considéré comme l’un des plus fait pour être policier », avait ajouté
faire appel du verdict. firmé lui aussi avoir vu le fuyard mien Saboundjian aurait été féli- n’est pas dans la poitrine, pas sur criminogènes du pays et dont Loïc Pageot, pour justifier ses ré-
Quelques heures plus tôt, l’avo- braquer son collègue. Confronté cité pour son acte de bravoure ! » l’abdomen ou sur le flanc. Il est en l’histoire, émaillée de heurts vio- quisitions d’interdiction profes-
cat général avait requis une peine à la reconstitution des faits et L’avocat général avait ensuite plein milieu du dos. Et la version la lents entre une partie de la popu- sionnelle définitive.
de cinq ans d’emprisonnement aux dépositions des témoins, exposé les raisons pour lesquel- plus cohérente, c’est qu’à cet ins- lation et sa police, nourrit une A un accusé qui n’a jamais dévié
les, selon lui, la légitime défense tant, Amine Bentounsi s’enfuit et profonde défiance réciproque, de sa ligne de défense – « Je ne sais
ne devait pas être retenue par la qu’on lui a tiré dans le dos ! Tout dé- Loïc Pageot avait demandé de ne pas ce que je fais devant une cour
Des collectifs mobilisés cour et les jurés en faveur de l’ac- montre le manque de discerne- pas fonder leur intime conviction d’assises. J’ai tiré parce que j’ai failli
cusé. « La légitime défense ne se ment de Damien Saboundjian, la sur le lourd casier judiciaire mourir. C’était lui ou moi. J’ai fait
Amal Bentounsi, la sœur d’Amine Bentounsi, a fondé le collectif présume pas, elle doit être objecti- panique qui le gagne. Bien évidem- d’Amine Bentounsi. « Les mêmes mon travail correctement pour
« Urgence, notre police assassine », pour dénoncer les violences vement vraisemblable », avait-il ment, il ne veut pas tuer Amine règles s’appliquent à tous les ci- protéger ma vie » –, l’avocat géné-
policières. D’autres collectifs s’étaient mobilisés pour ce procès, souligné en évoquant les trois Bentounsi, il veut le neutraliser et il toyens. Une victime est une vic- ral avait demandé de réagir au rap-
comme « Stop le contrôle au faciès ». Sihame Assbague, sa porte- conditions nécessaires à son éta- essaie de le toucher. Il a voulu l’in- time. Et dans ce dossier, Amine port de l’expert psychologue se-
parole, qui avait vu dans la relaxe des policiers dans l’affaire Zyed blissement : simultanéité des terpeller coûte que coûte. Et cela, la Bentounsi est la victime », avait-il lon lequel il avait « du mal à se re-
et Bouna un exemple de « l’impunité policière » qui règne dans un faits, proportionnalité de la ri- loi ne le permet pas. » rappelé, avant de les exhorter à ne mettre en cause et à reconnaître
pays en proie à un « racisme institutionnel », a dénoncé une poste et état de nécessité absolue. Dans ce palais de justice de Bobi- pas rendre une décision suscepti- ses erreurs ». Damien Saboundjian
« énième injustice » vendredi 15 janvier. Le 18 mai 2015, les deux Rappelant que les quatre té- gny, théâtre récurrent de haute ble « d’être interprétée comme un lui avait spontanément répondu :
policiers poursuivis pour la mort de Zyed et Bouna, ces deux ado- moins de la scène avaient décrit tension entre les magistrats et les permis de tuer ». « Quelles erreurs ? » Vendredi
lescents morts en 2005 à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en une course-poursuite et qu’aucun fonctionnaires de police, où pen- « L’immense majorité des poli- 15 janvier, la majorité de la cour et
fuyant un contrôle de police, avaient bénéficié d’une relaxe défi- d’entre eux n’avait vu le fuyard se dant cinq jours, des gardiens de la ciers fait un travail remarquable, des jurés de Seine-Saint-Denis a
nitive. Siyakha Traoré, le frère de Bouna, était lui aussi venu retourner avant d’être mortelle- paix s’étaient relayés pour témoi- avait conclu l’avocat général. Mais apporté la même réponse. p
à l’audience à Bobigny soutenir la famille Bentounsi. ment atteint, Loïc Pageot avait gner de leur soutien indéfectible à certains ne sont pas à leur place pascale robert-diard

La crise migratoire invisible dans les statistiques françaises

Le nombre de demandes d’asile n’a que légèrement augmenté en 2015. Au total, 2,7 millions d’étrangers vivent en France avec un titre de séjour

S’ il y a bien une crise que la

France ne connaît pas,
c’est la « crise migra-
toire ». Rendues publiques ven-
dredi 15 janvier par la Direction gé-
nérale des étrangers en France
(DGEF), les statistiques de 2015
portent à peine trace du million
de réfugiés qui a franchi les portes
de l’Europe cette année-là. Preuve
que l’importance des migrants
dans le débat public est bien inver-
sement proportionnelle à leur
présence sur le territoire.
Seul indice d’une année hors du
commun, le nombre de deman-
des d’asile déposées dans l’Hexa-
gone a crû sensiblement. Cette
hausse du nombre de dossiers en-
registrés s’est faite en septembre
et sur le dernier semestre. Au
31 décembre, la France comptabili-
sait 22 % de demandeurs supplé-
mentaires par rapport à 2014.
Mais elle plafonne à 79 100 dos-
siers quand l’Allemagne en a enre-
gistré plus de 400 000 fin novem-
bre (source Eurostat) et en es-
compte beaucoup plus, une fois le
retard rattrapé. Même si elle est ré-
duite, cette hausse est le seul indi-
cateur concret en France qu’une
crise migratoire majeure se dé-
roule à nos portes. Pour le reste, les
statistiques sur les étrangers en
France restent sur la même ligne
que les années précédentes.
Alors que près de 4 000 migrants
sont morts sur les routes de l’exil
en 2015, la France n’a pas multiplié
sa délivrance de visas d’asile. Oc-
troyés dans le but de permettre
aux futurs réfugiés de venir dépo-
ser une demande d’asile en
France, ceux-ci n’ont bénéficié
qu’à 1 800 Syriens et 2 286 Ira-
kiens. La DGEF précise qu’« elle a
offert d’autres voies d’entrées
comme l’octroi d’autres types de vi-
sas classiques » aux Syriens. Reste
que le ministère de l’intérieur pré-
fère ne pas dire lesquels, comme il
tait les nationalités qui ont majo-
ritairement essuyé les 358 771 re-
fus de visas en 2015 (en hausse de
17,6 % par rapport à 2014).
A l’inverse, les expulsions
d’étrangers en situation irrégu-
lière (hors Union européenne) ont
augmenté de 11 % en 2015, avec un
peu plus de 6 300 personnes ren-
voyées vers leur pays. Quelques-
uns proviennent de la « jungle » de
Calais et certains ont été, en 2015,
renvoyés vers le Soudan, alors que
la France avait arrêté les expul-
sions vers ce pays depuis plusieurs
années, après une condamnation
de cette pratique par l’Europe. Si
on ajoute les renvois vers un autre
pays de l’Union européenne,
15 485 personnes ont été concer-
nées par un éloignement, soit 2 %
de plus qu’en 2014.
Tapis rouge
Globalement, 2015 n’a pas été non
plus une année différente des pré-
cédentes pour la délivrance de ti-
tres de séjour. Leur nombre s’est
élevé à 212 365 (contre 210 940
en 2014). La majorité de ces titres
concerne des motifs familiaux
(90 000), auxquels s’ajoutent
66 520 étudiants. Le ministère de
l’intérieur se félicite des 2,3 %
d’augmentation de cette dernière
catégorie.
Les étudiants sont en effet un
maillon fort au sein du pôle des
« immigrés choisis ». Si le gouver-
nement réfute ce concept trop
marqué à droite, certains entrants
voient tout de même le tapis
rouge se dérouler sous leurs pieds.
Même s’ils ne sont pas nombreux,
c’est le cas des 230 personnes en-
trées avec la carte de séjour « com-
pétences et talents », des 3 810 qui
ont obtenu un visa « scientifique »
et des 185 sous visa « artiste ».
Trois catégories que la nouvelle loi
sur les titres de séjour, qui sera dis-
cutée en commission des lois de
l’Assemblée nationale mercredi
20 janvier, veut encore choyer un
peu plus.
Aujourd’hui, 2 734 413 personnes
vivent en France avec un titre de
séjour. Avec les ressortissants de
l’Union européenne, qui ne sont
pas comptabilisés là, ce sont quel-
que 4 millions d’étrangers qui évo-
luent sur le territoire, selon la
DGEF. Et la nationalité française,
qui était acquise par 90 000 per-
sonnes chaque année en 2009 et
2010, n’a été octroyée qu’à 86 608
personnes en 2015. p
maryline baumard
8 | france
Orientation : qui doit décider en fin de collège ?
L’inspection générale et les acteurs de l’éducation critiquent l’expérience donnant le dernier mot aux parents
U
n « leurre », estiment,
au sein de la commu-
nauté éducative, les
enseignants les plus
rétifs à cette expérimentation.
Une « mesure d’affichage », un
« dispositif périphérique », lâchent
ceux qui se disent pourtant con-
vaincus de l’urgence à réformer
l’orientation. Les deux camps se
rejoignent pour regretter la « ma-
ladresse » de l’appellation donnée
à l’expérience lancée par la gauche
en 2013, dans une centaine de col-
lèges : « Le dernier mot aux pa-
rents », et non aux conseils de
classe, en matière d’orientation en
fin de 3e. L’inspection générale de
l’éducation nationale elle-même
livre un regard sans complaisance
sur la mesure, dans un rapport
rendu public le 10 janvier.
Beaucoup d’acteurs de l’éduca-
tion doutent que les destinées sco-
laires mettent encore nécessaire-
ment aux prises, en 2015, équipes
éducatives et familles. Et que con-
fier aux parents le libre choix du
lycée – ou en tout cas de sa voie, gé-
nérale, technologique ou profes-
sionnelle – suffise pour lutter con-
tre l’« orientation subie ».
« Il y a, dans cette mesure, une di-
mension coup de buzz », reconnaît
le sociologue François Dubet, plu-
tôt favorable à la loi d’orientation
sur l’école de juillet 2013, qui, dans
son article 48, a rendu possible
l’expérimentation sur trois ans.
« Mais s’il est absurde – et de plus en
plus rare – que des professeurs
orientent un élève dans une filière
où il ne veut pas aller, ça ne l’est pas
moins que des parents l’envoient là
où il ne pourra pas suivre », relève-
t-il. De fait, les familles qui font ap-
pel de l’avis du conseil de classe ne
sont pas légion : quelque 4 000 en
fin de 3e, estime-t-on. Une goutte
d’eau rapportée aux 3,3 millions de
collégiens.
« Hypocrisie du système »
Sans parler d’absurdité, l’inspec-
tion générale, chargée d’évaluer
l’expérimentation amorcée dans
cent sept établissements de treize
académies volontaires à la rentrée
2013, n’a rien caché de ses réserves.
Sur la « rigueur de la construction
Après l’assaut de Saint-Denis, les habitants attendent un logement
La ville et la préfecture se renvoient la responsabilité de reloger les 70 personnes évacuées du bâtiment où s’étaient réfugiés les terroristes
V oilà deux mois qu’ils at-
tendent et un quart d’en-
tre eux seulement ont re-
trouvé un toit durable. Les habi-
tants évacués de la rue du Cor-
billon, à Saint-Denis (Seine-Saint-
Denis), ont l’impression d’être les
victimes oubliées de l’assaut
donné par les policiers du RAID, le
18 novembre 2015, contre l’im-
meuble où s’étaient réfugiés cer-
tains des terroristes du 13 novem-
bre. Depuis deux mois, un bras de
fer s’est engagé entre la municipa-
lité et la préfecture de Seine-Saint-
Denis pour savoir qui doit reloger
ces 70 personnes.
Après avoir été hébergées dans
un gymnase de la ville, les familles
Lors d’un conseil de classe de 3e, au collège Georges-Méliès, à Paris. CORSAN OLIVIER/MAXPPP
méthodologique » et le panel « trop
incertain » des établissements
d’abord – des collèges où, souvent,
les décisions d’orientation ne don-
nent pas lieu à contestation –,
peut-on lire dans son rapport.
Mais, surtout, sur le devenir de ces
jeunes orientés selon les vœux de
leurs familles, parfois contre l’avis
du conseil de classe.
Le portrait-robot des jeunes con-
cernés par l’expérimentation n’est
guère surprenant : ce sont des ado-
lescents « scolairement moyens »,
avec 10,7/20 de moyenne générale
en 3e, et « d’origine sociale mo-
deste », notent les inspecteurs. Or,
sans suivi du collège au lycée, sans
accompagnement particulier, leur
passage dans la voie générale
ont été réparties dans des résiden-
ces hôtelières en attendant que
des propositions de logement pé-
renne leur soient faites. Le 24 no-
vembre, Sylvia Pinel, la ministre
du logement, l’avait assuré : « L’Etat
mobilisera son propre contingent
pour reloger les familles dans un lo-
gement digne et adapté. » Le 3 dé-
cembre, le préfet à l’égalité des
chances avait même promis une
« procédure accélérée ». Pourtant,
les logements semblent arriver au
compte-gouttes.
La ville a mobilisé son bailleur,
Plaine commune habitat (PCH),
pour prendre en charge 14 ména-
ges (familles ou célibataires).
Vingt-deux propositions de loge-
s’avère décevant : les taux de re-
doublement et de réorientation
vers la voie professionnelle vont,
selon les académies, « du tiers à la
moitié », observent les rappor-
teurs. On est loin, très loin, de la
promesse de campagne de Fran-
çois Hollande en 2012 : réduire de
moitié le nombre de décrocheurs.
« Déception », « risque de rup-
ture », « poids des préjugés et des
présupposés »… Les risques mis en
avant dans le rapport n’ont rien
de mineurs, d’autant qu’ils sem-
blent nourrir ce même détermi-
nisme social que l’expérimenta-
tion est précisément censée con-
trecarrer, en favorisant les élèves
qui disposent des codes de l’école
sans que l’on soit sûr qu’elle avan-
ment ont été faites, huit ménages
sont rentrés dans leur nouvel ap-
partement et un neuvième vient
tout juste de s’en voir attribuer un.
« On est dans une telle situation de
pénurie qu’on ne peut pas aller plus
loin », estime-t-on à la direction de
Plaine commune habitat. La situa-
tion est tendue : pas moins de
7 500 demandes de HLM sont en
attente pour un taux de vacance de
moins de 1 %. « Il faut que l’Etat pi-
lote le processus de relogement.
Nous n’avons pas d’interlocuteur, ni
de cadre de travail en commun »,
regrette la municipalité.
La préfecture assure faire de son
mieux. « Nous nous sommes mis
d’accord avec la ville pour prendre
tage les moins informés. « Ce sont
là des risques, à l’institution de les
prendre en compte », tempère
l’inspecteur Aziz Jellab qui a coor-
donné le rapport, en insistant sur
un « effet qualitatif non négligea-
ble : le resserrement des liens avec
les familles ».
« Statistiquement, l’expérimenta-
tion n’a quasiment pas eu d’impact
sur les flux d’élèves », ajoute-t-il.
Autrement dit, elle n’a guère en-
traîné d’augmentation ou de di-
minution majeure des taux de
passage vers la 2de générale et tech-
nologique (63 % des élèves) ou vers
le second cycle professionnel
(24 %). Et pour cause : les possibili-
tés d’accueil, l’offre réelle de for-
mation, la hiérarchie faite entre les
la moitié des 36 ménages concer-
nés. Nous avons fait douze proposi-
tions sur notre contingent dans le
93 et trois dans d’autres départe-
ments. Six autres sont en cours », af-
firme Philippe Galli, le préfet.
« Anxiété »
Ce dernier s’avoue « agacé » par
l’attitude des élus : « C’est un peu fa-
cile de me “fourguer” tous les pro-
blèmes ! J’ai 85 000 demandes dans
le département pour 2 500 loge-
ments vacants chaque année. Nous
faisons notre meilleur effort et en-
tendons que la ville fasse le sien. »
Les habitants comme leurs sou-
tiens estiment pourtant que, de-
puis le début de l’affaire, l’Etat n’est
filières n’ont pas, de leur côté, évo-
lué. « Hypocrisie du système »,
murmure-t-on dans les cercles
d’enseignants.
Faut-il, dès lors, prolonger l’expé-
rimentation ? En l’inaugurant, l’ex-
ministre déléguée à la réussite
éducative, George Pau-Langevin,
avait été claire : « Nous prenons le
pari que laisser le dernier mot aux
familles peut augmenter le succès
des élèves, avait-elle expliqué.
Nous allons évaluer, et nous décide-
rons ensuite si nous généralisons
ou si nous arrêtons. » Trois ans – ou
presque – sont passés, et du côté
des syndicats d’enseignants
comme des parents, on ne prône
pas nécessairement la poursuite
« en l’état ».
pas à la hauteur de la situation
créée par l’intervention des forces
de l’ordre. « Depuis les déclarations
de Sylvia Pinel engageant toutes les
parties à s’y mettre, on a eu des réu-
nions avec la mairie mais aucune
avec la préfecture », souligne Si-
mon Le Her, responsable de l’asso-
ciation Droit au logement (DAL).
« On est dans l’anxiété vu le peu de
propositions de relogement », ra-
conte N’Goran Aloua, porte-parole
de l’Association des victimes du 48
(l’immeuble a une entrée au 48,
rue de la République). Le jeune
homme explique que de nom-
breux occupants de la rue du Cor-
billon s’estiment « méprisés » par
les autorités. D’autant que les habi-
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
L’expérimentation
n’a guère entraîné
d’augmentation
ou de diminution
majeure des taux
de passage vers
la 2de générale
et technologique
« L’expérimentation est intéres-
sante, mais mal conduite », estime-
t-on du côté de la FCPE, principale
fédération de parents d’élèves qui
réclame pourtant, de longue date,
une telle mesure. « Le dispositif est
isolé en Europe, fait valoir Eric
Charbonnier, expert auprès de
l’OCDE. Alors que l’institution ne
cesse de mettre en avant l’autorité
des enseignants, ce dernier mot a
quelque chose d’étonnant. Mieux
vaudrait réfléchir à l’alternative à
offrir au redoublement » – qui a
chuté, en France, de quasi dix
points ces dernières années sans
vrai recours proposé aux élèves.
« C’est un choc culturel pour les
enseignants, reconnaît Christian
Chevalier, du SE-UNSA. Il faut for-
mer tous les acteurs pour que le
“dernier mot” soit profitable. » « Cet
accompagnement institutionnel
est-il réellement opportun ?, inter-
roge le proviseur Philippe Tour-
nier, du SNPDEN-UNSA. Cela fait
vingt ans qu’en matière d’orienta-
tion on promeut le dialogue. Une
forme de dernier mot qui ne dit pas
son nom. En faire un droit, n’est-ce
pas prendre le risque d’un raidisse-
ment des comportements ? »
« C’est parce qu’on est conscients
de ces risques que l’on est en me-
sure, aujourd’hui, de recentrer nos
objectifs », fait-on valoir dans l’en-
tourage de Najat Vallaud-Belka-
cem, en promettant des annonces
en février ou mars. Entre-temps,
assure-t-on au ministère de l’édu-
cation, la « dynamique sera de plus
en plus favorable », avec un nom-
bre croissant de collèges volontai-
res. Ceux-ci sont passés à trois cent
dix à la rentrée 2015. p
mattea battaglia
tants sans papiers, qui devaient
voir leur situation examinée avec
bienveillance, n’ont pas de ré-
ponse à leur demande. « On veut
qu’on nous parle et qu’on nous en-
tende », insiste M. Aloua.
Avec le DAL et le soutien de la
ville, ceux du « 48 » réclament des
réparations. Ils prévoient de mani-
fester, lundi 18 janvier, pour obte-
nir une reconnaissance du statut
de victime. La préfecture leur a ac-
cordé un rendez-vous, le lende-
main, avec Fadela Benrabia, pré-
fète à l’égalité des chances. « Nous
allons leur expliquer les difficultés.
Le relogement peut prendre plu-
sieurs mois », prévient M. Galli. p
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10 | géopolitique 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016

Né en 1970, Jon Lowenstein

vit à Chicago. Depuis près
d’une décennie, ce photographe
américain travaille sur les raisons
structurelles de la violence
urbaine : pauvreté, forte
immigration, crise du logement…
Le réseau d’« El Chapo » s’est
naturellement implanté
à Chicago, où vit une importante
communauté mexicaine. Pour
contrer la logique de gang qui
régit les quartiers pauvres, des
associations tentent des actions,
par exemple les « ceasefire weeks »
(« semaines de cessez-le-feu »).
JON LOWENSTEIN/NOOR

Contrôle de police dans « “Chapo” Guzman, Jésus-hrist t’aime », peut-on

le 10e district de Chicago. lire sur cette pancarte de l’Eglise Psalms 100.

Le monde selon «El Chapo»

Né dans la misère, ce fils
de paysans mexicains a réussi
à bâtir un empire de la drogue,
cartels colombiens, « El Chapo » a pris pied Mais son coup de génie reste l’invention
mexico - correspondance
dont les ramifications s’étendent

C’
est le plus célèbre narco-
trafiquant de la planète :
Joaquín Guzman Loera,
chef du cartel de Sinaloa,
surnommé « El Chapo »
(« le petit »), de par sa taille
(1,64 m) inversement proportionnelle à son
envergure mafieuse. Parti de rien, ce Mexi-
cain presque analphabète a révolutionné le
narcotrafic mondial. Remis sous les verrous
le 8 janvier, après son évasion spectaculaire
d’une prison mexicaine, le 11 juillet 2015, le
criminel a su profiter de la mondialisation
pour partir à la conquête de la planète.
Misant sur des innovations technologi-
ques pour transporter la drogue, la diversifi-
cation des stupéfiants et l’extension des
marchés grâce à des alliances stratégiques à
l’international, « El Chapo » a créé une multi-
nationale du crime, implantée sur les cinq
continents. « La présence du cartel de Sinaloa
a été identifiée dans cinquante-huit pays »,
souligne Edgardo Buscaglia, spécialiste du
narcotrafic à l’université Columbia, à New
York. Selon lui, l’organisation criminelle est
la plus puissante dans son pays d’origine et
la troisième au niveau mondial, après les
yakuzas japonais et la mafia russe.
Le cartel de Sinaloa porte le nom de son
fief, un Etat du nord-ouest du Mexique, ber-
ceau du narcotrafic. Aujourd’hui, l’organisa-
tion s’étend sur dix-sept des trente et un
Etats mexicains, la plupart situés à l’ouest
du pays. Elle est leader aux Etats-Unis, pre-
mier marché mondial de la drogue, y déte-
nant le tiers du trafic de cocaïne et plus de
60 % de ceux de l’héroïne et des métham-
phétamines. Son ouverture sur le Pacifique
lui a aussi permis de renforcer sa présence
en Asie et en Océanie.
Grâce au contrôle des routes internationa-
les de la drogue, autrefois détenues par les
en Europe, en Afrique et, plus récemment,
au Moyen-Orient. « A la différence du défunt
Pablo Escobar, chef du cartel colombien de
Medellin tué en 1993, El Chapo ne s’implique
pas dans la vie politique de son pays, com-
mente M. Buscaglia. Il gère son gigantesque
empire comme un homme d’affaires. »
L’histoire de ce champion du crime orga-
nisé débute dans l’Etat de Sinaloa. Selon les
sources, « El Chapo » est né le 25 décem-
bre 1954, ou le 4 avril 1957, à La Tuna, un ha-
meau perdu dans les montagnes. C’est dans
cette région escarpée que se situe le « trian-
gle d’or » de la production et du transport de
la marijuana et du pavot. La plupart des
grandes familles mafieuses mexicaines – les
Carrillo Fuentes, Arellano Félix et Beltran
Leyva –, viennent de cette zone stratégique
du narcotrafic qui chevauche les Etats de Si-
naloa, de Durango et de Chihuahua.
La « Sicile du Mexique »
« La région a fourni légalement de la morphine
aux soldats américains durant la seconde
guerre mondiale, raconte Alejandro Hope, an-
cien membre des services secrets mexicains.
Après, la prohibition des stupéfiants a
plongé les paysans locaux dans l’illégalité.
“El Chapo” est l’héritier de ces villageois de la
Sierra Madre occidentale avec leur culture
clanique de contrebandiers. »
Dans cette « Sicile du Mexique », l’enfance
d’« El Chapo » est marquée par la misère. Ce
fils de paysans pauvres arrête sa scolarité en
primaire pour vendre des fruits sur les mar-
chés. « J’ai grandi à La Tuna, a-t-il raconté à
Sean Penn, dans une interview publiée par le
magazine Rolling Stone, le 9 janvier, le lende-
main de son arrestation. Dans cette zone, il
n’y avait pas et il n’y a toujours pas d’emplois.
La seule façon d’obtenir de l’argent pour
acheter de quoi manger et survivre est de cul-
tiver du pavot, de la marijuana. A 15 ans, j’ai
jusqu’en Europe et en Asie
donc commencé à en planter et à en vendre. »
Un oncle l’initie au narcotrafic, seule possi-
bilité d’ascension sociale dans la région. Le
jeune loup rejoint vite les rangs du cartel de
Guadalajara, dirigé par Miguel Angel Felix
Gallardo, alias « El Padrino » (« le parrain »), un
ancien policier. L’organisation produit et ex-
porte de la marijuana et de l’héroïne aux
« LA PRÉSENCE Etats-Unis. Mais elle reste l’intermédiaire lo-
DU CARTEL gistique des cartels colombiens de Medellin et
de Cali pour le trafic de cocaïne, plus lucratif.
DE SINALOA A ÉTÉ En 1989, « El Padrino » est arrêté. Son orga-
nisation éclate en trois cartels concurrents,
IDENTIFIÉE DANS ceux de Tijuana, Ciudad Juarez et Sinaloa. « Le
CINQUANTE-HUIT cartel d’“El Chapo” est une fédération de ba-
rons de la drogue, tous issus des villages du
PAYS » “triangle d’or”, explique M. Buscaglia. Chacun
gère sa propre organisation avec le soutien
EDGARDO BUSCAGLIA des autres. La structure n’est pas pyramidale,
spécialiste du narcotrafic mais horizontale, avec un management basé
à l’université Columbia, sur les liens du sang, gage de loyauté. »
à New York « El Chapo » n’est alors qu’un des sous-
chefs de cette fédération mafieuse. Sa créati-
vité et son culot lui permettent de vite pren-
dre du galon en gérant la zone frontalière de
la ville de Mexicali, dans le nord-ouest du
pays. Sa cocaïne arrive de Colombie à bord
d’avionnettes, de navettes rapides ou de
sous-marins, équipés de vannes pour couler
quand les gardes-côtes apparaissent. Pour
passer la frontière américaine, la poudre est
ensuite cachée à l’intérieur de concombres
en plastique, de galettes de maïs fourrées ou
de planches de surf à double fond.
des « narcotunnels ». Son premier souter-
rain est découvert en 1990 par l’agence anti-
drogue américaine (DEA). Il relie la ville
d’Agua Prieta dans l’Etat mexicain de Sonora
à celle de Douglas en Arizona. Au Mexique,
un robinet dans le jardin d’une maison ac-
tionne un levier qui ouvre une trappe dissi-
mulée sous une table de billard donnant ac-
cès à un tunnel de 100 mètres de long qui
mène de l’autre côté de la frontière dans un
entrepôt américain.
Le « Seigneur des tunnels »
En quinze ans, la DEA a identifié plus de
170 souterrains identiques, dont la plupart
sont attribués à « El Chapo ». Certains sont
équipés d’ascenseurs, d’un système de ven-
tilation, de portes hydrauliques et de rails
pour transporter les paquets de stupéfiants
sur des wagonnets pilotés électronique-
ment. Cette technicité, qui intensifie le trafic
de drogue vers les Etats-Unis, lui vaut le sur-
nom de « Seigneur des tunnels ».
Dès les années 1990, alors qu’« El Chapo »
est encore un second couteau, son succès
croissant suscite la convoitise. Le
24 mai 1993, il aurait échappé de justesse à
un attentat à l’aéroport de Guadalajara, capi-
tale de l’Etat de Jalisco, dans l’ouest du pays.
Selon le ministère public, l’attaque aurait été
commanditée par les frères Arellano Félix, à
la tête du cartel concurrent de Tijuana. Lors
de l’attentat, le cardinal de Guadalajara, Juan
Jesus Posadas Ocampo, meurt sous les balles.
Contestée par l’Eglise catholique, la ver-
sion officielle fera sortir de l’ombre « El
Chapo ». Ce dernier est alors contraint de
fuir au Guatemala, où il est arrêté quelques
jours plus tard. Extradé au Mexique, il est
condamné à vingt ans de prison, puis en-
fermé dans le pénitencier de haute sécurité
de Puente Grande, dans l’Etat de Jalisco.
Selon son profil psychologique, élaboré par
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016 géopolitique | 11

Des coups de feu

viennent d’éclater
dans le district
de South Shore,
à Chicago.

Face à la recrudescence des contrôles doua-

le ministère public, l’homme possède un
goût prononcé pour l’exercice du pouvoir et
une tolérance limitée à la frustration.
La prison devient vite son royaume. Il sou-
doie les gardiens et même le directeur. Der-
rière les barreaux, « El Chapo » transmet ses
consignes à ses avocats, à son frère, Arturo
Guzman Loera, alias « El Pollo » (« le jeunot »)
et à l’un de ses fils, Ivan Archivaldo Guzman. A
l’extérieur, ses associés, Ismael « El Mayo » (di-
minutif de « Mario », son deuxième prénom)
Zambada et Juan José Esparragoza, surnommé
« El Azul » (« le basané »), assurent les affaires
courantes. Pour échapper à une demande
d’extradition aux Etats-Unis, il s’évade, le
19 janvier 2001, dans un chariot de linge sale.
Sa cavale durera treize années durant les-
quelles il prendra son envol international
grâce à des alliances avec les principales ma-
fias de la planète. Profitant du déclin des car-
tels colombiens, « El Chapo » se lance à la con-
quête des principales routes de la drogue. Ce
fin négociateur nouera d’abord des liens avec
les gangs colombiens, dont Los Urabeños et
La Oficina de Envigado, nés de la fragmenta-
tion des cartels de Medellin et de Cali.
« El Chapo » s’alliera ensuite à la guérilla
des Forces armées révolutionnaires de Co-
lombie (FARC), impliquées dans le trafic de
drogue. Il tissera aussi des liens avec les
gangs centraméricains, Maras ou Texis, de-
venus ses intermédiaires pour acheminer sa
drogue jusqu’au Mexique. « Parallèlement,
“El Chapo” développe les marchés des mé-
thamphétamines et de l’héroïne, moins chè-
res que la cocaïne et plus rentables que la ma-
rijuana », explique M. Hope en précisant que
le récent boom des drogues de synthèse et la
légalisation du cannabis dans certains Etats
américains lui ont donné raison.
Emprise sur les cinq continents
Dans les années 2000, Chicago devient sa
principale plate-forme de distribution aux
Etats-Unis, où sa tête est mise à prix 5 mil-
lions de dollars par le gouvernement. Peu à
peu, le cartel de Sinaloa ne se contente plus
de livrer la drogue de l’autre côté de la fron-
tière. « Il dispose de relais locaux chargés du
transport, de la distribution et de la vente de
drogue dans presque chacun des cinquante
Etats américains », s’inquiète un rapport de
la DEA déclassifié en 2015.
Aujourd’hui, le réseau mafieux d’« El
Chapo » s’étend de l’Argentine au Canada.
Une position dominante que Guzman utilise
comme tremplin pour gagner des marchés
sur les autres continents. « C’est par la mer
La police
procède à
l’arrestation
d’un
homme.
que passe plus de 70 % du trafic de drogue à
« POUR ATTEINDRE l’échelle mondiale, explique la journaliste Ana
L’EUROPE, Lilia Perez, auteure du livre Mares de cocaina
(« les mers de la cocaïne », 2014, non traduit).
“EL CHAPO” Le cartel de Sinaloa crée des sociétés-écrans
qui transportent la drogue cachée dans leurs
PRIVILÉGIE LES PAYS embarcations ou dans leurs cargaisons. »
DE TRANSIT, OÙ La route de l’Atlantique mène directement
aux ports européens ou passe par ceux
LES INSTITUTIONS d’Afrique du Nord et de l’Ouest, moins con-
trôlés. « Pour atteindre l’Europe, “El Chapo”
SONT FAIBLES » privilégie les pays de transit, où les institutions
ANA LILIA PÉREZ sont faibles et poreuses à la corruption politi-
journaliste que », souligne Mme Perez. Le 8 août 2012, le
cousin d’« El Chapo », Jesus Manuel Gutiérrez
Guzman, est arrêté en Espagne, accusé de su-
perviser le transport d’un chargement de
373 kilos de cocaïne en provenance du Brésil.
Des rapports du ministère public mexicain
identifient la présence d’autres cellules du
cartel de Sinaloa en Grande-Bretagne, en
Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et même
en France. Pour M. Buscaglia, « des accords
avec les mafias italiennes’Ndrangheta et Sa-
cra Corona Unita lui ont ouvert les portes de
l’Europe. “El Chapo” a aussi tissé des liens
avec de plus petites organisations locales,
comme la mafia corse et celle des Asturies, en
Espagne ».
niers, « El Chapo » mise sur une deuxième
route maritime de la drogue passant par
l’Afrique du Sud jusqu’au canal de Suez, pour
atteindre les pays d’Europe de l’Est par la
mer Méditerranée avec l’appui de la mafia
russe. Récemment, son cartel a été détecté
au Moyen-Orient, où le narcotrafiquant
tente de pénétrer de nouveaux marchés.
L’autre route de la drogue privilégiée par
« El Chapo » passe par le Pacifique, menant
jusqu’en Asie et en Océanie, grâce à l’aide
des mafias chinoise, les triades, et japonaise,
les yakuzas. Sa drogue se vend en masse en
Australie, où le prix de la cocaïne bat des re-
cords. Selon la DEA, les triades envoient en
sens inverse des produits chimiques,
comme l’éphédrine, à la base des drogues
synthétiques, que le cartel de Sinaloa récep-
tionne sur la côte pacifique du Mexique.
L’ultime maillon de la chaîne mafieuse reste
le blanchiment de l’argent sale, profitant des
failles du système financier mondial. En 2012,
l’affaire HSBC a révélé que la première banque
britannique avait blanchi durant des années
les milliards du cartel de Sinaloa.
« A partir d’un enchevêtrement de sociétés-
écrans, basés dans des paradis fiscaux, “El
Chapo” place aussi son argent dans des fonds
d’investissement ou des bons émis par le gou-
vernement mexicain, explique Edgardo Bus-
caglia. Il se fait également payer en nature ses
cargaisons de cocaïne, important ainsi léga-
lement au Mexique des produits venant de
Chine ou d’Afrique du Nord. » Le spécialiste
précise que le cartel de Sinaloa étend alors
ses activités à d’autres activités licites ou illi-
cites, de la piraterie au trafic d’armes, du BTP
aux casinos. Selon ses recherches, 70 % à
80 % de l’argent sale est ainsi blanchi dans
l’économie légale mexicaine.
En vingt ans, « El Chapo » a ainsi bâti un
empire international, dont la base arrière
reste le Mexique. En 2000, l’élection du pré-
sident Vicente Fox, du Parti d’action natio-
nale (PAN, droite), marque la fin de soixante
et onze ans de pouvoir sans partage du Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI, centre).
A la faveur de l’alternance démocratique, la
fédération de Sinaloa modifie les rapports
entre le crime organisé et l’Etat, devenant le
plus puissant des cartels mexicains.
Pour M. Hope, « “El Chapo” a profité de l’ar-
rivée au pouvoir du PAN, qui a fait voler en
éclats l’accord tacite entre les cartels et les
gouvernements successifs du PRI, qui assu-
rait la domination du politique sur le narco-
trafic. Cette perte de contrôle de l’Etat central
sur le crime organisé a ouvert une brèche
dans laquelle le cartel de Sinaloa s’est engouf-
fré en dopant son pouvoir corrupteur au sein
des institutions locales ». Une analyse confir-
mée par les recherches de M. Buscaglia, qui
révèlent que plus de sept municipalités sur
dix sont désormais infiltrées par les cartels,
contre un tiers seulement en 2001.
Sa position hégémonique au Mexique, « El
Chapo » l’obtiendra aussi en déclarant la
guerre à ses concurrents. Quelques jours
après sa première évasion en 2001, le aaa

L’acteur américain, la reine du Sud et le fugitif

L e 8 janvier, le président Enrique
Peña Nieto a été le premier à an-
noncer, sur son compte Twitter,
l’arrestation de Joaquin « El Chapo » Guz-
man : « Mission accomplie, nous l’avons
eu. » Pas moins de 2 500 policiers et mili-
taires étaient à ses trousses depuis son
évasion, le 11 juillet 2015, de la prison d’El
Altiplano, dans l’Etat de Mexico, grâce à
un tunnel de 1,5 kilomètre de long. Les
images du souterrain, équipé de rails sur
lesquels était fixée une moto, avaient
fait le tour du monde. L’ampleur de
l’ouvrage représentait un camouflet
pour les autorités.
Ce 8 janvier, les troupes d’élite de la
marine avaient lancé un raid sur une mai-
son de Los Mochis dans l’Etat de Sinaloa,
au nord-ouest du pays, où El Chapo avait
été identifié en compagnie de sa garde
rapprochée. Bilan de la fusillade : cinq
morts et six suspects arrêtés. Le baron de
la drogue s’échappe par un tunnel qui
mène au système de canalisation de la
ville. Une fois revenu à la surface, il vole
un véhicule avec un complice.
Quelques kilomètres plus loin, leur
voiture est interceptée par la police. En
attendant des renforts, les policiers gar-
deront les deux prisonniers dans un
hôtel à proximité. Les premières photos
d’« El Chapo » menotté montrent un
homme hagard, portant un maillot de
corps très sale. La télévision diffusera
plus tard des images de la fusillade,
captées par des caméras miniatures
fixées sur les casques des soldats.
Selon la version officielle, le fugitif a
été trahi par son désir de faire un film
sur sa vie. L’entretien publié par Sean
Penn dans le magazine Rolling Stone, le
lendemain de l’arrestation, révèle que
l’acteur a rencontré le narcotrafiquant,
le 2 octobre 2015, dans les montagnes de
l’Etat de Sinaloa, fief de son cartel. C’est
Kate del Castillo, star de la télévision
mexicaine, qui a organisé le rendez-
vous. « El Chapo » est un fan de cette
actrice de 43 ans, rendue célèbre par son
rôle de baronne de la drogue dans la sé-
rie « La Reine du Sud ». Il était « intéressé
à l’idée de voir son histoire racontée dans
un film, mais il ne faisait confiance qu’à
Kate pour le faire », écrit Sean Penn.
Surveillés par les services de rensei-
gnement, les deux acteurs auraient con-
duit les autorités sur la piste de l’ennemi
numéro un. Le 6 octobre, l’armée a failli
l’arrêter à Tamazula, dans le Sinaloa. Se-
lon le gouvernement, le désir obsession-
nel de revoir Kate del Castillo aurait in-
cité le criminel à quitter ses montagnes
natales pour rejoindre la ville côtière de
Los Mochis, où il a été interpellé.
Cette explication suscite la suspicion
chez les Mexicains, souvent sensibles aux
théories complotistes : 40 % d’entre eux
vont jusqu’à penser que l’homme capturé
n’est pas le leader du cartel de Sinaloa, se-
lon un sondage publié par le quotidien El
Universal, mercredi 13 janvier.
Sinaloa, cartel privilégié
La version officielle de l’évasion d’« El
Chapo » a déjà volé en éclats. Cet été, le
gouvernement avait diffusé, sans le son,
des images de sa fuite, prises par la ca-
méra de vidéosurveillance placée dans
sa cellule. Le 11 juillet à 20 h 52, « El
Chapo » disparaît derrière le muret sépa-
rant la douche du reste de sa cellule. La
même séquence diffusée avec le son, mi-
octobre, par la chaîne mexicaine
Televisa permet d’entendre de forts
coups métalliques, avant que le narco-
trafiquant s’engouffre dans le tunnel, ca-
ché dans la douche.
Ce n’est que trente-sept minutes plus
tard que deux gardiens inspectent la cel-
lule. Il leur faudra encore six minutes pour
déclencher l’alarme, alors que le gouver-
nement assurait que l’alerte avait été don-
née dix-huit minutes après la fuite du pri-
sonnier. La caméra de vidéosurveillance
était pourtant connectée aussi aux servi-
ces de police et de renseignement. Depuis,
seuls 13 fonctionnaires de l’administra-
tion pénitentiaire ont été inculpés.
Les mêmes doutes planent sur la pre-
mière évasion de Joaquin Guzman, le
19 janvier 2001, de la prison de Puente
Grande, dans l’Etat de Jalisco, dissimulé
dans un chariot de linge sale. Cette ver-
sion officielle a été contestée par des en-
quêtes journalistiques. Dans son livre
Los Señores del narco (« les seigneurs du
narcotrafic », 2010, non traduit), la
journaliste mexicaine Anabel Hernan-
dez assure qu’« El Chapo » a quitté la pri-
son par la porte, grâce aux complicités
de hauts fonctionnaires sous la prési-
dence de Vicente Fox (2000-2006), du
Parti d’action nationale (PAN, droite).
Son successeur, le président Felipe
Calderon (2006-2012), lui aussi du PAN, a-
t-il permis à son tour que la cavale d’« El
Chapo » dure treize ans ? « Sa guerre con-
tre le narcotrafic a épargné davantage le
cartel de Sinaloa que ses concurrents »,
constate Edgardo Buscaglia, spécialiste du
crime organisé à l’université de Columbia
(New York).
Cette thèse est au cœur du roman de
l’Américain Don Winslow, The Cartel (édi-
tions Knopf, 2015, en cours de traduc-
tion). Tout comme son précédent
ouvrage, La Griffe du chien (Points, 2008),
le récit s’inspire de la vie d’« El Chapo ».
Winslow suggère que les complicités avec
le narcotrafiquant s’élèvent jusqu’au
sommet de l’Etat. Le réalisateur Ridley
Scott a acheté les droits de The Cartel
pour le cinéma.
Les yeux de l’opinion sont désormais
rivés sur le gouvernement mexicain, qui
a réincarcéré le criminel dans la prison
d’El Altiplano. Selon le sondage d’El Uni-
versal, 77 % des Mexicains craignent que
le criminel s’évade à nouveau ; 54 % d’en-
tre eux réclament son extradition vers
les Etats-Unis. Mexico a fait amende ho-
norable en acceptant de lancer la procé-
dure de transfèrement, mais celle-ci
pourrait prendre des années. p
f. sa.
12 | géopolitique 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016

Le cartel de Sinaloa,
solidement implanté Mexicali ÉTATS-UNIS
au Mexique... Tijuana Ciudad Juarez

LA PLUS GRANDE ENTREPRISE Nogales

CRIMINELLE MEXICAINE
Zone d’influence
Principaux cartels rivaux

Si
Nuevo Laredo

er
Beltran Leyva

ra
Jalisco Nouvelle Génération Reynosa Golfe

M
Matamoros du Mexique

ad
Los Zetas Los Mochis

re
« LE PLUS GRAND BARON Arrêté le 8 janvier 2016 La Tuna de Badiraguato Cocaïne en provenance

oc
DE LA DROGUE », SELON FORBES de Colombie,

ci
ÉTAT DE SINALOA en

d
ta par le Venezuela et le Brésil
Fortune estimée : 1 milliard de dollars le
Mazatlan MEXIQUE
Lieu de naissance d’« El Chapo »
Capturé le 22 février 2014
Résidence où il a été arrêté
Prisons d’où il s’est évadé
UNE GÉOGRAPHIE IDÉALE POUR Pénitentier
LE NARCOTRAFIC de Puente Grande
es Mexico
phétamin d’où il s'évade
Zone montagneuse propice Métham nce d’ Asie
rra

ve n a en 2001
aux cultures illicites en pro
Sie

Zones de culture de cannabis

et de pavot OCÉAN BÉLIZE
Triangle d’or PACIFIQUE
Principaux points de passage Prison de l’Altiplano
GUATEMALA HONDURAS
stratégiques à la frontière Incarcéré en février 2014,
il s'évade le 11 juillet 2015. Arrêté au Guatemala
américaine en 1993
Cocaïne en provenance Il est réincarcéré le 8 janvier
Ports par où transitent les drogues 250 km SALVADOR
de Colombie
Principales routes de la drogue

HELLS ANGELS CANADA EUROPE

MOTORCYCLE CLUB

GANGSTER DISCIPLES MAFIA ’NDRANGHETA

MAFIA ESPAGNOLE MAFIA CORSE MAFIA SACRA CORONA UNITA
JAPON ÉTATS-UNIS DES ASTURIES
CHINE YAKUZA

TRIADES CHINOISES
MEXIQUE
En provenance d’Inde
HONDURAS Vers le Mexique
MS-13
SALVADOR
Face à la légalisation MS-13
du cannabis dans TEXIS
certains États COLOMBIE VENEZUELA
américains, FARC CARTEL DE LOS SOLES
le cartel se diversifie en LA OFICINA DE ENVIGADO
s’orientant vers les URABENOS
drogues de synthèse, CLAN USUGA Vers l’
En prove notamment Austr
nance d’A alie
frique les méthamphétamines, Le cartel profite
dont le marché est très du déclin des mafias
porteur. colombiennes pour
se lancer
à la conquête
des principales
routes de la cocaïne
sur le sous-continent.
... mène une stratégie ... pour écouler sa drogue sur
mondiale... son principal marché
PAR LA DIVERSIFICATION DES frontalier
STUPÉFIANTS CANADA
Seattle LES ÉTATS-UNIS : UN PAYS GRAND
Principales routes connues empruntées CONSOMMATEUR...
par le cartel Marchés premiers
cannabis
héroïne Marchés secondaires
cocaïne MICHIGAN NEW YORK Etats dans lesquels le nombre de morts par
méthamphétamine ÉTATS-UNIS overdose d’héroïne
Chicago New York est compris entre 300 et 700 par an
PAR L’EXTENSION DES MARCHÉS Denver OHIO
est supérieur à 700 par an
Pays d’origine des drogues ILLINOIS
CALIFORNIE PENNSYVALNIE ... OÙ LE CARTEL DISPOSE DE RELAIS
Pays de transit LOCAUX
Régions de forte consommation Principaux axes de la drogue
Los Angeles
XX Organisations criminelles alliées empruntés par le cartel de Sinaloa
PAR DES PROUESSES LOGISTIQUES San Diego Calexico aux Etats-Unis
Nogales TEXAS Atlanta
Principales zones de construction Zone où le cartel de Sinaloa domine
de tunnels identifiés par la DEA et Midland, le trafic de drogue
dont la plupart sont attribués Odessa Principales plates-formes
à « El Chapo » Houston de distribution
illet 2015 ;
MEXIQUE Report, ju s
250 km trat io n In telligence Sinaloa Federation’ ;
is e 13
CARTOGRAPHIE fo rcem ent Admin ent ; S. Logan, « Th rrorism Center, 20 13 ;
rug En rcem ing Te , 20
Stratfor ; D toms Enfo », Combatt e », Fusion ;
FLAVIE HOLZINGER ap 2015 », migration and Cusrnational Presence Chapo : CEO of crim ort 2015, UNODC
M ex ico cartel m US Im In te « El D ru g Rep Monde
ET VÉRONIQUE MALÉCOT Sources : « Wor ld Le

aaa narcotrafiquant réunit les chefs de sa
fédération pour définir une stratégie de con-
quête des routes mexicaines de la drogue aux
mains des cartels du golfe, de Ciudad Juarez
et de Tijuana. En représailles, le cartel du
golfe assassine, en 2004, le frère d’« El
Chapo », Arturo Guzman. Ce meurtre déclen-
che une vendetta.
Face à la hausse des violences qui menace
l’ordre public, le nouveau président, Felipe
Calderon (2006-2012), du PAN, déploie
50 000 militaires sur le territoire pour lutter
contre le narcotrafic. Le remède s’avère pire
que le mal. « Ce nouveau front contraint les
cartels, implantés traditionnellement au
nord, à étendre leur influence à tout le terri-
toire », raconte Alejandro Hope.
La redistribution des cartes du narcotrafic
provoque, début 2008, un schisme au sein
du cartel de Sinaloa. La faction d’« El Chapo »
s’oppose à celle de la fratrie des Beltran
Leyva, qui l’accuse d’avoir livré aux autorités
leur frère, Alfredo Beltran Leyva, alias « El
Mochomo » (du nom de la fourmi rouge du
désert, réputée très résistante). Le
8 mai 2008, le fils d’« El Chapo », Edgar Guz-
man, 22 ans, est assassiné à son tour, ce qui
met le feu aux poudres.
Guerre marketing
En juillet 2012, l’élection du président Enrique
Peña Nieto, qui a marqué le retour au pouvoir
du PRI, ne calme pas les esprits. Selon M.
Hope, « le nouveau président a juste changé la
rhétorique sécuritaire, ne parlant plus de
guerre, mais de lutte contre l’insécurité, sans
démilitariser le conflit ». Bilan : la guerre des
cartels entre eux et contre le gouvernement a
fait plus de 100 000 morts et 26 000 disparus
depuis 2006. Le cartel de Sinaloa en sort
néanmoins renforcé. « Les organisations con-
currentes ont été démantelées ou affaiblies,
constate M. Hope. En outre, “El Chapo” a su
« “EL CHAPO” conclure des pactes de non-agression avec ses
A TOUJOURS anciens ennemis, les cartels de Juarez et de Ti-
juana, prenant le contrôle de leurs principaux
PRIVILÉGIÉ points stratégiques du trafic de drogue à la
frontière américaine. A la différence des autres
LA CORRUPTION cartels, qui se sont militarisés, à l’image du
À LA VIOLENCE » gang sanguinaire des Zetas, “El Chapo” a tou-
jours privilégié la corruption à la violence, évi-
ALEJANDRO HOPE tant de s’affronter directement à l’Etat. »
ex-membre des services Ainsi, le cartel de Sinaloa est resté sur pied,
secrets mexicains alors que les autres se sont fragmentés en di-
zaines de groupes antagonistes. Mais cette
stratégie sera fragilisée lors de l’arrestation
d’« El Chapo », le 22 février 2014. Durant ses
dix-sept mois d’emprisonnement, une nou-
velle organisation mafieuse monte en puis-
sance. Créé dans le sillon de la fédération de Si-
naloa, le cartel Jalisco Nueva Generacion s’est
retourné en 2010 contre lui. Depuis, les deux
adversaires se livrent une lutte sans merci.
Violente, la guerre des cartels est aussi
marketing. Un domaine dans lequel « El
Chapo » excelle. Sa nouvelle évasion specta-
culaire, cet été, dans un tunnel de 1,5 kilo-
mètre, renforce sa légende mafieuse. Des di-
zaines de chansons et de films racontent la
vie et les exploits de ce père de neuf enfants,
marié à trois reprises. En 2009, son entrée
dans le classement des hommes les plus ri-
ches du monde du magazine Forbes avait
dopé sa renommée mondiale.
Pour Alejandro Hope, « “El Chapo” peau-
fine son image de héros populaire, un peu
comme on construit une marque qui perdu-
rera après l’arrestation ou la mort de l’inté-
ressé ». A Mexico, lors de la fête d’Halloween,
le masque le plus vendu était celui à l’effigie
d’« El Chapo ». Il était assorti d’un costume
rayé de bagnard et d’une pelle pour cons-
truire des tunnels. p
frédéric saliba
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Stéphane Corcuff
« La Chine
dans les
élections
taïwanaises
est à la fois
présente
et absente »
Les scrutins du 16 janvier
pourraient marquer la
défaite de ceux qui croient
encore à une unification
avec la Chine continentale
ENTRETIEN
taïwan - envoyé spécial
S
inologue et expert en relations in-
ternationales, Stéphane Corcuff est
directeur de l’antenne de Taipei du
Centre d’études français sur la
Chine contemporaine (CEFC). Né
en 1971, il est spécialiste de la politi-
que des identités et de la géopolitique du dé-
troit de Taïwan.
Quel est l’enjeu de ces élections présiden-
tielle et législatives à Taïwan, qui oppo-
sent, le 16 janvier, les deux principales for-
ces politiques en présence, le KMT (Kouo-
mintang) d’Eric Chu et le DPP (Parti pro-
gressiste démocratique) de Tsai Ing-wen ?
Le grand enjeu est de donner à la démocra-
tie taïwanaise un second souffle pour l’ap-
profondir et la recentrer sur des enjeux mo-
dernes, en lien avec les tendances mondiales,
comme une fiscalité plus équitable et un dé-
veloppement plus durable. Et de ne pas met-
tre tous ses œufs dans le même panier, en in-
vestissant perpétuellement dans une Chine
où l’économie ralentit. Il s’agit aussi d’opérer
le premier changement de majorité à la
Chambre législative, ce qui n’a jamais eu lieu
depuis 1947, alors que la présidence de la Ré-
publique avait déjà vu un président DPP avec
Chen Shui-bian [2000-2008]. Il s’agit enfin de
faire entrer au Parlement du sang neuf, c’est-
à-dire des jeunes issus des mouvements qui
ont émergé sous la présidence KMT de Ma
Ying-jeou [2008-2016] et culminé avec le
« mouvement des tournesols » d’occupation
de l’Assemblée, qui a eu lieu en mars 2014.
Même s’il n’est pas une préoccupation di-
recte des électeurs, le facteur « Chine »
semble malgré tout incontournable…
La Chine dans les élections taïwanaises est
comme un jeu d’ombres, à la fois présente et
absente. Cette fois-ci, au fond, elle se manifeste
moins de manière directe dans les débats, y
compris quand c’est par le biais des barons de
l’industrie taïwanais en Chine, les « Taishang »
[expression formée de deux caractères, Tai pour
Taïwan et shang qui signifie « commerce »], qui
semblent beaucoup plus discrets. Mais les
gens ont aussi envie de recentrer le débat sur
Taïwan. Ils ont l’impression que le sujet a été
délaissé pendant la présidence de Ma Ying-
jeou, du fait justement de cette politique
outrancièrement focalisée sur la Chine.
La question de la Chine reste toutefois ô
combien présente en creux. Notamment
dans la volonté très explicite de nombre de
candidats jeunes aux législatives d’affirmer
qu’ils n’ont rien à voir avec la Chine, pays
étranger pour eux. Et qu’ils souhaitent arriver
au Parlement pour notamment mettre un
terme à l’influence indue de Pékin à Taïwan à
travers les courroies de transmission mises
en place par les Taishang et le KMT.
En quoi la politique de rapprochement
avec la Chine du président Ma lors de son
second mandat a desservi le KMT ?
Le KMT apparaît aujourd’hui comme pro-
fondément déconnecté de la réalité taïwa-
naise, pour avoir exclusivement mis l’accent
sur les relations avec la Chine. A l’époque de
Lee Teng-hui [premier président élu au suf-
frage universel direct en 1996], le KMT a tenté
de concilier son histoire chinoise et la réalité
taïwanaise en essayant d’inventer une forme
de consensus entre les identités chinoise et
taïwanaise, par le biais d’une identification
civique et non ethnique. Or, le KMT, après le
départ de Lee Teng-hui en 2000, est complè-
tement revenu sur cette approche précau-
tionneuse et novatrice, et a opéré une vérita-
ble régression conceptuelle. En réduisant le
débat à une alternative simple : le KMT serait
seul capable de bonnes relations avec la
Chine et d’un développement économique.
Alors que le DPP serait synonyme de dispute
avec Pékin et d’isolement économique.
Que cherchait le KMT de Ma Ying-jeou par
le biais de ce rapprochement ?
Le KMT n’est pas que tiraillé par ses fac-
tions : il est aussi partagé entre d’une part
l’immense majorité de ses cadres taïwanais
de souche, qui en privé ne veulent pas enten-
dre parler d’unification, et l’échelon supé-
rieur d’origine continentale revenu au pou-
voir en 2005 avec Lien Chan et Ma Ying-jeou,
qui agite un rêve ressorti de l’histoire, celui de
pouvoir un jour rejouer un rôle sur le conti-
nent et réunifier Taïwan à la Chine.
Ce mirage ne fait plus illusion. Ce nouveau
« front uni » engagé entre le KMT et le PCC
[Parti communiste chinois] à partir de 2005 et
qui a culminé dans la rencontre entre Ma
Ying-jeou et Xi Jinping à Singapour le 7 no-
vembre 2015 apparaît aux yeux des Taïwanais
comme une scandaleuse alliance opaque
conduite par deux partis qui ne représentent
pas leur population respective. C’est notam-
ment ce qui a indigné et mobilisé la jeunesse
à Taïwan ces quatre dernières années.
On décrit souvent le DPP comme indé-
pendantiste. Est-ce correct ?
Les expressions « indépendance » et « indé-
pendantiste » sont des héritages politiques et
géopolitique | 13
« Hiding in the City-
Sunflower », 2012.
Né en 1973 en Chine,
Liu Bolin réalise des
performances de
camouflage : son idéologiques du KMT et du PCC conçus dans
corps peint se les années 1950. Mais leur imprécision est
confond avec le facteur d’incompréhension de la situation
décor. Comme il le politique et géopolitique dans le détroit. Si
racontait au tout le monde conçoit que Taïwan soit indé-
« Monde » en février pendant de facto, il faut aussi comprendre
2015 : « Il y a dix ans, que, du point de vue des Taïwanais, il l’est
mon atelier a été également de jure. Certes, non en tant que
détruit par le République de Taïwan, mais en tant que Ré-
gouvernement publique de Chine, dotée de tous les attributs
chinois. J’étais de la souveraineté, parmi lesquels un nom-
tellement en colère bre, certes faibles, de pays qui la reconnais-
que j’ai décidé de créer sent [21 pays].
une œuvre pour Pour les Taïwanais, il n’y a pas d’indépen-
protester. Je me suis dance à déclarer, car leur pays est déjà souve-
mis à disparaître dans rain et indépendant de la Chine. Du coup, la
des décors qui ont une question technique qui se pose concrète-
résonance pour la ment est pour eux un changement du nom
société et le genre du « pays ». C’est le grand cheval de bataille
humain [un kiosque à théorique des indépendantistes farouches.
journaux, un Mais l’opportunité de conduire ce change-
supermarché, la ment de nom du régime de République de
Grande Muraille de Chine en République de Taïwan est un objec-
Chine...]. C’est une tif socialement peu partagé. D’une part, de
manière de dénoncer par sa dangerosité géopolitique. Et, d’autre
les problèmes sociaux part, parce que la Chine, ne reconnaissant
et les difficultés que toujours pas la République de Chine, les
nous rencontrons en Taïwanais frustrés espèrent d’abord sa recon-
Chine. » naissance par le reste du monde. On peut
© LIU BOLIN/COURTESY comprendre ainsi l’apparente contradiction
OF GALERIE PARIS BEIJING du soutien inconditionnel des Taïwanais à
leur drapeau actuel, celui de la République de
Chine qui vient pourtant du continent, alors
qu’ils sont « indépendantistes » et opposés à
la réunification.
Que peut-on attendre de Tsai Ing-wen sur
ce dossier de l’indépendance de Taïwan ?
En tant que présidente, Tsai Ing-wen ne
pourra être que légaliste, surtout dans son
premier mandat, et défendre la République
de Chine – même si comme tous les mem-
bres de son camp elle souhaite un jour voir
proclamer une « République de Taïwan ». On
pourrait imaginer que Tsai Ing-wen se dirige
vers l’abandon de la politique qui depuis 1949
a conduit Taïwan à refuser la double
reconnaissance de Taipei et Pékin par les par-
tenaires diplomatiques.
Cela reviendrait à proposer finalement la
reconnaissance de la République populaire
de Chine par Taïwan – ce qui serait un gage
de stabilité. Tsai Ying-wen pourrait ainsi re-
prendre au nom de son camp l’initiative de
la paix dans le détroit, répondant au dis-
cours du KMT et de la Chine qui accusent le
DPP de ne provoquer que des conflits. La
Chine de Xi Jinping ne l’acceptera évidem-
ment pas. Mais Tsai Ing-Wen aura avancé
d’un pas à Taïwan en politique intérieure.
Par ailleurs, une telle initiative pourrait se
combiner avec une relance de la politique de
retour de la République de Chine à l’ONU ini-
tiée sous Lee Teng-hui et abandonnée par
Ma Ying-jeou.
Xi Jinping a déclaré qu’il souhaitait que le
« problème de Taïwan » ne soit pas légué
aux prochaines générations. Quelles sont
ses options ?
Les arguments de la Chine sont l’économie,
la menace militaire et les partenaires diplo-
matiques – et il y a un vrai risque que ceux qui
restent à Taïwan [21 membres de l’ONU et le Va-
tican] lui soient ravis par la Chine. Mais aucun
de ces arguments n’est sans sa propre contra-
diction. L’économie chinoise va mal. Si le
reste des partenaires diplomatiques de
Taïwan passent à la Chine, celle-ci achèvera de
s’aliéner les Taïwanais. Et l’outil militaire est
difficile à utiliser. Face à cette stratégie, Tsai,
qui est une fine négociatrice, tentera de me-
ner une politique intelligente qui prenne la
Chine à son propre jeu.
Les Chinois ont en tête le système « un pays
deux systèmes », comme à Hongkong…
On ne voit pas comment les Taïwanais ac-
cepteraient « un pays deux systèmes » de leur
plein gré. Parce qu’ils sont déjà souverains,
parce que leur démocratie fonctionne, qu’ils
se sentent dans leur nation. Et la reprise en
main autoritaire de Xi en Chine et les derniers
développements à Hongkong, du « mouve-
ment des parapluies » [à l’automne 2014] au
rapt récent d’éditeurs qui a fait grand bruit ici,
sont encore moins de nature à attirer les
Taïwanais vers toute association politique
avec la Chine.
Que peut faire la Chine en cas de retour au
pouvoir du DPP ?
Les Etats-Unis ont officiellement demandé à
la Chine de respecter les résultats : la tension
géopolitique est palpable. Espérons que les ac-
teurs restent rationnels. On peut estimer que
la Chine recourra plutôt à des leviers indirects.
Sous Ma, il y avait une forme de trêve autour
des alliés diplomatiques de Taïwan. Cepen-
dant, la Chine n’a jamais fondamentalement
lâché du lest. Et, en l’absence d’une option mi-
litaire réaliste, la seule façon de faire plier
Taïwan à l’avenir serait de l’étrangler diploma-
tiquement de manière définitive. D’une part
en reconquérant de nouveaux alliés, mais sur-
tout en menant une diplomatie autoritaire
avec ses propres partenaires, notamment occi-
dentaux, pour qu’ils coupent toute relation
avec Taïwan. C’est peu envisageable.
Dans un contexte de pivot américain vers
l’Asie, la crispation américaine face à la Chine
fait qu’ils ne sont pas près de lâcher Taïwan.
Lors de son voyage de candidate aux Etats-
Unis, Tsai a été notoirement mieux reçue
qu’en 2011, et les Etats-unis ont finement dé-
cidé en décembre 2015 d’une vente d’armes
qui, étant attribuée sous le KMT, n’a suscité
que des protestations symboliques de la part
de Pékin. p
propos recueillis par
brice pedroletti
14 | enquête
ondine debré
Q
uatre enfants font de la trot-
tinette entre les flaques en
ce jour pluvieux d’automne.
Rien ne les différencie de
ceux que l’on croise à la sor-
tie des écoles. Raed, Hadi et
les jumeaux Maya et Moha-
med sont arrivés avec leurs parents, Naram et
Issam, quinze jours auparavant, en pleine
nuit, au centre Louis-Lumière, dans le 20e ar-
rondissement de Paris. Depuis des mois déjà,
ils avaient quitté Damas. Deux valises rem-
plies à la hâte, un sac à dos par enfant avec
quelques souvenirs, une chambre dans un
foyer d’hébergement au milieu de Paris. Et
une vie à reconstruire…
Ils sont aujourd’hui plus de mille élèves mi-
grants scolarisés dans l’académie de Paris.
Raed et Hadi vont au collège Jean-Perrin, à
deux pas du centre, les plus jeunes à l’école
élémentaire du Clos, tout à côté. Ces ju-
meaux de 6 ans attirent tous les re-
gards : très petits tous les deux, le gar-
çon et la fille se ressemblent, parta-
geant des cheveux châtains et des
yeux mordorés. Ils rient, courent et
semblent se jouer de tout. Une famille
unie et souriante, des enfants sages et bien
peignés : comment imaginer qu’ils ont vécu
la guerre et la peur ?
Cécile Cajas, de la Ligue de l’enseignement,
s’occupe des réfugiés syriens à Louis-Lu-
mière. Elle raconte que les enfants ont vite re-
trouvé le sourire et qu’ils semblent tous heu-
reux d’être là. « On ne leur pose pas de ques-
tions sur ce qu’ils ont vécu avant, et le quoti-
dien se met en place », dit-elle. « Ici, la
meilleure chose, c’est la paix. Mais aussi la pis-
cine où nous allons chaque semaine. On ne fait
pas ça en Syrie », commente Raed, visage fin
et cheveux soigneusement domptés sur le
côté, qui lui donnent l’air d’avoir 10 ans – il en
a presque 15.
« REPRENDRE DE ZÉRO »
Maya et Mohamed sont retournés en CP au
plus vite : leur mère, Naram, était ensei-
gnante en Syrie et sait l’importance de l’école
pour les jeunes enfants. « Je veux qu’ils conti-
nuent d’apprendre, même si c’est difficile de le
faire dans une autre langue », dit cette femme
mince, dont le foulard noir cache les cheveux.
« D’ailleurs, ils n’arrêtent pas de parler de leur
maîtresse, Lucile », ajoute-t-elle en prenant
Mohamed sur ses genoux.
La classe des jumeaux est une classe « allo-
phone » – pour des élèves qui ne parlent pas
le français. Plusieurs niveaux se mélangent.
Mais ce n’est pas ce qui tracasse le plus Moha-
med. Pour lui, tout se passe bien, sauf qu’à la
cantine il est interdit de prendre deux mor-
ceaux de pain. Maya, rit mais ça a été difficile
pour elle au début de rester déjeuner à l’école,
explique sa mère. Gênée, elle ajoute qu’en Sy-
rie il n’y a pas de personnes noires et que les
petits ont été surpris au début par la couleur
de peau de certaines dames de la cantine.
La traductrice, Rina, originaire elle aussi de
Damas, explique : « La Syrie en général, et Da-
mas en particulier, est comme une bulle : il n’y
a presque pas d’étrangers. Les Damascènes vi-
vent entre eux, alors imaginez à la campa-
gne… » Il semblerait que Maya se soit habi-
tuée, qui énonce maintenant les différentes
nationalités de sa classe : « Chinois, Russes, Al-
gériens, Maliens… »
Hadi et Raed sont eux aussi dans une classe
allophone, au collège Jean-Perrin. Les deux
adolescents vont ensemble en classe à pied,
tous les jours. Ils y étudient avec Dorine Sa-
mé-Tuquet, professeure de français langue
étrangère. Cette jeune enseignante a choisi
récemment cette spécialité, elle qui ensei-
gnait auparavant le français et la littérature à
des élèves classiques. « Les enjeux sont diffé-
rents dans une classe allophone, même si mes
nombreuses années dans une ZEP m’ont ap-
pris ce qu’était une classe difficile. Il faut se fa-
A l’école
de l’exil
Pour les enfants migrants, la vie reprend
aussi ses droits lorsqu’ils retrouvent le chemin
des salles de classe. Des élèves comme
les autres, même s’ils ont vécu la guerre
miliariser avec les enfants, mais aussi avec
leurs familles, quand ils en ont une, et avec leur « ICI,
histoire », dit-elle.
Dans sa classe, pas moins de six nationali-
LA MEILLEURE
tés et aucun traducteur. Tout se fait grâce au CHOSE,
lien qui se crée entre la professeure et les élè-
ves : les images, les gestes, les dessins amè- C’EST LA PAIX.
nent les enfants à déchiffrer peu à peu le
monde francophone dans lequel ils vivent à
MAIS AUSSI
présent. Ici, la synergie de la classe est fonda- LA PISCINE,
mentale et, malgré des différences saisissan-
tes de niveau, de culture, de milieu social, OÙ NOUS ALLONS
l’ensemble fonctionne. C’est Zidan, un Egyp-
tien de 12 ans, qui aide parfois à traduire les CHAQUE SEMAINE.
mots que les deux Syriens ne comprennent ON NE FAIT PAS ÇA
pas. « Hadi et Raed ont été à l’école avant, ils
sont habitués à étudier, on le sent tout de EN SYRIE »,
suite », observe Dorine Samé-Tuquet.
Dans la classe, Réam, une ravissante jeune COMMENTE
fille de 14 ans, et son frère Fadi, un petit brun
de 13 ans, sont arrivés en même temps que
RAED, 6 ANS
Raed et Hadi de Syrie. L’adolescente au teint
clair et aux yeux bleus porte encore la mar-
que du voile qu’elle avait l’habitude de nouer
autour de sa tête : son visage est hâlé sur le
YASMINE GATEAU
front et les joues, plus clair près de la racine
des cheveux. Un jour, alors que la leçon por-
tait sur la description de soi, quand la profes-
seure lui a posé une question sur la couleur
de ses yeux, la jeune fille s’est mise à pleurer
en silence.
« Je n’ai jamais su pourquoi, mais ma ques-
tion a réveillé quelque chose en elle. Ces en-
fants semblent équilibrés mais leur trauma-
tisme refait surface parfois. Il faut être très at-
tentif à cela, dit l’enseignante, qui raconte : Je
les ai séparés l’autre jour dans la cour de ré-
création, parce que Réam avait semble-t-il mal
parlé de la mère de Hadi et Raed : ils se bat-
taient avec une violence qui m’a étonnée. Ils
sont à fleur de peau, même si la plupart du
temps tout se passe bien. »
Au centre Louis-Lumière, la quinzaine d’en-
fants syriens se retrouvent le mercredi après-
midi autour d’Assia Guemra, professeure de
danse d’origine égyptienne. La langue n’est
plus un problème et leurs personnalités se dé-
voilent grâce à l’arabe qu’ils parlent de nou-
veau avec elle. Une bouffée d’oxygène que les
enfants apprécient joyeusement.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Sur les bords de la Loire aussi, les enfants sy-
riens et irakiens ont repris le chemin de
l’école. Narym a 12 ans, l’œil noir étincelant et
les cheveux au carré. Arrivée en décem-
bre 2014 d’Alep avec ses parents, cette jeune
fille est ce qu’on appelle une « tête » : un mois
après avoir mis les pieds à Tours, elle entrait
déjà en 6e au collège Anatole-France. Sa mère,
une ancienne pharmacienne, raconte : « Le
premier jour, elle a pleuré, le deuxième, elle ne
pleurait plus, le troisième, elle souriait. »
L’adolescente a de la ressource : championne
de natation en Syrie, excellente en anglais, Na-
rym est fille unique de parents issus de la
bourgeoisie alépoise, très attentifs à son édu-
cation. En 5e aujourd’hui, elle décrit sa nou-
velle vie : « Tout le monde veut m’aider au col-
lège, et j’ai trois heures de cours par jour dans la
classe allophone, j’apprends vite ! J’ai hâte de
passer en 4e pour apprendre l’espagnol. Il
n’y a pas cette langue au programme en
Syrie. »
Mais son rêve, c’est la peinture : « Je veux
faire les Beaux-Arts, je serai une artiste
comme mon père ! », lance cette toute jeune
fille qui vient de terminer pour la classe Ven-
dredi ou la Vie sauvage, le classique de Michel
Tournier que tous les enfants de France ont eu
un jour dans leur cartable.
L’Etat n’a d’obligation de scolarisation
qu’envers les moins de 16 ans. Ensuite, chacun
doit se débrouiller. C’est ce qu’ont fait trois
sœurs irakiennes, Noor, 19 ans, Raghad,
20 ans, et Farah, 22 ans. Trois longues chevelu-
res brunes, trois paires d’yeux noirs comme la
nuit, et trois regards tournés vers l’avenir. Ces
sœurs-là ont leur liberté retrouvée chevillée
au corps, et une volonté de fer.
« Nous faisions de bonnes études en Irak, et
aujourd’hui il faut tout reprendre de zéro. Nous
avons appris le français le plus vite possible
grâce à Internet, et aujourd’hui nous sommes
inscrites dans un cursus français langue étran-
gère à la faculté François-Rabelais de Tours.
Nous reprendrons nos études après », explique
Noor, soigneusement maquillée. Elle a choisi
la pharmacie. Raghad retournera en méde-
cine et espère devenir un jour radiologue. Fa-
rah poursuivra des études d’informatique. Le
futile n’a pas sa place dans leur existence.
« Nous devons “ranger” nos vies, et ensuite
nous nous amuserons », résument-elles.
UNE VIE TRANQUILLE
Ces trois jeunes filles se tiennent la main et
puisent leur incroyable force dans le trio
qu’elles forment. Elles ne laissent aucune
place au désespoir ou à la léthargie : « Mos-
soul me manque, l’Irak me paraît si loin… Je re-
grette ma maison et ma vie d’avant, mais je
dois laisser cela derrière moi et m’ancrer dans
le présent », assure Farah. C’est grâce à la Fon-
dation pour l’enfance qu’elles ont pu rassem-
bler les quelques milliers d’euros nécessaires
aux frais de scolarité. La femme de l’ancien
président de la République, Anne-Aymone
Giscard d’Estaing, qui fait partie de l’associa-
tion, est la marraine de Noor. « Elle se com-
porte avec elle comme une grand-mère atten-
tive, c’est très touchant », dit-on à la fondation.
Sages, belles et déterminées, les trois sœurs
sont aussi très discrètes et refusent de se faire
remarquer dans le nouveau quartier de Tours
où elles viennent de s’installer. « Nous ne sor-
tons pas trop le soir, sauf en famille. Nos pa-
rents ne parlent pas très bien le français, c’est
plus compliqué pour eux d’apprendre : il y a
moins de cours prévus pour les adultes », s’ex-
cuse presque Raghad, qui part vite accompa-
gner son père chez le médecin en tramway.
Pour les parents de tous ces enfants réfu-
giés, l’exil est souvent plus difficile à accepter.
Ainsi Jony, le père de Francis, 4 ans, et de Fran-
ceska, 6 ans, a longtemps refusé d’aller aux
cours de français proposés par des bénévoles
du 20e arrondissement de Paris. « L’Irak me
manque beaucoup, j’aimerais tant y retour-
ner », lâche-t-il en sortant son téléphone por-
table où les photos des enfants devant les
monuments de Bagdad défilent à côté des
images de sa maison de Karakosh.
Pour le petit Francis, la vie aujourd’hui est
celle d’un enfant de maternelle. Il fredonne
Une souris verte à sa mère en rentrant de
l’école, réclame un sac à dos Cars et com-
mence à parler français avec sa sœur. Dans le
foyer de religieuses où ils sont hébergés, les
enfants se sont construit une vie tranquille.
Deux petits vélos traînent dans la cour de la
communauté religieuse, et sur la grande
carte du monde accrochée au mur du réfec-
toire les contours de l’Irak sont dessinés ma-
ladroitement au crayon rose. Une petite
blonde sort de la classe avec Francis et l’invite
à goûter chez elle, les mères se mettent d’ac-
cord pour le jour suivant. Les petits ne sem-
blent avoir aucune difficulté à communiquer.
Pour Francis, Raed, Réam et les autres, la vie
reprend ses droits sur le chemin de l’école. p
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016 carnet | 15

Isabelle, Bruno, Pascal, Henri

René Angélil Xqu itcpfu fixfipgogpvu

Ng Ectpgv
et Christophe Ollivier,
ses enfants
ainsi que leurs épouses, époux, compagnon
et compagne
Et tous ses petits-enfants,
et Danièle Clairon,
Hommage
Annie Grochowski, Mireille Marchal
Thèse

L’impresario et mari Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu ont la tristesse de faire part du décès de
venant d’apprendre, le 4 janvier 2016,
le décès de

Aïda VASQUEZ,
Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. Elisabeth
de Céline Dion oguugu cppkxgtucktgu
Eqnnqswgu. eqphfitgpegu.
EUVERTE OLLIVIER,
survenu paisiblement,
survenu le 5 janvier 2015,
dans sa soixante-dix-huitième année,
rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu le mercredi 13 janvier 2016. PRIX DE THÈSE
compagnes de travail des années 1960-
1976, souhaitent en faire part à tous ceux DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE.
Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu La cérémonie religieuse aura lieu qui ont travaillé avec elle, et lui rendre
le lundi 18 janvier, à 11 heures, en l’église un hommage chaleureux... L’Assemblée nationale
Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < de Saint-Michel de Versailles
23 79 4: 4: 4: attribue chaque année un prix
(Porchefontaine). Pour plus d’informations, consulter
23 79 4: 43 58 destiné à distinguer des thèses
le site actuel de pédagogie institutionnelle
ectpgvBorwdnkekvg0ht L’inhumation se tiendra dans l’intimité www.ceepi.org/aîda-vasquez-0196. relatives à l’histoire ou au droit
le mardi 16 janvier, à Vernusse (Allier). parlementaires français.
Ce prix ouvre droit à une aide à la
AU CARNET DU «MONDE» Conférences
Odette Gabrielli, publication de la thèse concernée.
son épouse,
Naissance Isabelle Fidelin Les thèses soumises à ce jury
et Anne-Françoise Gabrielli, doivent avoir été soutenues
La famille s’agrandit ! ses illes, entre le 1er janvier 2014
Mathilde et Solène et le 31 décembre 2015.
Anne-Sophie ALTMANN-DESCHODT Dupont-Delestraint,
et Romain ALTMANN, ses petites-illes,
Jérôme Fidelin, Les étudiants intéressés peuvent
ses parents,
Annabelle son gendre, « Chaire se procurer le formulaire
sa sœur, Grands enjeux de candidature auprès de :
ont l’immense chagrin de faire part stratégiques contemporains »
du décès du M. le Chef de la division des Archives
ont la joie d’annoncer la naissance de Enjeux stratégiques au Moyen-Orient.
(Service de la Bibliothèque
Lucie, docteur Jean GABRIELLI, Leçon inaugurale et des Archives)
croix de guerre 1939-1945, Les grands enjeux stratégiques Assemblée nationale,
le 11 janvier 2016, à Lille. de 2016, 126, rue de l’Université
Jean-Yves Le Drian, 75355 Paris Cedex 07 SP
Un rayon de soleil en plus chez survenu à l’âge de quatre-vingt-dix ans. ministre de la Défense,
RomAnSo Family. ou par courrier électronique à :
La messe d’obsèques sera célébrée Lundi 18 janvier 2016,
en l’église Saint-Alban, Lyon 8e, le mardi de 18 heures à 20 heures, prixdethese@assemblee-nationale.fr
Décès 19 janvier, à 14 heures. Centre Sorbonne, Le dossier d’inscription est également
Amphithéâtre Richelieu,
M Corinne Altmann,
me
téléchargeable sur le site Internet
Claudine Chasseuil, 17, rue de la Sorbonne, Paris 5e.
son épouse, Inscription obligatoire sur le site : de l’Assemblée nationale :
sa compagne,
MM. Pascal, Sébastien et Romain chairestrategique.univ-paris1.fr
Marion, Mathieu, Julia, Alice,
Altmann, http://www2.assemblee-nationale.fr/
ses enfants,
ses ils, Programme des conférences 2016, informations-pratiques/archives-et-
Camille de Lagausie, les lundis de 18 heures à 20 heures,
Mmes Sandrine, Duka et Anne-Sophie
JACQUES BOISSINOT/AP
sa mère, bibliotheque
Altmann, Agnès, Jérôme et Justine, 18 janvier : leçon inaugurale,
ses belles-illes, ses frère et sœurs Jean-Yves Le Drian, La date limite de dépôt des candidatures
Julien, Océane, Ilan et Annabelle ainsi que leurs conjoints, ministre de la Défense, est ixée au vendredi 29 janvier 2016,

L’
impresario et le mari de
Céline Dion, René Angé-
lil, est mort jeudi 14 jan-
vier, à 73 ans, à leur do-
micile de Las Vegas. Le « Pygma-
lion » de la célèbre chanteuse,
comme le qualifie le quotidien
québécois Le Devoir, souffrait d’un
cancer depuis 1999 et avait subi
l’ablation d’une tumeur à la gorge
il y a deux ans. Céline Dion avait
suspendu en août 2014 ses activi-
tés professionnelles pour s’occu-
per de lui. Un an plus tard, à sa de-
mande, elle retournait sur la scène
du Caesars Palace dans la capitale
mondiale du divertissement, où
ils avaient choisi de vivre depuis
de nombreuses années. En
juin 2014, se sachant très malade,
le président des Productions Fee-
ling avait aussi renoncé à rester
agent de l’artiste, confiant à son
ami Aldo Giampaolo la tâche de
poursuivre son œuvre.
A la conquête du monde
Le fulgurant début de carrière,
dans les années 1980, de celle qui
allait devenir une star planétaire
de la chanson populaire, en fran-
çais et en anglais, est indissociable
de l’apport exceptionnel de son
agent et mari depuis 1994. René
Angélil a d’abord été lui-même
chanteur, puis agent artistique au
Québec. Né d’un père d’origine sy-
rienne et d’une mère dont la fa-
mille était d’origine libanaise, il
passe sa jeunesse à Montréal. Il
flirte avec la musique yéyé dans
les années 1960, puis crée avec
deux amis le groupe Les Baronets
qui reprend surtout, en français,
des succès des Beatles. Après la
dissolution du groupe en 1972,
René Angélil change de cap et de-
vient impresario de vedettes de la
chanson québécoise, dont René
Simard et Ginette Reno.
C’est par le biais d’une cassette
16 JANVIER 1942 Naissance
à Montréal
1981 Premier album
de Céline Dion, « La Voix
du bon Dieu »
1994 Mariage avec
Céline Dion
14 JANVIER 2016 Mort
à Las Vegas
vous n’oublierez jamais sa voix » :
René Angélil aimait répéter cette
phrase de Michel Drucker, qui a
présidé à la première apparition de
Céline Dion à la télévision fran-
çaise. Elle-même sera la première
Canadienne à recevoir un disque
d’or en France pour la vente de
500 000 albums.
L’ambition de la jeune fille n’a
d’égale que la sienne. Amateur de
casinos, joueur invétéré, il mise
sur sa protégée qui est déjà sa
compagne, malgré leurs vingt-six
ans de différence. Ensemble, ils
vont conquérir le monde. Il sera
derrière tous ses succès. A 16 ans,
elle chante La Colombe devant le
pape Jean Paul II et 65 000 per-
sonnes à Montréal. Elle fera salle
comble à l’Olympia. Aux Etats-
Unis, ils lancent l’album Incognito
en 1987, puis Unison en 1990, qui
marque sa véritable percée sur le
marché américain.
Ils dévoilent leur amour publi-
quement en 1993 et se marient un
an plus tard, devant 500 invités, à
la basilique Notre-Dame de Mon-
tréal, là même où seront célébrées
les funérailles de René Angélil le
22 janvier. Le couple, qui dit à
l’époque vivre « un conte de fées »,
fait la couverture des grands ma-
gazines, de Paris Match à Enter-
tainment Tonight. De leur union
naîtront trois enfants.
Il « encadre » la carrière de son
épouse comme il joue au poker, en
Altmann,
ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
M. Bertrand ALTMANN,
survenu le 16 décembre 2015,
dans sa soixante-dixième année.
Toujours optimiste, d’un abord facile,
très apprécié, il aimait passionnément
la vie et le cinéma. Bertrand Altmann était
un artiste éclectique, talentueux, une belle
personnalité et un homme engagé pour
la défense des Tigres.
Les funérailles ont été célébrées par une
cérémonie religieuse, en l’église Saint-
Martin de Chevreuse et au crématorium
des Ulis, le mardi 22 décembre 2015,
entouré de sa famille et de ses fidèles
ami-e-s, comédiens et artistes.
http://www.bertrandaltmann.com
Contact et registre de condoléances :
altmann@orange.fr
Ain-El-Turck. Moraira. Toulouse.
Les familles Ceaux, Dauverchain, Bilh,
Rieu, Pages
ont la tristesse de faire part du décès de
M Jeanne CEAUX,
me
née DELBECCHI,
survenu lundi 11 janvier 2016.
La cérémonie religieuse a eu lieu
le jeudi 14 janvier, en l’église d’Aucamville
(Haute-Garonne).
Mme Monika Curtil,
son épouse,
Mme Elisabeth Curtil Monteleone,
M. Bernard Curtil,
M. Christian Curtil,
ses enfants,
Luca (†) et Valerio Monteleone,
ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès de
ont la tristesse de faire part du décès de
Pascal de LAGAUSIE,
professeur agrégé en chirurgie pédiatrique
à la Timone de Marseille,
survenu le 14 janvier 2016,
à l’âge de cinquante-cinq ans.
La cérémonie civile aura lieu à 14 h 45,
le lundi 18 janvier, en la chapelle du
cimetière Saint-Pierre, Marseille.
M. Jean Rivière,
son époux,
M. et Mme Jérôme Rivière,
son ils et sa belle-ille,
Le docteur Caroline Rivière,
sa ille,
M. et Mme Alice-Sophie Nallet,
sa ille et son gendre,
M. et Mme Agnès Gosnave,
sa ille et son gendre,
Alister, Gabrielle, Judy, Baptiste,
Charles-Elliot, Nicolas, Candice, Perrine,
Basile, Juliette, Valentine, Raphaël et
Marcus,
ses petits-enfants,
M. André Hequet,
son frère et sa compagne
et leur famille,
Parents et amis,
ont la douleur et la tristesse de faire part
du décès de
Mme Colette RIVIÈRE,
née HEQUET,
survenu à l’âge de soixante-seize ans.
Les obsèques religieuses seront
célébrées le lundi 18 janvier 2016,
à 15 heures, en l’église de Biot, où l’on
se réunira.
Middle Institute of international Studies,
Mgr Louis Sankalé,
Michèle et Erich Metzler,
Joëlle et Claude Suzanon,
Hervé et Mina Sankalé,
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses petits-enfants
et leurs conjoints,
Ses arrière-petits-enfants,
Les familles Sankalé, Fourcault, Lake,
Le Pelletier, Jean-Charles,
Parents, alliés
Et amis,
Les grands enjeux stratégiques de 2016,
à 17 heures.
25 janvier : Hubert Védrine,
ancien ministre des Affaires étrangères,
Communications diverses
Crises contemporaines et néo-réalisme,
1er février : Shahram Chubin,
Carnegie Endowment
for International Peace, Genève,
Moyen-Orient :
un paysage stratégique en mutation,
8 février : Ayesha Siddiqa,
expert, Islamabad, Pakistan,
Le Pakistan peut-il se permettre
de « perdre » le Moyen-Orient ?
Groupe EAC.
15 février : Pierre Vermeren, Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai.
université Paris 1,
Panthéon-Sorbonne, France,
Claude Vivier Le Got, présidente
De Beyrouth à Damas,
quarante ans de guerre du Groupe EAC, félicite tous les diplômés
au Moyen-Orient, quelles logiques ? Bachelors, Mastères et MBA des
promotions art, culture et luxe 2015.
22 février : Ali Kazancigil, Si vous souhaitez travailler dans l’art,
Middle East technical University,
Ankara, Turquie, la culture et le luxe, venez nous rencontrer
lors du salon des formations art, mode
La diplomatie turque au Moyen-Orient :
les raisons d’un échec, et design et du salon du luxe de Studyrama,
samedi 16 janvier 2016, de 10 heures
29 février : Yann Richard,
à 18 heures, à l’Espace Champerret.
université Paris1,
Panthéon-Sorbonne, France, Les 18, 19 et 21 janvier, venez participer
L’Union européenne au Moyen-Orient. à l’édition 2016 des tables rondes EAC.
Un acteur faible De nombreux professionnels débattront
dans un voisinage compliqué, des problématiques actuelles du monde de
7 mars : Salman Zaidi, l’art et de la culture.
expert, Islamabad, Pakistan, Programme à consulter sur le site :
Radicalisation : www.groupeeac.com.
les réponses pakistanaises, Inscription et renseignements à :
colloque@groupeeac.com
14 mars : Emile Hokayem,
International Institute 33, rue la Boétie,
for Strategic Studies, Bahreïn, 75008 Paris.
La situation irako-syrienne : Tél. : 01 47 70 23 83.
principal enjeu de sécurité paris@groupeeac.com
dans la région, 11, place Croix-Paquet
69001 Lyon.
21 mars : Jeffrey Lewis,
Tél. : 04 78 29 09 89.
Monterey, Etats-Unis, lyon@groupeeac.com
L’emploi des sources ouvertes pour www.groupeeac.com
l’étude de la prolifération nucléaire,
www.ingemmologie.com
4 avril : Ram Jakhu,
Institut de l’Air et de l’Espace,
Assemblée générale
Université Mac Gill, Montréal, Canada,
Normes juridiques
et guerre dans l’espace, L’ANCEF
informe ses adhérents de la tenue
11 avril : colloque conclusif. de son assemblée générale,
le 19 janvier 2016, à 14 h 30,
à son siège, à Grenoble (Isère).
Me Michel CURTIL, # #  $    

démo reçue par la Poste neuf ans fin stratège. « Il faut juste jouer ses avocat honoraire vous invitent à prier pour le  !# $  # 
 #$   $ #
&. + *2.+
plus tard que tout va changer pour cartes comme il faut », dira celui à la cour d’Appel de Paris,  #$ $   
 #$ $  
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  $  #  *'$ %&# &
lui. Une adolescente de 12 ans, vi- qui est devenu un brillant homme
survenu le 14 janvier 2016.
professeur Marc SANKALÉ,  #$    # . *&%%*
vant en banlieue de Montréal, y in- d’affaires mais qui a eu du mal, oficier de la Légion d’honneur,  #  $
  ! # !  #!
terprète Ce n’était qu’un rêve, une aussi, à contrôler sa passion pour chevalier de l’ordre souverain de Malte, Le 18 janvier 2016, à 17 heures, *%& + &/&
La cérémonie religieuse aura lieu professeur honoraire à l’École normale supérieure,  #$  % # #  
 # " $
composition de sa mère. Il est vite le jeu. Le visionnaire, roi du show- le mercredi 20 janvier, à 10 h 30, en  #$ ! #!    # %&!- &(). %
de la faculté de médecine de Marseille, salle Dussane, 45, rue d’Ulm, Paris 5e *  ** %%#&%.  * %  # %*
charmé par cette voix hors du biz, a cependant contribué à don- l’église Saint-Ferdinand, 27, rue doyen honoraire  # * .*
commun. Flairant le potentiel de la ner un second souffle à Las Vegas, d’Armaillé, Paris 17e. de la faculté de médecine de Dakar, 15e Conférence Alberto-Benveniste  # #   ** &.*-& +
# % *&%
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*%. (*$%- *
jeune fille, il va consacrer sa vie la ville du jeu, tout en pilotant pa- correspondant national  #   $ $
L’inhumation aura lieu au cimetière de l’Académie de médecine, « La banque sépharade en France  %%- &-  # (( &.*  # 3"&0+"
professionnelle et son argent à lan- rallèlement nombre de tournées
médaillé d’honneur au XIXe siècle :  #   $#
d’Ermenonville, dans la plus stricte les Pereire et les autres… ? » *%" &%%+  # .** % * +- % ++&#
cer la carrière de Céline Dion. « Je mondiales de Céline Dion. de l’Amicale santé navale et d’outre-mer,
intimité. par Cyril Grange.  #$ $ $ %# $  $
me donne cinq ans pour faire de vo- Dès 2003, il signe ainsi un con-  ##+ /%
&-
tre fille une star », avait-il promis à trat pour un spectacle « perma- Cet avis tient lieu de faire-part. Remise des Prix Alberto-Benveniste 2016
 #$ $ %# $ $

sa mère. nent » au Coloseum du Caesars Pa- rappelé à Dieu le 13 janvier 2016, de littérature, à Ralph Toledano
.# % *& &.*-

13, avenue Mac-Mahon, dans sa quatre-vingt-quinzième année. et de recherche, à la collection

 #$   % ! #
 #  #!
 %%-  *-
Il finance son premier album, lace, une salle de 4 000 places spé-
75017 Paris. « Péninsules » des éditions Chandeigne.  #  % &.1
pour lequel il avait demandé au pa-
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rolier français Eddy Marnay
d’écrire plusieurs titres. Le succès
&.
est immédiat au Québec, puis
cialement construite pour Céline La messe d’obsèques sera célébrée  #$ #!#$
* + (-&&*&.
Piazza V. Veneto 20, le vendredi 22 janvier, à 15 heures, en # 
Dion. En dehors de tournées mon- Récital de chants sépharades
90143 Palermo. la basilique du Sacré-Cœur, Marseille 8e, par Keren Esther.
  *  3 -
diales, le couple ne quittera plus 85, quai d’Orsay, suivie de l’inhumation à la nécropole
 #$ *%"
Las Vegas, siège principal de leur 75017 Paris. des Vaudrans, Marseille 11e. Entrée libre
 #     $  $ -* % &#2
 #        # * +- % -
ailleurs au Canada et en France. grande aventure commune. p 22, avenue de Friedland, Renseignements sur !  !$ %   ** * (*+ %-
« Souvenez-vous de son nom car anne pélouas 75008 Paris. famille.sankale@gmail.com www.centrealbertobenveniste.org +- % *% & / (*+ %-
16 | culture
Tiago
Rodrigues
fait entrer
le monde
dans son jeu
Le Portugais nous ouvre les portes
du Teatro Nacional de Lisbonne,
où il s’emploie à reconstruire l’art
théâtral
REPORTAGE
lisbonne - Envoyée spéciale
C’
est l’homme de l’an-
née. Il s’appelle Tiago
Rodrigues, il a 39 ans
et il dirige le Teatro
Nacional Dona Maria II de Lis-
bonne, l’équivalent portugais de la
Comédie-Française, où nous
l’avons rencontré en novem-
bre 2015. Le vendredi 13 novembre,
il se réjouissait de l’alliance histori-
que conclue quelques jours aupa-
ravant par Antonio Costa, le maire
socialiste de Lisbonne, qui s’était
entendu avec le Bloc de gauche et
le Parti communiste pour renver-
ser le gouvernement de droite, et
tourner la page des années d’aus-
térité. Le samedi 14 novembre,
Tiago Rodrigues se mêlait à la
foule des Lisboètes rassemblée de-
vant le Teatro Nacional, où de
grands calicots « Je suis Paris »
trouaient la nuit, éclairés en bleu-
blanc-rouge.
Depuis, deux mois ont passé, et
Tiago Rodrigues est maintenant à
Paris, au Théâtre de la Bastille, où il
reprend By Heart, un beau specta-
cle qu’il a présenté une première
fois en novembre 2014, dans le
même théâtre.
On le voit sur scène. Habillé
comme à la ville, brun, portant des
lunettes, il invite dix spectateurs à
le rejoindre et à entrer dans son
jeu : apprendre par cœur le sonnet
numéro 30 de Shakespeare. Tiago
Rodrigues précise bien qu’il n’a
pas l’intention de manipuler les
gens. Ce qu’il veut, c’est s’interro-
ger sur la mémoire, avec d’autres.
Il le fait en partant de l’histoire de
sa grand-mère, qui vit dans un vil-
lage du nord du Portugal.
Cette grand-mère aimée aurait
voulu faire des études. Elle n’a pas
pu, elle est devenue cuisinière,
mais elle n’a jamais cessé de lire.
Quand elle a commencé à perdre
la vue, il y a quelques années, elle a
donné tous ses livres à son petit-
fils, et lui a demandé d’en choisir
un qu’elle apprendrait par cœur,
avant de devenir aveugle. Tiago
Rodrigues met en relation cet acte
de résistance au temps avec l’acte
de résistance à l’oppression qu’a
été la mémorisation de textes,
pendant la période des purges,
dans l’URSS des années 1930, ou
dans les camps de concentration,
pendant la seconde guerre mon-
diale. Et, tout en suivant ce fil, il fait
apprendre aux dix spectateurs,
vers après vers, le sonnet de Sha-
kespeare. A la fin, ils le connaissent
By Heart.
Tiago Rodrigues avait créé ce
spectacle au Portugal avant de le
présenter en France, en français. Il
parle aussi espagnol, parce qu’un
de ses grands-pères est espagnol,
et anglais, « parce que tout le
monde le parle, dans [sa] généra-
tion ». Fils d’un journaliste engagé
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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
contre le régime de Salazar et
d’une mère médecin, il a grandi
dans la banlieue de Lisbonne. Il
n’était pas bon à l’école, mais il
aimait les mots, et il cherchait une
façon de participer au monde. Il l’a
trouvée dans le théâtre, en com-
mençant par apprendre le métier
de comédien au conservatoire de
Lisbonne. « Ça s’est mal passé,
dit-il. Le conservatoire était conser-
vateur, je ne m’y sentais pas heu-
reux, et les professeurs disaient que
le théâtre n’était pas pour moi. Ils
m’ont incité à partir. Ça a été brutal,
mais salutaire. Par nature, je com-
mence à obtenir du plaisir quand je
commence à lutter. »
Créer « son » tg STAN
« Alors, j’ai cherché à rencontrer des
gens qui m’intéresseraient, pour-
suit Tiago Rodrigues. Et j’ai connu
les tg STAN, qui pensaient des cho-
ses que je n’imaginais même pas
qu’on puisse penser. » Nous som-
mes en 1998. Tiago Rodrigues a
21 ans. La troupe flamande révolu-
tionne sa façon d’envisager les
textes, et l’art de l’acteur. Quand
elle lui propose de jouer dans Anti-
gone, en 2001, il saute sur l’occa-
sion. Non sans aplomb. Le specta-
cle va être présenté en anglais et
en français. « Tu peux jouer en fran-
çais ? », lui demandent, en anglais,
ses camarades du tg STAN. Il ré-
pond oui, en sachant que ce n’est
pas vrai. Et il court s’inscrire à l’Al- MARTIM RAMOS / / PICTURETANK POUR « LE MONDE »
liance française de Lisbonne. C’est
ainsi qu’on le verra au Théâtre de
la Bastille (déjà !), où il reviendra Depuis, il a écrit un nombre con- bile de Calder, une lumière chan- Tiago Rodrigues aurait pu garder
plusieurs fois avec le tg STAN. sidérable de pièces, à sa façon di- geante comme les sentiments, et
« Une des plus sa compagnie, Mundo Perfeito. Il
Quand il ne joue pas avec eux, il recte et sensible, entre politique et une douceur terrible dans le va-et- violentes, sinon a choisi de la fermer. « Des amis
travaille avec des compagnies por- poétique, et à une cadence stupé- vient des paroles entre Antoine et m’ont dit : “Tu es fou, qu’est-ce que
tugaises. Et il écrit, sans relâche, fiante. Quatre par an en moyenne, Cléopâtre, les deux amants désu-
la plus violente tu vas faire, dans trois ans, si tu n’es
pour la scène, mais aussi pour des rien que pour sa compagnie. Car il nis par la politique, que Tiago Ro- asymétrie pas reconduit ?” Je n’y pense pas.
journaux ou la télévision. Ce a continué à sauter les frontières, drigues unit dans une poétique du Accepter le Theatro Nacional, c’est
temps, très formateur, dure jus- allègrement : il a travaillé avec Ra- regard, un vice-versa sans fin de
de la société accepter de changer ma vie. Si je
qu’au moment où, en 2003, Tiago bih Mroué, Tim Mitchell, Nature l’amour. Cet Antoine et Cléopâtre, portugaise, tombe, je tomberai vraiment. Mais
Rodrigues décide de se concentrer Theater of Oklahoma… tout en en- qui sera repris au Festival je veux être à mon poste, radicale-
sur son propre travail, et de créer seignant la dramaturgie à d’automne, a été joué à Avignon
c’est l’accès ment, à 100 %. »
« son » tg STAN. Avec Magda Bi- P.A.R.T.S., l’école de la chorégraphe pendant un été « de folie heu- à la culture » La première saison prouve cette
zarro, sa compagne, il fonde la Anne Teresa De Keersmaeker. reuse », dit Tiago Rodrigues. Il pré- détermination : 45 spectacles,
TIAGO RODRIGUES
compagnie Mundo Perfeito, dans « Je suis prolifique, je le sais, et on parait sa première saison à la tête dont 21 inédits de dramaturges
un deux-pièces de la banlieue de me le reproche, constate-t-il. Mais du Teatro Nacional, qu’il a inaugu- portugais, dont Tiago Rodrigues
Lisbonne. Ils travaillent beaucoup je me suis habitué à travailler et à rée en présentant trois tragédies, a voulu « renforcer la présence
avec des collectifs, souvent éphé- vivre entre l’urgence et la compul- Agamemnon, Iphigénie et Electra, un gouvernement du centre droit avec férocité ». Des spectacles du
mères. C’est seulement en 2010 sion. J’ai besoin de produire beau- elles aussi réécrites, comme An- dont il ne partageait pas les opi- tg STAN, de Rodrigo Garcia, Rabih
que Tiago Rodrigues signe son pre- coup pour arriver à quelque chose toine et Cléopâtre. nions, et qui le savait. Mais ce gou- Mroué, Amir Reza Koohestani,
mier spectacle, If a Window Would dont je sois content. Et je ne fais pas vernement voulait un renouvelle- Faustin Linyekula, une vraie pro-
Open, en tant qu’auteur et metteur partie de ces auteurs qui cherchent « A mon poste à 100 % » ment artistique et générationnel. grammation pour l’enfance et la
en scène : la reproduction au théâ- jusqu’au moment où ils trouvent De tout cela, il parle dans le bu- Tiago Rodrigues apportait la jeu- jeunesse. Des tournées dans tout
tre d’un journal télévisé, doublé un mot, le bon. Mon rapport au reau qu’il a aménagé sous les nesse, un nouveau rapport au ré- le pays.
avec d’autres mots. langage est lié à la scène. Il y a quel- combles du théâtre. Il se sent bien pertoire, une reconnaissance in- « Une des plus violentes, sinon la
que chose de très concret dans le dans cet espace qui ressemble à ternationale. plus violente asymétrie de la so-
fait de se trouver sur un plateau, et une cabine de bateau, avec ses fe- « Je n’avais jamais dirigé de théâ- ciété portugaise, c’est l’accès à la
de parler. C’est cet aspect vital que nêtres hautes donnant sur la ville. tre, mais beaucoup de laboratoi- culture. Il y a beaucoup de villes
Dans « By Heart », je voudrais retrouver. » Le Teatro Nacional est au centre res. Ils m’ont fait confiance, et avec un théâtre fermé depuis des
Et c’est cette façon de faire qui a du centre de Lisbonne, face à la m’ont laissé les mains libres. » années. Le Nacional se doit d’y al-
présenté à la séduit, au Portugal et ailleurs. A vieille gare magnifique qui dé- Comme tout directeur du Teatro ler, comme il doit s’ouvrir à tous, à
Bastille, il invite Avignon, on a vu Tiago Rodrigues verse chaque jour des dizaines de Nacional, Tiago Rodrigues a un Lisbonne. » Mais il lui faudrait
pour la première fois en 2015, avec milliers d’habitants de la banlieue contrat de trois ans, qui peut être plus d’argent : 4 millions d’euros
dix spectateurs Antoine et Cléopâtre, une réécri- venus travailler dans la capitale. renouvelé une seule fois. Mais, à de budget, dont 800 000 euros
à apprendre par ture de la pièce de Shakespeare, Cette gare, Tiago Rodrigues l’a tout moment, le gouvernement pour la production artistique.
inspirée par les interprètes, Sofia beaucoup fréquentée, jusqu’à son peut lui dire : ça va, merci, tu t’en Tiago Rodrigues place ses espoirs
cœur un sonnet Dias et Vitor Roriz, deux danseurs arrivée au Teatro Nacional, le vas. Et le renvoyer, du jour au len- dans le ministère de la culture,
de Shakespeare et chorégraphes. Il y avait un mo- 1er janvier 2015. Il a été choisi par demain. Pour assurer ses arrières, qui vient d’être recréé à Lis-
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bonne, après quatre ans d’ab-
sence, par Antonio Costa, devenu
premier ministre du gouverne-
ment.
Si, symboliquement, le Teatro
Nacional occupe la place de la Co-
médie-Française, il est plus pro-
che de l’Odéon-Théâtre de l’Eu-
rope ou du Théâtre national de la
Colline dans son fonctionne-
ment. Sa troupe ne compte que
six comédiens, il ne pratique pas
l’alternance, et il programme des
productions et des accueils, dans
ses deux salles : une de 444 places,
l’autre, modulable, de 60 à 100
places. Mais Tiago Rodrigues est
décidé à occuper tous les espaces,
et à « faire exploser les contrain-
tes ». On peut lui faire confiance. Il
est capable de se lancer dans tou-
tes les aventures, comme celle
qu’il va mener au Théâtre de la
Bastille, d’avril à juin. Elle s’ap-
pelle « Occupation Bastille », et
elle est inédite.
« Besoin de vivre des histoires »
Tout est né de discussions entre
Tiago Rodrigues et l’équipe du
théâtre. « Depuis longtemps, je
cherchais comment lutter contre
ce que j’appelle le “spectateur con-
sommateur”, explique Jean-Marie
Hordé, le directeur de la Bastille.
Bien sûr, on essaye de le faire en
mettant beaucoup de soin au
choix des spectacles. Mais je me di-
sais qu’il faudrait aller plus loin, et
déprogrammer le théâtre, c’est-à-
dire le laisser vide, un certain
temps, pour imaginer un autre
rapport avec les spectateurs. »
De son côté, Tiago Rodrigues re-
grettait de plus en plus que les
tournées de ses spectacles ne lui
laissent pas le temps de vivre une
histoire, dans les villes et les théâ-
tres où il passait. « Où que j’aille,
j’ai besoin de vivre des histoires,
même brèves, dit-il. J’ai du mal
avec le système d’accueil qui se dé-
veloppe de plus en plus : si ça mar-
che, on est content, on boit un
coup, on débat un peu ; si ça ne
marche pas, même si on est désolé,
on ne prend pas vraiment le temps
de discuter. A la Bastille, j’ai senti
que ma préoccupation était enten-
due. “Nous non plus, nous n’avons
pas le temps de vivre des histoires,
m’a-t-on dit. Comment pour-
rait-on changer ça ?” »
Alors, ils ont pris le temps,
beaucoup dialogué, rêvé. Il était
déjà prévu que Tiago Rodrigues
vienne avec Emma Bovary, son
adaptation du procès du roman
de Flaubert, qui va être jouée, en
français, après l’avoir été en por-
tugais, et s’annonce passion-
nante, à en juger par les répéti-
tions vues à Lisbonne, en novem-
bre 2015. Ce spectacle, présenté
du 11 au 17 avril puis du 3 au
26 mai, s’inscrit dans deux mois
pendant lesquels Tiago Rodri-
gues et 7 comédiens portugais et
français vont inventer, au jour le
jour, avec 70 spectateurs et
l’équipe de la Bastille, une autre
façon de faire vivre un théâtre.
Comment ? « Je ne sais pas en-
core, sinon qu’à la fin nous allons
présenter un spectacle, Je t’ai vu
pour la première fois au théâtre
de la Bastille, et que nous allons
mener chaque jour une aventure,
qui pourra être une promenade,
une lecture, ou autre chose. Je sais
que c’est risqué, mais je ne vois pas
comment je pourrais ne pas soute-
nir le courage d’un théâtre qui fait
un pari sur l’inconnu », dit Tiago
Rodrigues, qui se gardera un jour
par semaine, entre avril et juin,
pour retrouver son cher Teatro
Nacional de Lisbonne. p
brigitte salino
By Heart, de, mis en scène et
interprété par Tiago Rodrigues.
Théâtre de la Bastille, 76, rue de
la Roquette, Paris 11e. Tél. : 01-43-
57-42-14. Du mardi au samedi, à
19 h 30 ; dimanche à 17 heures
(relâche le 22). De 14 € à 24 €.
Jusqu’au 26 janvier. Occupation
Bastille, du 11 avril au 12 juin.
Andrew Skeels, le « beat »
de Suresnes Cités Danse
L’Américain met en scène le spectacle d’ouverture
du festival des Hauts-de-Seine, « Street Dance Club »
DANSE
A ttention ! Chorégraphe
inconnu au bataillon en
première ligne du festival
Suresnes Cités Danse, dans les
Hauts-de-Seine. Andrew Skeels,
Américain installé à Montréal, ja-
mais vu en France, a décroché le
gros lot. Vendredi 15 janvier, il a
mis en scène le spectacle d’ouver-
ture, Street Dance Club, présenté
jusqu’au mardi 19 janvier, pour
sept interprètes soufflés par le
swing jazz des années 1920.
Cette commande d’une manifes-
tation comptant parmi les plus of-
fensives sur le créneau hip-hop
contemporain distingue la déter-
mination de son directeur, Olivier
Meyer, à ouvrir des portes et main-
tenir enclenchée la pédale créa-
tion. Sur dix spectacles courant sur
27 représentations jusqu’au 8 fé-
vrier, six sont des créations si-
gnées par de jeunes chorégraphes
comme Jann Gallois et Nawal La-
graa. Si les formats font parfois
dans le court et ressemblent plus à
des galops d’essai, ils mettent le
pied à l’étrier et cela compte drôle-
ment dans le contexte de frilosité
artistique ambiante.
Olivier Meyer, à la tête du Théâ-
tre de Suresnes Jean-Vilar, a le chic
pour se jeter à l’eau. « C’est le plaisir
du risque et de la liberté qui va
d’ailleurs avec le droit de se planter
aussi parfois ! », affirme-t-il. Quel-
ques exemples qui pèsent lourd
dans sa carrière. En 2008, il donne
sa chance à Guillaume Gallienne
et produit Les Garçons et
Guillaume, à table !, présenté au
Théâtre de l’Ouest parisien.
En 2014, dans le cadre de Suresnes
Cités Danse, il soutient Laura Sco-
zzi et sa Barbe-Neige et les Sept Pe-
tits Cochons au bois dormant. Car-
ton partout en France, le spectacle
tient l’affiche jusqu’au 31 janvier,
du Théâtre du Rond-Point, à Paris.
Le pianiste Joseph Moog prend
Chopin et Beethoven à bras le corps
Dans l’auditorium du Louvre, le jeune musicien allemand
a fait la preuve de sa virtuosité et de son audace
MUSIQUE
C’ est la règle : à l’Audito-
rium du Louvre, Joseph
Moog a commencé dans
la série « Concerts de midi ». C’était
le 24 avril 2014, un premier récital
en France, après les deux concer-
tos de Liszt joués au festival de La
Roque-d’Anthéron en août 2013.
Ce 13 janvier, le pianiste allemand a
gagné les galons d’un récital du
soir. Tout juste 28 ans depuis le
26 décembre 2015, silhouette dé-
coupée, beauté marmoréenne,
épaisse chevelure aux ondula-
tions blondes, le jeune homme
ressemble à une gravure de mode.
Mais rien d’esthétisant dans ce
piano fulgurant, empoignant au
collet les Quinze variations et fu-
gue op. 35 « Eroica », de Beethoven,
pour ne plus rien lâcher. Avec un
sens rhétorique renversant.
Ainsi, ce premier sujet de fugue
énoncé presque froidement
comme une hypothèse mathéma-
tique, un matériau chimiquement
pur que l’imagination beethové-
nienne peuplera à chaque varia-
tion en choisissant ses créatures,
tel un dieu de la Genèse. Charnu,
charnel et virtuose jusqu’à l’in-
sensé, Moog amènera le thème
dansant de l’« Eroica » sans un mo-
ment de fléchissement (la main
Skeels, c’est une
haute singularité,
une liberté et un
travail sans
esbroufe
Andrew Skeels, Olivier Meyer le
découvre d’abord en vidéo à tra-
vers la captation de son spectacle
Mosaic, prix de la meilleure choré-
graphie au festival Quartiers Dan-
ses, à Montréal, en 2014. « J’ai alors
décidé d’aller voir sa nouvelle pièce
Oder Nirgends, créée pour dix
danseurs au Ballet de Hanovre, en
septembre 2015, dit Meyer. J’avais
l’idée d’un spectacle autour du Cot-
ton Club d’Harlem et de cette éner-
gie apparue dans les années 1920
après la guerre, à New York. Le par-
cours d’Andrew, très particulier, m’a
semblé pouvoir répondre à ce désir
et à celui d’ouverture de la danse. »
D’une texture délicate
Le trajet d’Andrew Skeels, 35 ans,
tout charme et rire tonitruant,
abat un bouquet de qualités con-
trastées. Elles attestent d’une
haute singularité, d’une liberté et
d’un travail sans esbroufe. Né à
Boston, il danse spontanément le
hip-hop dès l’âge de 10 ans, en
compagnie de sa sœur, puis se
forme au jazz et aux claquettes. A
16 ans, il attaque le classique, intè-
gre, six ans plus tard, Les Grands
Ballets Canadiens de Montréal, où
il endosse, pendant sept ans, les rô-
les de prince du répertoire, mais
aussi les partitions-solistes dans
les pièces de Mats Ek ou d’Ohad
Naharin. En 2010, il commence à
créer ses propres pièces, déjà repé-
rées à Montréal. « Je ne suis pas si
original que ça, dit-il. A Montréal, je
connais quelques danseurs qui ont
suivi le même parcours que moi. »
gauche est redoutable) dans ce jeu
de cache-cache musical où fusent
çà et là quelques francs traits d’hu-
mour (un Ländler marqué du ta-
lon) ou d’autodérision joviale (le
pseudo-rythme de polka à la fin de
la fugue) – sans parler de fulguran-
ces schubertiennes.
Déconstruction-reconstruction
On comprend très vite que la So-
nate en si mineur op. 58 de Chopin
sera soumise au même travail de
déconstruction-reconstruction. Le
compositeur polonais si souvent
assaisonné de glutamate senti-
mental sera ici sculpté dans une
roche rhapsodique et fantasque.
Comme dans Beethoven, la florai-
son mélodique a été le fruit d’un
noble combat. L’homme aime le
vertige du son, le corps d’un piano
qu’il habille d’une matité riche
comme dans le « Scherzo », boule
de feu dynamique. Un clavier de
formule 1 (ses moyens colossaux le
lui permettent) mais avec une tra-
jectoire d’aigle. Le dernier mouve-
ment osera des narrations profi-
lées à l’instar d’une Mephisto-Valse
lisztienne. Le public, déconte-
nancé, n’a pas manifesté un en-
thousiasme débordant.
Pas plus que pour la Grande so-
nate op. 37, composée par Tchaïko-
vski en même temps que son célè-
culture | 17
Il y a plus de cinéma
dans Tangerine
que dans bien
des superproductions
Marianne
Une pépite
Sur le plateau, trois hommes et Le JDD
quatre femmes, sélectionnés
parmi 150 interprètes auditionnés
pendant près de deux semaines,
font le sel de Street Dance Club.
Visiblement heureux de se pro-
duire ensemble, ils cisèlent la ges-
Ca file, ça pulse
Télérama
tuelle hip-hop contemporaine, pé-
trie de multiples apprentissages,
de Skeels. Des séquences d’une Queer et emballant
texture délicate tissent un jeu de Les Inrockuptibles
relais qui noue les danseurs dans
des tourniquets ou des rondes pai-
Une énergie incroyable
sibles. Leurs mains composent des
corolles qui s’ouvrent et se fer-
ment sur les musiques d’Antoine Le Parisien
Hervé, inspirées par Duke Elling-
ton et Billie Holiday. « J’ai cherché à
mettre en valeur ce qu’ils avaient en
commun au-delà de leurs styles dif- Comique et bouleversant
férents, précise Skeels. Je voulais Le Canard enchaîné
aussi valoriser l’énergie d’être en-
semble sur scène. » Mission réussie.
Ce pari sur la création est la si-
gnature de Suresnes Cités Danse Formidable et spectaculaire
depuis ses débuts, en 1993. Il
Le Monde
trouve un vivier de jeunes créa-
teurs dans le pôle Cités Danse Con-
nexions, créé en 2007 – 400 mè-
tres carrés consacrés à la création –
pour soutenir les jeunes hip-ho-
Un ovni tragicomique et captivant
peurs. Nombreux sont les artistes Libération
en herbe qui ont la chance d’y trou-
ver un tremplin. Cette année, dans
le cadre de deux programmes ex-
ceptionnels, Jann Gallois, habituée Drôle, corrosif, foutraque à la manière
de la manifestation depuis 2008, la des premiers films d’Almodóvar
clown Muriel Henry, qui a fondé,
L’Humanité
en 2009, une compagnie avec les
danseurs hip-hop P. Lock et Hakim
Hachouche, mais encore le hip-ho-
peur David « Laos » Phiphak, en
duo avec Kevin Theagene, profi-
Sauvage, hyperactif et émouvant
tent de ce dispositif unique. Incon- Grazia
nus ? Plus pour longtemps. p
rosita boisseau
Street Dance Club, d’Andrew Ému aux larmes, touché au cœur
Skeels. Suresnes Cités Danse, Paris Match
Théâtre de Suresnes Jean-Vilar.
Jusqu’au 19 janvier, à 21 heures.
Le souffle et le ton enlevé
Tél. : 01-46-97-98-10. De 10 à 28 €.
des premiers Spike Lee
A Nous Paris
Brillantissime
Yagg.fr
bre Concerto pour violon, jouée par
le musicien allemand après l’en-
tracte. Une œuvre vigoureuse, un
tantinet rabâcheuse, que la pia-
niste a enregistrée en 2014 pour
Onyx Classics. Quatre longs mou-
vements denses et contrastés,
d’une eau noire, avec des tunnels
asphyxiants et de lents accords dé-
pressifs comme dans l’« Andante
non troppo quasi moderato »,
avant le voltigeant « Scherzo » et la
digitalité de follet de l’« Allegro » fi-
nal, empreint de motifs populaires
russes. Là aussi, le jeune homme
singulier à la vitalité surhumaine
déroute. Peut-être se fera-t-il par-
donner avec une Pastorale en mi
mineur de Scarlatti dans la version
de Carl Tausig en bis (il a aussi Un film de Sean Baker
gravé un disque Scarlatti pour
Onyx Classics), avant la sensuelle
évocation d’En avril à Paris, de
Charles Trénet, revu par Alexis Paris UGC Les Halles Nantes Katorza
Weissenberg. Il a pour cela un bel
avenir devant lui. p Rouen Omnia
marie-aude roux
Auditorium du Louvre, Paris 1er.
Lille Majestic Caen Lux
Prochain concert avec le Quatuor
Armida le 21 janvier à 20 h 30. Toulouse Utopia Rennes Ciné TNB
Tél. : 01-40-20-55-00. Louvre.fr.
Diffusion du récital de Joseph Strasbourg Star Bordeaux Utopia
Moog sur France Musique le
23 février à 14 heures, sur
Medici.tv pendant soixante jours.
18 | culture
La lutte finale de
deux fauves blessés
Alain Françon tire le meilleur de la pièce
d’Edward Albee « Qui a peur de Virginia
Woolf ? », au Théâtre de l’Œuvre, à Paris
THÉÂTRE
L’
animal est partout
dans les pièces du dra-
maturge américain Ed-
ward Albee : qu’il
s’agisse d’une chèvre (celle dont
le héros tombe amoureux, dans
la pièce du même nom), de co-
chons (les hommes, en général),
des étranges créatures de Zoo
Story ou, évidemment, de loup,
comme dans Qui a peur de Virgi-
nia Woolf ? L’homme est bien un
loup pour la femme, et inverse-
ment, dans cette étonnante pièce
dont les images traînent dans no-
tre inconscient, grâce au film
qu’en a tiré Mike Nichols,
en 1966, avec ces deux monstres
qu’étaient Elisabeth Taylor et Ri-
chard Burton.
Mais, aujourd’hui, on la redé-
couvre totalement, cette pièce,
grâce à la mise en scène qu’en of-
fre Alain Françon, au Théâtre de
l’Œuvre à Paris, qui la décape de
ses aspects folkloriques et boule-
vardiers. Dans l’affrontement de
ces deux fauves que sont Martha
et George ressort toute l’interro-
gation d’Albee sur ce qui sépare
– ou plutôt ne sépare pas –
l’homme et l’animal, et sur le rôle
du langage dans toute cette af-
faire.
Qui a peur de Virginia Woolf ?
est d’abord une immense joute
oratoire, le grand moment de
théâtre que se joue un couple
d’âge mûr sous les yeux médu-
sés, puis fascinés, d’un autre cou-
ple plus jeune. Jeu de rôles, jeu de
massacre, jeu de mains, jeu de vi-
lains, jeu de mots, jeu de séduc-
tion, jeu de pouvoir, jeu de so-
ciété. Edward Albee pose ses élé-
ments avec une science confon-
dante, presque mathématique :
dans ce qu’on suppose être une
ville moyenne de province, Mar-
tha, qui est la fille du doyen de
l’université, et son mari, George,
professeur d’histoire, invitent
Nick, le jeune enseignant en bio-
logie tout juste arrivé, et sa
femme, Honey, à boire un der-
nier verre chez eux.
Mise en scène au cordeau
Le jeune couple va jouer le rôle du
public, face à la représentation
que vont lui jouer Martha et
George : celle de deux êtres prêts
à aller jusqu’au bout dans l’enfer
d’un couple, où tout est bon pour
se blesser et s’humilier. Mais, peu
à peu, les masques tombent,
comme il se doit. Et si les jeunes
Nick et Honey n’étaient qu’un
miroir à peine déformé de
George et de Martha ? Et si les
Les
comédiens
Wladimir
Yordanoff et
Dominique
Valadié.
DUNNARA MEAS
plus aptes à arracher les masques
et à cheminer vers la vérité
n’étaient pas ceux que l’on aurait
cru au départ ?
Avec sa mise en scène au cor-
deau, qui se tient dans l’espace
minimal du salon du couple,
Alain Françon tire le meilleur de
cette pièce vertigineuse et gla-
çante, où le dramaturge améri-
cain va très loin dans la lutte sans
merci entre le pouvoir féminin et
le pouvoir masculin, le loup et la
louve, et dans l’analyse des frus-
trations abyssales que vivent les
personnages.
Cela n’empêche pas la pièce
d’apparaître, à certains moments,
un peu datée dans sa facture, mal-
gré la traduction récente et très fi-
dèle à l’original que signe Daniel
Loayza. Le texte semble
aujourd’hui alourdi par toute une
rhétorique de la psychanalyse
américaine des années 1960. Mais
ce n’est pas très grave. Qui a peur
de Virginia Woolf ? est évidem-
ment du pain bénit pour les ac-
teurs, et Alain Françon a réuni un
excellent quatuor, qui fonctionne
à merveille pour jouer à la fois la
dimension la plus abstraite et la
plus humaine de la pièce.
Julia Faure (Honey) et Pierre-
Boulez, pleuré d’une
rive à l’autre du Rhin
Un hommage a été rendu au musicien
à Paris, après ses funérailles en Allemagne
C eux qui m’aiment pren-
dront le train. Les funé-
railles de Pierre Boulez,
mercredi 13 janvier à Baden-Ba-
den, en Allemagne, semblent faire
écho au film de Patrice Chéreau,
son partenaire d’opéra. Une cen-
taine d’intimes et de proches
étaient réunis pour un service reli-
gieux dans l’église collégiale de la
ville d’eau, où le musicien français
s’était installé au début des années
1960, et où il est mort le 5 janvier à
l’âge de 90 ans. Parmi eux, les mu-
siciens de la SWR Baden-Baden et
Freiburg ont notamment joué
l’andante amoroso de la Suite lyri-
que de Berg et l’adagio de la Gran
Partita KV 361 de Mozart. A 12 h 30,
Pierre Boulez a été inhumé sur les
hauteurs de la ville, en bordure de
la Forêt-Noire, non loin de sa mai-
son du 9 Kapuzinerstrasse.
Le lendemain, jeudi 14 janvier, la
France a rendu hommage au com-
positeur, chef d’orchestre, penseur
et bâtisseur d’institutions, l’une
des figures musicales primordia-
les du XXe siècle. L’église Saint-Sul-
pice, à Paris, était pleine. Impossi-
ble de nommer toutes les person-
nalités présentes, qu’elles soient
politiques (Manuel Valls entouré
d’un aréopage de ministres de la
culture, de Jack Lang à Fleur Pelle-
rin, en passant par Catherine
Tasca ou Jean-Jacques Aillagon) ou
qu’elles émanent du milieu cultu-
rel et musical (le directeur de
l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner,
l’architecte Jean Nouvel, l’écrivain
Pierre Guyotat, les compositeurs
Bruno Mantovani, Marc-André
Dalbavie, Michaël Levinas,
Philippe Hurel, Ivan Fedele…).
Contrairement à Baden-Baden,
la musique de Pierre Boulez a été
mise à l’honneur, interprétée par
François Garel (Nick) donnent
aux deux jeunes gens toute la di-
mension inquiétante que recèle
leur apparente normalité. Mais
c’est surtout le couple mons-
trueux qui retient l’attention, et il
est formidable : Wladimir Yorda-
noff, sidérant d’humanité blessée
et manipulatrice, et Dominique
Valadié, la grande Valadié, qui
trouve là matière à déployer tout
son talent, de la perversité feutrée
à la folie tragique.
Ainsi vont ces deux couples qui
se jouent du mauvais théâtre, le
savent, et essaient, comme ils
peuvent, de faire la part entre la
les musiciens de l’Ensemble inter-
contemporain, qu’il a créé en 1976 :
Dialogue de l’ombre double, pour
clarinette (extraits), Anthèmes 1,
pour violon. Entre les deux, l’orgue
en majesté d’Olivier Messiaen
(1908-1992), qui fut le mentor du
jeune Boulez, et son Apparition de
l’Eglise éternelle par l’organiste de
Saint-Sulpice, Daniel Roth.
« Un rayonnement unique »
Le premier à prendre la parole a été
le chef d’orchestre et pianiste Da-
niel Barenboïm, compagnon de
route de Boulez depuis cin-
quante ans. « Pierre Boulez est avec
nous, a-t-il souligné, non seule-
ment parce que sa musique conti-
nue d’être jouée, mais parce qu’il
avait un rayonnement unique. »
Ont suivi, après l’homélie du Père
Jean-Loup Lacroix, les Variations
canoniques nos 3 et 4, BWV 769, de
Bach. Puis l’architecte Renzo
Piano, concepteur de l’Institut de
recherche et coordination acousti-
que/musique (Ircam, fondé par
Boulez en 1969), a évoqué avec
chaleur sa première rencontre
avec Boulez, possédé par une re-
cherche éthique de la beauté et de
la poésie.
Une transcription des Farben
op. 16 n° 3, d’Arnold Schoenberg,
par le chœur Accentus, a précédé
le saisissant et vibrant éloge funè-
bre de Laurent Bayle, président de
la Philharmonie de Paris et fils
spirituel de Pierre Boulez. Une
dernière pièce boulézienne, Mé-
moriale, suivie du Prélude et Fu-
gue BWV 544, de Bach, ont conclu
en musique une cérémonie sobre
et recueillie, mais non dépourvue
d’émotion, telle que l’eût sans
doute souhaitée Pierre Boulez. p
marie-aude roux
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
vérité et l’illusion. Ici, la ritour-
nelle « Qui a peur du grand mé-
chant loup ? » se chante sur l’air
des Trois petits cochons. Of
course. p
fabienne darge
Qui a peur de Virginia Woolf ?,
d’Edward Albee (traduction
de Daniel Loayza).
Mise en scène : Alain Françon.
Théâtre de l’Œuvre, à Paris 9e.
Tél. : 01 44 53 88 88.
Du mardi au samedi, à 21 heures,
dimanche à 15 heures, jusqu’au
3 avril. De 10 € (moins de 26 ans)
à 42 €. Durée : 2 heures.
NAZ ANIN
G A L E R I E
PO UYANDEH
Galerie Vincent Sator
Le diable, dit-on, est dans
les détails. Les peintures
récentes de Nazanin Pou-
yandeh le prouvent. Scè-
nes de grand format à
plusieurs figures ou visa-
ges occupant l’essentiel
de petites toiles, elles ne
semblent d’abord serei-
nes et baignées d’éro-
tisme que pour démentir
cette sensation et déstabi-
liser le regard et la com-
préhension. Gestes et ex-
pressions demeurent
suspendus entre plu-
sieurs sens possibles. Les
motifs des vêtements se
déploient de façon anor-
male. La nature est op-
pressante, sous des cieux
sans éclat. Trois femmes
semblent paisibles et ten-
dres, devant un paravent
où d’infernales tortures
sont dessinées. Telle
jeune beauté avale-t-elle
ou vomit-elle une nuée
d’oiseaux ? Une autre al-
laite son enfant dans une
caverne. Des singes obser-
vent les visiteuses d’un
zoo les observant dans
leur cage. Mais qui est en-
fermé ? Deux jeunes pein-
tres, dont l’une est étran-
gement nue, font surgir
un dragon sur une toile, à
moins qu’il ne soit vi-
vant : le diable encore,
sous sa forme de reptile,
sans doute. L’œuvre de
Nazanin Pouyandeh, qui
est née à Téhéran en 1981,
vit de ces basculements
constants du plaisir à l’in-
quiétude. Ses ambiguïtés
et ses obsessions ont une
rare force de sugges-
tion. p philippe dagen
L’envers de l’histoire,
Galerie Vincent Sator,
passage des Gravilliers,
10, rue Chapon, Paris 3e.
Tél. : 01-42-78-04-84.
Du mardi au samedi
de 14 heures à 19 heures.
Jusqu’au 27 février.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Dans l’antichambre des Tudors
La série « Wolf Hall » relate l’ascension fulgurante du conseiller du roi Henry VIII, Thomas Cromwell
L
à où la série « Les Tudors » se voulait
moderne et pétillante en suivant le
jeune roi d’Angleterre Henry VIII
dans toutes ses exubérances (jus-
que dans son lit, qu’il fréquentait assidû-
ment mais pas pour y dormir), « Wolf Hall »
nous embarque dans les pas du conseiller
personnel de ce même Henry VIII, Thomas
Cromwell. Né de rien du tout, celui-ci était
devenu le deuxième personnage du
royaume au mitan des années 1530.
Aujourd’hui encore, des controverses op-
posent les historiens britanniques pour dé-
terminer qui, du roi Henry VIII ou de son
éminence grise Thomas Cromwell, a été à
l’initiative des décisions politiques et reli-
gieuses capitales qui firent basculer l’Angle-
terre dans une ère nouvelle.
Grand spécialiste des Tudors, Sir Geoffrey
Elton estime que Cromwell aura été le grand
novateur et marionnettiste de l’époque,
grâce à l’oreille que lui prêtait Henry VIII.
Même si d’autres pensent le contraire, la ro-
mancière Hilary Mantel penche elle aussi
pour cette hypothèse alors même que Tho-
mas Cromwell était jusqu’ici communé-
ment (et uniquement) assimilé à un traître
et un tortionnaire, à un homme fourbe et
cruel pour avoir fait décapiter ses adversai-
res, placé des espions dans chaque recoin
du pays, et employé la terreur comme mode
de gouvernance. « En d’autres temps, on ne
faisait pas une affaire de la croyance reli-
gieuse, mais cette époque est révolue, com-
mente Cromwell dans cette fiction. Nous
sommes en guerre. »
En le montrant grand serviteur de l’Etat
quel qu’en fût le prix, les deux premiers
opus de la trilogie sur Thomas Cromwell
écrite par Hilary Mantel ont tant fait pour
redorer son image qu’ils ont donné lieu à
une adaptation par la Royal Shakespeare
Company, elle-même produite à Broadway.
Et, pour la télévision, à une mini-série en six
épisodes, « Wolf Hall », Golden Globe 2016
en tant que « meilleure mini-série », qu’Arte
diffuse les jeudis 21 et 28 janvier. Ces deux
romans, Wolf Hall (Booker Prize 2009) et
Bring up the Bodies (Booker Prize 2012), ont
été publiés chez Sonatine sous le titre
Le Conseiller (tomes 1 et 2).
« Il aura été le premier haut fonctionnaire
du pays (« civil servant »), commente le réa-
lisateur de « Wolf Hall », Peter Kosminsky.
Non parce qu’il était comte de ceci ou duc de
cela, ou encore qu’il faisait partie de l’Eglise
(seul moyen de devenir puissant lorsque,
comme lui, on n’appartenait pas à la no-
blesse), mais par la seule force de ses capaci-
tés. Il est le premier fonctionnaire à avoir at-
teint le sommet de l’Etat grâce à son intelli-
gence. Ne serait-ce que pour cela, il est inté-
ressant. »
A cette époque où la torture est « aussi né-
cessaire que le sel l’est pour la viande », selon
Hilary Mantel, être né fils de forgeron et de-
venir le personnage le plus écouté par le roi
ne peut qu’inciter à la plus grande pru-
dence. Tous les nobles de la cour n’atten-
dent qu’une chose : piéger Cromwell, l’ame-
ner à faire un faux pas afin de prendre sa
place. Le monarque lui-même, à qui Crom-
well devient indispensable, rappelle à l’envi
la fragilité et la fugacité du pouvoir dont
jouit son protégé : « Ce que vous êtes, ce que
vous possédez, vous me le devrez. (…) Croyez-
vous que je vous aie promu pour le charme
de votre présence ? Je vous garde parce que
vous êtes un serpent. Mais ne vous compor-
tez pas en vipère avec moi. »
Mensonge, flatterie, tromperie, propa-
gande, désinformation et, surtout, calcul,
Une série « politique », qui résonne avec l’actualité
tactique et stratégie, observation et silence
seront les armes de ce Cromwell qui esca-
lade l’échelle sociale au-dessus de la cour
jusqu’à devenir l’agent le plus puissant de
l’évolution politique et religieuse du pays.
Fils « d’un castagneur »
En plaçant sa caméra sur l’épaule de ce con-
seiller du prince (on ne sait pas si Cromwell a
pu disposer, en Angleterre, d’une copie de
l’œuvre de Machiavel), le réalisateur de
« Wolf Hall » fait bien mieux que nous intro-
duire dans la chambre du roi : nous sommes
avec son conseiller dans l’arrière-cuisine du
pouvoir, là où il choisit, par exemple, la pro-
chaine jeune femme dont le roi tombera
amoureux, une jeune protégée tout acquise
à lui…
Cromwell, qui aura été mercenaire pour
les Français, travaillé dans la banque à Flo-
rence et aux Pays-Bas, puis été homme de loi
auprès du cardinal Wosley (grand chancelier
du roi), fera office, une fois la confiance
d’Henry VIII acquise, de bras droit et de bras
armé, de chef de cabinet et de diplomate,
d’homme de l’ombre, sans oublier qu’il ne
sera jamais que le fils « d’un querelleur et
d’un castagneur » aux yeux de la cour.
Il fallait l’immense acteur de théâtre qu’est
Mark Rylance pour assurer cette perfor-
télévisions
mance d’être de toutes les scènes, d’observer
« N’appartenant beaucoup en silence, d’être souvent filmé en
pas à la noblesse, plan très serré, et de toujours intriguer en
dépit de l’impassibilité qui sert de couver-
il est le premier ture (et d’assurance-vie) à son Cromwell.
personnage à
Désir de vengeance
avoir atteint le Tout dans cette série respire soin et qualité :
sommet de l’Etat de la troupe d’acteurs (dont l’Anglais Da-
mian Lewis, le Nicholas Brody de « Home-
grâce à son land », ici en Henry VIII, et Claire Foy, su-
intelligence » perbe Anne Boleyn) aux décors et aux cos-
tumes, jusqu’aux partis pris concernant la
PETER KOSMINSKY
lumière. Les grandes baies vitrées qui appa-
réalisateur de « Wolf Hall »
raissent à l’époque en Angleterre peuvent
inonder les pièces de soleil, tandis que les
bougies, la nuit, ne percent que quelques
petits trous de clarté.
Au terme de six formidables épisodes pre-
nant tout le temps qu’il faut (où seule la ré-
currence d’un souvenir de Cromwell, qui
hilary mantel a été deux fois cou- tion voit Cromwell comme “le mé-
ronnée du prestigieux prix de litté- chant” et son prédécesseur, Thomas
rature Man Booker Prize pour les More, comme “le saint” ; or, à partir
premiers tomes de la biographie ro- de ses recherches, Hilary Mantel ose
mancée de Thomas Cromwell, Wolf renverser le point de vue sur Cromwell
Hall (2009) et Bring Up the Bodies et finit par le rendre sympathique… »
(2012), parus chez Fourth Estate. La « “Wolf Hall” est une série très politi-
romancière britannique n’a com- que », souligne le réalisateur. Cette
mencé cette trilogie sur le conseiller mini-série s’attache à dépeindre la
du roi Henri VIII qu’à l’issue de cinq fulgurante ascension de Cromwell,
ans de recherches menées aux Ar- homme de loi qui va transformer
chives nationales du Royaume-Uni. l’Angleterre, mais aussi à montrer les
Un argument qui n’a pas empêché coulisses du pouvoir dans l’Europe
l’Eglise catholique britannique de de Charles Quint.
s’agacer. Celle-ci regrette que, pour
les années 1530, où Henry VIII s’est Parallèle avec « l’islam extrémiste »
fait chef suprême de l’Eglise d’Angle- Ce qui a intéressé Kosminsky, dans
terre, la romancière ait choisi de les livres de Mantel, est la grande op-
mettre en majesté Thomas Crom- position entre principes et pragma-
well, et non son prédécesseur, le très tisme, qui les structure. Entre « ceux
catholique Thomas More, qui a qui sont prêts à mourir pour leur foi,
perdu la tête en martyr pour s’être craignant une condamnation de leur
opposé à la volonté du monarque. âme immortelle et une éternité dans
« Les deux premiers livres d’Hilary les feux de l’enfer », tel Thomas More,
Mantel, dont cette mini-série “Wolf et « ceux qui font ce qu’il faut pour vi-
Hall” est adaptée, ont donné lieu à de vre un jour de plus, quel qu’en soit le
nombreuses controverses, reconnaît prix », à l’image de Thomas Cromwell.
son réalisateur, Peter Kosminsky. Et puis l’époque d’Henry VIII est
Cela fait cinq cents ans que la tradi- entrée en résonance avec la nôtre.
| 19
Mark Rylance
(Thomas
Cromwell), dans
« Wolf Hall »
GILES KEYTE /PICTURE
COMPANY /BBC
alimente son désir de vengeance contre les
nobles, ne nous a pas parue indispensable),
on quitte ce brillant conseiller tout en haut
de l’échelle sociale, mais une échelle que
tient Henry VIII, pour quatre ans encore. Le
troisième et dernier roman de la trilogie
d’Hilary Mantel, « The Mirror and the Li-
ght », en cours d’écriture, sera sans doute
terminé cette année, puis adapté par le
même excellent scénariste, Peter Strau-
ghan, et de nouveau réalisé par Peter Kos-
minsky pour la BBC. p
martine delahaye
« Wolf Hall », mini-série adaptée par Peter
Straughan et réalisée par Peter Kosminsky.
Avec Mark Rylance, Damian Lewis, Claire
Foy, Jonathan Pryce, Anton Lesser
(6 × 60 minutes, Royaume-Uni, 2015). Trois
épisodes par soirée sur Arte, les 21 et
28 janvier.
« A la lecture des romans, dit le réali-
sateur, j’étais totalement plongé dans
cette période et je ne voyais aucun
lien avec le présent. Mais, en tra-
vaillant sur l’adaptation et le tour-
nage, s’est imposé à moi un certain
parallélisme entre les questions qui se
posaient à un chrétien comme More,
à l’époque, et ce qui traverse l’islam
aujourd’hui. Que voit-on au XVIe siè-
cle ? Des personnages brûlés vifs, des
têtes coupées en public, des tripes mi-
ses au jour d’une part ; de l’autre, des
personnages prêts à souffrir le mar-
tyre et à mourir au nom de principes
ou de points de doctrine que nous ju-
geons mineurs aujourd’hui… Com-
ment ne pas penser à l’islam extré-
miste, celui des salafistes et leurs exé-
cutions, en opposition à l’islam
“traditionnel”, si l’on peut dire ? »
Pour l’heure, Peter Kosminsky écrit,
pour Channel 4, le scénario d’une fic-
tion en quatre épisodes sur l’organi-
sation Etat islamique (EI). Soit quatre
Britanniques musulmans, deux
hommes et deux femmes, qui par-
tent pour la Syrie rejoindre l’EI. p
m. d.
20 | télévisions
Chazal: «L’exercice du journal est derrière moi»
Après son éviction de TF1, la journaliste revient sur France 5 pour présenter l’émission culturelle « Entrée libre »
ENTRETIEN
A
peine quatre mois
après son départ du
« 20 heures » de TF1 le
week-end, Claire Cha-
zal revient, presque à la même
heure, en semaine, sur France 5.
Elle présente à partir du lundi
18 janvier « Entrée libre », une
émission quotidienne sur la cul-
ture diffusée à 20 h 15.
Comment votre arrivée sur
France 5 s’est-elle faite ?
Assez simplement, grâce à Mi-
chel Field, que je connais depuis
des années. Dès que TF1 m’a signi-
fié mon départ, il m’a appelé pour
me proposer rapidement cette
émission. J’ai dit oui tout de suite.
Qu’est-ce qui vous motivait ?
J’avais envie de me recentrer sur
l’art et la culture au sens large, des
centres d’intérêt personnels qui
sont devenus plus forts au fil du
temps. Je suis toujours parvenue à
les traiter dans mes journaux. Je
me suis dit que c’était une belle oc-
casion de me concentrer sur ce
que j’aimais vraiment, même si le
reste m’intéresse évidemment.
C’est une chance pour moi de par-
ler de la culture, du spectacle vi-
vant, des livres…
Etait-ce vital, pour vous, de res-
ter sous la lumière des projec-
teurs ?
Non, ce qui m’a été proposé est
moins exposé. Bien sûr, c’est un
rendez-vous très important, la
seule quotidienne culturelle à la
télévision, mais je cesse d’être
sous les projecteurs. Au fond, j’en
ai même ressenti un soulage-
ment. La pression est forte, sur-
tout dans des temps de concur-
rence avec les chaînes.
Quelle patte personnelle appor-
terez-vous sur « Entrée libre » ?
C’est une émission que je regar-
dais avec beaucoup d’assiduité. Je
suis heureuse de me glisser dans
ces habits-là. Je n’ai aucune inten-
tion de bouleverser quoi que ce
soit. Au contraire, j’ai envie de va-
loriser les sujets très bien faits par
une équipe de jeunes journalistes.
Je le ferai à ma façon. Je vois beau-
coup de choses donc je vais peut-
être oser dire ce que j’aime. Ma
patte personnelle sera aussi cer-
tains choix de reportages que je fe-
Arte réussit à élargir son public
La politique de la présidente d’Arte France, Véronique Cayla, qui s’applique à rendre la chaîne plus accueillante, récolte de bonnes audiences
A rte a séduit un public plus
large en 2015. Après une
année de stagnation de
ses audiences, la chaîne culturelle
a en effet enregistré une crois-
sance de 10 %, passant de 2 % de
part d’audience à 2,2 % en
moyenne depuis novembre 2014.
« 80 % de nos programmes sont
européens, 85 % de notre program-
mation cinéma est faite de films
art et essai, aucune de nos séries
n’est américaine, précise la prési-
dente d’Arte France, Véronique
Cayla. Avec ces trois indicateurs,
nous marquons notre différence. »
En 2011, Véronique Cayla entre-
prenait de dépoussiérer la grille
des programmes de la chaîne cul-
turelle. Depuis, elle l’a peaufinée,
avec cette même volonté d’« être
moins docte », « plus accueillant
avec le public », et « de montrer que
l’humour n’est pas interdit sur
Arte ». Les résultats sont au ren-
dez-vous. En France, les audiences
ont augmenté de 50 % sur les cinq
dernières années.
Arte a fait du cinéma grand pu-
blic l’un de ses points forts.
En 2015, la chaîne a réalisé sa
« Ce magazine
explore
un large champ
de la culture
et de l’art
avec exigence
et sans élitisme »
rai avec les rédactrices en chef. Ce
magazine explore un large champ
de la culture et de l’art avec exi-
gence et sans élitisme. Nous ne
sommes pas dans la promotion de
spectacle, mais dans une réflexion
sur ce qui est proposé. Ce n’est pas
un exercice d’admiration, mais de
transmission de désir, de plaisir de
la passion.
Est-ce difficile d’arriver dans une
équipe constituée ?
Oui, c’est une émotion. Je suis
dans la période où je dois m’adap-
ter, je dois me faire accepter hu-
mainement. Je le fais avec une
forme d’humilité.
Prendre la place de Laurent Gou-
marre vous a-t-il posé un cas de
conscience ?
Je comprends que pour Laurent
Goumarre, c’est très douloureux,
d’autant qu’il faisait très bien son
travail. J’ai tout de suite signifié à
Michel Field que je ne voulais pas
imposer le départ de quelqu’un.
C’est sa décision.
Avez-vous pour objectif de doper
l’audience ?
Elle est très honorable, mais la
pression existe pour moi, j’ai été
habituée à l’avoir. Je serai ravie de
faire venir des téléspectateurs. Je
sais d’expérience qu’on les perd
très vite, mais qu’il est plus diffi-
cile d’en gagner. Laurent Gou-
marre avait ses fidèles, mais j’es-
père être légitime sur les sujets
culturels. Je pense que les gens sa-
vent que ce n’est pas usurpé pour
moi de parler de danse, de théâtre,
de musique…
La nouveauté, c’est que vous al-
lez recevoir des invités…
Dans un premier temps, il y en
aura un par semaine, le lundi. No-
tre envie, c’est d’offrir un rendez-
vous aux artistes. Un rendez-vous
meilleure audience avec Le Vieil
Homme et l’enfant, de Claude Berri
(1,7 million de téléspectateurs) et
s’est surtout appuyée sur des va-
leurs sûres : Taxi Driver, Les Affran-
chis et Le Temps de l’innocence,
programmés dans le cadre du
cycle consacré à Martin Scorsese,
ont tous les trois dépassé le mil-
lion de téléspectateurs. « Nous sa-
vons que le cinéma américain a
cette force de plaire à nos deux pu-
blics, français et allemand, expli-
que la présidente d’Arte. Ces films
ont été diffusés dans le cadre d’un
accompagnement de l’exposition à
la Cinémathèque. Ils n’ont pas été
proposés comme ça, un dimanche
soir, pour rapporter de l’audience. »
« Rassembler un public familial »
Reste que certains films grand pu-
blic comme Un poisson nommé
Wanda ou Cartouche avec Jean-
Paul Belmondo, programmés par
Arte fin décembre, ont déjà été
diffusés à de maintes reprises sur
d’autres chaînes françaises au
cours des dernières années. Arte
serait-elle devenue moins exi-
geante avec son public ? « Les va-
Le 1er janvier. CHRISTOPHE FILLIEULE/LA FABRIK
calme, sans polémique, où ils
auront un peu de temps pour s’ex-
primer sur des sujets parfois diffi-
ciles. Mes premiers invités seront
Daniel Auteuil, Charlotte Ram-
pling et Nathalie Baye.
Avant même votre arrivée à
France 5, une polémique s’est dé-
clenchée sur le montant de votre
salaire et sur celui de votre ma-
quilleuse. Qu’en est-il ?
Je l’ai beaucoup déploré, même
si je vis avec les fausses informa-
En France,
les audiences
ont augmenté
de 50 %
sur les cinq
dernières années
cances scolaires sont le seul mo-
ment où nous arrivons à rassem-
bler un public familial, rétorque
Véronique Cayla. Regarder Arte en
famille n’est pas un réflexe. »
Les audiences des documentai-
res, principal genre de la chaîne,
ont, pour leur part, progressé de
5 %. Plusieurs documentaires
d’investigation de très bonne
qualité ont réuni plus d’un mil-
lion de téléspectateurs. C’est le cas
de Daech, naissance d’un Etat ter-
roriste (1,3 million de téléspecta-
teurs) et de Hiroshima, la véritable
histoire (1,2 million), pourtant dif-
fusé au mois d’août. « J’aimerais
que nous fassions plus d’investiga-
tion, affirme Véronique Cayla.
Nous sentons que notre public
tions voire les calomnies depuis
longtemps. France Télévisions et
France 5 ont réagi en expliquant
très clairement les choses. La
chaîne n’a pas dépensé un cen-
time de plus pour mon arrivée. Le
producteur couvrira l’écart relati-
vement faible de salaire entre Lau-
rent Goumarre et moi.
Ce différentiel existe, mais il
n’est pas considérable pour l’uni-
vers des médias. J’arrive avec ma
notoriété et peut-être mon savoir-
faire, cet écart me paraît correct.
nous fait confiance sur les grandes
enquêtes. Il ressent que nous ne
sommes pas soumis à des pres-
sions. Arte a l’avantage de ne pas
faire de publicité et de peu traiter
de politique nationale. »
Véronique Cayla concède que les
documentaires ne sont pas tous
réussis. « Du côté allemand
comme du côté français ! », dit-
elle, admettant par exemple que
les critiques émises à l’encontre
des Poupées russes, diamants et
grosse cylindrées – étude sur le mi-
lieu fermé des oligarques russes –
« étaient justifiées ». « On ne peut
pas tout maîtriser, reconnaît-elle.
Notre antenne est composée de
40 % de programmes français,
40 % allemands et 20 % de Stras-
bourg liés à l’actualité. Nous ne
sommes pas toujours d’accord en-
tre Français et Allemands, mais
nous en parlons ensemble. Avec les
Poupées russes, cela a été d’autant
plus difficile que ce documentaire
a été un succès en Allemagne. »
A l’inverse, certains documen-
taires très pointus tels Le Dernier
procès de Kafka ou Violette Leduc,
la chasse à l’amour, certes diffu-
En ce qui concerne ma ma-
quilleuse, elle sera payée au tarif
habituel des maquilleurs de ces
émissions.
Vous avez d’autres projets avec
France Télévisions comme la
présentation des Victoires de la
musique classique…
France 3 est venue me chercher
pour coprésenter cette cérémonie
avec Frédéric Lodéon. J’en ai été
surprise et heureuse. Je serai la
Madame Loyal de la soirée. Sinon,
sés en deuxième partie de soirée,
s’adressaient à un public averti.
« J’aimerais que ces documentai-
res soient plus accessibles, plus
pédagogiques dans les cinq pre-
mières minutes », observe Véro-
nique Cayla.
Avis au prochain directeur de
l’unité société et culture qui rem-
placera avant la fin du mois Mar-
tine Saada, dont le départ a été an-
noncé par la chaîne, lundi 11 jan-
vier. « Martine Saada présente un
très beau bilan, insiste Véronique
Cayla. Elle a notamment contribué
à réinstaller la littérature sur Arte.
Elle a porté avec une grande rigu-
eur des programmes très ambi-
tieux comme “Jésus et l’islam” qui
ont été accueillis avec beaucoup de
respect par notre public. »
L’année 2016 sera une année dé-
terminante pour Arte. Bruno Pa-
tino, nouveau directeur éditorial
de la chaîne depuis octobre 2015,
réfléchit à une relance des pro-
grammes. « Il aura certainement
envie d’imprimer sa marque »,
note la présidente d’Arte, dont le
mandat sera reconduit en avril,
pour une durée de cinq ans. Véro-
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
je discute de beaucoup de choses
comme de grandes soirées théma-
tiques. J’ai rencontré Delphine Er-
notte et j’ai été ravie de nos échan-
ges, qui ouvrent des perspectives,
mais les décisions ne sont pas en-
core concrètes.
A peine arrivé à France 5, votre
ami Michel Field est parti pren-
dre la direction de l’information
à France Télévisions. Vous verra-
t-on à l’antenne de la future
chaîne info qu’il prépare ?
Ça me tenterait beaucoup de re-
travailler avec mon ami et mer-
veilleux rédacteur en chef des
journaux que je présentais, Ger-
main Dagognet, qui a pris les rê-
nes de ce projet. Mais, franche-
ment, je peux dire que non. J’ai fait
le choix de mettre en valeur l’art et
la culture sous toutes ses formes.
C’est ce qui m’intéresse
aujourd’hui. L’exercice du journal
est derrière moi.
Comment avez-vous vécu votre
éviction du JT de TF1 ?
Vous a-t-elle surprise ?
Je savais que je n’étais pas pro-
priétaire de mon journal et que
cela arriverait un jour. Ça a été na-
turellement un choc, parce que
j’avais vécu vingt-cinq ans de bon-
heur professionnel.
Votre départ à la présentation
des journaux du week-end de
TF1 marque-t-il la fin d’une épo-
que ?
Les chaînes d’information conti-
nue ont rendu les présentateurs
plus interchangeables, car toute la
journée les journaux se succèdent
et les visages qui les incarnent
prennent moins de relief que ceux
qui les personnifiaient une fois
par jour, au « 20 heures ». L’infor-
mation est peut-être plus unifor-
misée, moins personnalisée.
On a beaucoup spéculé sur le
montant de vos indemnités.
Qu’en est-il ?
Ces polémiques sont extrava-
gantes. Je n’ai rien dit et je resterai
sur cette position. Je ne suis pas la
première à subir les délires des
uns et des autres. Contre la mau-
vaise foi et la malhonnêteté intel-
lectuelle et journalistique, je
m’impose une forme d’indiffé-
rence. p
propos recueillis
par joël morio
nique Cayla suivra de près le lan-
cement de la nouvelle chaîne
d’information annoncée par la
présidente de France Télévisions,
Delphine Ernotte. En 2015, les
audiences d’« Arte Journal » et
« 28 Minutes » ont crû de 11 %. « Ce
lancement ne nous gêne pas, as-
sure la présidente d’Arte. Notre in-
formation est différente de toutes
les chaînes d’infos existantes, elle
ne parle que de politique étran-
gère, il n’y a jamais de faits divers,
jamais de micro-trottoir. » p
antoine flandrin
R ECT I F I C AT I F
Le général de Gaulle
Dans la critique du documen-
taire de Cédric Tourbe « 1965,
la première campagne pour
l’Elysée », parue dans Le
Monde du 14 janvier, nous
avons écrit par erreur que, lors
du second tour, le général de
Gaulle avait réalisé un entre-
tien avec Michel Noir. Il s’agis-
sait de Michel Droit.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Les contes truqués de la musique
Une série pédagogique sur la musique classique dont l’ambition est ruinée par les clichés et les approximations
ARTE
DIMANCHE 17 – 17 H 45
SÉRIE DOCUMENTAIRE
C
haque époque possède
sa propre sonorité », pro-
clame la série documen-
taire d’Arte « Si la musi-
que m’était contée », diffusée cha-
que dimanche après-midi depuis
le 10 janvier. Cette contrevérité
flagrante annonce le pire, et le
pire est souvent atteint dans ce
qui aurait pu être une somme pé-
dagogique de haut vol mais qui ne
cesse d’accumuler les clichés, les
approximations et parfois les er-
reurs.
Non, les quatre « époques » envi-
sagées par ces films (« baroque » –
rien avant ! –, « classique », « ro-
mantique », « moderne ») n’ont
pas une sonorité propre : elles
sont toutes un creuset de styles
divers. Leur apposer un slogan est
sujet à caution : oui, « fantaisie, ex-
cès et falbalas » peuvent caractéri-
ser un certain style baroque mais
les termes s’appliquent autant à
l’époque romantique. Dans l’épi-
sode sur le classicisme viennois,
la chanteuse Simone Kermes dit
qu’il consiste à « ne pas s’échapper
du cadre. » Problème : tout l’épi-
sode montre au contraire en quoi
Mozart et Beethoven ont exercé
leur génie à en sortir.
Pourquoi prendre Vivaldi pour
le génie du baroque qu’il n’est
pas ? Pour fourguer Les Quatre Sai-
sons, que chacun reconnaîtra.
Pourquoi dire qu’il est le chantre
du « genre nouveau » qu’est alors
l’opéra pour ensuite rappeler que
celui-ci existait déjà plus d’un siè-
cle plus tôt ?
Même l’éminent pianiste norvé-
gien Leif Ove Andsnes ne semble
dire que des banalités telle cel-
le-ci : « Tous les compositeurs sont
honnêtes dans leurs sentiments
mais aucun ne l’est autant que
Beethoven. » Pas Bach, pas Cho-
pin, pas Bartok ? Quelques inter-
ventions de haut vol apportent
des éléments intéressants au pro-
pos, mais le tout est noyé dans un
flot de commentaires fumeux
Mitterrand, sans héritier Jim Jarmusch retrouve du mordant
Un documentaire hagiographique
sur l’ancien président de la République
FRANCE 5
DIMANCHE 17 - 22 H 25
L’
DOCUMENTAIRE
homme a aimé gouver-
ner et vivre sous les ors de
l’Elysée où il se sentait
chez lui. Ainsi que le souligne
l’éditorialiste Olivier Duhamel,
François Mitterrand (1916-1996)
était « un souverain qui se
trouv[ait] être de gauche ». Pre-
mier président socialiste de la
Ve République, l’ancien chef
d’Etat a, depuis sa mort, laissé le
son parti « orphelin ».
Vingt ans après sa disparition,
que peut-on dès lors retenir de
l’ancien président de la Républi-
que ? Qui sont ses successeurs ?
Qu’est devenue la gauche ? Des
questions que pose le documen-
taire Mitterrand, l’héritage impos-
sible et auxquelles tentent de ré-
pondre des personnalités politi-
ques telles qu’Hubert Védrine,
Laurent Fabius, Julien Dray ou
Jean-Pierre Chevènement.
Sur un point au moins, tous ces
témoins parlent d’une seule voix,
estimant que Mitterrand n’a eu, à
ce jour, aucun successeur. Même
François Hollande, deuxième pré-
sident socialiste, ne partage guère
de choses en commun avec son il-
lustre aîné, personnalité com-
plexe qui a su construire sa propre
légende et dont l’obsession était
de donner « à la gauche la culture
La pianiste Gabriela Montero. LÜR WANGENHEIM
confiés souvent aux mauvaises
personnes. Chaque épisode est
« mené » par un musicien de type
crossover : les pianistes Francesco
Tristano Schlimé, Gabriela Mon-
tero, Chilly Gonzales et l’organiste
Cameron Carpenter. (Nous
n’avons pu visionner que les trois
premiers.)
Familiarité
Chaque fois, le premier exemple
musical est passé à la moulinette
d’un arrangement « pop » ou
« swing », comme s’il était décidé-
ment devenu impossible de par-
ler de musique savante sans la
descendre au niveau de familia-
rité – présumé bas – du téléspecta-
de gouverner » la France. La maî-
trise du verbe et de la poésie, son
sens aigu de la politique, son atta-
chement à l’amitié franco-alle-
mande, son rapport à la terre et sa
capacité à séduire les foules lors
des meetings l’ont hissé, selon les
intervenants, au rang de figure in-
comparable et irremplaçable.
Excès d’empathie
A défaut de s’être érigé en vérita-
ble courant politique, le « mit-
terrandisme » est devenu « une
nostalgie et ses références sont
d’ordre sentimental », peut-on en-
tendre dans le documentaire.
Malgré la présence de nom-
breux témoins (dont certains
comptaient parmi les proches du
président), Bertrand Delais pèche
par excès d’empathie envers son
sujet.
Ces personnalités qui expri-
ment toutes leur admiration sans
jamais émettre de critique ni
prendre le moindre recul finis-
sent par donner une dimension
purement hagiographique à ce
documentaire, heureusement
nourri par les quelques – mais
trop rares – éclairages énoncés
par les journalistes Olivier Duha-
mel et Bruno Roger-Petit. p
mustapha kessous
Mitterrand, l’héritage
impossible, de Bertrand Delais
(Fr., 2015, 55 min).
Quelques
interventions
de haut vol
sont noyées
dans un flot
de commentaires
fumeux
teur. Schlimé, qui n’a pas la moin-
dre idée du style baroque, expli-
que ce qu’est la basse continue.
Seul problème : il la confond avec
la basse obstinée, donnant en
(mauvais) exemple l’« Aria » des
Une comédie amère sur un couple de buveurs de sang mélancoliques
CINÉ + CLUB
LUNDI 18 – 20 H 45
FILM
A dam et Eve, les héros vam-
piriques de Only Lovers
Left Alive, ont affublé les
mortels du sobriquet de « zom-
bies ». Jim Jarmusch reconnaît
ainsi que la vogue des immortels
raffinés a cédé le pas à la mode des
créatures décérébrées qui ne sa-
vent ni aimer ni créer. Only Lovers
Left Alive (« les derniers amants en-
core en vie ») développe cette dé-
ploration pendant deux heures.
Only Lovers Left Alive exhale une
tristesse communicative, faite
d’une accumulation de deuils et de
déceptions. C’est aussi une comé-
die un peu potache, prétexte à des
jeux bien innocents et souvent
gracieux avec les mythes culturels,
du dramaturge élisabéthain
William Shakespeare à la chan-
teuse électro Yasmine Hamdan.
Les coutures qui réunissent les
deux parties sont aussi voyantes
que celles qui font tenir debout la
créature du docteur Frankenstein
mais le monstre de Jim Jarmusch
est plus joli, plus attendrissant.
Eve vit à Tanger. La blondeur de
Tilda Swinton, son teint marmo-
réen et son maintien en font une
créature qui détonne dans la nuit
méditerranéenne. Dans le port
marocain, elle compte sur Christo-
pher Marlowe (John Hurt), le con-
current malheureux de Shakes-
peare, pour l’approvisionner en
Variations Goldberg, de Bach.
Pour Chilly Gonzalez (qui joue en
robe de chambre et en pantoufles,
c’est tellement plus cool), le mou-
vement lent de la Septième sym-
phonie de Beethoven est naturel-
lement « une chanson de rap. » Il
suffisait d’y penser.
Gabriela Montero, qui a livré au
disque de vulgaires improvisa-
tions sur des thèmes classiques,
fait heureusement ici l’inverse,
un peu à la manière de Jean-Fran-
çois Zygel dans ses Leçons de mu-
sique et ses émissions de télévi-
sion : elle traite la chanson des
Beatles Yellow Submarine dans le
style de Haydn, Mozart et Beetho-
ven. Oui, décidément, la musique
Le film exhale
une tristesse
communicative
faite d’une
accumulation
de deuils et
de déceptions
poches de sang sain (on comprend
que la population mondiale de
vampires est entamée par les diffé-
rentes contaminations de leur
nourriture) et reste en contact avec
son compagnon Adam, qui vit à
Detroit. Tom Hiddleston ne s’est
pas cassé la tête pour composer ce
personnage : il a regardé Perfor-
mance (1970), de Nicolas Roeg et
Donald Cammell, et reprend la fi-
gure de rock star recluse que com-
posait Mick Jagger.
Une simplicité d’expression
Animée d’un obscur pressenti-
ment, Eve prend l’avion pour De-
troit, où le plaisir de la réunion
amoureuse cède bientôt à la pani-
que que suscite l’arrivée d’Ava (Mia
Wasikowska), la sœur éternelle-
ment adolescente d’Eve, une en-
fant qui ne se résigne pas à se nour-
rir de sang volé dans les centres de
transfusions et préfère s’abreuver
à la source, avec toutes les atteintes
à l’ordre public que cela peut en-
traîner.
télévisions | 21
populaire n’est qu’un aménage-
ment des sources classiques.
Le tout est filmé dans un studio
aux couleurs de boîte de nuit,
avec des inserts de films, de ban-
des dessinées. C’est chic, « mo-
derne » et probablement censé
prévenir le terrible ennui dont
pourrait sinon souffrir le télés-
pectateur. Mais on ne garde de
tout cela qu’une fâcheuse impres-
sion de brouillamini. p
renaud machart
Si la musique m’était contée,
de Dag Freyer, Axel Brüggemann,
Nicole Kraack et Lena Kupatz
(Allemagne, 2014-2015,
4 × 90 min).
Ce n’est pas ce mince scénario
qui fait le charme du film, plutôt
tout ce que Jarmusch glisse dans
ses interstices : des balades noctur-
nes dans les rues abandonnées de
Detroit, une séquence rappelant la
splendeur passée de la lutherie
électrique pendant laquelle Adam
exhibe sa collection de guitares
étranges ; une nuit interminable
dans les ruelles désertes de Tanger,
sur des musiques d’un goût im-
peccable – obscurs classiques du
vieux rock ou du rhythm’n’blues,
compositions de Jozef van Wis-
sem. Si l’ennui guette, Jarmusch
place un gag absurde : à son arrivée
à Detroit, Eve découvre la maison
natale de Jack White (guitariste et
chanteur des White Stripes), à Tan-
ger, Christopher Marlowe entame
une tirade furieuse contre son
concurrent qu’il accuse de lui avoir
volé Shakespeare.
A la complexité cryptique de The
Limits of Control, Jarmusch a pré-
féré une simplicité d’expression
qui confine à la naïveté. Mais la
beauté des images nocturnes, la
violence triste de la musique et des
interprètes font de ces faiblesses
les défauts attachants d’une créa-
ture filmique dont on espère
qu’elle n’appartient pas à une es-
pèce en voie de disparition. p
thomas sotinel
Only Lovers Left Alive, de Jim
Jarmusch. Avec Tilda Swinton,
Tom Hiddleston, John Hurt
(GB - Fr. - All., 2013, 120 min).
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
D IM AN CH E 17 JAN VIE R
TF1
20.55 Les Gamins
Comédie d’Anthony Marciano
(Fr., 2013, 115 min).
22.50 Mentalist
Série créée par Bruno Heller
(saison 1, ép. 21 et 22/23).
France 2
20.55 Le Seigneur des anneaux :
les deux tours
Film fantastique de Peter Jackson
(EU-NZ, 2002, 175 min).
23.50 Faites entrer l’accusé
Présenté par Frédérique Lantieri.
France 3
20.55 Miss Fisher enquête
Série créée par Deb Cox et Fiona
Eagger (Aus., S3, ép. 5 et 6/8 ; S2,
ép. 7 et 3/13).
1.00 Ça s’est passé à Rome
Drame de Mauro Bolognini
(Ita.-Fr., 1960, 80 min).
Canal+
21.00 Football
21e journée de Ligue 1 :
Saint-Etienne-Lyon.
23.15 L’Equipe du dimanche
Présenté par Karim Bennani.
France 5
20.40 Sandwich,
bienvenue au club !
Documentaire de Timothée Dereix
(Fr., 2016, 50 min).
22.25 Mitterrand,
l’impossible héritage
Documentaire de Bertrand Delais
(Fr., 2015, 55 min).
Arte
20.45 Le Pont de la rivière Kwaï
Film de guerre de David Lean
(EU-GB, 1957, 160 min).
23.25 Jayne Mansfield,
la tragédie d’une blonde
Documentaire de Patrick Jeudy
(Fr., 2014, 50 min).
M6
20.55 Zone interdite
Présenté par Wendy Bouchard.
23.00 Enquête exclusive
Présenté par Bernard de La Villardière.
LUN D I 1 8 JAN VIE R
TF1
20.55 Camping Paradis
Série créée par Michel Alexandre
(Fr., 2015, 110 min).
22.45 New York Unité spéciale
Série créée par Dick Wolf
(EU, S16, ép. 16/23 ; S15 ép. 17/24 ;
S14, ép. 12 et 14/24).
France 2
20.55 Castle
Série créée par Andrew W. Marlowe
(EU, S7, ép. 20/23 ; S4, ép. 15 et 16/23).
23.05 Alcaline le concert
Magazine animé par Laurent Tessier.
France 3
20.55 Paris, Années folles
Documentaire de Fabien Beziat
(Fr., 2013, 85 min).
22.20 Illustre et inconnu
Documentaire de Jean-Paul Devillers
(Fr., 2014, 55 min).
Canal+
21.00 Deutschland 83
Série créée par Anna et Joerg Winger
(All, S1, ép. 3 et 4/8).
22.35 Spécial Investigation
Présenté par Stéphane Haumant.
France 5
20.40 De soie et de cendre
Téléfilm de Jacques Otmezguine
(Fr., 2003, 95 min).
22.15 C dans l’air
Présenté par Yves Calvi
et Caroline Roux.
Arte
20.55 Marius
Comédie dramatique d’Alexander
Korda (Fr., 1931, 125 min).
23.00 Fanny
Comédie dramatique
de Marc Allégret (Fr., 1932, 120 min).
M6
20.55 L’amour est dans le pré
Présenté par Karine Le Marchand.
22 | télévisions
Une musicale leçon de politique
Avec «Musicus politicus», tous les dimanches, Christophe Bourseiller accorde ses deux passions
RADIO
T
oute musique est politi-
que ! », lance tous les di-
manches à 9 heures
Christophe Bourseiller,
en préambule de « Musicus politi-
cus ». Plus qu’une formule, c’est
sur ce credo qu’il a fondé son
émission, dans laquelle il s’atta-
che à démontrer les liens étroits et
complexes qu’entretiennent mu-
sique et politique. Histoire de tor-
dre le cou à l’idée reçue qui vou-
drait que la musique serait apoliti-
que.
« Aujourd’hui, trop de gens en-
core, déplore-t-il, continuent
d’avoir une vision béni-oui-oui de
la musique classique ; une espèce
d’image pseudo-poétique confi-
nant à faire des créateurs des gé-
nies détachés du monde, qui crée-
raient en dehors de leur époque. Ce
qui est faux. Fondamentalement,
pour moi, “Musicus politicus” est
une émission de démystification »,
explique-t-il, avant d’ajouter aus-
sitôt : « Ce qui ne veut pas dire que
je veux détruire la musique, au
contraire, je désire la nourrir d’une
autre approche. »
Et de citer l’émission qu’il a con-
sacrée à Wagner, « anarchiste » et
ami de Bakounine ; ou encore
celle portant sur Carlo Gesualdo,
aristocrate et compositeur napoli-
tain qui fit assassiner sa femme
sans être inquiété par la justice.
« Connaître la noirceur du person-
nage permet d’écouter avec
d’autant plus d’intérêt ses somp-
tueux madrigaux, d’en entendre
toute la douleur. »
« Aller au plus près de la vérité »
Cette approche singulière, pi-
quante parfois, étonnante sou-
vent et toujours fouillée – « pour
aller au plus près de la vérité », pré-
cise-t-il – permet aujourd’hui à cet
homme éclectique (journaliste,
professeur à Science Po, auteur de
nombreux essais sur les contre-
cultures et les mouvements mi-
noritaires et extrémismes) de lier
toutes ses passions.
Une occasion qui lui a été of-
ferte, il y a un an et demi, par Ma-
rie-Pierre de Surville, éphémère
directrice de France Musique, de
2014 à 2015. « L’idée est venue au
cours d’une délicate discussion
avec elle, raconte non sans hu-
mour Christophe Bourseiller. Elle
GRILLE N° 16 - 014
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
II
III
IV
V pompes. IX. Maintient haut les cou-
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 013
HORIZONTALEMENT I. Indépendance. II. Nounou. Odéon. III. TNT. Ksar.
Cul. IV. Ri. Desserrée. V. Injures. Ho. VI. Giap. Sagesse. VII. Atres. Mateur.
VIII. Nin. PC. Terra. IX. Team. Tu. II. X. Escroqueries.
VERTICALEMENT 1. Intrigante. 2. Non-initiés. 3. Dut. Jarnac. 4. En. Dupe.
Mr. 5. Poker. Sp. 6. Eusses. Coq. 7. Assam. 8. Doré. Gatte. 9. Ad. Rhéteur.
10. Nécroser. 11. Coué. Surie. 12. Enlèverais.
venait d’arrêter “Electromania”,
une émission sur les avant-gardes
musicales que j’animais depuis
neuf ans et elle ne savait pas trop
quoi faire de moi. Après lui avoir
exposé mes centres d’intérêt, je lui
ai proposé de les faire fusionner. »
S’il ne cache pas la perplexité de
l’ex-directrice de la station devant
son projet, l’animateur-produc-
teur n’omet pas d’évoquer ses tâ­
tonnements pour trouver la
bonne formule. « Au départ, je
pensais être une sorte d’Alain De-
caux de la musique, avec des dis-
ques que l’on passe en illustration
de mon propos puis, très vite, avec
mon réalisateur, Antoine Courtin,
nous nous sommes aperçus qu’il
7 8 9 10 11 12
manquait quelque chose. Après un
mois ou deux, nous avons bifurqué
vers le documentaire sonore. »
Conférant à cette leçon d’histoire
musicale son grain si particulier.
Dès lors, aux nombreux extraits
musicaux choisis avec soin qui
épousent son récit, jamais docte,
vont s’ajouter – voire se superpo-
ser dans d’étonnants montages –,
des extraits de films, de reporta-
ges d’actualité, de répétitions mu-
sicales, mais aussi des archives
comme celles, émouvantes, fai-
sant entendre la voix de Richard
Strauss ou, plus rarissime encore,
celles de Georges Ivanovitch Gur-
djieff, diffusées lors de la dernière
émission consacrée au gourou et
HORIZONTALEMENT
I. Incite le voyeur à devenir
consommateur. II. Boulette relevée.
Fait de gros dégâts au passage.
III. Blase ou tarin. Pour faire de
bonnes et belles glaces. IV. Nordiste
pour le sudiste. Personnel. L’argon.
V. Attristé en plein cœur. Dangereuse-
ment invisible. Cortège au Quartier
latin. VI. Décorèrent comme un arc.
Départ d’écriture. VII. Impeccable.
Gros coups de chaleur. Gère les
postes et les hommes. VIII. Installer
en réseaux. Prit grand soin des
leurs. Tombe par hasard. X. Per-
mettent la culture après défrichage.
VERTICALEMENT
1. Plus facile d’y entrer que d’en sor-
tir. 2. Faciliteras la compréhension.
3. Mouvement au sommet. Dans un
ensemble. 4. Ne doivent pas dépasser
les trois vers. Pour les amateurs de
bulles. 5. Passer d’un compte à un
autre. 6. Pour les amateurs de toiles
étrangères. Ecole publique. 7. Prépare
les techniciens de demain. Détaillée
dans ses mesures. 8. Préparons en se-
cret. Au primaire. 9. Crient comme
des cerfs. Médecin et révolutionnaire.
10. Met le monde en cartes. Est passé
de la voiture à l’Automobile-Club de
France. 11. Jeune propos. Fait des va-
gues en arrivant. 12. Drôles d’exer-
cices pour de jeunes rats.
Christophe
Bourseiller.
CHRISTOPHE ABRAMOWITZ
compositeur. Grâce à la variété
des documents et autres pépites
sonores, l’auditeur est ainsi en-
traîné sans lourdeur dans un
voyage aussi plaisant qu’instruc-
tif. Et unique. Chaque opus de
« Musicus politicus », de fait, ne
ressemble à aucun autre.
De Guergiev à Zappa
D’autant plus qu’au-delà du tracé
singulier emprunté Christophe
Bourseiller prend soin d’alterner
les sources auxquelles il se nour-
rit (l’histoire musicale et l’actua-
lité), les périodes, et la forme (thé-
matique transversale ou parcours
biographique). « Le choix des su-
jets est très impressionniste, re-
SUDOKU
N°16-014
« Aujourd’hui,
trop de gens
continuent
d’avoir une vision
béni-oui-oui
de la musique
classique
CHRISTOPHE BOURSEILLER
connaît-il. Je note toute idée qui
me vient au fil de mes lectures.
Après quoi, j’entame des recher-
ches avec mon assistante, Doro-
thée Goll, pour voir sur quels livres
je peux m’appuyer. »
C’est ainsi, raconte-t-il encore,
qu’un article d’Antoine Pecqueur
dans Classica sur la disparition de
l’orchestre symphonique Unhasu
l’a conduit à consacrer une émis-
sion sur la Corée du Nord, « gou-
lag de la musique ». Emission qui
lui a valu, sans surprise, les répri-
mandes de l’ambassade nord-co-
réenne.
Seul petit bémol au milieu d’un
accueil très positif des auditeurs
de France Musique et ce, même
lorsqu’il passe allégrement du
chef d’orchestre Valery Guergiev à
Franck Zappa ; ou, dans une émis-
sion consacrée aux attentats du
11-Septembre, du compositeur
Steve Reich à Bruce Springsteen ;
ou encore dans celle, passion-
nante, sur « la musique comme
arme de guerre » de Verdi et Chos-
takovitch au groupe de heavy me-
tal Skinny Puppy.
Même si la musique classique
reste la colonne vertébrale de
« Musicus politicus », Christophe
Bourseiller ne s’interdit rien, lais-
sant libre cours à ses curiosités et
à son goût prononcé pour l’éclec-
tisme. A l’image des prochains
voyages qui devraient nous con-
duire notamment à Hollywood
avec Erich Wolfgang Korngold, au
Kurdistan, en Inde avec Ravi
Shankar et Zubin Mehta ou en-
core aux confins de l’Espace avec
Gustav Holst et Michel Redolfi. p
christine rousseau
Musicus politicus, tous
les dimanches à 9 heures
sur France Musique.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
SÉLECTION
RADIO
POLITIQUE
« Europe 1 Social Club »
En ces temps marqués par les
attentats et la peur qu’ils suscitent,
comment ne pas céder
aux pensées et discours de haine ?
Benjamin Stora, historien spécialiste
des questions d’immigration et
coauteur de Mémoires dangereuses
(Albin Michel, 240 pages, 18 euros),
tente de décrypter, pour Frédéric
Taddeï, les crispations identitaires
sur lesquelles prospère le FN.
LUNDI 18 – EUROPE 1 – 20 HEURES
EDUCATION
« 7 milliards de voisins »
Des Etats-Unis à l’Europe et au-delà,
faut-il instaurer la notation des
professeurs par leurs étudiants sur
les campus ?
Pour tenter de répondre à la question
et mener le débat sur l’évaluation des
profs dans l’enseignement supérieur:
Giulia Sissa (enseignante en sciences
humaines et sociales à UCLA,
en Californie, chercheuse en histoire,
en anthropologie et en philosophie,
auteure de La Jalousie, une passion
inavouable, aux éditions Odile Jacob,
2015), Isabelle Barth (directrice
générale de l’Ecole de management
de Strasbourg et professeur des
universités en sciences de gestion),
William Martinet (président de l’UNEF,
syndicat étudiant, depuis 2013).
VENDREDI 22 – RFI – 11 H 10
CONCERTS
Jean-Charles Doukhan retrouve
le pianiste René Urtreger
et ses acolytes Yves Torchinsky
(contrebasse) et Eric Dervieu
(batterie), en direct du Duc
des Lombards, à Paris,
pour une interview suivie d’un live.
LUNDI 18 – TSF JAZZ – 19 HEURES
En direct de la Philharmonie
de Paris, avec Hilary Hahn (violon)
et la Wiener Symphoniker
sous la direction de Lahav Shani :
Dvorak (Carnaval ; Concerto pour
violon) et Brahms (Symphonie no 4
op. 98).
LUNDI 18 – RADIO CLASSIQUE – 20 H 30
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
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Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
styles | 23
Muddy Matches,
l’amour sobre
Vachement.fr, Agriflirt.fr ou encore
Atraverschamps.com… Si les appli-
cations pour smartphones ont des
progrès à faire en milieu rural, les si-
tes Internet, eux, investissent le cré-
neau. Le premier d’entre eux,
Muddy Matches – mot à mot « assor-
timents boueux » – créé en 2006, et
devenu rapidement le « Tinder des
fermiers » anglais.
A sa tête, deux sœurs originaires
d’un village de quinze maisons au
Royaume-Uni, Lucy et Emma Ree-
ves. Lucy a développé une exper-
tise pointue de la rencontre à la
campagne : « Il y a la problématique
des distances à parcourir, bien sûr,
mais surtout de ce qu’on appelle
chez nous le dutch courage [“cou-
rage néerlandais”], cette possibilité
de boire un peu avant un rendez-
vous important pour se sentir plus à
l’aise. Nos membres se plaignent
beaucoup de devoir rester sobres
pendant leurs dates, car ils repren-
nent la voiture après pour rentrer
chez eux. »
Pour elle, entre les townies (« habi-
tants de la ville ») et les muddies
(« ruraux »), il y a aussi une vraie dif-
férence dans la manière de se ren-
contrer. « A la campagne, les gens
aiment les animaux et les grandes
balades à l’air libre. Ils sont plus ter-
riens, directs et conservateurs. »
En dix ans, son concept aura séduit
près de 130 000 personnes et généré
un millier de mariages.

Angeles qu’à Besançon, mais on

“markète” surtout les grandes vil-
les, les CSP + et leur niveau de vie… »
« Tinder à la campagne, c’est
avant tout un filtre social », lance
DIMITRI PLANCHON Antoine, 30 ans, ingénieur à Abbe-
ville, dans la Somme. « En Picardie,
les filles s’éclairent encore à la bou-

tinder n’est pas dans le pré

gie, alors, quand on les retrouve sur
l’application, c’est la garantie qu’el-
les sont un minimum évoluées »,
caricature cet adepte de moto et
de bowling. Des filles plus raffi-
nées sur Tinder ? « Pas forcément,
relativise Antoine. Le problème de
normandie, pays de la loire –
Et si ces nouvelles applications de rencontres n’étaient Tinder en zone rurale, c’est que der-
rière les profils, ce ne sont pas des
envoyée spéciale
conçues que pour la ville ? Quand le réseau passe mal vraies filles. Elles ont des noms de

M
ontchevrel, village
de 230 habitants ni-
ché dans les colli-
nes de l’Orne, en
Normandie, son église, son ga-
rage et sa boîte de nuit. Ce samedi
de décembre, le parking du
Tempo Club est plein, et le videur
accueillant : baskets, tee-shirts, al-
coolémie avancée, il laisse tout
passer. A l’intérieur, le DJ, affairé à
ses platines, interrompt ses mor-
ceaux pour lancer un enjoué :
« Bienvenue à la jet-set normande,
vous êtes au Tempo, meilleure
boîte de l’Orne. »
Steven et Anthony – tous les té-
moins cités dans cet article ont
souhaité garder l’anonymat – ont
20 ans, du gel dans les cheveux,
des polos moulants et des colliers
brillants autour du cou. Accoudés
au bar, ils dissertent, un whisky
coca à la main, les yeux rivés sur
les filles qui passent devant eux.
« Regarde celle-là, elle est venue
avec sa mère, je ne sais pas si ça va
l’aider à “pécho” », s’amuse le pre-
mier. Malgré le bruit assourdis-
sant des enceintes attenantes, on
tente une approche : plus dur de
rencontrer des filles à la campa-
gne ? « On vit dans des tout petits
mondes, on a tous grandi ensem-
ble, le stock de filles n’est pas
énorme… », analyse, pragmatique,
Steven, ouvrier agricole.
Quand son frère, étudiant dans
la grande ville d’à côté, Le Mans,
dans les Pays de la Loire, lui a parlé
d’une application qui permettait
de « géolocaliser les filles », Steven
l’a tout de suite téléchargée. En
septembre 2015, il a installé Tinder,
le réseau social aux millions d’uti-
lisateurs français, qui permet de
sélectionner les profils selon le
sexe et la position géographique.
et que la densité de célibataires au mètre carré
est faible, l’utilisateur fait face à quelques imprévus
« Je ne vous raconte pas la décep-
tion quand j’ai cliqué sur l’icône – la
célèbre flamme rouge sur fond
blanc… rien ne s’est affiché, aucun
profil. » Il sort son smartphone de
la poche de son jean et fait la dé-
monstration en direct. Deux petits
points de réseau, la lettre E, pour
Edge, s’affiche, mais la petite roue
de l’iPhone a beau pédaler autant
qu’elle peut, la sentence de Tinder
tombe : un écran blanc, barré de la
mention « aucune nouvelle per-
sonne à proximité ».
« Sur le profil de ma sœur »
Alban aime moins les boîtes de
nuit, et habite à Frossay, village de
Loire-Atlantique de 3 100 habi-
tants. Les mésaventures de Steven
et Anthony avec les applications
de rencontres utilisant la géoloca-
lisation, il les connaît bien :
« Quand j’ai installé l’application,
je suis tombé sur le profil de ma
sœur, qui habite dans la même
maison que moi. » Tinder suggère
de régler les « préférences de la dé-
couverte », pour savoir si vous
cherchez un homme ou une
femme, et, surtout, votre « dis-
tance pour la recherche ». « Le ré-
glage de base, c’est 2 kilomètres.
Ici, ça va jusqu’au bout du champ
qui entoure ma maison. La seule
chose que je peux “matcher”,
comme on dit sur Tinder, c’est une
vache ! Si j’étends à 10 kilomètres,
ça draine tout Frossay, mais, là-
bas, les filles, je les connais, j’étais
« À LA CAMPAGNE,
ÇA NOUS COÛTE CHER
EN ESSENCE DE
RENCONTRER
DES FILLES, ALORS IL
FAUT QU’ELLES VAILLENT
LE DÉPLACEMENT »
STEVEN, 20 ANS
utilisateur de Tinder
à Montchevrel (Orne)
au collège avec elles et elles sont
toutes déjà mariées, avec deux en-
fants », explique ce gérant de parc
de loisirs, la trentaine, aux yeux
bleus et au sourire enjôleur.
Et quand, au bout de 25 kilomè-
tres de rayon, Tinder commence,
enfin, à capter des profils, l’appli-
cation se heurte à la fracture nu-
mérique française. Selon le gen-
darme des télécoms français, l’Ar-
cep, à la fin de 2014, « près de 70 %
du territoire n’était pas encore cou-
vert par la 4G, soit 20 % de la popu-
lation. » Alban : « Je mets trois
plombes à voir les photos, c’est dur
de ne pas se lasser. » Si le céliba-
taire des villes peut « zapper » les
photos aussi vite qu’il trie les pro-
fils, pour celui des champs la révo-
lution Tinder n’est pas encore ar-
rivée. « Parfois, c’est tellement ga-
lère que, oui, je l’avoue, je “like” à
l’aveugle. Juste un prénom, un âge
et quelques pages blanches. » Soit
la technique dite « du pouce magi-
que », où l’on clique en rafale sur la
petite icône en forme de cœur,
sans prendre le temps de faire une
sélection des profils proposés.
Pas de réseau, peu de profils… La
stratégie, c’est donc d’aller « “attra-
per” l’âme sœur dans la grande
ville d’à côté », analyse Charlotte, la
petite sœur brune d’Alban. « Moi,
j’élargis à 50 kilomètres pour viser
les profils qui sont sur Nantes.
Mais, à longue distance, le rayon ne
fonctionne pas bien. Parfois, je dis-
cute avec un mec et je m’aperçois
qu’il habite à Vannes… Je ne vais
pas faire 100 bornes pour un café ! »
Faire des dizaines, voire des cen-
taines de kilomètres pour se ren-
contrer, voici le principal écueil de
Tinder à la campagne. Une fois
surmontées les affres de la sous-
connexion, il faut désormais rou-
ler pour draguer, et c’est plus d’en-
gagement. « J’avais beaucoup dis-
cuté avec une fille qui habite Brest,
je lui ai proposé plusieurs fois un
verre à mi-route (Frossay-Brest,
c’est 300 kilomètres et trois heures
de trajet), elle n’a jamais accepté.
Les rencontres Tinder à la campa-
gne, c’est toute une logistique, tu ne
peux pas faire ça de manière spon-
tanée, il faut organiser ta soirée et
être un peu sûr que cela va coller »,
surenchérit Alban.
Steven et Anthony sont passés
à la vodka pomme sous les néons
aveuglants du Tempo Club de
Montchevrel. Eux ont inventé un
algorithme qui n’a pas grand-
chose de scientifique, c’est l’arbi-
trage « physique-carburant ». Ste-
ven l’explique, tout content de sa
trouvaille : « A la campagne, ça
nous coûte cher en essence de ren-
contrer des filles, alors il faut
qu’elles vaillent le déplacement.
En même temps, concède-t-il, il y
en a tellement peu que je ne suis
pas sûr qu’on puisse être si exi-
geant que ça… »
Sites porno et prostituées
Cette problématique de distance
rend même complètement ino-
pérantes certaines applications.
Happn, par exemple, le « Tinder
français » aux 9 millions d’utilisa-
teurs mondiaux en à peine un an
et demi d’existence, est fondé sur
la notion de croisement : « L’appli-
cation détecte les autres utilisa-
teurs que vous avez croisés, dans
un espace géographique de
250 mètres », décrit Marie Cos-
nard, la toute jeune directrice des
tendances de la start-up.
Charlotte, de Frossay, a bien es-
sayé Happn : « Mais je n’ai croisé
personne », regrette-t-elle. Ex-
cluantes, les applications de ren-
contres géolocalisées ? Marie Cos-
nard concède une « mauvaise ex-
périence utilisateur dans les peti-
tes villes et à la campagne » :
« L’appli fonctionne autant à Los
l’Est, et des photos beaucoup trop
belles pour être vraies… »
Noyée dans la masse dans les
grandes villes, la prostitution sur
Tinder est beaucoup plus visible à
la campagne. « Cela commence
toujours par quelques messages
sympas, et très vite il faut aller sur
un autre site, “parce que le réseau
ne passe pas bien” pour utiliser Tin-
der », raconte Antoine. Des sites
pornographiques, ou d’escortes en
général. « Parfois, ça va même jus-
qu’à l’échange de profils Facebook,
et, là pour se voir, tu dois donner de
l’argent… » Selon Antoine, Alban et
les autres, cela concernerait un
profil sur quinze à la campagne.
Décevantes pour les hétéro-
sexuels, ces applis sont-elles plus
efficaces pour les homosexuels
des champs ? « Etre gay à la campa-
gne, ce n’est pas très bien vu, alors
ils ont tendance à se cacher, et donc
à ne pas se connaître. Et, à la diffé-
rence des hétéros, il n’y aura jamais
de bal musette organisé au village
pour qu’on se rencontre », explique
Laurent, Parisien homosexuel,
adepte de virées dans le fin fond de
la Bourgogne pour écrire. « Il n’y a
aucun bar branché, comme dans le
Marais, mais il y a Grindr, et cela a
sauvé la vie des homos. »
Une application, elle aussi fon-
dée sur la géolocalisation des
profils, qui peut « outer » votre
voisin. François vit dans une pe-
tite ville du Var. « Grâce à Grindr,
j’ai appris l’homosexualité de pas
mal de gens que je connaissais.
Comme ce discret vendeur que je
croise tous les jours dans sa bouti-
que, qui m’a fait des avances en li-
gne… » Grindr, le pendant de Tin-
der, pour que l’amour gay existe
aussi dans le pré. p
lorraine de foucher
24 | 0123 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016

LE RETOUR
LA CHRONIQUE DES TEMPÊTES
DE THOMAS PIKETTY FINANCIÈRES présent avec fermeté une économie qui est
tout sauf une économie de marché : crédits
duire leurs importations et leurs
investissements, ils se trouvent exposés à de
fixés par la Banque de Chine, taux de graves risques politiques et sociaux, tandis

Le difficile change contrôlés, salaires de facto fixés par

l’Etat, pans entiers de l’économie protégés.
Le système ne s’effondre pas, mais la
que les compagnies pétrolières sabrent dans
les investissements. L’affaire risque de durer,
car l’Arabie saoudite mène une guerre du pé-
pari indien deuxième économie du monde connaît
des soubresauts dangereux pour ses parte-
naires. A commencer par la baisse du yuan.
trole contre l’Iran et la Russie et cherche à
écarter du marché les producteurs améri-
cains de pétrole de schiste.
Pour l’instant, Pékin se bat contre les mar- Ce double choc se répercute sur les Etats-

A
lors que les doutes s’ac-
cumulent sur la Chine
et son système finan-
cier, les regards se tour-
nent de plus en plus vers l’Inde
pour tirer l’économie mondiale
dans les années et décennies qui
viennent. La croissance devrait y
être de près de 8 % en 2016-2017,
comme en 2015, contre 6 % pour la
Chine. L’Inde part certes de bas,
avec un pouvoir d’achat moyen de
l’ordre de 300 euros par mois et
par habitant (contre 700 euros en
Chine et 2 000 euros dans l’Union
européenne). Il reste qu’à ce ryth-
me-là le rattrapage sur l’Europe
pourrait se faire en moins de
trente ans (contre quinze ans pour
la Chine).
Ajoutons que la démographie
joue pour l’Inde : d’après l’ONU, la
population indienne devrait net-
tement dépasser celle de la Chine
(qui vieillit et décline déjà) d’ici à
2025. L’Inde est appelée à devenir
la première puissance mondiale
par la population au XXIe siècle, et
peut-être aussi la première puis-
sance tout court. D’autant plus
que le pays s’appuie sur de solides
institutions démocratiques et
électorales, la liberté de la presse et
l’Etat de droit. Le contraste est sai-
sissant avec la Chine, qui vient
d’expulser une journaliste fran-
çaise (sans que la France et l’Eu-
rope trouvent rien à redire), et
dont le modèle politique autori-
taire semble aussi indéchiffrable
qu’imprévisible dans son évolu-
tion à long terme.
LE DÉFI LE PLUS
CONSIDÉRABLE EST
LIÉ À L’HÉRITAGE DU
SYSTÈME DE CASTES
AUQUEL S’AJOUTE
LE RISQUE
D’AFFRONTEMENTS
IDENTITAIRES
vent mal compris en Occident, est
lié à l’héritage du système de cas-
tes, auquel s’ajoute le risque d’af-
frontements identitaires entre la
majorité hindoue et la minorité
musulmane (14 % de la popula-
tion, 180 millions de personnes
pour 1,2 milliard d’habitants), ac-
tuellement attisés par le parti na-
tionaliste hindou, Bharatiya Ja-
nata Party (au pouvoir de 1998 à
2004, puis de nouveau depuis
2014).
Résumons. En 1947, l’Inde abolit
officiellement le système des cas-
tes, et en particulier met fin aux
recensements par castes menés
par le colonisateur britannique,
accusé d’avoir cherché à diviser
l’Inde et à rigidifier ses classes
pour mieux dominer et contrôler
le pays. Le gouvernement déve-
loppe toutefois un système d’ad-
mission préférentielle dans les
universités et les emplois publics
pour les enfants issus des plus bas-
ses castes (les SC/ST, « Scheduled
L e risque était connu. Il s’est vérifié
beaucoup plus vite que prévu. 2016
démarre comme l’année du retour
des crises financières. Depuis le début du
mois, les Bourses de Chine ont chuté de
20 %, la place de Paris de près de 10 %, tandis
que, à New York, Wall Street a reculé de plus
de 8 %. Cette baisse brutale est le reflet d’une
triple crise – chinoise, pétrolière, améri-
caine –, qui menace l’économie mondiale.
Le choc premier vient de Chine. Le pays
connaît une transition économique dou-
loureuse. Il n’est plus l’atelier du monde,
qui a fait sa fortune depuis un quart de siè-
cle. Pas assez performante, l’économie chi-
noise peine à se moderniser et à réorienter
son modèle de croissance vers la consom-
mation intérieure. Pékin pilotait jusqu’à
Une collection pour découvrir la vie
et les mystères de l’Egypte des pharaons
chés pour freiner la dévaluation de sa de-
vise – ses réserves monétaires ont fondu de
plus de 100 milliards de dollars en décem-
bre –, mais combien de temps sera-t-il pos-
sible de résister à la spéculation ? Une déva-
luation compétitive, comme celles qui pré-
valaient en Europe avant l’euro, n’est pas à
exclure : elle créerait un choc majeur sur
l’économie mondiale.
Un double choc
Parallèlement, la crise du pétrole s’accélère.
Le baril de brut est passé sous les 30 dollars,
en recul de plus de 15 % depuis le début de
l’année. Au plus bas depuis douze ans, il en-
traîne avec lui l’ensemble des matières pre-
mières. Pour mémoire, l’or noir s’échangeait
encore à 115 dollars il y a dix-huit mois. N’en
déplaise aux automobilistes, ce prix est
beaucoup trop bas. Jusqu’à 70 dollars, un pé-
trole bon marché est favorable à la crois-
sance mondiale. En deçà, il a des effets réces-
sifs : les pays producteurs sont obligés de ré-
PRÉSENTE EGYPTOMANIA
Unis. Les entreprises sont chahutées en
Bourse. Les multinationales sont affectées
par le ralentissement chinois et celui des
grands émergents. Contre-choc pétrolier
oblige, le secteur de l’énergie est en chute li-
bre, et les faillites qui se multiplient affec-
tent, par ricochet, les valeurs bancaires. Plus
généralement, le cycle de reprise de l’inves-
tissement américain, entamé depuis sept
ans, arrive à son terme. Certes, le moral des
ménages est encore bon et l’emploi se porte
bien. Mais l’activité de l’industrie s’est con-
tractée ces derniers mois, pour retomber à
son plus bas niveau depuis 2009, et la con-
sommation marque de sérieux signes d’es-
soufflement. Bref, l’Amérique freine dange-
reusement, alors que la Réserve fédérale
vient tout juste de remonter ses taux d’inté-
rêt après des années d’argent facile.
Ces incertitudes feront, hélas, une vic-
time collatérale, l’Europe – et particulière-
ment la France –, qui attend la croissance
comme on attend Godot. p
NUMÉRO 1

Indigent système de santé
Les défis à relever pour l’Inde sont
cependant immenses, à commen-
cer par celui des inégalités. On a
bien du mal à retrouver les chiffres
de la croissance dans les enquêtes
de consommation auprès des mé-
nages indiens, sans doute car une
part disproportionnée de l’enri-
chissement est captée par une fine
élite mal couverte par les enquê-
teurs. Le gouvernement indien
ayant interrompu l’accès aux don-
nées de l’impôt sur le revenu au
début des années 2000 (la Chine il
est vrai n’en a jamais publié, tout
en réussissant à mobiliser des re-
cettes fiscales bien supérieures), il
est difficile de trancher avec préci-
sion.
Ce qui est certain, c’est que l’in-
vestissement public dans l’éduca-
tion et la santé demeure nette-
ment insuffisant en Inde et mine
son modèle de développement.
Exemple emblématique : l’indi-
gent système public de santé, doté
d’à peine 0,5 % du PIB, contre près
de 3 % en Chine. La vérité est qu’à
ce jour le Parti communiste chi-
nois a beaucoup mieux réussi que
les élites démocratiques et parle-
mentaires indiennes à mobiliser
des ressources significatives pour
financer une stratégie d’investis-
sement social et de services pu-
blics. Or, seule une telle politique
peut permettre à l’ensemble de la
population de bénéficier de la
croissance et d’assurer le dévelop-
pement durable du pays. L’opacité
et l’autoritarisme du modèle chi-
nois le condamnent sans doute à
terme s’il ne s’ouvre pas. Mais le
modèle démocratique indien doit
encore faire ses preuves, idéale-
ment sans traverser les crises et les
chocs par lesquels les élites occi-
dentales ont fini par se faire impo-
ser au XXe siècle les réformes so-
ciales et fiscales indispensables.
Le défi le plus considérable, sou-
¶ tensions violentes. On aurait bien
Thomas Piketty est économiste,
directeur d’études à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales, professeur
à l’Ecole d’économie de Paris
Tirage du Monde daté samedi 16 janvier : 286 125 exemplaires
2,99
Castes/Scheduled Tribes », an-
ciens intouchables discriminés,
près de 30 % de la population).
Mais ces politiques suscitent une
frustration croissante chez les en-
fants issus de castes intermédiai-
res (OBC, « Other Backward Clas-
ses », environ 40 % de la popula-
tion), coincées entre les groupes seulement
les plus défavorisés et les plus hau-
tes castes. A partir des années
1980, plusieurs Etats indiens éten-
dent les politiques d’admission
préférentielle à ces nouveaux
groupes (auxquels peuvent se rat-
tacher les musulmans, exclus du
système initial). Les conflits
autour de ces dispositifs sont
d’autant plus vifs que les ancien-
nes frontières entre castes sont
poreuses et ne correspondent pas
toujours aux hiérarchies de reve-
nus et de patrimoines, loin de là.
Le gouvernement fédéral se ré-
sout finalement à clarifier ces rela-
tions complexes en organisant Une collection parrainée
en 2011 un recensement socio-éco- par Robert Solé
nomique des castes (le premier de-
puis 1931). Journaliste et écrivain,
Le sujet est explosif et on attend spécialiste de l’Egypte
toujours la publication complète
des résultats. A terme, l’enjeu est
de transformer graduellement ces
politiques d’admission préféren-
tielle en des règles fondées sur des
critères sociaux universels tels
que le revenu parental ou le terri-
toire, à la manière des logiciels
d’accès aux lycées ou dans le supé-
rieur (ou de certaines aides aux
entreprises) qui, en France, com-
mencent timidement à accorder
des points supplémentaires aux RETROUVEZ
élèves boursiers ou à ceux issus
d’établissements ou de territoires LE NUMÉRO 2
défavorisés.
D’une certaine façon, l’Inde
dès le 21 janvier
tente simplement de faire face
avec les moyens de l’Etat de droit
au défi de l’égalité réelle, dans une
situation où l’inégalité de statuts
issue de la société ancienne et des
discriminations passées est parti-
culièrement extrême et menace
de dégénérer à tout moment en
tort de s’imaginer que ces défis ne www.EgyptomaniaLeMonde.fr
nous concernent pas. p
piketty.blog.lemonde.fr CHAQUE SEMAINE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
La volte-face d’Air France
▶ La direction de la
compagnie aérienne a an-
noncé, vendredi 15 janvier,
renoncer aux licencie-
ments secs prévus dans
son « plan B »
Wikipédia,
paroles
de « petites
▶ De nouvelles lignes vont ▶ Aidée par la baisse ▶ Le syndicat des pilotes mains »
être ouvertes en long- continue du prix SNPL constate que le « ton
courrier. C’est un brusque du pétrole, la compagnie a changé » avec l’arrivée
virage, alors qu’Air France va dégager des bénéfices du nouveau DRH, issu
envisageait jusqu’ici d’en
fermer
pour la première fois
depuis 2008
du cabinet de Manuel Valls
→LIR E PAGE 3 I ls ont le regard curieux. En ce
samedi 9 janvier, deux petits
garçons écoutent attentive-
ment un passionné de Wikipédia
leur expliquer le fonctionnement
de la célèbre encyclopédie collabo-
rative, sous l’œil bienveillant de

2016 s’ouvre sur une tempête boursière leurs parents et de Kikuyu3. Un

samedi par mois, celui qui préfère
se présenter avec son pseudo-
nyme de dessin animé japonais
▶ Le CAC 40 tient, avec d’autres, une « wikiper-
manence » à la Cité des sciences et
a perdu 9,21 % de l’industrie de Paris. Les deux
et le Dow Jones enfants « sont passés par hasard
car c’était ouvert et qu’il faisait
8,25 % depuis chaud », relève-t-il. La foule ne se
le 1er janvier bouscule pas, mais, quand des per-
▶ Face aux risques sonnes passent une tête, Kikuyu3
et ses camarades les encouragent
mondiaux, la à faire le pas qui les fera entrer
grande nervosité dans l’univers de Wikipédia, qui a
fêté ses 15 ans vendredi 15 janvier.
des investisseurs Ils sont cinq à tenir cette perma-
nence, à initier les nouveaux. Agé
→ LIR E PAGE 2 de 64 ans, retraité après une car-
rière de directeur de travaux,
Kikuyu3 a plongé dans Wikipédia
en 2008 grâce à sa passion pour
l’astronomie. « Je m’endors et je me
réveille avec Wikipédia. » Et d’ajou-
ter : « Je n’ai pas le bac. J’ai vécu
toute ma vie avec un complexe par
rapport aux diplômés. Wikipédia
ne vous demande pas si vous avez
un diplôme, les contributions des
gens sont jugées sur la qualité de
leurs arguments. » p
morgane tual
→ LIR E L A S U IT E PAGE 8

Devant une maison

de courtage à Tokyo,
le 7 janvier.
15 ANS
C’EST L’ÂGE QU’A ATTEINT
YUYA SHINO/REUTERS WIKIPÉDIA LE 15 JANVIER

TRANSPORTS
EMBARQUEMENT
VU DE LONDRES
IMMÉDIAT POUR James Bond contre Dr. Bernstein
MCITY, LA VILLE DES
VOITURES AUTONOMES
L
a caméra cadre sur le chat angora posé
sur les genoux. Une main ornée d’une
gigantesque chevalière le caresse né-
→ LIR E PAGE 4
gligemment. Un zoom arrière révèle le
visage de Richard Bernstein, qui prépare son
attaque mondiale du fond de son bunker. « A
PLEIN CADRE nous deux, monsieur Grade », lance-t-il dans un
LE GOUVERNEMENT rire tonitruant…
La bataille qui entoure les légendaires studios
INDIEN BICHONNE de Pinewood, à l’ouest de Londres, commence
à ressembler à une scène de James Bond. Voilà
SES JEUNES POUSSES six ans que Richard Bernstein, le directeur du
petit fonds d’investissement Crystal Amber,
→ LIR E PAGE 5 tente de déstabiliser Michael Grade, président
de Pinewood et figure incontournable du pay-
sage médiatique britannique.
Fêtant en 2017 ses 80 ans, Pinewood est au
cœur de l’industrie du cinéma. Tous les James
Bond, depuis le premier (Dr. No), en 1962, y ont
été tournés. Le dernier, Spectre, n’a pas fait ex-
ception. Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la
Force y a aussi été réalisé en partie. Les deux plus
grands succès de 2015 en sont donc issus.
Mais M. Bernstein s’agace. Malgré les block-
busters qui se succèdent, les bénéfices ne sui-
vent pas suffisamment, à son goût. Il en veut
J OR | 1 088 $ L'ONCE particulièrement à M. Grade, un flamboyant
personnage aussi à l’aise en nœud papillon que
J PÉTROLE | 28,94 $ LE BARIL James Bond. Selon l’actionnaire, le président
J EURO-DOLLAR | 1,0916 de Pinewood, âgé de 72 ans, ne contrôlerait pas
J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 2,04 % assez les coûts, dans une industrie où les notes
de frais peuvent être légendaires. Près de la
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,87 %
moitié des 222 employés auraient un rôle flou
VALEURS AU 16/01 À 07H00 et peu utile. Jeudi 14 janvier, M. Bernstein a
lancé un nouveau missile téléguidé avec une
interview au vitriol dans le Times. Du fond de
son bunker, il enrage que personne ne
l’écoute. Son grand plan pour sauver le monde
serait d’ouvrir les studios au grand public, afin
de les transformer en attraction touristique.
Bons résultats financiers
M. Grade n’en a visiblement cure. Devenu Lord
Michael Grade of Yarmouth depuis son ano-
blissement en 2011, ce membre du Parti con-
servateur a pour lui un réseau exceptionnel,
construit pendant trois décennies à la tête des
télévisions britanniques. Il a successivement
dirigé BBC1, la première chaîne de télévision
du pays, puis Channel 4, une autre chaîne pu-
blique (mais financée par la publicité), avant
de prendre la présidence de l’ensemble de la
BBC. En 2006, il a créé la polémique en prenant
la direction d’ITV, la première chaîne privée et
grande concurrente de la BBC.
M. Grade peut aussi faire valoir des résultats
financiers très satisfaisants. L’action Pinewood
a triplé en cinq ans. De nombreux films hol-
lywoodiens utilisent ces studios, moins chers
que ceux des environs de Los Angeles en res-
tant près d’une grande ville. Les moyens techni-
ques très poussés et l’immensité du lieu ren-
DJIHADISME
dent l’endroit attractif pour les blockbusters. Le Un hors-série du « Monde » et de France Info
groupe s’est également étendu, et il est présent 100 pages - 8,50 €
au Canada, en Malaisie ou encore en Irlande. A Chez votre marchand de journaux
la fin du film, le méchant, du fond de son bun-
et sur Lemonde.fr/boutique
ker, est rarement le vainqueur. p
éric albert

Cahier du « Monde » No 22085 daté Dimanche 17 - Lundi 18 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément
2 | économie & entreprise
Les indices boursiers ont encore
dévissé, vendredi 15 janvier, tandis
que le cours du pétrole est passé
sous les 30 dollars. Une fébrilité
qui n’est sans doute qu’un avant-
goût de ce qui nous attend en 2016
O
n prévoyait 2016 volatile,
instable, incertaine. Pas à ce
point. Deux semaines à
peine après le début de l’an-
née, on peut dire qu’elle est,
pour l’heure, catastrophi-
que. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le
CAC 40 est en recul de 9,21 % depuis le 1er jan-
vier, alors qu’il avait progressé de 8,5 %
en 2015. Le DAX allemand s’effondre de
11,15 % et le Footsie britannique, de 7,02 %…
Chaque nouvel événement témoigne de la
très grande nervosité des investisseurs. Ainsi
de la mésaventure du constructeur Renault,
dont le titre a dévissé de 10,2 % en Bourse,
jeudi 14 janvier, sur fond de craintes de scan-
dale à la Volkswagen.
Aucune région du monde n’est épargnée.
L’affaissement est le même outre-Atlanti-
que, où le Dow Jones glisse de 8,25 %, tandis
que le Nasdaq perd 10,36 %. « Les indices amé-
ricains ont complètement craqué », indi-
quaient les analystes d’Aurel BGC après une
nouvelle dégringolade, mercredi.
Même scénario pour les places boursières
des pays émergents, du Brésil à la Russie en
passant par la Chine. Si l’on regarde depuis
2000, les oscillations des courbes font penser
à un « encéphalogramme qui se serait emballé,
s’agitant de plus en plus vite à la hausse ou à la
baisse », soulignait, mardi, Agustin Carstens,
le gouverneur de la Banque du Mexique.
Quant au VIX, le fameux « indice de la
peur », qui mesure la volatilité à venir du mar-
ché à travers les options d’achat ou de vente
placées sur le S&P 500, il a connu un nouvel
accès de fièvre cette semaine, à plus de
25 points, un niveau qu’il n’avait plus atteint
depuis fin septembre 2015, lorsque les déboi-
res chinois et la chute du baril de pétrole fai-
saient, déjà, tanguer les indices boursiers.
Bref, tous les voyants sont au rouge. Revue
de détail des risques mondiaux qui donnent
le vertige aux investisseurs.
Les milliards très instables
des banques centrales
Elles tiennent l’économie à bout de bras de-
puis des mois et, pourtant, les banques cen-
trales sont aujourd’hui en partie responsa-
bles des turbulences enregistrées sur les
Bourses. Et cela, en raison de l’incroyable
quantité de liquidités que la Réserve fédérale
(Fed) aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre,
la Banque du Japon ou encore la Banque cen-
trale européenne ont injectée sur les mar-
chés depuis 2009, notamment en rachetant
des dettes publiques ou privées. Leur objec-
tif ? Eviter l’effondrement des marchés, au
départ, puis tenter de relancer la machine
économique.
Aujourd’hui, ces liquidités représentent
30 % du PIB mondial, contre 6 % à la fin des
années 1990. Une augmentation phénomé-
nale qui a deux conséquences. La première
est que les marchés sont devenus accros à cet
argent facile. L’idée de voir le robinet se tarir
les angoisse. La remontée des taux directeurs
de la Fed, amorcée en décembre 2015, qui sera
suivie, dans quelques années, de l’éponge-
ment des liquidités injectées par l’institution,
les rend donc terriblement nerveux.
Mais il y a pire. Car ces liquidités, naturelle-
ment, se placent là où les rendements sont
les plus élevés. C’est-à-dire sur les Bourses
émergentes, les actions des nouvelles tech-
nologies, ou encore les obligations d’entre-
prises… « A la moindre alerte, les milliards se
déplacent sans crier gare, dans un sens ou
dans l’autre, sans discernement », explique
Patrick Artus, chef économiste chez Natixis,
dans La Folie des banques centrales (Fayard,
168 pages, 15 euros, coécrit avec la journaliste
Marie-Paule Virard). « Les instituts monétai-
res jouent les pousse-au-crime. »
La chute des prix du pétrole et celle du yuan alimentent la nervosité des places financières
105
105
100
95
90
85
80
75
31 juillet 2015
PRIX DU BARIL DE PÉTROLE WTI, À NEW YORK EN DOLLARS
40,81
10 DÉC. 2015
Le grand vertige
des marchés
Les sommes en jeu sont si énormes que
chaque départ provoque des mini-krachs, en
particulier sur les Bourses ou, ces derniers
mois, sur les monnaies des pays émergents,
comme le rouble ou le real brésilien. A l’in-
verse, elles contribuent à la formation de bul-
les spéculatives là où elles s’investissent en
masse… Autant dire que l’extrême volatilité
observée sur les marchés ces derniers jours
n’est probablement qu’un avant-goût de ce
qui nous attend en 2016.
Le baril à moins de 30 dollars
Rappelons cependant que la prévision est un
art difficile. En témoigne le pétrole. En 2015, le
baril pourrait coûter 380 dollars (348 euros),
avaient avancé les économistes Patrick Artus
et Moncef Kaabi en 2005 dans une étude de la
banque Ixis-CIB. Compte tenu de la hausse de
la consommation mondiale et du manque de
réserves, ils jugeaient alors « totalement dé-
raisonnables » les hypothèses selon lesquel-
les le baril pourrait retomber entre 30 et
40 dollars à l’horizon de dix ans.
Raté. Le baril de WTI, le pétrole américain
qui sert de référence mondiale, s’est
échangé à seulement 49 dollars en
moyenne en 2015. Et sa baisse ne cesse de
s’accentuer. Il est tombé à 29,73 dollars, ven-
dredi 15 janvier, à New York. Le baril de brent
de la mer du Nord chutait au même mo-
ment à 29,30 dollars, son plus bas cours de-
puis février 2004.
Aucun rebond spectaculaire n’est attendu
à court terme. La situation pèse sur la
Bourse : si ce contre-choc donne de l’oxy-
gène aux consommateurs d’or noir, il péna-
lise violemment les pays producteurs, et
toute l’importante filière pétrolière. En
France, il soumet Total, Vallourec, Technip,
CGG à rude épreuve.
Autre défi : la révolution du pétrole et du
gaz de schiste aux Etats-Unis a provoqué
une surabondance d’hydrocarbures.
Aujourd’hui, le marché croule sous le pé-
trole, qu’il vienne des Etats-Unis, de Russie,
de l’Arabie saoudite, qui laisse ses vannes
grandes ouvertes, ou encore d’Iran. Avec la
levée imminente des sanctions occidentales
contre Téhéran, le pays va pouvoir relever
son offre pour exporter. La demande, elle,
reste freinée par le manque de tonus de
nombreuses économies, dont la Chine.
VARIATION DES INDICES BOURSIERS, BASE 100 AU 31 JUILLET 2015
Dow Jones (New York)
FTSE (Londres)
CAC 40 (Paris)
Shangai Composite
1er septembre 1er octobre 1er novembre 1er décembre
COURS DU YUAN EN DOLLAR
0,16296
0,16082
28,94
15 JANVIER 2016 19 JANVIER 2015
Le scénario noir d’un yuan
en chute libre
Bien qu’elle soit créancière nette du reste du
monde, la Chine a un problème financier sé-
rieux, manifeste dans la dégradation de ses
comptes extérieurs. Après avoir vu affluer
pendant des années une partie des liquidités
alimentées par les banques centrales des
pays industrialisés, Fed en tête, elle se trouve
confrontée depuis un an à des sorties massi-
ves de capitaux, de l’ordre de 100 milliards de
dollars par mois.
Cette inversion des flux de capitaux com-
plique la gestion de ses réserves de change.
Celles-ci, en baisse de 10 %, s’élevaient en-
core, en décembre 2015, à 3 300 milliards de
dollars, ce qui représente vingt mois d’im-
portation. Ce matelas n’est confortable qu’en
apparence : car, pour soutenir le cours de sa
monnaie qui se déprécie, la banque centrale
puise dans ses réserves. Cette situation ne
peut pas s’éterniser.
Le manque de transparence de la politique
de l’institution et les hésitations chinoises
« LES INDICES en matière de change ont accentué la volati-
AMÉRICAINS ONT lité mondiale. Les marchés craignent désor-
mais que, pour avancer sur le terrain de la li-
COMPLÈTEMENT béralisation financière en ouvrant ses mar-
chés de capitaux, et pour éviter un atterris-
CRAQUÉ » sage brutal de l’économie, Pékin n’opte pour
LES ANALYSTES DU BUREAU une baisse de sa monnaie.
D’ÉTUDES AUREL BGC Jusqu’alors, les autorités chinoises ont dé-
pensé des fortunes pour éviter une forte dé-
préciation du change. « Le problème, analyse
M. Artus, est que cet ajustement lent de la de-
vise amplifie les sorties de capitaux. » D’où la
crainte des marchés d’un changement de
pied. « Ils se disent que les autorités chinoises
pourraient de façon plausible s’engager dans
une dépréciation importante, et cela serait un
choc dont n’ont absolument pas besoin les
économies occidentales », a déclaré, vendredi
à l’AFP, Didier Saint-Georges, de la société de
gestion Carmignac.
« Le scénario catastrophe serait de laisser
flotter le renminbi [yuan]. Car il ferait une
chute libre de 15 % à 20 %, et ce serait un
choc colossal pour l’économie mondiale »,
confirme M. Artus. Compte tenu du poids
de la Chine dans l’économie mondiale
(18 % du PIB et 14 % de ses exportations),
une telle crise aurait des répercussions
planétaires et aggraverait les difficultés
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
– 10 %
– 13 %
– 17 %
– 22 %
1er janvier 15 janvier 2016
0,15189
15 JANVIER 2016
SOURCE : BLOOMBERG
des pays émergents exportateurs de ma-
tières premières.
Les toussotements
de la machine américaine
Et si le vent tournait aussi aux Etats-Unis ?
Deux indicateurs économiques sont venus
renforcer, vendredi 15 janvier, le sentiment
que l’économie américaine ne pourrait peut-
être pas rester immunisée très longtemps
contre le ralentissement mondial.
La consommation des ménages, qui repré-
sente 70 % de l’activité économique aux Etats-
Unis, commence à montrer des signes d’es-
soufflement. Jusqu’à présent, elle représentait
une sorte de rempart aux vents contraires que
constituent la force du dollar et le ralentisse-
ment de la demande extérieure. Mais, en dé-
cembre 2015, les ventes de détail ont baissé de
0,1 % par rapport à novembre, selon les chiffres
du Département du commerce. Sur un an, la
progression n’est que de 2,1 %, la plus fragile de-
puis le début de la reprise, il y a six ans. Malgré
les gains de pouvoir d’achat dus à la faiblesse
des prix de l’essence, les Américains achètent
moins d’appareils électroniques (– 0,2 %), de
produits alimentaires et de boissons (– 0,3 %)
ou encore de vêtements (– 0,9 %).
L’annonce, le même jour, par Wal-Mart, le
plus gros employeur du pays, de la fermeture
de 154 magasins aux Etats-Unis et de la sup-
pression de 10 000 emplois n’a guère rassuré.
Par ailleurs, les ventes de Macy’s ont baissé de
4,7 % sur les deux derniers mois de 2015 et cel-
les de Gap, de 5 %. Les deux enseignes ont éga-
lement prévu des fermetures de magasins.
Même tendance chez Best Buy, le leader des
produits électroniques, avec un recul de 1,2 %.
L’autre voyant qui vire au rouge, c’est l’in-
dustrie. La production a décliné en décembre
de 0,4 %. Il s’agit du troisième mois consécutif
de baisse. Sur un an, l’activité dans le secteur
industriel s’est contractée de 1,8 %, un chiffre
qui n’avait plus été enregistré depuis 2009.
Le président de la Réserve fédérale de New
York, William Dudley, a déclaré vendredi, lors
d’un discours dans le New Jersey, qu’il s’atten-
dait à « un quatrième trimestre [2015] faible du
côté de la croissance ». La première estimation
sera publiée le 29 janvier. p
marie charrel, denis cosnard,
claire guélaud, stéphane lauer
(à new york) et audrey tonnelier
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
Air France repart à la conquête du ciel
Issu du cabinet de Manuel Valls, le nouveau DRH tire un trait sur les licenciements et veut gonfler sa flotte
A LES DATES
ir France vient de redé-
couvrir la croissance.
Vendredi 15 janvier, à
l’occasion d’un comité
central d’entreprise extraordinaire
(CCE), Frédéric Gagey, le PDG d’Air
France, et Gilles Gateau, le tout
nouveau directeur des ressources
humaines (DRH) de la compagnie,
ancien conseiller social du pre-
mier ministre, Manuel Valls, ont
détaillé « une stratégie de con-
quête » qui tourne le dos aux licen-
ciements secs. Pour cette nouvelle
année, la compagnie aérienne a
mis au rancart le « plan B », an-
noncé le 5 octobre 2015 lors d’un
CCE brutalement écourté par des
heurts. Ce plan de remplacement
prévoyait des fermetures de li-
gnes, une réduction de la flotte et,
surtout, près de 3 000 suppres-
sions de postes, dont une partie
sous forme de licenciements secs.
Cette mauvaise passe est révo-
lue. A la place, MM. Gagey et Ga-
teau ont cette fois proposé une
version « améliorée » du plan Per-
form 2020, présenté en 2014 et sur
lequel les négociations avaient
échoué, aboutissant au blocage de
l’automne. Un brusque change-
ment de pied de la direction, sym-
bole, selon elle, d’un nouvel « état
d’esprit de l’entreprise ». La direc-
tion veut « reprendre, en 2016, un
dialogue social sur une base plus
positive ». Cette fois, il ne s’agit plus
de réduire son offre, mais au con-
traire de la développer.
L’offre de long-courriers est la
priorité d’Air France. Elle a an-
noncé une croissance de 2 % à 3 %
par an entre 2017 et 2020. Deux
avions, des Airbus A350 et des
Boeing 787, devraient rejoindre sa
flotte chaque année entre 2017 et
2020. Au total, a précisé M. Gateau,
en comptant les achats de nou-
veaux avions et les remplace-
ments d’appareils anciens, la com-
pagnie devrait se doter de 16 nou-
veaux long-courriers d’ici à 2020.
Ce nouveau plan va bien plus
loin que le plan Perform d’origine.
A l’époque, la direction ne pré-
voyait qu’une croissance de 1 % à
1,5 % de son offre long-courrier. Air
France tire aussi un trait sur les fer-
metures de lignes. Elle prévoit dé-
sormais d’ouvrir une ou deux nou-
Grippe aviaire : les éleveurs de canards
et d’oies du Sud-Ouest sous le choc
A partir de lundi 18 janvier, aucun nouveau caneton ne pourra entrer dans une exploitation
I l aura manqué un jour. « On
devait recevoir 6 600 cane-
tons mardi », témoigne Ber-
nard Duval, éleveur à Bourriot-
Bergonce, dans les Landes. Le bâ-
timent restera vide. A partir de
lundi 18 janvier, plus aucun cane-
ton ne doit entrer dans une ex-
ploitation agricole du grand Sud-
Ouest de la France. Une décision
prise jeudi par le ministère de
l’agriculture après concertation
avec les autorités sanitaires et les
professionnels. Objectif : éradi-
quer l’épizootie de grippe aviaire
qui a débuté fin novembre 2015.
Depuis, 69 foyers ont été détectés
dans huit départements. Les ca-
nards en court d’élevage iront, en
revanche, à terme dans le proces-
sus de production.
« C’est stressant »
Les éleveurs de canards et d’oies,
concernés par cette mesure, sont
sous le choc. « C’est stressant. Sur-
tout quand vous avez des em-
ployés », confie une éleveuse du
Gers, qui souhaite garder l’ano-
nymat. Même si, plus chanceuse
que d’autres, elle a reçu un lot de
500 canetons une semaine avant
l’entrée en vigueur de la mesure.
Air France va dégager des bénéfices en 2015, une première en sept ans. CHRISTIAN HARTMANN/REUTERS
Les nouvelles
largesses
de la direction
ne vont pas sans
contreparties
velles destinations chaque année
jusqu’en 2020, notamment en
Iran et dans les Amériques.
Si Air France voit à nouveau la vie
en rose, c’est que la compagnie,
aidée par la baisse continue des
prix des carburants, a enregistré
de « meilleurs résultats en 2015 »
qu’auparavant. Pour la première
fois depuis 2008, elle va dégager
des bénéfices, et son résultat d’ex-
ploitation devrait avoisiner les
400 millions d’euros. Un montant
Sur cette exploitation, les canards
gras de Barbarie sont élevés, en-
graissés, tués et mis en conserve
sur place. Des produits vendus
ensuite en vente directe à la
ferme ou sur les marchés.
Chacun tente d’évaluer l’impact
du coup d’arrêt sur la production.
« Il est prématuré de chiffrer. Mais,
dans le meilleur cas de figure, avec
un vide sanitaire d’un mois, nous
perdrions 3 lots de 3 000 canards.
Soit près d’un tiers de notre pro-
duction », estime Christophe Bar-
railh, éleveur à Aire-sur-Adour
(Landes) et président du Comité
interprofessionnel des palmipè-
des à foie gras (Cifog). Cet orga-
nisme estime que 10 millions de
canards manqueraient alors à
l’appel dans la région, à un coût
de 30 euros, soit un total de
300 millions d’euros de manque
à gagner. Un calcul qui incluT
Nouveau cas détecté aux Etats-Unis
La détection d’un nouveau cas d’influenza aviaire H7N8 a été
officialisée vendredi 15 janvier aux Etats-Unis, dans un élevage
de dindes dans l’Indiana. Il s’agit du premier depuis l’épizootie
qui a frappé ce pays jusqu’en juin 2015, causant l’abattage
de 50 millions d’animaux.
encore loin de l’objectif fixé pour
2017, à savoir 740 millions. Un re-
tour à meilleure fortune qui lui
donne de nouvelles « marges de
manœuvre ».
Toutefois, les largesses de la di-
rection ne vont pas sans contre-
parties. Comme c’était déjà prévu
par le plan Perform, elle attend des
efforts de productivité des person-
nels. Mais elle souhaite rendre ces
efforts « plus progressifs ». Surtout,
elle veut « les inscrire dans une
perspective négociable ». En clair,
les 17 % auparavant exigés ne sont
plus d’actualité. Le nouveau seuil
sera fixé par « un compromis » ob-
tenu au terme d’« une négociation
sociale ». Mieux, la direction ne
fixe plus non plus « d’ultimatum
ou de date butoir », comme au
temps du « plan B ». Néanmoins,
elle rappelle que « l’horloge tourne
tous les maillons de la filière, des
acouveurs, premiers touchés,
aux éleveurs, en passant par les
abattoirs, les sociétés d’alimenta-
tion animale et les entreprises de
transformation.
Mais pour l’instant, aucun plan
d’aide n’a encore été présenté par
le gouvernement. Les éleveurs
ont toutefois d’autres sujets d’in-
quiétude. Ils attendent la publica-
tion des règles qui devront fixer
le périmètre géographique af-
fecté, a priori 16 départements du
Sud-Ouest, dont un partielle-
ment. « Cela devrait concerner
4 000 éleveurs dont 700 à 800 qui
pratiquent la vente à la ferme »,
précise Marie-Pierre Pé, déléguée
générale du Cifog.
Surtout, deux arrêtés devraient
détailler les règles de biosécurité
qui s’appliqueront dans le Sud-
Ouest mais aussi sur l’ensemble
et que, pour négocier, il faut être
deux ». « Pour mettre en place le
plan de croissance, nous devrons
parvenir à un accord courant
2016 », a encore ajouté M. Gateau.
Réduire les coûts en 2016
L’objectif d’Air France est toujours
« d’abaisser ses coûts unitaires pour
les rapprocher de ceux de ses con-
currents européens », principale-
ment Lufthansa et British Airways
– qui a annoncé, vendredi, le recru-
tement de 2 000 pilotes et person-
nels navigants commerciaux.
Cette fois, la compagnie a choisi de
ne plus se comparer aux compa-
gnies du Golfe ou aux transpor-
teurs low cost, comme easyJet ou
Ryanair.
Pour se donner plus de chance
d’obtenir un accord, notamment
avec les pilotes et les personnels
du territoire. Un coût que M. Bar-
railh évalue ainsi, pour son ex-
ploitation, entre 200 000 et
300 000 euros.
« Une mesure commerciale »
« Les mesures de biosécurité vont-
elles interdire notre élevage de vo-
lailles bio en plein air ? », s’inter-
roge Sylvie Colas, qui produit
poulets, pintades, chapons et ca-
nards dans le Gers, nourris grâce
aux céréales cultivées sur l’ex-
ploitation.
« Veut-on faire disparaître la
qualité artisanale au profit des
grands groupes ? ajoute-t-elle.
Nous ne représentons que 10 % de
la production et pourtant on est
encore de trop. C’est incohérent
quand on parle biodiversité, du
manger bio et que notre offre plaît
aux touristes. »
Pour cette militante de la Confé-
dération paysanne, la mesure
prise par le gouvernement ré-
pond à une demande des acteurs
de la volaille qui s’inquiètent de la
fermeture de leurs marchés à
l’exportation. « Une mesure plus
commerciale que sanitaire »,
dénonce-t-elle. p
laurence girard
économie & entreprise | 3
JUILLET 2014
Air France annonce un nouveau
plan de développement et de
restructurations « Perform 2020 »
30 SEPTEMBRE 2015
Echec des négociations entre la
direction et les syndicats de pilo-
tes sur le plan « Perform ».
5 OCTOBRE
Faute d’accord, la direction
annonce, au cours d’un comité
central d’entreprise (CCE) cha-
huté, la mise en œuvre d’un
« plan B » qui comprend près de
3 000 suppressions de postes,
dont des licenciements secs.
15 JANVIER 2016
A l’occasion d’un CCE extraordi-
naire, la direction indique
l’abandon du « plan B » et pro-
pose un plan « Perfom » amé-
lioré : pas de licenciements secs,
mais des embauches et des
ouvertures de lignes.
navigants commerciaux, les hô- lioré, la direction devra obtenir la
tesses et stewards, Air France a in- signature du Syndicat national des
diqué que les personnels bénéfi- pilotes de ligne (SNPL). Ce n’est pas
cieront de deux plans d’intéresse- gagné d’avance. Même si Air
ment aux bénéfices. Une première France assure qu’il n’y a « plus de
depuis sept ans. En effet, a précisé gel des embauches » de navigants.
Gilles Gateau, « un plan supplé- « La direction a découvert tout
mentaire d’intéressement viendra d’un coup que le pétrole était moins
s’ajouter » à un premier déjà an- cher et qu’on avait gagné de l’ar-
noncé. Enfin, les négociations sa- gent », a ironisé un délégué du
lariales annuelles obligatoires de- SNPL, en réaction aux proposi-
vraient se tenir « durant la dernière tions de la direction. Le syndicat
semaine de janvier », a-t-il promis. constate que le « ton a changé »
Il n’empêche, si le nouveau plan avec l’arrivée de M. Gateau, mais il
vise à retrouver la croissance, 2016 soupçonne une manœuvre politi-
sera encore une année de réduc- que. Le SNPL se demande si « l’ob-
tion des coûts. Mais moins brutale jectif n’est pas que la compagnie
que ne le prévoyait le « plan B ». Le reste calme avant la présidentielle
DRH a indiqué qu’il n’y aura pas de de 2017 ». Air France saura bien vite
départs contraints jusqu’en si un accord est envisageable, puis-
juin 2018. Mais il se laisse la possi- que le syndicat réunit son conseil
bilité de départs volontaires. mercredi 20 janvier. p
Pour faire valider son plan amé- guy dutheil
4 000
C’est, selon les syndicats, le nombre de postes qu’EDF prévoirait de suppri-
mer sur trois ans. Interrogé par l’AFP, le groupe n’a pas souhaité faire de
commentaires. Ces réductions d’effectifs, d’ici à 2018, représentent plus du
double des suppressions initialement annoncées. Elles doivent être abor-
dées le 21 janvier, lors d’un comité central d’entreprise, et se feront à tra-
vers des non-remplacements de départs à la retraite ou des départs antici-
pés. En décembre 2015, les syndicats avaient protesté contre la
suppression annoncée de « 1 500 à 2 000 postes » d’ici à 2018. Cette baisse
interrompt une tendance à la hausse des effectifs enregistrée depuis 2011.
BR UXELLES estimé que les dernières lois
Un « plan d’action » adoptées par le gouverne-
contre le financement ment conservateur, arrivé au
du terrorisme pouvoir en octobre 2015,
La Commission européenne avaient conduit à un « affai-
a annoncé, vendredi 15 jan- blissement des institutions-
vier, qu’elle proposerait début clés ». Une décision qualifiée
février un « plan d’action » d’« incompréhensible » par
contre le financement du ter- Varsovie. – (AFP.)
rorisme, sur insistance de la
France. Paris voudrait notam- AR MEMEN T
ment mettre fin à l’anony- Année record
mat des utilisateurs de cartes pour les ventes d’armes
prépayées et de monnaies françaises
virtuelles, mais aussi instau- La France a connu une année
rer des mécanismes plus effi- record en matière de vente
caces pour geler les avoirs des d’armes, avec près de 16 mil-
personnes poursuivies. liards d’euros de commandes
en 2015, soit deux fois plus
N OTAT I ON qu’en 2014. Portée par les
Standard & Poor’s ventes de 48 Rafales,
dégrade la Pologne 24 à l’Egypte et autant
L’agence de notation finan- au Qatar, la France rejoint
cière Standard & Poor’s (S&P) le trio de tête des meilleurs
a abaissé d’un cran, à BBB+, marchands de canons,
vendredi 15 janvier, la note de composé par les Etats-Unis
la dette de la Pologne. S&P a et la Russie.
4 | économie & entreprise 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016

Mcity, le paradis
américain
des véhicules
sans conducteur
L’université du Michigan a créé
une ville artificielle afin de tester
les futures voitures autonomes

ann arbor (michigan) - rack Obama a annoncé un plan

envoyé spécial d’investissements de 4 milliards
de dollars sur dix ans pour le déve-

A
ttention, confidentiel !
« Ignorez la marque de
la voiture que vous ve-
nez de voir, tous les es-
sais organisés ici sont totalement
privés », prévient, anxieuse, Susan
Carney, la directrice de la commu-
nication du Centre de transforma-
tion de la mobilité, un institut de
recherche de l’université du Michi-
gan, installée à Ann Arbor.
Ici, c’est Mcity, une ville artifi-
cielle où des dizaines de construc-
teurs et équipementiers installés
autour de Detroit, à quelques kilo-
mètres d’Ann Arbor, peuvent venir
tester leurs véhicules sans chauf-
feur. L’université du Michigan,
l’Etat du Michigan et une soixan-
taine de partenaires privés, dont
General Motors, Ford, Toyota, Nis-
san, Honda, mais aussi Delphi, Xe-
rox, Verizon ou l’équipementier
français Faurecia, ont investi quel-
que 10 millions de dollars
(9,20 millions d’euros) pour se do-
ter d’un outil unique au monde,
qui s’étend sur près de 14 hectares !
C’est une nouvelle preuve que les
Etats-Unis veulent faire la course
en tête sur le développement de la
voiture sans chauffeur. Jeudi
14 janvier, le gouvernement de Ba-
loppement des véhicules sans
chauffeur.
Si certains acteurs comme Goo-
gle, Ford, Honda ou Continental
font déjà rouler leurs prototypes
sur certaines routes de Californie,
du Nevada ou du Michigan, cer-
tains préfèrent parfaire leurs véhi-
cules sur circuit. « Et c’est là que
nous intervenons, indique Carrie
Morton, la toute nouvelle direc-
trice du centre de recherche. De-
puis début 2015, nous proposons à
nos partenaires de tester leurs der-
nières technologies au sein d’un cir-
cuit qui recrée un environnement
routier et urbain le plus réaliste
possible. »
« Tout est adaptable »
Les constructeurs peuvent y ima-
giner et y répéter, jour et nuit, sous
la neige, comme Ford l’a annoncé,
sous la pluie ou sous le soleil, tous
les scénarios d’essais. Mcity est di-
visée en deux grandes zones : une
zone de haute vitesse, avec une
autoroute de quatre voies, dispo-
sant de rampes d’accès et de sortie
ainsi que des panneaux que l’on re-
trouve partout dans le pays.
Les concepteurs du site ont fait
attention au moindre détail. « Cer-
Un prototype Honda en test sur le circuit Mcity, dans le Michigan, en juillet 2015. BLOOMBERG/GETTY IMAGES
tains panneaux sont de travers,
d’autres sont un peu effacés ou ta-
gués, précise la directrice. Et il y a
même des impacts de balles sur cer-
taines glissières en béton. »
Une seconde zone propose un
environnement plus urbain. Un
centre-ville est simulé avec de
fausses façades, ses cafés et ses
magasins. « Tout est adaptable,
donc nous pouvons avancer ou re-
culer les façades pour laisser plus
ou moins de trottoir ou de places
de parking. Les façades utilisent
des teintes et des matériaux qui
existent dans les villes, comme
cela, on est capable de reproduire
le plus fidèlement les typologies de
réflexion du soleil », ajoute
Mme Morton.
Des kiosques à journaux, une
bouche d’incendie, un banc, une
boîte aux lettres et des passages
piétons sont également installés
dans cette ville artificielle, tout
comme des feux de signalisation,
un rond-point et plusieurs carre-
fours.
Un résident, Sebastian, robot dé-
veloppé par des étudiants ingé-
nieurs de l’université, vit égale-
ment à l’année dans Mcity. « Il est
très précieux, car il permet de tester
dans une ville avec des habitants.
Et surtout, on peut le programmer
pour répéter plusieurs dizaines de
fois le même mouvement, exacte-
ment au même endroit, ce qui per-
met de valider scientifiquement
certains essais. »
Une zone de banlieue a égale-
ment été imaginée. Elle est équi-
pée d’une canopée, qui permet
de simuler des arbres qui peu-
vent, par exemple, altérer des si-
gnaux entre voitures ou avec le
GPS. Un passage à niveau et un
tunnel complètent l’environne-
Cet outil est une
nouvelle preuve
que les Etats-Unis
veulent faire
la course en tête
sur le créneau
de la voiture
sans chauffeur
ment. Le terrain est également
volontairement escarpé et pro-
pose d’importantes courbes.
« Dans ces portions, qu’un véhi-
cule autonome soit bardé de cap-
teurs pour voir la route ne sert pas
à grand-chose, car on ne voit pas
arriver un véhicule venant en sens
inverse, rappelle la patronne du
circuit. En revanche, si les deux vé-
hicules échangent des informa-
tions, ils peuvent savoir qu’ils se
rapprochent. »
Au sol, tous les revêtements ont
été imaginés : béton, asphalte,
routes pavées, gravier, mais aussi
sable. « Selon les vœux des indus-
triels, nous pouvons installer des
marquages spécifiques au sol. Par
exemple, vous pouvez demander
l’installation d’un couloir pour vé-
los, opter pour des rues sans mar-
quage » , poursuit-elle.
La porte au nord du site permet
d’accéder directement à la ville
d’Ann Arbor. « Une fois que les vé-
hicules auront prouvé qu’ils sont
fiables, ils pourront entrer dans la
“vraie ville”, où seront déployées
courant 2016 des infrastructures
connectées. » A moyen terme,
2 000 voitures autonomes doi-
vent circuler dans la ville. p
philippe jacqué

Les conséquences brutales du covoiturage L’HISTOIRE DU JOUR

Vincent Bolloré, chouchou
et de l’autopartage sur la filière automobile de la gauche à Quimper
Le chiffre d’affaires du secteur pourrait chuter de 8 % à 20 %, d’après une étude
ergué-gaberic (finistère) - envoyé spécial

E ntre 20 000 et 60 000 sup-

pressions d’emplois dans
le secteur automobile fran-
çais, qui emploie aujourd’hui
520 000 personnes. Une baisse de
8 % à 20 % du chiffre d’affaires de
ce même secteur, évalué à quel-
que 154 milliards d’euros. Et enfin
une diminution du parc automo-
bile (30 millions de voitures parti-
culières) de 4 à 10 millions de vé-
hicules.
Telles pourraient être les consé-
quences, dans les quinze prochai-
nes années, de l’avènement des
pratiques d’autopartage, de co-
voiturage et de location entre par-
ticuliers promues aujourd’hui par
nombre de start-up comme Bla-
blacar, Drivy, Uber ou encore
Autolib.
Ces conclusions proviennent
d’une étude inédite, réalisée par le
Groupe d’étude et de recherche
permanent sur les salariés de
l’automobile (Gerpisa) et la so-
ciété Tech2market, pour le
compte du pôle interministériel
de prospective et d’anticipation
des mutations économiques, et
publiée vendredi 15 janvier.
Pour parvenir à ces données,
trois scénarios de développe-
ment de ces services ont été étu-
diés. Chacun se fonde sur un type
d’acteur principal : les grands
gestionnaires de transport pu-
blic (Transdev, Keolis, RATP, etc.),
les constructeurs automobiles
ou les seules nouvelles start-up
(Drivy, Blablacar…).
quences économiques des nou-
velles mobilités. Ils se sont égale-
ment penchés sur les bénéfices
pour la société. Si l’autopartage
et le covoiturage se développent,
ils pourraient permettre une
économie de carburant (de 1 à
4 milliards de litres) et de CO2
(près de 8 millions de tonnes, au
mieux, sur 66 millions de tonnes
émises actuellement par le parc
roulant).
Si le covoiturage ou l’autopar-
tage ont le vent en poupe, l’étude
estime cependant que « l’actuel
développement des nouveaux ser-
vices de mobilité est plutôt lent et
emprunte des voies qui laissent
craindre qu’il reste sous-optimal
en termes sociaux et environne-
mentaux ».
En clair, si Blablacar aide les
gens à voyager sur de longues dis-
Q uand on demande à Maryvonne Blondin, sénatrice (PS)
du Finistère, si Vincent Bolloré est de droite ou de gau-
che, elle répond, après un silence gourmand : « Il est fi-
dèle. » Fidèle à qui, à quoi ? « A Ergué-Gabéric », dit celle
qui fut adjointe au maire dans cette commune près de Quim-
per, où la famille Bolloré a démarré son activité industrielle
en 1822, et où toutes ses sociétés sont encore enregistrées.
De fait, ce vendredi 15 janvier, à l’inauguration de la nouvelle
usine de bus électriques du groupe, à Ergué-Gabéric, la plupart
des élus présents sont de gauche. Et côtoient d’anciens délégués
CGT attendris, qui appellent le patron par son petit nom avant
d’aller déjeuner au manoir de la famille. A en oublier qu’en 2007
le milliardaire breton a reçu sur son yacht un Nicolas Sarkozy
élu président. « Ma famille a connu trois rois, un empereur et
25 présidents », minimise l’intéressé.
INAUGURANT Lyrisme
« Sarkozy est son ami des villes, et moi,
UNE USINE DE BUS son ami des champs. Cela ne pose
ÉLECTRIQUES, aucune difficulté », réplique Bernard
Poignant. L’ancien maire (PS) de
M. MACRON A VANTÉ Quimper, conseiller intime de Fran-
çois Hollande, est l’artisan des liens
UN PATRON « DONT entre M. Bolloré et la gauche. Leur

Bénéfices pour la société

Quel que soit le scénario retenu,
les baisses d’effectifs toucheront
très peu la fabrication de nouvel-
tances à moindre prix, souvent
en concurrence avec d’autres mo-
LA FRANCE A BESOIN » amitié démarre en 1981 quand M. Bol-
loré, 29 ans, va dire à M. Poignant, qu’il
des de transport, aucun service de a repris les papeteries familiales au
covoiturage de courte distance, bord de la faillite et les sauver, sans licencier mais en réduisant les
domicile-travail, n’a su trouver salaires. « Je lui ai dit : si tu fais cela, je te soutiens. » Dont acte.

Ce dimanche à 12h10 les voitures, qui devrait rester

constante avec des véhicules uti-
lisés et renouvelés plus souvent.
En revanche, les métiers de
YANNICK JADOT l’après-vente et de la vente d’occa-
député européen écologiste
sion seront plus affectés. Mais les
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), chercheurs ne s’aventurent pas à
Sophie Malibeaux (RFI), Hélène Bekmezian (Le Monde). évaluer le nombre d’emplois qui
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr pourraient être créés par les ges-
tionnaires des systèmes d’auto-
partage ou de covoiturage.
0123 Les auteurs de l’étude ne se sont
pas arrêtés aux seules consé-
un modèle économique. De
même, l’autopartage n’a pas su,
même subventionné, s’imposer
hors des grandes zones urbaines
déjà saturées d’offre de transport.
Pour que ce nouveau modèle
prenne véritablement de l’am-
pleur, estiment finalement les
chercheurs du Gerpisa et
Tech2market, il faudrait que les
acteurs traditionnels de la filière
et les start-up coopèrent. p
philippe jacqué
Depuis, les socialistes se sont succédé dans les usines Bolloré,
à commencer, en 1985, par François Mitterrand. Leur rythme
s’est récemment accéléré : le président François Hollande s’est
déplacé en septembre 2013, le premier ministre Manuel Valls en
janvier 2015, Emmanuel Macron un an plus tard. Le discours du
ministre de l’économie pour inaugurer l’usine des bus électri-
ques, vendredi, fut d’ailleurs un modèle du genre. M. Macron a
cité Georges Bernanos, parlant de Vincent Bolloré comme d’un
patron idéal, « dont la France a besoin », développant non sans
lyrisme la liste de ses qualités. « Il est très bon, ce Macron, s’est
exclamé dans la salle un ancien délégué CGT, la larme à l’œil. Ci-
ter Bernanos, il faut le faire. » p
serge michel
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016 économie & entreprise | 5

Les start-up prennent la route de l’Inde

Le gouvernement lance un plan pour soutenir l’essor des jeunes pousses, dont le nombre a crû de 40 % en 2015

new delhi - correspondance

C’
est un événement à
grand renfort de
communication,
comme le premier
ministre indien sait si bien les or-
chestrer. A l’occasion du lance-
ment d’un plan destiné à favoriser
la croissance des start-up en Inde,
Narendra Modi a invité, ce samedi
16 janvier, à New Delhi, près de
2 000 entrepreneurs, dont des tê-
tes d’affiche de la Silicon Valley
(Californie), et imaginé un slogan
pour marquer les esprits :
« Start-up India, Stand up India ».
Ou comment l’Inde veut montrer
au monde qu’elle est entrée de Dans les locaux
plain-pied dans la netéconomie. de Flipkart,
Pas une activité qui n’échappe en à Bangalore (sud
effet à l’imagination des jeunes de l’Inde).
entrepreneurs indiens : du site In- Le site de
ternet qui organise des pique-ni- commerce en ligne
ques pour chiens à la poubelle qui, est valorisé à plus
à chaque déchet déposé, donne ac- de 1 milliard
cès au Wi-Fi. Les start-up poussent de dollars. KUNI
en Inde, comme autrefois les cen- TAKAHASHI/NYT-REDUX/REA
tres d’appels et les sociétés de ser-
vices informatiques. Leur nombre
a bondi de 40 % en 2015, et elles
ont reçu 9 milliards de dollars
(8,2 milliards d’euros) d’investisse-
ment sur cette même année, un
niveau jamais atteint auparavant.
Les ingénieurs indiens se sont
mués en entrepreneurs.

« Une meilleure image »

Quel meilleur endroit que l’Inde
pour espérer faire fortune ? Les in-
vestissements coulent à flots, por-
tés par la bonne conjoncture éco-
nomique du pays ; le vivier de
compétences hérité du développe-
ment des sociétés de services in-
formatiques favorise l’innovation
technologique ; et le potentiel de
croissance est immense, notam-
ment dans l’e-commerce.
C’est dans ce secteur que les réus-
sites ont été les plus fulgurantes,
attisées par une explosion du
nombre d’internautes, qui avoi-
sine les 400 millions. Sept groupes
indiens sont désormais valorisés à
plus d’un milliard de dollars, dont
Flipkart, Snapdeal ou encore Sho-
pclues. Cette valorisation s’expli-
que par une hausse rapide du mar-
ché, qui devrait doubler d’ici à fin
2016, pour atteindre les 23 mil-
liards de dollars, selon les prévi-
sions de la banque Goldman
Sachs. Amazon, qui a investi mas-
sivement dans le pays, n’a pas ca-
ché que l’Inde deviendrait pro-
chainement son deuxième mar-
ché après les Etats-Unis.
La route de l’e-commerce en Inde
n’est pourtant pas sans embûches.
A commencer par le paiement en
ligne, dans un pays où l’argent li-
quide est roi. Ranger les liasses de
billets dans un coffre-fort fait pres-
que partie des tâches domestiques
dans les foyers aisés, que l’on
veuille cacher leur origine ou
payer moins d’impôts. Et les plus
pauvres, surtout dans les zones ru-
rales, n’ont pas accès aux cartes de
crédit, et encore moins à un
compte bancaire. Pour contourner
cet obstacle, Flipkart propose le
paiement en espèces à la livraison.
La livraison justement, alors que
les deux tiers de la population in-
dienne vivent en zone rurale par-
fois sans route, donne des maux
de tête aux responsables logisti-
ques des sites d’e-commerce. Dans
les zones isolées, c’est souvent le
facteur qui achemine les produits,
mais celui-ci roule à bicyclette et
ne peut pas porter plus de 5 kg sur
son dos, surtout s’il travaille dans
les contreforts de l’Himalaya.
Le potentiel du marché dans les
villes suffit à nourrir la crois-
sance. Dans les mégapoles, les
magasins, qui font face à la
hausse des prix fonciers, peinent
à rester compétitifs. La loi in-
dienne interdit également aux
enseignes étrangères d’être majo-
ritaires au capital de chaînes de
supermarchés qui ouvrent en
Inde. Le marché est donc relative-
ment fermé. « Le développement
d’Internet et l’adoption du télé-
phone mobile permettent de con-
tourner ces contraintes et de pro-
pulser la consommation à un
autre niveau », souligne Shailesh
Vikram Singh, le directeur exécu-
tif du fonds d’investissement
SeedFund.
Les sites d’e-commerce généra-
listes ne sont toutefois pas autori-
sés à vendre directement aux in-
ternautes et se présentent comme
des plates-formes qui mettent en
relation marchands et clients. La
conquête des parts de marché
Quel meilleur
endroit que l’Inde
pour espérer
faire fortune ? Les
investissements
coulent à flots
dans un pays aussi convoité que
l’Inde se paie cher. Les sites doi-
vent consentir des remises impor-
tantes pour attirer les consomma-
teurs vers ce nouveau canal de dis-
tribution. Goldman Sachs estime
que ces remises représentent à el-
les seules 30 % des investisse-
ments dans les start-up.
En quelques années, les jeunes
pousses indiennes sont passées de
la technologie au commerce.
En 2010, les solutions technologi-
ques au service des entreprises
concentraient 86 % des investisse-
ments indiens dans le secteur,
alors qu’elles ne représentent
aujourd’hui qu’une infime partie.
Cet essor va-t-il durer encore
longtemps ? Certains analystes
montrent du doigt les premiers si-
gnes d’un dégonflement de la
bulle, avec de grandes enseignes
qui ont, ces derniers mois, licencié
du personnel ou fermé des bu-
reaux dans plusieurs villes, à l’ins-
tar de Zomato ou TinyOwl.
« L’Inde est à un tournant, l’entre-
preneuriat n’est plus considéré
comme une forme déguisée de chô-
mage, mais comme la poursuite de Les créateurs de start-up atten- pose problème… mais aussi leur
rêves », explique Raina Kumra, le dent du gouvernement qu’il faci- fermeture. Car il faut au moins
cofondateur de Gigato, une lite la création d’incubateurs et dix-huit mois, et jusqu’à des dé-
start-up qui ne fait pas payer le té- leur accorde des exemptions fis- cennies, pour faire disparaître une
léchargement des données sur cales au moins lors des deux ou entreprise, ce qui explique que le
l’Internet mobile à l’utilisateur qui trois premières années d’activité. tiers des entreprises immatricu-
se sert de certaines applications. « Aujourd’hui, il faut obtenir sept lées en Inde soient dormantes ou
« Il est aujourd’hui plus facile de ou huit autorisations, sans parler défuntes. Une double peine pour
prendre des risques, renchérit des nombreuses lois archaïques les jeunes entrepreneurs. « Ce n’est
Kaushal Dugar, le fondateur de qui prennent beaucoup de temps, pas d’argent que les entrepreneurs
Teabox, un site marchand de thé. témoigne Kaushal Dugar. Vaut-il ont besoin mais d’un changement
L’entrepreneuriat, les start-up béné- mieux passer du temps à répondre d’attitude du gouvernement »,
ficient d’une meilleure image en aux demandes parfois archaïques plaide Shailesh Vikram Singh.
Inde. » En deux tours de table, il a de l’administration ou à dévelop- « Start-up, Stand up », exhorte le
levé 7 millions de dollars pour ven- per son entreprise ? » premier ministre. Saura-t-il les
dre en ligne du thé cultivé en Inde. Ce n’est pas seulement la créa- aider à tenir debout ? p
Les jeunes diplômés des instituts tion ou la gestion de start-up qui julien bouissou
indiens de technologie, les plus sé-
lectifs au monde, sont de plus en
plus nombreux à se lancer dans
l’aventure, dans des incubateurs
qui n’existaient pas il y a encore
quelques années. PARTEZ À LA DÉCOUVERTE
DES MERVEILLES DE L'UNIVERS...
Nouvelle génération
Cette nouvelle génération d’entre-
preneurs bénéficie de l’expertise
et parfois des investissements de
ses aînés, partis travailler dans la
Silicon Valley. Ce sont des Indiens
qui dirigent désormais Google et
Microsoft – Sundar Pichai et Satya
Nadella. D’autres, qui y ont fait
fortune, investissent dans leur
pays d’origine. « Entre l’Inde et les
Etats-Unis, on ne parle plus de fuite
des cerveaux mais de cerveaux qui
reviennent enrichis », explique Ar-
naud Auger, un entrepreneur
français qui vit entre l’Inde et la
Silicon Valley.

Blablacar ou les tribulations indiennes d’une jeune française

la start-up française de covoiturage
Blablacar, présente dans 22 pays, a démarré
ses activités en Inde en janvier 2015. Ce
mode de déplacement, s’il existe parfois de
manière informelle, est encore largement
ignoré dans le pays.
Voyager avec des inconnus dans une voi-
ture relève de l’aventure. Sauf lorsqu’on n’a
pas le choix. Car, en Inde, les infrastructu-
res de transport sont parfois si saturées,
surtout au moment des festivals, que le co-
voiturage est la seule option de dernière
minute disponible. Les billets de train doi-
vent se réserver des semaines à l’avance si
l’on ne veut pas se retrouver sur une lon-
gue liste d’attente.
« Dans d’autres pays, Blablacar sert sur-
tout à économiser sur les coûts des trajets,
alors qu’il sert en Inde à voyager tout
court », explique Raghav Gupta, le respon-
sable de la start-up dans le pays. Depuis
que New Delhi a institué la circulation al-
ternée pour diminuer la pollution atmos-
phérique, les trajets en covoiturage rem-
portent un franc succès. Quant aux con-
ducteurs, ils utilisent le service pour éco-
nomiser de l’argent, mais aussi pour ne pas
s’ennuyer lors de trajets qui durent jusqu’à
dix heures.
Encore faut-il s’assurer que ces chauf-
feurs n’en fassent pas une activité lucra-
tive. Malgré les efforts déployés par
l’équipe de Blablacar, il est difficile de tous
les démasquer. « Rapid Dial », qui explique
sur son profil aimer les chansons de Mu-
kesh Kumar, se rend ainsi à Jaïpur chaque
semaine pour « le mariage d’un cousin ».
Ce qui fait beaucoup de mariages de cou-
sins en très peu de temps.
« Le principal frein à l’utilisation du service
est la crainte de devoir voyager avec des in-
connus », relève M. Gupta. Le site propose
donc aux utilisateurs de se connecter via
les réseaux sociaux comme Facebook ou
LinkedIn. Les profils sont enrichis d’infor-
mations comme les loisirs ou encore la pro-
fession. Les copies de pièces d’identité se-
ront bientôt exigées, puis vérifiées auprès
d’une base de données gérée par l’Etat in-
dien. Enfin, les utilisateurs sont notés.
Blablacar, présent dans 700 villes indien-
nes, revendique 1 million de sièges, ou
55 millions de kilomètres, offerts en covoi-
turage en l’espace d’un an. M. Gupta recon- 272 pages - 39.00 euros - Préface de Hubert REEVES
naît que l’objectif de l’entreprise, dans l’im-
Des images satellites de la NASA, 88 constellations,
médiat, ne consiste pas à dégager des pro- la liste des observatoires de France...
fits mais à populariser ce mode de trans-
port. Elle devra aussi s’imposer face à la EN LIBRAIRIE
concurrence de nombreux acteurs, notam-
ment les entreprises de réservation de vé-
hicules de tourisme avec chauffeur qui
viennent de se lancer sur ce créneau. p
j. bo. (new delhi, correspondance)
6 | bourses & monnaies 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016

PARIS FRANCFORT LONDRES EURO STOXX 50 NEW YORK NASDAQ TOKYO

‒ 2,85 % ‒ 3,09 % ‒ 1,83 % ‒ 2,67 % ‒ 2,19 % ‒ 3,34 % ‒ 3,49 %

CAC 40 DAX 3 0 F TS E 10 0 DOW JONES NIKKEI

4 210,16 POINTS 9 545,27 POINTS 5 804,10 POINTS 2 952,48 POINTS 15 988,08 POINTS 4 488,42 POINTS 17 147,11 POINTS

Les pépites de la Silicon Valley ne brillent plus

Les investisseurs fuient des valeurs qu’ils jugent surévaluées. Résultat, la high-tech et les biotechs sont en chute libre sur le Nasdaq

des 93 dollars d’octobre 2014. Début pour Apple, – 8,09 % pour Micro- candidate démocrate à la présiden-
san francisco - correspondance
août, l’action valait encore 60 dol- soft, – 8,68 % pour Google, – 9,26 %
« Les investisseurs tielle américaine s’était émue de

D ans l’histoire de GoPro, il y

avait jusqu’à présent la
chute libre de Felix Bau-
mgartner, cet Autrichien qui avait
immortalisé, fin 2012, son saut en
lars. En un peu plus de cinq mois,
elle a donc chuté de plus de 80 %.
Le fabricant de mini-caméras
n’est pas le seul à avoir connu une
semaine boursière cauchemardes-
pour Facebook et – 15,64 % pour
Amazon. Et encore, ces « grandes »
valeurs limitent la casse. C’est la dé-
bandade pour la grande majorité
des sociétés de la Silicon Valley.
sont beaucoup
plus méfiants avec
ces sociétés,
l’augmentation des prix des traite-
ments en médecine de spécialité.
Depuis, les investisseurs craignent
un renforcement de la réglementa-
tion sur les ventes de médicaments
très haute altitude avec les mini-ca- que. L’ensemble des valeurs tech- Ces temps difficiles accentuent le
particulièrement en cas de victoire de l’ancienne se-
méras de la société californienne. Il nologiques ont fortement reculé climat de défiance qui règne à Wall avec celles qui ne crétaire d’Etat. « Les biotechs restent
y aura désormais la chute libre sur les marchés américains. Sur la Street depuis des mois. Les inves- encore bon marché, estiment
boursière commencée début semaine, le Nasdaq accuse ainsi un tisseurs fuient comme la peste les
sont toujours pas cependant les analystes de RBC
août 2015. Un plongeon qui a de repli de 3,34 %. Lundi 11 janvier, il actions de ces supposées pépites rentables » Capital dans une note publiée
quoi donner le vertige à ses action- avait enchaîné une huitième qu’ils jugent désormais survalori- mardi. Et elles présentent de fortes
KATHLEEN SMITH
naires. Et qui ne semble pas près de séance consécutive dans le rouge, sées. « Ils sont beaucoup plus mé- opportunités de croissance. »
Renaissance Capital
s’arrêter. ce qui n’était plus arrivé depuis fiants avec ces sociétés, particulière- A court terme, cette mauvaise
Sur les deux dernières séances, 2008, en pleine crise financière. ment avec celles qui ne sont tou- passe pourrait contrarier les projets
l’action GoPro a vu son cours s’ef- Depuis le début de l’année, le Nas- jours pas rentables », explique d’introduction en Bourse de plu-
fondrer de 22 % après la publication daq a chuté de 10,36 %. Personne Kathleen Smith, de la société Re- souvent bien en dessous de leur sieurs acteurs des biotechnologies.
de résultats financiers catastrophi- n’est épargné par ce mouvement naissance Capital. Les marchés ont prix d’introduction. Lundi 4 janvier, six entreprises ont
ques. Vendredi 15 janvier, elle a ainsi baissier. Tous les poids lourds de tout simplement perdu patience, Un autre secteur est également à lancé la procédure auprès des auto-
atteint son plus bas niveau histori- l’indice à dominante technologi- alors que les belles promesses tar- la peine : les biotechnologies. L’in- rités boursières, prévoyant donc de
que, à 11,46 dollars. Loin, très loin, que affichent de forts replis : – 7,72 % dent à se concrétiser. dice sectoriel regroupant les socié- sauter le pas au cours des prochains
tés cotées sur le Nasdaq affiche un mois. Côté high-tech, un seul candi-
Des projets boursiers contrariés repli de 11,87 % sur les deux premiè- dat s’est pour le moment déclaré, le
L’automne avait déjà été catastro- res semaines de l’année. Et il a spécialiste du stockage de données
Renault : l’Etat en position d’attente phique pour de nombreuses ac- chuté de près de 30 % depuis fin Nutanix. Après une année 2015 par-
tions high-tech. L’hiver l’est en- juillet. Cette correction était redou- ticulièrement médiocre – la plus
L’Etat ne réduira pas sa participation dans Renault avant core plus. Exemple avec Twitter : tée par les analystes, alors que le mauvaise depuis 2009 –, les obser-
que le cours de Bourse du constructeur automobile ne re- en deux semaines, son cours secteur avait connu plusieurs an- vateurs s’attendent pourtant à un
trouve un niveau « normal », a déclaré, vendredi 15 janvier, le boursier s’est affaissé de 22,47 %. Et nées de progrès boursiers expo- rebond du nombre d’opérations.
ministre de l’économie, Emmanuel Macron. « Notre intention il y a encore pire : – 26,01 % pour le nentiels. Les résultats publiés lundi La saison des résultats trimestriels
n’est pas de céder des actions pour que le contribuable perde site de recommandations Yelp, 11 janvier par Celgene, qui produit des entreprises technologiques, qui
de l’argent », a-t-il déclaré. L’action Renault a clôturé en baisse – 27,08 % pour le spécialiste du notamment des anticancéreux, débutera vendredi 19 février, s’an-
de plus de 10 %, jeudi, après la révélation de perquisitions cloud computing Box, – 30 % pour ont alimenté les craintes de bulle. nonce périlleuse. Des performances
dans le cadre des vérifications d’émissions polluantes. la plate-forme de prêts aux parti- La société a notamment abaissé ses tout juste moyennes pourraient ac-
En avril 2015, l’Etat avait consacré 1,2 milliard d’euros culiers Lending Club, – 39,27 % prévisions de chiffres d’affaires et centuer le climat de défiance. Et
à l’augmentation provisoire de sa participation dans le groupe, pour le fabricant de bracelets con- de bénéfices pour 2016. compliquer encore un peu plus la
de 15,01 % à 19,74 %. Objectif : imposer l’application de la loi nectés Fitbit. La plupart de ces en- Cet automne, les biotechs avaient tâche de tous ceux qui prétendent à
Florange, qui garantit des droits de vote double aux actionnai- treprises évoluent à leur plus bas également subi les contrecoups la cotation boursière. p
res présents dans les entreprises depuis plus de deux ans. niveau boursier historique, d’un tweet d’Hillary Clinton. La jérôme marin

MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES

Chaud et froid sur le cacao Un remède pire que le mal ?

L e cacao a décroché le coco-

tier en 2015. Son cours n’a
cessé de grimper en Bourse,
quand la plupart des matières pre-
mières dégringolaient. La poudre
noire s’est appréciée de près de
10 % à New York et de 13 % à Lon-
dres, touchant des sommets ja-
mais atteints depuis le printemps
2011.
Mais la température s’est brus-
quement refroidie début jan-
vier 2016 et le cours du cacao s’est
rétracté d’autant. Le souffle glacial
exhalé par la Chine a fait plonger
les Bourses et les matières premiè-
res. Et le cacao n’y a pas échappé.
Les craintes d’un ralentissement
économique, lié à la moindre
forme chinoise, se sont traduites
dans le cerveau des spéculateurs
en une prévision de fonte de l’ap-
pétit des consommateurs pour les
douceurs chocolatées.
Correction
VARIATION DE LA TONNE DE CACAO À NEW YORK, EN DOLLARS
3 377
2 942
16 JANVIER 2015
Et pour le cacao, combien de ta-
blettes ? Les Français, qui plébisci-
tent ce mode de consommation,
en ont moins croqué en 2015. « Le
nombre de tablettes commerciali-
sées en France a baissé de 3 % », af-
firme Florence Pradier, secrétaire
générale du Syndicat du chocolat.
Pas sûr que se soit par défaut sou-
dain de gourmandise. La poussée
de fièvre de la fève a renchéri le pé-
ché mignon. Autre élément per-
turbateur : le climat. « Le marché a
été marqué par un été chaud et un
hiver tardif », souligne Mme Pradier.
Rendez-vous crucial
Est-ce suffisant pour laisser couler
le cours du cacao ? « Ce n’est qu’une
correction », estime Patrick Poir-
rier, patron de Cémoi et président
du syndicat. Les chiffres de
broyage de fève en Europe, publiés
vendredi 15 janvier, ont déjà ré-
2 905
16 JANVIER 2016
SOURCE : BLOOMBERG
chauffé l’atmosphère. Il a bondi de
6 %, à 342 000 tonnes, au qua-
trième trimestre 2015, a annoncé
l’Association européenne du ca-
cao. Servi, entre autres, par les
Français qui n’ont pas manqué le
rendez-vous crucial des fêtes de fin
d’année. « Les ventes ont progressé
de 1,2 % en volume et de 3,8 % en va-
leur par rapport à 2014 », ajoute
Mme Pradier. Résultat, vendredi
15 janvier, le cours de la précieuse
fève se négociait à 2905 dollars la
tonne à la Bourse de New York.
Un cours élevé du cacao a ten-
dance à broyer la marge des indus-
triels. D’autant que, comme le re-
connaît Mme Pradier, « la guerre des
prix que se livre la grande distribu-
tion fait des ravages dans le secteur
du chocolat ». Mais M. Poirrier veut
voir le bon côté de la fièvre cacao-
tière entretenue par les boursico-
teurs : « C’est une chance pour les
producteurs. En Côte d’Ivoire, le prix
payé aux planteurs a été fixé le
1er octobre 2015 à 1 000 francs CFA le
kilo [1,50 euro]. Il a été multiplié par
4 en quatre ans. » Une décision an-
noncée par le président Alassane
Ouattara avant sa réélection.
De quoi inciter les agriculteurs
ivoiriens à soigner leurs cacaoyers
et renforcer la place du pays
comme premier producteur mon-
dial, avec 40 % des volumes. Et donc
dissoudre le spectre de la pénurie
souvent évoqué. D’ailleurs, la sai-
son 2014-2015 s’est achevée en sep-
tembre non par un déficit comme
prévu, mais avec un léger surplus
de 36 000 tonnes. Les gourmands
ne s’en plaindront pas. p
laurence girard
T out remède, aussi efficace soit-il,
présente des effets secondaires.
Dans certains cas, il arrive que ces
derniers soient plus nocifs que le mal à
traiter. C’est vrai dans le domaine médical
comme en matière de politique moné-
taire. Si les banques centrales maintien-
nent trop longtemps leurs mesures non
conventionnelles, faute de voir les gouver-
nements agir à leur tour en faveur de la
croissance, celles-ci pourraient faire des
dégâts. Telle est la thèse développée par
Mohamed El-Erian, économiste en chef
d’Allianz, dans son nouvel ouvrage, The
Only Game In Town (« Les Seuls Maîtres à
bord », Random House, non traduit).
Les banquiers centraux eux-mêmes n’en
pensent pas moins. « Des taux trop bas pen-
dant trop longtemps risquent d’alimenter la
prochaine crise financière puisque l’addic-
tion à la liquidité et à la prise de risque exces-
sive finit par entraîner des bulles », a ainsi
déclaré François Villeroy de Galhau, le gou-
verneur de la banque de France, lors d’un
colloque sur le sujet, mardi 12 janvier.
« Il commence à y avoir une bulle »
Quand on y pense, le constat a quelque
chose de tragique. En s’acharnant à réani-
mer le patient, à savoir l’économie, le doc-
teur monétaire pourrait bien l’achever.
Mais de quoi parle-t-on, au juste ?
De nouveaux risques, et de déplacement
des risques. En injectant des liquidités sur
les marchés et en achetant massivement
des dettes publiques, les banques centrales
ne cherchent pas seulement à faire baisser
les taux souverains. Elles cherchent égale- LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE »
ment à pousser les investisseurs vers
d’autres titres, plus favorables au finance-
ment de l’économie, comme les obliga-
tions d’entreprises.
Et cela fonctionne. Les titres d’Etat ne
rapportant plus grand-chose – environ 0 % Tel. : 01 57 28 25 01 - sdl@lemonde.fr
à 2 % –, les assureurs et autres investis-
seurs institutionnels ont diversifié leurs
portefeuilles en achetant des obligations
d’entreprises. Certaines rapportent jusqu’à
8 %. Elles représentent un placement plus
rentable. Mais plus risqué, car certaines
entreprises ont les reins fragiles. Une par-
tie d’entre elles fera peut-être même dé-
faut. Mais il est important que certains fi-
nanciers acceptent de porter ce risque, afin
que les entreprises en question puissent se
financer, embaucher, investir.
L’ennui, c’est que certaines de ces obliga-
tions sont « illiquides », c’est-à-dire très
difficiles à revendre. Surtout en cas de pro-
blème. « Cela n’a pas empêché certains as-
sureurs d’en acheter vraiment beaucoup –
voire trop, confie un banquier parisien. Il
commence à y avoir une bulle : cela me rap-
pelle l’euphorie qu’il y avait sur les crédits
immobiliers titrisés avant la crise des sub-
primes. » Plutôt inquiétant. D’autant qu’il
n’est pas le seul à s’alarmer.
Dans cette affaire, il serait injuste d’incri-
miner seulement les banques centrales. Le
renforcement de la régulation des institu-
tions financières classiques, depuis 2008, a
repoussé les poches de risques vers les
marchés peu ou pas régulés. On ne sait pas
trop ce qui s’y passe. On sait simplement
que là aussi, l’éclatement de bulles pour-
rait faire des ravages, comme celles des
subprimes. Les modalités changent, mais
l’histoire des crises est celle d’un éternel
recommencement… p
marie charrel
0.47€ COURS DE L'ACTION
VENDREDI 15 JANVIER
Société des lecteurs du « Monde »
80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016 argent & placements | 7

CLIGNOTANT
Bâtir une maison écolo : séduisant mais cher
L’investissement initial est un frein, même si les économies d’énergie amortissent le surcoût Le taux du plan épargne logement va baisser
Pour profiter de l’attrayante rémunération (2 % actuel-
lement) du plan d’épargne logement (PEL), dépêchez-
vous d’en ouvrir un. A partir du 1er février, son taux ne

L
a COP21 passée, le soufflé n’est
pas obligé de retomber. Les pro-
priétaires à la fibre écolo ou sim-
plement soucieux de l’avenir de
la planète ont un rôle à jouer lors de la
construction de leur maison. Le bâti-
ment est responsable, selon l’Agence de
l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie (Ademe), de 43 % des consom-
mations d’énergie et de 23 % des émis-
sions de gaz à effet de serre. Plutôt que
d’effectuer une coûteuse rénovation
énergétique des années après avoir em-
ménagé, mieux vaut se poser les bonnes
questions au moment de la construction.
« Première étape, la maison doit s’adap-
ter au terrain et être pensée selon le climat
de la région », souligne Patrick Van-
dromme, à la fois président de l’Union des
maisons françaises (UMF) et de Maisons
France Confort. Son orientation est pri-
mordiale afin qu’elle capte au maximum
la lumière du soleil. « Même en région
froide, une orientation plein sud permet,
uniquement grâce à l’ensoleillement, d’ob-
tenir une maison passive, sans chauffage
conventionnel, avec des températures très
agréables en hiver », précise Boris Bouchet,
architecte à Clermont-Ferrand. La recette ?
Utiliser des matériaux capables d’emma-
gasiner la chaleur, puis de la restituer petit
à petit lorsque le soleil ne chauffe plus. La
pierre ou la brique offrent cette inertie. Si
le bois en manque, il possède d’autres
qualités écologiques : matériau sain, re-
nouvelable, très isolant et sans ponts ther-
miques (ces endroits d’une habitation
d’où la chaleur s’échappe).
Le choix du bois est toutefois encore mi-
noritaire. Sur les 136 300 maisons mises
en chantier en 2015, selon l’UMF, celles éri-
gées dans ce matériau ne représentent
que 10,5 % du marché. « Parce que le bois
est plus cher à la construction, le secteur de
la maison en bois a souffert de la crise.
Mais, à terme, on peut raisonnablement
estimer que cette proportion va prendre de
plus en plus de poids », avance Frédéric
Carteret, fondateur d’Ami Bois, entreprise
de construction de maisons individuelles.
En attendant, le parpaing, le bloc béton et
la brique ont de beaux jours devant eux.
Cette dernière, bien que plus onéreuse,
est à privilégier car, outre une bonne iner-
tie, elle possède des qualités isolantes (et
esthétiques) importantes.
15 % à 20 % plus cher
Un élément primordial alors qu’au fil
des réglementations thermiques (RT), à
chaque fois plus contraignantes, les mai-
sons neuves sont tenues d’être de moins
en moins gourmandes en énergie. « Une
maison construite selon les normes
RT 2012 ne doit pas consommer plus
50 kWh par mètre carré et par an, même
si, dans la réalité, ce seuil est souvent dé-
passé pour atteindre 80 kWh/m2/an. Cela
reste nettement inférieur aux 130 à
250 kWh/m2/an prévus dans la RT 2005 »,
constate Boris Bouchet. Soit une con-
sommation d’énergie divisée par trois
ou quatre. Un grand pas pour le budget
Un prêt à taux zéro renforcé
En remaniant le PTZ, le gouvernement veut favoriser
l’accession à la propriété d’un maximum de ménages et
ainsi relancer l’activité du bâtiment. Ce prêt avait perdu
de son attrait : seuls 65 000 PTZ ont été octroyés en 2015.
Le gouvernement vise 120 000 cette année.
Depuis le 1er janvier, les plafonds de revenus à respecter
pour être éligible sont relevés, surtout en zone B1 (gran-
des villes) et en zone B2 (villes moyennes). Le prêt peut
désormais financer 40 % de l’achat contre 18 % à 26 %
auparavant. Les modalités de remboursement sont amé-
liorées : tous les ménages modestes auront droit à un dif-
féré de remboursement (de cinq, dix ou quinze ans pour
une durée globale de vingt-cinq ans).
des propriétaires… et pour la planète.
Mais il est possible de faire encore
mieux avec des maisons passives, voire à
énergie positive, c’est-à-dire qu’elles en
produisent davantage qu’elles n’en con-
somment grâce à l’utilisation des éner-
gies renouvelables (éolien, solaire). Ce-
pendant, le coût de telles maisons (entre
1 500 et 2 000 euros/m2, soit 40 % de plus
que le prix moyen pour une maison clas-
sique) rend, pour l’instant, leur produc-
tion à grande échelle difficile.
A plus forte raison lorsque les équipe-
ments de chauffage utilisant des éner-
gies renouvelables (bois, géothermie, so-
QUESTION À UN EXPERT
leil…) sont beaucoup plus chers à l’achat.
Une chaudière à gaz coûte autour de
5 000 euros, mais comptez entre 7 000 et
10 000 euros pour une pompe à chaleur.
De fait, beaucoup de maisons utilisent
encore des énergies fossiles. « Le rapport
entre coût de l’énergie et de l’équipement
rend notamment la chaudière à gaz très
performante », reconnaît Boris Bouchet.
A l’arrivée, une maison écolo coûte 15 %
à 20 % plus cher qu’une maison classique.
Cet écart a tendance à diminuer avec
l’évolution des techniques utilisées et
une production à plus grande échelle. « A
condition d’être dans une région forestière
où la filière est performante, une maison à
ossature bois coûte seulement de 5 % à 7 %
de plus », note Alban Boyé, le directeur gé-
néral de Trecobat, constructeur breton de
maisons individuelles. Sinon c’est 20 %
supplémentaires. Certes, ce surcoût est
censé être amorti sur la durée du fait des
économies d’énergie induites. Et il n’est
pas rare que les collectivités proposent
des aides (sous forme de prêt à 0 % ou de
subventions) en plus du classique prêt à
taux zéro (PTZ). Mais l’investissement de
départ, nettement plus élevé, réserve ce
marché aux ménages les plus aisés. p
colette sabarly
sera plus que de 1,5 %, a annoncé le 13 janvier le minis-
tre des finances. « Un taux plus bas, c’est l’assurance de
pouvoir emprunter moins cher », a commenté Michel
Sapin, en soulignant que le taux d’intérêt maximal
facturé par les banques aux épargnants choisissant
d’emprunter dans le cadre du PEL sera abaissé de 3,2 %
à 2,7 %. La baisse du taux concerne uniquement les
nouveaux contrats souscrits. Ce produit d’épargne
présente, en effet, la particularité de conserver sa
rémunération tout au long de sa vie.
Quel est l’intérêt de signer une
tontine lors d’un achat immobilier ?
jean dugor, notaire à Auray (Morbihan)
La tontine est une technique patrimoniale aussi ancienne – elle date
du XVIIe siècle – que méconnue. Elle tient son nom de son inventeur,
le banquier italien Lorenzo de Tonti.
Le pacte tontinier est une convention conclue entre plusieurs per-
sonnes qui achètent un bien en commun (immobilier ou autre). Elle
stipule que ce bien reviendra en pleine propriété au dernier des sur-
vivants, après le décès de tous les autres coacquéreurs. Cet artifice
juridique a une conséquence importante : le bien est censé n’avoir ja-
mais fait partie du patrimoine du défunt et se trouve donc insaisissa-
ble par d’éventuels créanciers. Comme il n’y a pas transmission entre
le défunt et le survivant, ce bien ne fait pas partie de sa succession et
n’entre donc pas dans le calcul de la réserve héréditaire (cette part
de la succession qui revient de plein droit aux héritiers).
Mais cela ne permet pas d’éviter les droits de succession. Depuis
1980 et afin d’enrayer l’évasion fiscale, les biens transmis sont sou-
mis aux mêmes taxes que dans une succession classique. Sauf s’il
s’agit de la résidence principale du défunt et que la valeur du bien ne
dépasse pas 76 000 euros. Dans ce rare cas, un autre barème fiscal,
moins élevé, s’applique. Attention, côté gestion, cette technique peut
se révéler un piège : les règles de l’indivision ne s’appliquant pas, il
faut, pour vendre le bien acquis de cette manière, obtenir l’unani-
mité des coacheteurs. p

VILLES EN MUE
Les habits neufs du quartier Saint-Blaise
LA MATINALE DU MONDE
LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7

D ans le 20e arrondissement de Paris,

le quartier Saint-Blaise est sorti de
terre au milieu des années 1970.
Entre l’ancienne petite ceinture et les boule-
vards des maréchaux, cette enclave, qui
compte 78 % de logements sociaux, est
composée de hautes tours construites sur
une dalle de béton surplombant trois ni-
veaux de parkings. Petit à petit, la paupéri-
sation y a gagné du terrain.
« Saint-Blaise est l’un des secteurs de loge-
ments les plus denses d’Europe. Il a été cons-
truit sur un fort dénivelé, la circulation entre
la dalle et la rue a été mal conçue et le quar-
tier a très mal vieilli », constate Frédérique
Calandra, maire du 20e. Depuis 2007, cette
ZAC fait l’objet d’un renouveau urbain. Des
bâtiments y ont été démolis, des rues per-
cées et des locaux d’activité créés. L’arrivée
du tramway a participé au désenclavement.
Pour poursuivre cette transformation et
ainsi tenter de réparer les erreurs du passé,
un ancien local commercial désaffecté
vient d’être transformé en centre social au
pied d’une tour, square Vitruve.
L’objectif de cette opération était d’impor-
ter sur cette dalle devenue sinistre, car si-
tuée « hors sol », loin de toute activité, un
lieu de vie agréable. Le projet a été confié à
l’architecte Bruno Rollet, qui a conservé la
structure en béton, en a remodelé et réhabi-
lité l’intérieur et l’a surélevée. Pour intro-
duire un peu de nature dans cette jungle de
béton, l’entrée du bâtiment est protégée par
une palissade en hautes tiges de châtai-
Le Centre
social
Saint-Blaise,
à Paris, était
un ancien local
gnier. Par ailleurs, la façade du nouvel étage commercial
a été recouverte de volets percés en alumi- désaffecté.
nium brossé, et la toiture réalisée en Inox. BRUNO ROLLET
ARCHITECTE
Faire entrer la lumière
Enfin, un nouveau toit terrasse a été créé à
l’arrière du bâtiment pour améliorer la vue
des habitants depuis les fenêtres qui le sur-
plombent. A l’arrière du nouveau local, un
patio a été creusé pour faire entrer la lu-
mière au cœur du centre social. « Nous SWIPEZ, SÉLECTIONNEZ, LISEZ
avons démoli une partie de l’ancienne struc-
ture et remplacé un bout de mur en béton par
une paroi en verre dépoli afin de mettre vi-
suellement en relation la dalle et le jardin pri-
vatif situé au pied des immeubles avoisi-
nants », explique Bruno Rollet. L’application La Matinale du Monde est téléchargeable gratuitement dans vos stores.
Cette nouvelle étape dans la transforma- A retrouver en intégralité pour 4,99 € par mois sans engagement avec le premier mois offert.
tion du quartier sera suivie d’autres. Le pro- Les abonnés du Monde ont accès à l’intégralité des contenus.
gramme prévoit la construction d’une crè-
che, d’une halte-garderie et d’un jardin, la
réhabilitation des immeubles, la construc-
tion d’un centre d’animation… Le tout de-
vant être terminé en 2020. p
marie pellefigue
8 | MÉDIAS&PIXELS
Artcurial censure une œuvre sous la pression d’Israël
L’ambassade de l’Etat hébreu a obtenu le retrait d’un portrait d’Ernest Pignon-Ernest. La vente a été annulée
L
a vente aux enchères
d’« Artistes à la une », pré-
vue le 27 janvier chez Art-
curial, au profit de l’asso-
ciation Reporters sans frontières
(RSF), avait pour but de défendre
la liberté d’expression dans le
monde. C’est ironiquement un
acte de censure qui l’aura fait an-
nuler. Cet ensemble de près de
quarante « unes » du quoti-
dien Libération, revisitées par des
artistes français et étrangers (Jac-
ques Villeglé, Laurent Grasso, Ta-
nia Mouraud, Robert Combas,
Jean-Michel Alberola, Jean-Mi-
chel Othoniel, Invader, Zevs, Nils-
Udo ou encore Joana Hadjitho-
mas & Khalil Joreige), avait été ex-
posé en amont, gratuitement et
sans le moindre incident, les 12 et
13 décembre 2015 au Palais de To-
kyo, à Paris.
Fin décembre, la maison de ven-
tes Artcurial recevait un courrier
de l’ambassade d’Israël en France
signalant une œuvre jugée offen-
sante : celle imaginée par Ernest
Pignon-Ernest. Sur la « une » de Li-
bération, traitant de l’après-Yasser
Arafat, publiée le jour de son en-
terrement, en 2004, cette figure
de l’art urbain a dessiné le por-
trait de l’homme politique et chef
militaire palestinien Marouane
Barghouti, accompagné de quel-
ques mots : « En 1980, quand j’ai
dessiné Mandela, on m’a dit que
c’était un terroriste. »
« Ce portrait met aux enchères
un projet terroriste là où l’on cher-
che à faire croire qu’il s’agirait d’un
homme de paix [en] le comparant
à une grande figure internationa-
lement reconnue : Nelson Man-
dela », s’est indignée l’ambassade
dans son courrier (que Le Monde a
pu consulter).
Un début de fronde d’artistes
Figure laïque emblématique de la
lutte pour le retrait complet d’Is-
raël des territoires occupés
en 1967, Marouane Barghouti,
56 ans, ex-chef du Tanzim, la bran-
che armée du Fatah, est incarcéré
depuis 2002 dans une prison de
haute sécurité israélienne, con-
damné à cinq peines de prison à
perpétuité. « [Il] est emprisonné à
vie en Israël pour avoir été le cer-
veau de la seconde Intifada (2000-
2005) et, de ce fait, responsable de
la mort de centaines de personnes,
juives et non juives », poursuivait
l’ambassade, qui demandait à
Wikipédia, quinzeans de vie commune avec ses fidèles contributeurs
Rencontres avec quelques-uns des 100 000 bénévoles qui, chaque jour, concourent au succès de la célèbre encyclopédie en ligne née en 2001
suite de la première page
Parmi les nombreuses anecdotes
rapportées par ce grand lecteur,
sa discussion, « d’égal à égal »
avec un autre contributeur, le
physicien Marcel Froissart, alors
professeur honoraire au Collège
de France. Au gré des contribu-
tions et des argumentations, il
découvre petit à petit la commu-
nauté et finit par repérer certains
contributeurs réguliers. « On se
fait des “amis”, des gens avec qui
on a envie de discuter ou dont on
aime lire la prose, car leur façon
d’argumenter nous correspond
bien, même si on n’est pas toujours
en accord avec eux. »
Et sur Wikipédia, les désaccords
peuvent parfois prendre de la
place. Certains articles entraînent
des discussions passionnées, par-
fois violentes et interminables. Et
pas toujours sur les sujets que l’on
croit. L’article sur l’endive a ainsi
représenté l’un des plus polémi-
ques de la sphère francophone, les
internautes se déchirant sur la dé-
nomination de ce légume : doit-on
dire « endive » ou « chicon » ?
« Ce portrait met
aux enchères un
projet terroriste,
là où l’on cherche
à faire croire
qu’il s’agirait d’un
homme de paix
[en] le comparant
à (…) Nelson
Mandela »
COURRIER
DE L’AMBASSADE D’ISRAËL
Artcurial « de bien vouloir retirer
de la vente ce lot qui risque fort de
semer la confusion et de porter
préjudice à [sa] réputation ». Re-
quête à laquelle le président délé-
gué de la maison de ventes, Fran-
çois Tajan, a accédé, en retirant ce
lot de la vente, « au motif des at-
tentats récents, de la prorogation
de l’état d’urgence et des potentiels
troubles à l’ordre public », cite Libé-
ration. Sur la page concernant la
vente, le lot 27, qui correspondait
à l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest,
disparaît alors.
« Je n’ai pas cherché la provoca-
tion avec cette “une”, se défend Er-
nest Pignon-Ernest. Je ne fais ja-
mais d’œuvre aussi politique, mais
il se trouve que le contexte s’y prê-
tait, puisqu’on demandait à des ar-
tistes de s’exprimer sur la “une”
d’un journal, donc sur l’actualité.
Or, je pense qu’on ne parle pas as-
sez de la misère et du désespoir du
peuple palestinien. Je suis allé à Ra-
mallah, et la vie sur place m’a fait
penser au régime de l’apartheid.
J’ai vu la violence faite au peuple
palestinien. Les centaines de réso-
lutions de l’ONU qui condamnent
l’attitude d’Israël ne sont pas appli-
quées. »
« Ce que j’ai écrit à côté de mon
portrait de Barghouti est vrai :
quand j’ai fait le portrait de Man-
dela, en plein apartheid, alors qu’il
était en prison à perpétuité après
avoir dirigé la branche armée de
l’ANC [Congrès national africain],
on m’a reproché de dessiner un ter-
roriste, assure encore l’artiste. Or,
à l’image de Mandela, il n’est pas
exclu que Marouane Barghouti
soit un jour élu président de la Pa-
lestine », affirme-t-il. Il n’est pas le
Parmi les crispations récurren-
tes, la place occupée par les « ad-
ministrateurs », ces contribu-
teurs de Wikipédia élus par la
communauté, qui disposent
d’outils supplémentaires leur
permettant, par exemple, de blo-
quer des contributeurs ou de sup-
primer des articles. Ils ne sont
que 165 à officier sur le Wikipédia
francophone, et l’une d’entre el-
les était présente, ce samedi-là, à
la wikipermanence de la Cité des
sciences.
Figure connue des wikipédiens
francophones, elle préfère néan-
moins ne pas donner son nom
pour « ne pas se mettre en avant »,
en tant que « contributeur comme
un autre ». « Comme nous prenons
la décision de bloquer, nous les
“admin”, nous sommes vus
comme les méchants », explique-t-
elle d’un ton détaché, avant de dé-
tailler : « Un ancien qui a dit à un
autre “ta gueule”, je l’ai bloqué, ce
qui m’a valu des tas de messages
d’insultes. Mais on ne peut pas lais-
ser passer ça, sinon ça monte en
puissance. Des artistes m’insultent
et me menacent si je supprime leur
seul à établir un parallèle entre les
deux hommes, comme en témoi-
gne le site du quotidien de gauche
israélien Haaretz.
Ernest Pignon-Ernest s’étonne
par ailleurs de l’effet contre-pro-
ductif de cette censure. « Peu de
gens connaissent Barghouti fina-
lement, et si l’ambassade d’Israël
article qui ne correspond pas aux
critères d’admissibilité ; car beau-
coup prennent Wikipédia pour un
support de pub. »
A 56 ans, cadre dans une grande
entreprise industrielle, elle
compte près de 500 000 contri-
butions depuis son arrivée sur
Wikipédia il y a six ans. « C’est une
passion, ça me prend cinq à
six heures par jour, c’est énorme ! »
Grâce à la « patrouille », un outil
accessible aux wikipédiens con-
firmés, elle voit apparaître en di-
rect toutes les contributions ef-
fectuées sur le Wikipédia franco-
phone. « Je regarde, je corrige,
j’annule, je retire le vandalisme.
j’entretiens l’encyclopédie pour ne
pas qu’elle se dégrade. » Les con-
tributions tombent en continu,
et en un clic, elle les marque
comme « relues », ou intervient
dessus. Là, elle supprime un mot
posé sans raison au milieu d’une
phrase. Ici, elle masque l’adresse
e-mail d’un mannequin qu’un
contributeur indélicat a rendu
publique quelques secondes.
C’est grâce à cet enthousiasme
et à cet investissement personnel,
La « une » du quotidien
« Libération »
mise en cause par
l’ambassade d’Israël
et retirée de la vente
par Artcurial.
« LIBÉRATION »/ERNEST PIGNON
Certains articles
entraînent
des discussions
passionnées,
parfois violentes
et interminables.
Et pas toujours
sur les sujets
qu’on croit
entièrement bénévole, que l’ency-
clopédie collaborative existe et
continue de s’améliorer. Sans
eux, Wikipédia s’effondrerait. De-
puis quelques années, des signes
de ralentissement se font jour,
puisque le nombre de contribu-
teurs commence à stagner.
Voilà pourquoi Wikimédia
France, une association destinée à
promouvoir, entre autres, Wiki-
pédia, s’efforce de prendre soin de
cette communauté volatile.
« Sans bénévole, le projet est
mort », confie Nathalie Martin, di-
n’avait rien dit ni obtenu gain de
cause, ce dessin serait passé ina-
perçu… »
Libération avait, ces derniers
jours, exprimé son désaccord avec
le choix d’Artcurial en réclamant le
maintien de l’œuvre dans la vente.
« Ce serait encourir une juste répro-
bation que d’agir autrement, et lais-
rectrice exécutive de Wikimédia
France. « A chaque fois qu’on lance
une action, on se dit : est-ce que ça
va apporter quelque chose aux bé-
névoles ? C’est une logique de don
contre don, de gratification mo-
rale. Ça peut être l’accès à une col-
lection de musée habituellement
fermée au grand public, une for-
mation ou l’accès au matériel de
l’association. »
L’objectif de l’association est
aussi de recruter de nouveaux
contributeurs, et, surtout, d’élar-
gir les profils. Le wikipédien type
correspond aujourd’hui à « un
homme, la trentaine, très di-
plômé, plutôt citadin », souligne
Nathalie Martin. Les femmes
sont cruellement sous-représen-
tées, « ce qui a une incidence sur
les contenus liés aux femmes, in-
suffisants », déplore-t-elle. En ré-
ponse, Wikimédia France orga-
nise entre autres des « édita-
thons » sur le thème « femmes de
sciences » : des événements invi-
tant des femmes scientifiques à
enrichir, ensemble, les articles
consacrés à d’autres femmes
scientifiques.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 JANVIER 2016
ser croire que nous agissons sous
l’influence d’une ambassade étran-
gère, si respectable soit-elle », a
ainsi écrit Laurent Joffrin, le direc-
teur de la publication et de la ré-
daction du journal, dans un cour-
rier à la maison de ventes. Une po-
sition « fondée sur le respect de la
liberté des créateurs, même quand
ils produisent des œuvres au con-
tenu controversé », écrit encore le
journaliste, qui, contacté par Le
Monde, jeudi 14 janvier, s’élève
contre un acte de « censure ». Dans
son courrier à Artcurial, il dit néan-
moins « comprend[re] les argu-
ments de l’ambassade d’Israël » et
« [se] garde[r] d’entamer un débat
sur le fond ».
Alors que, du côté des artistes, un
début de fronde s’organisait – un
premier artiste, C215 (Christian
Guémy), ayant annoncé qu’il sou-
haitait retirer son œuvre par soli-
darité –, RSF et Libération ont fina-
lement tranché, mardi 12 janvier
dans l’après-midi, en renonçant à
leur partenariat avec Artcurial.
RSF « fidèle à ses principes »
« Cette œuvre n’est en aucune fa-
çon une apologie du terrorisme, et
elle appartient légitimement au
projet d’“Artistes à la une”. Nous
avons donc pris la décision de faire
la vente ailleurs, afin de rester fidè-
les à nos principes », a annoncé au
Monde Christophe Deloire, le se-
crétaire général de RSF. Egale-
ment contacté, Artcurial n’a pas
souhaité réagir. La maison de ven-
tes a en revanche entériné l’annu-
lation, dans un communiqué dif-
fusé sur Twitter vendredi midi.
Une autre manifestation a ré-
cemment reçu une pression simi-
laire de la part de l’ambassade
d’Israël : la Maison des métallos
(Paris 11e), qui propose actuelle-
ment une exposition organisée
en partenariat avec Médecins
sans frontières sur les conditions
de vie des Palestiniens en Israël,
« Palestiniens entre deux guer-
res ». Le centre d’art, qui n’a pas
annulé la tenue de l’exposition,
ne tient pas à s’exprimer sur la te-
neur de ces échanges.
L’ambassade d’Israël a souhaité
réitérer sa position avec fermeté :
« Nous sommes très contents, car
cet article permet de réaffirmer le
fait que Barghouti est un terro-
riste », a déclaré au Monde sa por-
te-parole, vendredi matin. p
emmanuelle jardonnet
Autres profils que l’association
souhaite attirer : les personnes vi-
vant en zone rurale et les person-
nes peu diplômées, « qui ne se
sentent pas légitimes à contri-
buer ». D’autant plus que, contrai-
rement aux débuts de l’encyclo-
pédie, où de nombreux articles
restaient à écrire, les thèmes les
plus grand public sont
aujourd’hui largement couverts,
ce qui peut donner l’impression
aux néophytes que seuls les spé-
cialistes sont en mesure d’appor-
ter quelque chose.
Proposer des actions dans la vie
réelle est ainsi une façon de sus-
citer l’intérêt et de lever les bar-
rières, notamment en proposant
à des personnes de s’impliquer
par la photo. « Si quelqu’un voit
qu’il manque une photo d’un mo-
nument de sa commune, il peut
aller la prendre. En le faisant, il se
rendra peut-être compte qu’il
manque aussi des descriptions,
que tel autre monument n’est pas
documenté… Notre but est que
chacun puisse se dire : je peux par-
ticiper. » p
morgane tual