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Chapitre II : Le pilotage par lavaleur

Les sociétés cotées font la promotion du management pour la valeur (value based
management) en déployant un système de contrôle et de pilotage dont la finalité est
d’identifier tous les vecteurs de création de richesse, et en remplaçant les indicateurs
comptables (résultat net, BPA) par des indicateurs sophistiqués tels que l’EVA, le CFROI ou
la MVA. Le débat actuel porte sur les destinataires de cette création de valeur, en opposant les
actionnaires (shareholders) à toutes les autres parties prenantes de l’entreprise (stakeholders),
c’est-à-dire les salariés, créanciers, clients et fournisseurs. Nous réconcilierons ces deux
approches avec le tableau de bord prospectif, qui conditionne la valeur actionnariale aux
performances des autres acteurs.

La première partie de ce chapitre identifie les sources de création de valeur, la deuxième


détaille la structure du tableau de bord prospectif ou balancedscorecard, enfin la troisième
conclut avec la nécessaire réforme des schémas de rémunération afin de garantir le succès
d’un système axé sur le pilotage par la valeur.

I. Les sources de création de valeur

Retenir la création de valeur comme critère d’évaluation des performances des entreprises
implique la définition de mesures et l’identification des variables d’action. Nous avons vu au
cours du chapitre précédent différentes mesures (EVA, CFROI, TSR, MVA…), dont la
finalité est de comparer la performance d’un projet à son coût. Après avoir mesuré la création
de valeur, il faut identifier les variables d’action susceptibles de l’influencer favorablement.
L’analyse des déterminants de la performance économique requiert en amont une
compréhension de la stratégie de l’entreprise et notamment de sa capacité à conserver un
avantage concurrentiel.

1. L’analyse stratégique

L’étude préalable au diagnostic stratégique de chacune des activités de l’entreprise concerne


l’analyse de son positionnement sectoriel et de son environnement économique, politique,
juridique et social. Pour réussir à long terme, l’entreprise doit élaborer des stratégies qui lui
permettent de faire face aux cinq forces concurrentielles qui pèsent sur son secteur (Porter,
1985) : la rivalité entre les entreprises présentes, la menace de nouveaux entrants, la menace

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des produits de substitution, le pouvoir de négociation des consommateurs ou des clients, et le
pouvoir de négociation des fournisseurs (voir figure 4.1).

Figure 1 : Les cinq forces concurrentielles suivant Porter (1985)

L’entreprise est donc sous la menace de nombreux éléments imprévisibles qui peuvent
redistribuer complètement les cartes d’un secteur industriel. Le potentiel de croissance
représente une variable clé dans l’intensité concurrentielle, tout comme la capacité à imposer
des barrières à l’entrée, la maîtrise d’un savoir-faire, un accès privilégié aux réseaux de
distribution ou encore un leadership technologique.

D’après Porter, l’entreprise dispose de différents leviers décisionnels pour s’engager dans la
concurrence (gamme de produits, marchés cibles, commercialisation, ventes, distribution,
fabrication, main-d’œuvre, achats, recherche et développement, finance et contrôle de
gestion), mais ses engagements stratégiques doivent s’étendre sur le long terme pour
permettre une création de valeur importante.

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2. Les déterminants de la performance économique

Après cet audit stratégique, l’entreprise va identifier les moteurs de la création de valeur. Ces
moteurs sont synthétisés graphiquement dans l’arbre de la valeur suivant (voir figure 2),
inspiré du modèle SVA (Shareholder Value Analysis) de Rappaport (1998).

Figure2 : l’arbre de la valeur inspiré de Rappaport (1998)

L’arbre de la valeur, fondé sur le modèle de l’EVA, donne les variables sur lesquelles
l’entreprise peut agir pour améliorer sa création de richesse :

où ROIC (Return On Invested Capital) est le taux de rentabilité des capitaux investis, CMPC,
le coût moyen pondéré du capital ajusté, et CI, le montant des capitaux investis. Pour

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améliorer la performance économique, les variables d’action portent sur chaque composante
de la formule ci-dessus.

Les leviers opérationnels

Le taux de rentabilité des capitaux investis est décomposé comme le produit de la marge
opérationnelle par le taux de rotation des capitaux investis :

Au niveau opérationnel, la création de valeur résulte de l’amélioration de la marge


opérationnelle (RE (1-Tis)) et et/ou du taux de rotation des capitaux investis (CI).

 La marge opérationnelle progresse par la réduction des coûts de production, par la


réorganisation du travail pour gagner en productivité et par l’augmentation du volume
des ventes. La croissance à long terme des ventes résulte du développement des
produits et/ou des activités, de la conquête de nouveaux marchés et du renforcement
des avantages compétitifs.
 L’amélioration du taux de rotation des capitaux investis découle d’une part de la
minimisation du BFR, obtenue par la réduction du temps d’écoulement des stocks et
du crédit clients et par l’augmentation des crédits fournisseurs, et d’autre part du
désinvestissement dans des activités inutiles ou destructrices de valeur.

Les leviers financiers

La création de valeur, mesurable au travers d’indicateurs tels que l’EVA, le CFROI ou la


MVA, implique la prise en compte du coût du capital. Le coût du capital reflète les exigences
des apporteurs de ressources, et son niveau dépend directement de la lisibilité de l’entreprise
et donc de sa communication pour séduire les investisseurs et obtenir leur confiance.

Pour un niveau de résultat opérationnel donné, plus le coût moyen pondéré du capital est
faible et plus l’EVA est élevée. D’après la formule du CMPC, les dirigeants ont trois
variables d’actions :

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 La réduction du coût des capitaux propres (kCP).
 La réduction du coût de la dette (kD).
 Une combinaison optimale des fonds propres (CP) et des dettes (D) dans la
structurefinancière pour minimiser le coût du capital.

Le coût des ressources dépend du risque perçu par les bailleurs de fonds sur leur
investissement. Plus le risque est faible et plus le rendement requis par les actionnaires et
créanciers est faible. Le niveau des taux d’intérêt, variable exogène aux décisions des
dirigeants, est influencé par la qualité de crédit de l’entreprise. Une entreprise avec un bon
rating s’endette à moindre coût et donc crée de la valeur pour ses actionnaires. La politique
d’endettement est difficile à optimiser car elle a trait à la fois au désendettement pour réduire
le risque financier et à l’endettement pour valoriser la firme du fait de l’avantage fiscal lié à la
déductibilité des intérêts. Les facteurs qui pèsent sur la stratégie financière sont multiples, et
le niveau de l’endettement semble dépendre plus des opportunités de croissance que de
quelconques avantages fiscaux qui sont rapidement contrebalancés par l’accroissement du
risque de faillite.

Enfin, la lisibilité de l’entreprise est favorisée par une politique de dividendes en croissance
régulière. Les entreprises ne doivent pas hésiter à reverser des liquidités à leurs actionnaires
par des rachats d’actions si elles ne disposent pas de projets d’investissement suffisamment
rentables.

Fonder une politique de création de la valeur uniquement sur des indicateurs financiers
comme l’EVA ou la MVA peut se révéler dangereux pour la pérennité de l’entreprise.

 D’une part, ces indicateurs sont parfois complexes à utiliser au quotidien, compte tenu
de la difficulté des retraitements et des calculs, notamment dans l’évaluation du coût
des fonds propres.
 D’autre part, les dirigeants peuvent être amenés à favoriser le court terme et manipuler
les indicateurs pour les rendre plus séduisants. Par exemple, une réduction immédiate
des investissements en recherche et développement améliore mécaniquement l’EVA à
court terme, avec un risque significatif d’une compétitivité moindre à l’avenir. Pour

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réduire ce risque, il convient d’adopter une politique de pilotage par la valeur qui
dépasse le simple concept de performance financière, comme la mise en place d’un
tableau de bord prospectif ou balancedscorecard.

II. Le balancedscorecard ou tableau de prospectif

1. Les objectifs stratégiques

Le balancedscorecard ou tableau de bord prospectif de Robert Kaplan et David Norton (1996)


est un outil de pilotage et de contrôle dont l’objectif est d’offrir une vision plus équilibrée de
l’entreprise en ne limitant pas l’analyse à la seule performance financière. Dans le
balancedscorecard, la vision stratégique est décomposée selon quatre axes : financier, clients,
processus internes et apprentissage. La structure du balancedscorecard est synthétisée dans le
tableau suivant (voir figure 4.4) :

 L’axe financier de la stratégie traduit ce que les actionnaires attendent de l’entreprise


et permet d’analyser les résultats des autres axes, c’est-à-dire les déterminants de la
performance financière.
 L’axe clients donne une information sur les objectifs retenus pour satisfaire les clients
et les positionnements de marché.
 L’axe processus internes se focalise particulièrement sur la qualité et les facteurs clés
desuccès des processus de production, d’innovation/conception des produits et de
service après-vente.
 L’axe apprentissage organisationnel est la base de l’ensemble des autres axes
puisqu’il sestructure autour des ressources humaines, des systèmes d’information et
des procédures.

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Figue 3 : Le tableau de bord prospectif de Kaplan et Norton (1996)

2. Les indicateurs

Pour chacun des axes, les auteurs préconisent des indicateurs qui serviront de variables
d’actions pour les dirigeants ou toute autre catégorie de personnel en charge du pilotage du
tableau de bord prospectif.

 Pour le financier, les objectifs portent sur la croissance du chiffre d’affaires,


l’amélioration de la productivité et l’utilisation des actifs. Le taux de rentabilité des
actifs, le taux de croissance du chiffre d’affaires, la part de résultat générée par les
nouveaux produits sont des indicateurs parmi d’autres de la performance financière.
Dans un système fondé sur la valeur, les indicateurs synthétiques seront l’EVA, le
CFROI ou encore la MVA. Le choix des indicateurs dépendra des objectifs de
l’entreprise mais aussi des conditions de marché : croissance, maintien ou maturité.

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 Pour la perspective clients, les indicateurs sont la satisfaction des clients, la
fidélisationde la clientèle, les parts de marché, la rentabilité par segment et
l’acquisition de nouveaux clients. Il existe un lien de causalité entre cet axe et le
financier puisque la satisfaction des clients est un élément déterminant de la
performance financière.

 La mission de l’axe processus internes est de maîtriser au mieux l’ensemble des


processus et en particulier l’innovation, la production et le service après-vente. Les
processusvont s’améliorer en renforçant la qualité et en diminuant les coûts et les
délais. Lesindicateurs pertinents en fonction des processus seront par exemple la
rentabilité de larecherche et développement, les délais de rotation des stocks, les taux
de retour desproduits ou encore la fréquence d’utilisation des machines.

 Enfin, la perspective d’apprentissage organisationnel est décomposée en trois : le


potentiel des salariés, les capacités des systèmes d’information et le climat au sein de
l’entreprise. Cet axe qui apprécie la satisfaction des salariés, leur fidélité et leur
productivitépermet aux trois autres d’atteindre leurs objectifs. Les indicateurs suggérés
sont le chiffre d’affaires par salarié, le taux de rotation du personnel, un indice de
satisfaction et lenombre de suggestions par salarié.

Ces préconisations des auteurs pour mesurer la performance serviront de guide à l’entreprise
pour définir des mesures adaptées et analyser les relations de causalité qui structurent le
balancedscorecard. Lorsqu’un objectif n’est pas atteint, il est indispensable de cerner
l’articulation entre chaque indicateur pour pouvoir déceler l’origine du problème et agir sur
les variables pertinentes. Dans le tableau de bord prospectif, la performance financière est le
résultat des actions menées aux autres niveaux.

Le succès du balancedscorecard au sein d’une organisation requiert la définition des objectifs


stratégiques aux niveaux hiérarchiques les plus élevés, puis son déploiement au niveau des
unités opérationnelles sur la base de variables d’action pertinentes. Ce déploiement à tous les
échelons de l’entreprise doit s’accompagner d’un système de rétribution fondé sur les
objectifs chiffrés du tableau de bord prospectif pour favoriser l’appropriation des axes
stratégiques et leur mise en œuvre.

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III. Les schémas de rémunération

Le pilotage par la valeur doit s’accompagner d’un système d’incitation qui lie la rémunération
des différents acteurs aux performances réalisées. Le salaire voit sa part variable augmenter
significativement dans le but de rapprocher les objectifs des dirigeants de ceux des
actionnaires. D’après les promoteurs de l’EVA, le schéma de rémunération doit être incitatif
et déployé dans toute l’organisation. Le bonus variable est un pourcentage de la variation de
l’EVA d’une année sur l’autre :

La mise en place d’un tel schéma de rémunération est complétée par une banque de bonus qui
vise à lisser dans le temps les performances de l’équipe dirigeante. Seule une fraction du
bonus est versée chaque année, dans le but de conserver et de reporter une réserve de
cash qui viendra compenser, le cas échéant, les pertes éventuelles. Les dirigeants sont
récompensés et pénalisés suivant la qualité des performances, et encouragés à poursuivre des
stratégies de long terme.

Ce schéma de rémunération corrige les inconvénients majeurs des systèmes de rémunération


actuels, dont la partie fixe constitue l’essentiel voire la totalité du salaire. Contrairement au
modèle de l’EVA, lorsqu’une partie variable existe dans les schémas traditionnels, elle est
limitée à la hausse et fondée sur des objectifs budgétaires. Lorsque les objectifs ne sont pas
atteints, le bonus n’est pas versé, mais les dirigeants ne supportent aucune pénalité. Puisque
les dirigeants ne sont pas pénalisés, ils peuvent être encouragés, lorsque leur bonus est perdu,
à accentuer leurs mauvaises performances.

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