Vous êtes sur la page 1sur 15

Jean-Pierre Therme

Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes


publicitaires
In: Communications, 17, 1971. pp. 29-42.

Citer ce document / Cite this document :

Therme Jean-Pierre. Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes publicitaires. In: Communications, 17, 1971.
pp. 29-42.

doi : 10.3406/comm.1971.1243

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1243
Jean-Pierre Therme

Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité

de ses campagnes publicitaires

La Régie française des Tabacs, durant la décennie écoulée, a entrepris un assez


grand nombre d'études, parfois de première importance, en vue de clarifier cer
taines idées et de rejeter certains préjugés en matière de publicité. Il ne saurait
évidemment être question de les décrire toutes ici. On choisira plutôt d'exposer
la méthode générale suivie dans ce domaine, puis de présenter avec quelques
détails un ensemble d'études assez remarquables.
Les études qui ont été faites doivent être convenablement situées dans le
cadre de l'entreprise industrielle qu'est la Régie des Tabacs : elles ont pour object
if de donner des moyens réels de décision, en réduisant au maximum les risques
d'erreur. A cette fin, il convient de s'efforcer de présenter l'information objective
sous une forme telle que les choix soient rendus moins aveugles. C'est donc bien
en fonction de ce but qu'il faut apprécier les moyens mis en œuvre et les résultats
atteints; aussi est-il indispensable de situer le problème.
En premier lieu, qu'est-ce que la Régie française des Tabacs, ou le Service
d'Exploitation industrielle des Tabacs et des Allumettes (S.E.I.T.A^)? Ou plutôt
qu'était le S.E.I.T.A. dans les années 1960, avant qu'il ne fût amené à se modifier
pour s'adapter aux conditions de l'entrée effective dans le Marché commun?
C'est essentiellement « un établissement public à caractère industriel et commerc
ial » à qui est confiée la gestion du monopole des tabacs (et des allumettes dont
il ne sera pas question ici).
Si l'on n'envisage que la partie commerciale de ce monopole de droit, on peut
dès lors dire que la mission essentielle, la raison d'être du S.E.I.T.A., est d'obenir
le meilleur « rendement fiscal ». Son rôle est donc de « commercialiser » un impôt
au mieux des intérêts du Trésor : l'impôt spécial dont le tabac est le support.
Et cet impôt est important, ainsi que chaque fumeur le sait, ou se l'imagine ; il
représente environ 70 % des recettes de la vente des tabacs fabriqués.
Du point de vue économique, la consommation du tabac en France atteint
environ 7 milliards de francs représentant un peu moins de 2 % de la consommat
ion totale des ménages. Si l'on dit enfin que les versements du S.E.I.T.A. au
Trésor correspondent en gros à 5 % des recettes fiscales de l'État, on aura une
idée de l'importance de la mission du S.E.I.T.A.
En second lieu, qu'est-ce que le tabac, d'un point de vue économique? Ses
caractéristiques économétriques (élasticité-revenu, élasticité-prix, trends...)
soulignent toutes, en France comme d'ailleurs dans les autres pays, un attache
mentcertain à son usage. Les études psychosociologiques l'ont confirmé :
Y « herbe à Nicot » exerce un attrait puissant sur les jeunes et lâche difficilement

29
Jean-Pierre Therme
son emprise quand l'habitude en a été contractée. Seules des raisons de santé
sont assez puissantes, parfois, pour décider un fumeur à réduire sa consommation,
voire à s'arrêter de fumer.
Car c'est une autre particularité du monopole de commercialiser un bien auquel
on ne connaît aucun substitut direct : l'ensemble des éléments physiologiques et
psychosociologiques qui accompagnent son usage ne se retrouve, même à un
moindre degré, nulle part ailleurs.
Dans ce cadre, la politique commerciale du S.E.I.T.A. s'efforçait (car, redisons-
le une dernière fois, le Marché Commun a changé la situation) d'accroître le
prélèvement fiscal sur les fumeurs : par l'adaptation de la gamme des tarifs
autour des prix de base (Gauloises et « Gris ») fixés par les pouvoirs publics, par
la mise au point de nouvelles marques et par la « propagande » en faveur de cer
tains produits. Ces deux derniers moyens se donnaient pour objectif de déplacer
la consommation vers des marques plus lourdement fiscalisées et non d'accroî
tre le nombre même des fumeurs ou les quantités unitaires fumées.
En ce qui concerne la « propagande », ou publicité, il faut noter dès maintenant,
et souligner nettement, la difficulté de l'entreprise : son ambition est de convaincre
d'une façon ou d'une autre un individu de dépenser davantage pour satisfaire
une sorte de « vice » plus ou moins onéreux et dangereux, car tel est bien en géné
ralle climat des « freins » psychologiques au tabagisme. Il faut donc, pour ainsi
dire, faire franchir au fumeur une barrière, celle des dépenses, pour lui permettre
de se procurer un certain accroissement de satisfactions psychologiques plus
ou moins avouables. Quant au besoin physiologique, il est pratiquement satis
fait par la quantité de cigarettes indépendamment de la qualité, du moins dans
le cadre actuel des marques proposées à la consommation.
Telle était la toile de fond sur laquelle commencèrent à se dessiner les premières
réflexions et études relatives à la publicité mise en œuvre par le S.E.I.T.A., au
début des années 60. On bénéficiait alors de l'expérience d'une dizaine d'années
de publicité : en effet, ce n'est véritablement qu'après la fin du rationnement du
tabac, entre 1945 et 1950, que le S.E.I.T.A. décida d'utiliser les moyens du sec
teur privé pour la mise en œuvre de sa politique commerciale.
Mais avant de manipuler des données chiffrées, il faut savoir ce que l'on cherche
à mettre en évidence. Le diagnostic dépend essentiellement du but que l'on assi
gne à la publicité et, en l'occurrence, la définition suivante fut adoptée : « La publi
citéest un investissement commercial, au besoin renouvelable, s'étalant sur une
durée variable. Comme tel, son taux de rentabilité doit être supérieur au taux
d'actualisation. Cet investissement s'exerce au moyen des techniques de publicité,
ou de propagande, qui constituent comme une information ou une incitation
destinée à modifier, en faveur du S.E.I.T.A., le comportement d'un groupe impor
tantd'individus. » C'est donc sur le plan strictement économique que le débat
était situé.
La comparaison d'un flux de dépenses et d'un flux de recettes supplémentaires
conduit alors à distinguer, pour les effets de la publicité, sa rentabilité de son
efficacité. Nous dirons qu'une action publicitaire est efficace si les quantités ven
dues en fait sont, durablement ou non, supérieures à ce qu'elles auraient été en
l'absence de toute action. Une publicité efficace, dans ces conditions, n'est pas
nécessairement rentable : la dépense publicitaire a pu être trop élevée, les bénéf
ices unitaires de transfert au profit de la marque soutenue par la publicité ont
pu être trop minces, etc. L'efficacité d'une publicité est une condition nécessaire
mais non suffisante de sa rentabilité.

30
Recherches du S.E.I.T.A. sur V efficacité de ses campagnes

Voyons donc comment l'efficacité peut être mise en évidence, à l'aide de


deux exemples : les Gitanes (avec ou sans filtre) d'une part, les Royales de l'autre.
Le tableau suivant indique, année par année, la part de la marque Gitane,
en pourcentage, dans l'ensemble des ventes de cigarettes en France, et donne un
indice des dépenses publicitaires annuelles en faveur de cette marque, les dépens
es étant évaluées en francs constants et la base étant l'année 1956.

Part des Gitanes Indice des dépenses


R publicitaires
1950 3,93 f?o
1951 4,64 25
1952 5,94 0
1953 7,14 29
1954 7,72 51
1955 9,58 62
1956 11,66 100
1957 13,02 84
1958 15,13 189
1959 17,00 192
1960 19,36 126
1961 22,2 97
1962 23,41 110

Toutefois, les données relatives à la part des Gitanes ne peuvent être utilisées
sans qu'y soit apportée une correction pour tenir compte de l'incidence des chan
gements de tarifs intervenus en novembre 1951, juillet 1956, janvier 1959 et
octobre 1961. En effet, lors de ces majorations générales des prix des cigarettes,
des transferts eurent lieu au détriment des Gitanes en faveur des Gauloises dont
le prix de vente était toujours moins élevé. La correction était possible du fait
qu'en 1961 venait d'être menée à bien une étude économique (destinée en fait
à éclairer la politique tarifaire du S.E.I.T.A.) qui mettait notamment en évidence
les valeurs des coefficients d'élasticité directe et croisée des ventes de Gitanes et
de Gauloises. Il était donc possible de corriger l'évolution du pourcentage de la
première colonne et, en fait, on adopta comme variable corrigée de prix, la
variable
• Z = log R — 1,3 log PG + 2 log P,
où R est le pourcentage Gitane, PG et Pj les prix respectivement des paquets de
Gauloises et de Gitanes.
Un ajustement linéaire en fonction du temps donnera le résultat suivant :
Z = 2,253809 + 0,07725 t
où t = 0 en 1956, les années prises en compte étant toutes celles du tableau *.
Quant à la précision de l'ajustement, on obtenait un R2 = 0,998 qui traduisait
un alignement quasi parfait et en tout cas ne laissait que fort peu de place à une
éventuelle variable supplémentaire : la variance résiduelle était tellement infime
qu'il était inutile de l'analyser en fonction des variations des pressions publici
taires. En outre, certains des écarts à la droite de régression trouvaient mani
festement leur explication dans certains événements marginaux tels que la mise

1. En fait, à l'époque où cette analyse fut entreprise, mi-1961, les valeurs de 1961
et de 1962 n'étaient pas disponibles. On a ici étendu un peu le champ de l'étude, ce qui
n'affaiblit pas, bien au contraire, les conclusions tirées à l'époque.

31
Jean-Pierre Therme

GRAPHIQUE I

en vente des Disque bleu en 1954 et le lancement des Disque bleu filtre (simu
ltanément à celui des Gitanes filtre) en 1959.
Cette analyse permet d'avancer une conclusion « probable », ou « provisoire »,
uniquement tirée du fait que les dépenses publicitaires ont carié sur une échelle
très vaste (dans la proportion de 1 à 8 et même, si l'on peut dire, de 0 à 8) et
qu'elles n'ont pas varié, en fonction du temps, de façon linéaire entre ces limites.
Ainsi, à d'infimes variations aléatoires près, le développement relatif (il s'agit
ici du rapport R) des Gitanes s'est effectué, sur une période de 13 années, selon
une exponentielle. Les accidents constatés au cours de cette évolution sont en
totalité explicables par les prix Pq et Pj des Gauloises et des Gitanes et par les
mises en vente sur le marché des Disque bleu et Disque bleu filtre. Cette pro
gression exponentielle n'étant aucunement accentuée ni perturbée par la varia
ble « dépenses publicitaires », on était dès lors fondé à dire que la publicité n'avait
eu aucun effet mesurable sur les ventes de Gitanes.
Examinons maintenant le cas des Royales qui furent mises en vente pour l'été
1956. La nature de ce produit et le peu d'observations annuelles dont on pouvait
à l'époque disposer ont tout naturellement conduit à adopter une autre méthode
d'analyse, d'autant plus qu'il s'agissait principalement de s'efforcer de mettre
en évidence les effets instantanés de la publicité. Pour des raisons d'ordre techni
que,il était préférable de retenir les valeurs trimestrielles du rapport des ventes
de Royales aux ventes totales de cigarettes, du fait qu'elles ne sont pratiquement
pas affectées par les variations saisonnières, alors que les données mensuelles
le sont nettement. Le graphique ci-joint, en coordonnées semi-logarithmiques,
porte une série de segments figurant les trends successifs entre les décrochements
de la chronique. On a délibérément choisi de construire des segments tous paral
lèles entre eux, ceci afin d'affirmer, a priori, la constance du trend exponentiel
que seules viennent a casser » certaines campagnes de publicité. Certes, les données

32
Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes

.' VU" i'l '-l H*i > ^*T H ,' "i i1 I1 i 1 I1 U' '■H' -'1 ) il> 'M ; il« ' !-'(jUt 1U
*r-i ; L 1 - a. l t ii '■ ' n 1, 1 /'' . (i ■ ''• iiii 1 Pli1 in a 1, *«} fi

1
_" - la T. T - t

'
j- *c il- «^
tr" -". Z: ;!;• :'K
se -*?:aisi• •!. "3i §
ni.
% *£ Ztt Sr £?. cri2J.:3t 4
4*" ~" if 41 •s T -%• v -, r El H. tH. ]: At •s. g: «■r
3r si FE T" i •"t *; .=H ~u lit: i^ J1' S: •if i; tîf •a t -T iiî1 à !» £ii S 3. ?? I
— -t_; --- —.r ' r ■tr 1 ~ >-|«
-
-Jffl
w ^ "i - 1' ■!• 1r •It' $1 1 ;t .!"'_ i EH *r bi
Z■ = 3= "!» ». *: ■ -.
~- 3 -5 ~ = • =• -' :Z. — r ■ ^ wr ■~ "-: r. ■-' - ~Zi S -r:- i.'
■n tttr J P-, I iî^
32 -ff" rtf- T -•ar
ac r' if ■il 3T a., F> itt !•!"
T 4iJ 4- ÏF lit Fi > 5F j-1 n s, m. '.t: F
FF FF -H- i pHF nr ES w; •F 4j, nr *.* Tt. •m 1 rF t ^1 lit ir.
2 *tt| fi
ri^i 4m • "ÎT ■}■h' 1 * f.1 -t..
im Tri Et E~ * ff rTTl «^ t T..,t1* M,. F4 lit
îttF N T
K :, y
9
R -: - —- s-
7 s- 5- ■=-- — ~ •- — :.: > ■~_ -s -. -, -t. =J 3- ~- •= =*. = -s" j- ~^
SI t£ r—" ,3.
a--: -:- *5. r "al :'t -t. * - 5. trr trt se
^.: ?:
6 ft. n ta' 1
g" 53 F- 5? tp. S.: !x: 5 r T 'f 'ï. ■F
?} P>•- M tt ■F •C ■5: t-* iV !f b p tr •, 'ft \ :tr îi{: Uu f' ffi' CI
5 -j ,i ? t• '_ - | '1'- •■t •"■ '-, - ."- r- 1 • 1 -r.
.

r: E3 't. .=; S Z -
_:_ 3_ -- _ •< .=
4 i*
=- = rr :~ r-r_- - Ir". •- - -31 - ~ -. -. -.- _ - :- = '- r — •i- =: r: \r n"1 -î
~_ = ?■ tÇL- - r- — _ t*' Pr •tf fi FF hH **r 5- -• '" H":
3 5- Ta •tt F? Ht?t: '— r£ ..r S;
It" .&
IF* rti; "*t! rS s? Pi Ifft 3Ë: ^'ii
ï f 'Tf: + 8 if £l 'H. ê rr ri .F •'»_itî*- :f
|Hi*lF
-tt ru
nr- rr *UT 4« ■tj : rriT 1 ¥ Wt if
s- ♦H" Ë Ht t- 1 tf nr ■f! tia
if
2 it m 1 te*i ~ '• r!5] .n 1 ?.
Cl =
tt" t** r" - nr 3d 4t> t
trr ÎT ^*^ "- ~r tr t; rfi: -^
'*{ =f !îT
'tt •tt 1T UL in *PT M+'u!1 'f*t tH?
h' 'T 'r: ' M' ri1* 'Mt-ir TH. tr.1 . •1 Ir pi1r' nF,, "•t - . lii- Hi 1 Ml rttt
'

E
È 44
1 m 1956 Ff t m ..4. 4' tr* F A1ttl ..1
1957IF tir 1956 \^ •n rtf il 1959 tf ,1 1960 tr 1961

1
GRAPHIQUE 2

statistiques, en raison de leur faible nombre, n'imposent pas de façon objective


cette condition, mais il faut bien observer qu'elles ne la contredisent pas non plus
ce qui suffit présentement pour notre propos.
Moyennant ces conditions, et sans chercher une précision qui serait illusoire
en l'occurrence, on voit nettement les effets de la plupart des campagnes de publi
citédont la date est indiquée par la lettre P sur le graphique et dont le volume
a été pratiquement le même. Seule la campagne de 1961, quelques mois avant la
hausse générale des tarifs, ne semble pas laisser de rémanence évidente. En outre,
il y a lieu de noter, d'une part la forte réponse de la première campagne et, d'autre
part, les effets décroissants, tant en valeur absolue qu'en valeur relative, des
campagnes ultérieures.
Tels sont les deux exemples les plus caractéristiques qu'une analyse des résul
tatsde vente avait permis, entre autres, de mettre en évidence. Sans entrer dans
le détail des considérations qui purent être avancées pour rendre compte de ces
situations extrêmes, on peut les résumer de la façon suivante.
Les marques de cigarettes, en France, compte tenu de la structure de la gamme
des prix et des caractéristiques objectives et subjectives des produits mis sur le
marché, peuvent se répartir en deux groupes : les marques anciennes et les mar
ques nouvelles. Pour les premières, surtout si leur niveau de consommation n'est
pas trop faible, leur notoriété est telle qu'aucune action de propagande ne peut

33
Jeari'Pierre Therme
espérer l'augmenter sensiblement; de plus, leurs qualités intrinsèques sont en
général connues de l'ensemble des consommateurs. Une campagne de publicité
aura donc très peu d'incidences. Elle en aura d'autant moins que la « quantité »
d'information effectivement véhiculée par la campagne publicitaire se trouve
être relativement faible par rapport à celle que diffuse une autre forme de publi
cité : celle que font naturellement les consommateurs eux-mêmes lorsqu'ils
offrent une Gitane, ou qu'ils la fument, lorsqu'ils montrent le paquet pour pren
dreleur cigarette, ou qu'ils le laissent sur une table ou dans un caniveau quand
il est vide... Ce type de propagande naturelle se trouve d'ailleurs être d'une
intensité d'autant plus forte que la marque est plus diffusée et, en outre, son
action, quasiment continue, s'exerce dans un contexte vivant et personnalisé
dont la force de conviction subconsciente est certainement supérieure à celle d'une
annonce de presse ou de radio.
En revanche, dans le cas d'une marque que l'on met en vente, ou bien qui l'a
été récemment, le niveau de diffusion, au départ, est nécessairement modeste
et l'auto-propagande ne peut avoir d'effets bien grands. Au contraire, la publicité
peut accroître, de façon quasi-instantanée, la connaissance de la marque, qu'il
s'agisse de son existence même ou de ses qualités et caractéristiques propres : il
n'est pas surprenant, dans ces conditions, qu'on puisse constater des « réponses »
importantes à ces stimuli.
Si l'on accepte un tel schéma où s'entremêlent des effets de contagion propre
et de « sensibilisation » du milieu par la publicité, on comprend que plus la popul
ation a des chances d'avoir été au moins une fois en contact, d'une façon ou
d'une autre, avec les « germes de contamination » associés à la marque, plus les
effets de la publicité iront decrescendo. On comprend aussi comment, à partir
d'un certain seuil, d'une certaine « masse critique » de consommation, la marque
peut se développer de son propre mouvement sans avoir recours à une publicité
jouant le rôle d' « activateur » ou de « contaminateur ». En outre, l'exemple des
Royales permet d'accepter l'hypothèse qui découle du schéma de « contagion »
ci-dessus évoqué, à savoir que la publicité peut avoir, dans certains cas, un effet
d'accroissement du niveau de diffusion de la marque, mais n'augmente pas la
vitesse de diffusion de celle-ci. Cette vitesse est directement fonction des carac
téristiques propres du produit considéré dans le contexte du marché où il s'insère.
Les résultats de ces analyses de séries chronologiques ainsi que les hypothèses
qui furent avancées afin d'expliquer les différences de comportement des marques
sous l'effet de la publicité suscitèrent des réactions diverses au sein du S.E.I.T.A.
Le diagnostic négatif relatif aux Gitanes allait trop à l'encontre de certaines
habitudes pour qu'il fût aisément accepté par tous, même s'il n'avait pas mis en
cause, comme c'était bien évidemment le cas, le travail de l'équipe publicitaire
qui avait « consommé » les budgets qu'on lui demandait d'affecter aux Gitanes.
Notons que les Gitanes, à l'époque, formaient véritablement le fer de lance de
la politique commerciale et qu'il était assez normal de se montrer prudent devant
des conclusions aussi opposées aux sentiments d'alors. C'est pourquoi il fut
proposé, et décidé, de compléter ce dossier par une expérimentation publicitaire
in vivo destinée à mettre en évidence le ou les failles, s'il y en avait, du raisonn
ement qui avait abouti aux résultats ci-dessus. Au reste, la campagne expériment
ale que l'on projetait pouvait être un investissement utile, s'il s'avérait que la
publicité était efficace; si au contraire elle devait confirmer le diagnostic établi à
l'aide des séries chronologiques, elle ferait au moins tomber un doute et dispens
erait, à l'avenir, d'engager des frais de publicité en pure perte.

34
Recherches du S. E.I. T. A. sur V efficacité de ses campagnes

La description rapide de cette expérimentation et la présentation de ses


résultats vont maintenant retenir notre attention.
L'analyse de séries chronologiques courtes fournit rarement des résultats
très sûrs, à moins que les effets de la publicité soient très grands, ce à quoi on
ne pouvait pas s'attendre dans le cas des Gitanes après l'étude statistique préc
édemment décrite ; en outre, des variations conjoncturelles économiques, sociales
ou politiques, dont les effets sont sensibles au niveau des marques d'un volume
aussi important, auraient risqué de perturber les résultats au point de les rendre
inexploitables. C'est pourquoi il fut décidé de comparer le comportement d'un
échantillon « pilote » à celui d'un échantillon « témoin » où aucune action publi
citaire en faveur des Gitanes ne serait entreprise. La situation privilégiée du
S.E.I.T.A. permettait de contrôler totalement l'expérience et on pouvait sans
crainte espérer n'introduire entre les deux échantillons qu'une seule différence,
la publicité, en sorte que, logiquement, les différences de comportement entre
les échantillons que l'on serait éventuellement amené à constater seraient imput
ables à l'influence de ce seul facteur : la publicité.
Pour accroître, par ailleurs, la sensibilité de ce test, on décida de suspendre tota
lement toute publicité nationale en faveur des Gitanes pendant la durée de l'expé
rience. On aurait pu concevoir que l'expérimentation se superposât au « bruit
de fond » d'une campagne nationale, mais on eût risqué, d'une part d'introduire
des différences mal connues dans la pression publicitaire exercée par la campagne
nationale, au niveau des éléments de l'expérience, et d'autre part de « saturer »
les consommateurs par cette superposition de publicité, ce qui eût empêché
d'aboutir à une mesure convenable des effets de la campagne expérimentale.
La préparation de cette expérience exigeait des précautions dans deux domaines
différents et, sans entrer dans trop de détails, il est utile de les évoquer. Elles
concernent d'une part l'ensemble des moyens et critères à l'aide desquels on
pouvait juger l'expérience, et, d'un autre côté, l'adéquation et la qualité du
contenu publicitaire proprement dit de la campagne.
Le but essentiel de cette expérimentation étant de mesurer les variations
de comportement d'achat des consommateurs, il était tout indiqué de prendre
comme critère quantitatif le rapport des ventes de Gitanes aux ventes totales
de cigarettes, comme dans l'analyse des séries chronologiques. Compte tenu
d'une part du degré élevé de la précision recherchée (il s'agissait, en effet, de
pouvoir, au seuil de probabilité de 5 %, déceler une différence de ce rapport
de 3 % au moins, ce rapport étant le taux minimum permettant de rentabiliser
la publicité) et, d'autre part, de la variance propre estimée de cette donnée
aléatoire, on fixa à 100 le nombre d'unités d'observation dans chacun des groupes
pilote et témoin. Pour des raisons de commodité, à la fois sous l'angle de la cou
verture publicitaire et sous celui de l'homogénéité des échantillons, ce sont deux
fois 100 villes de moyenne importance qui furent retenues, les banlieues des
grandes villes étant exclues.
Étant donné la situation de monopole du S.E.I.T.A., les livraisons aux débi
tants sont connues exactement, puisqu'il s'agit' de données comptables, si bien
qu'il n'y avait en théorie aucune difficulté particulière à obtenir au niveau des
villes les rapports recherchés. A l'époque, cependant, la comptabilité n'était pas
centralisée sur ordinateur, et les relevés durent être faits à la main. Afin de mieux
cerner les consommations effectives (sans perturbations par les variations de
stocks) le trimestre fut retenu comme unité de temps pour mesurer ces flux de
consommation.

35
Jean-Pierre Therme
Les groupes pilote et témoin, avant la campagna qui eut lieu d'octobre 1963 à
avril 1964, étaient aussi homogènes que possible sous l'angle des populations
et de leurs répartitions en catégories socio-professionnelles et sous celui des
consommations des cigarettes Gitanes, ce qui était plus important. C'est ce
qu'indiquent les chiffres suivants, pour le deuxième trimestre 1963 pris comme
exemple, mais il en va de même pour les quatre trimestres antérieurs au début
la campagne.
Échantillon-pilote Échantillon-témoin
Quantité de Gitanes. 203,6 millions d'unités 202,2 millions d'unités
Quantité totale de cigarettes 831,3 — 852,7 —
Rapport en %. 24,5 — 23,7 —
Moyenne des rapports pour les
villes de l'échantillon. 23,6 — 24,1 —
Écart-type du rapport pour les
villes de l'échantillon 6,06 — 5,48 —

A l'aide des deux dernières lignes de ce tableau, il était possible de faire un


test du Student pour vérifier que les moyennes n'étaient pas significativement
différentes, au seuil de 5 % de probabilité, compte tenu, en outre, du fait que
le test des variances permettait d'admettre l'égalité de ces dernières.
D'un tout autre point de vue, la répartition géographique des villes-pilotes
et témoins avait dû répondre à un double critère. Il fallait obtenir finalement
une répartition homogène et équilibrée entre les échantillons sur l'ensemble
de l'hexagone métropolitain; il convenait, par ailleurs, que la diffusion des
supports de presse locaux, seuls utilisés pour véhiculer les annonces de la cam
pagne expérimentale, ne débordent pas sur les villes voisines de l'échantillon-
témoin où aucune publicité ne devait avoir lieu.
Il fut, en effet, décidé de n'utiliser que les media de la presse locale et du cinéma.
Car la presse nationale, aurait empêché d'égaliser les impacts publicitaires entre
les diverses villes-pilotes, ce qui, si la publicité avait eu un effet, eût introduit
une variance parasite dans les résultats et rendu plus délicate la comparaison
avec les villes de l'échantillon témoin.
Quant à cet impact, il importait d'être réaliste et, par conséquent, de se can
tonner dans les limites des campagnes nationales antérieures. On aurait, en effet,
pu concevoir une publicité expérimentale particulièrement intense entraînant
des effets mesurables importants. Mais il eût été impossible dans ces conditions
■de transposer l'expérience au niveau national, le budget nécessaire dépassant
largement les possibilités du S.E.I.T.A. En outre, le problème de la rentabilité
de l'investissement eût été résolu par la négative.
Quoi qu'il en soit, la campagne expérimentale put être construite sur la base
d'une couverture de 50 % de la population touchée par la presse et 40 % par le
cinéma, ceci à l'aide de 14 annonces de 750 mm et de trois passages au cinéma.
Ces répétitions, bien entendu, obligèrent à des calculs d'égalisation de l'impact,
assez complexes, notamment pour le cinéma.
Avant de parler succinctement de la création des messages publicitaires, il
est nécessaire d'indiquer que ce travail de mise au point de l'expérience fut
entrepris par une équipe pluri-disciplinaire comprenant, le moment venu, des
spécialistes des médias, des études psychologiques et de la création publicitaire,
en étroite collaboration avec les responsables de la Régie des Tabacs.

36
Recherches du S. E.I. T. A. sur V efficacité de ses campagnes

Le problème auquel la création publicitaire se trouvait confrontée était très


délicat puisqu'il fallait inciter des consommateurs de Gauloises à faire une dépense
supplémentaire de 33 % et à substituer, totalement ou en partie, les Gitanes à
leurs cigarettes habituelles. En outre, il ne pouvait s'agir d'accroître la notoriété
de cette marque déjà connue et appréciée de tous les fumeurs.
Le travail commença par la consultation et l'étude des documents existants à
l'époque : essentiellement, une étude de motivations et une enquête générale sur
la consommation du tabac. Un des traits caractéristiques ressortant de ces
documents est le sentiment de culpabilité des fumeurs invétérés, suscité par
des questions touchant la santé, la « manie », « l'esclavage du vice », « l'argent qui
part en fumée ». Dès lors, bouleverser les habitudes des fumexlrs de Gauloises,
par ailleurs satisfaits de leur marque tant sur le plan des caractéristiques gusta-
tives que de 1' « image », posait immédiatement le problème de l'axe publici
taire.
Quatre axes publicitaires apparurent possibles :
1° Valorisation de la différence entre Gauloise et Gitane.
2° Valorisation de l'image du fumeur de Gitanes.
3° Affirmation sociale.
4° Création d'une sorte de rite de passage, plus ou moins automatique, des
Gauloises aux Gitanes.
On retint finalement pour les annonces une combinaison de ces axes en les
subordonnant néanmoins à un thème majeur : « offrir ». Comme le choix d'un
axe dépend dans une grande mesure des possibilités concrètes d'expression, on
commença l'étude en analysant une quarantaine de crayonnages, sur la base
des critères de « force », « d'acceptabilité », de « communication visuelle » et de
« valeur d'attention ». On aboutit ainsi à la sélection de quatre ou cinq types
d'annonces en vue d'un pré-test auprès des fumeurs provinciaux de Gauloises.
Après retouches des projets d'annonces, un deuxième pré-test auprès du public
permit d'aboutir à l'annonce de base.
Celle-ci évoquait essentiellement le thème de l'amitié en figurant une poignée
de mains, tandis que les deux autres mains échangaient une Gitane. Le message
qui accompagnait cette annonce simple, mais de bonne valeur d'attention,
disait : « Quand on tient à ses amis, on leur offre des Gitanes. » Un court texte
expliquait, ou rappelait, les raisons pour lesquelles les Gitanes étaient meilleures
et l'annonce se terminait par un' slogan « Gitane, cigarette bien tassée pour fins
fumeurs » où l'on traduisait d'une certaine façon les axes « qualité de la cigarette »
et « image du fumeur connaisseur ».
Enfin, s'agissant encore des annonces dans la presse, la campagne, scindée
en deux parties (autour du 1er novembre 63 d'un côté et avant Pâques de l'autre)
devait se terminer par la présentation d'une « semaine Gitane » pendant laquelle
on s'efforcerait de favoriser chez les consommateurs, déjà bien préparés par douze
ou treize insertions de l'annonce de base, les conditions du passage à l'acte en
créant une pression progressive jusqu'au samedi pour faire offrir à ses amis une
Gitane et non pas une autre cigarette. ,
Lorsque l'annonce de base fut choisie et mise au point, on aborda la création
du film publicitaire : mettant en scène des routiers, d'abord dans leur cabine de
camion, puis à l'étape, avec un ami rencontré après le déjeuner, il traduisait fort
bien le thème central de l'annonce. Bien entendu, il se terminait par l'image
fidèlement reproduite de la poignée de mains et de la cigarette offerte, tandis
qu'était répété le message : « Quant on tient à ses amis, on leur offre des Gitanes. »

37
Jean-Pierre Therme

Ce n'est qu'après avoir terminé le travail de création publicitaire que l'on put
mettre au point le deuxième instrument de mesure des résultats que l'on avait
prévu. Le premier, précédemment décrit, concernait les résultats mêmes de vente.
Le second, qu'on va rapidement présenter, répondait à l'objection suivante :
ia publicité pouvait, sans avoir modifié les comportements effectifs des consommate
urs-cibles, avoir néanmoins infléchi favorablement leurs opinions et leurs
attitudes â l'égard des Gitanes, en sorte qu'ils se trouvaient mieux placés pour
franchir le dernier pas les séparant de l'achat lorsque l'occasion déclenchante se
présenterait. Aussi, une enquête auprès des fumeurs devait-elle être menée pour
cerner cet aspect du problème. Suivant toujours la même méthode, en vue de
rendre quasi nul le risque de se tromper dans l'interprétation des résultats, on
adopta un schéma d'enquête où des échantillons homologues seraient interrogés
dans les villes-pilotes d'un côté, et dans les ville s -témoins de l'autre; une première
double vague ferait le point avant toute action publicitaire ; une deuxième vague,
après la campagne expérimentale, permettrait de comparer les évolutions, au
cas où elles existeraient, entre les groupes pilote et témoin. Puisque seul le facteur
de la publicité expérimentale distinguait, a priori, les deux échantillons, toute
différenciation dans lés attitudes et opinions devrait être l'effet de ce facteur
ainsi mis sous contrôle.
Il est utile de souligner que le questionnaire de ces enquêtes fit l'objet d'une
validation : une enquête pilote analysa les réponses des fumeurs qui furent inter
rogés deux fois : au cours de la première vague et lors de la seconde enquête.
Ainsi purent être dégagés des indices suffisamment sensibles et fidèles pour
mesurer les variations qui surviendraient éventuellement à la suite de l'action
publicitaire.
La population interrogée lors de la deuxième vague comportait, pour moitié
environ, des personnes déjà touchées lors de la première vague et, pour moitié,
d'autres fumeurs de Gauloises et de Disque bleu ayant des caractéristiques socio-
économiques comparables.

Il est possible d'aborder maintenant les résultats de cet ensemble d'expériences


publicitaires. Pour commencer, on présentera l'analyse statistique des ventes.
Bien entendu, c'est au niveau de chacune des quelque 100 villes-témoins et
100 villes-pilotes qu'il faut considérer les résultats de vente et non pour la popul
ation totale des groupes témoin et pilote.
Avant de présenter un premier tableau de résultats, rappelons que la publicité
expérimentale s'exerça en deux temps, respectivement du 19 octobre au 6 décem
bre 1963 et du 19 février au 24 mars 1964. Signalons, en outre, pour expliquer le
brusque abaissement de la moyenne des rapports rt des ventes de Gitanes sur le
total des cigarettes, qu'à la fin du 2e trimestre 1963 les tarifs de vente au détail
furent majorés de 20 % pour les Gitanes et de 11 % environ pour les autres
marques.
La dernière colonne indique la valeur prise par la variable t de Student pour
le test des moyennes. Étant toutes inférieures à la valeur 1,99 qui marque la
valeur limite, au seuil de probabilité de 5 %, on peut considérer que ces moyennes
ne sont pas significativement différentes.

38
Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes

Moyennes Écarts-types Valeur


Villes de la variable t
Villes Villes Villes de Student
pilotes témoins pilotes témoins

2e trimestre 1963 0,236 0,241 0,0606 0,0548 0,58


3e trimestre 1963 0,191 0,188 0,0462 0,0477 0,42
4e trimestre 1963 0,182 0,187 0,0463 0,0441 0,75
1er trimestre 1964 0,182 0,180 0,0457 0,0413 0,31
2e trimestre 1964 0,188 0,186 0,0453 0,0426 0,31

MOYENNES ET ÉCARTS-TYPES DES RAPPORTS T{

Ce test, relativement beaucoup moins sensible et fin que celui qu'on va pré
senter maintenant, permet déjà d'affirmer que la publicité n'a pas introduit de
différences significatives entre les deux échantillons de villes.
Dans le tableau qui suit, la variable analysée est :
ai = U fa) — r< (O,
c'est-à-dire la différence, entre deux trimestres, des rapports « Gitanes sur ciga
rettes » au niveau de chaque ville qui constitue l'unité statistique de base pour
l'analyse. Le tableau suivant donne les résultats pour certaines comparaisons
de trimestres.

Moyenne Variances
des différences des différences
(x 102) (x 10*) Valeur
delà
Villes Villes Villes Villes variable t
pilotes témoins pilotes témoins

4e trim. 63 /4e trim. 62 — 4,242 — 4,379 3,72 3,82 0,48


1er trim. 64 /1er trim. 63 — 5,575 — 6,349 6,13 7,61 2,00
2e trim. 64 /2e trim. 63 — 4,752 — 5,511 4,74 4,98 2,34

2e trim. 63 /1er trim. 63 — 0,208 — 0,167 2,61 1,74 0,18


2e trim. 64 /1er trim. 64 + 0,665 + 0,629 1,19 1,03 1,03

Ce tableau comprend, dans une première partie, trois lignes qui comparent les
évolutions moyennes pour chacun des trois trimestres pendant lesquels la publicité
fut mise en œuvre, par rapport aux trimestres correspondants de l'année anté
rieure. On y observe qu'aucune différence significative n'existe entre les évolu
tions des villes pilotes et témoins pour le dernier trimestre 1963 par rapport au
dernier de 1962. Or, c'est durant ce dernier trimestre de 1963 qu'eut lieu la pre
mière vague de publicité. Étant donné que, au moins pour le tabac et en cas
d'effet de la publicité, un accroissement des livraisons aux débitants est toujours
constaté dans les 15 à 20 jours qui suivent le début de la campagne, on est amené
dans ces conditions à conclure que la publicité n'a eu aucun effet sensible et ceci
avec une précision de l'ordre du dixième de point.
On note, en revanche, une brusque différence, très significative, en faveur des

39
Jean-Pierre Therme

villes-pilotes, dès le premier trimestre 1964, lorsqu'on compare chacun des deux
premiers trimestres aux trimestres correspondants de 1963. Mais cette différence
reste constante ainsi qu'en témoigne la comparaison du deuxième trimestre au
premier trimestre 1964 (dernière ligne du tableau, l'avant-dernière ligne
montrant la comparaison faite entre les mêmes trimestres de l'année 1963, c'est-à-
dire avant la publicité, afin de s'assurer que l'évolution saisonnière était identique
dans chacun des groupes).
Cette dernière constatation (à savoir qu'il n'y a aucune différence significative
entre les moyennes des 1er et 2e trimestres 1964) permet de conclure que la
deuxième vague de publicité, elle aussi, n'a pas eu d'effet, car si un effet perma
nentavait été produit, la date de cette deuxième vague l'eût reporté presque
totalement sur le compte du 2e trimestre, en sorte qu'on se serait trouvé dans les
meilleures conditions pour l'observer.
Pour que cette analyse soit totalement satisfaisante, il faut expliquer le brusque
décrochement constaté dès le 1er trimestre 1964 en faveur des villes-pilotes. Sans
entrer dans les détails de cette explication qui fit l'objet de toute l'attention
désirée, disons seulement que l'anomalie provient essentiellement d'une chute
exceptionnelle (d'environ 50 %) du rapport rf dans six villes-témoins, toutes
d'ailleurs situées en Normandie. Sans qu'on se soit jamais expliqué nettement
cette régression brutale, on peut remarquer que si on refait le test en éliminant
ces points aberrants, on ne retrouve plus de différence significative entre le
groupe des villes-témoins et celui des villes-pilotes.
Pour conclure cette analyse statistique des résultats de vente, on peut affirmer
qu'aucune des deux vagues de la campagne publicitaire, pas plus que la campagne
dans son ensemble, n'a eu d'effet sur les ventes de Gitanes dans les villes où la
publicité fut réalisée avec une intensité d'impact, rappelons-le, semblable à
celle dont la Régie était coutumière au niveau national.
Qu'en était-il des opinions et des attitudes des consommateurs? Avaient-elles
été favorablement influencées et était-il possible d'escompter ultérieurement
des passages plus rapides à l'acte d'achat? L'analyse des résultats d'enquêtes
permet de répondre à ces questions.
Après avoir effectivement vérifié l'étroite liaison entre les attitudes des consom
mateurs interrogés (au moyen d'un questionnaire spécialement conçu à cet effet) et
leur comportement, c'est-à-dire leur prédisposition à adopter les Gitanes, il était
possible d'interpréter les résultats obtenus à l'aide des indices ainsi construits.
En ce qui concerne les attitudes, on n'a pu observer, pour aucun des indices
pris en compte, de variations significatives : les attitudes restent stables dans le
groupe pilote d'une vague d'enquête à l'autre ; il en est de même dans le groupe
témoin dont les résultats sont quasi identiques à ceux du groupe pilote. Voici à
titre d'exemple les principaux aspects de la situation que ces enquêtes ont tenté
d'éclairer :
— Les actuels non-fumeurs de Gitanes ont-ils l'intention de l'adopter procha
inement?
— Quel est le degré d'attachement aux Gauloises des fumeurs de cette marque?
— Comparaison des Gitanes à la marque principalement fumée selon différents
critères.
— Satisfactions d'ordre social procurées par le fait de fumer des Gitanes.
A titre d'illustration, on trouvera un tableau résumant les réponses à un
ensemble de questions destinées à appréhender ce qu'on pourrait appeler l'impact
social des Gitanes : on y constate sans peine que la campagne publicitaire expé-

40
Première vague
Expérimentales Témoins
Total 1 951 == 100 % 1 004 == 100 %
D'accord Pas D'accord Pas
d'accord d'accord
Bien que je fume des Gauloises, il
m'est plus agréable d'offrir des
Gitanes * 67 32 68 32
Autour de moi, je vois de plus en
plus de gens fumer des Gitanes * 28 70 30 70
Du moment que je fume des
loises, je trouve inutile d'acheter
des Gitanes pour les offrir aux
gens 75 25 78 21
Quand on offre une Gauloise à un
fumeur de Gitanes on n'est pas
certain de lui faire plaisir * 60 37 63 . 35
Quand je veux faire un cadeau à
quelqu'un et que je ne sais pas
ce qu'il fume, je préfère acheter
des Gitanes plutôt que des
loises * 70 27 74 25
Quand on veut offrir une cigarette,
il est souvent gênant de sortir un
paquet de Gauloises tout
tiné * . 88 11 85 14
Offrir une Gitane ça fait mieux
qu'offrir une Gauloise * 68 30 70 28
Quand on offre une Gitane ça fait
plaisir même à un fumeur de
Gauloises * 65 34 66 33
Même si on m'offre une Gitane, je
ne suis pas du tout gêné d'offrir
une Gauloise en retour 92 7 92 7
Les vrais fumeurs préfèrent les
Gauloises 78 19 79 19
* Les propositions marquées d'un astérisque expriment une opinion favorable aux Git
L IMPACT SOCIAL DES GITANES
Jean-Pierre Therme

rimentale n'a introduit aucune modification favorable des attitudes selon cette
batterie de questions. Pour les autres indices, la comparaison des données numér
iques conduirait au même diagnostic.
De même, en ce qui concerne les comportements, on ne pouvait constater
aucune modification qui pût s'expliquer par l'intervention de la publicité.
Quoique le test sur les ventes aux débitants, dont on a amplement parlé plus
haut, ait été négatif, on aurait pu constater certains légers changements de
comportement, en particulier chez les consommateurs qui fument à la fois des
Gauloises et des Gitanes : la publicité aurait pu leur faire fumer davantage de
Gitanes au détriment des Gauloises. Un tel succès pourtant limité, n'a pu être
mis en évidence.
Ainsi les enquêtes sont venues confirmer de façon indiscutable les résultats de
l'analyse statistique des ventes : malgré toutes les précautions prises pour réaliser
une campagne publicitaire aussi pertinente que possible, on n'a réussi à modifier
tant soit peu ni les attitudes ni les comportements des fumeurs de Gauloises.
On n'a pu les convaincre d'adopter, ne fût-ce que partiellement, les Gitanes.
Les hypothèses qui avaient servi de point de départ à cette vaste expériment
ation publicitaire se trouvaient dès lors validées, et par là, notons-le en passant,
les méthodes d'analyse des séries chronologiques qui avaient été développées
trouvaient également leur validation concrète.
Bien entendu, le S.E.I.T.A. sut tirer le parti qui s'imposait de ces études et
désormais, la Régie des Tabacs n'envisage plus de faire de publicité pour un
produit largement conçu, du moins tant qu'il n'est pas menacé par une concur
rence. L'avenir, en effet, pourrait changer les conditions du problème.

Il est temps de conclure. Bien que durant les dix années écoulées un grand
nombre d'expériences publicitaires aient été effectuées, dont certaines ont conduit
à des résultats précieux, sur le plan pratique, pour élaborer une politique commerc
iale, c'est sans conteste l'ensemble d'études précédemment décrit qui est le
plus intéressant.
Soulignons au moins deux des caractéristiques principales de ces études. La
première concerne le fait qu'elles ont porté sur un bien particulier, le tabac, dans
un contexte relativement unique, celui d'un Monopole : il faudrait se garder de
généraliser sans précaution les méthodes mises en œuvre et les résultats auxquels
elles ont conduit. La deuxième, la longue durée de ces études et, partant, leur
coût : dans ce domaine de la recherche il faut faire preuve de patience. Toutefois,
grâce aux ordinateurs on peut désormais envisager l'intégration plus complète
des informations relatives aux performances (les résultats des ventes) et aux
moyens mis en œuvre (publicité, actions de promotion). Le problème qui se pose
est d'étudier des modèles statistiques, en général basés sur l'analyse de variance,
qui permet une comparaison continue et systématique de ces deux types d'infor
mations. Ce genre de « système » est délicat à mettre en application, et il faut du
temps pour le rendre « opérationnel ». Mais on peut être assuré à l'avance que de
tels efforts seront récompensés par des renseignements précis et abondants dont
profiteront largement les décisions commerciales ultérieures. C'est vers quoi, à
l'heure actuelle, s'oriente le S.E.I.T.A.

Jean-Pierre Therme
Service d'Exploitation Industrielle des Tabacs et des Allumettes.

Vous aimerez peut-être aussi